«Elle s’appelait Emmanuelle, elle avait 26 ans» : une année de meurtres conjugaux

120 femmes sont tuées chaque année par leur conjoint, leur mari ou leur ex. Derrière cette statistique, il y a des prénoms, des histoires, des vies. Cette litanie funéraire égrène les meurtres conjugaux depuis le 1er janvier 2017 : on en décompte déjà 59.

Article trouvé sur liberation.fr (Nous recommandons aussi le « Grand format » de Libé dont on trouvera le lien un peu plus bas.)

Cette liste macabre n’est pas exhaustive. Elle s’appuie sur les cas qui ont été mentionnés dans la presse depuis janvier 2017. En outre, certaines affaires n’ont pas été intégrées quand l’enquête n’était pas encore suffisamment avancée.

J’ai également choisi de ne pas inclure ce qu’on appelle les «suicides altruistes», ces couples où la femme est malade, par exemple atteinte d’Alzheimer, et où le mari la tue pour mettre fin à sa souffrance, ou parce que, lui-même malade, il sait qu’il ne pourra plus s’occuper d’elle. J’ai estimé que dans ces cas, il y avait peut-être eu un pacte fait par le couple. Mais force est de constater que je ne suis pas tombée sur le cas inverse. Une femme qui tue son mari atteint d’Alzheimer. Pourtant, cette configuration d’une femme qui s’occupe de son mari malade doit être courante. Mais il est possible que les femmes ayant été élevées dans l’attention aux autres, dans l’idée qu’elles étaient là pour prendre en charge leurs proches, choisissent d’assumer leur mission jusqu’au bout, peu importe à quel point le quotidien devient difficile. On peut donc également voir dans ces meurtres une marque de genre.

A lire Notre grand format «Violences conjugales : enquête sur un meurtre de masse»

Janvier

Elle s’appelait Doris. Elle avait 60 ans. Elle dormait quand son mari, âgé de 58 ans, l’a frappée à coups de batte de base-ball. L’autopsie a également révélé des marques de strangulation. Lui s’est ensuite suicidé en inhalant du gaz. Il était au chômage et n’était pas connu des services de police. Le procureur, pris d’un accès de romantisme, a déclaré : «Il a laissé des écrits expliquant qu’il la soupçonnait d’infidélité sans que l’on sache si ces faits sont avérés. Apparemment cet homme était toujours fou de sa femme après 33 ans de mariage et il n’a pas supporté.» Aubenas, Ardèche.

Elle s’appelait Sandrine. Elle avait «la quarantaine». Elle avait deux enfants. Elle était orthophoniste. Son corps a été retrouvé dans son pavillon. L’été dernier, elle avait quitté Franck, son conjoint, avec qui elle vivait à Londres. Elle était venue s’installer dans l’agglomération bordelaise. Franck vivait très mal cette séparation. Il avait 45 ans. Ancien élève de HEC, il travaillait depuis dix ans dans la finance à Londres. Franck a été mis en examen pour le meurtre de son épouse, il a reconnu les faits. Incarcéré en détention préventive, il s’est pendu. Talence, Gironde.

Elle s’appelait Valérie. Elle avait 39 ans. Elle avait deux enfants, âgés de 20 et 8 ans. Le soir du meurtre, ce dernier était chez son père. Valérie s’est disputée avec l’homme qu’elle fréquentait depuis six mois, Moulay, 32 ans. La dispute aurait tourné autour du passé judiciaire de Moulay. Il avait été condamné pour viol en 2011 et était sorti de prison en février 2016. Il l’a frappée. Elle a eu une orbite et la mâchoire cassées. Puis il lui a donné 13 coups de couteau au niveau du thorax et du cou. Après s’être confié à des proches, il s’est rendu de lui-même au commissariat. Besançon, Doubs.

Elle s’appelait Catherine. Elle avait 40 ans. Elle travaillait dans une boulangerie. Elle était mère de deux adolescents. Elle venait de quitter son mari, leur père. Ils étaient en instance de divorce. Lui avait 53 ans. Elle a été retrouvée morte dans sa voiture, garée devant sa maison, abattue par arme à feu. Son ex-mari a été retrouvé mort dans la maison, il se serait suicidé avec la même arme. Crouzet, Gard.

Elle s’appelait Sandra. Elle avait 39 ans. A 11h30, elle allait chercher son fils à la sortie de l’école élémentaire pour le déjeuner. Elle arrivait en voiture sur le parking quand une autre voiture lui a délibérément foncé dessus et l’a emboutie. Le conducteur est ensuite sorti de sa voiture et s’est dirigé vers Sandra. Il l’a poignardée à plusieurs reprises devant les portes de l’école. Des témoins ont tenté d’intervenir en vain. L’agresseur, âgé de 37 ans, était son compagnon. Il semblerait que le couple était sur le point de se séparer. Avon, Seine-et-Marne.

Elle s’appelait Monique. Elle avait 63 ans. Elle venait de se pacser avec son compagnon, 60 ans. Il l’a étranglée et s’est ensuite présenté chez le médecin. Il a été mis en examen. Saint-Beauzire, Puy-de-Dôme.

Elle s’appelait Micheline. Elle avait 53 ans. Elle était assistante maternelle. Son mari, Sylvère, 72 ans, la soupçonnait d’avoir un amant. Il a abattu l’amant potentiel, puis Micheline d’un coup de fusil de chasse avant de retourner l’arme contre lui. Le Moule, Guadeloupe.

Février

Elle s’appelait Karen. Elle avait 37 ans. Elle était caissière. Elle avait une fille de 3 ans et demi. Elle avait quitté le père, 45 ans, employé agricole, quinze jours auparavant. Ce vendredi-là, vers 13 heures, elle venait déposer leur fille chez lui. Ils ont commencé à se disputer. Karen a tenté de partir mais il l’a suivie et l’a poignardée. Il s’est ensuite retranché chez lui et s’est suicidé. Maison-lès-Chaource, Aube.

Elle s’appelait Fatima. Elle avait 58 ans. Lui 65. Ils étaient parents de trois enfants. Ils se disputaient parce qu’il la soupçonnait d’une infidélité. Il l’a frappée à coups de poing puis avec une feuille de boucher au visage et à la poitrine. Il a ensuite téléphoné à leur fille pour lui annoncer qu’il avait tué sa mère et qu’il allait se suicider. Il a raccroché et s’est défenestré du quatrième étage. Quelques semaines auparavant, elle était sortie de chez elle en pyjama en criant à l’aide, qu’il allait la tuer. Il avait été placé en garde à vue et avait reçu un rappel à la loi. Il avait également fait une tentative de suicide et était sorti récemment d’hôpital psychiatrique. Rueil-Malmaison, Hauts-de-Seine.

Elle avait 46 ans. Elle a été retrouvée morte étranglée dans le sous-sol de sa maison. A ses côtés, son mari était dans un état critique. Ils avaient 5 enfants, âgés de 12 à 24 ans. Après avoir été hospitalisé, il a été placé en garde à vue. Il a expliqué s’être violemment disputé avec sa femme, être tombé et puis le trou noir. Aucun souvenir. Elle envisageait de le quitter. Quelques semaines auparavant, il avait porté plainte contre elle pour menaces de mort et le même jour, elle avait déposé plainte contre lui pour violences conjugales. Nanteuil-lès-Meaux, Marne.

Elle s’appelait Gisèle. Elle avait 53 ans et travaillait depuis dix-neuf ans comme femme de ménage à la mairie de Pleucadeuc. Elle était mère et grand-mère. Elle avait quitté le domicile conjugal depuis cinq semaines pour s’installer chez sa fille. Ce dimanche-là, elle était partie en randonnée avec une amie, elles avaient passé l’après-midi ensemble. Vers 19 heures, Gisèle est partie de chez son amie. Elle s’est installée dans sa voiture. Son mari, 54 ans, employé dans l’agroalimentaire, qui était stationné dans un véhicule à côté, lui a tiré dessus à bout portant à quatre reprises avec son fusil de chasse. Il est ensuite venu s’asseoir sur le siège passager, à côté d’elle, et a retourné l’arme contre lui. Il s’est blessé au visage. Il était connu de la police pour des problèmes d’alcool et des faits de violence. Son avocat a expliqué : «Il n’a ni prémédité, ni préparé son acte. Il a pété les plombs, voilà tout.» Pleucadeuc, Morbihan.

Elle s’appelait Jennifer. Elle avait 31 ans. Elle était séparée de son conjoint, Loïc, mais ils vivaient encore ensemble ainsi qu’avec leurs deux enfants âgés de 3 et 7 ans. Jennifer avait prévu de déménager en février. Mais elle a disparu. Un avis de recherche a été lancé. Elle était portée disparue depuis deux mois quand son corps a été retrouvé dans un ravin. C’est son ancien compagnon, Loïc, 31 ans, employé à l’aéroport de Bastia, qui a indiqué aux enquêteurs l’emplacement de son corps. Il a reconnu avoir étranglé Jennifer. Elle l’aurait menacé avec un couteau. Il a ensuite déplacé le corps avec sa voiture et l’a dissimulé dans la végétation en contrebas d’une route. Il s’est débarrassé du téléphone et de la voiture de la victime. Son avocate a déclaré qu’il regrettait douloureusement son geste. Vescovato, Haute-Corse.

Elle s’appelait Rita. Elle avait 58 ans. Elle était conductrice de cars. On lui a tiré dessus un matin devant son entreprise. Selon le procureur, il s’agirait de son ex-compagnon, Alberto, 59 ans, qui aurait ensuite retourné l’arme contre lui mais serait encore en vie. La rupture était récente. Alberto avait déjà été condamné en Italie, en 1988, pour le meurtre de sa compagne de l’époque. Elle avait refusé de l’épouser. Condamné à huit ans de prison, il en avait fait quatre. Montmélian, Savoie.

Elle s’appelait Stéphanie. Elle avait 30 ans. Elle travaillait dans une mutuelle à Corbeil-Essonnes. Il y a deux ans, elle a rencontré Lothaire, 33 ans. Elle travaillait pour la cantine d’une société pour laquelle Lothaire faisait une mission de consulting en informatique de quelques mois. Il l’a draguée mais Stéphanie n’était pas intéressée. Elle a ensuite changé d’emploi. Elle sortait de son travail à la mutuelle, un soir à 18 heures. Lothaire l’attendait. Il avait dissimulé sous son manteau un fusil à pompe et de quoi l’attacher, son plan étant de la kidnapper. Mais elle s’est débattue. Il lui a tiré dessus deux fois puis s’est fait exploser la tête. Corbeil-Essonnes, Essonne.

Elle s’appelait Sylvie. Elle avait 47 ans. Elle était aide à domicile. Elle était en instance de divorce avec Claude, 50 ans, carrossier. Le jour où il devait quitter le domicile conjugal, il l’a abattue avec un fusil de chasse puis s’est pendu. Rigny-le-Ferron, Aube.

Elle s’appelait Marie-Rose. Elle était «octogénaire». Elle avait travaillé à France Télécom. Son mari, René, l’a poignardée dans la cuisine puis s’est pendu dans le garage. Longjumeau, Essonne.

Mars

Elle s’appelait Hélène. Elle avait 27 ans et était la gérante d’un centre équestre. Elle a été retrouvée poignardée dans la cour de son établissement où elle vivait seule. Elle a reçu deux coups de couteau au cœur et au poumon. Son ex-compagnon a été mis en examen pour assassinat. Yannick a 45 ans, il est pompier volontaire. Ils sont restés trois ans ensemble et étaient séparés depuis un mois. Il a reconnu être possessif et jaloux. Il a également reconnu la préméditation. Début mars, Hélène avait porté plainte contre lui pour violation de domicile. Il était entré chez elle en cassant une vitre. L’affaire avait été classée sans suite sous condition de remboursement des frais. Trigny, Marne.

Elle s’appelait Betty. Elle avait 43 ans. Elle était brigadière de police au commissariat de Pointe-à-Pitre. Elle avait trois enfants. Son mari, Pascal, 44 ans, surveillant pénitentiaire, a aspergé son épouse d’un liquide inflammable, puis l’a brûlée vive. Il a empêché un voisin d’intervenir, puis s’est suicidé en se jetant sur le corps en flamme de son épouse. Le couple était en cours de séparation. Il y avait déjà eu une violente dispute sur le parking du commissariat et le mari avait été placé en garde à vue. Betty avait porté plainte contre lui pour violences. Il avait été jugé en comparution immédiate et avait interdiction d’approcher Betty. Il était malgré tout revenu la voir en la menaçant quelques jours plus tard. Gosier, Guadeloupe.

Elle avait 44 ans. Elle était auxiliaire de vie dans le collège où étaient scolarisés deux de ses enfants, âgés de 12 et 13 ans. Avec son nouveau compagnon, ils avaient également un petit garçon de 5 ans et demi. Elle a été poignardée chez elle. Les trois enfants ont également été poignardés dans leurs lits. L’homme, 46 ans, boucher-désosseur, s’est jeté sous un train. Dans sa voiture, les gendarmes ont trouvé un texte dans lequel il reconnaît les meurtres. Le couple était en cours de séparation et il ne le supportait pas. Il craignait de perdre son fils. Il avait été condamné dans les années 90 pour violences avec armes à trois ans d’incarcération. Beaumont-lès-Valence, Drôme.

Elle s’appelait Kelly. Elle avait 20 ans. Ce soir-là, elle passait récupérer ses affaires chez son ex, Steven, âge de 22 ans. Ils se sont disputés. Elle a été poignardée à mort. Son ancien compagnon avait également des plaies au couteau. Il a été hospitalisé puis a été placé en garde à vue. Montval-sur-Loir, Sarthe.

Elle s’appelait Julie. Elle avait 43 ans. Elle était secrétaire dans un cabinet dentaire et avait un fils de 13 ans. Depuis plusieurs semaines, elle se sentait menacée par un ex-compagnon. Il avait forcé la porte de chez elle pour la menacer. Elle avait déposé une main courante, prévenu ses amis et voisins et demandé au père de son fils de le prendre chez lui pour qu’il soit en sécurité. L’ex a réussi à entrer chez elle, il lui a donné 53 coups de couteau dont 7 mortels. Il était encore sur les lieux quand les pompiers sont arrivés. Nice, Alpes-Maritimes.

Elle s’appelait Blandine. Elle avait 29 ans. Elle était aide-soignante dans un hôpital. Elle avait une fille de 5 ans. Elle a été retrouvée morte à son domicile, au côté de Pascal, son ex-compagnon, garagiste, 33 ans, décédé lui aussi, une arme à feu près de lui. Selon le parquet, l’homme aurait tué son ex-compagne avant de se donner la mort. Le maire de la commune d’origine de Pascal a dit : «Pascal, que je connaissais bien, était quelqu’un de très doux, très équilibré.» Miramont-d’Astarac, Gers.

Elle s’appelait Nicole. Elle avait 62 ans. Elle a été battue à mort chez elle. Elle avait plusieurs côtes et une épaule cassées et présentait également des traces de coups plus anciennes. Son ex-concubin, 32 ans, a été mis en examen. En octobre dernier, il avait été condamné à six mois de prison pour des faits de violence sur Nicole. Il avait été placé sous contrôle judiciaire avec obligation de suivi. La peine était assortie d’une interdiction d’entrer en contact avec Nicole. Abbeville, Somme.

