La grande santé

La Grande Santé, chez Nietzsche,

c’est accueillir cette multiplicité qui nous compose, la contradiction et le tragique de l’existence… accueillir de façon dionysiaque, c’est à dire inconditionnellement, en lui comme hors de lui, les polarités opposées : le bien et le mal, la vie et la mort, création et destruction, lumière et ténèbres… Au-delà de ces polarités s’offre la joie tragique de la lucidité et du oui à la vie, « l’homme en qui la puissance déborde », chez qui tout désire se dépasser sans cesse en direction de possibilités inexplorées, de perspectives inconnues. Depuis cette idée de la santé, où les exercices spirituels sont pensés par soi-même, où l’ascèse elle-même n’est pas un retrait faible du monde mais un exercice de création continue de celui-ci; l’appréciation de l’être en santé n’est pas le fonctionnement mécanique parfait, ni la question du « péter la forme » mais celle d’une présence lumineuse et créatrice au monde. Pas la créativité esthétique et dispersée de l’artiste mais celle, densifiée, de l’enfant et du sorcier, qui peuplent les formes au lieu de multiplier leur vide.

La maladie et le soin qui l’accompagne sont un devenir et une métamorphose. Le changement ne peut être que du devenir-hétérogène, souvent de l’humain vers le non-humain. Cette ligne de fuite se dessine grâce à l’apparition d’une « chose ».

Le travail thérapeutique consiste à approfondir la connaissance de la « chose » en cause.

Changement de paradigme : Passage de l’intérêt pour les « maladies » à celui pour les dispositifs thérapeutiques; c’est à dire pour des « choses » fabriquées par un groupe; « choses » qui, ensuite, fabriquent les membres de ces groupes un à un. Prendre en considération non pas une entité abstraite « la culture », « l’appareil psychique », « l’esprit », mais plutôt les systèmes thérapeutiques, les « choses » qui ont informé le monde intérieur du « malade » et l’ont fabriqué.

Ce sont les mêmes objets-gestes qui rendent malades et peuvent soigner. La différence à étudier se trouve dans les objets et les « choses » (langues, systèmes de soins, techniques de divination/fabrication…). L’important n’est plus de distinguer le vrai du faux d’une pensée mais ce qu’elle mobilise. Être complices dans une sorte d’aventure intellectuelle, un pari.

Corps …

« Nous n’avons pas encore trouvé notre corps sans organes, pas assez défait notre moi. Le corps sans organes, c’est le refus de me voir attribuer des lieux de plaisirs, des lieux d’émotions, des lieux de douleurs. » Ce n’est pas la tête qui pense, ni le coeur qui aime… Faire du corps sans organes un territoire inachevé à expérimenter, une réalité changeante dont les fonctions restent à définir.

… et âme.

Il aurait fallu à Freud une audace de plus, un écart scientiste, pour imaginer les techniques susceptibles de convoquer, modifier, tromper l’inconscient. Si l’inconscient avait été conçu comme capable de commercer avec les humains, riche d’intentions, doué d’une écologie spécifique, pensé « être » plutôt qu’organe avec sa mécanique du transfert; doué d’une vie réelle autonome; la proposition de la psychanalyse aurait une tout autre dimension.

Pour Erickson, l’inconscient n’est pas un « refoulé obscur», mais un « réservoir lumineux » autonome dépositaire de nos ressources intérieures, force inspiratrice de solutions et de changement, allié le plus fiable et solide. Ces ressources se développent par l’attention à ses sensations physiques les plus infimes. En développant l’hypnose depuis ces présupposés et le recours aux histoires, il a frayé un pont entre des rapports au monde réputés incompatibles.