Contre le masculinisme. Guide d’autodéfense intellectuelle. Collectif Stop Masculinisme. Bambule éd., décembre 2013, 160 pages, 8 euros. (Vente et prêt à la bibliothèque d’Agate, armois et salamandre)
Si beaucoup de gens ont entendu parler ces deux trois dernières années de manifestations de « papas en détresse » (grimpeurs de grue), de « crise de la masulinité » ou parfois même d’« hommes battus », beaucoup moins savent que ces phénomènes, diparates au premier abord, sont en réalité reliés entre eux, non pas par un complot quelconque, mais bien par une idéologie et une mouvance qui ont fait leur apparition, disons, depuis les années 1970, en réaction aux avancées conquises de haute lutte par le mouvement féministe – contraception et droit à l’avortement en particulier : le masculinisme et les masculinistes.
Comme on vient de le dire, les masculinistes avancent masqués, et c’est pourquoi ce petit livre qui explique qui ils sont et démonte les rouages de leur fonctionnement mérite vraiment d’être lu. Il s’organise en quatre parties : d’abord, qu’est-ce que le masculinisme ? Puis, que cache la « cause » des pères ? Ensuite, « Hommes battus, femmes violentes ? » et enfin: « Des hommes en crise ? »
1. Une chercheuse féministe, Michèle Le Dœuff, a ainsi défini le masculinisme : un « particularisme, qui non seulement n’envisage que l’histoire ou la vie sociale des hommes, mais encore double cette limitation d’une affirmation (il n’y a qu’eux qui comptent et leur point de vue). Il s’agit en fait d’une idéologie réactionnaire, antiféministe et bien dans l’air du temps (homophobie, manifs « pour tous », offensive de l’extrême-droite contre les ABCédaires de l’égalité à l’école et capitulation en rase campagne du gouvernement socialiste, apparition du « racisme antiblanc », etc.) Elle est portée par une nébuleuse de groupes dont les plus voyants sont les associations de défense des droits des pères, mais comme dans d’autres domaines, ses militants les plus engagés touvent des oreilles attentives et des relais aussi bien dans les medias que dans les institutions.
2. La question des « droits des pères » est probablement celle qui porte les enjeux les plus lourds et qui, bien médiatisée, trouve le plus d’écho dans le grand public. Effectivement, comment ne pas compatir à la souffrance de ces papas privés de droit de garde et parfois même de droit de visite à leur progéniture ? Lorsqu’on s’intéresse d’un peu plus près à ces affaires, on se rend compte que ce n’est pas si simple, ou alors, si c’est simple, ce serait plutôt à l’inverse : en effet, comment se fait-il que des hommes se plaignent de ne pouvoir s’occuper de leurs enfants alors que dans une écrasante majorité des cas (80% selon les dernières enquêtes), les femmes se tapent l’essentiel des tâches domestiques et des soins aux enfants ? D’ailleurs, dans la plupart des divorces et séparations (85% des cas), il n’y a pas de litige sur la fixation de la résidence principale des enfants et le montant des pensions alimentaires qui devront être versées par l’autre parent – là encore, en écrasante majorité, ce sont les femmes qui gardent les enfants… donc les hommes qui doivent verser une pension alimentaire. Il semble bien qu’ici réside le principal problème des masculinistes : dans ce type de solution, le pouvoir patriarcal est sérieusement remis en cause (perte de l’autorité sur la femme et les enfants) et en plus, il faut verser de l’argent ! D’où les revendications masculinistes pour une garde alternée systématique en cas de séparation ou divorce. Et cela quelques soient les circonstances qui ont motivé la séparation (y compris violences conjugales, maltraitrements d’enfants). On voit bien les avantages qu’apporterait aux pères un tel dipositif : maintien de l’autorité sur les enfants et, dans une certaine mesure, sur la femme, puisque les époux sont obligés de se voir régulièrement en même temps que l’enfant va de l’une chez l’un ou vice versa (et on imagine l’ambiance en cas de conflit grave ayant conduit à la séparation). D’autre part, plus de pension alimentaire à verser. On voit bien aussi les inconvénients pour les femmes : alors que leur salaires sont en