Reproduction et lutte féministe dans la nouvelle division internationale du travail

Silvia Federici propose ici de réorienter l’agenda féministe dans les pays du Nord. En pointant les limites d’une approche exclusivement fondée sur les droits des femmes ou la prévention des violences sexistes, elle invite à remettre au centre de l’attention les effets de la nouvelle division internationale du travail. Loin de se résumer à une relocalisation des industries au Sud, cette nouvelle division du travail impose aux femmes des pays du Sud de réaliser une partie croissante du travail reproductif nécessaire des pays du Nord. En pointant cette hiérarchie mondiale, Federici souligne combien le mouvement féministe contemporain ne pourra faire l’impasse sur les nouvelles divisions parmi les femmes s’il entend rester un mouvement émancipateur.

Cliquer ici pour lire l’article : Reproduction et lutte féministe dans la nouvelle division internationale du travail | Période.

De et sur Silvia Federici, on peut lire et voir aussi sur Corps et politique :

Aux origines du capitalisme patriarcal

Rencontre avec Silvia Federici (conférence enregistrée en video)

Caliban et la sorcière, un résumé

Politiques sexuelles et besoins sociaux : pour un féminisme marxiste

Article de Rosemary Hennessy publié par la revue en ligne Période. Ci-après la présentation qu’en donne la revue. Pour lire l’article, voir le lien ci-dessous.

Dans le sillage des études et des mouvements queer, les identités sexuelles n’ont jamais autant fait l’épreuve d’une attention et d’une élaboration critique. Il est désormais d’usage de critiquer un mouvement gay et lesbien mainstream, de débattre ou de chercher à élargir les coalitions lesbiennes, gay, bi, trans (LGBT), ou encore de proposer une refondation queer des politiques sexuelles. Rosemary Hennessy propose ici de s’appuyer sur l’approche marxiste des besoins sociaux pour reconceptualiser les liens entre identités et rapports sociaux. Elle fait l’hypothèse d’une refondation marxiste et féministe des politiques sexuelles, appuyé sur la pluralité et l’étendue des besoins réprimés par le capitalisme.

Politiques sexuelles et besoins sociaux : pour un féminisme marxiste | Période.

L’économie politique du sexe : transactions sur les femmes et systèmes de sexe/genre

L’économie politique du sexe : transactions sur les femmes et systèmes de sexe/genre

Il semble que Gayle Rubin ait été la première à utiliser la notion de genre dans ce texte, qui date de 1975 et qui est devenu un « classique » du féminisme. Extrait (on peut lire le texte entier en ligne – voir le lien après l’extrait) :

Marx avait posé cette question : « Qu’est-ce qu’un esclave nègre ? Un homme de race noire. Cette explication a autant de valeur que la première. Un nègre est un nègre. C’est seulement dans des conditions déterminées qu’il devient esclave. Une machine à filer le coton est une machine pour filer le coton. C’est seulement dans des conditions déterminées qu’elle devient du capital. Arrachée à ces conditions, elle n’est pas plus du capital que l’or n’est par lui-même de la monnaie ou le sucre le prix du sucre » (Marx 1972 : 35). On pourrait paraphraser ainsi : Qu’est-ce qu’une femme domestiquée ? Une femelle de l’espèce. Cette explication a autant de valeur que la première. Une femme est une femme. C’est seulement dans des conditions déterminées qu’elle devient une domestique, une épouse, un bien meuble, une minette du club Playboy, une prostituée ou un dictaphone humain. Arrachée à ces conditions, elle n’est pas plus l’assistante de l’homme que l’or n’est par lui-même de la monnaie, etc. Quelles sont donc ces relations sociales qui font qu’une femelle devient une femme opprimée ?

Gayle Rubin, « L’économie politique du sexe : transactions sur les femmes et systèmes de sexe/genre », Les cahiers du CEDREF [En ligne], 7 | 1998, mis en ligne le 27 juillet 2009, Consulté le 27 septembre 2014. URL : http://cedref.revues.org/171

Aux origines du capitalisme patriarcal : entretien avec Silvia Federici

Traduit de l’anglais par  Stella Magliani-Belkacem, cet entretien avec Silvia Federici, réalisé par Tessa Echeverria et Andrew Sernatinger, du « socialist podcast Black Sheep », a été publié en français par la revue en ligne Contretemps – pour le lire, cliquer sur le lien ci-après Continuer la lecture de « Aux origines du capitalisme patriarcal : entretien avec Silvia Federici »

Ecologie et Féminisme : une histoire méconnue

Ecologie et Féminisme : une histoire méconnue

Voici une émission diffusée sur Fréquence Paris-Plurielle le 04 septembre 2014 par les radioactif.ve.s : Histoire des premières mobilisations écoféministes. L’écoféminisme : et si on essayait de comprendre ? Avec :
Benedikte Zitouni (univ. de Bruxelles)
Emilie Hache (univ. de Paris X-Nanterre)

Enregistré dans le cadre des conférences de l’Université Populaire de l’Eau et du Développement Durable du Val de Marne

Pour télécharger l’émission, cliquer ici.

