Ce qu’il y avait à dire «en plus» sur l’affaire Alexia Daval

Ce texte est paru sur Slate.fr et dans la newsletter hebdomadaire de Titiou Lecoq

Il est temps qu’on en finisse avec les «accidents» et les «drames passionnels» pour rappeler les faits bruts: un homme a tué sa femme. Et ça arrive encore tous les trois jours en France.

Affiche signalant la disparition d'Alexia Daval, le 2 novembre 2017 à Gray (Haute-Saône) | Sébastien Bozon / AFP
Affiche signalant la disparition d’Alexia Daval, le 2 novembre 2017 à Gray (Haute-Saône) | Sébastien Bozon / AFP

Le traitement du meurtre d’Alexia Daval cette semaine a été un cas d’école ou, pour être plus précise, un vautrage complet.

Je ne parle pas de la défense que l’accusé et ses avocats ont choisie. Qu’ils utilisent n’importe quel argument, c’est bien leur droit. L’accusé va tout tenter pour minimiser sa responsabilité –comme il le fait depuis le début. Il se présentera sous les traits de la véritable victime, un homme soumis à des maltraitances psychologiques. Soit.

«Par accident», mais sans les guillemets

Mais les journalistes ont plusieurs devoirs, dont le premier: la vigilance. Ces trois derniers mois, on a vu des articles qui reprenaient sans le début de l’ombre d’un conditionnel la version du mari: un monstre avait attaqué la jeune femme pendant son jogging. Une version étayée par zéro preuve et pour cause: elle était fournie par le présumé meurtrier pour s’innocenter.

Eh non, en fait, il l’attendait dans le salon.

On pourrait penser qu’après s’être laissés balader un peu trop facilement par le présumé meurtrier, les médias allaient prendre ses nouvelles déclarations avec des pincettes. Eh bien pas du tout.

Sur nombre de sites d’infos mardi soir, on retrouvait la déclaration de l’avocat selon laquelle Jonathann Daval aurait tué son épouse «par accident», mais sans les guillemets. Pourtant, l’emploi des guillemets est essentiel pour souligner que ce sont des propos rapportés non vérifiés avec lesquels on maintient une distance. Les guillemets, c’est la base. Même l’AFP, qui a édicté une charte pour bien traiter des féminicides, a commis cette erreur. À sa décharge, l’agence s’en est aussitôt excusée et a corrigé ses titres.

En zappant sur plusieurs chaînes de télévision, j’ai vu défiler tous les pièges habituels de ce genre d’affaires: «drame», «drame passionnel», «amour». On ne dit pas «drame», on ne dit pas «passionnel» ou «fou d’amour».

 Est-ce idéologique? Non. Entre «un drame familial s’est noué dans l’Aube» et «Dans l’Aube, un mari a égorgé son épouse», la deuxième formulation n’est pas moins neutre. Au contraire, elle dit les choses telles qu’elles sont, sans le filtre des formules convenues. Atténuer la violence de ces meurtres en évoquant un «drame» ou une «dispute qui a mal tourné», c’est déjà dénaturer les faits.

Il existe des outils à la disposition des journalistes pour éviter certaines erreurs courantes, ceux faits par le collectif Prenons la une ou le travail de déconstruction de Sophie Gourion. Le problème, c’est que pour les utiliser, il faut déjà avoir conscience de la nature de l’information qu’on va traiter.

Englués dans la psychologie de comptoir

Et visiblement, à TF1 et à France 2 mardi soir, ce n’était pas le cas. J’ai regardé deux fois ces 20h. Deux fois, parce que je me disais que ce n’était pas possible qu’aucun des deux n’ait à un moment évoqué les autres victimes d’homicide conjugal. J’avais forcément dû louper ce passage.

Sur France 2: reportage à partir des aveux de Jonathann Daval, puis duplex depuis Besançon avec un journaliste qui redit la même chose. «Un homme à bout, un jeune homme dévasté». Deuxième reportage sur les éléments qui ont fait basculer l’enquête. Retour plateau avec un journaliste justice qui nous parle mensonge et dissimulation. Conclusion d’Anne-Sophie Lapix: «Voilà ce qu’on pouvait dire sur Jonathann Daval». Mais non! On pouvait dire tellement plus de choses!

Sur TF1: reportage sur les aveux, puis duplex devant la gendarmerie de Besançon, retour plateau, lancement d’un portrait de Jonathann Daval dans lequel on prend pour argent comptant les propos de l’accusé sur la personnalité «écrasante» d’Alexia Daval. Fin.

Ces aveux font l’ouverture des deux plus gros journaux télévisés du pays et pas un ne lance un reportage sur les féminicides. Pas un ne prononce même le mot. Pourtant, c’était l’occasion pour informer, pour sensibiliser à ce sujet. À la place, on est resté englué dans la psychologie de comptoir au sujet de l’accusé. J’adore la psychologie de comptoir, mais je n’ai pas besoin d’en voir dans les journaux, je fais ça très bien au café avec mes amis.

C’est même pire que ça: ce qui intéresse, ce n’est pas qu’un homme ait tué sa compagne, c’est qu’il ait menti. Alors que je m’attendais à ce que l’on cite au moins quelques noms des autres femmes tuées récemment par leurs conjoints, le spécialiste justice de France 2 a bel et bien évoqué deux autres affaires: Véronique Courjault (mère infanticide) et Patrick Henry (enlèvement et meurtre d’un enfant). Le point commun avec Jonathann Daval? Ils avaient aussi menti.

Alexia Daval a été tuée par son conjoint en octobre 2017. Exactement comme Céline, Catherine, Marielle, Corinne, Yamina, Marine-Sophie, Emmanuelle. Mais dans les rédactions de France 2 et TF1, personne n’a pensé à faire le parallèle.

Vous allez me dire: «Mais c’est parce que cette histoire est hors norme». Les remarques psychologisantes sur Jonathann ne disent pas autre chose que «il est exceptionnel». Comme si cette affaire était exceptionnelle. Un mari a tué sa femme: ce n’est pas exceptionnel et ça mérite mieux que des «experts» qui dissertent comme s’ils étaient l’agent Ford dans Mindhunter.

Alexia Daval, une victime parmi toutes les autres

 En quoi l’affaire Daval est-elle plus extraordinaire que celle de Jennifer, 31 ans, mère de deux enfants et portée disparue en Corse en février dernier, dont on a retrouvé le corps au fond d’un ravin au bout de deux mois de recherche, avant de découvrir que c’était Loïc, 31 ans, son ancien compagnon, qui l’avait étranglée et avait déplacé son cadavre? Ou celle de Bernard, 70 ans, qui a étouffé son épouse Jacqueline, 69 ans, avant d’enterrer son corps dans leur jardin et de signaler sa disparition en insistant bien sur le fait qu’elle était dépressive… C’était le mois dernier. Un homme qui tue sa compagne –ou son ex-compagne– et qui ment, ce n’est pas un scoop.

Je sais que c’est la piste de la joggeuse en début d’enquête additionnée au côté «feuilletonnant» de l’affaire Daval qui a entraîné un traitement sous l’angle du pur fait divers. Mais le rôle des journalistes, c’est aussi de remettre en perspective les faits. Or la mise en perspective ici, c’est de dire qu’il s’agit d’un homicide conjugal, et plus exactement d’un féminicide. C’est sortir du cas particulier pour, au minimum, rappeler le nombre de victimes par an. Il y a une responsabilité à insister sur le fait que ça arrive plus souvent qu’on ne le pense, que ça touche tous les âges et tous les milieux sociaux.

Alexia Daval est une victime parmi toutes les autres. Elle n’a pas été tuée par un serial killer, mais ce n’est effectivement pas la seule victime. Elles étaient au moins 110 l’an passé. Comment personne dans les JT n’a pensé à traiter la chose sous l’angle de ce que c’est: une femme tuée par son compagnon ou ex-compagnon?

Jeudi matin, une femme de 46 ans a été abattue au fusil de chasse par son ex-compagnon, sous les yeux de sa fille de 7 ans.

Lundi, une femme de 43 ans a été poignardée puis brûlée dans sa maison par son compagnon.

Mardi soir, une autre a été battue jusqu’à la mort par son concubin, leur enfant de 18 mois était présent.

Dimanche, une femme de 48 ans s’est fait tirer dessus par son ex-compagnon, son pronostic vital est toujours engagé.

C’était cette semaine. C’est ça qu’il y avait à dire «en plus» au sujet de l’affaire Daval.

J’ai l’air de jouer la donneuse de leçon et j’ai horreur de ça. Il nous arrive à tous de se planter. Mais pour s’améliorer, il faut se rendre compte des erreurs et se dire «ok, c’est la dernière fois qu’on se loupe à ce point-là».

Lettres depuis la taule des femmes de Rennes

(Article publié vendredi 2 février sur Indymedia Nantes et mis a jour ce samedi 3 février)

