A qui faut-il conseiller d’aller voir un médecin une fois par an ?

Un article de Martin Winckler trouvé sur le blog L’école des soignant·e·s

Avant de répondre à cette question, j’aimerais revenir sur le « post » récent qui me l’a soufflée – ou plutôt qui m’a soufflé les réflexions qui suivent (et qui, bien entendu, n’épuisent pas le sujet, elles sont juste là pour stimuler les vôtres).

Le post en question se trouve ici : http://www.topito.com/top-medecins-frequences

Je ne vais pas débattre de son contenu. Je vais seulement, pour indiquer qu’il n’est pas correct sur le plan scientifique, donner un exemple :

« Chez le gynéco : une fois par an

Ah pour le coup on déconne pas avec les gynéco. Une fois par an, c’est en effet le minimum pour toutes les filles (qu’elles aient eu des rapports sexuels ou non). On fait alors un frottis, une palpation des seins bref on voit si tout roule. A partir de 45 ans, on s’attaque à la mammographie qu’il faut faire tous les deux ans pour dépister le cancer du sein. Et enfin si on a des antécédents de cancer du sein ou de l’utérus, il faut prévoir un suivi un peu plus régulier à partir de 30 ans. »
Ce paragraphe cumule toutes les idées reçues et contre-vérités au sujet de la santé des femmes.
Commençons par le paternalisme (« le minimum pour toutes les filles ») qui consiste à assimiler tous les âges sous un même vocable et à ne tenir aucun compte d’éléments importants de leur vie (« qu’elles aient eu des rapports sexuels ou non » ), ni bien sûr de ce qu’elles en pensent, elles… Et cela, après avoir bien indiqué qu’il serait « con » (« on déconne pas avec les gynéco« ) de contester cette injonction. Quatre affirmations insultantes et sexistes (au moins) dans la même phrase.
« On fait alors un frottis, une palpation des seins bref on voit si tout roule. » (Ces derniers mots sont dans l’esprit de l’auteur l’équivalent de « toucher vaginal », j’imagine ?)
Ben non, on ne fait pas. Il y a désormais de nombreux arguments scientifiques et éthiques pour dire que l’examen gynécologique systématique n’est pas « nécessaire » pour une femme qui ne demande et ne se plaint de rien.
Il en va de même pour l’examen des seins – qui en l’absence de symptômes évoqués par la femme elle-même, n’a aucun intérêt pour dépister un cancer – ni quoi que ce soit, d’ailleurs, jusqu’à l’âge de 40 ans, et même après.
Quant au frottis, il n’est pas recommandé (ni nécessaire) avant l’âge de 25 ans et ne doit être fait que tous les 3 ans.
 
