Affaire Tariq Ramadan : « Nous choisissons d’inverser la charge de la preuve et de croire la parole des femmes »

Dans une tribune au Monde, un collectif de féministes musulmanes et antiracistes affirme refuser de suivre tant les adversaires que les soutiens les plus zélés de ce prédicateur, qui en profitent pour déverser leur haine.

Les scandales autour des agissements de prédateurs sexuels à Hollywood, dans le monde politique et médiatique français ou les affaires Nouman Ali Khan et Tariq Ramadan nous ont bouleversées, tant l’ampleur du phénomène et le désarroi des victimes sont insoutenables. Et en même temps, l’espoir est permis parce que chaque plainte pour viol ou agression sexuelle est en soi une victoire, tant les conséquences d’une prise de parole publique de femmes violées et agressées sexuellement sont lourdes.

Les hommes coupables d’agression sexuelle ont droit à la « présomption d’innocence » voire à la « prescription des faits », alors que leurs victimes doivent peser avec prudence chaque mot sous peine d’être attaquées pour diffamation et sont condamnées à vivre avec la honte toute leur vie. D’aucuns diront pourtant qu’il est trop tôt pour réagir, car il faudrait attendre que « justice soit faite ». Lorsque l’on sait que seulement 2 % à 3 % des hommes accusés de viol sont condamnés, l’on comprend bien qu’attendre que justice soit rendue signifie en fin de compte : attendre que les criminels sexuels soient acquittés.

Mécaniques racistes et sexistes

Car force est de constater que les femmes qui portent plainte ne sont pas à égalité avec les hommes qu’elles accusent, surtout lorsqu’ils sont puissants, pas plus que les victimes de crimes policiers ne le sont lorsqu’elles ont le courage de porter plainte contre un policier ou un gendarme qui jouit de la protection d’une institution tout entière. Nos systèmes judiciaires ne sont pas exempts des mécaniques racistes et sexistes qui ont cours dans l’ensemble de la société, ils en sont même les corollaires.

D’autant que le procès de Tariq Ramadan, lui, est déjà en cours sur les réseaux sociaux. D’un côté, la récupération politique des milieux islamophobes se donne à cœur joie, eux qui dénoncent non pas les agissements d’un homme mais ceux d’un musulman, faisant état de « violences sexuelles islamistes » comme s’il fallait « islamiser » l’horreur. Le parallèle est pourtant aisé entre l’autorité d’un leader communautaire charismatique et celle d’un homme riche et puissant comme celle de Dominique Strauss-Kahn sur une femme de chambre ou de Harvey Weinstein sur les actrices des films qu’il produisait.

De l’autre, dans les milieux favorables à Tariq Ramadan, ce sont les victimes présumées qui sont insultées, accusées notamment d’être les actrices d’un sombre complot sioniste, des mythomanes, voire d’être coupables parce qu’elles ont répondu favorablement à son invitation en montant dans sa chambre.

Il faut inverser la charge de la preuve

Devant une telle asymétrie des ressources et de crédibilité accordée aux uns contre les autres, nous, féministes antiracistes et musulmanes, nous choisissons d’inverser la charge de la preuve et de croire la parole des femmes. Penser qu’un homme est innocent, simplement parce qu’une plaignante pourrait corroborer une rhétorique islamophobe, fait le jeu de la loi de l’omerta.

Il faut en finir avec cette « solidarité négative » qui lierait tous les musulmans entre eux dès lors que l’un d’eux fait un faux pas. Même s’il faut le reconnaître, dans une société où l’islamophobie s’est vue érigée en « racisme respectable », cette affaire, bon gré, mal gré, nous impacte tous. Néanmoins, nous nous refusons à l’aveuglement volontaire, car la vérité nous ferait mal aux yeux ou « écornerait notre honneur ». Ne nous rendons pas complices par notre silence.

De la même façon, la récupération d’une plainte pour viol à des fins racistes ne peut que nuire aux victimes elles-mêmes et à leurs soutiens, car elle les prend en otage et les force à choisir leur camp. Comme si dénoncer leur agresseur racisé signifiait pointer du doigt toute leur communauté. D’autant que certaines parmi nous ont directement été confrontées au sexisme de Tariq Ramadan. Leurs interactions avec lui ont été marquées par des tentatives malsaines de séduction, une volonté de contrôle affectif et de manipulation psychologique alors qu’elles étaient pour certaines bien jeunes.

Un avant et un après

Un incroyable silence semblait régner autour du fait que cet homme se plaçait en guide religieux de nombreuses jeunes femmes en détresse à qui il distribuait sa carte de visite après chaque conférence. Nous ne pouvons dès lors qu’imaginer et déplorer que ses présumées victimes comme Henda Ayari, n’aient pas trouvé le soutien dont elles avaient besoin, si ce n’est auprès de personnes qui souhaitaient faire un odieux commerce de leur courageux témoignage.

Quelle que soit la décision de la justice, il y aura un avant et un après l’affaire Tariq Ramadan au sein des communautés musulmanes et des réseaux qui lui sont proches. La possibilité de tels actes doit initier une profonde, réelle et sincère prise de conscience collective et un véritable engagement pour que les conditions même de ces actes présumés ne soient plus jamais réunies.

Car le racisme nourrit le sexisme et le sexisme alimente le racisme. Nous, féministes antiracistes et musulmanes, choisissons une troisième voix : l’engagement pour toutes contre la honte et le silence concernant les violences sexuelles et la solidarité avec les victimes quelle que soit leur identité ou celle de l’agresseur.

Les signataires de cette tribune sont : Maria Al-Abdeh (microbiologiste), Leila Alaouf (étudiante chercheure en littératures, genres et études postcoloniales à Sorbonne-Nouvelle), Fatima Ali (doctorante en études théâtrales à Paris-Nanterre, artiste), Zahra Ali (enseignante-chercheure à Rutgers University), Ahlem Assali (biologiste), Aïcha Bounaga (doctorante à Sciences-Po Aix), Seyma Gelen (enseignante, membre du collectif féministe Kahina, Bruxelles), Souad Lamrani (doctorante en philosophie à Paris-Sorbonne), Ndella Paye (membre fondatrice du collectif Maman toutes égales), Fatima Sissani (réalisatrice), Attika Trabelsi (coprésidente de l’association Lallab), Khaoula Zoghlami (doctorante en communication à l’université de Montréal) et Sarah Zouak (cofondatrice et directrice exécutive Lallab, réalisatrice).

LE MONDE | 07.11.2017 à 17 h 32 • Mis à jour le 07.11.2017 à 17 h 53 |

 

De la belle théorie à une pratique effective

Manifeste à destination des hommes alliés

par Ndella Paye 4 novembre 2017 (trouvé sur le site Les mots sont importants)

Depuis quelques jours circulent sur les réseaux sociaux différents hashtags pour dénoncer les violences que subissent les femmes au quotidien. L’idée étant que les personnes ayant vécu une situation de harcèlement et/ou d’agression sexuelle puissent en témoigner, si elles le veulent bien.

L’ampleur des agressions contre les femmes qu’a révélée le hashtag #MoiAussi ou #MeToo n’a laissé personne indifférent. C’est le cas de le dire.

Ces hashtags ont eu le mérite d’avoir libéré la parole, parole qui a mis mal à l’aise un nombre incalculable d’hommes, et même de femmes, y compris des victimes de violences.

Précision de taille : #MeToo fut à la base une campagne lancée par la militante noire américaine Tarana Burke, fondatrice de Just Be Inc, une association à destination de la jeunesse. L’objectif pour cette activiste était de rassembler les personnes victimes de violences sexuelles, notamment les personnes issues des minorités.

Pour Burke, la campagne n’a pas été construite dans le but d’être virale ou de lancer un hashtag populaire une journée mais oublié dès le lendemain. C’est un slogan à se passer de survivante en survivante, pour montrer aux gens qu’ils ne sont pas seuls et qu’un mouvement de la sorte est possible.

Il était important de le préciser pour rendre à César ce qui lui appartient.

Le hashtag, quant à lui, a eu pour objectif de permettre aux femmes qui le souhaitaient de pouvoir reprendre la parole et mettre des mots sur les différentes agressions (harcèlement, gestes déplacés, viol, violences physiques, verbales…) subies. Et pour celles qui veulent aller plus loin, de témoigner de la nature de la violence.

Quelques jours auparavant, il y eut le hashtag #BalanceTonPorc qui, de la même manière, permettait aux femmes de dénoncer leur agresseur si elles le souhaitaient.

Tous ces hashtags ont eu un réel succès, mais ont été largement critiqués et attaqués. On a vu ressortir des #NotAllMen (tous les hommes ne sont pas des agresseurs), et des femmes (elles-mêmes parfois, victimes de violences) dénoncer les dénonciations. Nous avons pu constater de nombreuses tentatives de réduction au silence des femmes qui souhaitaient s’exprimer car leur parole mettait mal à l’aise une société patriarcale aux relents sexistes et misogynes. D’autres l’ont même pris pour une injonction à parler et à dénoncer.

Il faut croire qu’il y en a qui découvrent ou feignent de découvrir l’ampleur des dégâts et leurs conséquences sur les femmes.

« Il faut aller porter plainte ! » crient certain.e.s, faisant comme si les policiers qui prennent les plaintes accueillaient comme il se doit les femmes victimes d’agressions, comme si la justice faisait bien son travail et enfin comme si témoigner et porter plainte ne pouvaient aller ensemble.

Nous avons vu également des hommes, alliés des femmes, se soulever contre les différentes tentatives de réduire au silence celles qui avaient décidé de témoigner et c’est à ceux-là que je m’adresse. Ceux qui au quotidien, en tout cas dans le discours, se mettent du côté des femmes dans leur quête de justice et leur combat pour une société plus égalitaire, plus sûre et sans violence aucune.

Ce qui leur est demandé maintenant, c’est de passer de la belle parole aux actes concrets pour accompagner, voire accélérer, le changement en train de s’opérer.

L’idée est très simple, il s’agit de mettre leurs pratiques en stricte conformité avec leurs théories, tout de suite.

La question est : combien de vos privilèges êtes-vous prêts à perdre, messieurs, pour un monde plus égalitaire, au-delà de vos vœux pieux ?

➢ Êtes-vous prêts, par exemple, à inviter votre collègue femme tous les midis pour corriger l’écart de salaire entre vous ? C’est une vraie et très sérieuse question. Les lois ne suffisent apparemment pas pour corriger les inégalités et enrailler les injustices. Vous êtes favorisés, que vous le vouliez ou non. En attendant que les salaires des femmes augmentent pour atteindre les vôtres, à travail et compétences égaux, c’est à vous de fournir des efforts. Et comme c’est vous qui détenez le pouvoir, cela accélérera certainement les choses.

➢ Pour ceux qui sont en position hiérarchique de pouvoir dans les entreprises, êtes-vous prêts à briser le plafond de verre ? Il s’agit de ne pas pénaliser les femmes dans leur accession au pouvoir à cause de leur maternité par exemple.

De dénoncer, en sanctionnant systématiquement les blagues sexistes, tous types de harcèlement, tous gestes et/ou paroles déplacés ? Cela sous-entend, évidemment, que vous n’en seriez jamais les auteurs.

Même sans occuper une place de pouvoir dans l’entreprise, vous devrez être du côté des femmes quand elles subissent les méfaits de leurs collègues mâles, vos semblables, en les soutenant, en dénonçant leurs auteurs pour que la peur et la honte changent enfin de camp.

➢ Pour les chercheurs, conférenciers, et intervenants en tous genres, êtes-vous prêts à laisser votre place à une collègue si le panel auquel vous êtes invités n’est pas paritaire ? (Vous aurez établi, au préalable, une liste de collègues femmes que vous proposerez pour vous remplacer). Vous refuserez de parler, à la place des femmes, de sujets ne vous concernant pas. Vous n’avez que trop pris la parole et n’occupez que trop l’espace public.

➢ Pour ceux qui sont en couple hétérosexuel, êtes-vous prêts à veiller, réellement, à ce que les tâches soient équitablement partagées à la maison ? À ce que la charge mentale ne repose plus exclusivement sur votre partenaire ? Et quand vous faites votre part de boulot, please, n’attendez ni n’exigez pas de remerciements, ni même une quelconque reconnaissance. Les femmes le font depuis trop longtemps sans aucune forme de reconnaissance ; pire, les tâches qu’elles effectuent sont dépréciées.

Nous ne sommes pas nées en sachant cuisiner, faire le ménage et nous occuper de la progéniture que nous concevons ensemble. C’est loin d’être naturel. Nous avons appris à le faire. Ce qui signifie que vous pouvez faire de même et à tout âge. Les femmes ne s’amusent pas à s’occuper de la corvée de la cuisine pendant que vous, messieurs, êtes des chefs cuistot. Tout comme ce n’est pas drôle pour nous de nous en sortir mieux que vous à l’école pour qu’en définitive les postes de pouvoir vous reviennent.

➢ Êtes-vous prêts à changer de trottoir la nuit quand vous vous retrouverez à marcher derrière une femme ? L’espace public n’est pas un espace de sécurité pour les femmes. Les hommes s’y comportent et l’occupent comme s’il leur appartenait. Donc il va falloir faire des efforts en attendant de le rendre moins violent et plus sûr pour elles.

Cela concerne également les transports en commun. Puisque vous êtes des alliés, vous y dénoncerez toute attaque à l’encontre d’une femme. Les corps des femmes ne vous appartiennent pas, vous ne pouvez en aucun cas les toucher et/ou les complimenter sans leur accord. Quand vos compliments mettent mal à l’aise une femme, vous devrez les arrêter immédiatement et vous en excuser. Vous n’aimeriez certainement pas qu’on vous pince les fesses sans crier gare, normal, c’est humiliant et porte atteinte au corps et à la dignité. Du respect, donc.

➢ Êtes-vous prêts à cesser tout « humour » sexiste ?

Les différents hashtags ont été repris par beaucoup trop d’hommes, ont été déformés pour les servir à toutes les sauces et détourner l’attention d’un sujet aussi grave. Les blagues des dominants à l’encontre des dominées ne sont pas drôles, en fait. Elles participent aux violences. Une fois de plus, au lieu de vous taire et d’écouter ce que les femmes ont à raconter, vous occupez l’espace et prenez la parole. Essayez donc de développer une capacité d’écoute. Apprenez à vous taire et à écouter plus, pour un meilleur partage de la parole.

➢ Êtes-vous prêts à constamment questionner vos comportements, vos paroles et vos gestes, votre attitude générale vis-à-vis des femmes ? Pas seulement vis-à-vis de votre mère, sœur ou fille mais de toutes les femmes. Êtes-vous prêts à corriger cette attitude immédiatement si elle devient problématique ?

Sachez aussi, messieurs, que les femmes ne sont jamais vraiment au repos. Quand vous êtes au café entre potes, vous pouvez parler football en oubliant les galères au travail, les corvées de la maison, l’éducation des enfants, etc. Les femmes, elles, n’en ont pas le loisir, elles n’y arrivent pas, la charge mentale est puissante. Elles passent leur temps à discuter de l’éducation et de l’école, des enfants et des corvées à la maison, des comportements sexistes au travail dans la rue, etc. Nos têtes sont en constante ébullition, même quand nous tentons de dormir, jamais vraiment au repos. Et pourquoi ? À cause des violences patriarcales que nous subissons au quotidien, et ce dans tous les espaces et tous les moments de nos vies. Les choses doivent changer.

C’est à vous de jouer maintenant, la balle est dans votre camp.

P.-S.

Ndella Paye militante afroféministe et antiraciste, membre fondatrice du collectif Mamans Toutes Egales.

Les médias sont partie intégrante du système de domination et sont détenus par les dominants, ce n’est donc pas le meilleur outil au service de nos luttes. Mais aujourd’hui grâce aux réseaux sociaux, une alternative très appréciable et un relais non négligeable, nous pouvons les obliger à traiter de sujets très sensibles voire nous passer carrément d’eux.

Mon militantisme de terrain n’étant plus à prouver, je voudrais profiter de l’élan de vulgarisation ouvert par #BalanceTonPorc et #MoiAussi pour lancer le hashtag #DeLaBelleTheorieAUnePratiqueEffective, afin d’accompagner et de visibiliser ce manifeste. Personne ne pourra me reprocher, très honnêtement, de ne faire que du militantisme hashtag. S’il reste un moyen de toucher le plus grand nombre, l’objectif est d’aller au-delà des dénonciations et de mettre en pratique les vœux pieux.

Moi aussi

Trouvé sur le net (l’original est ici) parmi beaucoup d’autres…

J’ai d’abord pensé que je ferais partie de celles qui assisteraient silencieusement au mouvement de libération de la parole à propos du harcèlement sexuel.
J’ai milité plusieurs années dans une association de lutte contre le harcèlement sexuel dans l’enseignement supérieur, CLASCHES. Et je me pensais suffisamment forte et distanciée vis à vis de ce sujet, capable d’en parler, y compris de situations personnelles.
Mais devant la vague des révélations, l’ampleur de la participation au fil des jours, la présence quotidienne de ce sujet dans les medias, et face à la nécessité de décider de ma prise de parole, j’ai réalisé que ce n’était pas si simple.
J’ai pris le temps d’observer ce que cet événement provoquait en moi. A côté de la satisfaction à voir cette parole se libérer, à assister à des débuts de prise de conscience, à côté de l’admiration, de l’empathie et de la reconnaissance pour celles qui osaient se manifester et dénoncer, je ressentais un vrai malaise, des sentiments beaucoup plus négatifs, de la colère, le besoin dans un premier temps de rester à l’écart du choeur des révélations.
J’ai fini par admettre que cela me fragilisait, au point que j’ai cessé assez rapidement de lire les témoignages et les dénonciations.
Tous ces récits, détaillés ou non, venaient réveiller des souvenirs désagréables voire douloureux – ce qui ne remet nullement en cause leur légitimité.