Voici 3 lettres écrites depuis la taule des femmes de Rennes pendant ce mois de janvier 2018, qui viennent parler de la situation actuelle à l’intérieur (avant et pendant la grève des maton.ne.s).
Dans cette période où les maton.ne.s (et leurs syndicats) prennent toute la place avec leurs discours réacs et sécuritaires, dans la rue comme dans les médias (qui relaient allègrement leur vomi), on voulait rendre visible ces lettres de Maïté et Marina, enfermées au Centre Pénitentiaire pour Femmes.On publie ces lettres, parce qu’au delà de ce contexte particulièrement dégueu, on voit toujours du sens à briser le silence, à exprimer notre rage et notre solidarité directe, avec les moyens qui nous semblent pertinents et par l’auto-organisation, pour la destruction de toutes les prisons et du monde qui en a besoin.En parallèle, et parmi d’autres réactions un peu partout en france, le 25 janvier, 76 détenus de la taule pour hommes de Vezin refusaient de retourner en cellules. Les grilles des cours ont été forcées et deux débuts de feux ont été déclenchés.Vive la révolte ! Liberté pour tou-te-s !
Lettre de Maïté de mi janvier: Ces derniers temps, on a beaucoup entendu parler du CPF de Rennes.Ainsi, on a pu lire dans le quotidien Ouest-France du 27 décembre 2017, un article complet sur des faits intervenus dans cette prison, illustré par une grande photo en couleur; et que des surveillantes ont manifesté à la porte de cette prison puisque, selon eux et elles, la vie entre ces murs est devenue très dure. Très dure pour le personnel pénitentiaire, bien sûr! La cause de tout ce désordre est soit-disant une détenue, une femme extrêmement dangereuse.Je connais bien la vie en prison. J’ai connu, et très vite apprécié, cette femme que la pénitentiaire persiste à qualifier de violente et dangereuse. La direction du CPF l’accuse de semer la peur chez les surveillantes, de vouloir les agresser et d’avoir tenté de s’évader (!). Si les conséquences de ces accusations n’étaient pas si graves pour elle, on serait tentée d’éclater de rire tant ces assertions dignes d’un scénario hollywoodien sont absurdes.Une femme, seule, enfermée dans une cellule peut facilement perdre son sang-froid face à une institution qui a carte blanche pour punir et réprimer en toute impunité (et qui est faite pour cela).Nous avons toutes été témoins de la persécution et l’acharnement de l’Administration Pénitentiaire sur cette femme, laquelle a passé les derniers mois entre le confinement dans sa cellule, le QD (quartier disciplinaire), le D1 (une division de 20 cellules vidée de toute autre occupante à l’exclusion de la détenue maintenue en isolement total) et l’UHSA (unité psychiatrique réservée aux détenu.e.s du centre hospitalier Guillaume Régnier). Étant en fin de peine et voyant s’enchaîner punition sur punition, cette femme a tout simplement pété les plombs car sa situation était insupportable.La direction du CPF l’accuse également de fumer des joints et de posséder un téléphone portable. L’hypocrisie du système par rapport à ces deux questions m’insupporte tant elle est absurde, aberrante et agaçante.En premier lieu, la drogue. Il faut savoir qu’en prison, c’est un véritable fléau. Cependant, il faut savoir que le principal et plus gros dealer en prison est le service médical. En effet, contrairement à celles qui se procurent par leurs propres moyens leur hasch pour se faire un joint, l’UCSA fournit et distribue en toute légalité les drogues les plus dures, celles qui font le plus de dégât, des substitutifs de l’héroïne et de la cocaïne, avec l’entière complicité de l’AP car cela lui sert à isoler, à contrôler, à annihiler et à soumettre les prisonnières.En second lieu, le téléphone. Arrêtons le délire. Ils nous parlent de « maintien des liens familiaux » et de « réinsertion ». L’AP a signé un contrat avec une société (SAGI) qui à l’abri des murs, hors de la portée de toute concurrence et avec la complicité du système judiciaire organise un véritable racket des détenu.e.s. Les communications sur un téléphone en France sont excessivement chères… et je ne parle même pas de celles qui avons nos familles à l’étranger. Tous les êtres humains ont besoin de communiquer. Tous les êtres humains ont besoin d’affection, encore plus lorsqu’on est seule, enfermée, sans défense, loin de sa famille et dans une situation pécuniaire difficile.Cette femme toulousaine était à des centaines de kilomètres de chez elle, sa famille ne pouvait pas se permettre de venir la voir très souvent. Elle avait demandé à plusieurs reprises le transfert vers le sud mais ils l’ont jamais accepté, comme punition pour son, soi-disant, mauvais comportement (mais pour la punir de son pétage de plomb, la décision de transfert disciplinaire à Nantes a été prise, validée et appliquée en toute vitesse). Elle voulait, donc, maintenir les liens familiaux et amicaux avec un téléphone portable.La direction du CPF, même si elle ne le dit pas publiquement, l’accuse aussi d’être une femme arabe musulmane et d’être fière de l’être. La prison républicaine française ne pardonne pas celles qui veulent vivre librement et dignement leurs croyances religieuses. Je veux dire, leurs croyances religieuses musulmanes. Car lorsqu’on est catholique ou protestante, exercer sa liberté de culte est beaucoup plus facile entre ces quatre murs. Dans cette prison laïque, il y a trois sœurs catholiques, voilées, qui circulent tous les jours dans les cursives ou dans les divisions clef dans la main (je n’ai jamais vu d’aumônière musulmane en division). De même, à l’intérieur du CPF il y a une chapelle digne d’un village (avec ses curés, ses messes, ses célébrations et même ses visites d’évêques). Mais si une femme musulmane veut sortir de sa cellule avec la tête voilée, elle aura au nom de la laïcité un Compte Rendu d’Incident (CRI) qui l’expose à des sanctions disciplinaires et plus, à une accusation de radicalisation (!).L’AP ne lui pardonne pas non plus qu’après des années d’emprisonnement elle n’ait toujours pas baissé la tête et ployé le genou. Ils n’ont pas réussi à la convaincre que leur loi et leur morale est la bonne. Elle a continué à s’insurger face aux injustices, à rester solidaire et gentille avec ses amies détenues. Elle ne balance pas, elle ne collabore pas avec eux. Tout cela est à leurs yeux impardonnable et, pour cette raison, ils s’acharnent sur elle. Les surveillantes, non contentes de cela et avides de prétextes pour augmenter les effectifs et la répression en détention, manifestent devant la prison pour pleurnicher sur la dangerosité de leur boulot.Mais le cas de cette femme est symptomatique de ce qui se passe dans les prisons française. Comme le dit une autre femme qui a très bien connu les geôles françaises « la prison est une entreprise de destruction sociale ». À mon sens, le mal-être des surveillantes est justement la conséquence directe de l’augmentation de la répression et la déshumanisation croissante dans les prisons françaises. Elles demandent plus de sécurité lorsqu’elles créent elles-mêmes les conditions d’insécurité; et cela veut dire pour nous les prisonnières, la dégradation croissante de nos conditions d’incarcération qui sont en fait nos conditions de vie. Nous savons toutes que plus d’oppression et plus d’humiliations se traduit par plus de rage et plus de violence.J’ai voulu par cette lettre témoigner de mon indignation et réécrire l’histoire pour donner la véracité des faits. Je vous remercie de me donner l’opportunité d’informer de la réalité carcérale en prêtant votre attention et votre oreille à la voix et à la version de quelqu’un qui y vit. Maite
Lettre de Maïté du 20 janvier: J’affirmais dans ma lettre précédente que plus de sécurité pour eux suppose la dégradation de nos conditions de vie. Nous avons pu vérifier cette affirmation avec les dernières protestations des surveillantes. Ça tombe bien pour eux, le gouvernement a maintenant le prétexte parfait pour mettre en place davantage de mesures répressives.Mais je voudrais surtout dénoncer leur façon de faire la grève, en tout cas dans cette prison, car les seules personnes qui avons subi les conséquences du blocage avons été les détenues et nos familles. En effet, ils ont empêché l’entrée aux médecins, aux personnes qui s’occupent du travail en détention, aux intervenants éducatifs et culturels, ainsi qu’aux proches qui sont venus nous rendre visite aux parloirs. Cependant, toutes les surveillantes, la hiérarchie pénitentiaire, Monsieur le Directeur, le personnel de la Direction Inter-régionale et tout le reste est bien entré. Et après ils et elles, les grévistes, se réclament comme étant des travailleurs et travailleuses qui luttent pour leurs droits.J’estime qu’une « lutte » qui est destinée à nuire (un peu plus) la vie aux personnes qui sommes enfermées et sans défense possible est quelque chose de lâche et de misérable. Je dénonce aussi l’hypocrisie de tous ceux et celles qui s’érigent comme « défenseurs de la loi ». Si c’était nous qui étions révoltées face au manque de travail, manque de parloirs, etc. en ce moment nous nous trouverions toutes au Quartier Disciplinaire, avec le conséquent retrait de remise de peines qui prolonge notre temps d’incarcération… eux, elles, les surveillantes, n’ont pas manqué un seul jour de salaire.Je voudrais aussi souligner le cas de notre camarade Marina. Le 15 janvier elle avait une visite de 24 heures dans le cadre des Unités de Vie Familiale. Sa famille est venue de Barcelone et elle n’a pas pu entrer à cause des blocages, même après avoir essayé d’expliquer leur situation au piquet de grève de la porte. Ainsi, sa famille a passé trois jours et deux nuits sur Rennes, à attendre devant la porte de la prison pour, finalement, se voir l’entrée refusée. Ceci est, encore une fois, conséquence de la politique de dispersion que les États espagnol et français appliquent contre notre collectif (le Collectif des Prisonniers et Prisonnières Politiques Basques). Sa famille a été victime également de ce système carcéral qui cherche constamment la punition et l’humiliation des prisonnières.Toute cette spirale répressive ne servira qu’à empirer la situation dans les prisons françaises. La rage et la violence augmenteront et la sensation d’insécurité grandira pour tout le monde. Je pense qu’il n’y a pas d’autre solution que de repenser et d’organiser une vraie alternative à ce système carcéral. Maite
Lettre de Marina de la fin janvier: Le 15 janvier a commencé un mouvement de maton.ne.s dans toutes les prisons de l’État français pour protester, soi-disant, pour le manque de mesures de sécurité dans les établissements pénitentiaires et dénoncer l’agression que quelques surveillant.e.s ont subi à la prison de Vendin-le-Vieil par un prisonnier. Les maton.ne.s se sentiraient ainsi en danger, elles manqueraient d’effectifs et d’instruments répressifs pour faire face aux prisonnièr.e.s qui les agressent; elles ne se sentiraient pas valorisé.e.s socialement, ils manqueraient d’amour et de compréhension de la part de leurs semblables, lesquel.le.s ne comprendraient pas leur rôle sociale; mais elles se feraient maltraiter aussi par l’État, lequel, en les sous-payant, n’apprécierait le grand service qu’elles rendent à la société en gardant les méchant.e.s à l’écart, hors de la vue des gens honorables.Les maton.ne.s ne sont pas des ouvrièr.e.s, ils et elles sont des agents actifs dans la protection et préservation d’un système qui protège les riches et enferme les précaires. L’amélioration des conditions de travail qu’elles réclament ne sont autre chose qu’un manifeste à faveur d’un modèle de société basé sur la sécurité. Mais pas la sécurité d’avoir une vie digne et épanouie; ni la sécurité de pouvoir arriver à la fin du mois avec suffisamment de ressources matérielles; non plus la sécurité de ne pas manquer de logement ni de nourriture ni de chauffage; ni la sécurité de ne pas se faire arrêter, contrôler ni tabasser dans la rue à cause de la couleur de ta peau, de ton idéologie, ta religion ou ton orientation sexuelle. La sécurité qu’elles défendent est basée sur le contrôle, la haine et la peur, elles demandent plus de caméras de vidéo-surveillance, plus de fouilles, plus d’armes, plus d’effectifs, plus de barbelés, plus d’isolement, plus de discrimination, plus d’obéissance.En prison nous vivons enfermées ce qui est en soi une mesure inhumaine d’une grande violence, mais nous vivons aussi sous la menace permanente. Au moindre incident ou montée de ton dans une discussion les matons débarquent à plusieurs, on se fait vite entourer d’uniformées prêtes à intervenir. Ils disposent de menottes, de casques, de boucliers, de la force brute, du nombre, de la menace. En cas de nécessité il y a aussi les ERIS, plus entrainés et avec plus de moyens. Un incident banal peut faire objet d’un CRI (compte rendu d’incident) lequel entraine un passage en commission disciplinaire. Les sanctions dont elles disposent sont bien connues: confinement, mitard, isolement, transfert disciplinaire, piqures d’anxiolytiques… La machinerie répressive dont ils disposent, donc, n’est pas négligeable. Cependant, toutes ces mesures se sont avérées complètement inefficaces puisque… les matonnes continuent à se faire agresser. Alors la solution passerait par les endurcir, les incrémenter, peut-être avec des Tyzer se sentiraient-elles mieux? Et pourquoi pas un boulet attaché au pied? Une caméra de gaz calmerait-elle les récalcitrantes? En réclamant plus de moyens, ils réclament plus de contraintes pour nous, les prisonniers et les prisonnières, ce qui entraine plus de tensions, plus de rage, plus de violence.Les surveillant.e.s de prison (conjointement avec les autres forces répressives) sont ceux et celles qui font le sale boulot aux états. Sont celles qui font que la machine tourne. Elles sont complices des politiques gouvernementales qui génèrent davantage d’inégalités et, donc, poussent aux pauvres et aux exclu.e.s à la débrouille, à la lutte pour la survie, à la lutte pour le changement social. Elles sont agents actifs dans la défense du modèle patriarcal qui enferme les femmes qui se sont défendues des attaques machistes, celles que s’écartent de leur rôle imposé de mère et d’épouse. Ils se plaignent de faire un boulot qui n’est pas valorisé socialement mais… comment veulent-ils qu’on valorise celui ou celle qui enferme des êtres humains dans des cages? Les tortionnaires, eux non plus, ne sont pas bien vus; par contre, tout le monde apprécie la boulangère du coin… il n’y a rien d’étonnant là-dessus, c’est plutôt une bonne nouvelle!Avec les blocages des prisons les maton.ne.s ont fait une déclaration de guerre aux prisonnier.e.s. Elles se sont attaquées à toutes les choses qui nous touchent de près dans notre quotidien: Elles nous ont laissé sans parloirs, punissant au passage nos proches qui se sont déplacé.e.s pour rester à la porte ou qui ont vu le temps de parloir réduit considérablement. En empêchant l’entrée des intervenant.e.s elles nous ont laissé sans activités, sans formations ni travail, si on peut appeler « travail » à l’esclavage légal que s’applique en prison. En empêchant l’entrée aux docteurs, psys et infirmier.e.s (sauf une docteur et une infirmière) elles nous ont laissé sans soins ni médicaments. En bloquant l’entrée des fournisseurs elles nous ont laissé sans pain, sans cantines, sans produits frais, sans fruits et légumes. En retardant les mouvementnas elles ont raccourci les horaires de promenade et de sport ou les ont carrément supprimés.Elles ne se sont pas attaquées à leur hiérarchie ni au fonctionnement de l’institution en ce qui concerne la question sécuritaire. Elles n’ont pas laissé les portes ouvertes ni n’ont menacé de le faire. Tout le personnel pénitentiaire est bien entré, ils continuent à nous enfermer dans les cellules, à faire des fouilles, à nous faire passer sous le portique, à faire des CRI… la machine fonctionne. C’est étonnant le zèle qu’elles apportent à leur tâche. Ils défendent le règlement et l’institution comme si c’était leur maison ou leur famille. Or… elles défendent quoi ou qui, au juste? Un État qui les considère comme un pion de plus et qui n’est même pas en mesure de leur garantir une pension digne pour la retraite? Mais c’est beaucoup plus facile de s’attaquer aux plus démunis, à celles qui ont les bras liés, à celles qui sommes ici retenues en otage, impuissantes de voir qu’elles peuvent faire ce qu’elles veulent et qu’ils bénéficient de totale impunité.En effet, touts ceux qui s’érigent en défenseurs de la loi et de l’ordre, qui sont prêts à intervenir avec l’usage de la violence au moindre mouvement collectif de notre part, bloquent l’entrée sans que personne intervienne, elles sont au-dessus de ça, c’est gratuit. Ici c’est chez eux, nous ne sommes que des pièces à utiliser pour leur tour de force. Et c’est justement ce qu’ils cherchent: Nous pousser au bout, nous énerver, nous faire exploser de rage. Tout d’un coup les nouvelles d’agressions de surveillant.e.s se multiplient dans les médias fidèles au régime. Le voyez-vous? Voyez-vous comment c’est dangereux en prison? Quelles bêtes devons-nous garder? Elles aimeraient qu’on mobilise nous aussi, que ça pète ici pour donner de l’ampleur à leur mouvement. Nous nous trouvons coincées au milieu. D’un côté le besoin de répondre, de ne pas se laisser faire; de l’autre, le besoin d’agir intelligemment pour ne pas tomber dans leur manège, de ne pas agir comme ils le voudraient. Nous avons choisi de leur rappeler à chaque instant que nous sommes en colère, qu’on les méprise profondément, que ce qu’ils font nous dégoute et qu’on n’oublie pas, qu’après on se croisera tous les jours et que, à la fin, on récolte ce qu’on sème. Avec la rage au ventre, Marina

Les musulmans, la France et la sexualisation de la culture nationale

« Sexagon » de Mehammed Amadeus Mack

Refusant de choisir entre la « libération » que la France veut leur imposer et la « répression » qui serait inhérente à leur religion, de nombreux musulmans inventent de nouvelles pratiques sexuelles et de genre.

Le 9 janvier, Le Monde publiait une série d’articles à propos de l’affaire Weinstein aux États-Unis — la révélation d’abus sexuels par le magnat du cinéma Harvey Weinstein et le torrent d’accusations contre d’autres hommes qui a suivi avec le mouvement #MeToo. Le politologue Olivier Roy, arguant que c’est la culture, et non la nature, qui explique le mauvais comportement des hommes, citait les événements de Cologne de 2016 pour rappeler à ses lecteurs qu’on était passé de l’agression sexuelle par des hommes musulmans à celle opérée par des « hommes occidentaux. »

Dans le même numéro du journal, un groupe d’une centaine de femmes éminentes défendait ces « hommes occidentaux », établissant une distinction entre le viol et la drague insistante ou la galanterie. « Nous défendons une liberté d’importuner, indispensable à la liberté sexuelle », écrivaient-elles, dénonçant comme « puritaine » et relevant de la « morale victorienne » l’idée que la drague, même « insistante ou maladroite » pourrait constituer un harcèlement indésirable. L’article ne tenait pas compte du fait que les questions liées à l’emploi sont souvent en jeu — l’exercice d’un pouvoir masculin qui force des employées à se soumettre à des rapports sexuels ou les humilie. Au lieu de cela, elles se sont précipitées pour défendre une opinion répandue qui fait de la séduction l’un des traits durables et (pour certains) attachants de l’identité nationale française.

Une « mission de civilisation sexuelle »

La défense d’« une liberté d’importuner » ne faisait pas directement référence aux agresseurs masculins de Cologne, mais c’était implicite. Derrière, la crainte que la « soumission » à l’autorité islamique ne menace la France. Ceux qui encensent la séduction et la galanterie opposent la liberté sexuelle française aux pratiques répressives supposées dictées par l’islam (la Galanterie française de Claude Habib, publié en 2006, en est un bon exemple). En fait, leur conception de la sexualité est devenu un test-clé de l’aptitude des Maghrébins et des ressortissants des pays d’Afrique de l’Ouest à s’intégrer à la nation française. Comme le note Mehammed Amadeus Mack dans Sexagon, « la sexualité est apparue comme un nouveau champ de bataille dans les débats publics quant à savoir si l’immigration d’après-guerre en provenance des anciennes colonies a érodé l’identité française. » (p. 2)

Mack partage l’idée que beaucoup d’entre nous se font de la façon dont ce contraste entre l’islam et « la France » obscurcit les complexités des deux côtés. Il présente de façon fascinante et détaillée des conceptions de la sexualité et des pratiques sexuelles qui demeurent cachées dans les représentations dominantes. Il analyse la façon dont « les minorités africaines et arabes en France se sont écartées ou ont dévié des visions normatives françaises de la sexualité, hétérosexuelle comme homosexuelle ». (p. 2) Il se concentre sur les habitants des « banlieues » et leurs manières de résister à ce qu’il appelle une « mission de civilisation sexuelle », par quoi il entend non seulement les injonctions dominantes de la séduction hétérosexuelle, mais aussi les idées émancipatrices des élites homosexuelles blanches françaises — le « communautarisme » qui définit leur conception universaliste de la libération sexuelle. Dans son livre, il retourne l’accusation habituelle de communautarisme portée contre les musulmans contre les vues normatives françaises.

Les sources de Mack sont nombreuses : le style « viril » adopté par les filles comme par les garçons dans les cités et la fluidité sexuelle qu’il produit ; des lectures alternatives de diagnostics psychanalytiques de « familles brisées » ; une fiction qui dépeint une vie érotique plus complexe dans les banlieues que celle dépeinte dans la presse française ; un cinéma « ethnique » qui s’accorde également à la complexité de manière différente de l’opinion majoritaire ; et la pornographie dans sa mise en scène du désir mêlé des Arabes et des Français : « il apparaît clairement que les forces qui divisent ces communautés sont aussi la clé de leur réconciliation érotique » (p. 267).

Sexagon présente de nombreuses objections intéressantes aux stéréotypes sur la sexualité musulmane. L’une d’entre elles est qu’il est faux de décrire ces communautés comme homophobes. Mack refuse aussi l’opposition modernité/tradition, et insiste au contraire sur le fait que ce qu’il décrit est la quintessence de la modernité : un combat contre des pratiques dominantes qui ne repose ni sur les diktats du Coran ni sur les enseignements des aînés, mais qui est une expression des réalités de la vie des minorités, de pratiques qui font sens dans un contexte de discrimination et de besoin de solidarité. Ainsi écrit-il que le choix des homosexuels musulmans/arabes de rester cachés n’est pas un compromis avec la répression religieuse, mais une forme de dissidence « non seulement de la culture visuelle gaie dominante et de l’impératif d’hyperexposition, mais aussi des accords entre les minorités et le courant dominant qui mettent la diversité sexuelle minoritaire sur la voie de l’homogénéisation et de la stabilisation… L’invisibilité, dans ce contexte, signifie rester un peu plus longtemps dans un espace non réglementé de la diversité sexuelle, libérateur ou pas » (p. 15). Et il n’ y a pas que cela : « Les clandestins immigrés et les clandestins sexuels peuvent se ressembler, dans la mesure où les uns comme les autres cherchent à échapper à la surveillance d’une autorité souvent critique, que ce soit celle de la police ou celle de la modernité sexuelle. » (p. 269)

Nouvelle vision des pratiques des immigrés

S’il y a des critiques à faire à ce livre, c’est qu’il est trop long, souvent répétitif et parfois déroutant, surtout lorsqu’il s’intéresse à ceux qui ont contribué aux stéréotypes de la vie dans les banlieues en ne décrivant que des familles dysfonctionnelles et des adolescents délinquants, et en prenant à tort des normes inconnues et des comportements dissidents pour de la pathologie. Au mieux, l’argumentation de Mack à leur propos est claire, mais parfois les lignes de désaccord sont floues. Dans le chapitre sur la psychanalyse, par exemple, il devient difficile de comprendre qui il critique et pourquoi, puisque certains de ceux avec qui il semble être en désaccord (par exemple la discussion de Tahar Ben Jelloun sur l’impuissance des hommes immigrés) corroborent certains de ses propos sur la nécessité de prendre en compte l’expérience sociale et économique. Dans ce chapitre également, les distinctions de Mack sont difficiles à suivre : est-ce la psychanalyse tout court qu’il condamne ou ce qu’il appelle alternativement et confusément la psychanalyse « conservatrice », « officialisée » ou « républicaine » ? Et on peut se demander quelle théorie psychanalytique a influencé ses propres lectures de l’érotisme, du désir, du fantasme et des possibilités politiques de la pornographie.

Ces objections mises à part, l’ouvrage est important parce qu’il se concentre non pas tant sur les raisons des fausses représentations françaises des populations « immigrées » — ce que beaucoup d’entre nous ont fait depuis longtemps —, mais sur les sexualités créatives, imaginatives et ingénieuses produites par ces populations, qui contribuent à « queeriser » (remettre en question) les paradigmes sexuels dominants, même ceux jugés transgressifs. Face à un discours déjà sexualisé à leur sujet, Mack démontre qu’ils ont « une sexualité liée de façon créative à la race, à la religion et à la classe d’une manière qui conserve leur intersectionnalité » (p. 269). Sexagon dévoile ainsi une nouvelle vision des sexualités musulmanes qui devrait clore définitivement la discussion sur « leur » répression versus « notre » libération. C’est cela, surtout, qui fait la grande valeur de ce livre.

À Forcalquier du 8 au 24 février: Ragots, bobards et autres cancans

Demandez le programme !

