GynePunk, les sorcières cyborg de la gynécologie DiY

Un article qui date un peu (publié le 30 juin 2015 par Ewen Chardronnet ), mais qui n’en reste pas moins intéressant! Trouvé sur Makery, « le media de tous les labs ».

Le collectif catalan GynePunk veut décoloniser le corps féminin. Et développe pour ce faire des outils de gynécologie de première urgence, pour les femmes en difficulté sociale, réfugiées, travailleuses du sexe. Mais aussi pour elles-mêmes.

Située dans les collines à l’Ouest de Barcelone, la communauté Calafou où est né le collectif GynePunk se définit « colonie écoindustrielle postcapitaliste ». Leur environnement ne fait pas rêver : la rivière qui y passe est contaminée, la vieille centrale hydroélectrique génère des champs électriques qui ne sont pas sans effet sur la vie quotidienne. Pourtant, ils ont été nombreux à acheter collectivement ces 28.000 m2 pour y créer 27 appartements. La vie à Calafou se passe en coopérative, avec de nombreux espaces collectifs, un atelier bois, un atelier fonderie et un hackerspace où est installé le biolab Pechblenda.

Hackmeeting à Calafou le 13 octobre 2012. © CC 3.0

Dildomancie

Pechblenda participe au réseau international de biologie DiY open source Hackteria. Paula Pin, rencontrée à Nantes lors de sa résidence 0.camp chez Ping et le fablab Plateforme C, raconte : « Nous avons décidé en 2013 de nous installer à Calafou car nous considérions qu’il fallait commencer par vivre ensemble dans un projet de coopérative pour pouvoir mettre en pratique nos idées. Travailler sur les fluides en général était notre objectif premier : de l’analyse de l’eau de la rivière à l’analyse des fluides corporels. En nous installant à Calafou, nous avons initié un groupe spontané de sexologie. » Si elles travaillaient déjà sur le machisme, elles (« anarchoféministes et transhackféministes ») ne s’étaient « pas suffisamment » intéressées au corps.

« Comment fabriquer des sextoys aux formes plus organiques, plus didactiques ? », poursuit Paula Pin. « Nous voulions aussi suivre les idées de Annie Sprinkle et Beth Stephens qui prônent la dégénitalisation de la sexualité avec leur mouvement écosexuel. » Leur mouvement s’inscrit également dans la mouvance post-pornographique très forte en Espagne, qui défend une autre vision de la sexualité et de la pornographie grand public, où les rapports sont uniquement focalisés sur une relation sexuelle génitale.

« Nous avons aussi mené des ateliers de « dildomancie », dans l’idée de fabriquer des lubrifiants naturels, de traiter des maladies vaginales à partir de plantes. Klau Kinky, qui a commencé à documenter ce travail, est alors venue avec ce concept de GynePunk. »

Mise en place du GynePunk Lab. © GynePunk

Anarcha, Betsy, Lucy y otras chicas del montón

Klau Kinky s’intéressait à la question de la décolonisation du corps de la femme. En faisant des recherches en sexologie elle découvre que deux gynécologues américains du XIXème siècle, J. Marion Sims et Alexander Skene, ont laissé leur nom dans l’histoire. Le premier est à l’origine du speculum et le second donna son nom aux glandes de Skene, l’équivalent de la prostate chez l’homme et qui sont à l’origine de l’éjaculation féminine.

Ces pères de la gynécologie moderne ont pratiqué leurs recherches gynécologiques sur des esclaves des plantations, et ce, sans anesthésie. De 1845 à 1849, Sims expérimenta sur trois esclaves d’Alabama, Anarcha, Betsy, et Lucy, qui souffraient de fistules. Anarcha fut opérée trente fois sans anesthésie. Ce n’est qu’après le succès de ces opérations qu’il commença à intervenir sur des femmes blanches, cette fois sous anesthésie. Ces expériences, considérées comme une étape vers la chirurgie vaginale moderne, permirent à Sims de concevoir des instruments, dont le spéculum de Sims.

