Le réalisateur du film « Vade retro spermato » à Radio Zinzine

En février 2013, à l’occasion de projections de son film Vade retro spermato à Forcalquier et Reillanne (Alpes de haute Provence, organisation Agate, armoise et salamandre), Philippe Lignières est intervenu à Radio Zinzine. Une émission sur la contraception masculine (et surtout le « remonte-couilles toulousain ») à écouter ici :

Les essais de contraception masculine par la chaleur

Les essais de contraception masculine par la chaleur, par R. Mieusset

Centre de Stérilité Masculine, Médecine de la Reproduction, Hôpital Paule de Viguier, CHU de Toulouse, 330 avenue de Grande-Bretagne, TSA 70034, Toulouse cedex 9
Groupe de recherche en fertilité humaine (EA 3694), Université de Toulouse.

A ce jour, trois études d’efficacité contraceptive ont été réalisées dans lesquelles la méthode utilisée consistait à augmenter la température des testicules. Dans tous les cas, la température atteinte par les testicules restait inférieure à la température corporelle des individus ; le corollaire d’une telle méthode est la nécessité d’une utilisation quotidienne au moins pendant les heures d’éveil. Après avoir brièvement décrit les travaux préalables qui ont permis ces études, elles sont décrites dans le présent article en suivant l’année de publication.

Travaux antérieurs aux essais de contraception masculine par la chaleur

L’utilisation de la chaleur comme méthode de contraception masculine repose sur deux caractéristiques. La température des testicules est inférieure à celle du corps, et cette valeur plus basse de la température testiculaire est une condition nécessaire, mais non suffisante, à une spermatogenèse normale. Deux mécanismes contribuent à établir et maintenir ce bas niveau de température : un échange de chaleur à contre courant entre le sang artériel arrivant au testicule et le sang veineux quittant le testicule ; et le scrotum qui assure, entre autres, une basse température du sang veineux quittant le testicule par des transferts de chaleur du testicule vers l’extérieur. Ces mécanismes de thermorégulation du testicule sont cependant limités ; ils peuvent être débordés, par exemple en cas de forte élévation de la température ambiante ou corporelle (fièvre). Ces connaissances sont issues de nombreuses expérimentations chez l’animal et d’un plus petit nombre chez l’homme. Chez ce dernier, les données principales des travaux peuvent être résumées comme suit.
D’une part, la température des testicules qui permet une spermatogenèse normale est de 2 à 4°C inférieure à la température du corps [voir les revues (1-3)]. D’autre part, plusieurs études ont été menées pour évaluer l’effet sur la production de spermatozoïdes d’une augmentation de la température des testicules, selon trois approches.

Température corporelle

Une élévation induite de la température corporelle, une seule fois ou répétée (cabine de fièvreà 43°C, sauna à 77-90°C), a été réalisée dans trois études (4-6). Elles rapportent une diminution du nombre de spermatozoïdes retrouvés dans l’éjaculat entre les 1ère et 9ème semaines (sem) suivantes. Puis, dans tous les cas, survient une récupération aux valeurs de départ entre la 8ème et la 11ème sem après l’arrêt.

Température scrotale

Une élévation de forte intensité (38 à 46°C) de la température scrotale a été induite, pendant 30 minutes par jour une seule fois ou répétée, dans trois études (7-9). Elles montrent que la production de spermatozoïdes est réduite dans tous les cas, entre la 2nde et la 11ème sem selon les études, suivie d’une récupération entre la 9ème et la 13ème sem après l’arrêt. Une élévation de faible intensité (+ 0,8°C) de la température scrotale a été induite par isolation thermique du scrotum, pendant les heures d’éveil et répétée quotidiennement sur 6 à 10 semaines, dans une seule étude (10). Elle montre qu’une élévation de faible intensité de la température scrotale a le même effet sur la production quantitative de spermatozoïdes qu’une élévation de forte intensité de la température scrotale, à condition que la durée d’exposition soit suffisamment longue (16h/jour) et répétée quotidiennement (6 semaines au moins dans cette étude). Cette élévation de faible intensité de la température scrotale entraîne une chute de la production de spermatozoïdes de la 2nde à la 11ème sem et une récupération 11 sem aprèsl’arrêt. L’intensité de la chute est comparable à celle observée en cas d’exposition unique à une élévation de la température générale du corps de 3°C (4), mais supérieure à celles obtenues pour une élévation de la température corporelle d’environ 1°C, qu’elle soit uniquen(6) ou répétée (5). Enfin, en dehors de la réduction du nombre de spermatozoïdes, une élévation induite de la température entraîne aussi une réduction du pourcentage de spermatozoïdes mobiles (7) et une augmentation du pourcentage de spermatozoïdes de morphologie anormale (5-7). En résumé, la connaissance de la thermodépendance de la spermatogenèse chez l’homme apparaît en 1941 (4), et va être affirmée expérimentalement par les études menées principalement entre 1959 (7) et 1968 (11). Et certains auteurs concluaient déjà leurs travaux par la possibilité d’utiliser de cette élévation de la température comme méthode de contraception masculine (7,8,11)). Pourtant, la première publication rapportant l’effet contraceptif de la chaleur chez l’homme date de 1991. Tester l’efficacité contraceptive d’une augmentation de la température des testicules ou du scrotum arrive ainsi 25 ans après que des études aient démontré une réduction de la production de spermatozoïdes par une élévation
induite de la température des testicules.

Efficacité contraceptive de la ‘suspension’ des testicules

En 1991, Ahmed Shafik (12) rapporte la première étude d’efficacité contraceptive de la chaleur chez l’homme.

Rationnel

Dans une étude préalable chez le chien, les auteurs ont déplacé et fixé les testicules dans la poche inguinale superficielle pendant un an : 80% des chiens sont devenus azoospermes au bout d’un an, le taux de testostérone sanguine a chuté de façon significative et aucune femelle n’a été pleine. Trois mois après le rétablissement des testicules en position normale, les paramètres spermatiques et la testostérone sanguine se sont normalisés et les accouplements ont donnés lieux à des grossesses (12).

Matériel et Méthodes

Hommes : 28 volontaires (36-43ans) ayant tous eu des enfants (5 à 8) ; aucun problème de santé ; examen clinique normal. Bilan andrologique (hormones reproductives et paramètres spermatiques) normal.

Méthodes : l’auteur qualifie sa méthode de ‘suspension’ : les testicules sont déplacés du scrotum dans la poche inguinale superficielle. Les testicules sont maintenus 24h/jour pendant un an dans cette position par deux techniques différentes, la suspension par suture ou par balle. Un contrôle de la position des testicules est fait tous les 15 jours.

· suspension par suture (n = 15 hommes) : en ambulatoire et sous anesthésie locale, chacun des testicules est fixé chirurgicalement dans la poche inguinale superficielle correspondante par 2 ou 3 points entre peau et tunique du testicule (albuginée). Un suspensoir est porté pendant 3 semaines et les points enlevés 2 semaines après leur
pose. Au bout d’un an, la suspension est supprimée : en ambulatoire et sous anesthésie locale, une incision scrotale de 1 à 1,5 cm permet de disséquer les adhérences qui se
sont faites entre testicule et peau scrotale.

· suspension par balle (n = 13 hommes) : un suspensoir en tissu inextensible est réalisé : il comprend deux compartiments, chacun contenant une balle fixée au fond. Le suspensoir, ses compartiments et la taille des balles (correspondant à celle des testicules) sont spécifiquement adaptés à l’anatomie et au confort de chaque homme. Le suspensoir ainsi constitué est ensuite mis en place, ce qui entraîne un refoulement des testicules vers le col du scrotum ; les testicules sont alors manuellement glissés dans la poche inguinale superficielle par l’homme et maintenus dans cette localisation par les balles sous-jacentes. Chacun des hommes apprend comment mettre en place par lui-même ce système. Les examens de sperme sont réalisés tous les 15 jours pendant la période de suspension, puis mensuellement après l’arrêt de la suspension pendant un an ou jusqu’au retour à la normale. Les rapports sexuels ont été interdits pendant les 3 premiers mois de la suspension puis autorisés.

Résultats

Aucun homme n’est sorti de l’étude. Aucune complication n’est apparue au cours de l’étude. Toutefois, des douleurs testiculaires sont survenues pendant quelques jours après la fixation chirurgicale, et la technique de suspension par balle a été mieux tolérée que celle par fixation chirurgicale. En dehors des ces faits, aucune des deux techniques n’a induit un quelconque autre retentissement sur la santé, le confort, l’activité ou la sexualité des hommes. Aucun traumatisme scrotal n’est survenu au cours de l’année chez les hommes du groupe suspension chirurgicale. Durant l’année, les hommes du groupe suspension par balle ont utilisé 3 à 6 suspensoirs.

Concentration de spermatozoïdes

Pendant la période de suspension : la concentration de spermatozoïdes diminue graduellement à partir du 2ème au 3ème mois après le début de la suspension : à 3 mois, 14% des hommes ont entre 2 et 10 millions/ml et 86% entre 11 et 20 millions/ml; à 6 mois, 14% des hommes sont azoospermes, 36% ont entre 0 et 1 millions/ml et 50% entre 2 et 10 millions/ml. A la fin de la période de 12 mois de suspension, 19/28 hommes (68%) sont azoospermes (11/15 du groupe fixation chirurgicale, 8/13 du groupe suspension par balle) et 9/28 (32%) ont moins de 10 millions/ml (sans précision supplémentaire). La diminution de la concentration de spermatozoïdes est identique dans les deux groupes. Après l’arrêt de la suspension, la concentration de spermatozoïdes augmente peu à peu, de telle sorte qu’à 3 mois elle est de 10 à 20 millions/ml chez 10 hommes, de 21 à 40 millions/ml chez 12 et supérieure à 40 millions/ml chez les 6 derniers. A 6 mois après l’arrêt de la
suspension, 20 hommes (71%) ont entre 40 et 60 millions/ml et 8 plus de 60 millions/ml, ces valeurs à 6 mois se maintenant jusqu’à la fin des 12 mois de suivi après l’arrêt de la suspension. Il est à noter que l’augmentation de la concentration de spermatozoïdes survient plutôt et est significativement plus importante dans le groupe à suspension par balle que par fixation chirurgicale.

Mobilité des spermatozoïdes

Pendant la période de suspension, le pourcentage de spermatozoïdes mobiles, supérieur à 70% au départ (normale définie dans cette étude), est diminué : il est de 22 à 36% à 3 mois et de 8 à 18% à la fin des 12 mois de suspension. La diminution de ce pourcentage semble de moindre importance dans le groupe à suspension par balle. Après l’arrêt de la suspension, le pourcentage de spermatozoïdes mobiles augmente progressivement et revient à la valeur de départ à 3 mois pour 18 hommes (64%), à 6 mois pour 8 (29%) et à 9 mois pour les 2 derniers (7%). La récupération d’un pourcentage normalde spermatozoïdes mobiles semble survenir plus rapidement dans le groupe à suspension par balle que par fixation chirurgicale.