Interview de Joan Scott par Vacarme

Le numéro d’hiver 2014 de Vacarme a publié une interview de et un article sur l’historienne américaine Joan Scott. On trouvera après l’extrait ci-dessous le lien pour lire les deux en entier.

« Femme », « Homme », « Genre », « Français », « Musulman » : ces catégories, par lesquelles se constituent et s’identifient des sujets politiques, n’ont pas de sens fixe. C’est que « les mots ne sont jamais que les batailles pour les définir ». Rencontre avec l’historienne de ces batailles.

Vous avez travaillé sur le mouvement ouvrier français, fait une histoire des discours féministes, contribué à l’introduction de la notion de genre dans l’historiographie… quel est le centre de gravité de votre recherche ?
Je ne suis pas sûre qu’à l’échelle de ma vie de chercheuse, on puisse identifier une unité très claire d’objet, de méthode ou même de théorie. Mieux vaudrait penser en termes de parcours, de bifurcations, de changements successifs d’optique. J’ai été à plusieurs reprises convoquée par un contexte politique et intellectuel : les mobilisations de la gauche des années 1960, le féminisme à partir des années 1970…
Mais peut-être qu’au fond, ma question a toujours été celle des rapports de force dissymétriques. Mon premier travail portait sur l’organisation sociale et politique des verriers de Carmaux à la fin du XIXe siècle. Je m’y intéressais à la prolétarisation d’un artisanat hautement qualifié, liée à la mécanisation des techniques de production. Et je l’ai décrite en termes de rapports de forces économiques et politiques : comment et pourquoi ces travailleurs ont-ils résisté aux transformations de leur travail ?
Quand la vigueur du féminisme des années 1970 m’a convaincue de la nécessité de penser l’histoire des femmes, j’ai tenté de comprendre les modalités de l’inégalité : j’ai questionné par exemple la façon dont le principe universel d’égalité des citoyens s’était accommodé de l’exclusion politique des femmes. Dans tous mes ouvrages, je m’attache ainsi à décrire la façon dont les gens qui vivent dans un rapport inégalitaire l’éprouvent, le pensent et le formulent.

http://www.vacarme.org/rubrique421.html

Genre et féminisme: pourquoi vont-ils de pair ?

Genre et féminisme: pourquoi vont-ils de pair ?

Quand j’ai commencé ce blog, le lien entre genre et féminisme m’a paru se passer d’explications. Etant arrivée aux études de genre par le féminisme, l’articulation entre les deux m’a toujours semblé aller de soi. Je me rends compte cependant (un peu tard) que le sujet mérite bel et bien un éclaircissement et que le lien entre les deux n’est pas forcément évident pour tout le monde. De plus, certaines féministes s’opposent au concept même de genre et donc à son emploi, de plus en plus fréquent, dans les milieux féministes – ce qui me permet de rappeler, une fois de plus, la diversité des féminismes. On ne peut pas mettre en évidence UNE théorie féministe: il en existe de très nombreuses, variées, et parfois contradictoires, leur seul point commun étant finalement l’identification de l’existence de la domination masculine et donc d’une cause des femmes.