Elle s’appelait Marcelle. Elle avait 90 ans. Elle était infirmière à la retraite. Son mari, Frédéric, 86 ans, l’a tuée en la frappant avec une casserole. Peu de temps avant, on avait diagnostiqué à Frédéric une maladie d’Alzheimer. Il a déclaré : «Elle a ce qu’elle mérite, je l’ai fracassée». Limeil-Brévannes, Val-de-Marne.

Elle s’appelait Cathy. Elle avait 43 ans. Elle était employée municipale. Elle avait cinq enfants. Elle venait de quitter son mari, 48 ans. Elle est retournée chez eux pour récupérer des affaires. Il l’a étranglée. Hospitalisée, elle est décédée quelques jours plus tard. Fosses, Val-d’Oise.

Elle s’appelait Virginie. Elle avait 41 ans. Elle avait une fille de 13 ans. Elle entretenait une relation épisodique avec Pierre, 45 ans. Il avait déjà été condamné en 2014 et 2015 pour des violences contre Virginie mais il continuait de débarquer chez elle malgré l’interdiction de la voir. Ce soir-là, il reconnaît l’avoir frappée à plusieurs reprises au visage et à la tête. Le lendemain matin, il est retourné chez elle. Elle était inconsciente, ou morte. Il a nettoyé les taches de sang. Il a également donné un bain à Virginie, toujours inconsciente ou morte, et l’a déposée sur le canapé. C’est sa fille de 13 ans, qui rentrait d’un week-end chez ses grands-parents, qui l’a ensuite trouvée, morte. Vaivre-et-Montoille, Haute-Saône.

Elle s’appelait Nicole. Elle avait 47 ans. Elle sortait d’une supérette avec son nouveau compagnon quand une voiture leur a foncé dessus et les a renversés. Le conducteur était son ancien conjoint, Jean-Pierre, 58 ans. Il était sorti de prison depuis deux ans après une peine de quinze ans pour un crime sexuel. Saint-Louis, Réunion.

Elle s’appelait Djeneba. Elle avait 37 ans. Elle s’occupait d’un élevage de bovins. Elle était originaire du Mali où elle avait été vétérinaire puis elle était venue en France en 2008 pour suivre Jean-Paul, 67 ans qu’elle a épousé. Ils avaient trois enfants. L’an dernier, Djeneba a lancé une procédure de divorce suite à des violences conjugales. Une ordonnance de protection avait été mise en place interdisant à Jean-Paul, chasseur, le port d’arme, mais personne n’était venu saisir ses armes. Ce matin-là, alors qu’elle venait de déposer ses enfants à l’école et à la crèche, elle est arrivée dans la cour de l’exploitation agricole où elle travaillait. Jean-Paul l’attendait, il l’a abattue d’un tir de fusil de chasse. Les proches envisagent de porter plainte contre les services de l’état. Gorses, Lot.

Avril

Elle s’appelait Nastasia. Elle avait 18 ans. Elle était groom-stagiaire dans un centre équestre. Elle sortait depuis quelques mois avec Roberto, 38 ans. Il l’a poignardée, chez elle. Un coup à la carotide a été fatal. Longvilliers, Yvelines.

Elle s’appelait Djamila. Elle avait 31 ans. Elle a été retrouvée sur son lit, victime de deux coups de couteau à la gorge et un à l’abdomen. A côté d’elle, les pompiers, qui venaient pour un problème de fuite d’eau, ont trouvé son compagnon, 47 ans, allongé. Il dormait, ivre. Il semblerait qu’il n’aurait pas supporté une infidélité. Alès, Gard.

Elle s’appelait Séverine. Elle avait 29 ans. Elle était mère de deux enfants, âgés de 6 ans et 18 mois. Elle venait de se séparer de leur père, 32 ans. Elle a été battue à mort chez elle. Son ex-compagnon s’est présenté au commissariat, accompagné de leurs enfants, pour se constituer prisonnier le soir même. Il lui avait déjà cassé le nez en janvier dernier. La Plaine, Maine-et-Loire.

Elle avait 35 ans. Elle avait trois enfants de 11, 8 et 5 ans. Les deux petits jouaient ailleurs mais l’aîné était présent dans la cuisine quand son père, 43 ans, a poignardé sa mère. L’enfant s’est interposé et a été blessé. Il a réussi à appeler les secours. Elle était aidée depuis 2014 par l’association SOS femmes 49. En novembre 2015, elle avait déposé une plainte pour menace de mort qui avait été classée sans suite après enquête et confrontation des deux parties. En novembre 2016, elle avait entamé une procédure de divorce. Elle a reçu 24 coups de couteau, principalement au visage et dans le cou. Trélazé, Maine-et-Loire.

Elle avait 35 ans. Elle était «adulte protégée». Ils s’étaient rencontrés à l’hôpital psychiatrique de Rennes. Ils avaient tous les deux également des problèmes d’alcool. Son ex-compagnon, 42 ans, a été retrouvé dans l’appartement de la victime, à proximité du corps poignardé. Elle a reçu 45 coups de couteau, principalement à l’abdomen. Plus d’une vingtaine était mortels. Il avait déjà été condamné deux fois pour des violences contre elle et avait interdiction de l’approcher. Rennes, Ille-et-Vilaine.

Elle s’appelait Alison. Elle avait 26 ans. Elle était en voiture avec son compagnon, 41 ans, employé aux espaces verts, et leur fils de 2 ans. Leur aîné, âgé de 7 ans, n’était pas présent. Ils étaient sur la départementale 47. Ils s’étaient arrêtés sur le bas-côté de la chaussée, étaient sortis de la voiture quand son compagnon l’a poignardée à 11 reprises dans l’abdomen. Un automobiliste qui passait a assisté à la scène et a appelé les secours mais ils n’ont pas pu la réanimer. Son compagnon, encore sur les lieux, a été arrêté. Il était connu de la police pour des faits de violence. Il a expliqué avoir mené durant des années une double vie. Il venait d’accepter de demander le divorce et venait d’emménager chez Alison. Alors que leur situation se «normalisait», elle l’aurait menacé de le quitter. Il dit avoir voulu la menacer. Rombas, Moselle.

Elle s’appelait Danièle. Elle avait 72 ans. Elle était mariée depuis trente-six ans avec Georges, 93 ans. Il l’a tuée avec une arme de poing avant de se suicider. Georges souffrait d’un cancer à un stade avancé. Danièle fréquentait depuis un an une association d’aide aux femmes, l’Apiaf. L’association a expliqué qu’elle avait pris conscience de la violence de son mari qui la tenait enfermée au maximum mais qu’elle ne souhaitait pas le quitter, elle disait que c’était un homme très vieux, pas dangereux. Toulouse, Haute-Garonne.

Elle s’appelait France-Lise. Elle avait 52 ans. Elle avait été conseillère municipale. Elle avait deux filles. Elle était en instance de divorce. Son mari, Paul, 53 ans, serrurier, l’a abattue devant chez elle de deux balles et s’est ensuite suicidé. Haute-Rivoire, Rhône.

Mai

Elle s’appelait Noémie. Elle avait 30 ans. Elle était infirmière. Elle s’est disputée avec son petit ami, 31 ans, policier. Noémie a été touchée par un tir dans le dos. Le policier, qui n’était pas en service, avait son arme de fonction avec lui. Il était déjà connu pour des faits de violences sur une ex-compagne. Nailly, Yonne.

Elle s’appelait Marion. Elle avait 41 ans. Elle était la mère de deux petits garçons. C’est son compagnon, Martial, 40 ans, qui a prévenu la police, affirmant qu’il l’avait trouvée morte chez eux. L’autopsie a révélé qu’elle avait été violée et battue. Les voisins ont évoqué des cris, une forte dispute. Le conjoint a été mis en examen pour violences volontaires et viol ayant entraîné la mort. Il s’est pendu en détention. En mars, Marion avait déjà été soignée pour des coups mais n’avait pas porté plainte. Aigrefeuille-sur-Maine, Loire-Atlantique.

Elle s’appelait Nathalie. Elle avait 45 ans. Elle avait deux enfants, de 18 et 22 ans. Elle venait de quitter son compagnon. Il est entré chez elle par la force, avec une arme à feu et lui a tiré dessus à bout portant. Il a ensuite retourné l’arme contre lui. Il est décédé le lendemain des suites de ses blessures. Brignoles, Var.

Elle s’appelait Michèle. Elle avait 38 ans. Elle fréquentait Mourad, 30 ans, depuis trois ans. Elle a été tuée à coups de marteau. Mourad nie être responsable mais il a été vu s’enfuyant de chez Michèle, montant en voiture et partant à toute vitesse. Sa voiture a été retrouvée dans un fossé un peu plus loin. Il a continué à pied et a été arrêté. Lagorce, Gironde.

Elle avait 78 ans. Elle venait de quitter son compagnon et avait emménagé en Dordogne, près du domicile de leur fils. Son compagnon, 80 ans, l’a étranglée avec une écharpe avant de se pendre avec un câble électrique. Le parquet précise qu’il ne s’agit pas d’un «suicide altruiste», «cette dame ne voulait pas mourir». Domme, Dordogne.

Elle avait 48 ans. Elle venait de se séparer de son compagnon, 50 ans. Ils tenaient ensemble un bar-restaurant. Elle souhaitait vendre l’affaire pour reprendre sa part et pouvoir retourner vivre au Brésil, son pays d’origine. Il l’a abattue de quatre balles devant le bar. Eragny, Val-d’Oise.

Elle s’appelait Sadia. Elle avait 47 ans. Son compagnon, Damien, 46 ans, ancien agent communal, l’a abattue de deux balles de revolver dont une dans la tête. Il s’est ensuite suicidé. Ils avaient chacun de leur côté des enfants. Les enquêteurs évoquent une violente dispute et un «contexte alcoolisé» mais on ignore les raisons de cet homicide. Cour-et-Buis, Isère.

Elle avait la trentaine. Elle était serveuse dans un restaurant. Son ex-compagnon, 37 ans, est entré dans le restaurant en pleine journée et l’a poignardée. Il a ensuite poignardé le cuisinier avec qui il soupçonnait qu’elle entretenait une liaison. Chambéry, Savoie.

Elle s’appelait Margaux. Elle avait 29 ans. Elle travaillait comme aide-puéricultrice dans une crèche. Elle avait deux enfants de 5 et 6 ans. Ils étaient présents cette nuit-là, à leur domicile. Mohamed, 29 ans, son compagnon et père de ses enfants, dont elle s’était séparée mais avec qui elle revivait depuis un mois, a débarqué dans la nuit chez un proche pour lui confier leurs deux enfants. Il a lui expliqué qu’ils s’étaient disputés et qu’elle était inconsciente quand il était parti. Il a laissé les enfants et a ensuite pris la fuite. Le proche a prévenu les secours qui ont retrouvé la victime morte avec un sac sur la tête et une cordelette autour du cou. C’était le jour de son anniversaire. Mohamed, qui avait réussi à rejoindre la Tunisie, a finalement décidé de se rendre à la police. La Trinité, Alpes-Maritimes.

Elle s’appelait Claire. Elle avait 35 ans. Elle était secrétaire médicale. Elle avait un garçon de 4 ans. Elle avait disparu de son domicile depuis le 22 avril. Son corps dénudé a été retrouvé par un promeneur le 7 mai près d’une ferme abandonnée. Elle a été tuée par arme blanche. Son compagnon, Simon, 30 ans, a été mis en examen. Il nie les faits mais pour les enquêteurs tout converge vers lui. Cohiniac, Côtes-d’Armor.

Juin

Elle s’appelait Liliya. Elle avait 49 ans. Elle a été tuée d’une balle dans la tête un matin devant son immeuble. Non loin de là, les policiers ont découvert un homme, Gérard, 68 ans, médecin, mort par balle également dans sa voiture, son fusil de chasse à côté de lui. Il s’agissait de son ex-compagnon. Les enquêteurs privilégient la piste du «drame passionnel». Cannes, Alpes-Maritimes.

Elle s’appelait Emilie. Elle avait 34 ans. Elle était secrétaire administrative. Elle avait un bébé de 15 mois avec Guillaume, 37 ans, ancien concessionnaire automobile. Ils élevaient également ensemble trois autres enfants issus d’unions précédentes. Ils étaient en instance de divorce après deux ans de mariage. Guillaume a confié les enfants pour la nuit aux grands-parents. Le lendemain, un TGV parti de Paris vers Nantes a percuté leurs corps. Emilie avait été ligotée au niveau des chevilles et des poignets avec du ruban adhésif. D’après l’autopsie, elle était vivante au moment du passage du train. Une enquête est ouverte pour homicide volontaire suivi d’un suicide. Elle a été tuée le jour de son anniversaire. Beauvilliers, Eure-et-Loir.

Elle s’appelait Sophie. Elle avait 90 ans. Elle avait fait un AVC mais venait de sortir de l’hôpital. Elle remarchait et faisait elle-même ses courses. D’après des voisins, elle était très heureuse d’être rentrée chez elle. Son mari l’a étranglée avant de tenter de se suicider avec une arme à feu. Il a été hospitalisé et son pronostic vital n’est plus engagé. Crépy-en-Valois, Oise.

Elle avait 32 ans. Elle était maître-chien. Son compagnon, la cinquantaine, ancien avocat, l’aurait étranglée avec un câble électrique. Ils se battaient souvent, la police avait dû intervenir à plusieurs reprises. Beauvais, Oise.

Elle s’appelait Virginie. Elle avait 48 ans. Elle avait sept enfants, âgés de 9 à 30 ans. Son corps a été retrouvé après l’incendie de son appartement dans lequel elle vivait seule depuis deux ans. Le feu aurait servi à masquer le meurtre, la cause du décès étant des blessures à l’arme blanche. Son ancien compagnon, 31 ans, a été arrêté. Saint-Omer, Pas-de-Calais.

Elle s’appelait Stella. Elle était secrétaire dans un Ehpad. Avec son mari Laurent, qui travaillait dans une fonderie, elle avait trois enfants âgés de 10 à 19 ans. Elle était atteinte d’une grave maladie. Sur Facebook, elle s’était réjouie de son cadeau de Saint Valentin : des places pour le concert de U2 en juillet prochain à Paris. Les pompiers ont été alertés d’un début d’incendie dans leur pavillon. A leur arrivée, ils ont découvert les corps du couple. Leurs enfants étaient chez les grands-parents. Il semblerait que Laurent aurait appelé les secours en disant qu’il avait fait une bêtise. Il aurait tué Stella avant de se suicider. Les Ormes, Vienne.

Elle avait 45 ans. Elle avait deux enfants de 14 et 21 ans. Elle travaillait dans un centre de vacances. C’est son compagnon qui a appelé la police. Il a ensuite tenté de se suicider. Blessé, il a été hospitalisé. Le corps de la victime présentait des plaies à l’arme blanche et des marques de strangulation. Pont-l’Évêque, Normandie.

Elle s’appelait Rhadia. Elle avait trois enfants. Les circonstances de sa mort ne sont pas connues pour l’instant. Quand elle a été prise en charge par les secours, son pronostic vital était engagé. Elle est finalement décédée. Son compagnon a été interpellé. Evry, Essonne.

Juillet

Elle s’appelait Mélanie. Elle avait 25 ans. Placé en garde à vue, son ex-compagnon a expliqué s’être disputé avec elle. Il serait ensuite sorti de l’appartement, aurait entendu un cri, serait revenu dans le salon et aurait alors trouvé Mélanie blessée. Elle a reçu trois coups de couteau au thorax, dont un mortel. Sarrebourg, Lorraine.

