Une étude scientifique sur les effets des hormones délivrées par le stérilet Mirena montre qu’elles touchent le cerveau, alors que de nombreux témoignages attestent de troubles psychiques endurés par les porteuses de ce dispositif intra-utérin. Une forme de « maltraitance médicale » par les hormones, cautionnée par une partie du corps médical, est-elle au cœur de cette affaire ?
En effet, l’étude du professeur Steven Kushner, selon le Spiegel « constate que les femmes qui portaient un stérilet, possédaient souvent des taux très élevés de cortisol, l’hormone du stress qui se déclenche dans des situations stressantes. Le stress chronique est considéré comme un facteur de risque important pour la plupart des effets secondaires de type troubles psychiatriques que l’on observe dans les problèmes liés aux hormones. »
Les médecins spécialistes français interrogés au mois de mai 2017 — à propos de l’omerta sur les effets secondaires du Mirena —, un gynécologue et une endocrinologue, affirmaient pourtant que les hormones diffusées par le Mirena ne l’étaient que de façon locale, et ne pouvaient « en aucun cas passer dans le système général« , ou encore que « les hormones du Mirena passent très peu dans le sang (…) le Mirena distille des hormones localement qui ne peuvent pas, a priori, affecter le système général des femmes. Les doses sont totalement infimes pour avoir un effet au niveau hypophisaire… »
Hormone du stress : le cortisol
Ces affirmations sur « l’innocuité hormonale » du DIU Mirena sont donc battues en brèche par l’étude du professeur Kushner, qui a voulu savoir pourquoi — alors que tout indique que l’influence [des hormones du Mirena] intra-utérine est exclusivement locale — « les essais cliniques récents ont identifié des effets secondaires du DIU-LNG qui semblent se conjuguer de façon systématique, incluant l’humeur dépressive et l’instabilité émotionnelle » ?
Cette étude démontre de façon indiscutable qu’affirmer que le Mirena a uniquement un effet intra-utérin local est parfaitement faux
Professeur Steven Kushner, docteur en neurobiologie psychiatrique
Trois groupes de femmes ont été testés par le biais de « deux études expérimentales et une transversale« , composés, pour le premier groupe, de femmes porteuses d’un Mirena (DIU-LNG), pour le deuxième, de femmes prenant une pilule de levonorgestrel (la même hormone que celle diffusée par le Mirena, ndlr) par voie orale et d’un dernier groupe de femmes en cycle naturel. Le but des études était de vérifier si l’hormone du stress, le cortisol, qui est soupçonnée d’agir fortement dans les effets secondaires de type psychiatriques liés aux problèmes hormonaux, pouvait être détectée en quantité anormale. De façon résumée : les femmes étudiées de l’équipe du professeur Kushner ont été soumises à un « test de stress social Trèves » (TSST), puis des relevés des taux de cortisol salivaire et dans les cheveux ont été effectués. Le TSST est un protocole pour induire un stress psychologique chez les participants, ce qui permet aux chercheurs de mesurer les effets psychologiques, physiologiques et neuroendocriniens au stress au sein de participants, ou entre des groupes.