Je rappellerai d’abord brièvement l’origine du concept de « genre », pour ensuite expliquer l’intérêt qu’il représente pour les féminismes et enfin les raisons, telles que je les comprends, pour lesquelles certaines féministes le rejettent.
Certaines explications, du féminisme comme des études de genre, paraîtront sûrement trop courtes, voire caricaturales. C’est malheureusement inévitable, mon but n’étant pas de revenir en détail sur les fondements de l’un et de l’autre, mais de détailler leurs liens.
« Genre »: origine du concept
La filiation théorique du concept est assez complexe. On peut la faire remonter aux travaux de l’anthropologue Margaret Mead en Océanie dans les années 20 et 30, et aussi, bien sûr, à Simone de Beauvoir et à son fameux « On ne naît pas femme, on le devient », bien que ni l’une ni l’autre n’emploie le terme « genre » ou « gender ». Ce dernier apparaît dans les travaux du psychiatre Robert Stoller et du sexologue John Money (tous deux étatsuniens) bien que dans un sens et une perspective très différents de l’emploi actuel du concept. Ils s’intéressent respectivement à la transsexualité et à l’intersexualité, dans une perspective pathologisante; Money distingue le sexe du genre (qu’il considère comme la dimension psychologique du sexe) et Stoller distingue, quant à lui, genre et sexualité.
Comme l’écrit Eric Fassin, « l’invention « psy » du genre va rencontrer l’entreprise féministe de dénaturalisation du sexe » résumée par la formule de Simone de Beauvoir citée ci-dessus (cf référence en fin d’article). Dans les années 1970, il est adopté et surtout adapté par des théoriciennes féministes, notamment par la sociologue britannique Ann Oakley, dont les recherches portent sur le travail domestique des femmes. C’est elle qui introduit le terme dans le champ des études féministes qui émerge à la même époque.
Les études de genre naissent des études féministes, récentes mais déjà bien constituées. Elles s’institutionnalisent aux Etats-Unis dans les années 1980. A la même époque, cependant, les études féministes peinent à s’imposer en France en raison du stigmate de « science militante ». Les recherches sur les femmes existent et se portent bien, mais pas en tant que champ autonome. De nombreuses chercheuses féministes regardent avec méfiance le concept de « genre », considéré comme une importation américaine; il s’est cependant largement imposé depuis les années 2000.
Cette rapide rétrospective est destinée à insister sur le fait qu’il ne faut surtout pas oublier l’origine féministe du concept. On ne peut pas concevoir le genre sans le féminisme. Pourtant, il reste toujours de nombreuses féministes qui n’acceptent pas le genre; nous tâcherons plus loin de comprendre pourquoi. D’abord, je voudrais résumer les apports du concept de « genre » à la pensée féministe.
Intérêt du genre pour le féminisme
Le concept de « genre » permet d’abord de décrire des relations sociales fondées sur l’appartenance à la catégorie « homme » ou « femme ». Mais il ne faut pas s’en tenir à cet aspect relationnel: la relation n’est en effet pas symétrique mais hiérarchisée, les valeurs, représentations et comportements associés au masculin étant considérés comme supérieurs à ceux associés au féminin.
Le genre permet donc de rendre compte et d’expliquer la domination masculine à l’oeuvre dans de très nombreux aspects de la vie sociale et permettant aux hommes de profiter, en tant que groupe, du rapport hiérarchique entre masculin et féminin.
En outre, l’explication que permet le concept de « genre » ne repose pas sur des caractéristiques supposément « naturelles » des hommes et des femmes. Cela signifie que la féminité comme la masculinité ne sont pas des données de nature mais des constructions sociales: on ne naît ni femme, ni homme, on le devient. Depuis la parution du Deuxième sexe de Simone de Beauvoir, le féminisme a largement dénoncé l’utilisation de l’argument de la « Nature » pour justifier la domination masculine. La possession de tel ou tel attribut sexuel (qu’il s’agisse des organes reproducteurs, des chromosomes ou de toute autre caractéristique sexuelle) ne détermine pas le genre. Celui-ci est assigné à la naissance en fonction des caractéristiques sexuelles observée, mais ce n’est pas le fait que les femmes cisgenre auraient un vagin ou une pilosité peu développée qui explique qu’elles ont été privées de tout pouvoir pendant des siècles et qu’aujourd’hui encore, elles soient moins payées à niveau égal que les hommes ou forment la majorité écrasante des victimes de viol.
L’argument de « nature » est utilisé principalement de deux façons (je mets le terme entre guillemets car il n’a en fait que peu à voir avec une hypothétique nature). La première consiste à arguer de l’infériorité naturelle des femmes pour justifier leur domination; il a marché pendant des siècles mais, pour des raisons évidentes, est difficile à utiliser aujourd’hui. Le deuxième, plus subtil, reste très courant. Il consiste à insister sur la différence « naturelle » entre les sexes, présentée en même temps comme une complémentarité, qui se prolongerait dans la sphère sociale. Le sexe masculin et le sexe féminin se complètent dans la reproduction, leurs rôles sociaux devraient donc refléter ce donné naturel.
Le concept de « genre » permet donc de rendre compte de la subordination systématique des femmes en tant que groupe en insistant sur les dynamiques sociales qui rendent cette domination possible et la perpétuent. Cette explication ne se contente pas de renverser la rhétorique du dominant, fondée sur l’argument de « nature », en mettant en avant des « caractéristiques spécifiques » des femmes, qu’il faudrait célébrer et préserver. C’est là le principal point d’achoppement entre féministes pro- et anti-genre.
Arguments des féministes anti-genre
Tout d’abord, le mouvement de dénaturalisation (au sens de dénonciation de l’argument de « nature » tel que je le décris ci-dessus) n’est pas une caractéristique de tous les féminismes. Il distingue la tendance féministe constructionniste, héritière de la pensée de Simone de Beauvoir. La tendance essentialiste, ou naturaliste, repose sur l’inversion rhétorique dont je viens de parler. L’idéologie de la différence n’est pas récusée mais adaptée aux besoins d’une certaine conception du féminisme, qui repose sur l’éloge de la féminité, et notamment de la maternité, comme manière de contrer la dévalorisation du féminin dans les sociétés patriarcales. Les féministes essentialistes insistent aussi sur l’existence d’une société matriarcale originelle, dont on sait aujourd’hui qu’elle est un mythe.
On voit donc en quoi le concept de « genre », intrinsèquement constructionniste, entre en contradiction avec ce courant de pensée.
Le genre est aussi rejeté par certaines féministes radicales qui lui reprochent d’invisibiliser à la fois les femmes et la domination masculine. On ne parlerait en effet plus de la domination des hommes sur les femmes mais du genre, ce qui contribuerait, au finale, à faire disparaître à nouveau les femmes comme sujets politiques et les hommes comme bénéficiaires du patriarcat et acteurs de la domination. Les études de genre considèrent cependant que l’on ne peut pas parler de domination exercée sur les femmes sans envisager celle-ci comme relation et comme processus social, et sans envisager la façon dont elle est systématiquement construite et maintenue au quotidien. De plus, les études de genre reposent sur le principe que l’on ne peut rendre compte du statut des femmes dans la société sans parler de masculinité et la prendre pour objet d’étude. Cela ne revient pas à égaliser féminin et masculin mais, comme je l’ai écrit plus haut, à envisager les relations asymétriques (et non-univoques) qui existent entre les deux groupes.
Le concept est enfin critiqué à cause de son absence supposée de dimension politique. Parler de « recherches sur le genre », par exemple, aurait une portée politique moindre que de parler de « recherches sur les femmes ». Je considère cependant que les débats actuels suffisent largement à prouver le caractère éminemment politique et même subversif du concept de « genre ».
On peut trouver un exemple d’argumentation féministe contre le genre dans le dernier livre de Sylviane Agacinski, Femmes entre sexe et genre. Je n’ai lu que des extraits de son livre et ne le critiquerai donc pas dans le détail. Je constate cependant que ses propos sur la « différence sexuelle » qui serait devenue « tabou » à cause du genre, ne se distinguent guère de ceux des militant·e·s anti-Gender que par le positionnement féministe de leur auteure. Ses propos sont d’ailleurs repris par des individus et des groupes antiféministes et homophobes, trop contents de trouver une alliée féministe, ce qui devrait tout de même lui poser question.
(Presque) Conclusion
Je conclurai de manière quelque peu décousue, complètement éhontée et parce que je déteste conclure par de l’autopromo. Le laboratoire junior GenERe, auquel j’appartiens, organise le 19 mars à l’ENS de Lyon une conférence intitulée « Mauvais genre ? », destinée à faire le point sur la controverse actuelle et, surtout, à servir de cours d’introduction aux études de genre. Je serai l’une des deux intervenantes. La conférence est ouverte à tou·te·s, dans la limite des places disponibles et sous réserve d’inscription préalable. Pour plus de détails, vous pouvez consulter le site du labo. Faites vite, plus de la moitié des places est déjà partie.
Anne-Charlotte Husson