Elle avait 34 ans. Elle avait un enfant. Elle était mariée. Un homme, la trentaine, employé dans un Carrefour City, a prévenu les secours. Qui ont trouvé cet homme chez lui, gravement blessé au cou. Il aurait tenté de se suicider avant de les appeler. Il a indiqué aux enquêteurs que le corps de la femme était dans le coffre de sa voiture, sur un parking, à côté de l’appartement. Il a été placé en détention et n’a pour l’instant apporté aucune explication. D’après l’autopsie, elle est morte suite à un syndrome asphyxique. Saint-Alban-Leysse, Savoie.

Elle avait 32 ans. Elle avait un petit garçon de quatre ans. Elle était séparée du père. Son fils était gardé par son ex-belle-mère. C’est elle qui, sans nouvelles depuis deux jours, s’est inquiétée. Elle a prévenu la police qui s’est rendue chez sur place. Ils y ont trouvé le corps de la jeune femme, qui avait été étranglée, ainsi que celui d’un homme qui aurait été son amant et qui se serait pendu. Les enquêteurs pensent qu’il s’agit d’un homicide suivi d’un suicide. Elancourt, Yvelines.

Elle s’appelait Brigitte. Elle avait 62 ans. Elle avait cinq enfants. Elle était présidente du club de bridge de Chauny. Son mari, Régis, 67 ans, médecin à la retraite, s’est rendu à la gendarmerie pour avouer son crime. Brigitte a été retrouvée étranglée à leur domicile. Régis a été mis en examen pour meurtre aggravé. Le couple vivait toujours sous le même toit mais semblait être en voie de séparation. En 2015, le mari avait été condamné pour des violences conjugales à l’encontre de Brigitte. Chauny, Aisne.

Elle s’appelait Natacha. Elle avait 38 ans. Elle avait 6 enfants. Elle a été retrouvée morte chez elle. Elle a été tuée à coups de batte de base-ball dans la tête. Son conjoint, 35 ans, sans emploi, a été placé en garde à vue, soupçonné de meurtre. La famille connaissait de nombreuses difficultés, et avait été signalée pour des actes de violence conjugale. Les enfants avaient été placés. L’ensemble du village semblait au courant de la situation. Le maire a déclaré lui avoir conseillé à plusieurs reprises de porter plainte mais qu’elle avait refusé par peur. Une seconde information judiciaire a été ouverte pour une éventuelle non-assistance à personne en danger. Alzonne, Aude.

Elle s’appelait Estelle. Elle avait 36 ans. Elle avait un enfant. Elle a été tuée par arme blanche. Elle a été retrouvée dans le logement de son compagnon, un trentenaire qui vivait dans un centre d’hébergement pour personnes en grande précarité. Les enquêteurs évoquent un contexte de forte alcoolisation. Le compagnon a été mis en examen pour homicide volontaire aggravé et faits de violence. Il affirme que la victime s’est elle-même donné le coup de couteau fatal. Abbeville, Somme.

Elle s’appelait Florence. Elle avait 31 ans. Elle avait trois enfants de 16, 10 et 3 ans. Elle a été poignardée à la gorge et dans le dos par son mari, 48 ans, carrossier, sous les yeux de leur fils cadet. Ce sont les cris de l’enfant qui ont alerté les voisins. Depuis quelques semaines, elle était fréquemment absente de leur domicile. Son mari la soupçonnait d’avoir une liaison. Paea, Tahiti.

Elle s’appelait Michèle. Des proches qui s’inquiétaient de la disparition de cette mère et de sa fille de 18 ans, Estelle, ont prévenu la police qui s’est rendue à leur domicile. Les policiers y ont trouvé les deux corps, poignardés. Leur état indique qu’ils étaient là depuis plus d’un mois. Laurent, 43 ans, le mari et père, qui continuait de vivre dans l’appartement, a reconnu son implication dans le double meurtre. Ils avaient également un fils de 11 ans qui a été pris en charge par les gendarmes. Il n’aurait pas assisté aux meurtres et aurait continué de vivre dans le logement en ignorant tout. Le suspect a avoué avoir tué son épouse mais affirme que celle-ci venait de tuer leur fille. Corbas, Rhône.

Elle avait 37 ans. Elle avait un enfant de deux ans. Elle était aide-soignante dans un hôpital. C’est sa sœur, inquiète de ne plus avoir de ses nouvelles, qui a prévenu la police. Les policiers sont venus mener une enquête dans l’immeuble. La gardienne leur a signalé qu’un container de poubelle avait disparu depuis plusieurs jours. En inspectant la cave, ils ont trouvé le bac manquant et le corps de la victime à l’intérieur. Son compagnon, 34 ans, qui était dans l’appartement avec leur enfant, a été arrêté. Il a expliqué qu’elle l’avait énervé. Ils étaient dans la salle de bains, il l’a frappée, l’a laissée pour morte et est parti se coucher. Le lendemain, constatant qu’elle était décédée, il a caché son corps dans un container de poubelle à la cave. Sa sœur a raconté que quelques semaines plus tôt, elle avait déjà un cocard à l’œil et que son compagnon surveillait ses moindres faits et gestes. Paris, Ile de France.

Originaire de Rouen, elle était en vacances avec son conjoint et leur petite-fille de trois ans à Bandol. En fin d’après-midi, son conjoint a appelé la police pour dire qu’il l’avait tuée. Quand les policiers sont arrivés, ils ont découvert qu’elle avait été étouffée. Leur fille était présente. Bandol, Var.

Elle avait la cinquantaine. Elle avait plusieurs enfants. Elle était en cours de séparation avec son compagnon, la cinquantaine aussi. Elle venait de faire une demande auprès des services municipaux pour obtenir un autre logement. Il l’a abattue au fusil de chasse avant de se suicider. Carentan, Normandie.

Août

Elle avait quatre enfants, dont le plus âgé a 10 ans. Son compagnon, 35 ans, a appelé la police et les pompiers pour signaler son décès à leur domicile. Mais sur place, les enquêteurs ont des doutes. L’autopsie confirme que la femme a été tuée. Son compagnon a été mis en examen pour homicide volontaire. Saint-Etienne, Loire.

Elle avait 30 ans. Elle avait deux enfants de 3 et 2 ans. C’est son compagnon, 51 ans, peintre en bâtiment, qui a appelé les pompiers en signalant qu’elle ne respirait plus. Mais les secours ont découvert des ecchymoses sur son corps. L’autopsie a révélé qu’elle avait reçu des coups violents au crâne. L’homme avait déjà été condamné pour des violences sur une ex-compagne. Il a été mis en examen pour violences volontaires ayant entraîné la mort. Grenoble, Isère.

Elle s’appelait Frédérique. Elle avait 51 ans. Elle était archiviste à Fontainebleau. Son mari, Eric, 53 ans, agent de sécurité, l’a étranglée avec une ceinture de peignoir de nuit. Elle est décédée après trois jours de coma. Poligny, Seine-et-Marne.

Elle s’appelait Hulya. Elle avait 35 ans. Elle avait quatre enfants. Son ex-compagnon dont elle était séparée depuis deux mois s’est rendu chez elle tôt un matin. Il a découvert qu’un autre homme était présent avec elle. Ils se sont disputés. L’ex compagnon a attaqué l’homme à la machette et l’a blessé. Il a poignardé son ex-compagne à plusieurs reprises, elle a réussi à fuir mais il l’a poursuivie jusqu’à un parking devant une boulangerie. Il l’a encore poignardée avant de repartir en voiture. En démarrant, il lui aurait roulé dessus. Il s’est rendu au commissariat quelques heures plus tard. La Grand-Croix, Loire.

Elle avait 64 ans. Elle a été retrouvée morte à son domicile, ruée de coups. Les enquêteurs ont immédiatement recherché son compagnon, 30 ans. Le voisinage évoque de fréquentes disputes. Le suspect s’est finalement rendu à la police et a été incarcéré. Saint-Nizier d’Azergues, Rhône.

Elle s’appelait Thalie. Elle avait 36 ans. Son compagnon, 35 ans, l’a frappée avec un robinet neuf, pas encore monté. Des coups suffisamment violents pour la tuer. Il s’est rendu de lui-même à la police avec sa mère et son beau-père. Il a expliqué qu’il s’agissait d’un différend au sujet de la cuisson d’œufs au plat. Il a des antécédents psychiatriques. A cette occasion, plusieurs sites d’infos ont fait des titres «rigolos».  Nantes, Loire-Atlantique.

Elle s’appelait Geneviève. Elle avait 77 ans. Elle avait deux enfants et des petits-enfants. Elle avait été institutrice. C’est son mari, Michel, 74 ans, ancien conseiller municipal, qui a prévenu les secours. Il l’aurait étranglée. Il a ensuite avalé des médicaments pour se suicider, en vain. Ils étaient mariés depuis quarante ans et aucun voisin n’avait remarqué de problème particulier. La Bassée, Nord.

Elle s’appelait Laura. Elle avait 18 ans depuis six jours. Elle venait d’obtenir son bac. Son compagnon, David, 28 ans, passionné d’armes à feux, a admis lui avoir tiré dessus mais plaide le tir accidentel. Après ses aveux, il s’est précipité la tête contre un mur et a été hospitalisé. Les enquêteurs ont retrouvé l’arme dans une rivière proche. Le procureur a indiqué qu’il s’agissait d’un meurtre et non d’un accident. David avait déjà été condamné pour des faits violence et il lui était interdit de détenir des armes. Rambervilliers, Vosges.

Elle s’appelait Aurélie. Elle avait 29 ans. Elle était aide à domicile pour les personnes âgées. Elle avait trois enfants, âgés de 8 à 3 ans, ils étaient présents ce soir-là. Des voisins ont entendu des cris et ont appelé la police. Quand les secours sont arrivés, elle était morte. Elle a reçu 16 coups de couteau et a été égorgée. Son compagnon, présent sur les lieux, a été arrêté. Il était alcoolisé et tenait des propos incohérents. Heyrieux, Isère.

Septembre

Elle s’appelait Sindy. Elle avait 34 ans. Elle avait cinq enfants. Ce matin-là, il était 11h30, elle était sur le quai de la gare avec ses jumeaux de 5 ans et son autre enfant de 3 ans. Son conjoint, 38 ans, policier, est arrivé sur le quai avec une arme à feu et a tiré sur elle et deux de ses enfants, les touchant mortellement. La troisième enfant a réussi à s’échapper. L’homme a ensuite retourné l’arme contre lui. Le matin même, elle avait annoncé à son conjoint sa décision de le quitter. Une dispute avait alors éclaté dans le domicile familial. Elle avait appelé la gendarmerie. En arrivant sur place, les gendarmes avaient trouvé l’homme «parfaitement calme». Ils s’étaient simplement assurés qu’elle et ses enfants allaient s’installer chez les voisins et que le conjoint ne s’y opposait pas. Les voisins ont ensuite conduit Sindy et les trois petits à la gare, elle souhaitait aller chez son frère, en région parisienne. Noyon, Oise.

Elle avait 52 ans, elle était sans emploi. Son compagnon, la quarantaine, l’a poignardée à six reprises, au thorax, au cou et à la main avec un couteau de cuisine. Encore sur place quand la police et les pompiers sont arrivés, il était alcoolisé et incapable de fournir une explication, évoquant une dispute. «Cette triste affaire illustre la problématique des violences conjugales, qui se concrétisent aussi par des homicides. Les victimes sont souvent des gens qui n’avaient pas déposé plainte précédemment», a expliqué le procureur de la République de Montpellier. Montpellier, Hérault.

Elle avait la cinquantaine. A la suite d’un appel téléphonique, un soir vers 20 heures, la police et les secours se sont rendus chez elle. On leur avait signalé une femme gravement blessée. A leur arrivée, elle était décédée. Elle a été battue à mort. Son compagnon, la cinquantaine, présent sur les lieux et alcoolisé, a été arrêté. Il était déjà connu pour des violences. Pertuis, Vaucluse.

Elle avait 42 ans. Une voisine a aperçu par sa fenêtre un corps gisant dans l’appartement et a prévenu les pompiers. Sur place, ils ont découvert deux corps, tués par arme à feu ainsi qu’un revolver. Les circonstances sont floues. Il semblerait que l’homme, âgé de 38 ans, divorcé, venait d’emménager dans l’appartement. La femme était en couple de son côté. La police privilégie la piste de l’homicide suivi du suicide de l’homme. Antibes, Alpes-Maritimes.

Elle s’appelait Lauren. Elle avait 24 ans. Elle avait deux petites-filles de 1,5 an et 4 ans. Elle faisait des remplacements dans une grande surface. Elle a été retrouvée étranglée chez elle. Son compagnon, chauffeur intérimaire, a été mis en examen. Il avait lui-même prévenu la police. Il a avoué l’avoir tuée parce qu’il avait peur qu’elle le quitte. Ils étaient en couple depuis sept ans. Les fillettes étaient présentes lors du crime. Marnay, Vienne.

Elle s’appelait Leila. Elle avait 34 ans. Elle était enseignante. Elle avait deux fils âgés de 3 et 6 ans. C’est un marabout qui a prévenu la police, expliquant qu’un homme était venu lui demander comment faire disparaître trois corps. Sur place, la police a trouvé les corps de la mère et des deux enfants, tous tués par arme blanche. Le compagnon de la femme, avec qui il entretenait une liaison depuis un an, a avoué. Il a expliqué avoir appris qu’elle voyait quelqu’un d’autre. Il avait déjà été condamné en 2010 pour des faits de violence. Fort-de-France, Martinique.

Elle avait 34 ans. Elle habitait avec son compagnon et leur fille de 7 ans au quatrième étage d’un immeuble. Un soir, une dispute a éclaté avec son compagnon. Il a alors aspergé son épouse avec un liquide inflammable avant de l’immoler. Il s’est également immolé par le feu. Ayant vu la fumée, ce sont les voisins qui ont prévenu les pompiers. Ils ont retrouvé la femme brûlée à 80% et le compagnon à 70%. La petite-fille n’était pas blessée physiquement mais en état de choc. Sa mère est décédée quelques jours plus tard. D’après les enquêteurs, l’homme n’aurait pas accepté une éventuelle séparation. Le Plessis-Robinson, Hauts-de-Seine.

Elle s’appelait Aude. Elle avait 34 ans. Elle avait une petite-fille née d’une précédente union. Depuis plusieurs années, elle vivait en Belgique avec son conjoint, Joachim, 26 ans, employé à la poste belge, mais le couple traversait une période difficile. Il l’avait frappée lors d’une crise d’angoisse en juin, il souffrait d’un syndrôme post-traumatique. Elle était venue passer quelques jours à Vannes, dans un appartement prêté par la famille d’Aude, et il l’y a rejointe. Des voisins ont entendu plusieurs disputes. C’est sa mère qui a trouvé Aude dans le salon, dans une mare de sang, avec un couteau à ses côtés. Son conjoint a été retrouvé quelques jours plus tard noyé dans un canal du Morbihan. Son corps était lesté de trois pierres dans sa veste.. Vannes, Morbihan.

Elle avait 24 ans. Elle est morte des suites d’une chute depuis le balcon de son appartement situé au 5e étage d’un immeuble. Son concubin, 34 ans, était présent. Il nie l’avoir poussée mais admet qu’ils étaient en train de se disputer et que des coups ont été échangés. Il a été mis en examen pour meurtre et violences volontaires. Orléans, Loiret.