C’est par ici: Rumeursprogramme

mais si vous préférez du bon vieux texte, en voilà:

Ça commence  par:

  • le 8 février – 20h au local associatif Place du Palais à ForcalquierGroupe de Parole Le conflit de loyauté

    Événement proposé par l’association NAISSANCES

    Quel lien entre rumeur et conflit de loyauté ? L’enfant, dépendant des adultes et de ses parents, peut parfois être amené à dire ou faire quelque chose sans que ceci lui soit explicitement demandé, et ce pour maintenir le lien et le soin de l’adulte sans lequel il ne peut se suffire. C’est à travers ce sujet que nous réfléchirons ensemble aux mécanismes de soumission que l’on peut imposer aux enfants et comment leur offrir davantage de liberté d’action et d’expression.

  • Ça continue comme ci…

  • Lundi 12 – 11hémission musicale Commune Oreille

    Commune Oreille s’en va arpenter les rumeurs qui se déclament en musique et sons en tous genres. Le tout, sous licence libre… en tout cas c’est ce que l’on dit… ou laisse entendre !

    Émission à réécouter et à télécharger sur : http://commune-oreille.blogspot.fr/ Rediffusion le 18.02 à 20h

  • … et comme ça:

  • Jeudi 15 – 18h30/5€ – Cinéma Le BourguetPanique – Julien Duvivier France / 1946

    Après la projection : apéro et repas à la salle Pierre Michel à partir de 20h30

Monsieur Hire est un homme que les villageois jugent comme bizarre et presque inquiétant. Lorsqu’un crime est commis, le vrai coupable cherche donc à faire porter le chapeau à ce coupable idéal. La rumeur prend puis s’emballe.

Avec Michel Simon, Viviane Romance, Paul Bernard, Charles Dorat, Max Dalban

  • Et aussi :

 

  • Et encore:

    • Samedi 17 – 15h30/17h30Atelier Parents/Enfants Écriture & arts plastiques

      Parce que la rumeur touche aussi les enfants, et que peu d’espaces sont proposés pour l’évoquer avec eux, cet atelier propose de traiter la question au travers d’un moment ludique et créatif. Autour du livre La rumeur de Venise de Germano Zullo aux éditions La Joie de lire. Atelier limité à 12 participant-e-s / A partir de 7 ans Renseignements et réservations : 06 60 08 31 37

  • Ce n’est pas fini… :

    • Jeudi 22 – Librairie La Carline – 18h30Rumeurs en livres

      Présentation suivie d’un débat autour d’un apéritif

      Un moment pour approcher la ou plutôt les rumeurs à travers des essais sociologiques, historiques et philosophiques, et peut-être aussi quelques œuvres de fiction.

      Rencontre proposée par Antiopées et l’Université Populaire Graines de savoirs avec le soutien de la librairie la Carline.

  • … et ça se termine en beauté:

    • Samedi 24 – Caves à Lulu – 18/20hThéâtre Forum

      Comment naît une rumeur ? Qui alimente la rumeur ? De quelle façon pouvons-nous contribuer à la nourrir ou au contraire à l’éteindre ? Qui est concerné par la rumeur ? Quels dégâts peut faire une rumeur ? Nous allons réfléchir ensemble à l’aide du théâtre forum. Une forme de théâtre où la salle est invitée à participer, à monter sur scène : il n’y aura pas de simples spectateurs mais des spect-(actrices)-acteurs, qui pourront modifier la suite de l’histoire à travers leurs idées, réflexions et questionnements.

      Proposition de l’association Interférence

    • 20-21h : Apéro/repas
    • 21h : Projection + débat accompagné L’école du soupçon (M.-M. Robin 52’ / 2007 )
    • Ce film pointe les dérives de la lutte contre la pédophilie. Sans atténuer la nécessité de combattre ce fléau et de démasquer les coupables, le dispositif de contrôle adopté par l’Etat -signalement systématique et imposé du moindre ”fait” suspect- a parfois des conséquences très néfastes. Marie Monique Robin enquête sur les mécaniques à l’origine de fausses accusations et de vies brisées. Elle montre comment cette situation mine l’ensemble du corps enseignant et menace l’équilibre même des enfants.

22H30 : Clôture festive et musicale !

En échos, du 06 au 26 février sur les ondes de Radio Zinzine, une programmation de reportages et de fictions radiophoniques ! Cf. programme complet, dans la rubrique programme sur le site de Radio Zinzine: Y a-t-il 1 exhibitionniste au village ? // Reportage de Arte Radio (14′) Le Couloir // Fiction de Arte Radio (14′) La Rumeur // Émission Tribu avec Pascal Froissard maître de conférence en science des communications et spécialiste de la rumeur (RTS / avril 2017 / 26′)

Nouveautés à la bibliothèque de Corps et Politique

Voici déjà un certain temps que nous rêvions de pouvoir créer un outil qui vous informerait des nouveaux livres que nous recevons à la Bibliothèque-infokiosk féministe de Forcalquier, chez Agate, armoise et salamandre – Corps et politique, car on en reçoit pas mal ! Et ça y est, on a réussi à le créer cet outil ! Ces livres sont pour la plupart des livres neufs, que soit, nous recevons à travers des éditeurs qui nous les envoient en service de presse ou alors, parfois ce sont des cadeaux  – oui oui, la mère Noël est passée par là ! – ou parfois nous les achetons si on trouve des bonnes occasion. Peut être d’en recevoir la liste pourra vous aider à faire plus souvent le petit détour par Forcalquier au 13, rue des Cordeliers, pour venir en emprunter ??? Certains de ces livres sont aussi plus longuement décrits ici-même.  Puis il y a aussi les revues, les brochures, (à acheter ou emprunter) et les CDs et les DVDs (à emprunter) !
Nous vous le rappelons, toute personne peut emprunter un ou plusieurs livres pour 1, maximum 2 mois, à condition d’adhérer (au prix libre!) à notre association. C’est simple ! En tout cas, n’hésitez-pas à venir nous voir, soit le lundi entre 10 h et 13 h ou le samedi entre 16 h et 19 h. A très vite!

Pour voir les 4 pages des nouveautés de janvier, c’est par ici: Liste-nouveautes-janvier2018

Les «frotteurs», un «non-évènement»? 13 de leurs victimes répondent

Des femmes ayant subi des agressions dans le métro répondent à la tribune du Monde.

Publié le 13 Janvier, 2018 à 3:46 p.m. sur Buzzfeed

 Dans une tribune publiée dans Le Monde, un collectif de 100 femmes a écrit :

«Surtout, nous sommes conscientes que la personne humaine n’est pas monolithe : une femme peut, dans la même journée, diriger une équipe professionnelle et jouir d’être l’objet sexuel d’un homme, sans être une « salope » ni une vile complice du patriarcat. Elle peut veiller à ce que son salaire soit égal à celui d’un homme, mais ne pas se sentir traumatisée à jamais par un frotteur dans le métro, même si cela est considéré comme un délit. Elle peut même l’envisager comme l’expression d’une grande misère sexuelle, voire comme un non-événement.»

Mais pour les victimes de frotteurs, ces agressions sont loin d’être un «non-événement». Voici leurs témoignages.

Mélanie, 29 ans, photographe/vidéaste

«La première fois que j’ai été confrontée à un frotteur a aussi été la plus traumatisante, puisque j’ai veillé ensuite à ce que ça n’arrive plus jamais. C’était en 2008, j’étais en première année de BTS, et je vivais à Paris depuis seulement six mois. Je n’étais du coup pas encore très au fait de ce genre de phénomène. Dans une rame de métro bondée, à 8 heures du matin, je me suis retrouvée le dos collé à un homme (la quarantaine, un physique affreusement normal) et j’ai juste senti son sexe glisser contre le haut de ma fesse. Mon premier réflexe a évidemment été de me dire que j’hallucinais et que ça devait être autre chose. Mais le temps que je me pose la question, il avait mis ses deux mains sur mes deux hanches pour ne pas que je me dégage. J’ai essayé de bouger, mais c’était ce genre de wagon où tout le monde est très serré. J’ai pris peur d’un coup et j’ai été pétrifiée. Je me suis sentie devenir livide et incapable de bouger, de parler. J’ai dû attendre la station suivante pour prendre le courage de profiter du mouvement des gens qui sortent du wagon pour me dégager et en sortir. Je suis restée 20 minutes sur le quai, totalement choquée et dégoûtée. J’ai pensé à rentrer chez moi et ne pas aller en cours, mais j’ai finalement décidé d’y aller. J’ai mis des mois à raconter cette histoire à quelqu’un.

Je n’ai jamais plus pris les transports en commun, seule ou accompagnée, en étant sereine. Qu’il y ait du monde ou non, je ne suis plus jamais tranquille, je fais toujours très attention.

À aucun moment ce n’est=t aux femmes de se soucier de la supposée « misère sexuelle » des hommes au point de se laisser tripoter si elles n’en ont pas envie. Libre à chacune de considérer ça comme grave ou non, mais les traumatismes que cela peut engendrer chez certaines personnes ne doivent pas être niés.

Je ne sais pas si « traumatisée » est le terme exact pour me désigner, mais étant donné que j’ai encore le souvenir impérissable de chacune des agressions que j’ai subies et que mon comportement a changé par rapport à celles-ci, on ne doit quand même pas en être loin…»

Fanny, 40 ans, directrice de la relation client

«Malheureusement, je ne compte plus les agressions dans le métro, depuis mon adolescence jusqu’à aujourd’hui. En pantalon, en jupe, maquillée, pas coiffée, peu importe, il n’y a pas de tenue pour repousser les frotteurs. Une fois qui m’a marquée, c’était il y a un an et demi. J’étais enceinte jusqu’aux dents, debout pour quelques stations, car pour une fois la ligne 13 était peu empruntée, et je me suis retournée sur le mec en lui hurlant dessus : « Plus près de moi là, c’est dans ma culotte ! Je t’invite à t’arrêter de suite. » Cette phrase a beaucoup fait rire mes collègues le lendemain, y compris les femmes… Comme si c’était normal de subir ce genre de comportement. Mes voisins de voiture ont incendié le mec, mettant en avant ma « condition ». Ce qui au fond était presque plus irritant, on me défendait car j’étais enceinte, finalement.

Les premières fois, je me sentais honteuse, essayant même de me persuader que ça n’était pas en train de se passer, que c’était dans ma tête, n’osant pas intervenir ou même faire en sorte que cela cesse, comme si je provoquais ce comportement malgré moi et que les gens autour se retourneraient contre moi. Je ne montais plus dans les rames blindées, je me mettais en tête de rame pour être près du conducteur et me coller à la paroi, au cas où. C’est triste quand j’y repense. J’avais fini par ne plus me sentir en sécurité nulle part, puisque à pieds, en métro ou même en taxi, les comportements des hommes étaient quelques fois déplacés, me mettaient mal à l’aise. On en revient à « c’est de ma faute », « ça n’arrive qu’à moi ». Finalement, quand le monde te crie que tu y es pour quelque chose, difficile de se l’enlever de la tête. Et puis en en parlant avec les autres femmes, tu te rends compte que cela arrive à tout le monde, tout le temps, et tu es révoltée qu’on se taise.

Les années passant, j’ai osé parler une fois, puis deux, et désormais je ne me tais plus et je confronte. Maintenant, je ne me sens plus coupable face à ces comportements, je sais que c’est la personne en face (ou plus souvent derrière moi) qui est en faute, donc je n’hésite plus. Et les frotteurs, c’est presque la partie pudique, je ne compte plus les « pénis-surprise » brandis au détour d’un couloir désert, dans des escaliers, ou parfois en pleine rame.

Je ne prends plus le métro entre autres pour minimiser les moments de promiscuité. Toutefois, l’une des dernières fois où je l’ai pris, j’ai été victime d’une main aux fesses d’un type qui sortait de la rame. Son grand sourire vainqueur ne laissait pas de doute sur la nature désirée du geste. Je me suis contentée d’un doigt d’honneur.»

Marie, 30 ans, travaille dans l’édition

«Une des mes premières expériences avec un frotteur, c’était dans le RER A, en 2003. J’avais 15-16 ans, c’était l’été de la canicule. Le RER était bondé, à heure de pointe, et il était bien plus petit et non climatisé à l’époque. J’étais pressée contre la porte d’un côté et j’avais un homme âgé (dans mes souvenirs je dirai 40-45 ans, ce qui me semblait très vieux quand j’avais 15 ans…) en costume-cravate qui était collé derrière moi. Au début, je n’ai pas très bien compris ce qu’il se passait. Je croyais simplement qu’à cause de tout ce monde, il était juste collé contre moi. On était d’ailleurs tous et toutes comme des sardines. Et puis, j’ai commencé à sentir sa main sur ma cuisse, derrière. J’étais en short. Encore une fois, je n’ai pas compris ce qu’il se passait, je pensais naïvement à une erreur. Et puis c’est devenu plus insistant. Il a enlevé sa main et j’ai senti son sexe, en érection bien sûr, entre mes fesses et il a commencé à bouger. J’ai été prise de panique. Je ne pouvais plus bouger. J’ai rien pu dire, rien pu faire. J’étais comme paralysée. Quand les portes se sont ouvertes pour l’arrêt, j’ai quand même eu assez d’esprit pour sortir vite du wagon. Vu que j’étais pressée contre la porte, c’était pas trop difficile. Ce n’était même pas mon arrêt mais je suis sortie. Je ne suis même pas allée où je devais aller. Je suis rentrée chez moi. Je me sentais vraiment sale et honteuse. Et coupable de n’avoir pas réagi. De m’être laissée faire. Je n’en ai parlé à personne sur le coup. J’étais bien trop embarrassée.

Les autres fois où j’ai eu à subir des mains sur la cuisse, sur les fesses, des hommes pressés derrière moi ou qui se pressent contre ma poitrine, je ne disais jamais rien et je n’ai jamais su comment réagir. À chaque fois, j’étais comme paralysée. J’avais peut-être peur. Je me sentais peut-être honteuse. Et puis, passé mes 25-27 ans, j’ai arrêté de me laisser faire. Maintenant, quand ça arrive, je le fais remarquer bien fort dans la rame de métro ou de RER, je menace bien fort de casser des doigts s’ils ne retirent pas immédiatement leur main, je marche sur les pieds des frotteurs par derrière. Depuis que je fais ce genre de choses, je reçois souvent des regards compatissants de la part des autres femmes du wagon, des hommes ou des femmes me proposent souvent de changer de place et l’homme frotteur en question sort assez rapidement de la rame après coup.

Ça ne m’a jamais vraiment empêché de reprendre les transports en commun parce que je n’ai pas d’autre choix. Mais je fais attention : je m’assois à côté de femmes, si possible, j’essaie de rester debout à côté de femmes également. J’utilise mon sac à main ou mon sac à dos comme une espèce de barrière, si je suis seule avec des hommes dans un wagon, je change de wagon.

Je ne sais pas si ça m’a traumatisée. Mais ça me rend méfiante de tout. Je regarde toujours autour de moi, je cherche les sorties possibles. C’est peut-être une forme de traumatisme d’ailleurs. De devoir faire attention à tout autour de soi, en vigilance constante. D’ailleurs, je ne pense pas qu’être traumatisée ou non soit vraiment la question. Ça change certainement le rapport qu’on a avec notre corps d’être sans cesse sexualisée et de ne pas se sentir à l’aise dans l’espace public. La vraie question, c’est d’arrêter de blâmer les femmes pour ce qu’elles subissent, et d’arrêter d’excuser sans cesse les hommes pour ce qu’ils font.»

Salomé, 21 ans, étudiante

«La première fois, c’était en prépa, j’avais 19 ans. Je n’ai pas réussi à réagir. C’était un vieux monsieur et le métro était plein. Je me disais que ce n’était pas de sa faute s’il me collait, et en même temps il avait de la place pour bouger. Je me suis renfermée sur moi en me disant que ça allait passer. Mais la rame se vidait et il ne bougeait pas. Au contraire, il se frottait de plus en plus contre moi. Quand il a fini par partir, j’ai fondu en larmes.

C’était la première fois que ça m’arrivait, je sortais du lycée, j’étais tétanisée. Ça a dû durer cinq arrêts, mais ça m’a semblé une éternité. J’en ai parlé à une amie juste après, et après plus jamais. C’était dur de réexpliquer, de le revivre. J’ai complètement nié ce qui s’était passé.

La deuxième fois, c’était à Paris, l’année dernière. Exactement la même chose : la rame était bondée, un homme en a profité. Mais la différence, c’est que j’avais appris entre-temps à me défendre. J’ai désormais toujours un petit couteau sur moi. C’est super triste à dire, mais c’est comme ça. Alors cette fois, j’ai ouvert le couteau dans ma poche et je lui ai piqué la jambe. Légèrement, sans chercher à le blesser. Je voulais juste qu’il comprenne. Il a reculé tout de suite et est descendu, ce qui prouve bien qu’il avait quelque chose à se reprocher, sinon il serait resté.