Morphologie des spermatozoïdes

Un pourcentage normal de spermatozoïdes de forme normale est défini comme inférieur à 40% de spermatozoïdes de formes anormales. Le pourcentage de spermatozoïdes de formes anormales augmente à partir de la 4ème semaine de suspension : il est de 66 à 78% à 3 mois etde 83 à 92% à la fin des 12 mois de suspension.Après l’arrêt de la suspension, ce pourcentage diminue peu à peu et tous les hommes retrouvent un pourcentage normal de spermatozoïdes de forme normale à 6 mois.

Grossesse

Pendant la période de port du suspensoir, les rapports sexuels ont été autorisés 3 mois après le début de la suspension chez l’homme. Des tests mensuels de grossesse ont alors été réalisés jusqu’à la fin de la période de port du suspensoir : aucune grossesse n’est survenue pendant les 9 derniers mois de la période de suspension. Après l’arrêt du port du suspensoir, 19 femmes ont acceptées d’être enceintes, 11 dont l’homme appartient au groupe à suspension par fixation chirurgicale et 8 au groupe par balle. Des tests mensuels de grossesse ont été réalisés et arrêtés quand la grossesse a été obtenue ; une surveillance clinique et échographique mensuelle a ensuite été faite pour dépister toute anomalie du développement foetal. Après l’accouchement, les nouveaux-nés ont subis un examen clinique et échographique pour les mêmes raisons. Les 19 femmes ont été enceintes : 6 dans les 4 à 6 mois après arrêt de la suspension (2 du groupe à suspension par fixation chirurgicale et 4 du groupe par balle), et 13 dans les 7 à 14 mois après arrêt de la suspension. Les grossesses sont survenues plus rapidement dans le groupe à suspension par balle que par fixation chirurgicale. Aucune anomalie échographique n’a été dépistée au cours des grossesses. Aucune malformation n’a été retrouvée après la naissance. Il n’y a eu aucune fausse-couche spontanée.

Autres paramètres

Volume des testicules. Pendant la période de port du suspensoir, le volume testiculaire moyen est diminué d’environ 20% à 6 mois et d’environ 37% à 12 mois. Après l’arrêt de la suspension, le volume augmente graduellement pour atteindre, à 12 mois, 88 à 100% du volume avant suspension.

Hormones reproductives. A partie du 3ème mois de suspension, les taux sanguins sont significativement diminués pour la testostérone, augmentés pour la prolactine, et non modifiés pour FSH et LH par rapport aux taux avant suspension, sans différence entre les deux modes de suspension. Après arrêt de la suspension, tous les taux hormonaux sont normalisés au 3ème mois et le restent au 12ème mois.

Résumé des effets en termes de spermatogenèse et de grossesse

Cette méthode de suspension nuit et jour en continu pendant 12 mois, montre qu’à 12 mois 68% des hommes sont devenus azoospermes et 32% présentent une oligo-athénospermie sévère (moins de 10 millions/ml, sans précision supplémentaire ; 8 à 18% de spermatozoïdes mobiles), associée à une augmentation marquée du pourcentage de spermatozoïdes de formes anormales. Sont associées à cette altération de la spermatogenèse une réduction de 37% du volume testiculaire à 12 mois, ainsi qu’une diminution de la testostéronémie et une augmentation de la prolactinémie dès le 3ème mois. Après arrêt de la suspension, tous les hommes ont retrouvés des valeurs normales de la concentration de spz/ml au 6ème mois (supérieures à 40 millions/ml); aucune donnée précise ne permet de savoir à quel moment les hommes retrouvent leur valeur de départ. Le pourcentage de spermatozoïdes mobiles revient à sa valeur de départ entre 3 (64% des hommes) et 9 mois (7%). Tous les hommes retrouvent un pourcentage normal de spermatozoïdes de forme normale à 6 mois. A 12 mois, le volume testiculaire atteint 88 à 100% de sa valeur avant suspension. Tous les taux hormonaux sont normalisés au 3ème mois et le restent au 12ème mois. Aucune grossesse n’est survenue chez les partenaires des 28 hommes exposées au risque de grossesse à partir du 3ème mois de la période de suspension, soit pendant 252 cycles. Après l’arrêt de la suspension, une grossesse souhaitée chez 19 des 28 couples est survenue chez un tiers des femmes dans les 4 à 6 mois et dans les 7 à 14 mois chez les autres. Aucune fausse couche spontanée n’est survenue, tous les enfants sont nés vivants et aucune anomalie n’a été constatée.

Efficacité contraceptive du port d’un sous-vêtement constitué en partie de polyester

En 1992, Ahmed Shafik publie une seconde étude sur l’efficacité contraceptive de la chaleur, en utilisant une technique particulière d’isolation scrotale (13).

Rationnel

Des études chez le chien ont monté que le port d’un sous-vêtement en polyester induisait une réduction de la concentration de spermatozoïdes qui était réversible après l’arrêt du port de ce type de sous-vêtement. Aucun effet n’a été observé chez les chiens portant un sous-vêtement en coton (13). Chez l’homme, le port d’un sous-vêtement fait d’un tissu en polyester génère des charges électrostatiques qui créent un ‘champ électrostatique’ qui traverse le scrotum et semble affecter les testicules et/ou les épididymes. Dans une étude sur 18 mois incluant 33 hommes, les résultats sont les suivants :

· Chez les 11 hommes portant un sous-vêtement en polyester, quatre ont eu une diminution de la concentration de spermatozoïdes au 14ème mois, avec un retour à la
normale après arrêt du port du sous-vêtement.
· Chez les 11 hommes portant un sous-vêtement en coton et polyester, un seul a eu une diminution de la concentration de spermatozoïdes au 16ème mois, avec un retour à la normale après arrêt du port du sous-vêtement.
· Chez les 11 hommes portant un sous-vêtement en coton, aucune modification de la concentration de spermatozoïdes n’est survenue.

L’auteur conclut de ces études préliminaires que le sous-vêtement en polyester induit une diminution de la spermatogenèse (13).

Matériel et Méthodes

Hommes : 14 volontaires (32-47ans) ayant tous eu des enfants (3 à 7) ; aucun problème de santé ; examen clinique normal. Bilan andrologique (hormones reproductives et paramètres spermatiques) normal.
Méthode : un suspensoir en polyester est confectionné spécifiquement à l’anatomie de chacun des hommes. Mis en place, le suspensoir renferme le scrotum ; le suspensoir est fixé à une ceinture ; la ceinture est positionnée de telle sorte que les testicules soient tirés vers le haut et ainsi rapprochés de l’abdomen. Le pénis est à l’extérieur du suspensoir. Chacun des hommes apprend comment mettre en place par lui-même ce système. Le suspensoir est porté nuit et jour en continu pendant 12 mois. Pendant la période du port du suspensoir, les examens de sperme sont réalisés tous les 15 jours. Les partenaires de ces hommes arrêtent toute contraception après qu’une azoospermie ait été constatée sur 3 examens de sperme successifs. Après l’arrêt du port du suspensoir, les examens de sperme sont mensuels pendant un an ou jusqu’au retour à la normale.

Résultats

Aucun homme n’est sorti de l’étude. Aucune complication ou réaction n’est survenue pendant le port du sous-vêtement.
Sperme : tous les hommes sont devenus azoospermes. Le troisième examen de sperme azoospermique est survenu entre 120 et 160 jours après le début du port du suspensoir. L’azoospermie perdure ensuite jusqu’à la fin de la période de port du suspensoir. Après l’arrêt du port du suspensoir, la concentration de spermatozoïdes revient à la normale (supérieure à 20 millions/ml) chez tous les hommes en 90 à 120 jours, et les valeurs de départ sont
retrouvées en 140 à 170 jours.
Grossesse : aucune grossesse n’est survenue pendant la période de port du suspensoir. Après l’arrêt du port du suspensoir, une grossesse souhaitée chez cinq des 14 couples est survenue avec 4 enfants nés vivants et une fausse-couche spontanée.
Autres paramètres : le volume testiculaire moyen est diminué d’environ 15% à 3 mois de port du suspensoir ; la récupération d’un volume testiculaire identique à celui de départ est observé entre 75 et 135 jours après l’arrêt du suspensoir. Aucune modification des taux sanguins des hormones reproductives (FSH, LH, testostérone) n’a été retrouvée quelle que soit la période.

Résumé des effets en termes de spermatogenèse et de grossesse

Pendant la période du port du suspensoir, nuit et jour en continu pendant 12 mois, tous les hommes sont devenus azoospermes. La contraception a été définie comme l’existence d’une azoospermie sur 3 examens de sperme successifs (à 15 jours d’intervalle). Ceci survient en 120 à 160 jours après le début et perdure ensuite jusqu’à la fin de la période de port du suspensoir. Après l’arrêt du port du suspensoir, la concentration de spermatozoïdes revient à la normale (supérieure à 20 millions/ml) chez tous les hommes en 90 à 120 jours, et les valeurs de départ sont retrouvées en 140 à 170 jours. La baisse d’environ 15% du volume testiculaire moyen observée après 3 mois de suspensoir est récupérée en 75 à 135 jours après l’arrêt du port. Aucune grossesse n’est survenue chez les partenaires des 14 hommes pendant les 126 cycles d’exposition. Une grossesse souhaitée chez cinq des 14 couples est survenue chez tous avec 4 enfants nés vivants et une fausse-couche spontanée.

Efficacité contraceptive de la remontée des testicules pendant les heures d’éveil

En 1994, Mieusset et Bujan (14) rapportent l’efficacité contraceptive de la remontée manuelle des testicules pendant les heures d’éveil (diurne). La technique employée consiste en l’induction d’une élévation de la température des testicules et des épididymes, sans augmentation de la température du scrotum, en utilisant la température du corps comme source de chaleur.