Octobre

Elle s’appelait Emmanuelle. Elle avait 26 ans. Elle avait quatre enfants. Il était 8h30 ce vendredi-là, elle s’apprêtait à accompagner à l’école trois de ses enfants. Thierry, 30 ans, son ex-compagnon, également père de ses enfants, l’attendait en bas de chez elle. Il l’a poignardée à plusieurs reprises dans le hall de l’immeuble, sous les yeux des enfants. Elle venait de le quitter au bout de onze ans ensemble. Il avait été placé en garde à vue quelques jours plus tôt pour des menaces de mort. Il a été arrêté. Jeumont, Nord.

Elle s’appelait Marine-Sophie. Elle avait 24 ans. Elle venait de réussir son diplôme de géophysique, promo 2016 d’un double diplôme ENSG/EOST. Elle avait rencontré son compagnon à l’école. C’est sa famille, sans nouvelle depuis une dizaine de jours, qui a prévenu la police. On a retrouvé son corps à son domicile, il présentait des traces de coups et des blessures à l’arme blanche. Son compagnon a pris la fuite au Maroc. Strasbourg, Alsace.

Elle avait 56 ans. Elle était employée dans un abattoir de volailles. Elle a été retrouvée poignardée à mort chez elle. Son compagnon, 56 ans, a été arrêté en Loire Atlantique. La gendarmerie a confirmé être déjà intervenue à plusieurs reprises à leur domicile pour des disputes. Ernée, Mayenne.

Elle s’appelait Yamina. Elle avait 42 ans. Elle avait des enfants. En février dernier, son mari l’a déposée en voiture à Auxerre, où elle allait faire des courses. Elle a disparu ce jour-là. En octobre, des promeneurs ont trouvé des papiers lui appartenant dans une forêt. La police a effectué de nouvelles recherches et trouvé son corps sous des branchages. Son mari a été mis en examen pour homicide volontaire. Il affirme qu’il est innocent. L’autopsie devrait apporter davantage d’éléments. Auxerre, Yonne.

Elle avait 51 ans. Elle avait trois enfants. Elle a été tuée chez elle de 32 coups de couteau. C’est son fils, qui est rentré cette nuit-là vers 1h du matin, qui l’a découverte. Il a appelé les secours. Le concubin de sa mère, 57 ans, était prostré dans une autre pièce. La police l’a arrêté, il a avoué le crime mais a été incapable de l’expliquer. D’après le procureur, il consommait quotidiennement entre un litre et un litre et demi de vin. Il avait déjà été condamné en 2012 pour violences aggravées à l’encontre de sa compagne. En février dernier, il avait été condamné à six mois de prison dont trois avec sursis pour menaces de mort sur sa conjointe. Il avait fait appel et attendait que l’affaire soit rejugée. Moléans, Eure-et-Loir.

Elle s’appelait Corinne. Elle avait 42 ans. Elle avait deux filles d’une vingtaine d’années. Ce jour-là, elle était seule à la maison avec son compagnon. C’est en début d’après-midi que des voisins ont entendu des cris qui venaient de chez elle. Elle appelait à l’aide. Ils ont également entendu les bruits de coups. Certains voisins ont essayé d’enfoncer la porte, en vain. Son compagnon a fini par ouvrir en annonçant «c’est terminé». Le procureur a déclaré qu’il l’avait tuée en la frappant avec un «objet du quotidien». Les voisins disent qu’il y avait des rumeurs de séparation du couple. La Trinité, île de la Réunion.

Elle s’appelait Marielle. Elle avait 50 ans. Elle travaillait dans un hôpital. C’est son employeur qui a donné l’alerte, ne la voyant pas au travail. À son domicile, la police a découvert son corps, ainsi que celui de son conjoint et de leur chien, tous tués avec un fusil de chasse présent à côté d’eux. Son compagnon, Gérard, âgé de 69 ans, avait été policier avant de prendre sa retraite. Il aurait d’abord abattu le chien, puis sa compagne, avant de se suicider. Varen, Tarn-et-Garonne.

Elle s’appelait Catherine. Elle avait une cinquantaine d’années. Son ancien compagnon n’a pas accepté qu’elle le quitte. Il l’a abattue chez elle avec une carabine avant de se suicider. Champagne sur Oise, Val d’Oise.

Elle avait 66 ans. Son mari, 72 ans, l’a tuée avec une arme à feu avant de se suicider. C’est le livreur qui leur apportait des repas à domicile qui a donné l’alerte. Louroux-Bourdonnais, Allier.

Elle s’appelait Céline. Elle avait 47 ans. Elle dirigeait une exploitation agricole avec son mari, Pierre, 47 ans aussi. Ils étaient mariés depuis 21 ans. Il semble que leur entreprise ne connaissait pas de difficulté financière particulière. Ils avaient trois enfants : Jean (20 ans), Marion (18 ans) et Baudouin (14 ans). Les deux aînés étudiaient ailleurs mais étaient revenus dans la maison familiale pour les vacances de la Toussaint. L’anniversaire de leur mère approchait. Son mari l’a tuée avec une arme à feu ainsi que leurs trois enfants. Il s’est ensuite suicidé. Aucune lettre d’explication n’a été trouvée. Nouvion-et-Catillon, Aisne.

Titiou Lecoq

Affaire Tariq Ramadan : « Nous choisissons d’inverser la charge de la preuve et de croire la parole des femmes »

Dans une tribune au Monde, un collectif de féministes musulmanes et antiracistes affirme refuser de suivre tant les adversaires que les soutiens les plus zélés de ce prédicateur, qui en profitent pour déverser leur haine.

Les scandales autour des agissements de prédateurs sexuels à Hollywood, dans le monde politique et médiatique français ou les affaires Nouman Ali Khan et Tariq Ramadan nous ont bouleversées, tant l’ampleur du phénomène et le désarroi des victimes sont insoutenables. Et en même temps, l’espoir est permis parce que chaque plainte pour viol ou agression sexuelle est en soi une victoire, tant les conséquences d’une prise de parole publique de femmes violées et agressées sexuellement sont lourdes.

Les hommes coupables d’agression sexuelle ont droit à la « présomption d’innocence » voire à la « prescription des faits », alors que leurs victimes doivent peser avec prudence chaque mot sous peine d’être attaquées pour diffamation et sont condamnées à vivre avec la honte toute leur vie. D’aucuns diront pourtant qu’il est trop tôt pour réagir, car il faudrait attendre que « justice soit faite ». Lorsque l’on sait que seulement 2 % à 3 % des hommes accusés de viol sont condamnés, l’on comprend bien qu’attendre que justice soit rendue signifie en fin de compte : attendre que les criminels sexuels soient acquittés.

Mécaniques racistes et sexistes

Car force est de constater que les femmes qui portent plainte ne sont pas à égalité avec les hommes qu’elles accusent, surtout lorsqu’ils sont puissants, pas plus que les victimes de crimes policiers ne le sont lorsqu’elles ont le courage de porter plainte contre un policier ou un gendarme qui jouit de la protection d’une institution tout entière. Nos systèmes judiciaires ne sont pas exempts des mécaniques racistes et sexistes qui ont cours dans l’ensemble de la société, ils en sont même les corollaires.

D’autant que le procès de Tariq Ramadan, lui, est déjà en cours sur les réseaux sociaux. D’un côté, la récupération politique des milieux islamophobes se donne à cœur joie, eux qui dénoncent non pas les agissements d’un homme mais ceux d’un musulman, faisant état de « violences sexuelles islamistes » comme s’il fallait « islamiser » l’horreur. Le parallèle est pourtant aisé entre l’autorité d’un leader communautaire charismatique et celle d’un homme riche et puissant comme celle de Dominique Strauss-Kahn sur une femme de chambre ou de Harvey Weinstein sur les actrices des films qu’il produisait.

De l’autre, dans les milieux favorables à Tariq Ramadan, ce sont les victimes présumées qui sont insultées, accusées notamment d’être les actrices d’un sombre complot sioniste, des mythomanes, voire d’être coupables parce qu’elles ont répondu favorablement à son invitation en montant dans sa chambre.

Il faut inverser la charge de la preuve

Devant une telle asymétrie des ressources et de crédibilité accordée aux uns contre les autres, nous, féministes antiracistes et musulmanes, nous choisissons d’inverser la charge de la preuve et de croire la parole des femmes. Penser qu’un homme est innocent, simplement parce qu’une plaignante pourrait corroborer une rhétorique islamophobe, fait le jeu de la loi de l’omerta.

Il faut en finir avec cette « solidarité négative » qui lierait tous les musulmans entre eux dès lors que l’un d’eux fait un faux pas. Même s’il faut le reconnaître, dans une société où l’islamophobie s’est vue érigée en « racisme respectable », cette affaire, bon gré, mal gré, nous impacte tous. Néanmoins, nous nous refusons à l’aveuglement volontaire, car la vérité nous ferait mal aux yeux ou « écornerait notre honneur ». Ne nous rendons pas complices par notre silence.

De la même façon, la récupération d’une plainte pour viol à des fins racistes ne peut que nuire aux victimes elles-mêmes et à leurs soutiens, car elle les prend en otage et les force à choisir leur camp. Comme si dénoncer leur agresseur racisé signifiait pointer du doigt toute leur communauté. D’autant que certaines parmi nous ont directement été confrontées au sexisme de Tariq Ramadan. Leurs interactions avec lui ont été marquées par des tentatives malsaines de séduction, une volonté de contrôle affectif et de manipulation psychologique alors qu’elles étaient pour certaines bien jeunes.

Un avant et un après

Un incroyable silence semblait régner autour du fait que cet homme se plaçait en guide religieux de nombreuses jeunes femmes en détresse à qui il distribuait sa carte de visite après chaque conférence. Nous ne pouvons dès lors qu’imaginer et déplorer que ses présumées victimes comme Henda Ayari, n’aient pas trouvé le soutien dont elles avaient besoin, si ce n’est auprès de personnes qui souhaitaient faire un odieux commerce de leur courageux témoignage.

Quelle que soit la décision de la justice, il y aura un avant et un après l’affaire Tariq Ramadan au sein des communautés musulmanes et des réseaux qui lui sont proches. La possibilité de tels actes doit initier une profonde, réelle et sincère prise de conscience collective et un véritable engagement pour que les conditions même de ces actes présumés ne soient plus jamais réunies.

Car le racisme nourrit le sexisme et le sexisme alimente le racisme. Nous, féministes antiracistes et musulmanes, choisissons une troisième voix : l’engagement pour toutes contre la honte et le silence concernant les violences sexuelles et la solidarité avec les victimes quelle que soit leur identité ou celle de l’agresseur.

Les signataires de cette tribune sont : Maria Al-Abdeh (microbiologiste), Leila Alaouf (étudiante chercheure en littératures, genres et études postcoloniales à Sorbonne-Nouvelle), Fatima Ali (doctorante en études théâtrales à Paris-Nanterre, artiste), Zahra Ali (enseignante-chercheure à Rutgers University), Ahlem Assali (biologiste), Aïcha Bounaga (doctorante à Sciences-Po Aix), Seyma Gelen (enseignante, membre du collectif féministe Kahina, Bruxelles), Souad Lamrani (doctorante en philosophie à Paris-Sorbonne), Ndella Paye (membre fondatrice du collectif Maman toutes égales), Fatima Sissani (réalisatrice), Attika Trabelsi (coprésidente de l’association Lallab), Khaoula Zoghlami (doctorante en communication à l’université de Montréal) et Sarah Zouak (cofondatrice et directrice exécutive Lallab, réalisatrice).

LE MONDE | 07.11.2017 à 17 h 32 • Mis à jour le 07.11.2017 à 17 h 53 |

 

#Balancetonporc, #Metoo : ne pas en rester là

Est-ce d’une loi dont nous avons vraiment besoin ?

paru dans lundimatin#121, le 6 novembre 2017

Depuis les accusations d’agressions sexuelles et de harcèlements contre le producteur américain Harvey Weinstein, de très nombreuses femmes ont pris la parole pour dénoncer, et raconter, les expériences auxquelles elles sont confrontées quotidiennement. A cette occasion, une loi visant à pénaliser le harcèlement de rue portée par la secrétaire d’État Marlène Schiappa est remise au goût du jour et devrait être adoptée au premier semestre 2018. Qu’attendre du droit et d’une nouvelle loi ? Une lectrice de lundimatin répond : rien.

Il fallait parler. Trop de choses ont été tues, depuis trop longtemps. Une goutte fait déborder le vase : la dénonciation d’un producteur par une actrice, puis dix, puis vingt. Il fallait que l’on se dise que le harcèlement et le viol ne sont pas l’apanage des hautes sphères de la culture, mais sont le lot quotidien de milliers de femmes. Parler à la première personne, dire je, notamment faire fermer leur clapet à celles et ceux qui font du beurre sur les descriptions objectives de la situation. Qui veulent toujours dire ce que sont les femmes, ce qu’elles subissent ou ce qu’elle devraient faire. Qui parlent toujours au nom de toutes les femmes, alors qu’ils/elles sont incapables de parler d’eux/elles-même. Dire je et se rendre compte, rendre visible, que ce qui est le plus intime, le plus caché, est aussi ce que nous avons en partage. J’appelle cela : commencer la politique. Parce que le fait de ne pas s’en tenir au discours officiel, mais commencer en regardant ce que ça nous fait à nous, dans nos corps, dans nos chairs, et le mettre en partage, c’est commencer à faire de la politique. Se refléter, se reconnaître dans le récit d’une amie, d’une inconnue. Se découvrir soi-même à travers le miroir fidèle de sa semblable. Et comprendre que l’on n’est pas toute seule : c’est commencer à faire de la politique. Je n’ai pas lu de revendications particulières, pas de grand discours surplombant qui prétende englober toutes les femmes : je n’ai lu que des récits d’expérience. Et cette multitudes de « je » forme comme le début d’un récit collectif qui n’a pas besoin de se rendre homogène pour exister. Dire « je », ce n’est pas en rester à son histoire particulière, c’est aussi participer à construire une histoire qui nous dépasse.

Et une fois la parole prise, je n’ai pas le sentiment d’en avoir fini. Je n’ai pas envie que cette histoire s’arrête ici. Que nous prenions conscience de nous-même, et que nous rentrions ensuite à la maison. J’en veux davantage. Parce que si nous en restons là, que fera-t-on de notre parole ? Qu’en restera-t-il ?

Ne pas en rester là, parce que pointer un problème sans réfléchir à des solutions pour le résoudre ne me renforce pas. Je ne veux pas que l’on m’accole le statut de victime, de sexe faible, à protéger. Si ce récit s’arrête ici, il est possible que cette libération de la parole nous fragilise, parce qu’il ne suffit pas d’être conscientes de la réalité des violences faites aux femmes mais bien se donner les moyens de lutter contre. Me laisser enfermer dans le rôle de la victime, c’est laisser s’instaurer une médiation entre mon corps et la violence. C’est me déposséder de ma capacité d’agir. C’est encore demander protection à l’homme, parce que les femmes ne seraient pas capables de violence, seraient incapables de répondre à ceux qui les humilient. Ou même ne seraient pas capables d’imaginer d’autres types de réponse que la violence.