Maintenant je suis beaucoup plus méfiante quand je me déplace, je ne peux plus sortir sans cette minuscule arme dans ma poche et je dévisage constamment les gens avant de rentrer dans un métro.»

Aline, 32 ans, responsable communication

«Alors âgée de 19 ans, je suis dans le métro vers la station Ranelagh ou Jasmin, il est un peu tard (22 heures), je vais chez une amie. Le métro est assez vide et je rêvasse à moitié. Je suis assise sur un strapontin pour avoir de la place pour les jambes. Je sais qu’un homme est assis sur le strapontin en face de moi mais je lui prête pas vraiment attention. Puis je me rends compte qu’il me fixe, je le regarde dans les yeux, il me sourit, il est bien plus vieux. Et je vois que son bras droit est très agité. En baissant le regard, je constate qu’il se donne du plaisir (et qu’il en a…). Toujours ses yeux qui me fixent. Je ne sais pas trop quoi faire, jusqu’au moment où il s’apprête carrément à ouvrir son pantalon. Là je me lève et je descends. Ce n’est pas ma station du tout mais il m’a glacé le sang car je me suis dis que ça devait faire un moment qu’il me regardait en se caressant.

Ensuite, si j’ai pu reprendre le métro facilement, c’est parce que je n’ai pas eu le choix, j’en avais besoin pour aller en cours, puis maintenant pour aller travailler… Mais par contre, je me suis mise à regarder tout le monde. Systématiquement, si je dois m’asseoir, j’essaie de me mettre à côté d’une femme ou d’une famille pour me sentir plus en sécurité. Et j’évite de le prendre seule tard le soir.

Les femmes qui ont écrit la tribune publiée dans Le Monde n’ont jamais dû être confrontées à un frotteur, ou comme moi à un homme qui se donne du plaisir en vous prenant pour cible. Je ne me suis absolument pas sentie flattée, bien au contraire, c’est humiliant, dégradant, je me suis sentie salie. J’en ai rien à faire qu’il subisse une « misère sexuelle », c’est son problème, pas le mien, je n’avais pas à en subir les conséquences si tel était le cas d’ailleurs. Et il ne faut pas considérer ces agressions comme des non-événements. Si je me rappelle encore 13 ans plus tard de cette histoire, c’est que ça m’a marqué, donc c’est un événement. Pourquoi ce serait honteux de le dire ? Au contraire, ça l’a été pendant longtemps et maintenant que les femmes parlent, l’impunité des « frotteurs » est terminée et tant mieux. On n’est pas les réceptacles des fantasmes malsains de certains, de leurs « maladies » ou que sais-je.

Quant au fait qu’il faudrait que nous « [prenions] nos responsabilités« , qu’est-ce que ça veut dire ? Je ne suis pas responsable de ce qu’il a fait. J’aurais dû crier ? Le baffer ? Et s’il réplique ? S’il cache un couteau, ou n’importe quoi, je suis bien avancée et je peux peut-être me faire doublement agresser. Personnellement, je suis restée sidérée et je n’ai réussi à me lever qu’au bout d’un moment. En ayant peur qu’il me suive. Ce n’est pas à moi de prendre de responsabilités alors que l’on m’a agressé.»

Sandrine, 38 ans, mère au foyer

«Je suis en fauteuil roulant, donc je n’ai jamais subi de mains aux fesses. On pourrait croire que ça évite une bonne part des tripoteurs en tous genres, et bien non, pas forcément ! C’est ainsi qu’assez tôt, j’ai découvert que des « frotteurs » pouvaient se frotter… contre mon fauteuil roulant.

Cela m’est arrivé plusieurs fois, mais il y en a une en particulier qui m’est restée en mémoire, vers 2003 : j’étais dans le RER et j’ai senti mon fauteuil roulant bouger légèrement, plusieurs fois. J’ai tourné la tête (en fauteuil roulant on est à la hauteur « idéale » pour profiter de la vue) et vu qu’un mec derrière moi me collait (il avait pourtant la place de ne pas le faire) et se frottait contre l’une des poignées du dossier de mon fauteuil roulant. Je connaissais bien cette ligne de RER et je savais qu’il y aurait dans peu de temps un virage. Lorsque le virage a créé l’élan nécessaire, j’ai envoyé la poignée de mon fauteuil roulant direct dans ses testicules. Vu sa tête, il a très bien compris pourquoi je l’avais fait et s’est éloigné sans demander son reste. Même si ça s’est bien fini, ça m’a suffisamment marquée pour que je colle le dos de mon fauteuil contre une paroi lorsque je prends les transports. Et même en soirée ou dehors, je reste vigilante vis-à-vis de ce qui se passe derrière moi.

Et si je dis “pas de mains au fesses”, j’aurais dû rajouter : la plupart du temps. Je suis en fauteuil roulant mais je peux me lever, avec appui. Lors d’un concert au début des années 1990, pour mieux voir la scène, je me suis mise debout sur mon fauteuil roulant, en appui sur deux hommes qui me tenaient. Un inconnu (un vieux d’après une copine qui a vu ce qui s’est passé) en a profité pour me tripoter les fesses. J’avais pourtant 13 ou 14 ans (!).»

Mathilde, 28 ans, rédactrice technique

«C’était en 2014. Dans la ligne 9 du métro parisien, en milieu de journée. Un mec s’est collé à moi. J’avais beau me décaler, il continuait à coller sa bite contre mon dos. Je suis sortie un arrêt plus tôt, en larmes.

Il y avait du monde, mais la rame n’était pas non plus ultra bondée. Je regrette de pas lui avoir collé mon poing dans la figure. Le seul truc que j’ai dit c’est : « ça va, je vous dérange pas ? »

J’ai repris le métro le lendemain car je devais bien aller bosser, mais hyper méfiante, toujours assise ou collée à une porte pour éviter quoi que ce soit

Je n’ai alerté personne de la RATP car je n’y ai pas du tout pensé sur le moment, je voulais juste rentrer chez moi.»

Céline, 35 ans, employée

«Un type, la quarantaine, en mai dernier, à Rome. Le métro n’était pas bondé du tout mais il y avait du monde. Avec ma mère et ma sœur, on faisait du tourisme. Je l’ai senti contre ma cuisse, aucune équivoque possible. Je l’ai fixé et je l’ai incendié en français. Ma mère et ma sœur n’ont pas compris sur le coup puisqu’elles n’étaient pas juste à côté. Les autres personnes n’ont pas réagi. Lui il a compris que j’avais pigé son manège et qu’il devait dégager vite fait. Il s’est tout de suite éloigné en regardant par terre et il est descendu dès qu’il a pu.

J’ai été très en colère, et le suis toujours, d’avoir été confondue avec un objet à la disposition d’un homme. Pas traumatisée non, mais très en colère. Dégoûtée.

Les femmes sont enfin entendues. La parole ne s’est pas libérée : les oreilles semblent leur prêter de l’attention. C’est aux hommes maintenant de prendre leurs responsabilités, faire un travail sur eux-mêmes, déconstruire les codes de la virilité surtout.»

Olga, 28 ans, journaliste web

«Le harcèlement dans les transports et la rue, c’est une réalité depuis mes 11-12 ans, j’ai des dizaines et des dizaines d’exemples. Mais la seule fois où j’ai eu affaire à un frotteur (du moins, en m’en rendant compte), c’était en 2014 dans la ligne 4 du métro parisien. J’ai mis du temps à réaliser, je montais en début de ligne et allais jusqu’au terminus. Assise, j’ai senti une pression derrière-moi, comme la rame était bondée, je ne me suis pas méfiée outre mesure, absorbée par une lecture. Mais à mesure que ma station approchait, j’ai compris que quelque chose n’allait pas : la rame s’était vidée mais je sentais toujours quelqu’un collé à moi. Je portais un décolleté, et cet homme était debout, collé à mon épaule, faisant de légers va-et-vient sur le côté en regardant ma poitrine, visiblement. Quand j’ai tilté que je sentais une érection contre mon corps, j’ai eu un geste de réflexe pour la repousser. Je n’ai pas osé me retourner complètement pour voir à quoi ressemblait mon agresseur, j’ai juste vu un costume et un attaché-case. J’étais tétanisée, et je me suis sentie sale toute la journée. Quand j’y repense, je rentre dans une véritable rage, car s’il y a bien quelqu’un de sale dans l’histoire, ce n’est pas moi mais ce prédateur. J’étais choquée et dégoûtée.

Je suis devenue beaucoup plus méfiante. J’ai perdu ce qu’il pouvait encore me rester de tranquillité d’esprit, à toujours essayer de repérer ce type de situations avant qu’elles ne se produisent (il n’y a pas que les frotteurs à craindre, quand on est une femme dans les transports), mais pour moi hors de question de céder du terrain, je n’ai pas évité les transports par la suite.

J’ai envie de hurler quand je lis la tribune publiée dans Le Monde. C’est quand même dommage de commencer par une affirmation pertinente pour en arriver à une conclusion qui pue autant le sexisme intériorisé. « Misère sexuelle » ? Sérieusement ? C’est l’argument type du violeur pour se justifier de brutaliser toute notion de consentement pour son plaisir physique, ou simplement son égo, en exerçant sa domination sur quelqu’un. Les femmes n’ont pas à supporter une prétendue « misère sexuelle » des hommes sous-prétexte qu’ils ne sauraient se contenir, ou autre stéréotype dangereux du même acabit. Pourquoi le ferait-on ? Au nom de quoi ? Nous ne sommes pas des objets, nous ne sommes pas des saintes. Si on devait donner un quelconque crédit à cette expression censée faire pleurer dans les chaumières pour excuser l’inexcusable, ce serait justement pour qualifier les nombreuses difficultés et déceptions qu’ont les femmes qui ont des relations avec des hommes au niveau sexuel et/ou affectif ! Le fait que les femmes lesbiennes ou bisexuelles – je le suis – ne se comportent pas de la sorte dans l’espace public ou professionnel lorsqu’une personne leur plaît, ou est simplement « à portée de main » (parce que c’est souvent ça, le harcèlement sexuel aussi, la question d’attirance est secondaire), en dit long sur l’origine du problème.

À titre personnel, je traîne un syndrome de stress post-traumatique dû à plusieurs agressions sexuelles et viols au cours de ma vie, et je mets cette expérience là sur le même plan. C’est une invasion de mon espace personnel très violente, une atteinte à mon consentement, à l’intégrité de mon corps, vraiment grave. Et rien ne justifie ni le harcèlement sexuel, ni les agressions sexuelles, ni les viols. RIEN. Ne pas mettre ces agressions au même niveau en disant que certaines seraient sérieuses et d’autres des « non-événements », c’est continuer d’entretenir la culture du viol si chère au patriarcat.»

Astrid, 30 ans, cheffe de projet

«Moi un matin, il y a trois ans dans la ligne 5 du métro parisien, blindée… J’avais mon casque audio et des sacs dans les deux mains. Je sens quelque chose me frotter (insistant) entre les fesses. Vu le monde qu’il y avait, je pensais (à tort) que c’était le sac ou la mallette de la personne derrière moi. J’ai essayé de bouger mais impossible et mon casque ne me permettait pas d’entendre ce qu’il se passait.

A la station d’après je me suis retournée et ai pu enlever mon casque. J’ai croisé le regard de l’homme derrière moi qui m’a fixée droit (regard de défi) dans les yeux tandis qu’il sortait du métro. Je n’ai rien fait et n’ai rien dit.

A l’époque je ne savais pas que cela pouvait être puni. Je regrette et agirai en conséquence si cela se reproduisait un jour. Maintenant, je ne porte plus mon casque (qui coupe le bruit autour) dans les transports.»

Juliette, 29 ans, gérante d’une boutique

«C’était sur la ligne 1 du métro parisien, il y a environ deux mois. L’acte était complètement assumé. Un type a posé sa main sur mon genoux comme sur un accoudoir pour s’installer à côté de moi. Il a râlé en minimisant quand j’ai moi même râlé. Je ne suis pas traumatisée du tout, je trouve juste que c’était très perfide comme approche.

Sur le moment j’étais énervée, toute rouge plusieurs heures quand même. J’ai eu l’impression de faire partie du mobilier urbain, puis cette manière de m’envoyer chier alors que le type m’agrippait le genoux, comme ça, comme si c’était tout naturel…

J’ai été un peu traumatisée par la suite de me souvenir que je faisais partie du mobilier pour beaucoup d’hommes, car cette mésaventure s’accumule à d’autres en dehors du métro. Chaque nouvel événement est un nouveau coup de poignard, une remise à ma place et à ma condition de femme objet.

J’ai du mal à cerner en quoi je dois “prendre mes responsabilités”, mais je suppose que ça veut dire que je ne dois pas me laisser faire. Je m’efforce de dire quelque chose malgré la terreur quand ça arrive, car je ne sais pas qui j’ai en face de moi. Si on est capable de me toucher de manière inapproprié en public, oserait-on m’agresser un degré au-dessus ? Jusqu’où et combien de temps peut durer la confrontation ? Et si personne n’avait le courage de me soutenir, comme cela m’est arrivé dans un magasin quand j’avais 14 ans quand un adulte m’a immobilisée pour m’embrasser et tenter de m’enlever au milieu de nombreux témoins ?

Des traumatismes comme ça, on en a toutes, et ça me révolte qu’on me parle de prendre mes responsabilités face au malheur. Pas un instant celles qui tiennent ce discours ne se soucient de la responsabilité des hommes de ne pas avoir de comportements gênants.»

Pauline, 26 ans, interne en médecine

«La première fois où un homme se collait à moi dans le métro 13, bondé comme à son habitude, je croyais sentir son sexe en érection contre moi mais je n’ai pas osé dire quoi que soit. Je cessais de me répéter que ce n’était pas possible, je devais inventer ou surinterpréter. J’avais peur de faire un scandale sur une invention de ma part. Puis, je me suis retournée et je l’ai vu faire. Je suis sortie en trombe du métro, en tremblant de rage et en pleurant un peu. En arrivant au travail, j’ai dit à mes collègues ce qui m’était arrivé et comme j’étais choquée. On m’a répondu que ce n’était pas cool et on est passé à autre chose. J’ai eu le sentiment qu’à leur yeux c’était un gros dégueulasse, mais que ça n’était pas si grave.

Une autre fois, ce n’était pas un frotteur à proprement parler mais un homme assis devant moi qui massait son sexe en érection à travers son pantalon (il se masturbait quoi) en me regardant droit dans les yeux et en léchant ou en mordant ses lèvres. Tout le monde le voyait faire, personne n’a rien dit, je suis sortie dès que possible. Encore une fois, à l’époque j’ai eu peur de me faire agresser si j’osais réagir.

J’ai continué à prendre les transports en commun (pas le choix) mais j’ai sans doute fait plus attention à ce que je portais (moins de robes et de jupes). Il y a eu des conséquences immédiates dans le sens où, pendant quelques jours après chacune de ces agressions, je me suis sentie salie et ça me faisait frissonner de dégoût.

J’ai fait une psychothérapie avec traitement par EMDR et nous avons abordé le sujet de la sexualité à un moment où je trouvais « sale » le désir qu’avait mon partenaire pour moi. J’en venais à voir son désir pour moi comme dégradant et pervers. Il n’a jamais été insistant, s’est toujours enquis de mon consentement et, après travail psychothérapeutique, je peux affirmer que ce n’est pas seulement ces deux agressions là mais toutes celles que j’ai subies, le regard libidineux des hommes sur mon corps (et ce je me rappelle depuis mes 13 ans !) qui a participé à ces problématiques.»

Hanna, 22 ans, étudiante

«Je n’avais jamais subi d’agression de la part de frotteurs. On m’avait déjà suivie dans la rue ou sifflé, mais la première agression de la part de frotteurs est arrivée il y a à peine quelques jours.

Je ne suis pas une habituée des transports en commun, je marche beaucoup ou prends mon vélo, mais ce lundi j’ai pris le métro pour aller au centre commercial. La rame était pleine, j’étais debout au milieu de la foule, je me suis accrochée à une barre, nous étions vraiment tous très serrés donc au début je n’avais pas fait attention. Je lisais un article sur mon téléphone, j’étais concentrée. Je sentais du mouvement derrière moi et je sentais que la personne derrière était collée à moi mais autant que j’étais collée à la personne devant moi, cela ne m’a pas paru suspect, puis la rame bougeait beaucoup donc les mouvements ne me paraissaient pas anormaux. Puis quand le métro s’est arrêté, j’ai remarqué que la personne derrière moi bougeait encore contre moi, je n’ai pas compris ce qu’il se passait au début. Au bout d’un moment, je me suis retournée. J’ai croisé le regard de l’homme qui se tenait derrière moi et j’ai vu de la gêne sur son visage. Il a paniqué et bousculé tout le monde pour sortir de la rame. Tout s’est passé très vite, je n’ai pas eu le temps ni de comprendre ni de réagir. Et là j’ai vu à travers la vitre, debout sur le quai : il avait une érection. J’ai compris ce qu’il s’était passé et, d’un coup, je me suis sentie horriblement sale. Je suis restée stoïque jusqu’à ce que j’arrive au centre commercial, et là, en descendant du bus, j’ai fondu en larmes. Je me sentais dégueulasse, c’est vraiment le mot, je me sentais souillée, je voulais rentrer chez moi pour me laver, me passer au karcher. Et j’avais aussi une grande colère contre moi-même : j’aurais dû comprendre plus tôt et réagir, j’aurais dû faire quelque chose, dire quelque chose.