La stratégie du tri 

Mais surtout, j’ai compris qu’ils me confrontaient à mon déni, à la façon dont je gérais intérieurement mon histoire et les violences sexuelles en général.
Alors que je me pensais capable de les repérer, de les admettre et de les verbaliser, au moins pour moi-même, j’ai réalisé que je les triais.
Ce tri s’opère selon une figure concentrique :
vers l’extérieur du cercle, se situent les situations qui peuvent émerger clairement à ma conscience, que je peux évoquer et dénoncer (même si je n’ai jamais porté plainte contre personne). Plus on se rapproche du centre du cercle, plus il s’agit de situations difficiles à verbaliser, voire à me représenter, des situations que j’ai pu en partie refouler/oublier, dont je n’ai pas parlé pendant très longtemps, et que je continue à ne pas évoquer pour certaines.
En essayant de lister pour moi-même ces situations, en les observant revenir à ma mémoire, j’ai réalisé que le critère de ce tri n’était pas fonction de la gravité des agressions subies, ni de leur impact plus ou moins traumatique. Le critère majeur tient en premier lieu à la personne agresseuse : plus celle-ci est proche et connue, plus la situation est difficile à évoquer, voire même à qualifier d’agression ou de violence.

 Au plus loin, la rue

Ainsi, les situations que j’ai l’habitude d’évoquer sont des agressions commises par des hommes inconnus, dans des lieux publics, extérieurs, collectifs. Ce sont des agressions ponctuelles : je n’ai jamais recroisé mon agresseur par la suite. Il s’agit, par exemple, d’une agression sexuelle dans le hall de mon immeuble, quand j’avais 16 ans, par un homme qui m’avait suivie dans la rue alors que je rentrais chez moi. Ou encore d’un homme croisé dans un parc qui se masturbait en public. De toutes les agressions verbales (aussi bien sexistes que lesbophobes) subies dans la rue au fil des années, malheureusement bien trop fréquentes pour être dénombrées.
Pendant assez longtemps, je me suis raconté que mon expérience des violences sexuelles se limitait à ça. Ce n’était pas seulement que je triais sciemment ce que je racontais : le tri s’opérait aussi dans ma conscience, par un phénomène plus ou moins intense de refoulement. Et je parvenais à peu près à me convaincre moi-même que je n’avais pas d’autres choses à dénoncer. Ces situations que je situe dans la partie externe de mon schéma de tri, je peux les mettre à distance de moi, d’une certaine façon, et j’ai pu sans difficulté les qualifier d’agressions : même si elles m’ont impactée, en particulier cette agression dans mon immeuble qui a été traumatique et dont je n’ai pu parler à personne à l’époque, j’avais d’emblée conscience que je n’étais en rien responsable, que le problème se situait chez cet homme, pas chez moi. Et j’ai pu ressentir de la colère et de l’indignation, contre lui et contre le fonctionnement de cette société. Par ailleurs, je ne l’ai jamais revu. Et même si j’ai eu peur de le recroiser pendant une période, je n’ai jamais été confronté à nouveau à mon agresseur.
En fait, ces situations rentraient dans mon cadre de pensée, celui que l’on m’avait transmis et que l’on partage globalement dans mon milieu social, et dans l’ensemble de la société : il existe des hommes violents, qui agressent les femmes, et le monde extérieur peut être dangereux quand on est une jeune fille ou une femme seule. Ça arrive. En quelque sorte, on m’y avait préparée.

Entre deux, au travail et au lycée

Mais il y a bien d’autres situations qui ne rentrent pas complètement dans ce cadre, voire pas du tout. Et plus elles s’en éloignent, plus il devient difficile de les évoquer, de se les représenter.

En-dessous de cette première strate de situations que je peux relater sans problème, il y en a une seconde, déjà un peu plus délicate, qui concerne les situations de harcèlement vécues dans des lycées : l’une en tant que salariée, l’autre en tant qu’élève. Dans les deux cas, il s’agissait d’hommes adultes, un proviseur et un prof. Ces deux situations étaient plus diluées dans le temps, plus sournoises aussi, et caractérisées par un déni massif de l’entourage professionnel (infirmière scolaire, direction, CPE, Rectorat) qui pourtant savait, sans aucun doute possible (plusieurs plaintes avaient été prononcées).

Ces deux situations étaient plus difficiles à dénoncer, parce qu’il n’y a pas eu envers moi d’actes, pas d’agression physique, pas d’insultes : il s’agissait de propos malveillants, de regards déplacés, de manipulations, de remarques sur le physique, de l’instauration d’un climat hostile… C’était, par exemple, de la part du proviseur, le fait de venir s’installer dans mon bureau en l’absence de ma collègue (alors qu’il avait un bureau à lui où il était sensé travailler) et de mettre de la musique (sans me demander mon avis bien sûr), en l’occurrence uniquement des chansons contenant des propos sexuellement explicites. Ceci s’inscrivant dans un comportement quotidien, récurrent : une accumulation de « petites » choses qui font se sentir vulnérable.
Dans les deux cas, j’ai alerté et cherché de l’aide, pas tant pour moi-même que pour des collègues qui m’avaient rapporté des situations d’agressions sexuelles de la part de ces hommes : dans les deux cas, j’ai été ridiculisée et confrontée à la minimisation et la dénégation. Je précise qu’à chaque fois, les personnes vers qui je me suis tournée étaient des femmes. Et je crois que leurs réactions ont été presque plus difficiles à encaisser pour moi que le comportement de ces harceleurs.

Dans ces deux situations de harcèlement caractérisé, qui concernaient plusieurs victimes, et se perpétuaient dans le temps, je me suis confrontée aussi à l’image du lycée comme un lieu nécessairement sain et sécure, un lieu d’apprentissage et de savoir dont la violence serait par définition exclue. Un lieu où l’on pouvait, en tout cas, être protégé-e en cas de problème, à partir du moment où ce problème était signalé.

Cette seconde « strate » m’a donc posé plus de difficulté, bien que ces deux situations aient eu en elles-mêmes moins de conséquences sur moi que les agressions dans la rue : ce qui en a eu, c’est le constat que se plaindre n’était pas forcément efficace, et que la solidarité n’était pas du tout évidente, y compris entre femmes. Le mépris affiché par la gestionnaire du rectorat et l’infirmière scolaire est resté gravé dans ma mémoire : mais qu’en faire ?
Ces deux hommes sont restés à leur poste, et ont continué à nuire. Contrairement aux situations de la 1ere « strate », celles-ci m’ont confrontée à la culpabilité et à une forme de désarroi : n’aurais-je pas du aller plus loin dans mes dénonciations, insister, n’avaisje pas une responsabilité envers les autres personnes déjà victimes ou qui pouvaient le devenir ?

J’ai travaillé successivement dans 6 établissements, avec 6 proviseurs ou principaux différents : 4 sur 6 avaient des comportements de harcèlement (moral uniquement pour la plupart) envers leurs collègues directs (intendant-e, proviseur adjoint, secrétaire…). La violence entre élèves était palpable et quotidienne dans ces établissements. En fait, la violence en général était palpable dans ces établissements, à tous les niveaux, entre adultes, entre enfants, entre adultes et enfants : des atmosphères particulièrement pénibles.

Plus près, les agressions entre pair-es, au collège et entre ami-es

La violence entre élèves inclut aussi le harcèlement sexuel et les agressions sexuelles. Bien que j’en ai conscience depuis très longtemps, évoquer les situations auxquelles j’ai été moi-même confrontée en tant qu’élève/enfant est encore très compliqué. Et je dois admettre que je n’en ai jamais parlé. Là encore, parce que cette violence est terriblement taboue.

L’idée que des enfants ou de jeunes adolescent-e-s puissent s’agresser sexuellement entre eux heurte en général nos représentations.
Je pense que ma grande difficulté à évoquer ces situations tient aussi au fait qu’elles impliquaient des personnes plus proches affectivement : des élèves de ma classe, qui est restée la même du CE1 à la 3ème. Certains de nos parents étaient amis. Nous allions parfois les un-e-s chez les autres, nous nous voyions en-dehors de l’école.
Il est représentatif que pendant très longtemps, la seule situation dont je me sois souvenue était la suivante : un garçon d’une autre classe, en 5ème-4ème, qui me suivait aux toilettes, m’attendait devant la porte, essayait de me toucher (ce qu’il faisait avec d’autres filles). Ce garçon, je le connaissais à peine (je ne me rappelle pas son prénom), il n’évoluait pas dans mon cercle de connaissances, et en-dehors de ces rares épisodes je n’ai eu aucun contact avec lui.

Mais il y a eu d’autres situations que j’ai refoulées pendant très longtemps :
• l’une impliquant un garçon faisant partie de mes « amis », qui me poursuivait de ses ardeurs malgré mes refus répétés, et est allé jusqu’à me montrer son sexe (pensant sûrement que ça me ferait changer d’avis…!) ;
• l’autre, le harcèlement subi par un groupe de filles, que j’ai mis des années à qualifier de harcèlement sexuel, alors que c’en était : et pas le moins acharné. Insultes, images pornographiques, « petits mots » transmis pendant les cours me mettant en scène dans des situations sexuelles, etc.

Comment dénoncer de tels faits commis par des filles de 13 à 15 ans ?
Voilà une situation à laquelle on ne m’avait pas du tout préparée.

Pourtant le comportement de ces filles a eu sur moi un impact bien plus grave que celui des deux garçons cités précédemment. Parce que plus haineux, plus durable, avec une intention marquée d’humilier. Et parce que ce n’était pas pour moi représentable d’être agressée sexuellement par des filles de mon âge, et qu’il était inimaginable d’en parler à qui que ce soit. Ce n’était pas des filles « masculines », ni considérées comme rebelles, agressives : des filles de familles plutôt aisées, féminines voire très féminines, ne posant aucun problème aux adultes ni à l’institution scolaire.

Je ne suis pas la seule, les situations de harcèlement et d’agressions sexuelles entre filles à l’adolescence sont certainement plus fréquentes qu’on ne le croit. En y repensant, je me confronte à cette interrogation : où ont-elles appris cette violence ? Qu’ont-elles reproduit ? Et je m’aperçois que j’ai plus de difficulté à me poser la question concernant les garçons et les hommes, comme s’il était plus « naturel » ou « attendu » qu’ils soient violents.

Beaucoup plus près : la violence des adultes envers les enfants, les proches, la famille

Une partie de l’explication se situe peut-être dans une autre situation, plus ancienne, et plus difficile encore à admettre : la prof de sport en CE1 qui fait des remarques humiliantes sur le physique des enfants. Qui fait des « plaisanteries » ambiguës lorsqu’elle nous fait faire de la lutte, ou lorsqu’on va à la piscine. Elle me met systématiquement en binôme avec un petit garçon qui fait le même poids et la même taille que moi (nous sommes les plus petits et les plus menus), et elle s’amuse beaucoup à se moquer de nous, à suggérer des attitudes sexuelles – ce que, à 7 ans, nous ne sommes pas tout à fait en mesure de comprendre, et que nous saisissons pourtant.
Tout le monde rit, j’ai le souvenir aigü de l’humiliation que je ressentais, je me souviens du sentiment d’intrusion que provoquaient ses remarques sur mon corps. Je n’ai jamais oublié cet épisode, bien que je l’ai longtemps enfoui.

Malgré tout, là aussi, j’ai mis très longtemps à admettre le caractère sexuel de ses propos et de son attitude, le fait que ce comportement rentrait dans le cadre du harcèlement. Encore aujourd’hui, j’ai du mal à intégrer qu’une femme adulte puisse humilier sexuellement des enfants de 7 ans, mais je sais d’expérience pourtant que c’est possible.

La violence sexuelle des adultes envers les enfants des deux sexes est aussi répandue que taboue…
Evoquer le harcèlement et les agressions qui se produisent dans les familles, dans les cercles d’ami-e-s reste particulièrement difficile.

Dénoncer une personne proche, avec laquelle on a des liens affectifs, est une épreuve qui est souvent risquée, et peut s’avérer insurmontable.

Admettre également la violence exercée par les femmes, en particulier par les femmes envers d’autres femmes, que ce soient dans un couple, dans une famille, dans le cadre d’une relation éducative, vient heurter nos représentations encore très ancrées d’une supposée « non-violence » féminine naturelle, et des relations forcément protectrices des adultes envers les enfants dont ils ont la responsabilité.

Visibiliser la violence sexuelle des hommes entre eux, sans doute beaucoup plus répandue qu’on ne le croit – je connais plusieurs personnes de mon entourage plus ou moins proches qui l’ont subie.

Toutes ces situations se situent, je crois, au centre du cercle, et il nous faudra encore du temps pour pouvoir les aborder et les affronter, dans une perspective féministe, sans craindre de minimiser la domination masculine et les violences faites aux femmes. Parce que ça ne s’oppose pas.

De la réalité complexe des violences sexuelles

En listant toutes ces situations, j’ai compris que la violence sexuelle, si elle s’inscrit dans la domination masculine, ne se limite pas au genre/sexe.
La violence sexuelle n’est pas tant une question de sexualité que de pouvoir : cela peut arriver dans toute situation où il y a rapport de domination. Entre un-e adulte et un-e mineur-e, entre un-e parent-e et un-e enfant, entre un groupe et un individu fragilisé/dominé, etc.
Plusieurs types d’oppressions peuvent être en jeu, qui sont toutes liées : homophobie, transphobie, domination adulte, racisme, validisme, etc… Il ne s’agit pas de désir ou de pulsion sexuelle, mais de l’expression et de l’exercice d’un pouvoir sur l’autre, qui vise à le soumettre.
A ce titre, l’éducation sexuelle n’est pas une solution suffisante : il faut travailler sur les rapports de pouvoir et de domination.

Aussi étonnant que cela puisse paraître, malgré mon féminisme, mon engagement sur ces sujets, mes prises de positions, je continuais à minimiser, à masquer, à me protéger de cette réalité.
Je ne prétends pas avoir épuisé toutes les situations que j’ai rencontrées dans ma vie : depuis le début de ce mouvement #MeToo, et l’écriture de cet article, des souvenirs me reviennent régulièrement en mémoire. J’ai l’impression que ça n’a pas de fin, et c’est effrayant.

Cette multiplication de témoignages nous place toutes et tous face à une réalité très éprouvante psychiquement : admettre que les situations de violence sexuelle jalonnent nos existences depuis des années, c’est faire face à une image de soi et du monde qu’on préfèrerait ignorer. Et pourtant, c’est une première étape essentielle pour que demain ces situations ne se reproduisent plus.

« 5 mn pour les victimes, 5 mn pour les bourreaux ». Le démon de la symétrie

Un article de  (19/08/2017) trouvé sur le site La pensée du discours

La semaine dernière une militante féministe, Irène Kaufer Briefel, publiait un post critique sur Facebook puis un article dans le mensuel Axelle, à propos d’un colloque organisé en novembre prochain à Charleroi, et intitulé « Regards croisés sur la violence conjugale… la rencontre de deux souffrances ». Parmi les invité.e.s, un psychologue défendant le principe de la « schismogenèse complémentaire », c’est-à-dire la répartition égale de la violence entre les hommes et les femmes. Si l’on sait depuis longtemps que la violence est aussi chez les femmes, et parfois dirigée contre les hommes, il n’est cependant pas possible de parler de répartition égale, la violence des hommes sur les femmes étant très largement et incontestablement supérieure à elle des femmes sur les hommes.

Il y a quelques jours, la première réaction de Donald Trump au meurtre de Heather Heyer par les néonazis de l’extrême droite étatsunienne à Charlottesville, a été de renvoyer dos à dos les suprémacistes blanc.he.s et les militant.e.s antiracistes dans l’expression redoublée on many sides : « We condemn in the strongest possible terms this egregious display of hatred, bigotry and violence on many sides, on many sides » (Donald Trump, 13.08.2017). Récidive le 15 août avec une déclaration sur les « torts partagés » des deux parties.

Ce sont deux des mille exemples de symétrie que l’on rencontre partout dans les discours sociaux : toute opposition binaire entre deux éléments quels qu’ils soient (des gens, des genres, des peuples, des races, des classes, des religions, des belligérant.e.s, des mort.e.s, de simples opinions ou positions) est susceptible d’amener l’argument de la symétrisation, c’est-à-dire la mise en équivalence des éléments en cause.

Le désir de symétrie, outil de l’idéologie

Il existe effectivement un désir de symétrie qui semble être le moteur de bien des discours, et ce, quand bien même et, pourrait-on dire, surtout, quand les deux éléments d’une opposition en miroir ne relèvent pas du même ordre, n’appartiennent pas à la même catégorie, ne se situent pas dans le même contexte, bref, ne sont pas comparables. La destruction des Juif.ve.s d’Europe par le régime nazi fournit une sorte de métaréférence pour dire cet argument, qui a plusieurs formulations ordinaires. Celle qui inspire le titre de ce billet, « 5 minutes pour les juifs, 5 minutes pour Hitler », est une dénonciation ironique d’une symétrisation absurde et monstrueuse, reposant sur l’argument des torts partagés : chaque camp aurait le même temps pour défendre ses positions, dans une sinistre mise en scène de répartition des fautes. Elle est attribuée à Jean-Luc Godard, à propos de l’objectivité à la télévision, et circule sous la forme suivante : « L’objectivité à la télévision, c’est 5 minutes pour Hitler, 5 minutes pour les Juifs ». Je n’ai pas trouvé de source précise ni de contexte, mais sa dimension critique (elle entre dans un discours général sur la télévision comme facteur d’affaiblissement cognitif), son fort coefficient de circulation (on en trouve de nombreuses occurrences en ligne par exemple) et sa déformabilité (la citation est souvent attribuée à la définition de la démocratie) suffisent à en faire un figement inscrit dans la culture discursive contemporaine, qui fonctionne comme un anti-point Godwin. J’en utilise pour ma part une variante, « les juif.ve.s et les nazi.e.s on va vous mettre autour d’une table et vous allez régler vos problèmes », qui met bien en valeur ce qui n’est qu’esquissé dans la précédente : le rôle symétrisateur, égalisateur, objectivisateur effectivement, d’un tiers quasi démiurgique qui déciderait de la comparabilité des éléments ou des positions. La symétrie s’appuie par ailleurs sur un certain nombre de procédés argumentatifs et rhétoriques bien identifiés dans la littérature théorique et pratique et reposant sur la ressemblance  : comparaison, analogie, analogie proportionnelle, appel au précédent. Tout cela fait un ensemble robuste, un module idéologique maniable, résistant et donc fréquent.