Arguments antiféministes

 

À lire sur le blog Genre !, l’excellente série (5 articles à ce jour) intitulée : Arguments antiféministes.

« Je commence une nouvelle série de billets destinés à répondre de manière (je l’espère) simple et claire aux arguments antiféministes les plus courants. Je ne parle pas des arguments sexistes en général, mais plus particulièrement de ceux qui visent à faire taire les féministes, et j’exclus d’emblée les « mal-baisée » et autres « si t’étais belle tu dirais pas ça » que je ne considère pas comme des arguments (bien que d’autres aient visiblement du mal à faire la différence). » À lire ici : Arguments antiféministes.

« Oui mais quand même, la religion c’est mal »

« Oui mais quand même, la religion c’est mal. » Montée de l’islamophobie et banalisation du fémonationalisme.

Voici un article de Mona Chollet sur son site Périphéries. Le début donne le ton : « Relayer l’information de la énième agression d’une femme voilée, ou les propos haineux tenus sur l’islam par la représentante d’une organisation pseudo-féministe, revient immanquablement à emboucher l’appeau à trolls religiophobes. Que des femmes soient insultées et tabassées, que le féminisme serve de leurre pour répandre et banaliser le racisme le plus crasse, tout cela, le/la religiophobe s’en moque : dans un pays où médias et politiques, de façon plus ou moins insidieuse, désignent à longueur de temps les musulmans comme la cause de tous les maux de la société, son seul sujet d’anxiété est que son droit à « critiquer la religion » soit garanti. Pour l’exprimer, il usera de subtiles gradations dans la virulence, de la simple protestation à l’éructation scatologique probablement censée traduire la hauteur à laquelle il plane dans l’éther philosophique inaccessible aux benêts qui voient du racisme partout : « Moi, je chie sur toutes les religions. » » Voir tout le texte par ici : http://www.peripheries.net/article335.html