Au centre commercial, je me suis assise sur un banc et j’ai pleuré pendant une bonne demi-heure. J’ai appelé une amie pour lui en parler, elle a essayé de me rassurer comme elle pouvait, mais cette sensation de dégoût, ce sentiment d’avoir été humiliée, sont restés un bon moment. Encore maintenant, j’éprouve un dégoût énorme et une très très forte colère en y repensant.

Je n’ai pas pu faire ce que je devais faire au centre commercial, il a fallu que je rentre chez moi pour enlever mes vêtements et me laver. J’ai dû reprendre le métro dans l’autre sens et j’ai ressenti une grande panique en y entrant. Je me suis frayée un chemin jusqu’à la porte fermée de l’autre côté et me suis collée dos à celle-ci pour avoir une vue sur tout ce qui se passait devant moi. J’ai regardé tous les hommes devant moi pour voir s’ils faisaient la même chose à d’autres femmes.

Je suis outrée qu’on puisse qualifier de non-événement un événement qu’une femme subit, sans son consentement, par un inconnu, un événement qui viole son espace privé, qui la dépossède de son corps. Aucune femme ayant subi une agression de la part de frotteurs en est sortie en se disant “C’est rien, les pauvres, ils sont dans une grande misère sexuelle, on peut bien leur accorder ça”. C’est de la folie, je suis vraiment outrée par ces propos. Cet événement m’a traumatisée. Je ne veux jamais revivre la sensation que j’ai vécue à ce moment-là. Je me suis sentie dépossédée de mon propre corps, à la merci de cet homme qui m’a souillée avec son geste.»

Forcalquier 19-20 janvier: rencontre autour des plantes en gynécologie

L’Association Agate armoise et salamandre – corps et politique organise une petite rencontre avec un groupe de meufs en tournée autour des questions des plantes en gynécologie, mais aussi sur notre rapport à la médecine, au soin, à notre corps. Leur séjour ici se déroulera comme suit:
Vendredi 19 janvier 2018émission sur Radio Zinzine, dans le cadre de l’émission féministe « Comme un poisson » à 12h30 sur le self-help, la naturopathie, l’autonomie-santé avec les copines venues de loin.
Le même jour, à 18 h, Place du Palais, chez Rainer, présentation de l’ouvrage autour de l’avortement et autres, avec un petit repas tiré du sac à 20 h, puis pour celles qui veulent, on peut continuer à discuter après, ou pas.
Le samedi 20 janvier, à partir de 15 h à la bibliothèque-infokiosk d’Agate, 13 rue des Cordeliers, à Forcalquier, poursuite des échanges de façon informelle.
Ce qui nous tient à coeur dans tout ça:
Mettre en partage des connaissances, se rassembler autour d’expériences de lutte ou de pratiques de soin pour enrichir nos savoirs et nos ressources. Car face aux pressions (et parfois violences) du pouvoir médical, du contrôle social et patriarcal, comment gagner en autonomie et confiance en nous, sortir de l’isolement, établir et élargir des liens d’entraide ?
Et voilà leur présentation à elles:
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N’hesitez-pas à nous demander des précisions, et à vous annoncer par retour de mail ou téléphone. Venez nombreuses – ça va être chouette – avec de quoi grignoter et ev. boire un coup. 
Cordialement, l’équipe d’Agate, armoise et salamandre – corps et politique (tél: 06 18 56 28 09)

L’année passée fut celle de la contestation de la domination masculine…et de son insidieuse négation

Réaction d’un technicien de cinéma et lecteur de lundimatin

paru dans lundimatin#128, le 8 janvier 2018

En 2017, l’affaire Weinstein et ses suites ont fait surgir avec aplomb quelques réactions hors-sol. Si on n’attend plus rien d’ Eric Zemmour ou des grosses têtes (en substance : de « c’est effrayant ce climat de délation » à « Est-ce que, quelque-part, un moment donné, on peut pas dire qu’elles l’ont bien cherché ? ») on peut s’étonner d’avoir vu fleurir un discours réactionnaire venu d’acteurs culturels, plus rare mais tout aussi droit dans ses bottes.

Dans l’émission par les temps qui courent (France Culture, 27/10) Catherine Millet, critique d’art, commissaire d’exposition, directrice de rédaction et écrivain.e décelait dans le #balancetonporc une « haine de la sexualité et une peur face à la sexualité ». Les femmes qui ont témoigné sur Twitter, par pur désamour de la chair, seraient donc passées à côté des promesses de félicité langoureuse, pourtant alléchantes, au sein des expériences suivantes : « Repas de fin de chantier, trente personnes, trois hommes me saisissent, m’entravent et me caressent en chantant. Tout le monde rit » ou « Un red chef, grande radio, petit couloir, m’attrapant par la gorge : un jour je vais te baiser que tu le veuilles ou non » (tweets de @IsaRaoul et @Giulia_Fois_ le 14/10). Mme Millet estime également que les femmes, « dans une grande partie de notre société », sont tout à fait libres de « parler, de s’exprimer ». Elle ne « voit pas ce qui les empêche (…) d’aller chercher de l’aide chez un voisin ou au commissariat de police »…euh…le trauma déjà ? la crainte d’être jugées par d’autres hommes ? la peur du déclassement ? La journaliste Marie Richeux qui l’interroge ce soir-là tente de nuancer (« ça demande à être débattu(…) la majorité des plaintes ne sont pas prises pour les agressions sexuelles, pour le harcèlement de rue, et parfois pour les viols puisqu’il y a nombre d’affaires classées sans suites »), Catherine Millet n’en démord pas : « Je trouve toute cette campagne (…) écoeurante(…) ce qui m’écoeure c’est l’effet de masse ». Raccourci peu scrupuleux pour disqualifier toute analyse du contenu même des tweets.

Un mois plus tard (le 25/11), des propos rapportés de l’acteur et metteur en scène Louis-Do de Lencquesaing par Guillemette Odicino dans Telerama (n°3541) ont cristallisé tous les travers de cette contre-offensive. Tentons une explication de (sous-)texte.

Se prémunissant contre toute attaque féministe (« j’ai partagé sur Facebook l’entretien du Monde avec l’anthropologue Françoise Héritier(…) ») l’acteur indique qu’il a aussi partagé « la vidéo de Mediapart où Frédéric Bonnaud, le directeur de la cinémathèque, explique pourquoi il a maintenu la rétrospective Roman Polanski, et pourquoi il déprogramme, à regret celle (…) sur Jean Claude Brisseau. Il est donc interdit, aujourd’hui d’aimer une œuvre si son créateur est moralement condamnable ? ». Voilà donc la première grande préoccupation des intellectuels : être privé des honneurs, des soirées spéciales et célébrations, redouter le grain de sable qui viendra gripper l’entre-soi. Rappelons juste qu’aimer et honorer sont deux choses différentes. Les films de Roman Polanski ont poussé nombre de mes collègues à graviter autour d’une caméra, l’œuvre de Brisseau est fragile et sensible. On peut revoir souvent ”the ghostwriter” car c’est une grande leçon de montage. On peut garder un souvenir ému de ”la fille de nulle-part” (1), avec ses apparitions fantomatiques et flippantes au sein d’une économie dérisoire. Il est donc possible d’admirer le génie tout en se passant d’une grande messe, je peux être cinéphile sans avoir besoin de totems. Cette manière d’hurler au scandale pour une déprogrammation confine un peu à la pleurnicherie bourgeoise. Lors de la soirée d’inauguration de la rétrospective Polanski, l’association osez le féminisme appelait à un rassemblement à la cinémathèque française. Entendu sur France Info  : un spectateur masculin, contrarié par cet inconfort, prétendait que les agressions sexuelles présumées perpétrées par le réalisateur, ça n’était « pas son problème ». On transmettra aux plaignantes.

A l’instar de Catherine Millet, il y a une autre grande problématique pour le gotha culturel, c’est l’épidémie des témoignages sur la Toile. Ailleurs, d’autres s’indignent : ’Est-ce qu’on ne va pas se retrouver comme en 39 ?’ (Joey Starr, France Inter le 23 novembre). « Le tribunal populaire », la « vindicte sans nuance » : l’inquiétude de Louis-Do de Lencquesaing fait référence aux milliers de femmes qui, après le scandale Weinstein, ont rapporté sur les réseaux sociaux le harcèlement et/ou les violences sexuelles dont elles ont été victimes. On peut aussi se dire qu’en termes de domination masculine, c’est comme en politique ou pour tout ce qui touche au climat : rien ne changera sans une forme de radicalité. On peut trouver la vague Twitter sulfureuse, primaire, maladroite. On doit aussi voir le # comme une émeute ; à ce titre, elle est la poussière qui déborde à force d’être accumulée sous un tapis. Si c’est un « tribunal », c’est que les injustices ont trop duré. S’il est « populaire » c’est que les élites ont trop confisqué la parole. « Il y a des tribunaux pour ça » : n’est-ce pas ce que disent les élus quand l’un.e d’eux.elles est pris.e la main dans le sac. Comme une manière de décourager toute investigation sur les mœurs d’une caste.

Vient ensuite un discours confus. Encadrée par des précautions rhétoriques (« Loin de moi l’idée d’absoudre… » et « …ce qui n’excuse rien bien sûr. »), l’ aisance avec laquelle le dérapage sexuel est justifié est étonnante. Que ce soient les « années 70 () années d’orgies sous LSD » ou les dérapages des « mecs en misère sexuelle » au festival de Cannes, les propos de l’acteur ont la même saveur âpre que les exposés de certains économistes sur le caractère inéluctable du libéralisme. Un ordre naturel des choses qu’il est impossible de questionner, une évolution irrépressible à laquelle on (enfin surtout les femmes) doit se soumettre.

« Une employée de magasin peut perdre son travail si elle résiste à un prédateur. Une jeune actrice (…) peut résister au harcèlement, elle n’y perdra qu’un rôle ». Appréciation tout aussi douteuse : opposer rôle et travail, entretenir un romantisme désuet autour de la figure de l’acteur.trice, dont l’énergie de la passion créatrice s’élèverait au-dessus du labeur du quidam. Un rôle est aussi très prosaïque. Une actrice qui joue un rôle reçoit des fiches de paie, cotise aux guichets sociaux, acquitte son loyer,… Ce n’est pas qu’un « métier-passion », c’est aussi une manière d’exister socialement. Pour la majorité des comédiennes – je pense aussi à celles abonnées des seconds rôles ou celles contraintes de figurer sous peine de ne plus bouffer – « perdre un rôle peut être un drame, le chômage un naufrage », comme me le confessait une jeune actrice à qui je faisais part de mon étonnement devant les dires de l’acteur.

L’étonnement s’est figé en stupéfaction quand on apprenait que « dans les années 70, (…) Caroline Champetier, qui n’était pas encore la grande chef opératrice qu’elle est devenue, subissait des plaisanteries misogynes, grasses des techniciens chevronnés ou des dragues lourdes de réalisateurs, mais elle a su les envoyer promener ! ». Vous voyez, chères consoeurs, c’est un peu votre faute aussi si ces blagues perdurent sur les plateaux. Si vous ne l’ouvrez jamais… Il suffit de survoler un précis de sociologie moderne pour retenir que la domination masculine s’exerce via une violence symbolique, silencieuse et porteuse d’un chantage intrinsèque (passer pour la relou jusqu’à la fin du tournage faute de s’esclaffer à chaque blague salace, au mieux). Cette domination entend désamorcer toute rébellion, parfois entraver toute promotion. M. de Lencquesaing se lamente enfin des attaques répétées à l’encontre du 7e art : « prendre le cinéma comme vitrine du harcèlement me paraît spécieux ». C’est, au contraire, de bonne guerre, je trouve. Puisque, lors des cérémonies et festivals, le cinéma passe son temps à s’auto-congratuler (en feignant l’humilité) de toutes les vertus qu’il prétend véhiculer (respect, humanisme, ouverture d’esprit…) il faut souvent lui rappeler ses propres contradictions. En termes de domination masculine, il est un piètre élève. Devant ET derrière la caméra. Où l’on préfèrera embaucher cette assistante au combo(2) parce que ses charmes sont appréciés plutôt que celle-là, un peu grande gueule et trop dreadeuse. Où les « perch womans » sont assez rares et où sur 139 membres de l’Association Française des directeurs de la photographie Cinématographique (AFC), 126 sont des hommes.

(1) Films de Roman Polanski (2010) et Jean-Claude Brisseau (2013)

(2) Dispositif de visionnage et relecture des prises sur un plateau de tournage.

Jinéologie • De la lutte des femmes à la libération sociale

En tant que cadre libératoire émergeant du mouvement kurde, la jinéologie place la femme au centre de la lutte contre le patriarcat, le capitalisme et l’Etat.

Suite aux récents développements dans le nord de la Syrie, les médias occidentaux ont souvent dépeint les femmes kurdes comme de féroces combattantes luttant contre les barbares du soi-disant État islamique. Mais considérer les femmes kurdes guérilleras comme des héroïnes défendant les valeurs occidentales de la démocratie et de l’égalité des sexes, toutefois, place les femmes kurdes dans un récit orientaliste qui n’accorde une valeur politique et une reconnaissance qu’aussi longtemps que leurs actions correspondent aux valeurs libérales occidentales.

Pourtant, la lutte que mènent les femmes kurdes est profondément enracinée dans une pensée et une pratique politiques radicales et, en tant que telle, elle ne se prête pas aussi facilement qu’il n’y paraît à la vision libérale et occidentale du monde. Le mouvement kurde est né à la fin des années 70 à partir d’une gauche turque fragmentée et radicalisée par les salles de torture des prisons de Diyarbakir à la suite du coup d’État militaire de 1980 en Turquie. Depuis sa création, elle a évolué d’un cocon marxiste-léniniste dogmatique à un papillon démocratique radical.

Abandonnant l’objectif d’un Kurdistan socialiste indépendant, le mouvement s’appuie désormais sur la théorie et la pratique du féminisme, de l’écologie sociale et du municipalisme libertaire pour transcender l’Etat. Au lieu de centraliser le pouvoir, il cherche à le redistribuer à la base par des formes de représentation horizontales. En partie inspiré par le théoricien communaliste étatsunien Murray Bookchin, le mouvement kurde a clairement exprimé ses aspirations pour une société post-capitaliste et post-étatique et a commencé à mettre en œuvre ces idées dans les régions autonomes kurdes du Rojava, dans le nord de la Syrie.

La lutte pour l’égalité des sexes est au cœur de la vision du mouvement kurde en faveur d’une société juste. En situant la racine historique des oppressions et des injustices sociales, économiques et culturelles dans l’émergence des hiérarchies de genre au Néolithique, Abdullah Öcalan, leader emprisonné et théoricien en chef du mouvement kurde, affirme l’existence d’une relation directe entre les hiérarchies de genre et la formation de l’Etat. Se référant aux femmes en tant que “première colonie”, Öcalan soutient que l’État-nation, les religions monothéistes et le capitalisme constituent tous différentes formes institutionnalisées de la domination par l’homme. Combattre les structures sociales patriarcales – ou, pour reprendre les mots d’Öcalan, “tuer le mâle dominant” – devient donc un impératif dans la lutte pour une société qui transcendera les structures oppressives de l’État-nation capitaliste.

Dans le cadre de cette lutte, le paradigme kurde souligne l’importance d’une transformation durable des mentalités sociales et personnelles, des termes qui entrent en résonance avec le concept foucauldien du discours comme formation globale de la pensée, tout en soulignant son enracinement dans la pratique et soulignant par la même occasion la nécessité d’une lutte antagoniste pour parvenir à un changement durable. Dans un cadre qui repense les frontières de la citoyenneté, l’accent marxiste classique sur la lutte des classes est ainsi élargi pour prendre en compte d’autres formes d’oppression. La libération des femmes joue un rôle central tant dans la réflexion théorique sur la réalité sociale que dans les efforts pratiques entrepris pour changer radicalement cette réalité. Le mouvement affirme que, pour que la lutte sociale soit un succès, il est vital de bien comprendre les liens entre oppressions capitaliste, étatiste et sexiste. En prenant en compte les idées des mouvements de résistance anticoloniaux et anticapitalistes du XXe siècle, la compréhension de la lutte elle-même est donc fondamentalement reformulée.
La jinéologie, un cadre d’analyse féministe radicale que le mouvement kurde développe depuis 2008, tente de transférer dans la société les avancées du mouvement des femmes kurdes. Néologisme dérivé du mot kurde pour femme, jin, la jinéologie critique comment les sciences positivistes ont monopolisé toutes les formes de pouvoir dans les mains des hommes. En tant que paradigme théorique, il se fonde sur les expériences concrètes des femmes kurdes confrontées à l’oppression patriarcale et coloniale. En utilisant cette nouvelle perspective, la jinéologie cherche à développer une méthodologie alternative pour les sciences sociales existantes, qui s’oppose aux systèmes de connaissance androcentriques.