Lorsque l’on entend que la ministre de l’égalité entre les sexes veut faire une loi contre le harcèlement de rue, il y a des questions à se poser. Que ce projet de loi précède Me too n’est pas le problème, la ministre se sert désormais de cela pour appuyer une loi qui semble d’ailleurs plaire à tout le monde. Mais est-ce une loi dont nous avons vraiment besoin ?

La loi pose le débat en deux termes : soit on est contre, et alors nous sommes pour la poursuite des violences ; soit nous sommes pour, et l’on est pour le progrès. Où se trouve ma liberté dans cette dualité posée par la prétendue neutralité juridique ? Et que ferait-on alors des femmes qui, refusant de passer par la loi, trouveraient plus sensé de faire justice à partir d’elles-mêmes ? Dans ce cas, il est certain que la loi en faveur des femmes se retournerait contre elles, parce qu’une fois la loi promulguée, les femmes n’auraient alors aucune légitimité à se défendre autrement.

Lorsque l’état et la justice parlent des problèmes liés aux femmes, ils ne peuvent s’empêcher d’en faire un bloc opprimé et homogène. Ils ne peuvent pas voir que les expériences différentes des vécus féminins ne demandent pas forcement à être prises en charge par leur soin. Qu’il est possible que certaines choses ne les regardent pas. Lorsque ceux-ci parlent de « nous » protéger, j’entends tout de suite qu’il s’agit de me dépolitiser. Que la réalité du harcèlement soit mise au même plan que le crachat de rue, c’est faire d’un problème politique une simple question d’éducation. Alors que les rapports de pouvoir les plus crasses se révèlent jusque dans les plus hautes sphères, on nous parlera bientôt d’une vaste opération de morale publique qui ne remettra absolument rien en cause. Et qui n’aura par conséquent rien de politique. Est-ce pour faire de nos mots et de nos corps le terrain d’une telle opération que nous avons écrit ?

Et de même : lorsque je vois, que j’écoute, certaines femmes qui se sont faites mes porte-paroles sans mon assentiment, je me demande pour qui elles se prennent. Pour qui elles se prennent à usurper mon je, mon expérience, pour en faire un projet dans lequel je ne me reconnais pas. Je me sens presque plus de sympathie pour celles qui disent s’en foutre du harcèlement, qui considèrent qu’elles ont bien d’autres problèmes, ou même pour ces femmes qui se taisent, râlent dans leur coin, plutôt que pour celles qui demandent des caméras de surveillance dans les rues. Et bien plus encore que pour celles qui se lamentent de ne pas pouvoir se balader tranquillement à la Chapelle. Il y a ici toute la différence entre une politique sensible, qui part de soi ; et une autre, abstraite, qui n’entend rien d’autre que le discours sur « la condition féminine ».

S’il fallait parler, ce n’était donc sûrement pas pour se plaindre, mais au contraire, pour commencer à sentir qu’une force était en train de naître, qu’elle continue de croître au moment ou je vous parle. Je pense que cette force ne doit pas se jeter dans les bras de la loi et de la police, mais qu’elle doit être le point de départ d’une liberté qu’il s’agit encore de découvrir et qui ne nous sera donnée par personne d’autre que par nous-mêmes.

Au-delà du Mirena : que nous apprennent les polémiques récentes sur la gynécologie-obstétrique ?

NB: Nous avons choisi de mettre le terme patiente au féminin pour ce texte. Les hommes trans consultent aussi en gynécologie et font face à de nombreux problèmes, qui relèvent surtout de la transphobie plutôt que du sexisme. Nous préférons pour ce sujet laisser la parole aux associations concernées (par exemple, ici ou ).

 

Ces dernières années, les polémiques en gynécologie se multiplient :  touchers vaginaux sans consentement sur des patientes sous anesthésie générale, épisiotomies sans explication, pilules de troisième génération, refus de poser des DIU (dispositifs intra-utérins) à des femmes sous prétexte de nulliparité, effets secondaires du Mirena (DIU hormonal), expression abdominale lors des accouchements… Pour chacune d’elles, nous nous réjouissons que la parole des patientes soit relayée dans les médias et enfin entendue. Dans le même temps, nous déplorons les réactions des représentant·e·s du corps médical et le traitement médiatique de ces polémiques successives, qui empêchent d’examiner sérieusement les enjeux soulevés.

Information et respect du consentement

Au cœur des revendications des patientes, nous identifions un problème profond et récurrent : le manque d’informations données et le défaut de recueil et de respect du consentement (ou du refus !).

Concernant le DIU hormonal Mirena, par exemple, nous assistons à une mobilisation des patientes pour la reconnaissance de ses effets secondaires : baisse de libido, céphalées, douleurs abdomino-pelviennes… Ces effets indésirables sont pourtant déjà identifiés et bien connus par les professionnel·le·s de santé. Ils sont d’ailleurs indiqués dans la notice du dispositif. Pourquoi n’ont-ils pas été présentés lors de la prescription et de la pose du dispositif ? Pourquoi les patientes évoquant ces manifestations se voient-elles ignorées, voire moquées par leurs consultant·e·s ? Il en est de même pour les pilules de troisième génération et de manière générale pour toutes les contraceptions hormonales, qui comme tout traitement, peuvent présenter des effets indésirables, variables selon les individus. Nous constatons donc que beaucoup trop souvent, les informations données au préalable par les soignant·e·s en matière de contraception sont insuffisantes et ne permettent en aucun cas aux patientes de faire un choix éclairé. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise contraception mais seulement une bonne ou une mauvaise information !

Il n’est pas étonnant de constater que les femmes, que la médecine considère comme incompétentes pour choisir leur contraception, sont traitées avec le même mépris en ce qui concerne les actes réalisés sur leurs corps au cours d’un accouchement. Sous prétexte d’urgence vitale, ou d’un « état » particulier de la femme lors de l’accouchement, des médecins ou sages-femmes se dispensent de prévenir, d’expliquer et de s’assurer du consentement de leurs patientes pour pratiquer des gestes, parfois justifiés, parfois très discutables médicalement et scientifiquement, tels que des épisiotomies ou des expressions abdominales.

Cette infantilisation des patientes mène à leur déshumanisation, comme par exemple lors de la pratique des touchers vaginaux sous anesthésie générale, sans consentement de la patiente, sous couvert d’enseignement aux étudiant·e·s.

Les réponses-types du corps médical

Face à ces témoignages, les réponses du corps médical (syndicats de professionnel·le·s, collèges de spécialistes médicaux, personnalités médicales médiatiques) sont trop souvent indignes : négation de l’existence des mauvaises pratiques, distinction entre de bons et de mauvais médecins, ou encore injonction à changer de professionnel·le de santé.

Nier l’existence des mauvaises pratiques ou en minimiser l’étendue est d’abord une négation de la parole des patientes. On peut probablement l’expliquer par un classique réflexe corporatiste mais aussi parfois à une difficulté à se remettre en question : «je le fais très peu», « moi quand je le fais c’est vraiment justifié », « je le fais bien parce que moi je suis vraiment bienveillant·e »… Mais l’intention compte peu : pour les patientes qui ont été maltraitées, le résultat est le même.

D’autres justifications s’appuient sur les faiblesses du système de soin : manque de personnel, manque de temps, vision comptable actuelle de la médecine. Si elles sont plus légitimes, elles freinent tout de même une remise en question.

Une autre façon encore de se dédouaner est de montrer du doigt les fameuses brebis galeuses : « Il suffit de changer de médecin madame ! ». Ainsi les pratiques maltraitantes ne seraient que le fait de certain·e·s professionnel·le·s incompétent·e·s et mal intentionné·e·s. Une, deux, trois brebis galeuses, un troupeau, deux troupeaux…on pourrait se dire qu’à ce niveau-là c’est de l’élevage intensif.

Examinons l’injonction à « changer de médecin », dans le cas de l’expression abdominale. On peut se représenter la scène suivante : une femme enceinte, en plein travail, voit son médecin ou sa sage-femme s’apprêter à pratiquer une expression abdominale (pratique dont l’HAS réclame l’abandon depuis 2007) – en admettant qu’elle sache ce dont il s’agit -, que devrait-elle faire ? S’enfuir de la salle d’accouchement, appeler la police, une ambulance et exiger de changer de maternité immédiatement ? On voit bien l’absurdité d’un tel conseil. Dans une situation moins « pressante », elle reste inopérante. Comment changer de médecin quand on habite une zone sous-dotée et qu’il a fallu déjà parcourir plusieurs dizaines de kilomètres pour trouver un·e gynécologue ? Qui a les moyens financiers et le temps de multiplier les consultations avant de choisir son praticien ? En quoi changer de médecin règlerait le problème quand la pratique qu’on fuit est généralisée ?

Ce n’est pas aux patientes de changer de médecin mais aux médecins de changer leurs pratiques.

Transmissions de mauvaises pratiques

Ces attitudes sont transmises au cours de l’enseignement, ce qui participe à perpétuer les mauvaises pratiques.

Côté théorie, on apprend par exemple à la faculté de médecine l’adage « toute femme en âge de procréer est enceinte jusqu’à preuve du contraire » et ce, quels que soit ses dires (c’est même un classique des questions lors des examens écrits). Cela équivaut en réalité à apprendre que la parole des patientes ne vaut rien.

Côté pratique, l’apprentissage de la médecine se fait beaucoup par compagnonnage, c’est-à-dire par l’exemple de ses maîtres de stage. Même sans l’expliciter, on reproduit les comportements de ses pairs : la façon dont les enseignant·e·s parlent des patientes, la façon dont ils abordent les questions du choix notamment en matière de contraception, la façon dont ils recueillent le consentement (à commencer par le consentement à être examiné en présence de ou par un·e étudiant·e) a autant voire plus d’influence sur l’exercice futur de l’étudiant·e que la théorie enseignée dans les livres ou à l’école.

L’enseignement théorique peut parfois être plein de bonnes intentions : en tant qu’étudiant·e en médecine on apprend d’ailleurs bêtement par cœur les formules « information claire et loyale », « consentement libre et éclairé ». Mais si, dans les stages, les praticien·ne·s n’appliquent pas ces principes, ces mots et ce qu’ils impliquent ne seront jamais compris.

Il faut souligner également que même si un·e étudiant·e le voulait, il est très difficile de questionner des mauvaises pratiques face à des soignant·e·s « seniors » lors d’un stage.

Les soignant·e·s font obstacle à une remise en cause individuelle et collective de la part du corps médical, indispensable à une médecine de qualité. Accepter que le sexisme est systémique, c’est accepter que l’on puisse être soi-même sexiste. Il en va de même pour l’exercice du pouvoir médical : accepter que le système médical est maltraitant de par son organisation, son fonctionnement, sa pratique… c’est devoir accepter que l’on puisse nous-même être maltraitant. Les femmes se retrouvent victimes à double-titre : des violences sexistes et des violences médicales, qui prennent donc une forme particulière à leur encontre.

Désinformation et dérives

Ce que nous montrent aussi ces polémiques, c’est qu’à force de décrédibiliser la parole des patientes, on laisse la porte ouverte à (tous les vents de) la désinformation et la récupération des revendications. Parmi ceux qui ont intérêt à ce que les femmes se méfient de leur médecin, on retrouve par exemple des mouvements réactionnaires (anti IVG, anti contraception,…) (même si ces mouvements sont également présents au sein même du corps médical) et des adeptes de la théorie du complot et autres confusionnistes…

Entre les gynécologues et le corps médical en général, sourds à la détresse des femmes et qui appellent avec indécence à cesser le « gynéco bashing », et les discours anxiogènes qui frôlent la désinformation sur la pilule et les contraceptions hormonales, nous craignons un recul des droits reproductifs des femmes. En effet, à l’arrivée ce sont les femmes qui sont perdantes, l’accès à une information juste et fiable devenant de plus en plus difficile.

 

Nous militons pour le consentement libre et éclairé des patientes après information juste, claire et loyale, comme préalable à tout soin, tel qu’il est stipulé dans la loi.

Nous voulons qu’il soit appliqué dans la réalité, ce qui implique de le mettre au cœur de l’enseignement pratique, pas seulement en théorie.

Nous militons pour que les femmes soient maîtresses de leurs corps et de leurs choix en matière de santé.

Nous pensons que les soignant·e·s devraient savoir se remettre en question pour soutenir leurs patientes dans cette lutte : reconnaître quand ils ont des pratiques maltraitantes voire violentes (même pour celles et ceux dont l’intention est bonne ! ) et améliorer leur exercice.

Nous militons pour que la médecine de demain prenne en compte les schémas d’oppression de l’ensemble de la société (tels que par exemple le sexisme, le racisme, le classisme…). Ceux-ci n’épargnent pas le domaine du soin et sont même favorisés par le pouvoir exercé par les professionnel·le·s de santé sur leurs patientes à travers un savoir considéré comme asymétrique et une culture soignante paternaliste.

De la belle théorie à une pratique effective

Manifeste à destination des hommes alliés

par Ndella Paye 4 novembre 2017 (trouvé sur le site Les mots sont importants)

Depuis quelques jours circulent sur les réseaux sociaux différents hashtags pour dénoncer les violences que subissent les femmes au quotidien. L’idée étant que les personnes ayant vécu une situation de harcèlement et/ou d’agression sexuelle puissent en témoigner, si elles le veulent bien.

L’ampleur des agressions contre les femmes qu’a révélée le hashtag #MoiAussi ou #MeToo n’a laissé personne indifférent. C’est le cas de le dire.

Ces hashtags ont eu le mérite d’avoir libéré la parole, parole qui a mis mal à l’aise un nombre incalculable d’hommes, et même de femmes, y compris des victimes de violences.

Précision de taille : #MeToo fut à la base une campagne lancée par la militante noire américaine Tarana Burke, fondatrice de Just Be Inc, une association à destination de la jeunesse. L’objectif pour cette activiste était de rassembler les personnes victimes de violences sexuelles, notamment les personnes issues des minorités.

Pour Burke, la campagne n’a pas été construite dans le but d’être virale ou de lancer un hashtag populaire une journée mais oublié dès le lendemain. C’est un slogan à se passer de survivante en survivante, pour montrer aux gens qu’ils ne sont pas seuls et qu’un mouvement de la sorte est possible.

Il était important de le préciser pour rendre à César ce qui lui appartient.

Le hashtag, quant à lui, a eu pour objectif de permettre aux femmes qui le souhaitaient de pouvoir reprendre la parole et mettre des mots sur les différentes agressions (harcèlement, gestes déplacés, viol, violences physiques, verbales…) subies. Et pour celles qui veulent aller plus loin, de témoigner de la nature de la violence.

Quelques jours auparavant, il y eut le hashtag #BalanceTonPorc qui, de la même manière, permettait aux femmes de dénoncer leur agresseur si elles le souhaitaient.

Tous ces hashtags ont eu un réel succès, mais ont été largement critiqués et attaqués. On a vu ressortir des #NotAllMen (tous les hommes ne sont pas des agresseurs), et des femmes (elles-mêmes parfois, victimes de violences) dénoncer les dénonciations. Nous avons pu constater de nombreuses tentatives de réduction au silence des femmes qui souhaitaient s’exprimer car leur parole mettait mal à l’aise une société patriarcale aux relents sexistes et misogynes. D’autres l’ont même pris pour une injonction à parler et à dénoncer.

Il faut croire qu’il y en a qui découvrent ou feignent de découvrir l’ampleur des dégâts et leurs conséquences sur les femmes.