Klau se décide alors à dédier son projet à « Anarcha, Betsey, Lucy y otras chicas del montón », en référence à un des premiers films de Pedro Almodóvar, Pepi, Luci, Bom y otras chicas del montón (1980). Et décide de rebaptiser les glandes de Skene et Bartholin en glande Anarcha et glandes de Lucy et Betsey, en hommage aux esclaves victimes des expériences de Sims.

Voir «Anarcha, Betsey, Lucy y otras chicas del montón» (2013)

Le kit gynéco d’urgence

Mais Klau et les GynePunk ne s’arrêtent pas là. Dans le cadre d’un atelier à Hangar à Barcelone elles décident de développer une mallette biolab pour des situations d’urgence. L’objectif est de réunir des outils DIY biohacking pour analyser les fluides corporels : sang, urine, fluides vaginaux. Avec l’aide du réseau Hackteria, les GynePunks développent trois outils, un centrifugeuse, un microscope et un incubateur. La centrifugeuse permet de séparer le solide du liquide, de décanter, pour ensuite passer le résultat au microscope. Le microscope, outil utile pour la cytologie (l’étude de la morphologie des cellules) et l’histologie (morphologie des tissus), permet d’identifier (par coloration) les infections urinaires et autres mycoses génitales. Enfin l’incubateur peut faire croître les bactéries dans une boîte de Petri, en les nourrissant afin de révéler leur présence.

Centrifugeuse GynePunk d’analyse des fluides corporels. © Paula Pin
Plan de microscope DiY à la découpe laser rendant hommage à Mary Ward, spécialiste du microscope du XIXème siècle. © Paula Pin

L’objectif des GynePunk est de développer un kit d’outils pour la médecine gynécologique de première urgence. À la manière des kits de réduction des risques chez les usagers de drogue. Un kit qui peut être utile pour les migrantes qui n’ont pas de Sécurité sociale, pour les camps de réfugiés, mais également pour les travailleuses du sexe, organisées ou non.

Mais le kit leur est aussi utile. A Calafou existe un groupe santé, qui cherche à sortir du système de santé publique, pour éviter les rendez-vous chez le médecin quand on n’a pas les capacités financières ou la mutuelle qui convient. C’est également un engagement militant dans la logique de la médecine alternative, des savoirs ancestraux, de la médecine chinoise, du savoir des sorcières et des grands-mères… « Nous sommes des sorcières cyborg ! » dit Paula Pin. « Nous voulons actualiser les connaissances ancestrales avec l’usage indépendant des technologies. »

Auto-analyse d’une sorcière cyborg. © Paula Pin

Speculum 3D

Les GynePunk inspirent aussi le réseau Hackteria avec leur volonté de démocratiser et « libérer » les instruments et protocoles utilisés en obstétrique et gynécologie pour permettre des diagnostics à faible coût. Urs Gaudenz, membre du réseau Hackteria et du Gaudi Labs en Suisse, a récemment conçu un spéculum 3D imprimable (disponible sur Thingiverse) et développe des outils génériques avec des éléments recyclés et largement disponibles dans les produits de consommation courante (moteur de lecteurs DVD, disques durs, ventilateurs d’ordinateurs) ou de designs ouverts pour la fabrication numérique. D’autres projets et prototypes explorent le champ performatif du corps post-porn, comme avec les dispositifs microfluidiques open source « OpenDrop » et les capteurs oscillateurs à cristaux de quartz type « Wild OpenQCM » qui combinent deux cristaux de quartz avec un circuit thérémine pour transformer le biocapteur openQCM en instrument de performance sonore BodyNoise.

Speculum pour imprimante 3D du Gaudi Labs. © Urs Gaudenz
« Wild openQCM ». photo Marc Dusseiller
Tous les outils génériques de labo de GaudiLabs sont DIY et open source. © Urs Gaudenz