Rationnel

Chez l’homme l’induction d’une élévation de la température du corps ou du scrotum entraîne une réduction de la production de spermatozoïdes et leur mobilité. Le but recherché était une technique d’utilisation suffisamment souple pour ne pas interférer sur la vie quotidienne des utilisateurs. L’élévation de la température corporelle (4-6) fut exclue, de même l’élévation de forte intensité de la température scrotale (7,8). Le choix se porta plutôt sur une élévation de faible intensité de la température, mais maintenue sur une longue durée quotidienne et répétée chaque jour, comme dans l’étude d’isolation thermique du scrotum de Robinson & Rock (10) dans laquelle les auteurs concluaient qu’une élévation de 1°C de la température scrotale pourrait être utilisée comme méthode de contraception masculine. Toutefois, cette faible
élévation de la température scrotale (+ 0,8°C) par isolation du scrotum avait un effet inhibiteur sur la production de spermatozoïdes qui dépassait difficilement 80% au bout de 10 semaines d’utilisation. Avoir un effet inhibiteur plus important nécessitait une augmentation plus importante de la température scrotale, ce qui nécessitait une source de chaleur extérieure. Cependant, chez différentes espèces animales, deux expérimentations princeps avaient démontré la thermodépendance de la spermatogenèse: dans la première, une cryptorchidie est induite chirurgicalement chez un animal adulte dont les testicules étaient normalement descendus dans le scrotum à la naissance ; cette cryptorchidie artificielle entraînait une altération de la spermatogenèse, avec un retour à une spermatogenèse normale après avoir remis les testicules dans le scrotum (15). Dans la seconde expérimentation, le refroidissement local des testicules congénitalement cryptorchides permet une spermatogenèse normale (16). Par ailleurs, une étude chez l’homme (17) rapportait que la température du canal inguinal chez l’homme était supérieure à celle de la cavité scrotale dans laquelle sont normalement les testicules. De ces données et des discussions qui eurent lieu au début des années 1980 dans un groupe d’hommes en recherche d’une contraception masculine (GARCOM) autre que le retrait et le préservatif, est née une méthode caractérisée par l’utilisation du corps comme source de chaleur pour élever la température des testicules en amenant ces derniers du scrotum à proximité de l’orifice externe du canal inguinal. Différents noms furent attribués à cette méthode : ‘remonte-couilles toulousain’, ‘slip chauffant’, ‘cryptorchide artificielle’. Pour enrichir ces expressions imagées, nous le nommerons plus physiologiquement dans le présent article ‘remontée des testicules’. En effet,chaque testicule est ‘remonté’ manuellement du scrotum à la racine de la verge, près de l’orifice externe du canal inguinal ; les testicules sont maintenus dans cette position pendant les heures d’éveil, au moyen de différentes techniques qui seront évoqués plus loin. Dans une première étape, une expérimentation a été réalisée par les hommes du Groupe d’Action et de Recherche en Contraception Masculine (GARCOM), puis avec d’autres volontaires ensuite, pour évaluer l’effet de cette technique sur la spermatogenèse. Plusieurs publications ont été faites sur ces travaux (18-20) dont les résultats ont montré une inhibition de la spermatogenèse jugée suffisante pour qu’un certains nombre de ces hommes se lancent dans une utilisation contraceptive. Hormis un financement de l’auteur par l’INSERM (CRE Inserm 854017), cette étude a été rendue possible par la prise en charge des coûts des analyses de sperme par la Caisse Primaire d’Assurance Maladie de la Haute Garonne, séduite par le projet. Ces hommes du GARCOM constituèrent les premiers volontaires pour tester l’effet d’une telle méthode sur la spermatogenèse, puis pour un nombre plus restreint de poursuivre par une évaluation contraceptive dont les résultats publiés (14) ainsi que des données non publiées sont rapportés ci-après.

Matériel et Méthodes

Hommes : 9 hommes volontaires (23-34 ans) dont 3 ont eu au moins un enfant, 5 un antécédent d’interruption volontaire de grossesse, et le dernier ni l’un ni l’autre ; aucun
problème de santé ; examen clinique normal. Paramètres spermatiques dans la normale.
Méthodes : chaque testicule est ‘remonté’ manuellement du scrotum à la racine de la verge, près de l’orifice externe du canal inguinal. L’élévation de la température des testicules amenés à la racine de la verge (près de l’orifice externe du canal inguinal) est estimée être d’environ 1,5-2°C, comme décrit par Kitayama (17) et confirmé ensuite par Shafik (12) qui rapporte une augmentation moyenne de 1,8 °C de la température des testicules après la remontée des testicules par rapport à leur position scrotale. Les testicules sont maintenus dans cette position pendant les heures d’éveil, soit 15 h/j, sur des durées allant de 7 à 49 mois. Le maintien des testicules dans leur localisation à la racine de la verge est obtenu au moyen de deux techniques.

· Technique 1 (n = 3 hommes) : le maintien des testicules est assuré au moyen d’un sous-vêtement ajusté en coton, dans lequel un orifice est créé au niveau de la racine de la verge. Par cet orifice, l’homme fait passer sa verge puis la peau scrotale, ce qui amène une ascension des testicules dans la position souhaitée. Chacun des hommes apprend comment mettre en place par lui-même ce système. Ce groupe fait partie des 14 hommes volontaires d’une première expérimentation sur 6 à 12 mois ; cette technique induit une réduction du nombre, de la mobilité et des formes normales des spermatozoïdes : entre le 6ème et le 12ème mois, la concentration moyenne de
spermatozoïdes est comprise entre 3 et 10 millions/ml et la concentration moyenne de spermatozoïdes mobiles entre 1 et 3 millions/ml (18,19).
· Technique 2 (n = 6 hommes) : comme la technique 1 n’assurait pas le maintien constant des testicules dans la localisation souhaitée chez tous les hommes, et ne permettait pas de réduire la concentration et la mobilité des spermatozoïdes à des valeurs compatibles avec une contraception masculine, un anneau de caoutchouc souple a soit été rajouté autour de l’orifice du sous-vêtement, soit porté seul au moyen de bandelettes de fixation. Chacun des hommes apprend comment mettre en place par lui-même ce système adapté à l’anatomie de chacun. Ce groupe fait partie des 6 hommes volontaires d’une deuxième expérimentation sur 6 à 24 mois ; cette seconde technique a un effet plus marqué sur la spermatogenèse que la technique 1, avec une réduction moyenne du nombre total de spermatozoïdes mobiles d’au moins 97% après 2 mois : après le 3ème mois, la concentration moyenne de spermatozoïdes mobiles est inférieure ou égale à 1 millions/ml (20).

Les examens de sperme sont mensuels. Les partenaires de ces hommes arrêtent toute contraception après qu’une concentration de spermatozoïdes mobiles inférieure à 1 million/ml ait été constatée sur 2 examens de sperme successifs réalisés à 3 semaines d’intervalle. Après l’arrêt de la remontée des testicules, les examens de sperme sont mensuels jusqu’au retour à la normale. Aucune donnée n’est rapportée dans l’étude concernant les hormones reproductives. Le volume testiculaire est calculé à partir des mesures réalisées au pied à coulisse.

Résultats

Deux hommes sont sortis de l’étude pour des raisons précisées plus loin. Aucune autre complication ou réaction n’est survenue pendant l’étude. Aucune modification de la libido ou de la sexualité n’a été rapportée. Les volumes testiculaires sont réduits en moyenne de 30% (25-40%) à la fin de la période de remontée des testicules, et reviennent à leur valeur initiale dans les 6 à 12 mois après l’arrêt de la période contraceptive.
Sperme
Les résultats sont exprimés en concentration de spermatozoïdes mobiles par ml (concentration de spermatozoïdes/ml multipliée par le pourcentage de spermatozoïdes mobiles).
Technique 1
La période contraceptive a débuté en moyenne 11 mois (7 à 15 mois) après le début du chauffage pour les 3 hommes. La durée de la période contraceptive a été respectivement de 5, 27 et 8 mois. Pendant cette période contraceptive, la concentration de spermatozoïdes mobiles a été en moyenne de 1,87 millions/ml (extrêmes : 0 à 7,4) ; une concentration de spermatozoïdes mobiles inférieure à 1 million/ml a été observée sur 41% des examens de sperme réalisés et aucune azoospermie n’a été observée. Après l’arrêt de la remontée des testicules, la concentration moyenne de spermatozoïdes mobiles était de 51,2 ± 39,5 millions entre 0 et 6 mois et de 98,7 ± 39,7 millions entre 7 et 18 mois, pour 50,2 ± 10 millions avant le chauffage.
Technique 2
La période contraceptive a débuté en moyenne 3,5 mois après le début du chauffage (2 à 3 mois pour 5 des hommes, 9 mois pour le sixième). La durée de la période contraceptive a été de 4 à 46 mois. Pendant cette période, la concentration moyenne de spermatozoïdes mobiles a été de 0,12 millions/ml (extrêmes : 0 à 1,6). Sur la totalité des examens de sperme réalisés, une azoospermie a été observée sur 11,3% des examens et une concentration de spermatozoïdes mobiles/ml inférieure à 1 million sur 86,4%. Après l’arrêt de la remontée des testicules, la concentration moyenne de spermatozoïdes mobiles était de 26,5 ± 19 millions/ml entre 0 et 6 mois et de 36,3 ± 19,4 millions/ml entre 7 et 18 mois, pour 40,2 ± 11,8 millions/ml avant le chauffage.
Grossesse
Technique 1. La durée de la période contraceptive a été de 42 cycles (respectivement 8, 6 et 28). Aucune grossesse n’est survenue chez deux des trois couples. Une grossesse non désirée est survenue chez le troisième couple : l’homme a arrêté de remonter ses testicules pendant 7 semaines (semaines 42 à 48) puis a recommencé. Le premier cycle d’utilisation contraceptive a eu lieu entre les semaines 61-63 de chauffage avec une concentration de 0,04 (sem 61) et 0,7 millions de spermatozoïdes mobiles/ml (sem 63). La grossesse est survenue au deuxième cycle d’exposition (sem 65-66) avec une concentration de 19,3 (sem 68) et 10,4 millions de spermatozoïdes mobiles/ml (sem 71). Une nouvelle période de contraception a été débutée à distance (sem 76) d’une interruption volontaire de la grossesse. L’indice de Pearl (nombre de grossesse divisé par le nombre de cycles d’exposition multiplié par 1200 pour obtenir le taux de grossesse pour 100 années) est de 1/42 x 1200 = 28,6 pour 100 années (IC 95% = 0,7-
159,2).
Technique 2. La durée de la période contraceptive a été de 117 cycles féminins (extrêmes 4- 46). Un couple a arrêté la période de contraception au 6ème cycle d’exposition en raison d’un déménagement professionnel dans une région sans possibilité d’examen de sperme. Un second couple a été arrêté 4ème cycle d’exposition en raison de la persistance d’une azoospermie chez l’homme. Les durées respectives d’exposition ont été respectivement de 13, 18, 30 et 46 cycles féminins pour les 4 autres couples. Aucune grossesse n’est survenue. L’indice de Pearl est de 0,0 pour 100 années (IC 95% = 0,0-37,8). Pour les deux techniques, tous les couples qui ont par la suite souhaité une grossesse l’ont obtenue, et aucune fausse-couche n’est survenue.