Le Mirena affecte le cerveau, nous l’avons démontré
Professeur Steven Kushner, docteur en neurobiologie psychiatrique
Les résultats des études ont rapporté que « Les femmes utilisant le DIU LNG ont eu une réponse de cortisol salivaire exagérée au TSST, La fréquence cardiaque s’est élevée de façon notable pendant le TSST chez les femmes utilisant le DIU-LNG, les femmes utilisant le DIU-LNG avaient des taux élevés de cortisol dans les cheveux. »
Le professeur Steven Kushner, questionné sur la responsabilité possible du Mirena dans les troubles psychiques que subissent les milliers de femmes qui témoignent sur Facebook — et désormais relayés auprès de l’ANSM par l’association Stérilet Vigilance Hormones (SVH) — établit clairement que « S’il n’est pas possible, en l’état actuel des connaissances sur le cortisol, d’établir que c’est cette hormone qui cause les troubles psychiques des porteuses du Mirena, cette hormone est présente à des taux très élevés chez celles qui ont été soumises au stress, et l’hormone de cortisol est produite par le cerveau« . La conclusion du chercheur est donc lapidaire pour le corps médical ayant défendu la thèse de l’effet purement local du Mirena : « Cette étude démontre de façon indiscutable qu’affirmer que le Mirena a un effet intra-utérin uniquement local est parfaitement faux. Nous avons prouvé que le Mirena affecte le reste du corps, la physiologie des femmes, et spécifiquement le cerveau. Le Mirena affecte le cerveau, nous l’avons démontré. »
Cette étude devrait commencer à remettre en cause un certains nombres d’affirmations au sujet du stérilet hormonal Mirena, et surtout permettre aux femmes subissant des effets secondaires de type dépression, crise de panique, vertiges ou angoisses de commencer à pouvoir mieux envisager leur situation. Mais cette reconnaissance par le corps médical, de l’effet sur le cerveau du stérilet de Bayer, risque de ne pas être si aisée, au vu des premières réactions recueillies à ce sujet, ce qui mène à s’interroger sur une problématique bien particulière : celle de la « violence gynécologique » faite aux femmes, une forme de maltraitance, quasi institutionnalisée…
Violences gynécologiques : ce qu’en disent les spécialistes
L’affaire des effets secondaires du stérilet Mirena — majoritairement niés par une partie du corps médical, celui des gynécologues au premier chef — évoque le problème du rapport des femmes à ce qui est nommé la violence gynécologique par des spécialistes, comme Frédérique Martz et le Docteur Pierre Foldes de l’Institut en santé génésique (lire interview en fin d’article) : « l’abus dans les prescriptions, l’absence de réponses, le mépris dans la gène qu’occasionne l’acte gynécologique, sont des violences faites aux femmes« .
L’« emballement » depuis plus de 15 ans des gynécologues pour le dispositif intra-utérin hormonal de Bayer — qui est la plupart du temps décrit comme une « petite merveille« , qui donnerait à la fois un confort sans pareille aux femmes en coupant leurs règles tout en leur offrant une contraception fiable et indolore — ne peut qu’être questionné. Particulièrement au niveau de l’écoute des patientes, qui par milliers n’ont pas été entendues, lorsqu’elles venaient demander si leur Mirena pouvait être à l’origine des troubles divers qu’elles subissaient. La notice des effets secondaires livrée par Bayer — mais dont aucune patiente ou presque n’avait connaissance puisque le stérilet était installé par leur médecin et la boîte jeté aussitôt — stipulait pourtant la majorité des troubles vécus par ces femmes, et le corps médical s’est réfugié en permanence derrière une affirmation scientifique, celle de « l’effet principalement local » de l’hormone du Mirena, ainsi décrit dans la documentation à destination des professionnels (« mainly local » en anglais, ndlr) et non pas… « purement local » comme des médecins pouvaient — et peuvent encore — l’asséner.
Cette affaire a pris une tournure mondiale — il existe près de 50 groupes Facebook répartis dans autant de pays, de femmes victimes des effets secondaires du Mirena à ce jour — et celle-ci renvoie, au delà du potentiel scandale sanitaire, à des formes de maltraitances subies par les femmes dans leur parcours contraceptif en gynécologie. Ainsi qu’à une forme de violence qui leur est infligée par le biais des hormones, dans un déni assourdissant de leur parole.
Mirena : une internationalisation des femmes subissant des effets secondaires
Le groupe Facebook français Victimes du stérilet hormonal Mirena (qui a engendré une association, Stérilet Vigilance Hormones – SVH) a pris contact avec plusieurs groupes de femmes les plus actifs de la cinquantaine de pays présents sur le réseau :
Allemagne (2859 membres actions juridiques en cours)
Brésil : (920 membres )
Canada : (928 membres)
Etats-Unis : page suivie par 56170 personnes — Groupe facebook de 10 837 membres
Une association internationale des victimes des effets secondaires du DIU Mirena pourrait voir le jour dans les prochains mois, selon l’association française SVH.
En médecine, et encore plus en gynécologie, le simple non respect de principes de base peut très très vite aboutir du point de vue de la femme à une violence
Pierre Foldes, médecin
Entretien avec Frédérique Martz et Pierre Foldes de l’Institut en santé génésique (ISG, centre de référence pour la prise en charge des femmes victimes de violences) au sujet de la maltraitance et la violence en gynécologie.