Dans ce billet je voudrais examiner deux exemples de symétrisations courantes dans les discours actuels en France, dans la presse et sur les réseaux sociaux, pour montrer comment se fabriquent des « débats », des « polémiques », des « discussions » dont les données symétriques sont présentées comme évidentes, naturelles et objectives, alors qu’elles procèdent d’une construction discursive, argumentative et cognitive parfois sophistiquée. Ce qui m’intéresse, c’est la dimension idéologique forte de la symétrisation, qui parvient à rendre l’imaginaire réel et l’illusion vraie, et qui présente à cellui qui voudrait la contester une sorte de roc pseudo-rationnel inattaquable ; la symétrie est en effet intuitive pour les fonctionnements cognitifs à l’œuvre dans notre culture, alors que l’asymétrie est plutôt contre-intuitive et donc plus coûteuse. On verra dans les exemples qui suivent que, pour tenter de défaire les symétries idéologiques, il faut être équipé.e de beaucoup de pédagogie, de patience et de résistance.

La symétrie blanc/noir et la dénonciation du « racisme antiblanc »

La dénonciation d’un « racisme antiblanc » est un excellent exemple, le meilleur peut-être, de symétrisation idéologique (la question se pose différemment selon les aires géographiques et culturelles et je parle ici plutôt de la situation française ; et je parle de l’opposition blanc/noir mais le « racisme antiblanc » concerne également les arabes et l’ensemble des non-blanc.he.s). L’affirmation de l’existence d’un racisme antiblanc repose sur une analogie : les attaques des noir.e.s fondées sur la couleur des blanc.he.s seraient équivalentes aux attaques des blanc.he.s fondées sur la couleur des noir.e.s, et relèveraient donc du racisme. Je n’ai pas fait de recherche étymologique sur l’origine de l’expression dont l’emploi courant semble daté des années 1980, émanant du Front national pour certains ; aux États-Unis, on parle de « reverse racism« , la notion d’inversion manifestant bien la dimension symétrique. Mais cette symétrie fondée sur l’analogie gomme l’essentiel, c’est-à-dire l’histoire, le point d’énonciation et le contexte. L’histoire : la traite et l’esclavage des noir.e.s, la ségrégation raciale instituée aux États-Unis, la colonisation française et d’autres pays européens ont établi de longue date une domination structurelle des blanc.he.s sur les noir.e.s appuyée notamment sur un racisme d’État inscrit dans les institutions, les lois, les pratiques ; il n’existe donc pas de symétrie entre les blanc.he.s et les noir.e.s, ne serait-ce que parce que cette mémoire est profondément inscrite dans les vies noires actuelles. Le point d’énonciation : l’insulte envers un.e blanc.he impliquant sa couleur de peau s’énonce à partir de l’oppression, de la minorisation, de l’invisibilisation, de la violence institutionnelle et relationnelle et non à partir du principe d’une l’infériorité raciale comme le racisme antinoir.e ; la violence d’un sujet opprimé n’est pas symétrique de celle d’un.e oppresseur.e. Le contexte : en France, on parle encore de « minorités » pour désigner les noir.e.s, les arabes, les asiatiques, sans qu’à cette notion de minorité soit reliée la majorité, qui est blanche, française ou européenne, de souche ou issue de l’immigration européenne. Or la couleur de cette majorité parfaitement visible est, elle, encore invisible et la couleur blanche reste un impensé pour les blanc.he.s, comme le montre bien l’ouvrage de Maxime Cervulle paru en 2013, Dans le blanc des yeux. Diversité, racisme et médias. De plus, on sait grâce à une importante étude de l’INED publiée en 2015 que les attaques envers les blanc.he.s ne font pas système, sont isolées et marginales, et sont donc sans commune mesure avec les discriminations systématiques dont font l’objet les non-blanc.he.s en France actuellement (un bon résumé dans cet article de Libération du 8 janvier 2016).

Il n’y a donc pas de symétrisation possible, pas de miroir inversé, mais pourtant l’idée d’un « racisme antiblanc » s’est assez bien installée dans l’opinion française et étatsunienne, favorisée par les extrêmes droites des deux pays, mais également naturalisée par l’argument de la symétrie, qui présente un ordonnancement du monde rationnel et objectif. Une preuve parmi d’autres : l’article « racisme antiblanc » de Wikipédia francophone, ouvert en janvier 2003, rédigé par 481 contributeurs au 10 août 2017, est curieusement consensuel : d’emblée la notion est présentée comme valide, correspondant à des réalités diverses selon les pays, sa contestation n’est évoquée que marginalement, l’esclavage, la colonisation, l’oppression systémique n’apparaissent que faiblement comme contre-arguments et les références sont majoritairement journalistiques, les chercheur.e.s étant quasiment absent.e.s (la notion de « contre-racisme » notamment, proposée par certain.e.s sociologues, n’apparaît pas), comme les militant.e.s de l’antiracisme politique (voir par exemple la synthèse argumentée de João Gabriell, « De l’urgence d’en finir avec le « racisme anti-blanc ». Réflexions antiracistes« ).

Bref, le racisme antiblanc fait l’objet d’une entrée encyclopédique, non pas comme notion controversée, mais comme réalité à évaluer. L’idéologie symétrique a fait son travail, et c’est sans doute par d’autres outils discursifs et rhétoriques, comme l’inversion à la lettre et par l’humour par exemple, que l’on peut penser sérieusement cette notion, comme le montre le célèbre sketch d’Aamer Rahman, « Reverse racisme », extrait de son spectacle Fear of a Brown Planet.

La symétrie homme/femme et la dénonciation de la misandrie

On retrouve ce désir de symétrie dans les discussions sur le féminisme et les rapports homme/femme. Comme pour le « racisme antiblanc », il s’incarne dans des expressions aux emplois plus ou moins récents comme misandrie, sexisme inversé ou sexisme anti-hommes. La comparaison en miroir est toujours fondatrice : l’hostilité des femmes envers les hommes (misandrie) est présentée comme l’exact symétrique de celle des hommes envers les femmes (misogynie). La symétrie lexicale et étymologique (composition grecque à partir de mîsos, « haine« , et des mots qui désignent l’homme et la femme) aide à la symétrisation cognitive, culturelle et idéologique.

La misandrie est une notion soutenue par des travaux universitaires, essentiellement ceux de Paul Nathanson et Katherine K. Young, deux spécialistes d’histoire des religions qui ont écrit quatre ouvrages sur la question entre 2001 et 2015 : Spreading Misandry: The Teaching of Contempt for Men in Popular Culture (2001), Legalizing Misandry: From Public Shame to Systemic Discrimination Against Men (2006), Sanctifying Misandry: Goddess Ideology and the Fall of Man (2010) et Replacing Misandry: A Revolutionary History of Men (2015). D’autres chercheurs, comme le sociologue Anthony Synnott, travaillent également dans ce sens.

La misandrie est également, et surtout, un argument : elle est au cœur du discours masculiniste qui fait des hommes les victimes des féministes, comme si le combat féministe constituait une violence structurelle envers les femmes. Elle sert aussi d’arme courante contre le féminisme en soi (les revendications féministes seraient plus motivées par la haine des hommes que par un véritable désir de changement des rapports homme-femme), ou contre une forme de féminisme (la misandrie serait un des risques du féminisme, selon Élisabeth Badinter dans Fausse route par exemple).

Mais dans l’ensemble de ces discours, les réalités sociales, les statistiques de l’oppression et de la violence, et le systémisme de la misogynie appuyée sur le patriarcat ne sont pas évoqués. Or, la différence est grande entre une misogynie systémique qui opprime, domine et tue depuis toujours, et une misandrie non systémique qui peut blesser ou choquer individuellement mais qui est sans commune mesure avec la misogynie. Même si la misandrie existait comme émanation du féminisme, la symétrie serait encore une erreur de raisonnement : comme le dit la célèbre pique de Benoîte Groult, « le féminisme n’a jamais tué personne, le machisme tue tous les jours » ; sexisme envers les femmes et misogynie sont donc irrémédiablement séparés du « sexisme inversé » ou misandrie par la dimension systémique des premiers. Si l’existence de la misandrie semble soutenue par la recherche, c’est plutôt le discours militant qui la conteste, et qui remet en cause cette symétrie si désirable : certains billets de blog et articles sont en effet de véritables synthèses argumentatives permettant de défaire avec pertinence l’illusion symétrique, en particulier les trois suivants : « Le mythe du sexisme anti-hommes« , sur  Feminazgul en colère, « Être féministe. Aimer les hommes. Ou pas« , sur Comment peut-on être féministe ? et Le sexisme anti-hommes… et pourquoi il n’existe pas sur Madmoizelle.

L’illusion symétrique est également la cible de la misandrie ironique, discours désormais assez bien installé dans le corpus féministe, et consistant à produire des exemples d’hostilité envers les hommes destinés à moquer le discours sur la misandrie. Le tumblr Misandry y est par exemple entièrement consacré. Mais la misandrie ironique rate parfois sa cible et la protestation récente d’Audrey Pulvar devant le site Adopte un mec et son visuel en est un bon exemple :

(l’ensemble de la discussion à partir de ce tweet est ). Il se trouve que le site et son visuel, construits sur l’ironie, font l’objet de nombreux commentaires et études féministes qui analysent justement cette question de la misandrie ironique. Mais le démon de la symétrie, prenant largement le pas sur l’information, a pris la journaliste dans ses filets.

Bien d’autres exemples pourraient être cités pour montrer à quel point la symétrisation est un argument courant et persuasif, accroché à la passion idéologique de l’harmonie binaire et de l’équivalence rationnelle. C’est un argument qui évite deux choses, la pensée, et l’engagement. Symétriser permet en effet de ne pas penser la complexité d’une situation, ses contextes et ses points d’énonciation, son historicité. Cela permet également de na pas prendre parti, de ne pas entrer dans la lutte conte les oppressions, qui coûte quelques plumes et parfois bien plus. La fameuse déclaration de Desmond Tutu, multidiffusée et semblant usée jusqu’à la corde, garde cependant tout son mordant :

La symétrisation sert à ça : à rester neutre, ce qui implique de justifier l’oppresseur. 5 mn pour les victimes, 5 mn pour les bourreaux ? Au profit des bourreaux, toujours.

Crédits :

  1. Mo, 2015-11-13 « symmetry 6 », compte de l’auteur sur Flickr, CC
  2. Aamer Rahman (Fear of a Brown Planet) – Reverse Racism, Youtube, https://www.youtube.com/watch?v=dw_mRaIHb-M
  3. Tweet d’Audrey Pulvar le 27 juillet 2017
  4. Trois premières lignes de la recherche « Desmond Tutu Oppresseur » de Google image.

Le fémonationalisme sous l’ère Macron : d’effrayantes perspectives sécuritaires et racistes au nom de la cause des femmes

Par

Mercredi 17 mai 2017, dans l’émission spéciale de Nicolas Poincaré sur Europe Soir traitant de la nomination des nouveaux ministres du gouvernement, était invitée à s’exprimer Marlène Schiappa1. Cette dernière n’est autre que la nouvelle Secrétaire d’Etat chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes. Assurant que l’égalité hommes-femmes serait une « grand cause nationale du quinquennat d’Emmanuel Macron », Marlène Schiappa a fait part de quelques-unes des tâches qu’elle souhaite accomplir.

Outre une grande campagne de communication antisexiste et l’instauration d’un congé maternité unique, indépendamment du statut des femmes (salariées, entrepreneuses, etc), la nouvelle Secrétaire d’Etat a annoncé une mesure qui a de quoi inquiéter : l’instauration de policiers habilités à verbaliser les insultes sexistes dans l’espace public, s’inscrivant dans le projet plus large du nouveau Président d’introduire « 10 000 policiers de proximité ».

Avant même de songer à la verbalisation des insultes sexistes, cette déclaration a de quoi faire frémir tous ceux qui sont conscients que le renforcement des dispositifs policiers est annonciateur de plus de violences policières, et donc aussi de crimes policiers, en particulier contre les hommes arabes et noirs vivant dans les quartiers populaires. Car en effet, ce n’est certainement pas dans le 16e arrondissement parisien que les effectifs policiers seront gonflés. De plus, les contrôles au faciès étant déjà largement prouvés, ce ne sont certainement pas tous les hommes qui seront concernés par cette accentuation de l’activité policière.

« Et c’est parce que cette police est raciste et qu’elle vise les hommes de nos communautés que la population française majoritaire continue de la soutenir. Le racisme est donc ce qui permet de garantir l’impunité policière. Si demain la police allait défoncer les os des hommes blancs et de ceux de la classe moyenne, de moins en moins de gens la défendrait. »2

Et concernant précisément cette ambition de verbaliser les insultes sexistes – et donc plus largement le harcèlement sexiste – dans l’espace public, j’aimerais reprendre une analyse faite ultérieurement sur ce blog concernant les conditions de possibilité d’exercice du sexisme par les hommes en fonction de leur position de race/classe. Il devient évident, si on partage la grille de lecture qui va suivre, que ce projet sera directement tourné contre les hommes non blancs des quartiers populaires, et donc par extension contre les communautés non blanches, puisque cela aura aussi une incidence sur les femmes de ces groupes sociaux :

« […] ce qui change ce n’est pas la nature du sexisme, mais au moins deux choses : les conditions de possibilité d’exercice du sexisme et les perceptions/réactions des actes sexistes, variables dans les deux cas selon la position des hommes dont il est question. […] Un homme dominant a du pouvoir aussi bien sur son épouse, ses éventuelles soeurs, que sur d’autres femmes : celles qui lui sont subordonnées au travail, voire celles qu’il emploie si c’est lui le patron, celles à qui il enseigne s’il est prof, celles qu’il peut payer dans le cadre de la prostitution bien moins stigmatisée que celle de rue car pratiquée dans les beaux hôtels, celles qui sont peut-être mêmes employées chez lui (domestiques, nounous etc). Il sera moins enclin au harcèlement de rue qu’à celui qu’il peut effectuer dans tous les espaces où il a du pouvoir. Lorsque cet homme dominant harcèle/frappe/viole des femmes, cela peut être dans le cadre de toutes ces relations. Autrement dit, pas besoin de  « concentrer » cette violence sur son épouse, elle peut se déployer à souhait dans bon nombre de situations.

Un homme pauvre et/ou non blanc en revanche a surtout du pouvoir sur les femmes qu’il fréquente dans l’intimité (épouse, conjointe, sœurs), parce qu’il n’est le patron ou le supérieur de personne, que s’il a recours à la prostitution ce sera celle de rue où bien sûr il peut exercer une violence mais bien plus stigmatisée et criminalisable, et parce qu’enfin, il n’a évidemment aucune femme qui est employée chez lui. Dans ce contexte, l’essentiel de l’exercice du pouvoir masculin sera surtout sur les femmes à qui il est lié par le sang, le couple, ou à celle dans la rue (harcèlement de rue, prostituées).

Pensez-vous donc que la différence entre ces deux hommes relève d’un sexisme de nature différente dans chaque cas, ou s’explique comme je l’avance par des conditions de possibilité de l’exercer qui dépendent de leur pouvoir social respectif ? Pensez-vous que l’homme dominé exerce une violence surtout dans l’intimité et dans la rue, pour se « venger » de ses frustrations d’exploités et d’opprimés par le racisme, ou simplement parce que ce sont les seuls lieux où il peut l’exercer, contrairement à l’homme dominant qui peut la déployer dans tellement plus de contextes ? […] L’hypervisibilité du sexisme des hommes non blancs est à mettre en perspective avec l’invisibilité du sexisme des dominants.[…] à l’invisibilité du sexisme des hommes dominants, il faut rajouter l’impunité lorsque celui-ci est dévoilé au grand jour. Impunité qui n’existe pas pour l’homme dominé. Il ne s’agit évidemment pas de plaider pour une impunité pour tous les hommes, mais d’exiger une justice pour toutes les femmes, et pas un semblant de justice et de condamnation que lorsqu’elles agressées par des prolétaires et/ou des racisés. »3

Ce qu’il faut retenir de ce long extrait pour le cas qui nous occupe ici, c’est notamment la question de l’espace public : les hommes dominants n’occupent pas l’espace public de la même façon que les hommes dominés, ils ne fréquentent d’ailleurs globalement pas les mêmes lieux et ceux qu’ils fréquentent ne sont pas sous contrôle policier permanent comme le sont les quartiers populaires. Autrement dit, on a non seulement tendance à moins les voir, mais ils sont moins criminalisés, alors que les hommes dominés sont surexposés (ils sont notamment bien plus souvent au chômage, ils occupent plus souvent des métiers extérieurs comme dans le bâtiment etc) et c’est sur eux que se concentre l’activité policière. Un renforcement des effectifs policiers, avec certains d’entre eux qui seront habilités à verbaliser les violences sexistes dans l’espace public (et pas à la fac, pas à l’Assemblée nationale, pas dans un ministère, pas dans les cabinets d’avocats, pas dans les bureaux des conseils d’administration des entreprises, etc.), c’est donc le nom de code pour : renforcement du contrôle et de la criminalisation des hommes non blancs, et en particulier ceux des quartiers populaires. Il n’y a aucun doute à avoir là-dessus.