Résumé des effets en termes de spermatogenèse et de grossesse

Dans cette étude, une élévation de 1,5 à 2°C de la température des testicules, et non pas du scrotum, est induite 15h/jour en remontant et maintenant les testicules au niveau de la racine de la verge au moyen de deux techniques. La valeur contraceptive du sperme a été définie comme l’existence d’une concentration de spermatozoïdes mobiles inférieure à 1 million/ml sur 2 examens successifs de sperme à 3 semaines d’intervalle. Ce seuil est atteint beaucoup plus rapidement pour la technique 2 – en moyenne 3,5 mois (2-9) – que pour la technique 1 – en moyenne 11 mois (7-15) – après le début du chauffage ; il est à noter que 97,7% des examens de sperme étaient azoospermiques ou avec moins de 1 million de spermatozoïdes mobiles/ml avec la technique 2. Quelle que soit la technique, les valeurs restent ensuite inférieures à ce seuil jusqu’à la fin de la période de remontée des testicules ; mais à condition de respecter une pratique quotidienne, comme le montre l’augmentation de la concentration de spermatozoïdes mobiles chez l’homme ayant arrêté de remonter ses testicules pendant 7 semaines, arrêt responsable de la survenue d’une grossesse non désirée avec la technique 1. Aucune grossesse n’est survenue chez les partenaires de 8 autres hommes. Après l’arrêt de la remontée des testicules, la concentration de spermatozoïdes mobiles revient aux valeurs de départ dans les 6 mois pour la technique 1 et dans les 7 à 18 mois pour la technique 2. Cette durée prise pour récupérer peut paraître longue ; mais cette étude de l’effet contraceptif n’est que la partie terminale d’une étude plus longue de l’effet de la remontée des testicules sur la spermatogenèse : ainsi, les hommes de la technique 1 ont eu une durée de remontée des testicules de 24 à 38 mois, ceux de la technique 2 de 7 à 49 mois. Enfin, Pour les deux techniques, tous les couples ayant par la suite souhaité une grossesse l’ont obtenue, et aucune fausse-couche spontanée n’est survenue.

Remarques

S’il peut paraître surprenant que l’un des couples ait été arrêté lors de l’évaluation del’efficacité contraceptive en raison de la persistance d’une azoospermie, il est important de garder en mémoire que dans la période où l’évaluation a été réalisée – entre 1982 et 1987, lesrésultats ayant tardé à être publiés (1994) – aucune étude utilisant la chaleur sous quelque forme que ce soit n’avait obtenu d’azoospermie permanente. Le principe de précaution avait alors été appliqué. Par ailleurs, la technique 2 donnait de meilleurs résultats que la technique 1 dans cette étude publiée en 1994. Toutefois, dans une récente étude (2010-2011), une technique de remontée des testicules identique à celle de la technique 1, mais avec une modification du sous-vêtement mise au point pour permettre un meilleur maintien des testicules en position remontée, a été utilisée chez 5 hommes volontaires en bonne santé. Cette modification permet d’atteindre le seuil contraceptif (moins de 1 million de spermatozoïdes mobiles/ml) en 2 à 3 mois (21).

Synthèse générale

En terme d’efficacité contraceptive, l’utilisation d’une élévation modérée de la température testiculaire par la remontée des testicules (12,14) ou par isolation thermique du scrotum au moyen d’un suspensoir en coton et polyester (13) peut être résumée comme suit :
· Shafik 1991 (12) : 28 couples, 252 cycles d’exposition à la grossesse : 0 grossesse.
· Shafik 1992 (13): 9 couples, 126 cycles d’exposition à la grossesse : 0 grossesse.
· Mieusset & Bujan 1994 (14): 9 couples, 159 cycles d’exposition à la grossesse : 1 grossesse, qui fut consécutive à une mauvaise utilisation de la méthode, comme il arrive dans la vraie vie pour toute méthode de contraception, qu’elle soit masculine ou féminine. Si l’on exclut le cycle ayant donné lieu à la grossesse, tout en gardant ce couple qui a repris ensuite la technique de remontée des testicules comme unique contraception de couple, il n’y a eu aucune grossesse sur 158 cycles d’exposition. Ces trois études ne sont bien sur que des études préliminaires, portant sur des effectifs limités (46 couples au total), mais leur objectif principal était de démontrer qu’une contraception de couple pouvait être assurée par l’homme au moyen d’une légère augmentation de la température testiculaire, ou scrotale dans la cas d’isolation avec un tissu comprenant du
polyester. Les hommes de ces trois études étaient tous des volontaires non rémunérés et demandeurs d’une contraception masculine, ce qui peut expliquer le très faible taux de désagréments rapportés avec de telles techniques. Ces trois études ne constituent pas une évaluation de l’acceptabilité de la méthode par la chaleur. Il est bien évident qu’une telle manipulation des testicules peut ‘effrayer’ certains hommes, tout comme une méthode de contraception hormonale masculine peut en ‘effrayer’ d’autres. Mais la méthode de contraception par la chaleur peut être – et elle l’est dans notre pratique – proposée à tout homme demandeur d’une contraception masculine.

Remerciements
Mes remerciements aux membres du GARCOM : ils ont créé les différentes techniques de remontée des testicules, et ont été les premiers à être volontaires pour évaluer les effets de ces techniques sur la spermatogenèse puis leur effet contraceptif ; et à Pierre Jouannet, qui a soutenu et encouragé cette recherche. Je dédie ce travail à Geoffrey Waites, qui fut le pionnier, et l’un des rares a oser développer une véritable recherche en contraception masculine à l’OMS.

Références
1. Kandeel FR, Swerdloff RS (1988) Role of temperature in regulation of spermatogenesis and the use of heating as a method for contraception. Fertil Steril 49: 1-23
2. Mieusset R, Bujan L (1995) Testicular heating and its contributions to male infertility: a review. Int J Androl 18: 169-84
3. Setchell BP (1998) The Parkes Lecture. Heat and the testis. J Reprod Fertil 114: 179-94
4. MacLeod J, Hotchkiss RS (1941) The effect of hyperpyrexia upon spermatozoa counts in men. Endocrinilogy 28:780-4
5. Procope BJ (1965) Effect of repeated increase of body temperature on human sperm cells. Int J Fertil 10:333-9
6. Brown-Woodman PDC, Post EJ, Gasc GC, White IG (1984) The effect of a single sauna exposure on spermatozoa. Arch Androl 12:9-15
7. Watanabe A (1959) The effect of heat on human spermatogenesis. Kyushu J Med Sci 10: 101-17
8. Rock J, Robinson D (1965) Effect of induced intrascrotal hyperthermia on testicular function in man. Am J Obstet Gynec 93:703-801
9. French J, Leeb CS, Fabrion SL, et al (1973) Self-induced intrascrotal hyperthermia in man followed by decrease in sperm count. A preliminary report. Andrologie 5: 201-5
10. Robinson D, Rock J (1967) Intrascrotal hyperthermia induced by scrotal insulation: effect on spermatogenesis. Obstet Gynec 2:217-23
11. Robinson D, Rock J, Menkin MF (1968) Control of human spermatogenesis by induced changes of intrascrotal temperature. J Am Med Ass 204:80-7
12. Shafik A (1991) Testicular suspension as a method of male contraception: technique and results. Adv Contr Deliv Syst VII: 269-79
13. Shafik A (1992) Contraceptive efficacy of polyester-induced azoospermia in normal men. Contraception 45: 439-51
14. Mieusset R, Bujan L (1994) The potential of mild testicular heating as a safe, effective and reversible contraceptive method for men. Int J Androl 17: 186-91
15. Fukui N (1923) Action of body temperature on the testicle. Japan Med World 3:160-7
16. Frankenhuis MT, Wensing CJG (1979) Induction of spermatogenesis in the naturally cryptorchid pig. Fertil Steril 31:428-33
17. Kitayama T (1965) Study on testicular temperature in man. Acta Urol Jap 11: 435-7
18. Mieusset R, Grandjean H, Mansat A, Pontonnier F (1985) Inhibiting effect of artificial cryptorchidism on spermatogenesis. Fertil Steril 43: 589-94
19. Mieusset R, Bujan L, Mansat A, et al (1987a) Effect of artificial cryptorchidism on sperm morphology. Fertil Steril 47: 150-5
20. Mieusset R, Bujan L, Mansat A, et al (1987b) Hyperthermia and human spermatogenesis: enhancement of the inhibitory effect obtained by ‘artificial cryptorchidism’. Int J Androl 10: 571-80
21. Ahmad G, Moinard N, Lamare C, et al (2012) Mild testicular and epididymal hyperthermia alters sperm chromatin integrity in men. Fertil Steril in press

Le continuum du male entitlement

Colette Guillaumin, dans un article sans complaisance (« Pratique du pouvoir et idée de Nature (1). L’appropriation des femmes », Questions féministes n°2), parle de l’« accaparement » des femmes par les hommes dans l’idée de bénéficier de services sexuels, domestiques ou reproductifs. Vous aurez reconnu la putain, la servante et la maman. Le texte date de 1978, à peine treize ans après que les femmes ont conquis le droit de travailler ou d’ouvrir un compte bancaire sans demander à leur mari, et alors que le viol conjugal n’est pas encore reconnu comme tel. Quand on s’aime un jour, on doit dire oui tous les jours… Seules des violences « graves et répétées » (attention à la conjonction de coordination) peuvent être considérés comme des torts. Pour le reste, on aura compris que le mariage était un système de mise à disposition de l’un-e à l’autre, soit dans la pratique des femmes aux hommes. Pour lire la suite, c’est par par ici : Le continuum du male entitlement – Mon blog sur l’écologie politique.

Comment imposer le partage ? – Les mots sont importants (lmsi.net)

Voici la cinquième et dernière partie du long papier de Christine Delphy sur le (non) partage des tâches domestiques entre hommes et femmes. Nous avions déjà indiqué la parution de la première partie, voici quelques jours. Nous récidivons car cette lecture nous semble vraiment importante – avant tout pour les hommes, bien sûr, mais pas que. Cliquer ici : Comment imposer le partage ? – Les mots sont importants (lmsi.net).

Genrer le capitalisme

Nous citons ci-après un extrait de Genrer le capitalisme, un article de Denis Colombi, sociologue, paru sur son blog « Une heure de peine… ». En fait, il s’agit de la conclusion. Mais celles et ceux qui voudraient lire l’ensemble du texte (très intéressant) peuvent aller voir par ici.

[…] Ce qui importe ici, c’est bien de pouvoir genrer le capitalisme. Celui-ci a tendance a être présenté comme une force naturelle et impersonnelle – il en va très largement de même pour la mondialisation. On voit pourtant ici qu’il s’agit en fait d’une force masculine, c’est-à-dire travaillée par la définition d’une certaine masculinité. Les institutions du capitalisme, jusqu’aux plus basiques, ne sont pas simplement le produit de rapports d’exploitation entre classes sociales mais aussi de rapports entre les genres, et entre les différentes définitions de chaque genre. Pour prendre un exemple très simple, ce que nous appelons « travail » laisse encore largement de côté tout un ensemble d’activités productives domestiques réalisées majoritairement par des femmes… Derrière la force impersonnelle se cachent en fait des enjeux et des intérêts tout à fait situés. Faire un sort à l’idée que le capitalisme est naturel et neutre, c’est aussi prendre en compte la façon dont il est l’expression d’intérêts de genre… Et on pourrait aller plus loin en notant que les grands dirigeants du capitalisme mondial sont aussi majoritairement des occidentaux blancs…

Il n’est pas rare que les féministes se voient opposer l’argument selon lequel les inégalités qui frappent les femmes sont le produit du capitalisme et sont donc destinées à disparaître avec celui-ci. Proposition d’où l’on tire généralement qu’il est nécessaire de se concentrer sur la lutte contre le capitalisme et la lutte des classes et de laisser de côté la lutte contre le patriarcat. En s’appuyant sur l’analyse de Acker, on peut comprendre qu’il y a une autre façon, bien plus riche, d’articuler ces éléments : faire la critique du capitalisme comme force masculine, c’est bien ouvrir une brèche dans celui-ci, le restituer comme une construction historique, située et non-universelle. C’est aussi se donner les moyens de penser des relations économiques nouvelles, différentes, non-capitalistes – et ce d’autant plus que, dans la lutte des classes, les belligérants peuvent avoir, selon une lecture simmelienne, certains intérêts communs à amender le système plutôt que de le transformer. Plutôt que d’attendre le grand soir qui abattra d’une même pierre capitalisme et patriarcat, c’est prendre conscience que la critique féministe est une critique anticapitalisme. Si ses alliés se voilent parfois la face, ses adversaires, eux, l’ont bien compris…

Le « travail ménager », son « partage inégal » et comment le combattre, par Christine Delphy

Trouvé sur le site Les Mots sont importants : Le « travail ménager », son « partage inégal » et comment le combattre, par Christine Delphy

Première partie : Un nouveau problème ?

par Christine Delphy
19 août 2014

Parce que le travail ménager, et plus largement le travail domestique, est encore très loin d’être partagé entre hommes et femmes dans les couples hétérosexuels, parce qu’en vérité les progrès sont en la matière infinitésimaux, il nous a paru utile de populariser à nouveau des réflexions qui, dix ans après leur première publication, demeurent hélas d’actualité. Merci donc à l’auteure, et à la rédaction de Nouvelles Questions féministes, d’avoir permis cette republication.