En parallèle, elle exprime aussi une critique puissante du féminisme occidental. Selon Dilar Dirik, universitaire et militante pour la jinéologie, la déconstruction féministe des rôles de genre a énormément contribué à notre compréhension du sexisme. Néanmoins, la jinéologie reste critique face à l’échec du féminisme occidental dans la construction d’une alternative. Elle critique l’échec du féminisme dominant (“mainstream”) à réaliser un changement social plus large, en ayant limité l’ampleur du cadre de l’ordre en place. Le féminisme intersectionnel s’attaque à ces questions, soulignant le fait que les formes d’oppression sont interdépendantes et que le féminisme doit adopter une approche holistique pour s’y attaquer. Pour autant, selon le mouvement kurde, le problème est que ces débats ne quittent jamais les cercles universitaires. La jinéologie se propose comme une méthode pour explorer ces questions de manière collectiviste. En tant que telle, la jinéologie peut être vue comme la pratique vivante qui a émergé des discussions des femmes des quatre coins du Kurdistan.

Necîbe Qeredaxî jinéologie

Necîbe Qeredaxî est journaliste et défenseuse des droits des Kurdes depuis dix-huit ans. Elle est membre fondatrice d’un centre de recherche en jinéologie à Bruxelles, qui ouvrira bientôt ses portes au public. Le but de l’organisation est la promotion de la recherche en sciences humaines et sociales concernant l’émancipation des femmes. Le centre organisera des séminaires et des ateliers, mènera des recherches sur la violence de genre et l’oppression des femmes et cherchera à toucher les mouvements féministes en Belgique et au-delà.

Qu’est-ce que la jinéologie et en faveur de quoi lutte-t-elle ?

Necîbe Qeredaxî : Le terme de jinéologie est composé de deux mots : jin, le mot kurde pour “femme” et de logos, le grec pour “mot” ou “raison”. Il s’agit donc de la science ou de l’étude des femmes. Qu’est-ce que la jinéologie, pour ceux qui en entendent parler pour la première fois? La jinéologie est à la fois un aboutissement et un début. C’est le résultat du progrès dialectique du mouvement des femmes kurdes, ainsi que le début d’une réponse aux contradictions et aux problèmes de la société moderne, de l’économie, de la santé, de l’éducation, de l’écologie, de l’éthique et de l’esthétique. Bien que les sciences sociales aient abordé ces questions, elles restent influencées par l’hégémonie régnante et elles ont déformé les questions posées, notamment sur les relations entre hommes et femmes. La jinéologie propose donc une nouvelle analyse de ces domaines.

Sur quoi basons-nous notre analyse ? Premièrement, sur la dialectique de l’évolution du mouvement des femmes kurdes au sein du mouvement de libération kurde. D’emblée, le mouvement de libération kurde n’ a pas seulement lutté contre les contradictions du nationalisme, mais il a également lutté contre les contradictions au sein même de la société kurde. Il s’est ainsi engagé à la fois dans une lutte nationale et dans une lutte pour l’égalité des sexes. Le mouvement kurde pour la liberté a commencé sa lutte en Mésopotamie, où les femmes constituent un potentiel historique. La jinéologie se concentre sur ce potentiel et sur les réalités historiques qui le sous-tendent. Un deuxième point de référence pour nous, ce sont les réalités du Kurdistan d’aujourd’hui, les réalités d’une société naturelle qui a été détruite et soumise, mais qui est néanmoins toujours vivante.

Qui a développé la jinéologie, et pour quelles raisons ? La jinéologie est un concept qui semble n’être apparu que récemment. À quoi répond-elle ? Quelles étaient les circonstances de son développement ?

Le mouvement féministe kurde est aujourd’hui très important et très avancé sur le plan institutionnel. Il est passé d’un niveau basique d’auto-organisation à l’organisation d’unités militaires et d’un parti des femmes. Maintenant, nous nous trouvons à un moment où le mouvement des femmes est devenu comme un parapluie. Sous ce parapluie, dans les quatre parties du Kurdistan, il y a des centaines d’unités civiles, partisanes et militaires. Maintenant que le mouvement s’est développé, il est nécessaire d’avoir une mentalité de prise de direction commune pour avoir un impact sur la société. Tant que ces développements resteront pris au piège d’un certain nombre d’organisations intellectuelles, d’élite et d’avant-garde, il n’ y aura pas de changement social durable.

Il y a toujours le risque de revenir en arrière. En 2008, le livre Sociology of Freedom, contenant les textes d’Abdullah Öcalan, a été publié en cinq volumes. Dans le troisième volume, Öcalan propose la jinéologie comme science qui peut transformer la mentalité de la société. Parce que même s’il y a certainement du changement, nous devons le rendre durable et efficace au niveau du paradigme sous-jacent. Afin de faire durer les progrès que nous avons réalisés jusqu’à présent, nous ne pouvons nous contenter de réformes.

Öcalan dit que si les progrès que nous avons accomplis ne sont pas soutenus scientifiquement et académiquement, et si les hommes ne se transforment pas eux-mêmes, alors il y a toujours le risque que le pouvoir masculin se rétablisse et opprime le potentiel établi par les femmes. Cela signifie que, pour créer de nouvelles possibilités et un changement social durable, il faut aussi que des transformations de genre se produisent au sein de la société. Suite à cette proposition, un comité d’une trentaine de membres a été créé en 2008 pour discuter de la jinéologie et des moyens de la développer. Depuis lors, des comités de jinéologie ont été créés dans de nombreuses villes du Kurdistan du Nord (Bakûr, le Kurdistan turc, NDT). Quant au Rojava (Kurdistan Ouest, en Syrie, NDT), il s’y trouve un grand nombre d’organisations pour la jinéologie, dont l’académie centrale de jinéologie et plusieurs centres de jinéologie. En Europe, la jinéologie est à l’ordre du jour du mouvement des femmes depuis trois-quatre ans et de nombreuses conférences, séminaires et débats ont été organisés dans différents pays.

Au cours des trois dernières années, nous avons compris qu’il fallait institutionnaliser davantage ce processus. C’est pourquoi, au début de l’année 2016, un groupe de journalistes, d’universitaires, de membres du mouvement des femmes, d’intellectuel.le.s – issu.e.s de milieux divers – s’est réuni et a créé en 2017 le Centre de Jinéologie ici à Bruxelles, où nous voulons collaborer plus étroitement avec les mouvements féministes de toute l’Europe. La plupart d’entre nous sommes bénévoles. Nous ne recevons pas d’argent parce que nous voulons faire de la jinéologie une activité à laquelle tout le monde peut travailler et participer.

Vous avez dit que vous vouliez toucher les mouvements féministes en Europe. Cela m’amène à m’interroger sur la relation entre la jinéologie et le féminisme. En quoi la jinéologie est-elle différente du féminisme ? Et dans quelle mesure s’inspire-t-elle également du féminisme ?

La jinéologie n’est pas une alternative au féminisme. Il faut que cela soit bien clair. Nous ne disons pas, débarrassons-nous du féminisme et mettons la jinéologie à sa place. Nous l’avons dit très clairement et je tiens à le répéter une fois de plus. Certain.e.s ont dit que la jinéologie est du féminisme kurde, mais ce n’est pas le cas, ce n’est pas du féminisme kurde.

Pourquoi ?

Parce que lorsque le mouvement des femmes kurdes a commencé, on a analysé les contradictions de la société kurde et on a commencé à s’y attaquer via la lutte des femmes. Lorsque des recherches sur les mouvements féministes ont été faites, on s’est rendu compte qu’on pouvait prendre certaines parties du féminisme comme héritage. Mais la société kurde et les sociétés du Moyen-Orient ne peuvent être modifiées par le féminisme seul. Nous avons une vision critique du féminisme. Le féminisme n’est pas en mesure de considérer dans une perspective holistique l’ensemble des problèmes d’une société, en particulier au Moyen-Orient. De plus, le féminisme est devenu trop divisé et s’est séparé des réalités sociales. Il s’est limité aux élites.

Ce qui est vrai pour l’Europe n’est pas toujours vrai pour le Moyen-Orient. Les femmes partagent bien sûr certaines choses sur tous les continents, mais nous sommes aussi différentes. Par exemple, dans certains pays d’Europe, les femmes se battent pour le droit à l’avortement, mais au Moyen-Orient, les femmes sont toujours excisées et violées. Par conséquent, les perspectives des mouvements féministes de femmes restent inadéquates vis-à-vis des réalités de nombreux endroits dans le monde.

Mais cela ne signifie pas que nous n’acceptons pas l’héritage du mouvement international des femmes. Nos références en jinéologie s’inspirent de l’héritage du mouvement féministe occidental. Par exemple, le mouvement des suffragettes en Grande-Bretagne, les communes de femmes pendant la révolution en France, la lutte des femmes sous la conduite d’Alexandra Kollontai, la lutte des femmes menée par Rosa Luxemburg en Allemagne, Maria Mies (lien en anglais), une écoféministe contemporaine, ou la lutte des femmes en Amérique latine. Nous considérons tout cela comme faisant partie de notre héritage, mais nous constatons aussi que les mouvements féministes sont très eurocentrés. De plus, ils se sont soumis au pouvoir du système capitaliste et à la mentalité patriarcale.

Beaucoup de féministes ne voient pas les liens dessinant le triangle patriarcat, capitalisme et État-nation. En brisant ce triangle, elles brisent leur ennemi. Ce qui se passe aussi, c’est que certains hommes luttent contre le capitalisme et l’État-nation, mais ils ne voient pas le patriarcat comme une partie du problème. Ou certaines féministes ne voient que le patriarcat comme un problème, mais elles ne voient pas comment cette mentalité est liée à l’État et au capitalisme.

Il y a deux semaines, j’étais à une conférence à Berlin. Quelqu’un de l’association féministe organisatrice de l’événement a fait remarquer : “Qu’est-ce que les événements au Moyen-Orient ont à voir avec nous ? Les femmes portent des armes, ce n’est pas bien. Pour quoi est-ce que vous importez leurs problèmes dans notre pays ?” Ce n’est qu’un exemple. Bien sûr, toutes les Allemandes ne pensent pas comme ça, et toutes les organisations féministes non plus. Mais il y en a beaucoup qui le font.

Lorsque l’Allemagne vend des armes à la Turquie et à l’Arabie saoudite, lorsqu’elle soutient les dictatures au Moyen-Orient, c’est la responsabilité des mouvements féministes de s’y opposer et la jinéologie leur reproche de ne pas l’avoir fait. Ces mouvements ne doivent pas être en contradiction avec les réalités sociales, ils doivent penser globalement. Nous croyons que la jinéologie peut apporter une nouvelle énergie à ces mouvements. Nous pouvons être comme un pont pour construire des relations symbiotiques et créer une plateforme commune, où nous évaluons les critiques du mouvement féministe et où nous travaillons ensemble sur ces choses qui font la force de la jinéologie.

Le mouvement kurde est devenu très populaire récemment en Occident. Surtout dans les médias occidentaux libéraux et de gauche, nous avons vu de nombreuses images de femmes kurdes se battant contre l’EI. Cela a été une grande source de fascination en Occident. Du point de vue de la jinéologie, quelle est votre position sur le rôle des femmes dans la guerre et sur l’autodéfense ? Quelle est votre réponse à la critique selon laquelle les femmes ne devraient pas porter d’armes ?

Je dirais qu’il y a des avantages et des inconvénients à cela. L’avantage est que cela a levé l’embargo qui a longtemps été imposé au mouvement de libération kurde, ainsi que le fait qu’il figure sur la liste des organisations terroristes. Le mouvement a été criminalisé et perçu de façon très négative, mais ce point de vue est maintenant contesté à l’échelle internationale. Le mouvement de libération kurde ne se préoccupe pas seulement de la société kurde, mais aussi des autres ethnies et religions avec lesquelles nous vivons côte à côte, comme les Arabes, les Assyriens, les Syriaques, les Tchétchènes, les Arméniens, les Turkmènes, les Azéris, les Juifs, les Chrétiens, les Chiites… Cet aspect est apparu à la lumière du jour et a créé une image plus positive du mouvement kurde pour la liberté. Ça, c’est d’un côté.

D’un autre côté, il y a l’inconvénient que la force n’est perçue que comme une question d’armes. Par exemple, les femmes des Unités de protection des femmes (YPJ) sont représentées comme de grandes héroïnes pour avoir combattu l’EI avec leurs armes. Mais quelles sont les forces en jeu ? L’autodéfense n’est-elle qu’une question d’armes ? Ou peut-on penser à d’autres formes d’autodéfense ? Une fois que l’EI et l’oppression coloniale seront vaincues, une fois les combats terminés, devrions-nous dire que la lutte de ces femmes a aussi pris fin ? C’est précisément là que commence le vrai questionnement. Pour le mouvement de libération kurde, les armes sont un moyen d’autodéfense, mais l’autodéfense ne passe pas seulement par les armes. En Europe, par exemple, les gens n’ont pas d’armes à la main et ils sont néanmoins attaqués chez eux – les gens se font sauter dans leurs métros. Vous ne pouvez donc pas compter uniquement sur l’État pour vous défendre.

Cela soulève la question de savoir comment la société peut se défendre mentalement et idéologiquement, par le biais de l’organisation et du développement mental. L’une des méthodes les plus importantes par lesquelles une société peut se défendre est le développement du concept de libre coexistence. Nous en avons vu récemment un des exemples les plus intéressants dans le Sinjar (district du nord-ouest de l’Irak, NDT). Par exemple, une femme du Sinjar disait que “encore hier, les arabes sunnites étaient nos invité.e.s à table. Le lendemain, illes sont venu.e.s détruire notre maison et illes ont kidnappé ma fille”. Cela signifie que là-bas, dans cette société, on n’a pas développé la libre coexistence. Comment les arabes sunnites voyaient-illes le Şengal, comment ces gens vivaient-ils ensemble jusque-là ? Nous devons développer le concept de libre coexistence pour répondre à ces questions.

Donc vous dites que cette libre coexistence est un fondement de l’autodéfense ?

Oui, exactement. Les gens se sont isolés les uns des autres, ils n’assument plus de responsabilités morales ou sociales les uns envers les autres. La société a été brisée au nom de l’individualité. Par la jinéologie, nous voulons développer à nouveau la sensibilité et la responsabilité des uns envers les autres.

En ce sens, la lutte armée n’est que le début d’autre chose ?

Oui. Par exemple, seule une petite partie, environ 20 ou 25 %, de l’enseignement dispensé par les unités de protection du peuple (YPG), les YPJ et les Forces démocratiques syriennes (FDS) concerne l’utilisation d’armes. Le reste est un développement de l’idéologie, de l’éducation politique ainsi que de la personnalité. Parce que l’objectif n’est pas seulement d’éliminer certaines zones dominées par l’EI en utilisant les armes, mais aussi d’établir certaines relations sociales.

Par exemple, dans les régions prises en charge par les YPG/YPJ ou par les FDS, les populations locales sont encouragées à s’investir dans l’agriculture et l’élevage. Il y a des régions où, pendant soixante-dix ans, le régime Assad n’a pas laissé les gens planter du blé. Et parmi ces femmes qui portent des armes, beaucoup d’entre elles sont aujourd’hui impliquées dans des activités en Europe. Il y a donc toujours un potentiel pour autre chose que les armes. Ces personnes peuvent faire partie de la société, elles peuvent former une organisation, s’engager dans des activités civiles, éduquer la société, diriger une académie. En fin de compte, ce qui importe, c’est la transformation au niveau de la mentalité.

Au sein du mouvement kurde, les outils d’analyse les plus importants semblent être le genre et l’identité, c’est-à-dire l’identité kurde et la libération des femmes. Je me demande dans quelle mesure les classes sont-elles encore un outil d’analyse de la lutte sociale ?

Si nous regardons la transformation du mouvement kurde, nous constatons qu’après les années 90 un certain nombre de changements fondamentaux ont eu lieu. Au début, le mouvement kurde menait principalement une lutte de classe, fondée sur des idées marxistes-léninistes. L’aspect principal du changement de paradigme [dans les années 90] réside dans la compréhension de la lutte des classes comme fondée sur la colonisation de l’esprit. Dans le marxisme classique, l’idée c’est que les différences de classe sont la cause de l’oppression et de la lutte. Mais Öcalan dit que, parce que l’oppression se produit dans les esprits, et parce que c’est d’abord et avant tout une oppression des femmes, nous devons d’abord lutter contre cette oppression. Si la caractéristique fondamentale de l’oppression des femmes n’est pas comprise, aucune lutte ne pourra jamais réussir.

Nous pensons que, dans un premier temps, nous devons nous demander comment l’oppression mentale a été imposée. Selon la jinéologie, cette oppression a été imposée de trois manières : premièrement, les femmes ont été opprimées sexuellement et donc objectifiées. Deuxièmement, les femmes sont devenues économiquement opprimées. Et troisièmement, les transformations idéologiques – comme la mythologie et la religion – ont contribué à cette oppression.