Le reste du « conseil » (« A partir de 45 ans, on s’attaque à la mammographie qu’il faut faire tous les deux ans pour dépister le cancer du sein. Et enfin si on a des antécédents de cancer du sein ou de l’utérus, il faut prévoir un suivi un peu plus régulier à partir de 30 ans » ) est tout aussi faux. Les sociétés savantes sérieuses se fendent même de recommandations adaptées à la classe d’âge, parce que contrairement à l’auteur de ces « conseils », elles ne mettent pas toutes les femmes dans le même panier.
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Ca, c’est pour la « scientificité » du propos. Et j’encourage tou.te.s les liseron.ne.s à protester vigoureusement auprès du site Topito et de son auteur et à les inviter non moins vigoureusement à retirer ce texte et à le remplacer par un texte sérieux et validé.
Mais mon propos de fond n’est pas là. La question que je me pose est : sur quoi le « conseil » d’aller voir un médecin une fois par an repose-t-il ?
Il ne repose pas sur des recommandations scientifiques : même le sacro-saint « check-up annuel » suggéré aux hommes de plus de 50 ans n’a pas de validité avérée. Un « check up », ça ne dépiste rien quand l’individu « checké » n’a pas de symptôme, ça rassure faussement, ça coûte cher et ça fait perdre du temps à tout le monde. Aux patients qui le subissent, aux médecins qui les reçoivent, et aux malades qui auraient pu bénéficier des ressources et du temps ainsi perdus en vain. Au lieu du « check-up annuel systématique », il apparaît que les visites ou consultations programmées en fonction des risques spécifiques de chaque personne, de son âge et de ses antécédents permettent d’améliorer la santé des individus.
En France, les visites « obligatoires » reposent essentiellement sur des considérations administratives à visée sociale : les visites de suivi de grossesse ou de suivi pédiatrique sont en principe obligatoires pour que les parents qui y ont droit touchent des prestations familiales. Elles ont pour but d’éviter que des femmes ou des enfants ne reçoivent pas les soins dont ils ont besoin faute d’argent. Ce sont des mesures visant à la protection des plus démuni.e.s, et c’est approprié : le premier facteur de santé d’un individu, c’est son statut socio-économique. Les riches sont en bonne santé parce qu’ils sont riches et bien soignés. Les pauvres sont en mauvaise santé parce qu’ils sont pauvres et, pour cela, mal soignés : ils n’ont pas accès aux prestataires de soins, à l’éducation générale et à l’information sanitaire, aux aliments, aux conditions de salubrité, aux logements qui favorisent la « bonne santé », etc.
Un discours de prévention juste serait donc : « Si vous connaissez quelqu’un qui est en mauvaise santé ET pauvre, aidez-le/la à surmonter les obstacles qui l’empêchent d’avoir accès à des soins appropriés. »
Au lieu de quoi, le discours sanitaire de l’article (et de beaucoup de messages du même type) se résume à « Allez voir le médecin ou le dentiste une fois par an ». Comme si c’était simple pour tout le monde.
Pire. Cette injonction laisse entendre que ne pas aller consulter un médecin périodiquement est, au minimum, une erreur ; au maximum, un comportement inconscient ou insensé.
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Ce type de discours (consulter régulièrement pour voir si « tout roule ») est similaire à celui qu’on tient aux conducteurs de véhicule : allez donc vérifier votre pression d’huile, les pneus, les freins et la courroie de l’alternateur de temps à autre. Tout ça s’use, et faut l’entretenir.
Le seul problème, c’est que le corps d’un•e humain•e n’est pas une bagnole ou un tracteur.
Dès qu’il s’agit de santé des femmes, elles devraient – si l’on en croit les idées qui circulent largement parmi la population et un trop grand nombre médecins :
– aller chez le gynéco dès l’apparition de leurs règles ; (Pourquoi faire ? Pour qu’il disent si elles sont « normales » ? C’est quoi des règles « normales » ?)
– se faire examiner une fois par an « pour s’assurer que tout va bien » ; (Qu’est-ce qui pourrait « aller mal », exactement ?)
– subir un examen gynécologique et des seins pour se faire prescrire une pilule ET pour la renouveler ; (Cela aussi, c‘est médicalement inutile ! )
– aller consulter dès qu’elles veulent arrêter le contraception et/ou veulent commencer une grossesse (Là, on rigole ; depuis quand est-ce qu’il faudrait l’autorisation d’un médecin pour ça ?)
Et ces injonctions s’adressant aux femmes n’ont (comme par hasard) aucun équivalent pour les hommes de moins de 50 ans. 
Je n’ai jamais entendu conseiller aux garçons d’aller se faire examiner les testicules et mesurer le pénis à partir de la puberté puis une fois par an pour « vérifier que tout va bien ». (Et pourtant le cancer du testicule est plus fréquent chez l’adolescent que chez l’adulte…) Je n’ai jamais vu nulle part qu’il était de bonne pratique d’interroger les garçons sur leur santé sexuelle. Je n’ai pas vu non plus qu’on devait les inciter à aller se faire dépister régulièrement pour vérifier qu’ils n’ont pas d’Infections sexuellement transmissibles. Or, ils y sont tout autant exposés que les femmes. Mais curieusement ça n’intéresse personne… Ou bien on pense (à juste titre) que s’ils ont quelque chose, ils iront consulter. Qu’ils sont assez intelligents pour ça.
Certes, après 50 ans, certains proposent de mettre systématiquement aux hommes un doigt dans le rectum, ce qui ne tient pas debout non plus. Le dépistage systématique du cancer de la prostate n’est plus recommandé. Il doit reposer sur une réflexion et un choix personnel de chaque homme concerné.
Mais on en revient à ceci : aller chez le médecin tous les ans, c’est surtout recommandé aux femmes. Demandons-nous pourquoi…
Parce qu’elles sont plus « fragiles » ? Il semble que non : les femmes survivent plus que les garçons à la naissance et elles vivent plus longtemps que les hommes.
Parce qu’elles ont « plus de problèmes de santé » ? Pas vraiment. Les différentes étapes et phénomènes physiologiques qui émaillent la vie d’une femme sont plus nombreuses que celles des hommes, mais ce ne sont pas à proprement parler des « problèmes de santé ». Ce n’en est que lorsqu’elles en souffrent, et c’est à elles de dire si elles en souffrent ou non, pas aux médecins.
Parce qu’elles seraient plus susceptibles de ne pas se soigner que les hommes ?
Ben non, car les chiffres montrent que c’est l’inverse qui est vrai : les femmes consultent plus souvent que les hommes. Et elles consomment plus de soins de santé que les hommes.