« Il faut aller porter plainte ! » crient certain.e.s, faisant comme si les policiers qui prennent les plaintes accueillaient comme il se doit les femmes victimes d’agressions, comme si la justice faisait bien son travail et enfin comme si témoigner et porter plainte ne pouvaient aller ensemble.

Nous avons vu également des hommes, alliés des femmes, se soulever contre les différentes tentatives de réduire au silence celles qui avaient décidé de témoigner et c’est à ceux-là que je m’adresse. Ceux qui au quotidien, en tout cas dans le discours, se mettent du côté des femmes dans leur quête de justice et leur combat pour une société plus égalitaire, plus sûre et sans violence aucune.

Ce qui leur est demandé maintenant, c’est de passer de la belle parole aux actes concrets pour accompagner, voire accélérer, le changement en train de s’opérer.

L’idée est très simple, il s’agit de mettre leurs pratiques en stricte conformité avec leurs théories, tout de suite.

La question est : combien de vos privilèges êtes-vous prêts à perdre, messieurs, pour un monde plus égalitaire, au-delà de vos vœux pieux ?

➢ Êtes-vous prêts, par exemple, à inviter votre collègue femme tous les midis pour corriger l’écart de salaire entre vous ? C’est une vraie et très sérieuse question. Les lois ne suffisent apparemment pas pour corriger les inégalités et enrailler les injustices. Vous êtes favorisés, que vous le vouliez ou non. En attendant que les salaires des femmes augmentent pour atteindre les vôtres, à travail et compétences égaux, c’est à vous de fournir des efforts. Et comme c’est vous qui détenez le pouvoir, cela accélérera certainement les choses.

➢ Pour ceux qui sont en position hiérarchique de pouvoir dans les entreprises, êtes-vous prêts à briser le plafond de verre ? Il s’agit de ne pas pénaliser les femmes dans leur accession au pouvoir à cause de leur maternité par exemple.

De dénoncer, en sanctionnant systématiquement les blagues sexistes, tous types de harcèlement, tous gestes et/ou paroles déplacés ? Cela sous-entend, évidemment, que vous n’en seriez jamais les auteurs.

Même sans occuper une place de pouvoir dans l’entreprise, vous devrez être du côté des femmes quand elles subissent les méfaits de leurs collègues mâles, vos semblables, en les soutenant, en dénonçant leurs auteurs pour que la peur et la honte changent enfin de camp.

➢ Pour les chercheurs, conférenciers, et intervenants en tous genres, êtes-vous prêts à laisser votre place à une collègue si le panel auquel vous êtes invités n’est pas paritaire ? (Vous aurez établi, au préalable, une liste de collègues femmes que vous proposerez pour vous remplacer). Vous refuserez de parler, à la place des femmes, de sujets ne vous concernant pas. Vous n’avez que trop pris la parole et n’occupez que trop l’espace public.

➢ Pour ceux qui sont en couple hétérosexuel, êtes-vous prêts à veiller, réellement, à ce que les tâches soient équitablement partagées à la maison ? À ce que la charge mentale ne repose plus exclusivement sur votre partenaire ? Et quand vous faites votre part de boulot, please, n’attendez ni n’exigez pas de remerciements, ni même une quelconque reconnaissance. Les femmes le font depuis trop longtemps sans aucune forme de reconnaissance ; pire, les tâches qu’elles effectuent sont dépréciées.

Nous ne sommes pas nées en sachant cuisiner, faire le ménage et nous occuper de la progéniture que nous concevons ensemble. C’est loin d’être naturel. Nous avons appris à le faire. Ce qui signifie que vous pouvez faire de même et à tout âge. Les femmes ne s’amusent pas à s’occuper de la corvée de la cuisine pendant que vous, messieurs, êtes des chefs cuistot. Tout comme ce n’est pas drôle pour nous de nous en sortir mieux que vous à l’école pour qu’en définitive les postes de pouvoir vous reviennent.

➢ Êtes-vous prêts à changer de trottoir la nuit quand vous vous retrouverez à marcher derrière une femme ? L’espace public n’est pas un espace de sécurité pour les femmes. Les hommes s’y comportent et l’occupent comme s’il leur appartenait. Donc il va falloir faire des efforts en attendant de le rendre moins violent et plus sûr pour elles.

Cela concerne également les transports en commun. Puisque vous êtes des alliés, vous y dénoncerez toute attaque à l’encontre d’une femme. Les corps des femmes ne vous appartiennent pas, vous ne pouvez en aucun cas les toucher et/ou les complimenter sans leur accord. Quand vos compliments mettent mal à l’aise une femme, vous devrez les arrêter immédiatement et vous en excuser. Vous n’aimeriez certainement pas qu’on vous pince les fesses sans crier gare, normal, c’est humiliant et porte atteinte au corps et à la dignité. Du respect, donc.

➢ Êtes-vous prêts à cesser tout « humour » sexiste ?

Les différents hashtags ont été repris par beaucoup trop d’hommes, ont été déformés pour les servir à toutes les sauces et détourner l’attention d’un sujet aussi grave. Les blagues des dominants à l’encontre des dominées ne sont pas drôles, en fait. Elles participent aux violences. Une fois de plus, au lieu de vous taire et d’écouter ce que les femmes ont à raconter, vous occupez l’espace et prenez la parole. Essayez donc de développer une capacité d’écoute. Apprenez à vous taire et à écouter plus, pour un meilleur partage de la parole.

➢ Êtes-vous prêts à constamment questionner vos comportements, vos paroles et vos gestes, votre attitude générale vis-à-vis des femmes ? Pas seulement vis-à-vis de votre mère, sœur ou fille mais de toutes les femmes. Êtes-vous prêts à corriger cette attitude immédiatement si elle devient problématique ?

Sachez aussi, messieurs, que les femmes ne sont jamais vraiment au repos. Quand vous êtes au café entre potes, vous pouvez parler football en oubliant les galères au travail, les corvées de la maison, l’éducation des enfants, etc. Les femmes, elles, n’en ont pas le loisir, elles n’y arrivent pas, la charge mentale est puissante. Elles passent leur temps à discuter de l’éducation et de l’école, des enfants et des corvées à la maison, des comportements sexistes au travail dans la rue, etc. Nos têtes sont en constante ébullition, même quand nous tentons de dormir, jamais vraiment au repos. Et pourquoi ? À cause des violences patriarcales que nous subissons au quotidien, et ce dans tous les espaces et tous les moments de nos vies. Les choses doivent changer.

C’est à vous de jouer maintenant, la balle est dans votre camp.

P.-S.

Ndella Paye militante afroféministe et antiraciste, membre fondatrice du collectif Mamans Toutes Egales.

Les médias sont partie intégrante du système de domination et sont détenus par les dominants, ce n’est donc pas le meilleur outil au service de nos luttes. Mais aujourd’hui grâce aux réseaux sociaux, une alternative très appréciable et un relais non négligeable, nous pouvons les obliger à traiter de sujets très sensibles voire nous passer carrément d’eux.

Mon militantisme de terrain n’étant plus à prouver, je voudrais profiter de l’élan de vulgarisation ouvert par #BalanceTonPorc et #MoiAussi pour lancer le hashtag #DeLaBelleTheorieAUnePratiqueEffective, afin d’accompagner et de visibiliser ce manifeste. Personne ne pourra me reprocher, très honnêtement, de ne faire que du militantisme hashtag. S’il reste un moyen de toucher le plus grand nombre, l’objectif est d’aller au-delà des dénonciations et de mettre en pratique les vœux pieux.

Se défendre. Une philosophie de la violence

Elsa Dorlin, Se défendre. Une philosophie de la violence, Zones éditions, 2017.

Dans le prologue de Se défendre, Elsa Dorlin revient sur le lynchage de Rodney King, chauffeur de taxi noir, par la police de Los Angeles. C’était en mars 1991 et, comme c’est devenu la norme aujourd’hui, la scène fut entièrement filmée par un témoin qui, « ce soir-là […] captur[a] ce qui s’apparente à une archive du temps présent de la domination. » La vidéo fut diffusée par les chaînes de télévision du monde entier. Un an plus tard, quatre policiers (ils étaient plus nombreux à avoir pris part au lynchage, mais seuls ces quatre-là avaient été inculpés) furent « blanchis » (c’est le cas de le le dire) par un jury populaire. Leur acquittement provoqua une certaine émotion dans les quartiers « susceptibles » de la ville des anges : afin de mettre fin aux émeutes qui s’ensuivirent, l’armée et la police tuèrent 53 personnes et en blessèrent 2 000… Si l’on croit savoir pourquoi une agression caractérisée et parfaitement documentée – la vidéo est toujours visible sur le net, ici par exemple – donna lieu à ce verdict pour le moins clément (grâce au racisme toujours à l’œuvre aux Etats-Unis), reste à comprendre comment, dans la pratique, il fut obtenu. Certes, aucun Africain-Américain ne faisait partie du jury – ils avaient été récusés par les avocats de la police. Tout de même, lorsque l’on voit les images, on se dit qu’il n’est pas possible d’innocenter les flics. Leurs avocats ont pourtant réussi le tour de force de présenter Rodney King comme l’agresseur ! Selon eux, les cops se sont sentis en danger face à un « colosse » qui tentait d’esquiver leurs coups. « Dans la salle d’audience, écrit Elsa Dorlin, la vidéo, visionnée par les jurés et commentée par les avocats des forces de l’ordre, est regardée comme une scène de légitime défense témoignant de la “vulnérabilité” des policiers. » Cette interprétation aberrante pour quiconque a vu les images de ce lynchage, car c’est bien ce qu’elles montrent, ne peut s’expliquer, selon Judith Butler, citée par Elsa Dorlin, que par le « cadre d’intelligibilité de perceptions qui ne sont jamais immédiates ». Dans un texte écrit peu après le verdict, Butler soutient que « la vidéo ne doit pas être appréhendée comme une donnée brute, matière à interprétations, mais comme la manifestation d’un “champ de visibilité racialement saturé” ». En d’autres termes, les policiers et les membres du jury ont vu ce qu’ils voulaient/pouvaient voir. Aujourd’hui comme hier en Amérique, l’agresseur est forcément le Noir, contre lequel il est légitime de se défendre. Lorsque celui-ci se mêle de se protéger, voire de se défendre à son tour, il devient gibier à abattre – voir, entre autres, l’histoire du Black Panther Party for Self-Defense.

Dans ce livre, Elsa Dorlin « retrace une généalogie de l’autodéfense politique », nous dit le texte de couverture. Il s’agit d’une double généalogie, ou de la généalogie de deux mouvements antagonistes : celle de la « légitime défense », autrement dit celle de la défense agressive des privilèges blanc et mâle, et celle de l’autodéfense des subalternes, « des résistances esclaves au ju-jitsu des suffragistes, de l’insurrection du ghetto de Varsovie aux Black Panthers ou aux patrouilles queer ». Dorlin commence par montrer comment l’avènement de la Modernité a reposé, entre autres conditions, sur « la fabrique des corps désarmés ». Mais pas n’importe lesquels : par exemple, le Code noir français (1685) défend « aux esclaves de porter aucune arme offensive, ni de gros bâtons », sous peine de fouet. Non seulement les esclaves ne devaient pas être armés, mais était prohibé tout ce qui pourrait leur donner l’occasion de « se préparer, de s’exercer à la révolte ». Elsa Dorlin cite ainsi Elijah Green, ancien esclave né en 1843 en Louisiane, lequel « rapporte qu’il était strictement interdit à un Noir d’être en possession d’un crayon ou d’un stylo sous peine d’être condamné pour tentative de meurtre et pendu ». (C’est moi qui souligne.) Par contre, « dans la plupart des contextes coloniaux et impériaux, le droit de porter et d’user d’armes est systématiquement octroyé aux colons. »

Cependant les subalternes s’organisent – ainsi, dans tous les contextes esclavagistes sont nées des pratiques clandestines d’autodéfense esclave, souvent déguisées en arts « inoffensifs », dont certains sont désormais bien connus en territoires métropolitains, et pratiqués pour leur aspect festif plutôt que martial, telle la capoeira brésilienne. Durant la Révolution française, des femmes réclament le droit de porter les armes et de former des « bataillons d’Amazones » en défense de la Révolution. Dans l’Angleterre du début du siècle passé, les suffragistes du Womens’s Social and Political Union pratique le ju-jitsu tout récemment importé du Japon et adapté aux besoins du combat de rue et de la protection des militantes féministes. « L’autodéfense des militantes du WSPU a été, précise Elsa Dorlin, non pas tant une ressource choisie dans un répertoire d’actions pour défendre leur cause – à savoir le droit de vote –, mais bien ce qui leur a permis de lutter collectivement par elles-mêmes et pour elles-mêmes, empêchant toute instrumentalisation nationaliste de leur cause. L’autodéfense n’est donc pas un moyen en vue d’une fin – acquérir un statut et une reconnaissance politiques –, elle politise des corps, sans médiation, sans délégation, sans représentation. » Je souligne ces mots qui me paraissent très importants en ce qu’ils permettent aussi bien, me semble-t-il, de comprendre ce qui se jouait dans les têtes de cortège du printemps 2016 à Paris et autres lieux…

Elsa Dorlin distingue ainsi « légitime défense » – de l’ordre raciste par le Klu Klux Klan ou les Dupont-la-Joie français flinguant des Arabes au petit bonheur dans les années 1970, tâche plus souvent déléguée à la police par la suite – et autodéfense populaire. Elle pointe cependant les dérives possibles de cette dernière, comme celle qui aboutit à la disparition du Black Panther Party, lequel, non seulement fut décimé par les forces de répression, mais aussi céda à une fascination machiste des armes et de l’uniforme qui le coupa de ce qu’il aurait dû être, ou rester : une force révolutionnaire.

Autre dérive, celle d’une partie du mouvement gay américain qui a contribué, afin d’aménager des zones safe pour le homosexuels, à inventer ce que nous connaissons aujourd’hui en France comme les « Voisins vigilants », soit une obsession sécuritaire que le (néo)libéralisme ambiant a très bien su diriger contre les pauvres, les marginaux, les délinquants, les gens pas comme il faut.