Le fait que le “ travail ménager ” pèse quasi-exclusivement sur les femmes est une question épineuse pour tous les mouvements féministes ; c’est dans ce domaine que l’on constate une absence quasi-totale de changement. C’est à la fois une des manifestations les plus flagrantes de l’inégalité entre les sexes, qui devrait, par sa visibilité même, être facilement corrigeable, et un défi pour les stratégies d’égalité, car c’est là aussi que l’action militante trouve sa limite. En effet ce “ partage inégal ” – cet oxymore qui signifie l’absence de partage – ne semble pas contraint, mais le résultat d’arrangements à l’amiable entre deux personnes adultes et libres. Interrogées, une bonne partie de ces personnes adultes et libres, et surtout les victimes de l’inégalité, se déclare très insatisfaite de cet arrangement, mais ne sait pas non plus comment le modifier sans remettre en question la relation conjugale (Roux et al., 1999). La suite par ici.

J.-C. Soufir et R. Mieusset : « La contraception masculine »

Jean-Claude Soufir & Roger Mieusset (dir.), La Contraception masculine, 2012, Springer éd.

Nous ne connaissions pas encore de livre sur la contraception masculine. Ce n’est probablement pas un hasard que celui-ci soit paru tout récemment, à un moment où, suite à la résurgence du mouvement féministe (depuis le début des années 2000), réapparaissent également des groupes d’hommes qui se veulent antimasculinistes. Le côté moins positif de l’affaire, c’est que ce livre paraît chez un éditeur spécialisé dans la littérature médicale, et dont le public privilégié semble être les médecins (ce qui se traduit, entre autres, par le prix de l’ouvrage, 40 euros, très élevé pour un livre de ce type, 200 pages en noir et blanc sans illustrations…).

Les deux coordinateurs du livre sont les deux pionniers de la recherche française sur la contraception masculine, Soufir ayant travaillé sur les méthodes hormonales tandis que Mieusset a accompagné les hommes qui ont expérimenté le désormais fameux « remonte-couilles toulousain » (RCT, popularisé par le film Vade retro spermato, à voir d’urgence par celles et ceux qui s’intéressent aux groupes d’hommes et à la contraception masculine).

Une grosse moitié du livre est consacrée aux comptes rendus des « expériences » (on utilise ce terme car elle demeurent encore très minoritaires, mais il s’agit bel et bien de pratiques contraceptives menées par des hommes avec accompagnement médical) de contraception masculine en France (de façon assez exhaustive) et dans le monde (de façon plus synthétique). Parmi ces expériences, les méthodes hormonales se taillent la part du lion. Ce que l’on peut en retenir, c’est que :

  1. La recherche autour d’une contraception hormonale masculine (CHM), contrairement à ce que l’on pourrait penser, a commencé bien avant (dès les années 1930) celle qui a abouti à la « pilule » pour les femmes – cette dernière ayant été commercialisée seulement dix ans après le début des recherches sur la contraception hormonale féminine… Il semble que les chercheurs soient plus « prudents » et attentifs aux effets secondaires à long terme des traitements hormonaux chez les hommes que chez les femmes.

  2. Sur le principe, diverses variantes de CHM sont à peu près validées – reste à trouver les financements, et donc à susciter l’intérêt des labos pharmaceutiques pour les développer : or, comme ceux-ci disposent déjà de produits très rentables avec les pilules féminines, ils ne semblent pas être très motivés pour investir pas mal de temps et d’argent dans des produits qui viendraient les remplacer…

  3. Les raisons pour lesquelles la CHM n’est toujours pas accessible au grand public sont très probablement liées au système de domination patriarcale (pas touche au corps des hommes, encore moins à leur fertilité, la plupart du temps assimilée à leur puissance sexuelle, à leur virilité) et à la logique de profit qui détermine les choix de l’industrie pharmaceutique : cela dit, ce n’est peut-être pas plus mal pour la santé des hommes.

Quant aux autres modes de contraception « masculine » (de fait, on devrait toujours mettre des guillemets, tant la question de la contraception concerne forcément deux partenaires, même si le machisme dominant aujourd’hui en a délégué la gestion aux femmes depuis qu’existe la pilule) il en existe plusieurs : le coït interrompu, le préservatif, la vasectomie (d’aucuns lui contestent la qualification de « contraceptive », car il s’agit d’une méthode à la réversibilité douteuse) et les méthodes dites thermiques, lesquelles, comme le RCT, consistent à augmenter la température des testicules, ce qui inhibe la spermatogenèse. Il faut remarquer au passage que l’on se situe ici dans un contexte particulier (même s’il est largement dominant) de pratique sexuelle normalisée, avec pénétration vaginale – ce que certaines personnes nomment un rapport sexuel « complet ». On peut douter de la pertinence de ce parti-pris. Cette réserve faite, rappelons, pour celles et ceux qui n’auraient pas vu le film Vade retro spermato, que le scrotum, cette manière de sac qui enferme les testicules, est, de part sa position « extérieure » au corps, maintenu en général à une température légèrement inférieure à celle du reste du corps (de 2 à 4°) – ce qui constitue une des conditions nécessaires de la spermatogenèse. L’idée de base des méthodes thermiques est donc simple : il s’agit d’augmenter légèrement la température des testicules. Trois expériences sont rapportées dans le livre. Elles ont fait l’objet de comptes rendus en 1991, 1992 et 1994. Les deux premières ont été accompagnées par Ahmed Shafik, la dernière par René Mieusset (c’est celle que l’on a surnommée RCT, et dont il est question dans le film Vade retro). Les trois se sont révélées très efficaces. Aucune grossesse n’a été constatée dans les deux premières études, une seule dans la troisième, suite à un protocole non respecté par un participant : en effet, celui-ci avait arrêté le port du RCT durant 7 semaines… Les seuls bémols que l’on pourrait apporter à ce constat plutôt positif sont 1/ le petit nombre de participants aux trois groupes (respectivement 28, 14 et 9) et 2/ les durées relativement brèves des études (de un à quatre ans) – ce qui, bien sûr, peut laisser des doutes quant aux résultats que donnerait une application à grande échelle de ces méthodes et quant à d’éventuels effets secondaires sur le long terme. En l’état actuel des connaissances, la méthode thermique (et particulièrement le RCT) semble la moins chère, la plus efficace, la plus réversible et la moins susceptible d’effets secondaires indésirables. Elle partage cependant des handicaps avec les méthodes hormonales : réticences liées au statut de l’homme dans le système genré actuel, et absence de tout lobby économique qui la défende – tout au plus une ou deux boîtes textiles pourraient-elles s’intéresser à la production des slips aménagés en RCT, ce qui n’est manifestement pas encore le cas…

Avant de conclure, signalons (et regrettons) la présence au sommaire du livre d’un papier de Daniel Welzer-Lang sur l’historique de la contraception masculine et des groupes d’hommes (en France). Cet article est assez représentatif de la possible dérive masculiniste des groupes non-mixtes hommes. En effet, ce que retient son auteur de l’histoire du « mouvement des hommes » (notion problématique s’il en est), c’est d’abord et avant tout l’incompréhension qu’il aurait rencontrée chez les féministes. Malgré ces regrettables divergences (dues avant tout, selon Welzer-Lang, au sectarisme des féministes radicales), grâce à cette mobilisation masculine, l’« homme » serait devenu « acteur des changements de genre ». C’est d’ailleurs ce que signifie le titre général de l’article : « La contraception masculine, Ardecom et les groupes d’hommes, prémices de l’évolution des rapports sociaux de genre ». (Ardecom : association pour la recherche et le développement de la contraception masculine, créée à la fin des années 17970.) Pour donner une idée d’une certaine confusion de l’auteur, voici une citation d’un extrait de cet article (p. 160) : «  […] les normes sociétales ont changé. Aujourd’hui [en 2012, ndlr] tout se passe comme si l’égalité hommes/femmes était inscrite sur le fronton de toutes les mairies de France. Qu’elle s’affirmait comme une évidence. Au même titre que l’on s’affirme contre le racisme ou pour l’égalité entre les peuples et les cultures. Bien sûr [nous soulignons, ndlr], il y a encore des différences de salaires, les emplois précaires sont occupés principalement par les femmes, les hommes et les femmes ne partagent pas toujours le travail domestique à parts égales. [Pourquoi ne pas ajouter que bien sûr, il arrive encore qu’une femme meure tous les trois jours en France, victime des coups de son conjoint, ndlr ?] Mais la mise en lumière des restes d’inégalités laisse entrevoir la fin de la domination masculine, l’arrivée d’une égalité réelle entre hommes et femmes, la fin du genre. » Ainsi, l’égalité n’est plus ce pourquoi on devrait se battre, ou que l’on devrait défendre : l’égalité, c’est ce qui arrive, mais oui, là-bas, regardez…

Finalement, l’existence de ce livre est plutôt positive en soi, surtout lorsque l’on pense à l’ignorance assez générale des médecins et personnels soignants quant à l’existence de moyens de contraception masculine. Pour les hommes qui souhaiteraient se documenter sur ces méthodes, il existe un Guide pratique d’une contraception masculine hormonale ou thermique disponible sur Internet (tapez ce titre dans un moteur de recherche, si je vous donne le lien direct, vous tombez sur un truc payant…). En ce qui concerne l’histoire d’Ardecom et des groupes d’hommes, le meilleur document nous semble être à l’heure actuelle le film Vade retro spermato (contact par ici). Enfin, pour approfondir la problématique des groupes d’hommes, du masculinisme et de l’antimasculinisme, on recommande cette brochure : Contre le masculinisme. Petit guide d’autodéfense intellectuelle.