Et cependant, alors même qu’elles font plus appel aux médecins, elles sont moins crues et écoutées par les médecins que les hommes !!!!

Alors ?
Eh bien, entend on souvent répondre Elles pourraient être malades sans le savoir… 
Plus que les hommes ? Vraiment ? Et elles seraient moins que les hommes capables de s’en rendre compte ? Mais alors, quand elles consultent, pourquoi ne les croit-on pas ? Parce qu’elles ont tendance à « trop en faire » ?

On est en plein délire : les femmes seraient incapables de consulter ET quand elles consultent, elles seraient incapables de parler de leurs problèmes de santé à bon escient.

On est en droit de s’interroger sur ce « traitement préférentiel » des femmes. Traitement qui laisse entendre deux choses :
– que la santé des femmes justifie une surveillance constante (donc qu’elle est plus précieuse que celle des hommes… mais pour qui, exactement ?)
– que les femmes doivent être incitées vivement à consulter, sinon elles ne le feraient pas d’elles-mêmes. (Alors que les hommes, si. C’est pour ça qu’on leur dit pas de le faire…)
Dans un cas comme dans l’autre (et quel que soit le bout par lequel on les prend), toutes ces manières de voir les choses sont sexistes.
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L’injonction à consulter, en plus d’être sexiste, soulève une autre question, qui n’est pas moins importante : Est-il souhaitable – ou, tout simplement, utile pour le maintien de son état de santé – que quiconque consulte « régulièrement » un médecin ?  
Il n’y a pas de réponse à cette question puisque aucun travail de recherche à proprement parler n’a comparé si le fait de consulter ou non avait des effets mesurables à long terme sur des groupes de population similaires. En théorie, il faudrait constituer deux groupes de personnes, l’une qui serait obligée de consulter un médecin tous les ans, l’autre à qui on interdirait de le faire. Et qu’on les suive jusqu’à leur mort. Vous voyez les problèmes logistiques… et éthiques.
Ce qu’on sait, en revanche (je me répète) c’est que l’accès au soin (qui est proportionnel aux revenus de l’individu) favorise un meilleur état de santé. Or, conseiller à des gens socio-économiquement défavorisés d’aller consulter régulièrement alors qu’ils ne le peuvent pas (et n’auront peut-être même pas accès à l’énoncé de cette recommandation, faute de source d’information) n’est pas seulement insultant, c’est stupide. C’est aussi (puisque l’information ne les touche pas) une contribution à l’injustice : on incite alors des gens en bonne santé à consulter (pour rien?) encore plus au lieu d’aller porter les soins là où on en a besoin.
Pour consulter un médecin une fois par an il faut (entre autres) pouvoir s’absenter de son travail, avoir un moyen de transport, connaître un médecin disponible, ne pas voir la consultation comme une dépense importante, accepter de perdre du temps dans la salle d’attente. Etc. Toutes choses que des femmes très démunies ne peuvent pas faire. Et ce sont (statistiquement) ces femmes-là qui meurent le plus et le plus jeunes.