Pour poursuivre l’analyse de l’extrait cité, qu’importe qu’un homme non blanc prolétaire analyse ses comportements sexistes par le prisme de ses frustrations, au vu de tout ce qu’il se mange comme violences de l’Etat raciste, nos analyses doivent se concentrer non pas sur sa subjectivité d’opprimé et d’exploité, mais sur les places que lui assigne le système. L’explication par la frustration n’est qu’une rationnalisation discursive de quelque chose qui renvoie à la condition systémique. De la même façon que les femmes, notamment celles qui n’ont pas les possibilités d’échapper à leur condition, rationnalisent leur situation (« m’occuper du ménage et rester à la maison ne me dérange pas, j’ai toujours aimé m’occuper des tâches ménagères » etc), parce que lorsqu’on n’a pas d’autres options, il faut bien vivre et se construire des justifications4, les hommes dominés (et leur entourage) rationnalisent aussi par le discours les contradictions de leur position d’opprimés-exploités pouvant à l’intérieur du foyer opprimer à leur tour. On peut donc comprendre le recours à cette explication dans la vie de tous les jours, mais une analyse politique a le devoir d’aller plus loin.

La nouvelle secrétaire d’Etat affirme que son projet s’explique notamment par le fait que la majorité des femmes ne veut pas porter plainte après des agressions sexuelles ou insultes sexistes, ce qui est une réalité5. Voilà pourquoi il est tragique que ce qui est un fait indéniable, à politiser avec les bonnes grilles de lecture, soit utilisé pour légitimer une entreprise sécuritaire dont l’application sera à coups sûrs raciste. Pour ne rien arranger comme toujours, dans les discours qui font face à ce féminisme d’Etat raciste, on peut malheureusement lire ou entendre que si les femmes ne portent pas plaintes, notamment celles des classes dominées socialement et racialement, ce serait par esprit de sacrifice. Or, là encore l’analyse politique demande de prendre du recul : les faibles dépôts de plainte s’expliquent parce que l’institution policière les refuse, tourne en dérision les agressions sexistes/sexuelles et fait vivre un calvaire à beaucoup des plaignantes6. Si justement on veut réellement penser l’Etat, et se confronter à lui, c’est cela qu’il faut mettre en cause, et non pas un supposé « esprit de sacrifice » ou de « solidarité » des femmes dominées avec les hommes dominés: la police est une institution d’Etat et c’est son fonctionnement qui décourage le dépôt de plainte. Il ne faut donc faire preuve d’aucune espèce de sympathie pour les analyses qui en viennent au final à détourner l’attention sur la dimension institutionnelle et étatique de la non possibilité de plaintes par les femmes dominées. L’idée de « sacrifice » et de « solidarité » est peut-être attrayante, mais elle ne fait que reprendre une fois de plus les modes de rationnalisation par le discours de quelque chose qui renvoie à une condition dans laquelle les individues sont prisonnières, et qui est le véritable problème. Et je ne pense pas qu’on combat la racialisation des questions de genre et sexualité, et que l’on se confronte à l’Etat en restant au niveau de la subjectivation par les opprimés, hommes comme femmes, de leur condition. Que l’on se comprenne bien, je ne crois pas en la police comme solution aux violences sexistes, mais s’il faut analyser la question des femmes, notamment opprimées racialement et exploitées, et du dépôt de plaintes, c’est la perspective que je défens. Pas pour espérer que la police « fasse mieux son travail », mais pour prouver une fois de plus à quelle point elle n’a pas la fonction de protéger les femmes.

C’est d’ailleurs, un de ces nombreux paradoxes montrant comment fémonationalisme et hétérosexisme fonctionnent main dans la main : des policiers seront habilités à verbaliser des insultes sexistes, alors même que le fonctionnement de leur institution décourage le dépôt de plaintes pour agressions sexuelles (et donc que très peu de viols sont jugés), et que les insultes sexistes, homophobes et les violences à caractères sexuelles sont une des modalités récurrentes de l’expression de la brutalité policière7.

Nous avons pu voir les féministes institutionnelles d’Osez Le Féminisme regretter sur les réseaux sociaux que contrairement à ses promesses de campagne, Emmanuel Macron n’ait pas créé un Ministère des droits des femmes, plein et entier, mais simplement un Secrétariat d’Etat. Depuis notre perspective en revanche, nous pouvons quelque part en être rassurés, vu ce qui nous attend déjà avec ce secrétariat d’Etat.

***

Ces perspectives effrayantes rappellent évidemment l’importance de lutter contre le fémonationalisme en particulier et le racisme en général. L’importance de tracer une frontière claire, aussi bien idéologiquement que politiquement, entre le féminisme qui se rendra complice de cette mesure et des conséquences qu’elle induira inévitablement, et celui qui aura le devoir de s’y opposer frontalement sans tergiverser. Mais cela rappelle aussi l’urgence de tracer une autre frontière : cette fois entre les analyses émancipatrices et celles réactionnaires du fémonationalisme à une époque de confusions sur lesquelles prospèrent un large éventail de populistes, et où parfois la différence entre des critiques émancipatrices et réactionnaires n’est pas toujours claire, même dans les camps se revendiquant de l’émancipation. Dans un tel contexte, la réapparition sur la scène politique d’un personnage tel que Dieudonné, qui y verra sans doute une aubaine, ne laisse rien présager de bon quant aux types de critiques qui vont fleurir contre ce projet sécuritaire et raciste qui se pare des habits de la lutte antisexiste.

Il faudra donc se faire entendre et s’organiser non seulement contre ce projet d’Etat, mais aussi clarifier, pour l’imposer, ce que peut être une approche politique émancipatrice de la lutte contre le fémonationalisme et l’Etat policier8.

Mise à jour : 19/05/2017


2«Contre les violences policières : justice pour nos frères, justice pour nos communautés, justice pour nous-mêmes »

https://qtresistance.wordpress.com/2017/02/14/contre-les-violences-policieres-justice-pour-nos-freres-justice-pour-nos-communautes-justice-pour-nous-memes/

3Combattre la racialisation des questions de genre et de sexualité à la racine https://joaogabriell.com/2016/11/18/combattre-la-racialisation-des-questions-de-genre-et-de-sexualite-a-la-racine/

4Voilà pourquoi les discours individualistes et libéraux sur l’émancipation sont particulièrement violents, puisqu’ils supposent que tout le monde a accès aux mêmes possibilités d’échapper à sa condition, ce qui est bien loin d’être le cas.

6– « J’ai porté plainte pour viol : pour les flics, c’était moi la coupable » https://www.streetpress.com/sujet/1488551838-plainte-viol-torture

– Lire également les témoignages et analyses sur le sujet sur la page Facebook « Paye ta policee » https://www.facebook.com/payetapolice/?fref=ts

7Nous pensons ici aux exemples récents tels que le viol de Théo Luhaka et les mises en lumières d’autres agressions sexuelles que la médiatisation de cette affaire a permis de mettre en lumière.

D’autres exemples illustrent également la dimension sexuelle des violences policières :

http://www.sudouest.fr/2017/05/13/video-un-etudiant-affirme-avoir-ete-agresse-par-deux-policiers-dans-le-val-d-oise-3443818-4697.php

https://www.streetpress.com/sujet/1495039540-commissariat-policier-eclate-gueule-pute

https://www.streetpress.com/sujet/1469120055-policiers-homophobes-place-republique

8Vous pouvez écouter ici la table ronde contre l’Etat policier organisée par la revue AssiégéEs le 8 avril dernier https://qtresistance.wordpress.com/2017/04/11/audio-table-ronde-sur-la-lutte-contre-letat-policier-samedi-8-avril-2017-itmtc2017/

Sur « Ceci n’est pas une femme. À propos des tordus queer », par le collectif Stop Masculinisme

Le collectif Stop Masculinisme vient de publier un texte de critique des dernières positions de Pièces et Main d’œuvre (PMO). Ci-après leur présentation et le doc en PDF. Bonne lecture! (C’est assez bref et clair.)

« Depuis plusieurs années, nous tâchons de comprendre, pour mieux la combattre, l’une des formes de l’anti-féminisme qui se développe en France: le « masculinisme ». Contrairement à ce que l’on pourrait croire, cette vision du monde n’est pas seulement défendue par quelques machos militants. On trouve à gauche de la gauche, plus précisément dans certains milieux libertaires, anti-industriels et écologistes radicaux, le pire de ce que l’idéologie masculiniste peut produire. Dernièrement, un exemple nous a touché.e.s près. Les « individus politiques » grenoblois de Pièces et main d’œuvre ont publié un texte intitulé « Ceci n’est pas une femme. À propos des tordus queer ». Notre intention n’est pas de reprendre, pour le démonter point par point, le contenu entier de ce texte aussi confus que méprisant, qui révèle une profonde ignorance des sujets évoqués. Nous souhaitons en revanche nous concentrer sur les extraits qui signent le coming out masculiniste de PMO. »

coming out masculiniste A5

À propos du collectif Stop Masculinisme, on peut voir aussi, ici même, une présentation de Contre le masculinisme, guide d’autodéfense intellectuelle.

 

Le Canada rend hommage aux victimes du massacre antiféministe de Polytechnique – Libération

Promis, on ne vous renverra pas souvent vers le site de Libé… mais vous trouverez dans cet article factuel quelques liens à explorer vers des vidéos – reportages, témoignages, etc., et un extrait édifiant (entretiens avec des masculinistes) du film de Patric Jean, La Domination masculine. Si vous ne l’avez pas vu, ça vaut le détour. Le lien est ici: Le Canada rend hommage aux victimes du massacre antiféministe de Polytechnique – Libération.

Le premier numéro d’Ardecom (1980)

Nous reproduisons ci-dessous le premier numéro de la revue Ardecom (Association pour la recherche et le développement de la contraception masculine). Après une longue « hibernation », Ardecom est réapparue en 2013 – voir son communiqué commun avec le Planning familial du 14 octobre 2013.

Revue ARDECOM

Association pour la Recherche 
et le Développement de la Contraception Masculine 
N°1 – Février 80

CONTRACEPTION MASCULINE
PATERNITÉ
En 1945, Pincus mit au point la première pilule contraceptive à base de progestatif de synthèse.
Cette contraception orale féminine n’a éte possible que parce que les mouvements féministes américains ont réclamé et financé la recherche (notamment le Planning Familial de Margaret Sanger)

SOMMAIRE
ARDECOM  •  La reproduction chez l’homme •  
Les hormones •  La contraception masculine •  Le spermogramme •  
Les différentes possibilités de contraception hormonale •  Attention aux refroidissements •  Le préservatif •  
Quelques questions à propos de la vasectomie •  
Il suffit de la prendre •  
Après le petit déjeuner •  La grève de la reproduction •  
Finalement je ne parlerai pas de moi •  Paternité à la française •  
Pas d’enfants •  



ARDECOM
 Association pour la Recherche 
et le Développement de la Contraception Masculine

ARDECOM est née d’une série de rencontres…

Des hommes ayant participé à des  » groupes d’hommes  » remettant en cause le rôle de mec, les comportements virils, se sont réunis pour parler des choses les plus intimes qui nous touchent, en dehors des rivalités habituelles. Nous avons parlé et réfléchi sur notre sexualité, la paternité, le rapport que nous avons avec les enfants : ceux dont on est le père biologique, ceux avec lesquels on vit, ceux qu’on voudrait avoir, ceux qu’on imagine et, pour certains, le refus d’être père.

Sans abandonner l’idée d’un groupe de parole, nous avons voulu faire plus : pourquoi, si nous ne désirons pas d’enfant, ne pas l’assumer complètement ? Pourquoi accepter comme une fatalité l’absence d’une contraception masculine en dehors des méthodes vécues par nous comme des négations du plaisir (capote, retrait) ?

Alors a commencé une longue quête.

Nous nous sommes rendu compte que, contrairement à l’idée souvent répandue, il n’existait pas de méthode contraceptive au point, nulle part au monde. Quant à la vasectomie, si elle nous a intéressés, nous l’avons abandonnée comme étant actuellement définitive.

C’est à ce moment que nous avons rencontré une équipe de médecins, de chercheurs, qui essayaient de mettre au point une  » pilule  » contraceptive masculine. Les uns pour répondre à une demande de couples ne pouvant employer aucune méthode féminine, les autres dans une démarche liée à la biologie de la reproduction réunissant la lutte contre la stérilité, l’insémination artificielle et l’existence d’une contraception masculine.

Certains d’entre nous qui n’avaient pas envie d’avoir d’enfant ont décidé de participer à ces essais, non comme cobayes mais comme utilisateurs conscients.

Nous avons accepté de prendre ces produits parce qu’ils étaient connus car utilisés et en vente depuis de nombreuses années.

Il avait été établi un protocole prévoyant un contrôle médical très strict de l’innocuité et de l’efficacité du traitement. Nous avons essayé de prendre en main le maximum d’aspects comme le contrôle de la tension artérielle, le comptage au microscope des spermatozoïdes, le choix et la lecture des examens. Nous avons voulu mieux connaître notre corps, comprendre comment il fonctionne et nous avons découvert l’immensité de notre ignorance.

Nous avons rencontré d’autres hommes qui pratiquaient la même contraception mais y étaient arrivés individuellement. Nous avons échangé nos expériences et nous nous sommes regroupés. D’autres hommes, qui refusaient la contraception chimique, se sont joints à nous et cherchent des moyens de contraception nouveaux à partir de la chaleur, de l’action du cuivre…

Enfin s’est créée en octobre 1979 ARDECOM,  » association d’hommes et de femmes concernés par la contraception masculine  » ; une association pour que les gens qui sont intéressés, et nous sommes nombreux, se mettent en contact, échangent, se rassemblent. Nous recherchons toutes les informations sur la contraception masculine et les diffuserons.

Nous essaierons de suivre, d’impulser, de réaliser des essais de contraception (des projets de recherches ont été déposés), de faire se rencontrer les utilisateurs… Nous voulons aussi que la vasectomie soit d’accès facile et légal même si elle n’est pas considérée, à tort, comme une contraception.

Une dynamique pour l’existence d’une contraception masculine se met lentement en place. A chaque article dans un journal, de nombreuses lettres nous arrivent, un lien prometteur s’établit avec le Planning familial, des groupes se créent dans plusieurs villes (Nantes, Lyon, Toulouse, Limoges).

Nous voyons ARDECOM comme un lieu d’expression reflétant la diversité des paroles et des expériences, comme un instrument pour qu’une contraception masculine existe, même si elle ne résoud pas tous les problèmes, comme un endroit où se disent la paternité, l’amour, la vie…

La reproduction chez l’homme
 • Les hormones
LA REPRODUCTION CHEZ L’HOMME
La contraception masculine ne date pas d’hier et les différentes pratiques, retrait, non pénétration et surtout capotes, ne sont pas à négliger. Bon, mais on peut vouloir une contraception qui ne perturbe pas ou ne limite pas les désirs-plaisirs du rapport amoureux et qui délivre de l’angoisse des conséquences possibles, que l’homme ne supportera finalement jamais dans son corps.
Or, actuellement, la seule  » autre  » contraception masculine expérimentée, à part la vasectomie, utilise la voie hormonale. Nous essaierons donc d’expliquer ici les processus hormonaux et auparavant de faire un peu connaissance avec notre physiologie intime d’homme. En effet, nous nous sommes rendu compte, en en parlant entre nous, autour de nous, que la connaissance de l’intérieur de leur corps par les hommes semble à peu près inversement proportionnelle à l’admiration qu’ils vouent à ce qui leur pendouille à l’extérieur.
C’est la fabrication, la maturation et le transport dans les voies génitales mâles des cellules sexuelles ou spermatozoïdes. Ces spermatozoïdes sont formés dans les testicules qui ont aussi une deuxième fonction, la fabrication des hormones mâles.
Les deux testicules sont logés dans deux sacs appelés scrotum ou bourses. C’est dans ces organes et plus précisément le long des canaux spermifères que se forment les cellules mères des spermatozoïdes (ou spermatogonies). Mais c’est seulement à la puberté que certaines de ces spermatogonies commencent à se diviser pour former les spermatozoïdes, qui possèdent la moitié des gènes de l’individu. Ce processus s’appelle la sperrnatogénèse et dure environ 72 jours. La spermatogénèse est un phénomène continu qui dure toute la vie de l’homme.
Les spermatozoïdes se déversent dans des canaux qui tous se réunissent en un seul tube appelé épididyme qui vient se pelotonner sur le testicule, et qu’il est d’ailleurs facile de repérer par palpation. Les spermatozoïdes sont stockés dans la partie terminale ou queue de l’épididyme. Au moment de l’éjaculation les spermatozoïdes remontent les canaux déférents puis l’urètre au-dessous de la vessie ; l’urètre et les canaux déférents confluent en un seul canal à la fois urinaire et génital ; mais il ne peut y avoir mélange car un anneau musculaire autour de l’urètre bloque l’écoulement de l’urine en dehors de la miction. L’urètre dans sa partie terminale est entourée de tissus érectiles et l’ensemble constitue la verge ou le pénis.
Les spermatozoïdes se mélangent aux sécrétions des vésicules séminales et de la prostate au moment de l’éjaculation pour donner le sperme. Ces sécrétions représentent plus de 90 % du volume du sperme. La durée de vie du spermatozoïde est d’environ 24 heures dans le liquide séminal, mais pourrait être de 6 jours à l’intérieur de l’utérus.
Les hormones sexuelles mâles ou androgènes (dont la testostérone) sont en grande partie fabriquées dans les cellules des testicules qui sont entre les canaux séminifères (cellules de Leydig). Elle sont déversées dans le sang et ont de nombreux rôles (modification physique pubertaire, contrôle du pouvoir fécondant des spermatozoïdes, contrôle des sécrétions des vésicules séminales et de la prostate). Ces androgènes sont produits de façon continue (dès bien avant la naissance).Ces deux fonctions du testicule, hormonale et spermatogénétique, sont contrôlées par deux glandes (à la fois glandes et tissu nerveux) situées à la base du cerveau : l’hypothalamus, en relation avec la vie extérieure et le psychisme qui commande à l’hypophyse la sécrétion de deux hormones, FSH et LH comme chez la femme. FSH agit sur la spermatogénèse par l’intermédiaire des cellules de Sertoli (cellules nutritives et de soutien) qui entourent les spermatogonies. La LH a une action plus spécifique sur les cellules androgéniques (cellules de Leydig). L’hypothalamus est le centre de la vie végétative, échappant à la conscience directe mais par où passent et sont modulées toutes les informations sensorielles avant d’arriver à la conscience (cortex). Hypothalamus et hypophyse modifient leur sécrétion selon les informations qu’ils reçoivent. Notamment, si l’ordre envoyé par l’hypothalamus de sécréter plus de testostérone (par l’intermédiaire de LH) est exécuté, le taux sanguin de testostérone monte. L’hypothalamus et l’hypophyse sont donc informés de ce que leur ordre a été exécuté. Ils arrêteront donc leur stimulation : on parle de rétro-contrôle.
LES HORMONES