François, le 4 novembre 2013

« Rupture anarchiste et trahison pro-féministe. Écrits et échanges de Léo Thiers-Vidal »

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Rupture anarchiste et trahison pro-féministe. Écrits et échanges de Léo Thiers-Vidal. Bambule éd., février 2013, 208 pages, 8 euros (disponible à la bibliothèque d’Agate, armoise et salamandre)

Léo Thiers-Vidal (1970-2007) était militant anarchiste et chercheur en sciences sociales. Ses engagements l’ont amené très vite à se confronter à la domination masculine, et à essayer de comprendre comment « penser [et transformer] les rapports sociaux de sexe à partir d’une position sociale oppressive » (d’après le titre de l’un de ses articles, reproduit ici).

 Pour le versant militant, trois expériences vécues par lui sont évoquées dans ces textes. La première entraîna sa « prise de conscience » de la réalité des rapports d’oppression entre hommes et femmes. Il s’agissait d’un « camping antipatriarcal » en Ariège, en 1995 : « […] les groupes de parole non-mixtes et mixtes ont rapidement fait émerger une asymétrie de vécus entre femmes et hommes, et donc de thématiques envisagées et de manières de les traiter. Très rapidement, des oppositions se sont en effet révélées : les hommes engagés ressortaient joyeux des ateliers non-mixtes masculins où ils avaient par exemple abordé les premières expériences sexuelles, les fantasmes, l’expression d’émotions, tandis que les féministes ressortaient graves d’ateliers où elles avaient abordé les violences sexuelles et leurs conséquences sur leur sexualité et leurt intégrité. Au cours de ces journées, cette distance a crû jusqu’à provoquer une confrontation : les féministes ont exigé que les hommes engagés prennent conscience de ce décalage, lié à l’oppression vécue par les femmes, et de la hiérarchie des positions genrées. Si elles ont, malgré leur colère et leur douleur, opté pour une approche très pédagogique, les hommes ont, eux, refusé de proposer une réponse collective et d’accepter cette main tendue. De surcroît, elles ont signalé qu’elles avaient été progressivement exclues des interactions mixtes : regards fuyants, disparition d’une convivialité présente auparavant. » C’est pourquoi Léo Thiers-Vidal ne cesssera d’insister par la suite, sur la première des conditions à respecter afin de pouvoir se dire sincèrement pro-féministe : se rendre capable d’écoute, c’est-à dire faire preuve d’humilité et d’empathie.

La deuxième expérience a opposé Léo Thiers-Vidal et quelques-un·e·s de ses camarades aux vieux croûtons (l’expression est de moi) de la librairie La Gryffe, vénérable institution anarchiste lyonnaise. En mai 1998, cette dernière (avec Léo, entre autres co-organisateurs) propose « Trois jours pour le grand soir », manière de commémorer Mai 68. Pour résumer, disons que plusieurs débats (sur le pouvoir en milieu militant, sur le patriarcat…) ont tourné à une critique réactionnaire du féminisme par les hommes qui, non contents d’opposer une surdité systématique aux arguments des féministes, les ont carrément traitées de « lesbiennes (!), séparatistes, manipulées, maoïstes voire fascistes ». L’affaire ne s’est pas arrêtée là, puisque Léo et quelques autres ont protesté avec véhémence contre ces mauvaises manières. Des textes ont circulé, dans lesquels les vieux croûtons développent deux arguments auxquels, malgré leur aspect caricatural, on fera bien de prêter attention, car il se pourrait que ce ne soit ni la première ni la dernière fois qu’ils sont employés.

  1. L’argument libéral : « Les journées libertaires étaient ouvertes, sans exclusive […], à toutes les composantes et points de vue du mouvement libertaire. Or certains d’entre eux considèrent les luttes de femmes comme secondaires ou ne perçoivent pas l’importance de leurs enjeux. D’autres, plus affirmés encore, dénoncent le féminisme, considèrent, de leur point de vue, que le féminisme s’enferme dans une impasse sectaire et particulariste qui s’oppose à une remise en cause de l’ordre social et, finalement, à la libération des femmes. C’est comme ça. Tous ces points de vue contribuent également à composer le mouvement libertaire. » Ce que commente ainsi Léo : « Ce discours est un discours libéral et non libertaire à mes yeux car il reconnaît une même valeur à des pensées qui s’opposent à la domination et l’exploitation des femmes qu’à des pensées qui nient ou invisibilisent cette domination. […] qu’est-ce qui permet de ranger le féminisme parmi les différentes tendances libertaires et non parmi les exigences minimales politiques que sont l’antiracisme, la lutte contre l’antisémitisme ou la lutte contre le capitalisme ? »

  2. L’argument « totalitaire » : « Parce qu’ils tiennent à la totalité des rapports sociaux, à la totalité de l’ordre social où nous vivons et aux racines même de cet ordre, les rapports de domination inclus dans les rapports hommes/femmes, comme tous les autres rapports de domination, ne peuvent pas être résolus localement, à l’intérieur d’un collectif quel qu’il soit (même non-mixte paradoxalement). Se fixer pour objectif prioritaire de les résoudre à l’intérieur de ce collectif est une tâche absurde et impossible qui, au lieu de libérer, et en raison même de son impossibilité, multiplie au contraire, à la façon des groupements religieux, les instruments et les rapports d’oppression. » On voit bien la malhonnêteté qu’il y a à prétendre que les féministes croient pouvoir régler une fois pour toutes leur compte aux rapports de domination à l’intérieur de tel ou tel collectif… malhonnêteté qui conduit à prédire un devenir-secte aux groupes qui tenteraient pratiquement de lutter contre la domination masculine en leur sein, par exemple en étant plus attentifs à la répartition des prises de parole, aux divers partages des tâches, etc.

Troisième expérience (déception ?) « militante »: il s’agit d’un « week-end entre dominants de genre » organisé en mars 2005 à Dijon. Malgré les déclarations de bonnes intentions qui accompagnaient l’annonce de la rencontre (« Nous ne voulons pas conforter les réflexes de solidarité masculine qui s’exercent habituellement contre les [femmes] mais les remettre en cause. »), l’affaire tourne au vinaigre lorsque, sur proposition d’un des participants, approuvée par la majorité, s’engage une séance sur « les tabous intériorisés face aux féministes ». La discussion commence par l’exposé, fait par celui qui avait proposé le thème, de ses griefs contre une féministe : « Cette femme avait en effet exprimé le désir qu’un autre homme ne puisse pas être présent dans ce squat en même temps qu’elle, parce qu’elle vivait mal cette présence, pour des raisons féministes. » L’initiateur de la discussion explique alors qu’il n’était pas d’accord, que selon lui il s’agissait de désaccords personnels, d’incompatibilités qui n’auraient pas dû être qualifiées de « féministes ». Mais il n’avait pas osé exprimer ouvertement ce déaccord, d’où la notion de « tabou ». Cette première intervention, qui accuse « de fait une féministe de malhonnêteté politique, ce qui suppose de sa part une démarche malveillante soit consciente et intentionnelle, soit pathologique », n’est pas remise en cause par les autres participants, bien au contraire, puisque plusieurs autres vont se succéder, de pire en pire, au point que lorsque l’un d’entre eux raconta que « lui aussi avait vécu des tensions, des conflits avec une féministe, parce qu’il “l’avait plus ou moins violée”, il n’y eut aucune réaction, aucun arrêt ne fut marqué. […] Cette absence de réaction au sujet d’un “plus ou moins” viol commis par un des participants exprime de façon criante la logique empathique en cours de construction. L’empathie des participants allait aux autres hommes, la solidarité affective devenait toute masculine, le problème à dénoncer se situait bien du côté des femmes, en particulier des féministes. »

Comment faire,dès lors qu’on est un mâle blanc bénéficiaire, comme tous les autres, de l’oppression des femmes par les hommes ? Parmi les différentes pistes ouvertes dans les articles de ce recueil, j’en retiendrai deux. La première est celle des groupes d’hommes, à certaines conditions cependant, afin de ne pas tomber dans un masculinisme plus ou moins affirmé (cf. l’exemple ci-dessus). Léo Thiers-Vidal pense qu’un groupe d’hommes « peut être un lieu où les hommes travaillent ensemble sur leur conditionnement genré et leur domination sur les femmes. La première chose implique de prendre conscience à quel point on est masculin au lieu d’être un individu. » Ce qui passe, entre autres, par la capacité à exprimer et partager des émotions, et par « apprendre à fermer sa gueule, à douter ouvertement, à déconstruire son égocentrisme, à être fragile. » Ensuite, on peut passer à une deuxième phase, le « travail antipatriarcal », soit « chercher d’autres pratiques d’hommes, c’est-à-dire des pratiques critiques et égalitaires. » « Vu mon expérience, poursuit Léo Thiers-Vidal, il me semble de plus en plus nécessaire que les groupes hommes agissent sous tutelle de (groupes) féministes et qu’ils adoptent une politique de reddition de compte vis-à-vis de celles-ci. »

L’autre piste, développée dans l’article consacré aux chercheurs en sciences sociales et à la nécessité de changer leur regard sur leurs objets de recherche, en se rendant conscients de leur position de dominants, consiste à se familiariser avec les thèses féministes radicales. Et de citer un certain nombre de titres « incontournables », par lesquels je terminerai cette note, non sans avoir précisé que je n’ai donné ici que quelques éclairages partiels sur ce livre, que devrait lire tout « icm » (individu de construction masculine) soucieux de s’engager sérieusement contre le patriarcat.

• Delphy, Christine (1998). L’Ennemi principal. I. Économie politique du patriarcat. Paris : Syllepse.

• Delphy, Christine (2001). L’Ennemi principal. II. Penser le genre. Paris : Syllepse.

• Guillaumin, Colette (1992). Sexe, race et pratique du pouvoir. L’idée de nature. Paris : Côté-Femmes.

• Mathieu, Nicole-Claude (1991). L’Anatomie politique. Catégories et idéologies du sexe. Paris : Côté-Femmes.

• Tabet, Paola (1998). La Construction sociale de l’inégalité des sexes. Des outils et des corps. Paris : L’Harmattan.

• Wittig, Monique (2001). La Pensée Straight. Paris : Balland.

François, 16 juillet 2014.

« Contre le masculinisme. Guide d’autodéfense intellectuelle »

contre-le-masculinisme5Contre le masculinisme. Guide d’autodéfense intellectuelle. Collectif Stop Masculinisme. Bambule éd., décembre 2013, 160 pages, 8 euros. (Vente et prêt à la bibliothèque d’Agate, armois et salamandre)

Si beaucoup de gens ont entendu parler ces deux trois dernières années de manifestations de « papas en détresse » (grimpeurs de grue), de « crise de la masulinité » ou parfois même d’« hommes battus », beaucoup moins savent que ces phénomènes, diparates au premier abord, sont en réalité reliés entre eux, non pas par un complot quelconque, mais bien par une idéologie et une mouvance qui ont fait leur apparition, disons, depuis les années 1970, en réaction aux avancées conquises de haute lutte par le mouvement féministe – contraception et droit à l’avortement en particulier : le masculinisme et les masculinistes.