Personnellement, lorsque je travaillais au Centre de planification du Mans et voyais des femmes venir tous les ans pour un frottis, je leur disais que ce n’était pas nécessaire (beaucoup étaient soulagées) et je leur suggérais de le dire à leurs amies qui faisaient la même chose, et de dire à celles qui ne voulaient ou ne pouvaient pas venir tous les ans et s’en sentaient coupables (ou angoissées) de se détendre. J’ajoutais qu’il était plus utile de suggérer de consulter à des voisines moins fortunées qu’elles (elles en connaissaient toutes) qui n’avaient jamais eu de frottis, de leur assurer que venir au centre de planification ne leur coûterait pratiquement rien, et qu’on ferait de notre mieux pour les traiter avec le plus grand respect possible. En ajoutant que, si elles n’avaient pas de moyen de transport, elles pouvaient peut-être proposer de les véhiculer ce jour-là. Leur essence serait bien utilisée. Bref, il me semblait que suggérer aux femmes relativement privilégiées de tendre la main aux femmes qui l’étaient moins était un pas en direction de la justice sociale.
Je rêve de lire un jour une recommandation du CNGOF ou du SYNGOF (les syndicats de gynécologues français) allant dans ce sens. Elle existe peut-être.
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Absent jusqu’ici de toute cette problématique est un élément central à la notion d’éthique médicale. C’est le consentement, garant de l’autonomie des patient•e•s.
Le consentement est le pendant du D’abord ne pas nuire qui (en principe) guide les professionnel•le•s de santé. Car il est impossible de ne pas nuire rien qu’en se disant « Ceci est nuisible, ceci ne l’est pas. » Il faut aussi poser la question aux premier•e•s intéressé•e•s. Si je ne demande pas « Est-ce que vous avez mal quand je vous fais ceci ou cela », je risque fort de faire mal. En toute bienveillance, du haut de mon paternalisme.
Et quelles que soient les bonnes intentions (rappelons que le chemin de l’enfer en est pavé…) des professionnel•le•s, elles ne sont pas nécessairement convaincantes pour les personnes soignées. L’autonomie, ça consiste en particulier à sentir qu’on peut dire « Merci de m’avoir informé•e mais finalement, non, je ne veux pas », sans craindre d’être traité•e de tous les noms ou regardé•e de travers, ou de s’entendre dire « Bon, ben puisque c’est comme ça, c’est plus la peine de venir me consulter. »
Aussi, quand un•e médecin (ou un•e journaliste) pense justifié de recommander à son auditoire de « consulter (ici, titre de spécialiste) une fois par an »,
– il devrait toujours préciser ce que l’on sait vraiment des effets de ce conseil (ou de son non-suivi)
– il ne devrait jamais pratiquer le terrorisme (« Si vous n’y allez pas, vous allez mourir. ») car celui-ci est contraire à l’éthique ET contre-productif : quand on a peur on en fait toujours trop ou trop peu ;
– il devrait toujours rappeler fermement que l’individu reste libre de ses choix, en matière de santé comme en matière de vote, de dépenses, de relations, de sexualité, de mode d’alimentation…
Bref, qu’un conseil médical n’est jamais qu’un avis, et pas une parole d’évangile. 
Et on en revient à la question du début :
« A qui doit-on conseiller d’aller voir un médecin une fois par an » ?
Personnellement (mais ce n’est qu’un avis) j’aurais tendance à répondre : A personne. Le seul examen préventif utile à ce jour (pour les femmes) est le frottis tous les 3 ans à partir de 25 ans. Pas plus souvent.
Pour les autres années et pour les hommes, le jour où vous jugez que vous avez besoin d’aller voir un médecin, allez-y. La « norme » de votre santé, c’est vous. Ce n’est pas ce que les médecins ou les magazines en disent. Vous êtes dans votre corps et votre vie, personne d’autre ne s’y trouve. Et personne n’a à décider à votre place.
En attendant, si vous allez bien, vivez votre vie. C’est vous qui savez si elle est bonne ou non.
Il y a beaucoup de choses à y faire, et elles sont bien plus intéressantes et importantes que de vous casser la tête à aller voir un médecin.