Une hormone peut être considérée comme le vecteur d’informations qui régulent les phénomènes biologiques propres à certains organes. La diversité des hormones et de leurs effets font de la régulation hormonale un aspect essentiel de l’équilibre physiologique.
Elles sont libérées dans la circulation sanguine par les différentes glandes endocrines qui les produisent mais souvent ne sont rendues actives qu’au contact de l’organe cible. Elles ont besoin d’être reconnues pour être actives. Il existe donc des  » récepteurs  » spécifiques au niveau des organes cibles à qui est destinée chaque hormone. Leur rôle régulateur implique que leur production ne soit pas constante et doive s’adapter au besoin de l’organisme. La régulation de la production des hormones est donc nécessaire d’autant que leur efficacité est extrême à des doses infimes. Cette régulation de la production hormonale se fait par des mécanismes d’activation ou d’inhibition dont la clef de voûte se trouve à la base du cerveau et est constituée par deux petites glandes : l’hypothalamus et l’hypophyse. En effet au centre d’un complexe où les systèmes nerveux et hormonal sont reliés, l’hypothalamus peut intégrer les informations qui proviennent en retour des glandes endocrines périphériques ainsi que celles provenant du monde extérieur et du psychisme par l’intermédiaire du cortex cervical. Suivant les informations reçues, les neurosécrétions de l’hypothalamus sont alors activées ou inhibées et régulent à leur tour en partie la production par l’hypophyse d’une demi-douzaine d’hormones.
Parmi ces hormones, celles qui nous intéressent sont celles qui vont activer les fonctions génitales. Elles ont été mises en évidence il y a un demi-siècle et définies par leur action chez la femme. Ce sont la FSH ou Follicule Stimulating Hormone (car régulant la maturation folliculaire et la sécrétion d’oestrogènes) et la LH (Luteinising Hormone) qui intervient chez la femme dans l’ovulation et la sécrétion par le corps jaune de progestérone. Mais ces deux hormones hypophysaires encore appelées Gonadotrophines ou Gonadostimulines sont aussi sécrétées chez l’homme.
Comme nous l’avons vu la FSH a pour cible principale les cellules de Sertoli qui se trouvent sur la paroi interne des canaux séminifères autour des cellules de la lignée germinale. La LH a pour cible les cellules interstitielles ou cellules de Leydig qui sont à l’extérieur des canaux séminifères et produisent des oestrogènes mais surtout des androgènes (Testostérone) dont une partie peut diffuser à travers la paroi des tubes séminifères et être amenée au contact des cellules spermatogénétiques grâce à une protéine fabriquée par les cellules de Sertoli sous l’influence de FSH. Cet apport d’androgènes active alors la spermatogénèse.
Il est à noter que ceci est schématique et ne permet que d’entrevoir les multiples interrelations hormonales qui aboutissent à la production des spermatozoïdes et d’hormones mâles. D’autre part, sachant que le mode d’action de la pilule pour femme est justement de bloquer la sécrétion de FSH et de LH par l’antéhypophyse, on peut déjà supposer l’utilisation possible d’un moyen contraceptif semblable chez l’homme. Dans les deux cas, le but est de tromper le système de commande, en lui faisant croire par un apport d’hormones dans le sang que le taux est suffisant donc qu’il n’est plus la peine d’en commander la fabrication.

LA CONTRACEPTION MASCULINE
Comment trouver une méthode contraceptive masculine et la tester ?
Comment rendre un homme stérile ?
En réduisant à zéro ou presque le nombre de spermatozoïdes éjaculés, on rend un homme stérile. Pour y parvenir, il faut soit arrêter leur fabrication, soit les empêcher de sortir.
L’autre possibilité est de rendre les spermatozoïdes inaptes à féconder. On dispose pour ça de deux moyens: modifier certaines propriétés du spermatozoïde indispensables à sa pénétration dans l’oeuf bloquer l’acquisition du pouvoir fécondant une fois fabriqué, le spermatozoïde doit en effet subir une maturation sans laquelle il ne sera jamais fécondant.
Quand un homme est-il stérile ?
Un des obstacles majeurs à tout essai de contraception masculine est la difficulté d’en juger l’efficacité.
Sans un spermatozoïde, on est stérile. Mais dès que l’éjaculat en contient, même peu, le doute commence et les probabilités de fertilité s’accroîtront jusqu’à atteindre une quasi certitude.
Pour savoir si un homme est fertile, on dispose en gros de deux sources : les conceptions antérieures et l’analyse du sperme. Cette analyse, c’est le spermogramme qui établit des paramètres propres à un individu, à un moment donné (nombre de spermatozoïdes : N ; mobilité : % ; aspect des spermatozoïdes : morphologie). Les résultats sont rapportés aux données statistiques maintenant accumulées. On sait ainsi qu’à tel ou tel chiffre du spermogramme correspond telle ou telle probabilité pour l’homme de concevoir.
Pour savoir si une contraception masculine est efficace, il faudra donc se rapporter à ces critères.
- La venue d’une grossesse pose un des gros problèmes de toute contraception masculine : ce n’est pas l’utilisateur qui fait les frais de l’échec.
- Obtenir une modification du spermogramme pose d’autres problèmes : cet examen donne des informations très précises sur la fertilité d’une population. Au niveau de l’individu, il le fait seulement rentrer dans une tranche statistique. Or ce qui intéresse chacun, c’est une réponse claire : oui ou non. On peut avoir un spermogramme qui donne 90 % de chances de fertilité et ne jamais aboutir. On peut être de ceux qui n’ont que 10 % de chances et avoir très vite un enfant.
C’est donc que le spermogramme n’apprend pas tout. On peut dès lors très bien imaginer que des méthodes contraceptives soient très efficaces, sans modifier le spermogramme. Malheureusement, le critère de référence restera cet examen. Pour le moment.

Les méthodes qui existent aujourd’hui

Les hormones
Les agents les plus disponibles pour les chercheurs, ce sont les hormones. Elles sont nécessaires à la fabrication des spermatozoïdes comme à leur maturation ; on connaît relativement bien leur mécanisme d’intervention ; on dispose de l’expérience féminine de contraception hormonale.
L’organisme est doté, pour toutes ses fonctions, de systèmes de surveillance complexes dont le haut de l’échelle est situé en général dans le cerveau. L’ordre part de là et, pour s’assurer qu’il a été bien exécuté, il y a des circuits d’informations qui lui reviennent.
En prenant certaines hormones, on dupe ce système en lui faisant croire que tout marche bien et qu’il n’a plus besoin de rien ordonner. Ce qu’il fait, et le tour est joué, la fabrication s’arrête.
Le problème, c’est que c’est à peu près le même système de commande qui régit les deux fonctions du testicule : élaboration des spermatozoïdes et sécrétion des hormones mâles. Il faut alors parvenir à inhiber la première sans toucher à la seconde. Ce n’est pas simple, mais on commence à y arriver.

L’association androgènes-progestatifs
Les méthodes actuellement proposées en premier lieu aux États-Unis et expérimentées depuis près de dix ans reposent sur l’association de deux types d’hormones : progestatifs et androgènes (hormones mâles). Ce modèle est très proche de la pilule pour femme la plus classique, qui est une association de progestatif et d’oestrogène (hormone féminine).
La répartition des tâches est la suivante : les progestatifs bloquent la fabrication des spermatozoïdes par le mécanisme dont on a parlé plus haut ; les androgènes permettent de maintenir des taux normaux d’hormone mâle et d’éviter ainsi une féminisation ou une chute de libido.
Pourquoi cette méthode n’est-elle pas plus divulguée ? Sans doute du fait qu’elle n’est pas parfaite et se heurte, en gros, à cinq difficultés :
- l’efficacité est difficile à juger et le fardeau de l’échec ne repose pas sur l’utilisateur. Mais en plus l’effet est très variable d’un individu à l’autre. Avec un même traitement, certains hommes sont rapidement rendus stériles quand d’autres voient leur fertilité apparemment améliorée. On ne sait rien non plus d’une éventuelle accoutumance à ces drogues ;
- les dangers : on peut s’assurer qu’un certain nombre de fonctions de l’organisme ne souffrent pas d’une surcharge hormonale. Mais on ne peut pas tout observer. Les observations faites depuis vingt ans sur les risques cardiaques et vasculaires des contraceptifs hormonaux chez la femme, surtout fumeuse, étaient imprévisibles. Ici comme ailleurs, on se posera le problème du moindre mal ;
- la réversibilité : jusqu’à présent, cette méthode est réversible et sans conséquences sur la progéniture. Mais si un homme sur 1.000 ou sur 10.000 essuie un échec, on ne le saura que quand plusieurs milliers ou dizaines de milliers d’hommes auront utilisé cette méthode ;
- le mode d’administration : peut-on éviter la prise quotidienne de la pilule ? Sans doute, mais ce n’est pas parfaitement au point. Certains systèmes permettent de libérer petit à petit dans l’organisme certaines hormones qu’ils contiennent. Ce sont des morceaux de substances anorganiques qui contiennent les hormones et les lâchent progressivement dans le sang au fil du temps. Il semble que l’on puisse disposer de ces méthodes (implants ou injection de microsphères) dans un délai assez bref ;
- le prix de l’expérimentation : si on veut faire un essai consciencieux, avec une surveillance rigoureuse, il faut payer cher. Les dosages hormonaux, par exemple, coûtent des fortunes. Qui va payer ? Ni les utilisateurs, ni la Sécurité sociale. Il faudra donc que la contraception masculine rentre dans les préoccupations des pourvoyeurs de fonds (CNRS, DGRST : direction générale de la recherche scientifique et technique, Ministère de la Santé) si l’on veut faire le moindre pas en avant.
D’autres méthodes hormonales ont été proposées. Moins sûres, plus hasardeuses, elles se situent pour l’instant loin derrière celle dont nous avons parlé sur le plan de l’expérimentation.

Vasectomie et méthodes apparentées
Vasectomiser, c’est couper le canal déférent qui permet aux spermatozoïdes de sortir du testicule. C’est une stérilisation volontaire, considérée en France comme une mutilation et, de ce fait, interdite, fût-elle volontaire. Elle est quand même pratiquée.
La vasectomie est théoriquement irréversible. Il y a cependant deux moyens d’éviter cette fatalité :
- certains centres demandent avant toute vasectomie une conservation du sperme. La procréation reste donc théoriquement possible, par insémination du sperme mis en réserve ;
- la chirurgie peut remettre parfois bout à bout les deux extrémités du canal sectionné. Le taux de réussite effective tourne autour de 20%.
Des méthodes proches ont été expérimentées, qui cherchent à fermer ce canal temporairement au lieu de le couper. Elles semblent prometteuses chez l’animal, mais rien de probant n’est encore proposé à l’homme ; le cuivre étant réputé pour sa toxicité à l’égard des spermatozoïdes, la pose d’un fil de cuivre dans les déférents pourrait entraîner une stérilité, même si la spermatogénèse n’est pas arrêtée.

Autres méthodes
On peut altérer la fabrication des spermatozoïdes en réchauffant les testicules (slips chauffants, isolation thermique…). Mais il faudrait trouver un système commode et sûr ; il n’existe pas, et on en cherche un (cf. ARDECOM).
On a aussi proposé les ultra-sons, les infrarouges et les micro-ondes. Le gros danger, avec ce genre de solutions, est le risque de provoquer des mutations dans la descendance. Il ne semble donc pas qu’il s’agisse là des méthodes les plus prometteuses.
Rappelons enfin les préservatifs…
Où en est la contraception masculine dans le monde ?
Il n’existe nulle part dans le monde de contraception masculine acceptable. Alors y a-t- il des recherches, des essais, ou seulement des difficultés insurmontables ?
Voyons par exemple ce qui se passe dans trois pays : les USA, la Chine et la France.
Les USA ont commencé en 1971 à proposer des méthodes expérimentales de contraception masculine. Ils ont débloqué depuis peu des sommes très coquettes pour accélérer le travail en étroite collaboration avec l’OMS (Organisation mondiale de la santé, organisme spécialisé de l’ONU). C’est d’eux que viennent la plupart des propositions de contraception hormonale. Leur champ d’expérimentation est surtout L’Amérique du Sud et l’Inde, mais aussi un peu la Suède, la Finlande, l’Autriche et même les USA.
La Chine a révélé en novembre 1978 à l’Occident un contraceptif nouveau : le Gossypol. Tiré du coton, pas cher, ce produit avait été utilisé par plus de 4.000 hommes (durant plus de 6 mois) depuis 1972, dans différentes provinces chinoises. La publication est signée par  » le groupe national de coordination des agents contraceptifs masculins « . L’efficacité serait excellente : 99,89 %. Mais le critère pour en juger met la barre un peu bas (4 millions de spermatozoïdes). Le seuil d’efficacité choisi laisse une probabilité de féconder qui est loin d’être nulle. Le produit ne serait pas toxique. Mais il cause chez 13 % des consommateurs une faiblesse, au début du traitement, certes passagère mais inexpliquée. Quelques troubles digestifs, une libido un peu atteinte, une réversibilité acquise à trois mois sans que l’on sache sur quel critère, ni s’il y a des risques sur les descendants. Peut-être prometteur, ce produit laisse pour l’instant encore trop d’inconnues pour être considéré comme une proche espérance.
En France, nous connaissons un seul essai, mené à Paris (hôpital Tenon) il y a quelques années. A chaque consultation, le produit nouveau était présenté aux utilisateurs sans qu’il leur soit fourni d’informations, et il y eut finalement constatation d’une certaine toxicité de ce produit et abandon. Un autre essai en apparence plus prometteur est actuellement en cours (cf. ARDECOM).
On ne peut pas espérer disposer rapidement d’une bonne contraception masculine (efficace, sans effets secondaires ni dangers, réversible rapidement, sans risques pour la descendance, simple, confortable, pas cher … ).
On peut espérer une contraception moyenne avec des désagréments de méthode ou de surveillance, de petits risques dont il faut guetter la venue, ou une efficacité incertaine qu’il faudra mesurer. Mais cette contraception moyenne nous paraît meilleure que l’absence totale de contraception.
Les conditions du développement rapide de méthodes contraceptives masculines
Certaines méthodes contraceptives masculines peuvent être proposées dès aujourd’hui en France (cf. méthodes hormonales citées plus haut). Mais leur efficacité, leurs risques, leur réversibilité, ne sont pas assez précisément connus. Ces inconvénients peuvent s’effacer devant ceux qu’amène l’absence de contraception. C’est pourquoi des petits groupes d’hommes utilisent ces méthodes. Mais toutes les questions en suspens imposent des contraintes : excellente information des utilisateurs et des médecins, coopération entre eux, surveillance de la fertilité potentielle et des risques éventuels, acceptation de protocoles (normalisation de la surveillance de l’efficacité et de l’absence de danger) qui, au point où on en est, restent des protocoles d’expérimentation.
LE SPERMOGRAMME
Il semble que l’analyse du sperme devrait être l’examen minimum que devrait effectuer tout homme vis-à-vis d’une contraception. En effet, bien que l’on ne puisse définir avec certitude un seuil de non fertilité par le nombre de spermatozoïdes, à moins d’azoospermie totale, le spermogramme permet aussi d’apprécier à l’état frais leur mobilité, important critère de leur potentiel fécondant.
La numération peut se faire relativement facilement avec un microscope (x 400) et une lame spéciale dite cellule de Thoma qui permet, grâce aux repères quadrillés qu’elle comporte d’y compter les spermatozoïdes en nombre d’unités par volume. Les spermatozoïdes auront d’abord été immobilisés par dilution avec une solution de Ringer. L’espace entre cellule de Thoma et lamelle détermine un volume. Les repères quadrillés permettent de diviser en unités très précises dans lesquelles on compte le nombre de spermatozoïdes. Le résultat se donne en unités/ml.
Le spermocytogramme permet d’apprécier la proportion de spermatozoïdes qui ont un aspect normal. On constate souvent un certain nombre d’anomalies de la morphologie des spermatozoïdes qui atteignent soit la tête soit la pièce intermédiaire soit la flagelle ou plusieurs de ces parties simultanément. On considère que ces formes différentes sont morbides mais que 20 %, voire 50 %, de formes anormales n’altère pas le pouvoir fécondant du sperme.
Enfin l’analyse biochimique du sperme permet d’apprécier le fonctionnement des glandes sexuelles annexes que sont les vésicules séminales et la prostate. C’est le taux de fructose qui est considéré comme représentatif du fonctionnement des vésicules séminales. Le taux de phosphatase acide représente celui de la prostate. Cet organe a donné son nom aux prostaglandines dont le liquide séminal est très riche sans qu’on en connaisse le rôle dans la fécondation. En fait des recherches récentes ont fait apparaître que ce sont les vésicules séminales qui produisent surtout les prostaglandines.
Pour Rehan et coll. (1975) une étude de 1.300 hommes fertiles a montré que le volume des éjaculats varie de 0, 1 à 11 ml. La densité en spermatozoïdes varie de 1,5 à 375 millions/ml, le pourcentage de spermatozoïdes mobiles variant de 5 à 95 % et le degré de mobilité varie de 1 à 4. Les différents paramètres du spermogramme permettent de classer un individu dans un groupe statistique : on obtiendra une probabilité de fertilité qui n’aura pas de valeur précise pour l’individu.
Les différentes possibilités de contraception hormonale
Attention aux refroidissements
LES DIFFÉRENTES POSSIBILITÉS DE CONTRACEPTION HORMONALE
L’effet recherché est une chute de la spermatogénèse ; on va donc essayer de court-circuiter les différentes informations hormonales qui peuvent entretenir cette spermatogénèse.
Ainsi, en introduisant des androgènes dans la circulation sanguine : hypothalamus et hypophyse, informés de cette augmentation du taux d’androgènes circulants, vont cesser d’envoyer leurs ordres de fabrication FSH-LH en particulier dans les testicules. Les cellules de Leydig stoppent alors leur production de testostérone et la spermatogenèse s’effondre. Cependant, les androgènes ont d’autres activités dans l’organisme et leur forte augmentation entraîne des risques cardio-vasculaires et hépatiques, entre autres…
On pourrait aussi introduire des antiandrogènes qui se font passer auprès des  » sites d’action  » (donc au niveau des tubes séminifères) pour similaires des androgènes sans en avoir l’activité. Là aussi on obtient une chute de la spermatogénèse, mais elle n’est que temporaire car, malgré la similitude, le système de contrôle perçoit la pénurie d’androgènes et augmente alors sa sécrétion, de gonadotrophines (FSH-LH) pour produire les androgènes manquants. On doit noter ici que la testostérone a surtout une activité périphérique car au niveau de la spermatogénèse c’est une autre hormone, très proche, la dihydrotestostérone (DHT), qui agit. Il faudrait donc trouver un produit anti-DHT qui ne soit pas anti-testostérone.
Les oestrogènes sont les plus puissants inhibiteurs des gonadotrophines hypophysaires ; cependant, leur utilisation chez l’homme s’accompagne de troubles cardio-vasculaires et d’une féminisation. Pour certains, leur association avec des androgènes éviterait ces troubles tout en conservant l’action anti-spermatogénétique.
La progestérone et les progestatifs
Androgènes, oestrogènes et progestatifs peuvent agir sur des récepteurs (dits glandes-cibles) qui ne leur sont pas propres. Ceci est dû à la similitude de leurs molécules de base. Chacun peut donc en partie concurrencer les deux autres et en particulier divers progestatifs peuvent agir sur les récepteurs androgéniques. Cette interaction est en général inférieure à 10 %. Mais avec l’acétate de médroxyprogestérone (AMP), dérivé artificiel, l’interaction est beaucoup plus grande. Autrement dit, l’AMP va pouvoir tromper avec beaucoup d’efficacité les récepteurs habituels des androgènes, d’où l’inhibition principalement de la production de FSH-LH par l’hypophyse et par suite chute de la spermatogénèse.
Cependant, l’administration chez l’homme de progestatifs seuls entraîne aussi une chute de la  » libido  » et une atrophie des testicules et des glandes sexuelles annexes (symptômes dus à l’arrêt de la production de testostérone). Aussi, parallèlement à un traitement progestatif, il est nécessaire de réintroduire de la testostérone dans la circulation sanguine pour éviter troubles de la libido et féminisation.
Mais alors, cela ne va-t-il pas remettre en route la spermatogénèse, puisqu’on réintroduit de la testostérone alors que l’administration de progestatifs devait en interdire la production ? Il faut préciser que la concentration de testostérone est, sans traitement progestatif, beaucoup plus forte dans les testicules près du lieu de production que dans les glandes annexes simplement irriguées par le sang.
Sous progestatifs, si on introduit de la testostérone dans la circulation sanguine, le taux hormonal habituel y sera rétabli et donc les fonctions normales des glandes annexes, du métabolisme, ainsi que les caractères sexuels secondaires et la libido, ne bougeront pas. Cependant, la concentration initiale de testostérone dans les testicules ne sera jamais rétablie et la spermatogénèse reste donc très basse.
Et la pilule dans tout ça ? Eh bien, c’est justement la forme que prend l’acétate de médroxyprogestérone dans le commerce. Deux pilules par jour dosées à 10 Mg de AMP. La testostérone est contenue dans une solution dont on se frictionne le corps et qui se diffuse dans le sang à travers la peau.
Et ça marche : effondrement de la spermatogénèse et atteinte d’un seuil d’1 million de spermatozoïdes en 3 mois à peu près (il y a de grandes variabilités individuelles). Mais reste posé le problème d’un seuil de stérilité. Aucun trouble secondaire (après élimination des sujets à risque, en particulier les gros fumeurs). Aux dernières nouvelles, elle ne rendrait pas sourd. Un inconvénient toutefois, le prix élevé des produits et des examens.
Un bilan détaillé est en cours de réalisation il porte sur l’utilisation par 6 hommes, pendant un an, de cette contraception.
ATTENTION AUX REFROIDISSEMENTS !