Comme on vient de le dire, les masculinistes avancent masqués, et c’est pourquoi ce petit livre qui explique qui ils sont et démonte les rouages de leur fonctionnement mérite vraiment d’être lu. Il s’organise en quatre parties : d’abord, qu’est-ce que le masculinisme ? Puis, que cache la « cause » des pères ? Ensuite, « Hommes battus, femmes violentes ? » et enfin: « Des hommes en crise ? »

1. Une chercheuse féministe, Michèle Le Dœuff, a ainsi défini le masculinisme : un « particularisme, qui non seulement n’envisage que l’histoire ou la vie sociale des hommes, mais encore double cette limitation d’une affirmation (il n’y a qu’eux qui comptent et leur point de vue). Il s’agit en fait d’une idéologie réactionnaire, antiféministe et bien dans l’air du temps (homophobie, manifs « pour tous », offensive de l’extrême-droite contre les ABCédaires de l’égalité à l’école et capitulation en rase campagne du gouvernement socialiste, apparition du « racisme antiblanc », etc.) Elle est portée par une nébuleuse de groupes dont les plus voyants sont les associations de défense des droits des pères, mais comme dans d’autres domaines, ses militants les plus engagés touvent des oreilles attentives et des relais aussi bien dans les medias que dans les institutions.

2. La question des « droits des pères » est probablement celle qui porte les enjeux les plus lourds et qui, bien médiatisée, trouve le plus d’écho dans le grand public. Effectivement, comment ne pas compatir à la souffrance de ces papas privés de droit de garde et parfois même de droit de visite à leur progéniture ? Lorsqu’on s’intéresse d’un peu plus près à ces affaires, on se rend compte que ce n’est pas si simple, ou alors, si c’est simple, ce serait plutôt à l’inverse : en effet, comment se fait-il que des hommes se plaignent de ne pouvoir s’occuper de leurs enfants alors que dans une écrasante majorité des cas (80% selon les dernières enquêtes), les femmes se tapent l’essentiel des tâches domestiques et des soins aux enfants ? D’ailleurs, dans la plupart des divorces et séparations (85% des cas), il n’y a pas de litige sur la fixation de la résidence principale des enfants et le montant des pensions alimentaires qui devront être versées par l’autre parent – là encore, en écrasante majorité, ce sont les femmes qui gardent les enfants… donc les hommes qui doivent verser une pension alimentaire. Il semble bien qu’ici réside le principal problème des masculinistes : dans ce type de solution, le pouvoir patriarcal est sérieusement remis en cause (perte de l’autorité sur la femme et les enfants) et en plus, il faut verser de l’argent ! D’où les revendications masculinistes pour une garde alternée systématique en cas de séparation ou divorce. Et cela quelques soient les circonstances qui ont motivé la séparation (y compris violences conjugales, maltraitrements d’enfants). On voit bien les avantages qu’apporterait aux pères un tel dipositif : maintien de l’autorité sur les enfants et, dans une certaine mesure, sur la femme, puisque les époux sont obligés de se voir régulièrement en même temps que l’enfant va de l’une chez l’un ou vice versa (et on imagine l’ambiance en cas de conflit grave ayant conduit à la séparation). D’autre part, plus de pension alimentaire à verser. On voit bien aussi les inconvénients pour les femmes : alors que leur salaires sont en moyenne 25% plus bas que ceux des hommes, et que souvent, leur carrière professionnelle a été perturbée par les grossesses, entraînant une dévalorisation de leurs revenus, elle devraient contribuer à la même hauteur que les pères à l’entretien, l’éducation, aux soins des enfants – et probablement encore plus, comme c’est déjà le cas actuellement, car ce sont elles qui assument la plupart des tâches telles que : conduire l’enfant chez le médecin, s’occuper des diverses formalités administratives, des inscritions scolaires, de l’achat des vêtements « de tous les jours », etc. Et bien sûr, en cas de résidence alternée, plus question de partir refaire sa vie ailleurs : le tyran domestique ne se laisse plus quitter si facilement… Il semble que les masculinistes aient obtenu en partie gain de cause lors de l’adoption, en juin dernier, par l’Assemblée nationale, de la loi famille : en effet, il est désormais recommandé aux juges des affaires familiales de proposer prioritairement aux couples en séparation la double domiciliation de l’enfant et la résidence alternée…

3. Sur la question des hommes battus et des femmes violentes, on ne s’attardera guère, sinon pour répéter que le nombre des viols commis en France est toujours aussi accablant… pour les hommes, puisque 92% des victimes sont des femmes et 96% des mis en cause… des hommes. Par ailleurs, lorsque des hommes sont battus, voire violés, ils le sont la plupart du temps par d’autres hommes, soit par homophobie, soit pour établir une hiérarchie en milieu confiné (armée, prison, bizutages divers et variés…)

4. On nous rebat les oreilles depuis quelques temps d’une soi-disant « crise de la masculinité ». Des émissions grand public, des articles lui sont consacrés. De facto, la « crise » existe probablement dans la tête de ceux qui s’angoissent pour leur privilèges de dominants, menacés par la rébellion des dominées. Parmi ceux qui s’angoissent se distinguent deux tendances. La première, celle des machos décomplexés, dit en substance que « c’était mieux avant » (avant le mouvement féministe et la remise en cause des inégalités de genre), qu’aujourd’hui les femmes ont pris le pouvoir, que la société s’est féminisée, etc. Attention, danger : au-delà de leur caspect grotesque, ces discours préparent souvent des passages à l’acte misogynes vraiment graves. La seconde est plus cauteleuse. Elle s’exprime le plus souvent dans des groupes d’hommes, réunis pour « rétablir l’harmonie entre les sexes », et permettre aux hommes d’exprimer leur souffrance et leurs émotions de dominants… Léo Thiers-Vidal, dans son ouvrage Rupture anarchiste et trahison pro-féministe donne un exemple de ce type de dérive d’autant plus parlant qu’il a lieu dans un milieu vraiment pro-féministe au départ, mais qui finit, au cours d’une réunion, par instruire le procès des féministes. À ce propos, je terminerai cette note par une mise en garde des auteurs de cet excellent vade-mecum antimasculiniste :

« Nous avons donc toutes les raisons de nous méfier des groupes de parole d’hommes. La non-mixité masculine choisie n’est pas une forme bonne en soi. Elle est même plutôt problématique. Quand les membres d’un groupe social dominant décident de se réunir, ce n’est jamais très rassurant. Presque toujours, c’est parce qu’ils ont quelque chose à gagner dans la non-mixité : un enrichissement personnel, un gain de confiance en soi, une possiblité d’élargir la palette de leurs comportements. Quand il s’agit d’aborder le vécu des hommes en ce qu’il peut avoir de douloureux, de conflictuel ou de difficile à vivre, on trouve des candidats. Par contre, dès qu’il est question de remettre en cause leurs comportements vis-à-vis des femmes et de questionner leur place d’homme dans la société et les privilèges qui lui sont attachés, il n’y a plus personne. La majorité refuse de s’adonner à ce qu’elle considère être de l’“autoflagellation” ou de la culpablilisation. Ils affirment ne pas faire de politique et ne pas être dans l’idéologie. Au final, la non-mixité masculine sert le plus souvent le projet d’améliorer le confort psychologique de ces hommes et de renforcer la solidarité entre dominants. »

François, juillet 2014.

John Stoltenberg : « Refuser d’être un homme »

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John Stoltenberg : Refuser d’être un homme. Pour en finir avec la virilité. Avant-propos de Christine Delphy, Mickaël Merlet, Yeun L-Y, Martin Dufresne.

Éditions Syllepse, collection Nouvelles Questions féministes, et M. éditeur (Québec), mars 2013, 272 pages, 22 euros (disponible à la bibliothèque d’Agate, armoise et salamandre).

Disons tout d’abord qu’il ne s’agit pas d’un seul essai, mais d’un recueil de textes dont tous, à l’exception d’un seul, ont été écrits pour être dits lors de réunions publiques, conférences, meetings, etc. Ce qui explique le style particulier de la plupart d’entre eux, où l’on sent que l’auteur s’adresse vigoureusement à un auditoire dans le but de le déstabiliser quelque peu, afin de provoquer des questions et des réflexions. Et il est vrai que remettre en question l’ordre généralement accepté comme « naturel » du genre et de la suprématie masculine ne va pas de soi – il faut souvent discourir « à coups de marteau », pour paraphraser Nietzsche. C’est probablement une des seules réserves que j’émettrai sur ce livre, extrêmement utile et même nécessaire : souvent des vérités y sont formulées sans vraiment être argumentées, étayées (il manque le temps de la construction du raisonnement), et ces vérités ne sont pas, ou mal, suivies de conséquences pratiques. En effet, après avoir dénoncé la suprématie masculine, l’auteur ne propose pas grand-chose comme actions concrètes à lui opposer, mais se contente d’appels un peu emphatiques, voire moralistes, à « penser », « agir », « faire quelque chose » enfin, avec des formules comme « il faut », « on doit »… Qu’on ne prenne pas cette critique pour un refus global des thèses développées par Stoltenberg : bien au contraire, il me semble que ces thèses seraient mieux défendues et certainement plus convaincantes en étant mieux présentées et argumentées, dans une forme qui convienne mieux à l’écrit qu’à l’oral.

Les textes sont traduits de l’anglais (États-Unis) par trois traducteurs auxquels Christine Delphy, directrice de la collection Nouvelles Questions féminines, a demandé d’écrire chacun « son » avant-propos. Quant à elle, elle explique pourquoi une collection féministe accueille un auteur masculin. Les hommes n’ont-ils aucune place dans le combat féministe ?, demande-t-elle, avant de répondre : « Non. Ils en ont une : la leur. Et dès qu’ils cessent de parler prétendument de notre place, et à notre place, dès qu’ils parlent à partir de leur place, et de leur place, on peut […] les écouter. »

« Refusing to be an man, écrit Mickaël Merlet, apporte une approche profondément novatrice pour un écrit masculin. À savoir : étudier les dominants de genre de l’intérieur, dans les yeux, dans les têtes. Tels qu’ils pensent, parlent et agissent. Et ce, avec une fidélité sans faille au féminisme radical. »

Yeun L-I poursuit en demandant : « Comment Refuser d’être un homme quand on bénéficie quotidiennement de cette position oppressive ? Comment ne pas participer à la guerre faite aux femmes ? » Et, soulignant la position radicale de Stoltenberg, il souligne qu’« il n’y a pas de masculinité – même non hégémonique – sans assujetissement des femmes. »

Et Martin Dufresne enfonce le clou contre ceux qui, face au mouvement féministe, tentent de sauver leurs privilèges, autrement dit les masculinistes : « […] qu’il s’agisse d’hypothèse évolutionnistes clamant un rôle essentiel de la suprématie masculine, d’une “détresse ” complaisamment prêtée à tout homme entravé, des tentatives de “relooker” le bon vieil égoïsme de papa en “transgression” ou politique “postmoderne” ou des appels du pied à un romantisme ringard, les réacs voudraient bien mettre les hommes et le statu quo à l’abri du projet féministe. »

Stoltenberg donne dans sa préface un bon aperçu de ses intentions : « Le fil conducteur de ce livre est ma théorie que le “sexe masculin” a besoin de l’injustice pour exister. Je soutiens que l’identité sexuelle masculine est une construction de toutes pièces, politique et éthique, et que la masculinité n’a un sens personnel que du fait d’être créée par certains actes, choix et stratégies – qui ont des conséquences dévastatrices pour la société humaine. Mais c’est précisément parce que cette identité personnelle et sociale est construite que nous pouvons la refuser, nous pouvons agir à son encontre – bref, nous pouvons changer. »

C’est principalement sur ce point de la construction du genre et de la hiérarchie qui le structure que je m’attarderai ici, sans chercher à rendre compte de chacun des textes qui composent le recueil, et qui abordent des sujets trop variés pour une seule note de lecture. De ce point de vue, la « Mise en situation historique et politique », qui indique dans quel contexte intellectuel et politique ont été produits les textes suivants, puis le premier chapitre, intitulé « L’éthique du violeur », me semblent essentiels. Si un lecteur pressé voulait s’en tenir à un résumé de cet ouvrage, il devrait, je pense, lire au moins ces deux textes-là.