Mais regardez autour de vous, et demandez aux personnes que vous connaissez et à celles que vous ne connaissez pas si elles vont bien. Et, si elles ne vont pas bien, pourquoi elles ne vont pas consulter un médecin. Vous apprendrez sûrement beaucoup en écoutant leur réponse.

Marc Zaffran/Martin Winckler
PS : Armelle, à la question « A qui faut-il conseiller », suggère : « A un médecin ? »
Je ne suis pas loin de penser qu’elle a raison. Je pense même que la plupart (voire tous) les médecins devraient consulter un•e thérapeute. Et pas qu’une fois par an. Ca leur ferait beaucoup de bien – et par conséquent, aux patient•e•s.
Merci Armelle.

In memoriam Colette Guillaumin

Homme blanc, je ne suis pas sûr d’être le mieux placé pour parler de Colette Guillaumin, sociologue féministe dont les travaux sur la race et le genre ont « renvers[é] les perspectives dominantes et boulevers[é] notre compréhension du monde[1] ». Pourtant, son décès n’a pas fait l’objet d’un grand intérêt de la part des médias – lesquels étaient bien trop occupés, en ce 10 mai dernier, à supputer les chances de tel ou tel Philippe, voire Édouard, d’être nommé à Matignon. Pour être juste, précisons cependant que l’on trouve facilement sur Internet des présentations de ses thèses, en particulier depuis la réédition récente[2] de son recueil Sexe, race et pratique du pouvoir. L’idée de nature (textes des années 1978 à 1992 dont la première édition datait de 1992). Il y a bien sûr des recensions de style plutôt académique et néanmoins très intéressantes comme celle de Delphine Naudier et Éric Soriano dans Les Cahiers du genre[3]. Mais il y a aussi des reprises plus « engagées » de son travail, comme celle du site Le Seum Collectif, que j’ai découvert à cette occasion, et qui a consacré une suite de cinq articles (je n’arrive décidément pas à me résoudre à écrire « posts », désolé, je dois être un peu rétro), cinq articles, donc, excellents en ce qu’ils ne se contentent pas d’exposer les thèses de Guillaumin, mais qu’ils les actualisent en les intégrant aux problématiques d’aujourd’hui – sexisme, racisme et intersectionnalités.

Je ne répéterai donc pas ici ce que ces personnes ont dit, et probablement mieux dit que je ne l’aurais fait. Mais il me semble important de donner un aperçu de cette pensée rigoureuse, et si cela donne envie à quelques lectrices ou lecteurs d’en savoir plus, je pense que j’aurai bien fait.