Pierre Foldes est un médecin urologue, inventeur d’une méthode chirurgicale permettant de réparer les dommages causés par l’excision.
Frédérique Martz est co-fondatrice de l’ISG
Santé génésique (extrait de la définition de l’OMS) : « La santé sexuelle fait partie intégrante de la santé, du bien-être et de la qualité de vie dans leur ensemble. C’est un état de bien-être physique, émotionnel, mental et social en relation avec la sexualité, et non pas simplement l’absence de maladies, de dysfonctionnements ou d’infirmités.«
Peut-on définir un principe général au sujet de la violence gynécologique faite aux femmes ?
Pierre Foldès : Dans la relation médecin-patient, et en particulier en gynécologie, il y a un principe de respect qui paraît beaucoup plus sensible, parce que la femme est un petit peu en position d’infériorité, sur un domaine sexuel, ce qui exacerbe les rapports de comportement, les rapports de force. C’est aussi un rapport d’infériorité vis-à-vis d’un sachant. En médecine, et encore plus en gynécologie, le simple non respect de principes de base peut très très vite aboutir du point de vue de la femme à une violence. Il y a un certain nombre de choses qui peuvent paraître marginales, d’un point de vue médical et être balayées d’un revers de main par les gynécologues, mais qui restent absolument centrales du point de vue féminin.
La consultation en gynécologie peut donc facilement — si des précautions particulières ne sont pas prises — devenir une forme de maltraitance ?
P.F : Totalement. Et j’ajoute, même si on est un gynécologue femme. On est en état d’infériorité dans une consultation gynécologique, on se déshabille, on écarte les jambes, et l’une de ces deux personnes n’y fait même plus attention, voit ça tous les jours, et l’autre se trouve dans une situation — à juste titre — exceptionnelle, et est très fragile, va étaler une vulnérabilité. Et si cette vulnérabilité n’est pas perçue comme telle, on va très très vite glisser, sans qu’il n’y ait la moindre intention de malveillance, vers quelque chose de très mal vécu.
Frédérique Martz : En tant que patiente en gynécologie, il y a la posture dans laquelle on nous met qui est tout d’abord un frein à la consultation pour beaucoup de jeunes filles. La posture dans laquelle vous êtes avec tous ces examens est très difficile, mais quand en plus on ne vous explique pas les choses, c’est absolument insupportable. La gynécologie est une consultation appareillée, avec des instruments assez méconnus, et on est stressée par tous les gestes pour laisser le gynécologue faire ce qu’il a à faire. Et quand ce n’est pas expliqué, ça peut être dramatique, parce que du coup on se crispe, et tout devient hyper sensible. La gynécologie touche à l’intime, et c’est une médecine dédiée à la femme, avec ce qu’elle a de complexe, parce qu’on va parler de sexualité, et de choses dont ne parlera peut-être jamais à un médecin généraliste.
Il y a une domination sur le corps de la femme de la part du gynécologue, et vous dites que cela devrait obliger à une très grande prudence. Cette prudence ne semble pas être majoritairement de mise en France, lorsqu’on lit les témoignages des femmes victimes d’effets secondaires du Mirena. Pourquoi ?
P.F : C’est une raison qui est peut-être un peu spécifique à la France. La gynécologie, en France, se considère, à tort ou à raison, comme une pratique sinistrée. Les gynécologues disent qu’ils ne sont pas assez nombreux, expliquent qu’ils travaillent comme des fous, sept jours sur sept, quatre vingt dix heures par semaine. Je dis ça parce que c’est exactement mon cas. Il me semble que je fais beaucoup d’efforts, et je me mets dans une situation de saturation qui peut m’autoriser à moins voir, à moins écouter, et je me rends compte que je peux me retrouver en situation de décalage. Quand quelqu’un me pointe du doigt « voilà ce que tu as dit à cette femme, tu ne l’as pas écoutée », je suis horriblement culpabilisé, et je me sens très très mal. On est donc sur une pratique, la gynécologie, qui se victimise, ce qui est un peu français, et cette victimisation change un peu le paradigme et fait qu’on n’écoute plus. Et l’écoute est plus importante dans cette pratique médicale que dans d’autres.