Dans le premier, l’auteur explicite le sens de son titre : « Je veux dire la même chose que ce que je voudrais dire par “refuser d’être un blanc” dans une société raciste. » L’exemple du racisme est très pertinent pour comprendre ce qu’il en est du genre et de sa construction. En effet, grâce au mouvement pour les droits civiques des années 1960, puis aux Black Panthers ou encore à l’ANC en Afrique du Sud, nous sommes aujourd’hui nombreu·ses·x à admettre que le racisme est un phénomène social, politique, historique construit. Ce qui est encore loin d’être le cas pour le genre… Aux États-Unis (comme ailleurs, dirais-je) « persiste une contradiction, écrit Stoltenberg, entre la justice réelle, concrète, et la liberté individuelle, posée comme inaliénable. Par exemple, la tension qui oppose la législation antidiscrimination actuelle et le libertarisme hérité des propriétaires d’esclaves est plus qu’évidente dans la collusion de l’État avec les pornographes. Forts de la culture de base de leur industrie – l’exploitation et l’expropriation d’une chair humaine économiquement vulnérable –, les fabricants de pornographie ne ressemblent à rien autant qu’à des négriers de l’ère technologique ; pourtant, leur “liberté” éclipse la “protection égale de la loi” pour toute personne à laquelle ils portent préjudice. » Ce n’est pas un hasard si la citation qui sert d’exergue au livre est de James Baldwin, grand lutteur (noir) antiraciste s’il en fut. L’auteur l’a personnellement connu et son engagement, inspiré par le féminisme radical, a également été très influencé par la lutte des Noirs américains. Ce que Baldwin a enseigné à Stoltenberg, c’est que « Personne n’était blanc avant d’arriver en Amérique. Il a fallu des générations, et énormément de coercition, avant que ce pays devienne blanc. L’Amérique est devenue blanche – les personnes qui, à les entendre, ont “fondé” le pays sont devenues blanches – par nécessité de nier la présence des Noir·e·s et de justifier leur assujetissement. Aucune communauté ne peut être basée sur un tel principe ; ou, en d’autre termes, aucune communauté ne peut être établie sur un mensonge aussi génocidaire. Des hommes blancs – ceux de la Norvège, par exemple, où ils étaient des Norvégiens – sont devenus blancs en massacrant des bovins, en empoisonnant des puits, en incendiant des maisons, en exterminant les Américains autochtones et en violant des Noires. »

Ainsi, poursuit Stoltenberg, « l’œuvre de Baldwin m’avait aidé à percevoir en termes de pouvoir et d’injustice la connotation raciale que nous attachons aux attributs anatomiques. Je doute que j’en sois arrivé à dire, comme je le fais dans Refuser d’être un homme, que le “sexe masculin” a besoin de l’injustice pour exister si je n’avais pas compris avec Baldwin que la catégorie de blanc ne devient crédible que par des actes d’assujettissement ». Mais un peu plus complexe, voire plus vicieux, est le fait qu’en existant par l’assujettissement des autres, la catégorie des dominant·e·s (blanc·he·s, ou hommes, ou hétérosexuel·le·s) crée en même temps qu’elle-même des catégories de dominé·e·s (noir·e·s, femmes, homosexuel·le·s…), ce qui entraîne l’effet pervers que, en luttant pour les droits de leur catégorie, les dominé·e·s reconnaissent de fait l’ordre des catégories et risquent toujours de se limiter à une piètre renégociation de leurs parts respectives (de reconnaissance, de privilège, de revenus, de droits, etc.) – sachant que les dominant·e·s se tailleront immanquablement la part du lion. Autrement dit, « le fait de savoir à quelle catégorie(s) précise(s) nous “appartenons” – qu’on l’exprime avec fierté ou défiance – ne suffit pas à créer la révolution qu’il nous faut. Ce n’est qu’en prenant pour cible la structure de dominance identitaire elle-même, avec la politique et les valeurs éthiques qui la soutiennent, que chacune de nos alliances trouvera sa voie vers une cause commune, une vision unifiée et une assise morale collective. » C’est pourquoi s’est développé aux États-Unis un mouvement pour « l’abolition de la blancheur », et c’est pourquoi, dans une même perspective, Stoltenberg milite pour une abolition de la masculinité.

Dans le premier chapitre, Stoltenberg examine les conséquences de l’intériorisation par tous et toutes de l’idée d’identité sexuelle. Il s’agit bien d’une idée, et non d’une réalité tangible, comme par exemple, la gravité. Nous ne doutons jamais du fait que si nous lâchons ce caillou, il va tomber par terre. Par contre, nous doutons tous et toutes plus ou moins de notre identité sexuelle. Et chez la plupart d’entre nous, cela est source d’anxiété, voire d’angoisse. Un peu comme si, sujet·te au vertige et avançant à tâtons dans la pénombre, nous ne savions jamais si nous sommes, ou non, au bord de la falaise : nous nous efforcerions sans cesse de nous assurer d’une prise solide au sol, quitte à nous attacher afin d’être sûr·e de ne pas tomber… Ainsi nous devons sans cesse nous réassurer quant à notre identité sexuelle « en faisant des choses qui nous donnent l’impression d’être vraiment un homme ou une femme et en évitant de faire celles qui laissent place au doute en ce domaine. » Au-delà de nos comportements quotidiens, cette idée d’identité sexuelle, et la nécessité de la renforcer, de l’étoffer jusqu’à lui donner une certaine consistance, a entraîné, entre autres, toutes sortes de recherches scientifiques visant à démontrer que non seulement les identité sexuelles existent, mais qu’en plus, elles déterminent nos comportements. On parle, par exemple, de cerveaux masculins et de cerveaux féminins. Comme le dit Stoltenberg, « s’il est vrai que le comportement découle de l’identité sexuelle, alors il est justifiable de juger différemment du bon ou du mauvais droit de toute action humaine selon qu’elle est le fait d’un homme ou d’une femme, en s’appuyant sur des raisons comme la biologie, l’ordre naturel ou la nature humaine. […] L’évaluation des actions humaines en fonction du genre de la personne qui les pose – ou “éthique sexospécifique” – est une idée si peu remarquable, si irrévocablement ordinaire et si évidente pour un grand nombre de gens que le fait qu’elle en soit venue à être un tant soit peu remise en cause est déjà un miracle de premier ordre dans l’histoire de la conscience humaine. » Or, « il n’existe aucun secteur de l’activité humaine où les gens sont plus loyaux à cette éthique sexospécifique que celui de la stimulation génitale manifeste. » Là aussi, là surtout, il faut prouver, à soi-même et aux autres, encore et toujours, qu’on est un homme ou qu’on est une femme. Et selon Stoltenberg, cela ne va pas sans anxiété : « Ainsi, le vécu de tension sexuelle de la plupart des gens tient pour une grande part à leur anxiété face aux paramètres éthiques de leurs conduites, jugées bonnes ou mauvaises selon qu’elles correspondent ou non à leur identité sexuelle supposée. La tension sexuelle et l’anxiété de genre sont si étroitement associées dans le corps et le cerveau de tous et de toutes que cette anxiété suscite de façon prévisible la montée de tension et que l’on peut compter sur le déclenchement de la tension pour absoudre l’anxiété – du moins jusqu’à la prochaine fois.

Voilà donc l’intersection de l’érotisme et de l’éthique – le raccord entre l’érotisme que nous ressentons et l’éthique de nos gestes, entre la sensation et l’action, entre ressentir et agir. Cette connexion est au cœur de notre identité personnelle et de notre culture. C’est le point où une sexualité sexospécifique émerge de choix comportementaux, et non de notre anatomie. C’est le point où nos émotions érotiques rendent manifeste la peur avec laquelle nous nous conformons à l’éthique propre à notre sexe, structure attaquée de tous côtés par tous les dangers que nous imaginons. C’est le point où nous pourrions reconnaître que nos identités sexuelles sont elles-mêmes des artifices et des illusions, le résultat d’une vie à s’efforcer de se comporter en vrai homme et non en femme, en vraie femme et non en homme. C’est également le point où nous pouvons réaliser que nous n’affrontons rien d’aussi superficiel que des rôles, des images ou des stéréotypes, mais bien un aspect de nos identités qui est encore plus profond que notre existence corporelle, à savoir notre volonté désespérée, à la fois secrète et publique, d’appartenir à l’un et non à l’autre. »

Parmi les différences induites par les deux éthiques sexospécifiques, il y a le viol. Pourquoi les hommes violent-ils?, demande Stoltenberg. Recourant à une analogie avec le travail de comédien au théâtre, il cite Aristote (dans La Poétique, chap. 15) selon qui un personnage peut être crédible s’il offre suffisamment de vraisemblance et de cohérence. Or, dit-il, « les diverses actions appropriées au personnage « d’homme et non de femme » sont profondément influencées par la présence du viol parmi elles. Cette série d’actes n’a pas la dissonance d’un groupe de notes jouées au hasard, sans harmonie. Il s’agit plutôt d’un accord, dont la note fondamentale colore de ses harmoniques chaque note jouée plus haut. Le viol s’apparente à cette note fondamentale ; jouée parfois fortissimo, parfois pianissimo et parfois en simple écho, elle détermine néanmoins les harmoniques de tout l’accord. “Parfois”, “juste un peu”, “de temps à autre”, “seulement à l’occasion” – quelle que soit la façon dont on souhaite qualifier l’élément clé de la série, le geste de forcer quelqu’un à admettre une pénétration sexuelle sans son assentiment entier et éclairé crée à tel point la valeur étalon des comportements définissant le masculin qu’il n’est pas du tout inexact de suggérer que l’éthique masculine est essentiellement celle du violeur. » (C’est moi qui souligne.)

François, 21 juillet 2014