Colette Guillaumin avait soutenu sa thèse à la fin des années 1960, thèse qui fut publiée ensuite sous le titre : L’Idéologie raciste, genèse et langage actuel et que l’on trouve aujourd’hui en édition de poche (Folio/Gallimard). À l’époque, elle fut une des premières à affirmer que la race n’existe pas, en tout cas pas comme réalité matérielle. La race n’est rien d’autre qu’un rapport social de domination, lui-même issu de ce rapport de domination absolue – Guillaumin emploie le terme d’appropriation – que fut l’esclavage des débuts de la modernité capitaliste. La logique est relativement simple : pour s’approprier d’autres humains, et parce qu’il s’approprie d’autres humains, l’humain propriétaire dénie à ses « propriétés » la qualité d’humain – ou de sujet, si vous préférez. Pourtant, ces « biens » ressemblent fort à des humains – ils en possèdent la forme et aussi l’éminente spécificité : la parole. Mais ils sont esclaves : c’est bien qu’ils sont différents, non ? D’ailleurs cela saute aux yeux : ils sont noirs ! Et hop, passez muscade : ils sont esclaves parce qu’ils sont noirs. Au XIXe siècle, le scientisme impérialiste viendra donner une armature « théorique » à ce constat d’évidence. Le même raisonnement s’applique aux femmes : Colette Guillaumin le nomme « sexage ». C’est l’opération par laquelle la classe entière des femmes est appropriée par les hommes. Silvia Federici a décrit, dans Caliban et la sorcière[4], comment le corps des femmes est devenu propriété des hommes et de l’État – et cela en parallèle avec la colonisation du Nouveau Monde puis l’esclavage et la traite des nègres, qui coïncident avec les grandes chasses aux sorcières en Europe, deux moyens pour le capital en pleine expansion de se procurer du travail gratuit. Comme les Noirs, les femmes sont différentes, n’est-ce pas ? Et c’est parce qu’elles sont femmes, et différentes, qu’elles doivent être soumises aux hommes. C’est naturel. Les rapports sociaux seraient donc établis sur des faits de nature, et non sur l’histoire, les rapports de force, etc. D’ailleurs, les femmes, comme les Noirs, sont des êtres plus proches de la nature, non ? Il est bien connu que le domaine de l’artifice, de la culture, appartient aux hommes, sinon à l’Homme.

Ce qui m’a particulièrement intéressé dans ces textes de Colette Guillaumin, c’est la façon dont elle démonte la mécanique qui produit et reproduit sans cesse ces horreurs, c’est-à-dire le rapport intime qui noue ensemble pratiques et idéologies. La conclusion de l’article « Race et Nature. Système des marques, idée de groupe naturel et rapports sociaux » me semble très claire sur ce point. Elle servira aussi de conclusion à ce qui se veut un modeste hommage à cette belle personne qui « a cherché, inlassablement, à cerner, à théoriser et à déstabiliser les rapports de domination[5]. »

« L’invention de la nature ne peut pas être séparée de la domination et de l’appropriation d’êtres humains. Elle se développe dans ce type précis de relations. Mais l’appropriation qui traite des êtres humains comme des choses et en tire diverses variations idéologiques ne suffit pas en soi à induire l’idée moderne de groupe naturel : après tout Aristote parlait bien de la nature des esclaves, mais ce n’était pas avec la signification que nous donnons aujourd’hui à ce terme. Le terme nature appliqué à un objet quelconque visait sa destination dans l’ordre du monde ; ordre réglé alors théologiquement. Pour que naisse le sens moderne il y faut un autre élément, un facteur interne à l’objet : celui de déterminisme endogène, qu’introduit le développement scientifique, viendra, en se joignant à la “destination”, former cette idée nouvelle, le “groupe naturel”. Car à partir du XVIIIe siècle, sensiblement on cesse de faire appel à Dieu pour expliquer des phénomènes de la matière et on introduit l’analyse des causes mécanique dans l’étude des phénomènes, physiques d’abord, vivants ensuite. L’enjeu d’ailleurs était la conception de l’Homme, et le premier matérialisme sera mécaniste au cours de ce même siècle (cf. L’Homme-machine de La Mettrie, 1748).

« Si ce qui est énoncé sous le terme “naturel” est la pure matérialité des objets impliqués, alors rien de moins naturel que les groupes en question qui, précisément, sont constitués PAR un type précis de relation : la relation de pouvoir, relation qui les constitue en choses (à la fois destinés à et mécaniquement orientés), mais bien qui les constitue puisqu’ils n’existent comme choses que dans ce rapport. Ce sont les rapports sociaux où ils sont engagés (l’esclavage, le mariage, le travail immigré…) qui les fabriquent tels à chaque instant ; en dehors de ces rapports ils n’existent pas, ils ne peuvent même pas être imaginés. Ils ne sont pas des données de la nature, mais bien des données naturalisées des rapports sociaux. »

[1] Danielle Juteau (prof de sociologie de l’université de Montréal), Le Monde, 18 mai 2017.