Le livre se termine pourtant sur une note plus optimiste avec un chapitre intitulé « Répliquer » construit autour d’un roman anglais du début des années 1990, Dirty Week-end, dont voici le résumé donné en quatrième de couverture : « Un beau jour, Bella en eut marre, marre de toujours être la victime, marre de toujours avoir peur, marre des désirs des mecs… Et elle se mit à les tuer. D’abord ce voisin vicieux qui la persécutait, puis un autre, rencontré par hasard, et qui aurait bien aimé la plier à ses caprices. Et cela lui a fait tant de bien, cela l’a tant soulagée, qu’elle se demande pourquoi elle a attendu si longtemps. Et demande pour les femmes le droit à la violence aveugle. » Au cours de ce dirty week-end, tous ceux que Bella va rencontrer y passeront à leur tour. « Les deux jours de Bella, commente Elsa Dorlin, figurent la temporalité d’un stage d’autodéfense féministe, avec sa pratique accélérée, son partage d’expériences, ses prises de conscience et ses recommandations. Bella n’a pas appris à se battre, elle a désappris à ne pas se battre. En passant à une stratégie d’autodéfense féministe, il ne sera donc jamais question de distiller la réalité pour en extraire l’efficace d’un geste (immobiliser, blesser, tuer…) mais, au contraire, de s’enfoncer dans la trame de la réalité sociale de la violence pour y entraîner un corps qui est déjà traversé par la violence, pour déployer un muscle familiarisé à la violence mais qui n’a fondamentalement jamais été éduqué et socialisé à s’entraîner à la violence, à l’agir. »

Elsa Dorlin tire d’autres leçons de ce livre d’Helen Zahavi. Tout d’abord, nous dit-elle, il « offre la possibilité de problématiser ce que nous appellerons un dirty care – un care négatif. » Selon les visions essentialistes, les femmes sont réputées attentives, prévenantes, ce qui explique leur disposition à prendre soin des autres et donc aux professions du care. Le care négatif, nous dit Elsa Dorlin, c’est aussi l’attention portée aux autres, mais pas afin d’en prendre soin : il s’agit d’échapper au harcèlement, au viol, à la violence quotidienne exercée par les hommes sur les femmes. C’est l’attention de la proie par rapport au prédateur. « À partir de cette idée d’attention qui caractérise le dirty care, il est possible de dégager deux éléments majeurs », poursuit Elsa Dorlin. Tout d’abord, ce mode d’attention à l’autre définit un mode de connaissance dans lequel l’objet à connaître prend une importance démesurée. « L’objet devient le centre du monde que le sujet appréhende depuis nulle part. » Dans ce rapport (comme dans tout rapport de domination), c’est l’objet (le chasseur) qui domine le sujet (la proie en tant qu’elle exerce ses capacités cognitives), car c’est lui qui définit les coordonnées de la réalité objective, « c’est son point de vue qui donne le la du réel », réel dont certains auteurs, cités en note par Elsa Dorlin, rappellent que l’étymologie anglaise et espagnole le rapportent « à des expressions qui renvoient à “royal” ou qui sont relatives au roi ». Ainsi, « la propriété de ce qui est réel est ce qui est royal, au roi. Ce qui est réel est ce qui est visible par le roi ». « Autrement dit, cet effort permanent pour connaître le mieux possible autrui dans le but de tenter de se défendre de ce qu’il peut nous faire, est une technologie de pouvoir qui se traduit par la production d’une ignorance non pas de nous-même mais de notre puissance d’agir qui nous devient étrangère, aliénée. » Les dominé·e·s développent ainsi « une connaissance sur les dominant·e·s qui constitue une archive de leur toute-puissance phénoménale et idéologique ». L’autre effet de ce care négatif concerne l’« objet-roi ». Il a déjà été désigné par le concept d’agnotologie, qui est l’étude de la production de l’ignorance. Contrairement aux proies qui doivent en savoir le plus possible sur leurs prédateurs afin d’espérer leur échapper, ces derniers n’ont aucun besoin de connaître mieux leurs proies : « Ignorant·e·s, les dominant·e·s sont engagé·e·s dans des postures cognitives qui leur épargnent à proprement parler de “voir” les autres, de s’en soucier, de les prendre en compte, de les connaître, de les considérer. »

Ouvert sur l’affaire Rodney King, le livre se referme sur le meurtre de Trayvon Martin : le 26 février 2012, George Zimmerman, un bon citoyen américain engagé dans un programme de « voisins vigilants », abat cet ado africain-américain dans un quartier blanc de la ville de Sanford en Floride. Trayvon avait le tort d’être noir et de porter un sweat shirt à capuche, ce qui a semble-t-il suffi à mettre son assassin en position de légitime défense, définie en Floride comme le fait d’agir « pour se protéger si [une personne] ressent un sentiment de peur raisonnable l’incitant à croire qu’elle sera tuée ou gravement blessée ». Un an et demi après les faits, Zimmerman sera acquitté malgré le fait qu’aucune preuve attestant une situation de légitime défense n’ait été produite par ses avocats. « George Zimmerman est un vigilant de l’État racial. Trayvon Martin était sans défense face à la menace d’être, en tant que jeune homme africain-américain, une proie abattable au nom de la légitime défense. » C’est la peur raisonnable ressentie par son assassin qui légalise le meurtre de Trayvon. « La peur comme projection renvoie ainsi à un monde ou le possible se confond tout entier avec l’insécurité, elle détermine désormais le devenir assassin de tout “bon citoyen”. Elle est l’arme d’un assujettissement émotionnel inédit des corps mais aussi d’un gouvernement musculaire d’individus sous tension, de vies sur la défensive. »

C’est ce qu’Elsa Dorlin a cherché – avec succès, à mon avis – à nous faire toucher du doigt tout au long de ce livre excellent  dans lequel elle utilise « [s]a propre histoire, [s]on expérience corporelle » pour « arpenter une histoire constellaire de l’autodéfense ». Sa culture théorique et politique, précise-t-elle dans le prologue, lui « a laissé en héritage l’idée fondatrice selon laquelle les rapports de pouvoir ne peuvent jamais […] complètement se rabattre in situ sur des face-à-face déjà collectifs, mais touchent à des expériences vécues de la domination dans l’intimité d’une chambre à coucher, au détour d’une bouche de métro, derrière la tranquillité apparente d’une réunion de famille… » On reconnaît là l’un des apports fondamentaux du féminisme, qui a montré que l’intime, le « privé » sont aussi politiques. Elsa Dorlin entend ainsi « travailler non pas à l’échelle des sujets politiques constitués, mais bien à celle de la politisation des subjectivités ». Et cela passe évidemment par les corps, par les muscles : « Au jour le jour, que fait la violence à nos vies, à nos corps, à nos muscles ? Et eux, à leur tour, que peuvent-ils à la fois faire et ne pas faire dans et par la violence ? » Ici réside l’un des principaux intérêts du livre, à mes yeux : loin des sempiternels débats autour de la violence et de la non-violence (lesquels, me semble-t-il, ne servent la plupart du temps qu’à renforcer les rapports de domination), il envisage les différentes pratiques violentes de façon très concrète, en ce qu’elles servent, ou non, les intérêts des un·e·s et des autres et en ce qu’elles produisent comme effets tangibles sur les corps comme sur les organisations politiques et sociales.

Moi aussi

Trouvé sur le net (l’original est ici) parmi beaucoup d’autres…

J’ai d’abord pensé que je ferais partie de celles qui assisteraient silencieusement au mouvement de libération de la parole à propos du harcèlement sexuel.
J’ai milité plusieurs années dans une association de lutte contre le harcèlement sexuel dans l’enseignement supérieur, CLASCHES. Et je me pensais suffisamment forte et distanciée vis à vis de ce sujet, capable d’en parler, y compris de situations personnelles.
Mais devant la vague des révélations, l’ampleur de la participation au fil des jours, la présence quotidienne de ce sujet dans les medias, et face à la nécessité de décider de ma prise de parole, j’ai réalisé que ce n’était pas si simple.
J’ai pris le temps d’observer ce que cet événement provoquait en moi. A côté de la satisfaction à voir cette parole se libérer, à assister à des débuts de prise de conscience, à côté de l’admiration, de l’empathie et de la reconnaissance pour celles qui osaient se manifester et dénoncer, je ressentais un vrai malaise, des sentiments beaucoup plus négatifs, de la colère, le besoin dans un premier temps de rester à l’écart du choeur des révélations.
J’ai fini par admettre que cela me fragilisait, au point que j’ai cessé assez rapidement de lire les témoignages et les dénonciations.
Tous ces récits, détaillés ou non, venaient réveiller des souvenirs désagréables voire douloureux – ce qui ne remet nullement en cause leur légitimité.

La stratégie du tri 

Mais surtout, j’ai compris qu’ils me confrontaient à mon déni, à la façon dont je gérais intérieurement mon histoire et les violences sexuelles en général.
Alors que je me pensais capable de les repérer, de les admettre et de les verbaliser, au moins pour moi-même, j’ai réalisé que je les triais.
Ce tri s’opère selon une figure concentrique :
vers l’extérieur du cercle, se situent les situations qui peuvent émerger clairement à ma conscience, que je peux évoquer et dénoncer (même si je n’ai jamais porté plainte contre personne). Plus on se rapproche du centre du cercle, plus il s’agit de situations difficiles à verbaliser, voire à me représenter, des situations que j’ai pu en partie refouler/oublier, dont je n’ai pas parlé pendant très longtemps, et que je continue à ne pas évoquer pour certaines.
En essayant de lister pour moi-même ces situations, en les observant revenir à ma mémoire, j’ai réalisé que le critère de ce tri n’était pas fonction de la gravité des agressions subies, ni de leur impact plus ou moins traumatique. Le critère majeur tient en premier lieu à la personne agresseuse : plus celle-ci est proche et connue, plus la situation est difficile à évoquer, voire même à qualifier d’agression ou de violence.

 Au plus loin, la rue

Ainsi, les situations que j’ai l’habitude d’évoquer sont des agressions commises par des hommes inconnus, dans des lieux publics, extérieurs, collectifs. Ce sont des agressions ponctuelles : je n’ai jamais recroisé mon agresseur par la suite. Il s’agit, par exemple, d’une agression sexuelle dans le hall de mon immeuble, quand j’avais 16 ans, par un homme qui m’avait suivie dans la rue alors que je rentrais chez moi. Ou encore d’un homme croisé dans un parc qui se masturbait en public. De toutes les agressions verbales (aussi bien sexistes que lesbophobes) subies dans la rue au fil des années, malheureusement bien trop fréquentes pour être dénombrées.
Pendant assez longtemps, je me suis raconté que mon expérience des violences sexuelles se limitait à ça. Ce n’était pas seulement que je triais sciemment ce que je racontais : le tri s’opérait aussi dans ma conscience, par un phénomène plus ou moins intense de refoulement. Et je parvenais à peu près à me convaincre moi-même que je n’avais pas d’autres choses à dénoncer. Ces situations que je situe dans la partie externe de mon schéma de tri, je peux les mettre à distance de moi, d’une certaine façon, et j’ai pu sans difficulté les qualifier d’agressions : même si elles m’ont impactée, en particulier cette agression dans mon immeuble qui a été traumatique et dont je n’ai pu parler à personne à l’époque, j’avais d’emblée conscience que je n’étais en rien responsable, que le problème se situait chez cet homme, pas chez moi. Et j’ai pu ressentir de la colère et de l’indignation, contre lui et contre le fonctionnement de cette société. Par ailleurs, je ne l’ai jamais revu. Et même si j’ai eu peur de le recroiser pendant une période, je n’ai jamais été confronté à nouveau à mon agresseur.
En fait, ces situations rentraient dans mon cadre de pensée, celui que l’on m’avait transmis et que l’on partage globalement dans mon milieu social, et dans l’ensemble de la société : il existe des hommes violents, qui agressent les femmes, et le monde extérieur peut être dangereux quand on est une jeune fille ou une femme seule. Ça arrive. En quelque sorte, on m’y avait préparée.

Entre deux, au travail et au lycée

Mais il y a bien d’autres situations qui ne rentrent pas complètement dans ce cadre, voire pas du tout. Et plus elles s’en éloignent, plus il devient difficile de les évoquer, de se les représenter.

En-dessous de cette première strate de situations que je peux relater sans problème, il y en a une seconde, déjà un peu plus délicate, qui concerne les situations de harcèlement vécues dans des lycées : l’une en tant que salariée, l’autre en tant qu’élève. Dans les deux cas, il s’agissait d’hommes adultes, un proviseur et un prof. Ces deux situations étaient plus diluées dans le temps, plus sournoises aussi, et caractérisées par un déni massif de l’entourage professionnel (infirmière scolaire, direction, CPE, Rectorat) qui pourtant savait, sans aucun doute possible (plusieurs plaintes avaient été prononcées).

Ces deux situations étaient plus difficiles à dénoncer, parce qu’il n’y a pas eu envers moi d’actes, pas d’agression physique, pas d’insultes : il s’agissait de propos malveillants, de regards déplacés, de manipulations, de remarques sur le physique, de l’instauration d’un climat hostile… C’était, par exemple, de la part du proviseur, le fait de venir s’installer dans mon bureau en l’absence de ma collègue (alors qu’il avait un bureau à lui où il était sensé travailler) et de mettre de la musique (sans me demander mon avis bien sûr), en l’occurrence uniquement des chansons contenant des propos sexuellement explicites. Ceci s’inscrivant dans un comportement quotidien, récurrent : une accumulation de « petites » choses qui font se sentir vulnérable.
Dans les deux cas, j’ai alerté et cherché de l’aide, pas tant pour moi-même que pour des collègues qui m’avaient rapporté des situations d’agressions sexuelles de la part de ces hommes : dans les deux cas, j’ai été ridiculisée et confrontée à la minimisation et la dénégation. Je précise qu’à chaque fois, les personnes vers qui je me suis tournée étaient des femmes. Et je crois que leurs réactions ont été presque plus difficiles à encaisser pour moi que le comportement de ces harceleurs.

Dans ces deux situations de harcèlement caractérisé, qui concernaient plusieurs victimes, et se perpétuaient dans le temps, je me suis confrontée aussi à l’image du lycée comme un lieu nécessairement sain et sécure, un lieu d’apprentissage et de savoir dont la violence serait par définition exclue. Un lieu où l’on pouvait, en tout cas, être protégé-e en cas de problème, à partir du moment où ce problème était signalé.

Cette seconde « strate » m’a donc posé plus de difficulté, bien que ces deux situations aient eu en elles-mêmes moins de conséquences sur moi que les agressions dans la rue : ce qui en a eu, c’est le constat que se plaindre n’était pas forcément efficace, et que la solidarité n’était pas du tout évidente, y compris entre femmes. Le mépris affiché par la gestionnaire du rectorat et l’infirmière scolaire est resté gravé dans ma mémoire : mais qu’en faire ?
Ces deux hommes sont restés à leur poste, et ont continué à nuire. Contrairement aux situations de la 1ere « strate », celles-ci m’ont confrontée à la culpabilité et à une forme de désarroi : n’aurais-je pas du aller plus loin dans mes dénonciations, insister, n’avaisje pas une responsabilité envers les autres personnes déjà victimes ou qui pouvaient le devenir ?

J’ai travaillé successivement dans 6 établissements, avec 6 proviseurs ou principaux différents : 4 sur 6 avaient des comportements de harcèlement (moral uniquement pour la plupart) envers leurs collègues directs (intendant-e, proviseur adjoint, secrétaire…). La violence entre élèves était palpable et quotidienne dans ces établissements. En fait, la violence en général était palpable dans ces établissements, à tous les niveaux, entre adultes, entre enfants, entre adultes et enfants : des atmosphères particulièrement pénibles.

Plus près, les agressions entre pair-es, au collège et entre ami-es

La violence entre élèves inclut aussi le harcèlement sexuel et les agressions sexuelles. Bien que j’en ai conscience depuis très longtemps, évoquer les situations auxquelles j’ai été moi-même confrontée en tant qu’élève/enfant est encore très compliqué. Et je dois admettre que je n’en ai jamais parlé. Là encore, parce que cette violence est terriblement taboue.

L’idée que des enfants ou de jeunes adolescent-e-s puissent s’agresser sexuellement entre eux heurte en général nos représentations.
Je pense que ma grande difficulté à évoquer ces situations tient aussi au fait qu’elles impliquaient des personnes plus proches affectivement : des élèves de ma classe, qui est restée la même du CE1 à la 3ème. Certains de nos parents étaient amis. Nous allions parfois les un-e-s chez les autres, nous nous voyions en-dehors de l’école.
Il est représentatif que pendant très longtemps, la seule situation dont je me sois souvenue était la suivante : un garçon d’une autre classe, en 5ème-4ème, qui me suivait aux toilettes, m’attendait devant la porte, essayait de me toucher (ce qu’il faisait avec d’autres filles). Ce garçon, je le connaissais à peine (je ne me rappelle pas son prénom), il n’évoluait pas dans mon cercle de connaissances, et en-dehors de ces rares épisodes je n’ai eu aucun contact avec lui.