moyenne 25% plus bas que ceux des hommes, et que souvent, leur carrière professionnelle a été perturbée par les grossesses, entraînant une dévalorisation de leurs revenus, elle devraient contribuer à la même hauteur que les pères à l’entretien, l’éducation, aux soins des enfants – et probablement encore plus, comme c’est déjà le cas actuellement, car ce sont elles qui assument la plupart des tâches telles que : conduire l’enfant chez le médecin, s’occuper des diverses formalités administratives, des inscritions scolaires, de l’achat des vêtements « de tous les jours », etc. Et bien sûr, en cas de résidence alternée, plus question de partir refaire sa vie ailleurs : le tyran domestique ne se laisse plus quitter si facilement… Il semble que les masculinistes aient obtenu en partie gain de cause lors de l’adoption, en juin dernier, par l’Assemblée nationale, de la loi famille : en effet, il est désormais recommandé aux juges des affaires familiales de proposer prioritairement aux couples en séparation la double domiciliation de l’enfant et la résidence alternée…
3. Sur la question des hommes battus et des femmes violentes, on ne s’attardera guère, sinon pour répéter que le nombre des viols commis en France est toujours aussi accablant… pour les hommes, puisque 92% des victimes sont des femmes et 96% des mis en cause… des hommes. Par ailleurs, lorsque des hommes sont battus, voire violés, ils le sont la plupart du temps par d’autres hommes, soit par homophobie, soit pour établir une hiérarchie en milieu confiné (armée, prison, bizutages divers et variés…)
4. On nous rebat les oreilles depuis quelques temps d’une soi-disant « crise de la masculinité ». Des émissions grand public, des articles lui sont consacrés. De facto, la « crise » existe probablement dans la tête de ceux qui s’angoissent pour leur privilèges de dominants, menacés par la rébellion des dominées. Parmi ceux qui s’angoissent se distinguent deux tendances. La première, celle des machos décomplexés, dit en substance que « c’était mieux avant » (avant le mouvement féministe et la remise en cause des inégalités de genre), qu’aujourd’hui les femmes ont pris le pouvoir, que la société s’est féminisée, etc. Attention, danger : au-delà de leur caspect grotesque, ces discours préparent souvent des passages à l’acte misogynes vraiment graves. La seconde est plus cauteleuse. Elle s’exprime le plus souvent dans des groupes d’hommes, réunis pour « rétablir l’harmonie entre les sexes », et permettre aux hommes d’exprimer leur souffrance et leurs émotions de dominants… Léo Thiers-Vidal, dans son ouvrage Rupture anarchiste et trahison pro-féministe donne un exemple de ce type de dérive d’autant plus parlant qu’il a lieu dans un milieu vraiment pro-féministe au départ, mais qui finit, au cours d’une réunion, par instruire le procès des féministes. À ce propos, je terminerai cette note par une mise en garde des auteurs de cet excellent vade-mecum antimasculiniste :
« Nous avons donc toutes les raisons de nous méfier des groupes de parole d’hommes. La non-mixité masculine choisie n’est pas une forme bonne en soi. Elle est même plutôt problématique. Quand les membres d’un groupe social dominant décident de se réunir, ce n’est jamais très rassurant. Presque toujours, c’est parce qu’ils ont quelque chose à gagner dans la non-mixité : un enrichissement personnel, un gain de confiance en soi, une possiblité d’élargir la palette de leurs comportements. Quand il s’agit d’aborder le vécu des hommes en ce qu’il peut avoir de douloureux, de conflictuel ou de difficile à vivre, on trouve des candidats. Par contre, dès qu’il est question de remettre en cause leurs comportements vis-à-vis des femmes et de questionner leur place d’homme dans la société et les privilèges qui lui sont attachés, il n’y a plus personne. La majorité refuse de s’adonner à ce qu’elle considère être de l’“autoflagellation” ou de la culpablilisation. Ils affirment ne pas faire de politique et ne pas être dans l’idéologie. Au final, la non-mixité masculine sert le plus souvent le projet d’améliorer le confort psychologique de ces hommes et de renforcer la solidarité entre dominants. »
François, juillet 2014.