Pour ce qui est de l’épisiotomie par exemple, les femmes ne sont jamais écoutées, et je me dis que si on faisait le quart de cela au pénis de l’homme, ce ne serait pas accepté
Frédérique Marx
Vous parlez du problème d’une médecine androcentrée, donc pensée par les hommes, et il y a 70% de gynécologues hommes en France. N’est-ce pas là que se situe une partie du problème, et comment modifier cette androcentrisme médical ?
F.M : Il y a deux branches en gynécologie en France, et la médecine se féminise, mais en gynécologie obstétrique (accouchements, opérations, ndlr), il y a plus d’hommes. Les postes avec des actes techniques médicaux sont plus souvent pris par les hommes, que par les femmes, et on ne sait pas pourquoi. Mais c’est une médecine pensée par les hommes, et par exemple dans l’épisiotomie (incision du périnée au moment de l’accouchement, ayant pour but de sectionner le muscle élévateur de l’anus, afin de laisser passer l’enfant) il y a beaucoup d’abus dans les prescriptions, des absences de réponse, et du mépris dans la gène occasionnée par cette acte chirurgical. Les femmes ne sont jamais écoutées à ce niveau là, et je me dis que si on faisait le quart de cela au pénis de l’homme, ce ne serait pas accepté.
Les femmes porteuses du DIU Mirena, qui témoignent des effets secondaires qu’elles ont subis, ont été niées dans leur parole, méprisées, voire humiliées par leurs médecins gynécologues. De nombreux praticiens ont même refusé de retirer le dispositif de Bayer, alors que leur patiente le demandait. Qu’en pensez-vous ?
P.F : J’ai une pratique qui vient de ma formation, qui est la chirurgie humanitaire. J’ai été chirurgien de conflit, et je pense que si on s’y dirige, c’est parce qu’au début on a une capacité d’indignation, et puis finalement, à force de sortir de Sarajevo, de plein de boucheries, on devient plus performant parce qu’on s’habitue, mais en réalité c’est très très faux. On s’est beaucoup posé de questions sur ces retours de missions, et on a travaillé sur la psychologie des gens qui étaient impactés par leur retour de mission, et on s’aperçoit qu’on (les médecins, ndlr) a absolument à reconstruire en permanence cette capacité d’indignation, et cette capacité d’écoute. A partir du moment où vous considérez que toutes les femmes que vous allez voir, de toute façon elles ses plaignent, vous allez laisser tomber le niveau de discernement qui vous permet de réagir. C’est ce qui est arrivé à tous ces praticiens qui n’ont pas cru leurs patientes, qui ont baissé leur niveau d’écoute : pour se protéger eux-mêmes, à cause du sur-travail, peut-être, je ne sais pas, mais pour un certain nombre de raisons. C’est cette baisse de vigilance de niveau d’écoute qui fait que vous allez franchir un pas, que vous n’écoutez plus, et que ça va être interprété en face comme une faute médicale. C’est extrêmement humain.
Peut-on penser qu’il y a aussi un « pouvoir des hormones », par la contraception féminine, qui serait un pouvoir donné au médecin et au produit, qui assujettirait en quelque sorte les patientes ? Peut-on parler d’une possible maltraitance par les hormones contraceptives, maltraitance accompagnée inconsciemment par une grande partie du corps médical en gynécologie ?
P.F : Il est certain que les hormones qui sont de plus en plus performantes peuvent avoir, et ont souvent un impact sur la libido, mais en réalité, ça rejoint la question de la formation des gynécologues : il y a très peu pour l’instant, et c’est peut-être un peu en train de se rattraper, de formation sexologique. Les gynécos sont « surbookés », ils veulent aller vite, mais ils n’ont pas d’approche sexologique, ce qui fait qu’ils ne vont pas se poser les questions qu’on se pose à juste titre sur l’impact hormonal, par exemple. Ils ne vont pas aborder correctement le problème : on a l’impression qu’on les embête, qu’on leur fait perdre du temps, et ils n’ont pas les réponses.
F.M : Aujourd’hui le gynécologue est tellement centré sur la vulve et la contraception, qu’il ne sait même pas gérer les questions sur le clitoris, et c’est quand même l’organe du plaisir et de la sexualité. Donc, la préoccupation du gynécologue, ce n’est pas la sexualité.