Météo et contraception

Tout le monde sait que les testicules pendent entre la verge et les fesses. De ce fait, si la température moyenne du corps est de 37°, celle des testicules est de 34°. Et ce n’est pas un hasard. Car lorsque cette température est augmentée de façon constante ou importante, la spermatogénèse est notablement réduite : ce sont ses stades intermédiaires (phases de division et de synthèse protéique) qui sont extrêmement sensibles à la chaleur. Bref la lignée germinale dégénère.
La chaleur a pour conséquence de diminuer le nombre de spermatozoïdes, leur mobilité, leur vitalité, et d’accroître le pourcentage de formes anormales. Et ceci, sans modifier sensiblement ni les taux d’hormones, ni les glandes sexuelles annexes, ni la libido. En plus, même si cela n’annule pas le nombre de spermatozoïdes, la fertilité de ceux qui restent baisse sérieusement : il semble que la chaleur provoque une inhibition de l’aptitude à féconder du spermatozoïde.
Comment ? A l’intérieur des testicules, la chaleur agit sur les flux sanguins, sur la synthèse protéique, sur le métabolisme des glucides, lipides, acides nucléiques, et sur la synthèse des récepteurs hormonaux. Mais comment ces altérations provoquent-elles la chute de la numération, du nombre de formes normales et de la fécondance, personne ne le sait vraiment en fait.
Évidemment, toutes ces actions sont absolument réversibles du moment qu’on reste dans des limites raisonnables de température.
Comment se chauffer ?
La méthode que nous prévoyons d’utiliser est la suivante : le port pendant le temps de veille d’un slip suspensoir surisolé, ce qui élève la température moyenne de 2 à 3°. Ceci fait déjà bien chuter le nombre de spermatozoïdes sans toutefois provoquer la stérilité totale. Alors on ajoute un petit chauffage à 41 ou 42° (soit 7 à 8° au-dessus de la température normale) pendant une heure par jour, dans un premier temps, et on espère, au moyen de résistances chauffantes de petites dimensions. Les spermogrammes permettront d’apprécier la baisse de la numération (qui doit se faire en 2 à 3 mois) et le niveau atteint. Cependant, il n’existe actuellement pas d’examen permettant d’évaluer l’aptitude à féconder d’un éjaculat, or c’est justement dans l’altération du pouvoir fécondant des spermatozoïdes qu’on a le plus d’espoirs — leur nombre importerait alors moins.
En fin de compte, on ne peut pas dire qu’on a trouvé là une méthode sûrement contraceptive pour tout de suite, beaucoup de travail est encore à faire, autant dans la mise au point du  » matériel « , les slips et les résistances, que dans la mise au point d’analyses médicales déterminantes, et surtout celle du  » protocole « . Mais on peut commencer le boulot, non ?

LE PRÉSERVATIF :
une bonne efficacité due à une technologie en évolution

Il existe deux techniques de contraception masculine pouvant être actuellement proposées à une échelle relativement large :
- la vasectomie, dont on parle par ailleurs
- le préservatif masculin.
Nous n’aborderons pas ici les problèmes sexuels, sociaux, légaux ou moraux liés à cette méthode, pour nous attacher uniquement à son efficacité.
Il existe en effet une  » ambiance psychologique  » d’inefficacité autour de l’utilisation des préservatifs, qui n’a plus de justification aujourd’hui.
Les progrès de l’industrie du latex ont abouti à des préservatifs :
- de très bonne qualité ; 
- traités dans une atmosphère d’humidité évitant la dessiccation responsable de perforations ;
- avec un contrôle électronique de chaque préservatif, associé à des tests d’insufflation d’air ou d’eau ;
- lubrifiés par des silicones semi-secs conditionnés de façon à donner une durée de vie de 5 ans.
Grâce à ces améliorations, on aboutit à une efficacité telle que les dernières statistiques britanniques donnent de 0,4 à 1,6 échecs pour 100 années-femme. Rappelons que le stérilet donne une efficacité de 1,5 à 3 échecs pour 100 années-femme, et qu’il est responsable d’infections tubaires.
En conclusion, paradoxalement, alors que sa nocivité est nulle, le préservatif masculin est une méthode sous-utilisée en France : les raisons de cet état de fait sont multiples, mais l’un d’entre elles nous semble la méconnaissance de son efficacité qui est grande.


QUELQUES QUESTIONS À PROPOS DE LA VASECTOMIE

1) Qu’est-ce que la vasectomie ?
C’est la section chirurgicale des canaux déférents chez l’homme, provoquant une stérilisation définitive en empêchant l’émission des spermatozoïdes. C’est la stérilisation au masculin.

2) Comment se pratique l’intervention ?
Les canaux déférents sont très facilement accessibles sous la peau des bourses. Sous simple anesthésie locale, une incision de 1 cm sur le scrotum de chaque côté de la verge permet de les visualiser. L’obturation est généralement faite par une double ligature du canal plus une résection de 1 cm entre les deux noeuds. La peau est ensuite refermée par des points de suture ou des agrafes.

3) A quel moment la stérilité est-elle acquise ?
L’évacuation des spermatozoïdes restant dans les canaux déférents en aval de l’obturation est fonction du rythme des éjaculations suivant l’intervention. On peut trouver des spermatozoïdes pendant plusieurs mois en très petite quantité, mais normalement ils ne sont pas fécondants sauf pendant les 15 premiers jours. Il est de toute façon indispensable de faire des spermogrammes de contrôle pour s’assurer de la réussite de l’opération et déterminer le moment d’apparition de la stérilité.

4) La vasectomie provoque-t-elle des modifications de l’appareil génital ?
Aucune modification ni des testicules, ni des autres glandes participant à la formation du sperme, ni de la fonction des hormones sexuelles. L’éjaculation n’est pas modifiée, il n’y a pas de diminution perceptible du volume du sperme (il est comme une rivière dont on aurait enlevé les poissons !!!). Bien entendu, la vasectomie n’a rien à voir avec une castration.

5) La vasectomie modifie-t-elle les rapports sexuels ?
Il n’y a aucune raison d’ordre biologique pour qu’ils soient modifiés.

6) Les spermatozoïdes continuent-ils à être produits ?
Oui, il n’y a pas de changement de l’activité testiculaire.

7) Que deviennent les spermatozoïdes ?
Ils séjournent pendant un certain temps dans les voies génitales, puis comme toutes les cellules de l’organisme à durée de vie limitée, ils meurent et ils sont résorbés par d’autres cellules : les macrophages (c’est d’ailleurs ce qui se passe normalement quand on reste longtemps sans avoir d’éjaculation).

8) Y a-t-il des risques de complications ?
Pas particulièrement, si ce n’est ceux inhérents à toute intervention chirurgicale. Certains hommes signalent des douleurs au niveau des testicules dans les mois qui suivent l’opération mais elles ne sont pas importantes et toujours passagères. La complication principale est la reperméation des canaux, elle est exceptionnelle avec des chirurgiens entraînés et facilement dépistée par les examens de contrôle.

9) La vasectomie a-t-elle des conséquences psychologiques ? 
La vasectomie supprime de manière définitive la possibilité d’avoir des enfants, c’est une décision qui n’est sûrement pas facile à prendre, dans aucun cas. Si l’homme est informé, conscient des enjeux et des risques, il est probable que les meilleures chances existent pour que tout se passe bien, mais il est à souligner que dans tous les bilans qui ont été faits à distance de l’intervention, quelles que soient les conditions de sa réalisation, quels que soient les pays, les conditions socio-culturelles, il existe toujours un certain pourcentage (variable) d’hommes qui regrettent

10) La vasectomie peut-elle être réversible ?
La réanastomose des canaux déférents sectionnés est une opération difficile et longue qui nécessite le recours à la microchirurgie. Les spermatozoïdes ne réapparaissent dans le sperme qu’une fois sur deux mais il n’y a grossesse qu’une fois sur cinq environ. Il vaut mieux donc considérer la vasectomie comme une méthode de contraception irréversible.

11) Et la conservation du sperme ?
Les spermatozoïdes congelés dans de l’azote liquide peuvent garder leur pouvoir fécondant pendant plusieurs années, (et peut-être beaucoup plus !). Une conservation peut donc être faite avant l’intervention et d’ailleurs certains chirurgiens l’exigent. Ce n’est pas cependant une garantie de fertilité future car tous les spermes congelés ne sont pas sûrement fécondants. La conservation ne change donc pas le caractère irréversible de la vasectomie.
En pratique, pour conserver le sperme, il faut se rendre dans un laboratoire spécialisé.

12) La vasectomie est-elle légale ?
Aucune loi ne l’interdit spécifiquement. Au cours du seul procès qui ait jamais eu lieu en la matière, en 1937 à Bordeaux, elle a été assimilée à une mutilation volontaire avec coups et blessures pour pouvoir condamner des anarchistes qui la pratiquaient.
Le Conseil de l’Ordre des médecins l’interdisait formellement comme la stérilisation féminine, mais elle n’est plus mentionnée dans la dernière version du Code de déontologie (juillet 1979).

13) Combien d’hommes se font vasectomiser ?
On estime qu’il y a à travers le monde 80 millions d’hommes et de femmes stérilisés, ce nombre augmente très vite. Aux USA, 34 % des couples ont choisi une stérilisation comme méthode de contraception (18 % féminine, 16 % masculine) quand l’âge de la femme est compris entre 30 et 44 ans. La pratique française ayant été confidentielle sinon clandestine pendant longtemps, il est difficile d’avoir une idée précise. On peut estimer à quelques milliers par an le nombre de Français se faisant vasectomiser. La demande augmente de manière importante depuis quelques années et le nombre de médecins pratiquant cette intervention aussi.

14) Combien coûte la vasectomie ?
Ne nécessitant ni hospitalisation ni anesthésie générale, elle devrait être très bon marché et ne pas coûter plus de 100 ou 200 F . Malheureusement, des tarifs scandaleusement abusifs sont trop souvent pratiqués. Il est à noter que la vasectomie est une méthode de contraception économique à terme, ne nécessitant ni renouvellement, ni examens de laboratoire, ni visites médicales périodiques, comme la pilule ou le stérilet.

15) Où s’adresser ?

Chez votre médecin ou chez un urologue mais trop souvent il ne pourra ou ne voudra pas répondre à votre demande, alors adressez vous aussi aux organisations de Planning familial ou aux CECOS (banques de sperme), ou à ce journal.

16) Etes-vous convaincu ?
Ce n’est pas ce que j’ai voulu faire. Décider à un moment donné de sa vie de s’aliéner de manière définitive la liberté de choisir d’avoir ou de ne pas avoir un enfant, et ce quelle que soit la situation affective, familiale, dans laquelle on se trouvera demain ou dans cinq ans… ce n’est pas facile. Ce côté définitif… inscrit dans le corps… c’est assez impressionnant. Alors, la vasectomie ? Pourquoi pas, à condition de la prendre pour ce qu’elle est, une stérilisation au masculin.

IL SUFFIT DE LA PRENDRE
Il fallait bien qu’on y vienne un jour à cette histoire de contraception masculine, de  » pilule pour hommes « .
Il y avait les  » j’en ai marre de prendre la pilule « ,  » j’ai toujours pas mes règles « , les petites peurs et les grosses angoisses, un avortement, les  » il parait que ça existe pour les hommes « , et les sempiternels  » c’est toujours pas au point « . Et puis il y avait ces mecs qui, dans les manifs mixtes (c’était toujours ça de fait), criaient à l’unisson des femmes, depuis des années,  » contraception (et avortement) libres, et gratuits pour toutes « . Ils revendiquaient, exigeaient la contraception de (pour) l’autre. Et pourquoi ne revendiquaient-ils pas leur paternité libre et choisie au moment où ils la désireraient, plutôt que, de la même manière, la maternité de la femme ? Il a bien fallu alors qu’un jour on se dise :  » C’est quand même incroyable, qu’est-ce qu’ils foutent dans les labos ?  »
Il y a bien la vasectomie, ouais, mais un peu risquée, parce que c’est pas tout à fait au point l’histoire de la réversibilité et puis c’est passible de prison, dame ! Alors on décroche le téléphone et on fait le tour des hôpitaux, des services d’urologie (c’est eux qui s’occupent de ça paraît-il !). Et on n’y trouve que mutisme et méfiance, on se décharge de vous d’un service à l’autre, vous n’avez pas, bien sûr, appelé le bon poste, rappelez mercredi, la personne est absente, vous devez appeler un tel, une vraie partie de ping-pong. Ou encore on vous dit (sans rire) :  » Comment ça se fait que votre amie ne veuille plus prendre la pilule ? J’aimerais bien pouvoir parler avec elle …  » Et moi … !!!
On s’adresse à des toubibs dont on a pu nous parler à droite ou à gauche, toubibs qui, … toubibs que… on ose téléphoner à des sommités en la matière qui justement vont à un congrès où…. qui étudient précisément en ce moment tel aspect de la question … téléphone à des copains, à des copains de copains, et toc, au bout de six mois de ce genre de démarches, on tombe sur une adresse, ouf !
Entre-temps, bien sûr, on a eu droit à toutes sortes d’explications-justifications : ça fait tomber les poils, ça fait pousser les seins, on ne bande même plus quelquefois, c’est plus facile d’empêcher la fabrication d’un ovule une fois par mois (chez la femme) que celle de millions de spermatozoïdes chaque jour (chez l’homme). Sans parler des  » Ça ne résoud rien pour les femmes qui vivraient plusieurs relations « , mais si la pilule pour homme était aussi répandue que celle des femmes ? Et si les mecs désiraient vraiment maîtriser leur fécondité ?
Voilà donc le toubib si providentiel enfin déniché, un petit entretien avec lui, quelques mises au point sur le traitement et sur les garanties à prendre (toutes sortes d’examens étalés sur un an), et on démarre le traitement avec des produits qui existent déjà et dont on connaît les effets, mais qui sont ici utilisés dans d’autres buts. On s’observe un peu les premiers jours, on s’y fait. Rien d’anormal ? Rien d’anormal ! Ça va ? Ça va ! Et puis les questions des autres, Pourquoi tu fais ça ? pour pas avoir d’enfants, Comment ça t’est venu ? ben, comme ça ! Pourquoi tu fais ça ?  » pour maîtriser ma fécondité « .
Non, ça fait pas mal, ça fait pas pousser les seins, ni tomber les poils… J’ai toujours très bien bandé, même sans doute plus, et c’était mieux. C’est peut-être pas étranger au fait que (quand les courbes des spermogrammes étaient bonnes), je savais ce que je faisais (ou plutôt ce que je pouvais ne pas faire), peut-être qu' » inconsciemment  » ça enlève un poids. Ouais, c’était plutôt bien. C’est sûr que  » quelque part  » on se sent plus détendu, plus maître de ce qu’on fait, et ça rejaillit naturellement sur le plaisir. On peut se laisser aller, plus d’angoisses, de retrait en catastrophe, d’arrêtcapote, de capotes mal mises ou qui craquent sans prévenir. Peut-être un peu ce que les femmes ont pu ressentir quand elles ont eu un accès aisé à la  » pilule libératrice  » (pour un temps) ; et puis pouvoir partager la contraception (chacun son tour, parce que c’est quand même chimique tout ça !), que ce ne soit plus l’autre qui supporte tout ce poids ; et au bout du compte, sentir qu’on peut être maître de sa fécondité et pas toujours à la merci d’un oubli ou d’une erreur de l’autre, et savoir qu’on peut ne pas être père ou, au contraire, l’être quand on l’aura décidé.
Tout ça c’est bien beau, mais reste le côté technique qui est assez dur pour l’instant. La prise des produits de manière quotidienne, c’est pas très drôle, il faudrait que bien vite des mecs s’y mettent, alors les labos feraient peut-être quelque chose pour faciliter le traitement. Et puis, comme tout ça c’était un peu sous le manteau, les toubibs ont pris mille précautions (examens mensuels, puis trimestriels, puis remensuels) pour qu’il ne nous arrive rien de fâcheux, de vrais poupons ! Il est vrai qu’aucune erreur ne leur aurait été permise. Mais quelle inertie et quelle résistance de la part des chefs de services, responsables de toutes sortes, et des pouvoirs publics !
A quand la pilule en vente dans les monoprix ?
APRÈS LE PETIT DÉJEUNER