Mais il y a eu d’autres situations que j’ai refoulées pendant très longtemps :
• l’une impliquant un garçon faisant partie de mes « amis », qui me poursuivait de ses ardeurs malgré mes refus répétés, et est allé jusqu’à me montrer son sexe (pensant sûrement que ça me ferait changer d’avis…!) ;
• l’autre, le harcèlement subi par un groupe de filles, que j’ai mis des années à qualifier de harcèlement sexuel, alors que c’en était : et pas le moins acharné. Insultes, images pornographiques, « petits mots » transmis pendant les cours me mettant en scène dans des situations sexuelles, etc.

Comment dénoncer de tels faits commis par des filles de 13 à 15 ans ?
Voilà une situation à laquelle on ne m’avait pas du tout préparée.

Pourtant le comportement de ces filles a eu sur moi un impact bien plus grave que celui des deux garçons cités précédemment. Parce que plus haineux, plus durable, avec une intention marquée d’humilier. Et parce que ce n’était pas pour moi représentable d’être agressée sexuellement par des filles de mon âge, et qu’il était inimaginable d’en parler à qui que ce soit. Ce n’était pas des filles « masculines », ni considérées comme rebelles, agressives : des filles de familles plutôt aisées, féminines voire très féminines, ne posant aucun problème aux adultes ni à l’institution scolaire.

Je ne suis pas la seule, les situations de harcèlement et d’agressions sexuelles entre filles à l’adolescence sont certainement plus fréquentes qu’on ne le croit. En y repensant, je me confronte à cette interrogation : où ont-elles appris cette violence ? Qu’ont-elles reproduit ? Et je m’aperçois que j’ai plus de difficulté à me poser la question concernant les garçons et les hommes, comme s’il était plus « naturel » ou « attendu » qu’ils soient violents.

Beaucoup plus près : la violence des adultes envers les enfants, les proches, la famille

Une partie de l’explication se situe peut-être dans une autre situation, plus ancienne, et plus difficile encore à admettre : la prof de sport en CE1 qui fait des remarques humiliantes sur le physique des enfants. Qui fait des « plaisanteries » ambiguës lorsqu’elle nous fait faire de la lutte, ou lorsqu’on va à la piscine. Elle me met systématiquement en binôme avec un petit garçon qui fait le même poids et la même taille que moi (nous sommes les plus petits et les plus menus), et elle s’amuse beaucoup à se moquer de nous, à suggérer des attitudes sexuelles – ce que, à 7 ans, nous ne sommes pas tout à fait en mesure de comprendre, et que nous saisissons pourtant.
Tout le monde rit, j’ai le souvenir aigü de l’humiliation que je ressentais, je me souviens du sentiment d’intrusion que provoquaient ses remarques sur mon corps. Je n’ai jamais oublié cet épisode, bien que je l’ai longtemps enfoui.

Malgré tout, là aussi, j’ai mis très longtemps à admettre le caractère sexuel de ses propos et de son attitude, le fait que ce comportement rentrait dans le cadre du harcèlement. Encore aujourd’hui, j’ai du mal à intégrer qu’une femme adulte puisse humilier sexuellement des enfants de 7 ans, mais je sais d’expérience pourtant que c’est possible.

La violence sexuelle des adultes envers les enfants des deux sexes est aussi répandue que taboue…
Evoquer le harcèlement et les agressions qui se produisent dans les familles, dans les cercles d’ami-e-s reste particulièrement difficile.

Dénoncer une personne proche, avec laquelle on a des liens affectifs, est une épreuve qui est souvent risquée, et peut s’avérer insurmontable.

Admettre également la violence exercée par les femmes, en particulier par les femmes envers d’autres femmes, que ce soient dans un couple, dans une famille, dans le cadre d’une relation éducative, vient heurter nos représentations encore très ancrées d’une supposée « non-violence » féminine naturelle, et des relations forcément protectrices des adultes envers les enfants dont ils ont la responsabilité.

Visibiliser la violence sexuelle des hommes entre eux, sans doute beaucoup plus répandue qu’on ne le croit – je connais plusieurs personnes de mon entourage plus ou moins proches qui l’ont subie.

Toutes ces situations se situent, je crois, au centre du cercle, et il nous faudra encore du temps pour pouvoir les aborder et les affronter, dans une perspective féministe, sans craindre de minimiser la domination masculine et les violences faites aux femmes. Parce que ça ne s’oppose pas.

De la réalité complexe des violences sexuelles

En listant toutes ces situations, j’ai compris que la violence sexuelle, si elle s’inscrit dans la domination masculine, ne se limite pas au genre/sexe.
La violence sexuelle n’est pas tant une question de sexualité que de pouvoir : cela peut arriver dans toute situation où il y a rapport de domination. Entre un-e adulte et un-e mineur-e, entre un-e parent-e et un-e enfant, entre un groupe et un individu fragilisé/dominé, etc.
Plusieurs types d’oppressions peuvent être en jeu, qui sont toutes liées : homophobie, transphobie, domination adulte, racisme, validisme, etc… Il ne s’agit pas de désir ou de pulsion sexuelle, mais de l’expression et de l’exercice d’un pouvoir sur l’autre, qui vise à le soumettre.
A ce titre, l’éducation sexuelle n’est pas une solution suffisante : il faut travailler sur les rapports de pouvoir et de domination.

Aussi étonnant que cela puisse paraître, malgré mon féminisme, mon engagement sur ces sujets, mes prises de positions, je continuais à minimiser, à masquer, à me protéger de cette réalité.
Je ne prétends pas avoir épuisé toutes les situations que j’ai rencontrées dans ma vie : depuis le début de ce mouvement #MeToo, et l’écriture de cet article, des souvenirs me reviennent régulièrement en mémoire. J’ai l’impression que ça n’a pas de fin, et c’est effrayant.

Cette multiplication de témoignages nous place toutes et tous face à une réalité très éprouvante psychiquement : admettre que les situations de violence sexuelle jalonnent nos existences depuis des années, c’est faire face à une image de soi et du monde qu’on préfèrerait ignorer. Et pourtant, c’est une première étape essentielle pour que demain ces situations ne se reproduisent plus.

Les Inrockuptibles et Cantat ; de l’impunité face aux féminicides

Les Inrockuptibles et Cantat ; de l’impunité face aux féminicides

 On me dit que Cantat a « payé sa dette ». Ce sont des termes qui me sont étrangers ; je ne considère pas que la justice est là pour « faire payer les gens ». Je considère que chacun-e, en revanche, doit se questionner sur ses actes et leurs symboles.

On me dit qu’il faut dissocier l’homme de l’artiste ; expliquez moi comment vous faites cela. Vous l’applaudissez une fois sur deux ? Vous applaudissez en hurlant « j’admire l’artiste mais pas l’homme » ?
On me dit que cela fait 14 ans.
Le meurtre de Marie Trintignant par Cantat a été un séisme pour la jeune féministe que j’étais.
J’ai découvert, comme tant d’autres, ce que beaucoup de gens pouvaient penser des victimes de violences conjugales.
J’ai découvert que certain-es abruti-es se berçaient de l’illusion du poète déchu qui a tant et mal aimé, pour excuser Cantat.
Les réactions à ce féminicide ont été – comme furent ensuite celles aux « affaires » DSK, Polanski, Baupin, Sapin etc – un parfait révélateur de l’état désastreux de la société française en matière de violences faites aux femmes. Marie Trintignant a été traînée dans la boue de la pire des façons ; ce qui a été dit à l’époque illustre vraiment à quel point nous sommes dans la posture quand il s’agit de violences conjugales. C’était une pute, une salope, une droguée, une hystérique et une alcoolique et il semblait bien à une partie de la population françaises qu’être cela en tout ou partie justifie qu’on vous massacre à mains nues. Nous trouvons toujours des excuses, des bonnes raisons pour que des femmes meurent: une pâte à crêpe pleine de grumeaux, des nuggets trop chers, une femme hystérique, un chanteur à fleur de peau.

Oh les hommes français, qu’ils soient de gauche ou de droite, aiment à corner qu’ils aiment les femmes en grands poètes de l’amour courtois qu’ils sont.
Les femmes françaises se bercent de cette douce illusion et chacun de croire que c’est de l’amour si typiquement français que d’infliger tant de coups que le visage devient violet, que le nez éclate, qu’on finisse dans le coma, qu’on meure.
Chacun finit par croire à la fable de l’homme brisé qui a voulu mourir tant il regrettait. Il ne regrettait pas au point de ne pas qualifier Marie Trintignant d' »hystérique » pendant le procès toutefois. Il ne regrettait pas au point de ne pas inventer une fable où il l’aurait poussée et où elle aurait heurté un radiateur ; thèse que le rapport d’autopsie a mise à mal. Il ne ne regrettait pas au point de ne pas laisser ses avocats fouiller dans le passé de Marie Trintignant afin de voir si elle n’avait pas le crâne fragilisé ce qui aurait pu expliquer qu’elle meure sous ses coups. Il ne regrettait pas au point de ne pas écrire de minables chansons sur le sujet pour chouiner sur son sort. Il ne regrettait pas au point de ne pas avoir la décence de taire son chagrin qu’il est bien le seul à avoir provoqué. Mais nous vivons dans un monde si tolérant envers les violences faites aux femmes qu’on en vient à plaindre un homme qui dit souffrir après avoir massacré sa compagne. Et on parle bien ici de massacre, le mot n’est pas trop fort.

Cantat par son métier est un homme public. Un homme qu’on applaudit sur scène, un homme qu’on aime et qu’on admire. Voilà pourquoi il ne peut se comporter comme un homme exerçant n’importe quelle profession. Parce qu’il y a le symbole. Il y a le symbole d’être applaudi sur scène. Il y a le symbole d’être interviewé pour son nouvel album. Et il y a le symbole de faire la couverture des Inrocks aujourd’hui. Cantat avait la possibilité d’être parolier voire même de changer complètement de métier s’il avait perçu la violence qu’il y a à être applaudi sur scène alors qu’on a tué. Il ne l’a jamais perçue. Il n’a toujours pas la dignité de comprendre qu’il ne peut plus porter de combat politique parce qu’il les discrédite par sa simple présence ; parce que le noble combat d’aide aux migrants mérite mieux qu’un minable égoïste qui a tué une femme à coups de poings. La réinsertion des ex-détenus n’implique pas de sortir des albums, de faire des concerts et encore moins de faire la couverture des Inrocks.

Nous hurlons haut et fort à longueur de journée que nous sommes horrifiés par le viol, horrifiés par les meurtres de femmes. Personne n’a de mot assez dur pour dire ce qu’il voudrait faire aux auteurs. Et puis sortent des affaires précises. Avec des chanteurs qu’on aime bien. Et là d’un coup on devient beaucoup plus tolérants. Et ces chanteurs font la une des journaux.
En 2013 déjà Cantat s’était exprimé dans les Inrocks. Vocabulaire choisi d’un article rédigé par l’actuel rédacteur en chef du journal :
– le « drame de Vilnius » (tellement plus romantico romantique que « meurtre »)
– « l‘irréparable et l’indicible » (amusant j’arrive personnellement très bien à définir ses actes).
– « meurtre passionnel absurde » ; Tout article qui se respecte sur un féminicide ne saurait décidément employer les termes « passionnels ».
Les Inrocks ne reconnaissaient pas, nous disaient-ils, Cantat dans le portrait qui en avait été fait par des « journaux dégueulasses« . C’est vrai que je me demande bien pourquoi on ferait un portrait aussi négatif d’un homme qui a frappé une femme au point de lui éclater le nez, s’est ensuite dit qu’elle devait dormir (après une dizaine de coups au visage  c’est en effet une réaction normale) et l’a balancée sur un lit pour ensuite pleurnicher qu’il était malheureux. C’est vrai que je me demande bien pourquoi certain-es le voient comme une ordure alors qu’il a préféré s’étaler sur sa souffrance et ses tentatives de suicide plutôt que de fermer sa gueule et nous laisser un peu respirer.

Les Inrocks en mettant cet homme à la Une, nous envoient un message clair. On peut en France tuer une femme et faire la Une d’un journal comme si de rien n’était, comme si tout cela était de vieilles histoires sur lequel on peut bien tirer un trait. Une femme meurt tous les 3 jours en France sous les coups de son conjoint. Les chiffres ne baissent pas. Cette couverture envoie le signal clair qu’on peut commettre un féminicide et continuer sa vie tranquillement. Cela envoie comme souvent en ce qui concerne les auteurs de violences faites aux femmes, le signal d’une impunité totale. Qu’au fond tout cela n’est pas si grave face au talent, à l’homme écorché qu’il est. Cette couverture contribue à la glamourisation de la violence envers les femmes, à donner aux féminicides un côté romantique et poète maudit dont nous peinons à nous défaire en France. Les média ont le choix d’inviter ou de ne pas inviter Cantat, de l’interviewer ou pas, d’en faire une couverture ou pas. Faire le choix de Cantat en couverture montre que les Inrockuptibles ont décidé de cultiver une culture de l’impunité en ce qui concerne les violences faites aux femmes.

Panthère première arrive

On a déjà parlé ici de cette nouvelle revue. En voici une présentation tirée de son site – qu’on peut aller visiter pour plus de détails (événénements à venir, contacts, sommaire premier numéro…)

Félin pour l’autre

Imaginer une revue qui s’appelle Panthère Première, c’est se retrouver en février 2016 à Marseille et se dire qu’on a envie de se lancer dans cette aventure toutes ensemble, celles qui s’étaient connues autour d’autres revues et celles qu’on rencontrerait chemin faisant. C’est se dire, oui, une revue mais pas n’importe comment: en réunissant des équipes éditoriale et technique non-mixtes pour s’essayer à d’autres manières de travailler; en ouvrant nos colonnes aux plumes qui se font trop discrètes; en réfléchissant à une économie de la revue qui nous offrirait les moyens matériels nécessaires à une production de qualité et qui ne reposerait pas entièrement sur le bénévolat.

Concevoir une revue qui s’appelle Panthère Première, c’est commencer par lister des titres de rubriques absurdes et enchaîner les jeux de mots carnassiers avant de s’accorder, en mai 2016, sur l’idée d’une revue généraliste et féministe qui s’intéresse aux différentes manières dont le personnel est politique. C’est décider d’explorer, d’un numéro à l’autre, les intersections entre ce qui est communément renvoyé à la sphère du privé – famille, enfance, habitat, corps ou sexualités – et les sphères systémiques – État, marché, travail… – en partant du principe que les formes de domination, de résistance et de créativité s’ancrent et se pérennisent dans ces plis. C’est adopter une ligne éditoriale qui reconnaît que les expériences vécues peuvent faire l’objet de questionnements critiques.

Éditer une revue qui s’appelle Panthère Première, c’est lancer ce premier numéro en s’intéressant à la portée subversive des actes de langage dans notre dossier Quiproclash! C’est penser que le papier n’est pas une tour d’ivoire ; se laisser toucher et prendre position, s’engager au-delà de la publication et espérer vous toucher aussi car, chère lectrice, cher lecteur, nous sommes, au fond, certainement félin pour l’autre.