Avec l’aide de la jinéologie, et afin de faire les choses différemment, nous cherchons à entrer dans les profondeurs de l’histoire et à chercher le moment où les femmes ont été forcées de disparaître. Beaucoup de gens se demandent pourquoi le symbole de la jinéologie est un fuseau (batôn en bois permettant d’enrouler du fil à tisser, NDT). Le fuseau est un instrument que les mères ont créé il y a plus de 10 000 ans et qui a survécu jusqu’ à ce jour. Nous suivons le fil du fuseau à travers l’histoire pour étudier comment la résistance des femmes a évolué autour de ce fil symbolique.

Nous pouvons voir que la jinéologie est très étroitement liée à la lutte kurde. Mais quelle est l’importance de la jinéologie pour les femmes ici en Europe ? La jinéologie est-elle seulement quelque chose pour les femmes kurdes ou peut-elle aussi être une source d’inspiration pour les femmes d’autre part ?

La façon dont nous concevons la jinéologie se déroule en deux temps. Le premier a trait à la présentation de ce qu’est la jinéologie et à l’information des gens à ce sujet, et le second à son institutionnalisation. Ce que nos efforts sur le plan international au cours des quatre ou cinq dernières années ont montré, c’est que la jinéologie n’est pas que pour les femmes kurdes. Tous les endroits où nous sommes allées – en Amérique du Sud et du Nord, en Europe, en Australie – à différents débats, conférences et séminaires, nous avons vécu l’expérience d’une grande synergie, de liens forts se mettant en place. Pour nous, cela indique que nous sommes sur la bonne voie.

Nous pensons que le système capitaliste a créé de grandes crises sociales. Cette crise ne concerne pas seulement la société kurde, elle a une influence particulièrement forte en Europe. Par le biais de la jinéologie, nous voulons créer une plateforme de discussion sur les sciences sociales. Nous savons que les sciences sociales actuelles ne sont pas la solution à la crise sociale, mais nous croyons que la jinéologie peut créer de nouveaux courants et de nouvelles discussions au sein des sciences sociales. En particulier, nous voulons créer une plateforme commune de discussion avec les mouvements féministes d’Europe. Nous considérons que les discussions avec les féministes européennes sont très importantes. Nous voulons discuter des questions de genre, ainsi que des problèmes qui émergent aujourd’hui dans le cadre d’une crise sociale. Pourquoi, par exemple, le racisme devient-il de plus en plus fort ? Quelle en est la raison ? Pourquoi la crise économique progresse-t-elle ? Et s’agit-il vraiment d’une crise économique, ou peut-être plutôt d’une crise intellectuelle ?

Nous voulons discuter de ces questions avec d’autres femmes pour trouver une nouvelle façon de penser les questions d’économie, de santé, d’éthique, d’esthétique, de méthode et de violence. Avec les méthodes classiques de production du savoir, par le biais d’une réforme juridique, nous ne pouvons pas mettre un terme à la violence structurelle. Au lieu de cela, nous voulons aller plus loin et nous demander d’où vient la violence et l’oppression de genre, et développer les concepts d’autodéfense, de coexistence, de co-leadership. Nous aimerions discuter de tout cela avec les femmes européennes.

Nous nous sommes interrogé.e.s sur la position de la jinéologie par rapport à la théorie queer, puisque la théorie queer semble en fait reprendre certaines des critiques que vous faites du féminisme occidental classique. Il y a aussi beaucoup de critiques du féminisme de la part des féministes noires ou d’autres femmes non blanches, le disant très centré sur l’Occident. Quelle est votre position vis-à-vis de la théorie queer et des autres critiques du féminisme ?

Nous pensons qu’il y a une crise du système, à laquelle sont soumis tous les membres de la société – y compris celleux qui ont des identités sexuelles et de genre différentes. Le système fonctionne en divisant la société et en gouvernant chaque division différemment. Selon la jinéologie, chaque identité a le droit de s’exprimer et de s’organiser. Nous constatons qu’au sein du système capitaliste, certaines identités sociales, qu’elles soient religieuses, ethniques ou sexuées, parviennent à s’organiser et les autres non. Mais nous pensons aussi qu’il ne devrait pas y avoir de telles divisions au sein de la société. La catégorisation identitaire crée des écarts au sein de la société, que le système exploite facilement pour nous diviser davantage.

Nous pensons que nous devons discuter plus avant de la théorie queer. Je pense qu’en tant que théoriciennes et adeptes de la jinéologie, nous sommes encore au début d’un processus d’apprentissage. Il est clair que pour notre société, la théorie queer est très nouvelle. Mais une fois que nous en aurons discuter davantage, la société y répondra peut-être positivement. Permettez-moi seulement d’ajouter qu’au sein du mouvement de libération kurde, il y avait également des personnes transgenres, ce qui était quelque chose de très normal – cela n’ a jamais été une raison de refuser l’adhésion au mouvement.

De fait, nous pouvons constater ce dont vous parlez lorsque nous regardons comment la droite européenne instrumentalise les droits des homosexuel.le.s, en utilisant une rhétorique queer ou féministe, même s’illes ne sont pas vraiment féministes. Tout particulièrement, la droite a très bien réussi à instrumentaliser les droits des homosexuel.le.s et des femmes comme moyen d’exclure les hommes noirs et musulmans. Nous l’avons vu très clairement en Allemagne après les événements du Nouvel An à Cologne, il y a deux ans.

Au Moyen-Orient, c’est la même chose avec les mouvements islamiques féministes. Ils ont interdit toutes les transformations sociales au sein des communautés faisant référence à l’islam et ils ont utilisé les arguments islamiques pour opprimer la société.

À cet égard, comment voyez-vous le rôle de la religion ? Et qu’en est-il des hommes ou des femmes qui sont religieux.ses – y a-t-il une place pour elleux dans la jinéologie?

Nous ne rejetons pas entièrement la religion, et nous ne la considérons pas non plus comme quelque chose de vrai que nous défendons. Nous abordons plutôt la religion d’un point de vue sociologique. Comment la religion est-elle née, comment est-elle devenue une institutionnalisation de la mythologie ? Pour nous, à sa base même, la religion est une mythologie qui s’est institutionnalisée. Mais en même temps, elle peut aussi être une méthode de résistance.

Souvent, ceux qui détiennent le pouvoir utilisent la religion comme moyen de légitimer leur pouvoir. Ils s’en servent pour établir leurs lois sur ses bases, pour donner forme à la société, pour créer un système dominant qui entre même dans vos rêves. Ils interviennent dans tous les aspects de votre vie. Nous savons que les deux étapes, de la mythologie puis de la religion, ont entraîné d’immenses revers pour les femmes. Par exemple, avec l’idée que la femme a été créée à partir du front de Zeus, ou qu’elle a été créée à partir de la côte de l’homme.

Nous pensons donc qu’il est important de faire des recherches sur les transformations du stade de l’animisme à celui du chamanisme, ainsi que de la mythologie à la religion. Selon la jinéologie, l’animisme et le chamanisme sont en fait des formes de religion. L’animisme est une croyance basée sur la force de la nature, tandis que le chamanisme est basé sur le patriarcat. La figure du chaman réunit la force matérielle et la force morale du chasseur et, avec la figure du commandant militaire, elle crée un triangle de religion, de puissance et d’autorité militaire, qui est devenu le noyau de l’hégémonie sur les femmes par la colonisation de leur travail et de leurs esprits.

En même temps, nous ne nions pas la religion. Il y a aussi des éléments positifs au sein de la religion, des éléments moraux et culturels que la religion défend. De plus, les mouvements religieux ont également résisté à l’hégémonie, en particulier les religions qui n’ont pas de dieu abstrait, comme le yézidisme, l’alévisme ou le zoroastrisme, qui sont centrées sur l’humain.

Au sein du féminisme, l’idée que le genre soit construit socialement a suscité beaucoup de scepticisme à l’égard de la notion de nature ou d’essence féminine. Quelle est votre position sur la notion de nature féminine ?

Ce fut une discussion très critique lors de notre camp à Cologne cet été. Je crois que les mouvements féministes féminins ne l’ont pas assez exploré non plus. Les arguments avancés jusqu’à présent ne vont pas tous dans le même sens. L’existence humaine est une existence à la fois biologique et sociale. Les sciences actuelles ont nié des vérités historiques très importantes. Par exemple, certain.e.s disent que la nature des femmes n’existe pas. Mais la biologie a prouvé qu’au début, il n’ y avait que le chromosome XX, pas celui de XY. Qu’est-ce que cela nous dit ? Cela nous dit que l’existence biologique des femmes peut aussi englober celle des hommes, tandis que l’inverse n’est pas vrai.

En tant qu’adeptes de la jinéologie, nous ne sommes pas d’accord avec l’idée que la nature de la femme n’existe pas, mais nous voulons approfondir cette question. Nous pensons que les sciences sociales ont joué un rôle dans le déni de la vérité sur les femmes. Une fois que vous cessez de nier la vérité sur les femmes, vous ouvrez la question de savoir comment cette vérité a été déformée et opprimée. Si vous reconnaissez qu’il y avait autrefois une vérité sur les femmes, mais que les aspects biologiques et sociologiques de cette vérité ont été transformés, alors nous pouvons discuter. Mais si vous dites qu’il n’ y a pas de nature féminine, et que c’est tout, alors c’est aussi une forme de dogmatisme sans grande différence avec le dogmatisme de la religion ou de la mythologie.

Dans le système matriarcal, la nature des femmes a ouvert la voie à la socialisation. Quelles étaient les relations de parenté dans cette société ? Par exemple, pourquoi les relations sexuelles entre frères et sœurs sont-elles interdites ? Comment ces tabous positifs ont-ils été créés ? Ce sont des produits de la nature des femmes, de la raison analytique et émotionnelle des femmes. Si ce n’est pas ça la nature des femmes, alors qu’est-ce que la nature des femmes ?

Dans beaucoup de luttes nationales, nous constatons que même si les luttes des femmes et la lutte nationale se déroulent en parallèle, c’est souvent la lutte politique qui finit par supplanter la lutte des femmes. Considérez-vous qu’il y a un risque que la lutte des femmes kurdes devienne secondaire par rapport au mouvement politique ?

Une lutte nationale est toujours pleine de risques. Au Moyen-Orient, une lutte nationale seule peut devenir très dangereuse si elle n’est pas accompagnée d’une lutte de genre. En termes de terminologie, le mouvement de libération kurde ne prétend plus mener une lutte nationale, mais une lutte pour une nation démocratique. Parce que si la nation n’est pas démocratisée, elle risque toujours d’être utilisée contre une autre nation. On le voit au Kurdistan du Sud [la région kurde d’Irak] : là-bas, il y a maintenant une nation autoritaire, comme elle n’a pas été démocratisée, elle reste un risque pour sa propre société.

Quelle est donc la différence entre une nation et une nation démocratique ? Le but des luttes nationales habituelles est la création d’un État. Elles cherchent à renverser un État et à ériger un nouvel État-nation à sa place, fondé sur l’idée d’une nation, d’une langue, d’une histoire, d’un drapeau, d’une culture. Cependant, l’objectif du mouvement de libération kurde n’est pas cela. Le but de la nation démocratique est que la société se gouverne en autonomie démocratique. La gouvernance de la société est remplacée par l’autogestion de la société. Personne ici ne vient de l’extérieur pour gouverner la société, mais la société se gouverne elle-même. En termes d’institutions, cela signifie qu’il y a des conseils et des communes, qui sont partagés avec d’autres nations. Le système de codirection, par exemple, inclut les Arabes, les Turkmènes, les Arménien.ne.s, etc.

L’idée fondatrice n’est donc pas celle d’une seule nation. Au Rojava, c’est ce système qui a le plus progressé. Là-bas, différentes nations s’organisent au sein du cadre du mouvement de libération kurde. Elles ne s’organisent pas sous le mouvement de libération kurde, mais elles sont engagées dans cette lutte en parallèle et avec le mouvement kurde. Ce n’est donc pas que les Kurdes viennent organiser les Arabes ou les Turkmènes. Au lieu de cela, les Assyrien.ne.s ont leurs propres unités armées (Sutoro) ou encore, par exemple, le conseil militaire de Manbij est composé de Kurdes et d’Arabes. Donc, sur tous les fronts, nous constatons que la lutte nationale n’est plus la lutte d’une seule nation. C’est une lutte démocratique.

Dans l’un de ses discours, Öcalan dit qu’il a créé l’expression Jin, jiyan, azadî – femme, vie, liberté – comme une expression enchanteresse. Contre quoi est-ce que Jin, jiyan, azadî est dirigée ? Elle est dirigée contre la formule de la mort, du sexe et de l’esclavage. La mort signifie ici la mort à la fois physique et mentale. Et l’esclavage se réfère à la façon dont toute la société est asservie, représentée par la figure de la femme. Par conséquent, cette formule ne s’adresse pas seulement aux femmes kurdes, mais aussi aux femmes d’autres sociétés. Cela signifie que la lutte pour une nation démocratique et la lutte pour l’égalité des genres se mènent toujours ensemble.

Brecht Neven, Marlene Schäfers
Publié le 25 novembre 2017, en anglais sur ROAR Mag dans le rubrique “Égalité et autonomisation”

Brecht Neven

Brecht Neven est un jeune diplômé en sciences politiques de l’Université de Gand (Belgique). Il a écrit sa thèse sur le paradigme idéologique du mouvement kurde, en faisant une comparaison avec le mouvement anarchiste pendant la guerre civile espagnole. Il suit actuellement une maîtrise en journalisme à la Vrije Universiteit Brussel.

Marlene Schäfers

Marlene Schäfers est une anthropologue sociale et actuellement FWO [PEGASUS]² Marie Skłodowska-Curie Fellow du Middle East and North Africa Research Group de l’Université de Gand (Belgique).

Traduire Our Bodies, Ourselves Les aventures mondiales d’un manuel de santé féministe

Un collectif de dix féministes françaises travaille en ce moment à une actualisation du manuel fondateur Notre corps, nous-mêmes (voir l’appel à participation plus bas). L’occasion de revenir sur l’évolution de ce texte, écrit en 1970 à Boston par des femmes pour les femmes, qui proposait de se réapproprier les outils nécessaires pour prendre en main sa santé, sa sexualité, le contrôle de sa fertilité. Les traductions de ce manuel féministe par des militantes du monde entier ont depuis enrichi ses questionnements et ont déplacé certaines de ses réflexions pour l’adapter à des contextes locaux et penser en même temps des identités de genre, de race ou de classe très diverses.
L’auteure de cet article, Linda Gordon, rédige une introduction à ce texte de 2008. Elle sera intégrée prochainement à cette traduction.

Les mouvements sociaux progressistes de la deuxième moitié du siècle dernier ont produit des millions de pages imprimées, depuis celles des manifestes à celles des romans, en passant par celles des articles de presse, mais aucune n’a eu autant d’influence que celles de Our Bodies, Ourselves. Ce manuel féministe sur la santé des femmes est l’écrit issu de la gauche américaine qui reste le plus précieux pour le monde entier. Cette affirmation se veut provocante, bien sûr, mais n’en est pas moins vraie. La publication d’un excellent livre au sujet de ce manuel, The Making of Our Bodies, Ourselves: How Feminism Travels Across Borders, par Kathy Davis (paru en 2007), est une bonne occasion d’étudier son impact.

Our Bodies, Ourselves a d’abord fait entendre la voix d’un mouvement pour la santé des femmes qui a transformé, aux États-Unis, la médecine et la culture populaire sur la santé et la sexualité. Dans les années 1960, les médecins s’adressaient généralement à leurs patientes comme si elles n’étaient pas capables de comprendre les diagnostics et refusaient parfois de leur communiquer des informations à propos des maladies qui les touchaient ; les femmes non mariées ne pouvaient avoir accès légalement à une contraception ; celles qui voulaient se faire stériliser devaient justifier d’une situation répondant à une formule mathématique arbitraire (nombre d’enfants × âge de la patiente ≥ 120), tandis que les femmes pauvres et issues de minorités étaient parfois stérilisées à leur insu, sans même parler de leur consentement ; les femmes étaient systématiquement exclues des essais cliniques sur les médicaments importants ; elles ne parlaient du cancer du sein que dans des murmures honteux. L’hypocrisie nationale laissait croire que le sexe n’était acceptable que dans le cadre du mariage ; la plupart des gays et des lesbiennes devaient taire leur homosexualité quand ils sollicitaient des soins médicaux ; les Américain·es pensaient habituellement que le lait entier, la viande rouge et le fromage étaient indispensables pour un régime équilibré.