Petits câlins. Maou. Frottis-frottas. Douceur de la peau. Samedi matin, on a le temps. On traînasse. Petits bécots. C’est bon au creux du cou. C’est doux.
Tiens, v’là aut’chose. Les bras se font plus boas. Les jambes deviennent arabesques. Les baisers s’appuient. Hop là, les chemises de nuit par-dessus bord. Les corps s’explorent encore, pourtant on se connaît par coeur. Tu me montes dessus. On aime beaucoup ça.
Mais tu me surveilles.
Et je me surveille.
Tu te surveilles aussi d’ailleurs. Tout le monde en deçà du point de non-retour !
Parce que, avec ça, il faut pas rigoler. Déjà une fois on s’est fait avoir. Mauvais calcul, acte manqué. Et ce fameux après-midi à la clinique on s’en souvient tous les deux. Alors quand il y a  » pénurie  » de pilule, c’est moi qui me pointe à la pharmacie. Faussement tranquille. Mi-gêné, mi-provocateur. Avant d’entrer, je répète dans ma tête  » Je voudrais une boîte de préservatifs  » histoire de ne pas lâcher en public le mot  » capote « .
Pourvu qu’on ne me demande pas  » quelle taille ? « . Vieux phantasme.
Enfin bref, pas question de jouir avant de me contracepter. Alors, petit intermède. Je me lève et vais chercher mon imperméable dans son armoire : à la salle de bains. Y a pas de table de chevet, et on va pas en mettre une exprès pour ça, alors c’est là que je les ai planqués. Pourquoi ??
Quand je reviens, la plupart du temps, je bande encore. Cela m’étonne toujours. Mécanique graissée. Puis il faut reprendre le conte là où on l’avait laissé. Des fois l’entracte est arrivé en plein suspens et comme un bon livre dont on n’a rien oublié lorsqu’on le reprend, immédiatement les langues se re-enroulent furieusement,  » Viens ! « . Désir, désir, quand tu nous tiens ! Mais souvent, loin des yeux loin du corps, et faut bien dire qu’on a besoin de retourner quelques pages en arrière pour se remettre l’intrigue en mémoire.  » Allez, on n’a pas fait tout ça pour rien , on se force un petit peu, tout petit peu promis !, et ça repart.  » On sait que ça va marcher, que le petit effort sera récompensé ; le tout c’est de s’y mettre. Habitude des désirs, habitude de l’habitude. Bon d’accord, c’est un peu chancelant, mais on va pas en faire un drame, c’est bon quand même, pas vrai ? Et puis, on sera content d’y être arrivé malgré tout ; parce que la catastrophe c’est quand on se dit  » j’ai pas envie  » ou  » il a pas envie  » ou  » elle … « .
Alors là, crac ! Méfiance, honte, froid jeté. Quelle déception ! Bon, on arrête tout et on réfléchit, et advienne que pourra. Voilà, c’était  » le plastique comme révélateur du désir, ou prêcher le faux pour savoir le vrai »
Pratiquement toujours ma tête se faufile entre tes jambes. Mais attention, caresses à sens unique ! Une fois que la combinaison est enfilée, il ne reste plus qu’à plonger. Moi, intouchable, insuçable. (C’est pas un reproche, je comprends bien.) Heureusement pour la bonne marche du scénario, le goût de ton orgasme au bout de ma langue a plutôt tendance à m’exciter. Quel hasard !
Dans toi, l’impression que ça me fait, c’est que quand même, c’est pas pareil. On a beau dire, quelle que soit la finesse du gant, il sépare. (Il est même fait pour ça.) Moi dedans, toi dehors. Je ne sais pas bien comment expliquer, ça atténue, ça dilue, ça modifie en tous cas. M’enfin, comme dans tout y a du bon : au moins il y a une angoisse que je ne risque pas d’avoir, celle de l’éjaculation précoce. Même qu’il peut arriver que je n’aie pas du tout d’orgasme. Je me dis alors :  » Sans préservatif j’aurais joui. Oui mais comme j’aurais éjaculé, il aurait été absolument nécessaire « . Quadrature du cercle. Frustration obligatoire, qui se cristallise sur le préservatif mais qui vient sans doute d’ailleurs. En fait c’est très rare.
Après, une petite main contrôleuse se glisse est-il toujours là ? Faut dire qu’une fois je l’ai perdu. J’étais pas fier. Sur le moment et la veille du premier jour des règles je ne l’étais pas moins. Mais là non, tout va bien.  » Reste encore un peu « . Pourtant il faut bientôt se séparer complètement.
Toujours trop tôt.
Je tire sur le caoutchouc, bruit de succion, sac qui pendouille. Si j’avais un microscope, je pourrais en faire un spermogramme, mais la seule chose que je puisse en faire c’est un noeud qui enferme le sperme, noeud noué comme ce quelque chose qui reste coincé pendant le déroulement du programme. C’est ça batifoler ? Mais en fait le programme est écrit dans ma tête, pas sur le latex.
Plus tard, quand on se lève, en ramenant le plateau du petit déjeuner à la cuisine, je vais mettre ma petit poubelle dans le sac en plastique qui est lui-même dans la grand poubelle. A la  » décharge  » ! Sperme : semence magique, ou ordure ? On est content qu’il soit venu, mais on préfère s’en débarrasser.
D’ailleurs après, à la salle de bains, pendant que je lis la notice explicative qui était dans la boîte, tu me parles.
 » Michelin préserve le couple. Mode d’emploi : La chambre à sperme doit être mise avant chaque rapport sexuel. Cessez le contact rapidement après l’éjaculation. La chambre à sperme ne peut être utilisée qu’une fois. Tu sais, je suis vachement contente qu’on utilise des préso. Moi ça me va très bien, comme ça pas de foutre en moi, qui dégouline, qui me laisse son odeur, pas de trace.  »
Je pense :  » Ouais, vieille histoire du baisage ni vu ni connu. Mais merde, mon sperme ça vient de moi, c’est une partie de mon corps masculin. D’une certaine façon, si ça la dégoûte c’est qu’elle rejette mon corps de mec. « 
 » La chambre à sperme est la forme de contraception la plus simple et la plus pratique. C’est aussi le moyen le plus sûr pour éviter les maladies transmises sexuellement.  » C’est vrai que mes parents qui ne m’ont d’ailleurs jamais rien expliqué sur le comment on fait des enfants, ont appris que j’étais plus puceau parce que j’avais attrapé une blenno. Et alors ils (mon père ?) m’ont acheté une boite de condoms.
 » Les chambres à sperme Michelin sont d’une grande finesse et d’une très grande sensibilité (tiens je ne savais pas qu’un morceau de caoutchouc pouvait être sensible), toujours prêtes à l’emploi (ça, ça me rappelle quelque chose) grâce à leur lubrification à sec qui les rend imperceptibles.  »
Bon, je vis donc avec une femme qui me rejette en tant que mec. Et ça ne me révolte pas. C’est peut-être que je n’accepte pas tellement mon corps d’homme. Oui, je suis content quand elle dit qu’elle aime bien mes seins, et mon sperme me dégoûte un peu aussi.
 » De plus, les chambres à sperme Michelin vous assurent une sécurité absolue. Chaque chambre est contrôlée électroniquement et subit toute une série de tests très sévères, ceci pour répondre aux normes de la British Standard Institution.  »
Dis donc, ils jouent vachement sur la sécurité, mais quelle sécurité ? Celle de la contraception ou une autre ? Et pour renforcer cette mise en confiance, ils vont chercher les cautions de la science et d’une institution. Une institution britannique, ce qui est le moins qu’on puisse faire pour des capotes anglaises.
LA GRÈVE DE LA RE-PRODUCTION
Dans mon histoire de prendre la pilule, outre mon histoire personnelle, il y avait un ras le bol des groupes de parole (groupes d’hommes). Parole sur la sexualité, parole sur l’enfance, sur comment on nous avait fait petit garçon, petit homme, sur les rôles d’homme inculqués, parole sur les relations de pouvoir/dépendance aux/des femmes. Dans ces paroles, absence quasi totale des gosses et du boulot. Et pourtant une idée commence à trotter : on est vraiment dans des rôles, on s’y raccroche, on est en dehors de nos pompes à vouloir canaliser la vie, diriger des flux pour les utiliser, pour créer des structures, des objets, des livres, des rapports, des tracts, des lettres, des oeuvres. Ce qui compte le plus, c’est citer le nombre et le nom de ce qu’on a fait et non comment on l’a fait. Je connais un tel, j’ai une relation avec une telle, j’ai tel projet, j’ai été dans telle organisation, j’ai deux enfants. Le résultat plus que la voie, le comment ça s’est vécu. Conjurer un flot en balisant les berges et ça balise sec quand ça échappe, quand ça déborde… On ne sait plus où ça va, quelle va être la fin, la mort ? Moi, homme, j’ai peur de cette mort, la vie m’échappe, mon pouvoir, c’est chercher à laisser des traces pour conjurer la mort. Et en parlant ça, un désir naît d’aller au-delà des traces, des  » oeuvres « , pour voir ce qui les désire, comment ça se conçoit. Et la conception, pour moi, elle passe par les femmes. C’est l’identité renvoyée par la femme qui me permet de me croire capable, d’oser, d’exprimer un désir. C’est dans la relation à une femme que je nais et que je fais naître ma création, que je conçois. Et alors ça s’embrouille avec l’autre. Où je suis, là dedans ?
Assez parlé ; pour y voir plus clair, il faut aussi que je pose des actes, me séparant de cette fusion avec la femme, où je puisse me re-connaitre. Alors a commencé une recherche des ou plutôt du labo faisant de la recherche sur là contraception masculine ; ça, a été décevant : un seul labo terminant une expérience sans avenir car trop d’effets secondaires. Restait la vasectomie. Je crois possible pour moi de désirer un troisième enfant. Alors l’insémination artificielle, ça ne me fait pas rêver.
Non merci ! Et pourtant Alain qui vient de se faire vasectomiser chante les mérites de se protéger radicalement de faire un môme et le plaisir de faire l’amour avec tout son corps sans retenue. Alors on cherche un peu plus. Pierre nous aiguille sur Jean-Claude, médecin avec une démarche scientifique que j’aime bien mais méfiant des cas pas strictement médicaux, les cas  » psychologiques  » comme il nous appelle. Là commence une petite épreuve avant d’arriver au plaisir : perdre mes bourrelets et lâcher ma pipe. Ça, j’aime pas, mais c’est la découverte que mon corps, je peux m’en occuper, qu’il n’est pas forcément capable de tout faire, de tout avaler. Et puis fier de mes cinq kilos perdus, je commence à prendre la pilule. Bordélique comme je suis, je prends les ampoules par deux ou trois car prendre dix minutes chaque jour pour me verser ça sur le corps ! c’est beaucoup me demander. La pilule, elle, ça passe bien, c’est vite avalé. La lotion, ça fait froid, ça pue l’hôpital, ça colle quand c’est pas bien sec. La quincaillière, la voisine me demande toujours si j’ai si mal aux reins tellement je pue le camphre. Pourquoi qu’elle demanderait pas à tous les gens qui sentent le camphre s’ils prennent la pilule ? Jamais j’ai réussi à me caresser la peau pour faire pénétrer la testo. Je laisse sécher. Et puis des questions viennent sur l’ignorance de mon corps. Ça produit jour et nuit à débit constant de la testo ou ça se repose de temps en temps ? Quand je mets une ampoule, mon corps, il l’avale tout de suite ou il la déguste ?
Questions sans réponses, corps sans rythmes. Attente inquiète des spermogrammes pour suivre la baisse. Philippe est déjà à zéro au bout d’un mois. On nous avait dit trois mois, les fameux soixante-douze jours et quelques ; rythmes et réactions bien loin des livres. Et puis m’y voilà à zéro petite bête. Je peux pas faire d’enfant. Alors ça devient bon de pénétrer et de jouer, de couler trois gouttes ou pas. Tellement que tes caresses autrefois interdites (elles me chatouillaient tant) explorent mes cuisses et mon ventre, terrains autrefois défendus. Mon sexe pourtant dur se détend. Ça coule autant qu’avant et c’est pas dangereux. Alors les muscles se détendent, on peut jouer n’importe quand ; plaisir très fort.
Ça me donne envie de jouir plus, de vivre mes fantasmes, de jouir mieux. Et puis quand je ressens beaucoup d’amour pour toi, j’ai envie de te faire un enfant. Alors c’est plus possible : on peut faire autre chose. Pas créer quelque chose qui sort de nous, qui nous survivrait, mais quelque chose de consommable tout de suite, du bonheur entre nous, de l’imperceptible éphémère mais qui fait chaud à la peau et au coeur. D’autant que un peu moins dans la fusion, du fait un peu de cette « coupure », on se perçoit comme pouvant prendre des chemins différents. Il se crée un espace de non production où nos désirs peuvent naître et se conjuguer, un espace de plaisir gratuit, vertigineux par la solitude ressentie, l’absence « d’être » commun, d’enfant possible, « preuve dite tangible » de notre amour, enivrant par ce « sans produit » proche de la mort.
Contracepter, ça m’a fait évacuer cette possibilité de concevoir avec/par l’autre. Ça ne concernait bien sûr concrètement que l’enfant, mais en fait ça me renvoyait à toute ma vie. C’est dans cette période que j’ai commencé une analyse, besoin de ne plus baliser, de laisser aller, d’être faible, de ne plus créer, de ne plus parer à « ce que je dois faire ». C’est aussi pendant cette période que je n’arrive plus à être compétitif , à tenir un rang, professionnellement, affectivement et sexuellement, que je ne suis presque plus jaloux ni désespéré de la valeur de l’autre et de ma nullité. Quelque chose comme ça doit sortir tel que c’est pas définitif et puis ce qui compte le plus c’est : comment c’est pour moi et non : qu’est-ce que ça représente pour l’autre. C’est un peu la découverte de ma créativité, de ma propre fécondance. Ce n’est pas le ventre de la femme qui fait mon enfant. C’est aussi moi l’enfant que je porte, ce que j’y mets, mes désirs qui l’ont conçu. Ça à entraîné un rejet des femmes comme miroir/réceptacle de ce que je suis. La maturation de ma fécondance s’est accompagnée par commencer à apprendre la flûte, faire de la recherche dans mon boulot, aménager ma piaule. Ça je crois que c’est de l’irréversible et c’est bon. La pilule je l’arrête dans une semaine, histoire de voir la remontée. Mais je crois que dans 6 mois je recommencerai. C’est si bon d’avoir le temps et l’espace pour désirer.
FINALEMENT, JE NE PARLERAI PAS DE MOI
Viviane est née en mars 69. J’avais 20 ans, j’étais un tout petit garçon. 18 ans d’éducation bourgeoise et d’écoles catholiques… et puis 68, les yeux ouverts, et puis Jeanne prolo, P.C., ses seize ans face au ciel, un autre monde. Jeanne enceinte ; peut-être c’était trop :  » Je ne comprends pas, je ne savais pas, je ne voulais pas, je n’en veux pas « . Fuite, accablement. Jeanne voulait cet enfant, je n’ai rien fait, rien tenté. Elle a accouché, seule.
Et puis la culpabilité, les années à essayer de construire :  » J’aime Viviane, Viviane est ma fille « . Reconstituer l’amour porté à un enfant, mécanisme, horlogerie, jusqu’à me tromper moi- même.
Je n’ai jamais vécu avec Viviane ; pas un jour. Je n’ai jamais éprouvé de sentiment de paternité envers Viviane. Viviane est vivante. J’essaie (si peu, si maladroitement, si artificiellement), j’essaie d’en tenir compte. Je ne veux pas de mal à Viviane. Mon existence même fait du mal à Viviane. Aurait-il pu en être autrement ????
Puis le temps a passé.
Mon identité sociale qui dérape, plutôt par pressentiment que par analyse, un peu par hasard.
La gerbe de lumière et puis la cicatrice dont je témoigne ici, dont je ne parlerai pas.
D’autres histoires, rien de plus que des histoires. A l’intérieur de ces histoires, toujours les mêmes duels : références traditionnelles de mec, phantasmes ordinaires de mec et désir d’évidence, d’amour, de transparence. Toujours les mêmes angoisses aussi.
Et puis la pilule (pour femmes), la magie. Plus de capotes débandantes, plus d’étranglement de l’instant, plus de faire attention, plus de compte à rebours, de traits rouges accusateurs sur le petit calendrier des éboueurs, plus mon corps étranger, qu’il faut faire obéir. Plus d’éjaculation rageuse, plus d’éjaculation danger, plus d’éjaculation rupture. Pas de problèmes, pas de questions. Bonne conscience ? Bien sûr, mais aussi douceur de l’abandon partagé, qualité de caresses nouvelle, réconciliation des corps, ne pas oublier, ne pas nier ça, nos sexes apprivoisés.
1973, premiers doutes sur la contraception, révolte des femmes.
Expectative, nébuleuse.
Rencontre. Églantine, petite terre violente et écorchée, ses enfants : Sophie, un peu plus d’un an, Julien, quelques semaines. Deux mômes que j’ai choisis, que j’ai aimés (ça ne s’est pas fait en un jour), que j’aime, que je n’ai pas  » faits « , qui sont à jamais gravés dans ma tête, dans mon ventre. Mathieu, leur père. Quel rôle chacun a tenu dans cette histoire ?
Désir d’enracinement à la terre, exploitation agricole à plusieurs. Le groupe n’a pas tenu. Nous sommes repartis. Mathieu aussi, mais pas avec nous.
Et puis deux ans de vie, d’errance aussi, d’amour sourd et profond, de quotidien et de sourire, tendresse obscure. Mais aussi doute, ambiguïté, comment dire les nuances, le temps passé à faire le chemin qui sépare l’un de l’autre, l’identité de chacun…
Retour à Paris. Églantine reprend son travail, je m’occupe des enfants. Désir d’enfant, flou mais sûrement présent. Crèche sauvage, un peu, folle. Les révoltes des femmes m’explosent à la figure. De la révolte au mépris. Horreur d’être homme, d’être moi. J’essaie d’être ce que je veux avant ce que je suis. Pour m’innocenter d’être homme ? Pas seulement, et puis ça ne durera pas.
Rencontre, chandelle, ballet de silence, Alice, merveilleuse et terrible. Vivre ce qui est possible, tout de suite. J’ai cru mes forces décuplées pour entraîner tout ça. Je n’étais que moi- même, elles aussi, avec nos cicatrices, nos zones d’ombres, nos barrières, nos défenses, nos méfiances.
Vie fenêtre fermée. Mouvement, balance, une fois encore. Course poursuite toujours perdue avec le temps. Je ne vis ni ici ni là vraiment, nulle part ailleurs, j’ai un sac et une voiture pour maison.
Mes deux compagnes sont contraceptées, stérilet dans le corps, pas dans la tête. Alice surtout, désir violent d’enfant, et peur de ses 29, 30, 31 ans. Douleurs dans le ventre. Je ne supporte plus cette douleur dont je suis responsable et qui m’est étrangère à la fois. Alice veut enlever le stérilet, avoir un enfant, que cet enfant ait un père. Vertige entre mon désir de  » faire un enfant  » depuis l’origine et l’absurdité du Présent, le chaos de l’éparpillement, de l’espace et des gens.
Décembre l’an dernier. Alice est enceinte avec le stérilet. Cauchemar.
Mais tout devient trop proche, je préfère m’éloigner.
Avortement poignard. A nouveau stérilet… et cette partie de poker peau contre peau avec la peur.
Quelques mois avant ; tant pis pour la chronologie ; regard sur moi-même (rare), besoin de mes semblables, peu de copains, ou peu intimes, ou bien trop loin. Difficultés d’entrer en relation, en résonance avec des mecs. Groupe de bonshommes, existant, cahotant, effiloché, vivant. Découverte : mon discours en écho à d’autres discours, en accord, différent ou contraire mais à partir de nous, de ce qui nous ressemble rassemble. Homophilie, sans fusion ni effusion pour autant. Réconciliation avec un discours féministe aussi ou réajustement, même si cela prend parfois des allures de contradiction. Plus besoin de raser les murs.
Écho de l’existence d’un groupe  » contraception-paternité « . Je tire l’oreille pour y aller. Premier contact, rapports plutôt formels, magnétophone au centre, pilule, papier chiffré, jargon pour initiés. Envie de me tirer. Et puis celui qui fait tout déraper. Paternité ! Les esprits qui s’échauffent, les sensibilités, qui affleurent. D’autres réunions, et peu à peu quelques mots-clés qui me permettent de décoder. Un jour, un microscope, je fais mon spermogramme moi-même. Émotion (riez, riez).
Enfin, c’est maintenant. Rentrée scolaire à la campagne pour Églantine et les enfants. 400 kilomètres nous séparent. Je n’ai pas essayé de les retenir. Qu’avais-je à proposer ? J’ai mal. Peur d’avoir laissé monter le trop tard. Je n’accepte pas. Je hante la maison de Paris, je tisse ma toile autour de leur absence. Je m’écorche les yeux sur les masques figés des photos. Je ne peux renoncer à les aimer, à les toucher, qu’en me détruisant.
J’ai besoin d’ouverture.
Maintenant, c’est aussi ARDECOM. Ça me fait un peu peur côté sécheresse et organisation. Ça me concerne, ça me passionne côté recherche aussi bien dans nos têtes que sur les méthodes contraceptives.
La contraception masculine sera vécue, je crois, comme un partage de la contraception parfois, comme une lutte parfois (peut-être l’amour entre un homme et une femme est toujours une lutte), comme une manière de décider un peu de moi et de le vivre dans mon corps. D’être autonome (je ne dis pas libre) par rapport à mon corps dans le désir d’enfant.
Cela ne résoudra rien pour les femmes, ni la contraception, ou rarement, ni l’avortement, je sais. Je me méfie un peu quand on me lance ça.
Cela ne résoudra rien quant à ma trajectoire, je continue de me heurter aux murs de ma propre cellule.
De quoi suis-je capable ? Avec cette douleur, cette révolte, cette fatigue, cet espoir, cet amour, et puis la mort au bout de chaque geste que je fais. J’ai envie de me battre jusqu’aux cerfs-volants de la tendresse.
LA PATERNITÉ À LA FRANÇAISE
En Occident, père et mère ne sont pas pairs : dans la conception, la grossesse, l’accouchement, la petite enfance de leur rejeton commun, il existe un partage symbolique — et arbitraire — du pouvoir procréatif masculin et féminin, partage qui, comme chacun le sait, fait la part belle à la génitrice.

Interrogeons, pour nous en convaincre, notre langue  » maternelle  » ; le Larousse nous apprend (par omission) que l’instinct paternel n’existe pas, tandis que, bien sûr l’instinct maternel figure en tant qu’institution (inscrit, probablement, dans le code génétique… ). De même, on trouve le verbe  » materner « , mais pas plus M. Larousse que M. Robert ne savent ce que c’est que  » paterner « . Question à 1.000 F maintenant : qu’est-ce qu’un enfant naturel ? Vous avez — nous l’espérons — gagné : c’est (toujours d’après Sa Majesté La Langue) un enfant sans père ! Facile à trouver, certes, mais d’autant plus énorme…

Question  » super-banco « , cette fois : qu’est-ce qu’un homme qui attend ? Vous avez perdu si vous pensez que c’est quelqu’un qui attend l’autobus, une lettre ou un ami ; en revanche, la question est inutile si c’est une femme qui attend : c’est (ce n’est même pas une question à 10 F) une femme enceinte, tout le monde sait ça. Inclinons-nous donc devant le fait linguistique qu’un futur père n’attend rien pendant les neuf mois où sa compagne est enceinte de son enfant. Les anglo-saxons lui reconnaissent pourtant ce statut de futur père qui lui est refusé chez nous : c’est un  » expectant father  » disent les dictionnaires d’Outre-Manche. On pourrait avec profit continuer ce petit jeu pas du tout anodin. Signalons seulement qu’on ne peut pas non plus savoir, chez nous, si un homme attend son premier, deuxième (etc.) enfant ; en revanche, notre vocabulaire possède une subtilité confondante pour la mère : telle peut être primigeste et primipare, primipare et multigeste, multipare, etc. Ce n’est pas du dernier joli, il est vrai, mais cela a le mérite de mettre un nom sur une réalité. Tandis que la paternité, c’est du vent, dirait-on.

La fabrication d’un enfant semble être, dans notre société, une affaire de femmes : le (la) jeune français(e) passe inexorablement de la sage- » femme  » à l’institutrice de l’école  » maternelle  » en passant par mère, grand-mères, tantes, etc. Mais soyons juste tout de même avec notre culture : le père participe de façon non négligeable, même hautement glorieuse, puisqu’il donne son nom à l’enfant : le Nom-du-Père, vous connaissez ?

Drôle de partage, tout de même ; comme si la maternité, c’était du naturel, du concret, du vrai, et la paternité, de l’abstrait, du symbolique, de la loi. Et quelles drôles de questions est-on amené à se poser à partir de là…  » To make a long story short « , disons seulement ceci : il importe de comprendre la distinction nécessaire qu’il y a lieu de pratiquer entre le fait de la division sexuelle (l’homme, porteur de sperme ; la femme, porteuse d’utérus), et les modalités selon lesquelles les différentes tâches de la parentalité sont artificiellement et symboliquement imparties à l’un et l’autre sexe.

Notre société, dans son discours sur le  » maternage « , privilégie implicitement des moments qu’elle considère essentiellement féminins : grossesse, accouchement, relations mère/bébé, le père tenant un rôle secondaire pendant cette période. Il suffit, pour s’en convaincre, de parcourir les multiples ouvrages de puériculture et de conseils aux parents.

Mais c’est là où l’idéologie montre le bout de l’oreille… L’étude d’autres cultures fait apparaître en effet que d’autres moments que grossesse, accouchement, allaitement, peuvent aussi bien être privilégiés ; également qu’un autre vécu de ces mêmes moments peut aussi être  » proposé  » par telle ou telle civilisation aux pères. L’analyse des phénomènes de couvade, que l’on rencontre partout, et ce depuis des siècles, en constitue une preuve tangible. connaître ces modèles différents de comportements paternels démontre à quel point les idées reçues dans ce domaine constituent un écran idéologique qui se superpose à la réalité physiologique.

C’est ainsi que, selon les cultures, on trouve de véritables  » théories de la conception  » : tantôt on pense que la femme, pendant la grossesse, n’a qu’un simple rôle d’hôtel, le père, lui, faisant fonction de restaurant (en nourrissant le foetus par son sperme), tantôt l’on pense que les deux parents participent à la croissance du bébé in utero (la mère fonctionnant, pourrait-on dire, en hôtel-restaurant demi-pension), tantôt enfin — comme en Occident par exemple — le dogme officiel est que la mère fait office d’hôtel-restaurant en pension complète… (le père n’ayant pendant cette période qu’un rôle de bon gros toutou protecteur).

On repère cet arbitraire — qui est le propre de toute culture — tout au long du processus de l’enfantement ; à l’accouchement, pendant l’allaitement, au niveau des différents apprentissages de l’enfant, etc.
Il est, nous semble-t-il, de l’intérêt des deux sexes, des deux parents, mais aussi de l’enfant, que l’on démythifie ces images fantasmatiques et culturelles de la parentalité. Après tout, un enfant ne se fait-il pas — en France comme ailleurs — à deux ? Mais il n’est pire sourd que celui qui ne veut entendre, et notre société est dure d’oreille, aveugle, et quelque peu muette quand il s’agit de paternité.

Par Geneviève Delaisi de Parseval, mère-pair en gestation d’une oeuvre sur les fantasmes paternels (à accoucher), co-mère (avec une autre femme) de Allons, enfants de la puériculture.

PAS D’ENFANTS

Je ne veux pas d’enfants,
/ Pas de fruits à mon arbre,
/ A mon chêne pas de glands,/
 A mes joues pas de barbe.

/ Je ne veux pas d’enfants/ 
Pour consoler ma mort,/ 
Pas de petits mutants,/ 
Pas de petits médors.

/ Je ne veux pas d’enfants/ 
Qui sèchent au tableau noir,/ 
A la guerre de cent ans,/ 
Au fond d’un réfectoire.

/ Pas d’enfants aux curés, aux gradés, aux grognasses,/ 
Pas d’enfants au piquet ou premier de la classe.

/ Je ne veux pas d’enfants,
/ Qui pleure ou qui babille,/ 
Et dont on est fier quand/ 
Il fait souffrir les filles.

/ Je ne veux pas d’enfants/ 
Pour réussir mes rêves,/ 
Les rêves des parents/ 
Qui s’étiolent et qui crèvent.

/ Je ne veux pas d’enfants
/ Qu’on s’épingle en médailles, 
Qu’on arbore clinquant/ 
Bien avant la bataille.

/ Je ne veux pas d’enfants/ 
Pour la paix des ménages,/ 
Petits témoins tremblants/ 
Des couples en naufrage.

/ Je ne veux pas d’enfants,/ 
Je ne suis pas normal/ 
De déserter les rangs 
du troupeau génital./ 

C’est comme si j’étais nègre, gauchiste ou non violent,/ 
Enfin, de cette pègre qui fait peur aux parents.

/ Je ne veux pas d’enfants,/ 
Je le gueule à la face/ 
De ce monde des grands,/ 
Assassins et rapaces.

/ Pas d’enfants pour vos guerres, vous les ferez sans lui./ 
Dans le sein de sa mère il objecte sa vie.

Henri Tachan

Vade retro spermato, le site

Page d’accueil du site Vade retro spermato

Dès la fin des années 70, dans plusieurs villes de France, des hommes réagissent aux questions soulevées par le féminisme sur le rôle respectif des sexes dans la société, dans la famille et dans le couple. Plutôt jeunes, entre vingt et trente cinq ans pour la plupart, ces hommes issus de tous les milieux sociaux reprennent à leur compte dans leur vie quotidienne les remises en cause profondes des comportements traditionnels, notamment dans les rapports de sexes. Nombre d’entre eux vivent en couple et se posent la question de pouvoir assumer leur contraception.

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Constitués en groupes de paroles, ils en viennent à explorer concrètement les pistes d’une contraception masculine possible. La plupart des groupes s’orientent vers une contraception hormonale. Ils mettent au point, dans un contexte de suivi scientifique et médical rigoureux, une série de méthodes qui s’avèrent opérationnelles. Ces hommes utiliseront pendant plusieurs années ces méthodes qui préfigurent celles mises en place actuellement.

À Toulouse plus particulièrement, le groupe qui se forme orientera son travail collectif dans une direction inédite. Après quelques essais, ils s’intéressent à un domaine peu exploré, la contraception par la chaleur. Plusieurs d’entre eux vont au fil des ans utiliser, avec succès, la méthode qu’ils ont conçue.

Au-delà de la question de la contraception, les hommes de ces groupes, tous ceux qui ont participé à ce grand mouvement national, ont connu une expérience unique de liberté de paroles par rapport à eux-mêmes, brisant le silence spécifique de leur genre sur la sexualité, contribuant ainsi à changer fondamentalement leur rapport aux femmes et aux autres hommes.

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Mais la fin des années 80 est marquée par le non-renouvellement des forces militantes. Les groupes issus d’ARDECOM n’échappent pas à cette page qui se tourne.

Le silence est désormais retombé sur ces remises en question, dans une période d’appauvrissement et de nivellement idéologique sans précédent.

Le film, au delà du témoignage de ces hommes qui ont participé à une aventure méconnue et hors du commun, fait le point sur l’état actuel d’une contraception masculine qui existe, en fait, et qui est maintenue artificiellement à l’état expérimental, des différentes pistes dans ce domaine dégagées à l’époque aux pratiques actuelles qui fonctionnent, avec des andrologues qui ont suivi l’évolution de ces pratiques depuis trente ans.

Voir le site : vaderetrospermato.wordpress.com

Anarchisme, féminisme et la transformation du personnel

Anarchisme, féminisme et la transformation du personnel

Voici une brochure tirée d’une intervention de Léo Thiers-Vidal. Note de l’auteur : « Texte d’une conférence donnée au Centre anarchiste de Gand (Belgique) en novembre 1996. J’ai choisi de publier ce texte après l’écho positif qu’il a reçu dans le milieu anarchiste, lors de cette conférence et sa publication en Belgique et aux Pays-bas. Depuis, j’ai développé une plus grande conscience de genre, donnant un poids plus important à ma place de dominant dans une société patriarcale. »

« Avant de parler des thèmes concrets et des questions de cette soirée, je veux esquisser un cadre au sein duquel ces questionnements ont leur place. Il s’agit clairement d’un cadre anarchiste, antiautoritaire. Cela veut dire qu’il s’agit en premier lieu d’une approche politique de certains problèmes personnels et sociaux. Des problèmes qui demandent une réponse politique, même s’il peut s’agir de problèmes très personnels comme la sexualité, l’orientation sexuelle, l’identité sexuelle ou la jalousie. Je veux absolument éviter que ce genre de questionnements soit traité de façon uniquement personnelle ou thérapeutique sans tenir compte des déterminants sociaux, économiques et politiques de ces façons de vivre et des fonctions sociales, économiques et politiques qu’ont ces modèles de vie. » La suite par ici : anarchismefeminisme – copie