À partir de ce panorama général, on comprend bien que les réussites du mouvement américain pour la santé des femmes sont impressionnantes : interdiction des stérilisations forcées, débats publics sur le cancer du sein, contrôle des naissances par les femmes, exigence d’honnêteté de la part des médecins vis-à-vis de leurs patientes, augmentation radicale du nombre de praticiennes et de centres de santé pour les femmes, développement des manuels sexuels pour discuter du plaisir des femmes comme de celui des hommes, et respect de la liberté de choix en matière de procréation – ce qui est difficile au vu des attaques incessantes contre ce droit. Mais bien peu comprennent que ces victoires ont été remportées de haute lutte par un mouvement social.

La première édition de ce livre, imprimée en 1970 sur du papier journal et vendue à 75 cents, s’est écoulée à 250 000 exemplaires, sans distributeur commercial. Le propos radical de l’ouvrage aurait été inaudible en dehors d’un contexte plus général marqué par le mouvement des droits civiques/la Nouvelle Gauche/le féminisme. Il incluait une critique de gauche de la médecine intégrée à l’économie capitaliste ; des croquis détaillés des organes génitaux, faisant figurer les poils pubiens et différents hymens, témoignant de la diversité du corps des femmes ; une discussion de la sexualité présentant l’hétérosexualité, le lesbianisme, la masturbation et l’abstinence comme tout aussi sains ; une partie sur l’avortement expliquant aux lectrices où elles peuvent se rendre, illégalement au Massachusetts ou légalement ailleurs, et estimant les coûts de ces différentes options – ce n’était pas un pamphlet politique de gauche habituel.

Ce que l’on sait encore moins, c’est que pendant plus de trente ans Our Bodies, Ourselves a encouragé et stimulé des militantes à travers l’Afrique, l’Asie, l’Amérique latine et l’Europe. Ces mouvements de femmes – anti-guerre, anti-fondamentalisme, anti-néolibéralisme, pour les droits humains – sont souvent les forces les plus progressistes sur le terrain. Dans le monde entier, le livre s’est vendu à plus de quatre millions d’exemplaires (ses différentes versions, certaines non autorisées, et ses multiples canaux de distribution empêchent de connaître le nombre exact de ventes), dans plus de vingt langues depuis le suédois jusqu’au coréen, en passant par l’albanais, sans compter le braille, les versions audio, et plusieurs autres traductions en cours. Les bénéfices, associés à ceux de nombreuses collectes de fonds, soutiennent l’éducation, la promotion et de nouvelles traductions. (L’éditrice de l’hebdomadaire américain The Nation, Katrina vanden Heuvel, a contribué à soutenir la traduction russe.) En d’autres termes, le livre a couru un véritable marathon. Sa portée à l’échelle mondiale ne s’explique pas principalement par son contenu mais, comme le montre l’universitaire féministe Kathy Davis, par sa méthodologie radicale : une politique démocratique du savoir et de l’expérience.

Le Collectif de Boston pour la santé des femmes, à l’origine du premier Our Bodies, Ourselves (intitulé Women and Their Bodies), a émergé de la « conscientisation 1 », outil d’organisation puissant inventé par le mouvement de libération des femmes. Les groupes de conscientisation, quand ils travaillaient bien, n’avaient pas l’intention de faire de la thérapie ou du soutien (même si le soutien en est un corollaire important), mais examinaient comment le genre et la subordination des femmes étaient reproduites et maintenues. Ces petits groupes ont créé des espaces de liberté dans lesquels les femmes ont gagné en confiance pour défier les diktats concernant la « nature de la femme » imposés par les chefs religieux, les législateurs et les médecins. Le travail de conscientisation s’appuyait sur l’idée selon laquelle les femmes pouvaient même remettre en cause leurs propres présupposés, en explorant des explications alternatives : par exemple, comprendre pourquoi les femmes font le ménage et s’occupent des enfants, et pourquoi les hommes se contentent si souvent de simplement « aider ». Grâce à l’analyse des expériences partagées, les groupes de conscientisation ont développé des interprétations contestataires de la « nature » des hommes et des femmes, ce qu’on appelle aujourd’hui le « genre ». Our Bodies, Ourselves s’inscrit dans cette démarche en se concentrant sur la santé.

Si Our Bodies, Ourselves était resté attaché à ses premières auteures, l’homogénéité du groupe de conscientisation de Boston – en termes de classe, de race et de nationalité – en aurait limité l’attrait. L’intérêt du groupe pour les expériences concrètes des femmes l’a amené à rassembler de nombreux témoignages personnels, diversifiant considérablement les sources de l’ouvrage. Quand les militantes d’autres pays ont découvert le livre, elles ont réclamé des versions dans leur propre langue. Comme Davis le relate dans son histoire de l’expansion mondiale de l’ouvrage, les auteures d’origine ont vite compris que le livre était imprégné de leur point de vue de femmes américaines blanches, issues de la classe moyenne et cultivées. En réalité, le culot initial du groupe dans sa volonté de défier l’autorité médicale était en partie le produit des privilèges de ces femmes. À mesure que la dimension mondiale de l’ouvrage s’est affirmée et affinée, le groupe de Boston est arrivé à une nouvelle compréhension de ce que « traduire » implique : les mots, les phrases, les images et les anecdotes ont des significations différentes dans des contextes différents. Ce qui était contestataire et radical pour les auteures de Boston, défier la médecine dominante par exemple, n’avait pas de sens pour les femmes qui souffraient d’un manque d’accès aux soins médicaux.

Les auteures ont réalisé qu’il ne suffisait pas d’embaucher un traducteur ou une traductrice, ou d’autoriser des maisons d’édition d’autres pays à le faire. Les versions non anglophones de Our Bodies, Ourselves étaient des adaptations, et ne pouvaient émerger qu’à partir de discussions au long cours. Les auteures ont travaillé étroitement avec les « traductrices », s’interrogeant sur la manière de présenter les éléments polémiques, fournissant de l’aide par le biais d’arrangements éditoriaux, de partage d’informations, de ressources graphiques, de collectes de fonds et de mise en liens avec des militantes du monde entier.

N’imaginons pas que, dans ces discussions à l’échelle mondiale, les féministes états-uniennes étaient nécessairement plus « avancées ». Dans certaines cultures – et pas uniquement européennes –, les femmes étaient habituées à parler de sexe plus ouvertement que les Américaines. (Les blagues paillardes entre femmes sont courantes dans beaucoup de cultures conservatrices musulmanes, par exemple.) Les Allemandes trouvaient le livre trop focalisé sur la maternité ; plusieurs groupes de femmes du Sud pensaient que les Américaines n’avaient pas compris l’économie mondiale de la santé.

Kathy Davis a étudié de près comment, en 2000, un groupe de militantes pour la santé, venant de toute l’Amérique latine, a créé la traduction Nuestros Cuerpos, Nuestras Vidas. Mobiliser de nouveaux récits d’expériences et illustrations reflétant les vies des Latinas a simplement été un point de départ. Les « traductrices » ont souhaité employer un langage plus poétique, pas uniquement pour des raisons littéraires, mais pour respecter les traditions orales de beaucoup de femmes, susceptibles d’entendre le livre mais pas de le lire. L’une des images les plus « sex-radical » du livre – une femme seule sur un lit regarde son vagin et son col de l’utérus dans un miroir – n’aurait pas eu de sens pour ces dernières, et suppose que le livre soit lu par une seule personne, en privé. Or les Latinas voulaient atteindre les femmes qui ne pourraient jamais acheter le livre et n’auraient jamais une chambre à elles ; elles ont donc orienté leur livre pour des réunions pédagogiques en groupes. De plus, elles désapprouvaient l’insistance sur l’auto-assistance (self-help) de Our Bodies, Ourselves, qu’elles associaient aux solutions individualistes, privées, mises en avant par les Américaines. Elles ont donc banni les termes auto ayuda (auto-assistance), auxquels elles ont préféré ayuda mutual (soutien mutuel).

Le livre américain s’ouvrait sur une discussion de l’image du corps et la quête ardente d’un corps parfait et sexualisé – pressions dont les Latinas attribuaient la responsabilité à la culture commercialisée, riche et individualiste. Or la détresse liée à l’image du corps n’était pas une préoccupation centrale en Amérique latine. Ainsi, leur premier chapitre, intitulé « Persectiva Internacional » (Perspective internationale), traitait des problématiques que les Américaines avaient placées à la fin du livre : les problèmes des femmes pauvres privées de ressources et pourtant responsables de l’entretien de leur famille, les problèmes causés par le néocolonialisme et le pouvoir des multinationales. Un graphique rendait compte des niveaux d’instruction, de l’usage de la contraception, de la mortalité maternelle (8 pour 100 000 aux États-Unis, 650 pour 100 000 en Bolivie) et d’autres indicateurs sociaux, à travers les Amériques. Cependant, la première phrase de ce chapitre est : « Como feministas, sentimos un vinculo entrañable con todas las mujeres » (En tant que féministes, nous ressentons un lien étroit avec toutes les femmes) – une affirmation forte des intérêts communs aux femmes.

Elles ont aussi ajouté du matériel nouveau. Avant la critique de la médecine scientifique moderne, elles ont évoqué les pratiques de soin traditionnelles, les distinguant d’une « approche anglo-new age ». Elles ont utilisé par exemple les retablos 2 religieux mexicains pour honorer les guérisseuses du passé et les aïeules des « traductrices ». Elles ont traité du militantisme des femmes sur des problématiques autres que la santé, comme celui du Madres de Plaza de Mayo 3 en Argentine. Le livre américain ne mentionnait la religion que dans sa critique de l’activisme anti-avortement ; les Latinas ont présenté une discussion plus complète et complexe du catholicisme. Elles pensaient que ses valeurs (au premier rang desquelles le respect du caractère sacré de la vie) pouvaient être transformées de sorte à ne plus servir à imposer aux femmes la maternité et à entretenir leur subordination, pour devenir un impératif, protecteur des vies des enfants déjà nés, des femmes, des communautés.

Our Bodies, Ourselves n’est plus un best-seller et de nombreuses jeunes Américaines n’en ont jamais entendu parler. Beaucoup pensent qu’elles n’en ont pas besoin, une large part des informations qu’il contient étant désormais bien connue. Mais aujourd’hui les messages de santé viennent bien souvent des entreprises qui vendent ces biens et services comme des marchandises, et peuvent diffuser au passage des allégations trompeuses. Bien qu’il doive faire face à des défis différents, un mouvement de santé contestataire n’est pas moins indispensable aujourd’hui qu’en 1970.

Parallèlement, le terrain s’est déplacé, et beaucoup des meneuses du mouvement pour la santé des femmes – et du militantisme des femmes progressistes en général – viennent de pays du Sud dans lesquels Our Bodies, Ourselves est devenu partie intégrante d’un mouvement transnational pour la santé des femmes. Actives dans les mouvements anticoloniaux du milieu du xxe siècle, les femmes ont vite vu que les indépendances nationales ne garantissaient absolument pas la démocratie ou l’intérêt général, et encore moins leur propre émancipation. Des groupes militant pour la santé des femmes ont émergé autour de la nécessité de résister à des développements locaux défavorables : illustrant de façon frappante la diversité des conditions locales, des Indiennes se sont opposées à une politique coercitive de contrôle des populations, tandis que des Philippines se sont battues contre la répression de l’avortement et de la contraception. En 1977, la Conférence internationale Femmes et Santé a lancé un mouvement international pour la santé des femmes. Dix réunions internationales Femmes et Santé se sont ainsi tenues à intervalles réguliers, essentiellement dans des pays du Sud. Lors de celles-ci, de même que lors des réunions des ONG accompagnant les rencontres parrainées par l’ONU à Nairobi (1985), au Caire (1994) et à Pékin (1995), les militantes ont partagé leurs problèmes, créé des connections à l’échelle mondiale encore plus denses et étendu le mouvement. Des antennes régionales s’ajoutent aux groupes nationaux dans la plupart des pays du monde.

Pendant trop longtemps, beaucoup des grandes fondations et organisations humanitaires – et de nombreuses féministes du Nord – ont affirmé que le contrôle de la reproduction était la priorité majeure en matière de santé pour les pays pauvres. Le mouvement international pour la santé des femmes s’attache à les sensibiliser à d’autres enjeux, en travaillant non seulement sur les besoins du plus grand nombre, mais également sur une analyse structurelle globale des problèmes que les femmes affrontent. À travers l’Afrique et dans certaines parties d’Asie, l’accès à l’eau potable est la première priorité, ce qui passe par la résistance à la privatisation galopante de l’eau. Les femmes se battent contre la pollution, la destruction environnementale et l’exposition aux produits toxiques dans l’industrie et l’agriculture. Les institutions ont fini par apprendre, grâce à ces mouvements pour la santé des femmes, que la violence contre les femmes et la pauvreté des femmes sont des facteurs majeurs de propagation du VIH.

Malheureusement, ce militantisme est largement défensif, confronté de plein fouet au fondamentalisme et aux programmes d’« ajustement structurel » du FMI et de la Banque mondiale qui justifient des coupes dans les dépenses sociales, d’éducation et de santé. Les indicateurs de santé se dégradent dans beaucoup de pays du Sud et dans les anciens pays communistes. Les femmes font face aux tentatives des compagnies pharmaceutiques de bloquer les médicaments génériques, à la privatisation et aux « frais d’usage » de la santé et de l’éducation, à l’arrêt par les États-Unis de l’aide internationale en faveur des programmes en matière de santé sexuelle et reproductive, aux hauts niveaux de violence contre les femmes et aux tentatives d’imposer des lois familiales religieuses réactionnaires.

Toutefois, la santé mondiale bénéficie du travail militant du mouvement international pour la santé des femmes. Depuis le milieu des années 1990, ce mouvement est à l’origine des pressions exercées sur la Banque mondiale pour qu’elle fasse un peu marche arrière et exhorte les gouvernements à fournir au moins des services de santé et des traitements élémentaires contre les maladies infectieuses. Le nouveau People’s Health Movement a placé les problématiques de santé des femmes en première ligne de ses campagnes. Mais face à l’ampleur du problème – pour prendre un seul exemple, une femme sur 7 300 dans les pays riches meurt durant la grossesse ou l’accouchement, en Afrique, une sur 26 –, les progrès ont été limités.

Comme le dit le slogan, « Women deliver 4 ». En d’autres termes, quand les femmes contrôlent les ressources, le gain social est plus important que quand ce sont les hommes. Améliorer la santé pour les pauvres est une stratégie comme une autre pour faire changer les choses car, aujourd’hui, militer pour la santé nécessite de défier les forces les plus destructrices et puissantes du monde. Les problématiques liées au corps sont politiquement fondamentales. Si Our Bodies, Ourselves a contribué ne serait-ce qu’un peu à animer les femmes à travers le monde, les féministes peuvent se sentir fières.

Linda Gordon


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Appel à participation

Nous faisons partie d’un collectif de dix femmes et nous sommes chargées du chapitre sur les violences faites aux femmes.
Pour sa rédaction, comme pour le reste du livre, nous partons en priorité de témoignages.
C’est pour cela que nous lançons un appel à participation.

Nous recherchons des femmes5 pour participer à des discussions collectives sur les violences et l’autodéfense.
Il s’agit d’ateliers d’environ 1 h 30 pour 5 à 6 personnes.

Ils auront lieu le 12 janvier à Paris, à 12 h et à 17 h. (L’adresse vous sera communiquée ultérieurement).

Les thèmes pour ces ateliers sont :

  • 12 h
    Se mettre en colère dans une société sexiste
  • ou
  • 17 h
    Les violences sexistes dans la société (dans la rue, au travail, avec les amis, sur Internet…) et les réponses possibles

Des thèmes vastes, certes, mais sur lesquels nous avons vraiment besoin d’échanger.

Si vous êtes intéressé·e, il suffit de nous écrire à : hermann@horsdatteinte.org en précisant, s’il y en a un, le thème qui vous intéresse et si possible votre âge (ou tranche d’âge), identité de genre, origine, orientation sexuelle.
Nous demandons cela car il nous faudrait composer des groupes de discussion qui ne soient pas trop homogènes.
Ces éléments ne sont bien sûr pas obligatoires lors de votre mail.

Dernière chose : nous ne sommes malheureusement pas sûres de pouvoir répondre positivement à tout le monde. Si vous êtes trop nombreux/ses nous prévoirons d’autres sessions.
Et si la date proposée ne vous convient mais que vous avez quand même trèèèès envie de participer, indiquez-le nous dans le mail.

À bientôt on l’espère pour cette grande aventure !

Mathilde Blézat et Marie Hermann
Pour Notre corps, nous-mêmes.

  1. Nous proposons cette traduction des termes « consciousness raising », ou « CR » (NdT).
  2. Au Mexique, les retablos sont des peintures réalisées par des croyant·es pour remercier un·e ou plusieurs saint·es (NdT).
  3. Les Mères de la place de Mai est une association créée à la fin des années 1970 par des mères argentines dont les enfants ont été assassiné·es par la dictature militaire (NdT).
  4. En anglais « deliver » signifie à la fois « accoucher » et « délivrer », au sens d’« accomplir » (NdT).
  5. Nous utilisons ici le mot « femme » en tant que construit social, c’est-à-dire incluant toute personne ayant ou ayant eu un vécu social de femme.