[2] En 2016, par les éditions iXe : grâce leur soit rendue. Cet ouvrage est disponible à la bibliothèque de l’association Agate, armoise et salamandre, 13 rue des Cordeliers à Forcalquier. Ouverture le lundi de 10 à 13h et le samedi de 16 à 19h.

[3] Éditions l’Harmattan, lisible en ligne ici. On trouve également sur Internet des textes à propos de la première édition de 1992 : un de la revue Multitudes et un autre de la revue Recherches féministes.

[4] Éditions Entremonde/Senonevero, 2017 (nouvelle édition). On peut lire ce que j’en ai écrit ici.

[5] Danielle Juteau, loc. cit.

Lucía Sánchez Saornil : La Question féminine dans nos milieux

« On peut dire qu’au cours des siècles le monde masculin a toujours oscillé à propos de la femme entre les deux concepts extrêmes : la prostituée et la mère, l’abject et le sublime, sans s’arrêter sur ce qui est strictement humain : la femme. La femme comme individu ; individu rationnel, pensant et autonome. »

Dans cette série de cinq articles publiés entre septembre et octobre 1935 dans le journal Solidaridad Obrera, Lucía Sánchez Saornil, militante anarchiste, fait une critique de l’attitude de ses camarades hommes vis-à-vis des femmes. Elle y expose leurs préjugés machistes, incompatibles avec les aspirations libertaires qu’ils affichent. Elle s’y livre également à une réflexion — en avance sur son temps dans le contexte espagnol — sur l’émancipation des femmes et la révolution sociale qui, selon elle, dépendent l’une de l’autre. Ce texte permet de comprendre pourquoi quelques mois plus tard elle créera, en compagnie des militantes Mercedes Comaposada et Amparo Poch, la fédération révolutionnaire féminine Mujeres Libres, première organisation féministe prolétarienne autonome de son genre, qui sera rapidement forte de plus de 20 000 membres en pleine guerre civile.

LuciaSanchezSaornil-20p-A4-fil (pour d’autres formats, aller sur infokiosques.net)

Cologne et la question des violences sexuelles dans le débat politique allemand : renforcement du sexisme et du racisme, invisibilisation des femmes réfugiées

L’Allemagne, un pays soudainement « féministe » ? Dans ce texte, Emeline Fourment met en perspective le
traitement public des agressions sexuelles de Cologne en revenant sur la reconnaissance juridique précaire
des violences sexuelles dans ce pays, avant de mettre en lumière les points aveugles des discours dominants
sur le sujet, conditions nécessaires à l’expression d’un discours féministe digne de ce nom.

Une excellente analyse à lire sur le site de la revue en ligne Contretemps.

Politique du silence. Les femmes et les jeunes gens ne parlent pas à la table du pouvoir | La pensée du discours

La publication du livre de Valérie Trierweiler dont je parlais dans un précédent billet est un bon observatoire pour les analystes du discours : celleux qui travaillent sur la doxa, l’imprégnation idéologique, le discours de défense, la langue de bois et le discours collectif ont un bien beau corpus à constituer, celui des réactions unanimes de la “classe” des journalistes et des politiques, puisque c’est bien d’une affaire de classe qu’il s’agit, à tous les sens du terme (excepté celui de l’élégance). S’y joint de manière inédite la catégorie des libraires (je dis “des libraires” au pluriel car celleux qui se sont exprimé.e.s revendiquent ce collectif pluriel en proclamant “nous sommes libraires“, engageant de fait toute la profession), dont on a appris qu’illes avaient une vertu, au nom de laquelle illes se sentent autorisé.e.s à pratiquer quelque chose qui ressemble à une censure sur leurs choix de ventes.

Politique du silence. Les femmes et les jeunes gens ne parlent pas à la table du pouvoir | La pensée du discours.

Le genre, angle mort des discriminations à l’école

Récupéré sur Mediapart, cet article qui date un peu (2012) mais n’en reste pas moins valable…

Dans l’école mixte et officiellement égalitaire d’aujourd’hui, certains chiffres laissent songeur. En fin de troisième, parmi les élèves orientés, 78 % des garçons vont dans le secteur de la production et 88 % des filles dans les services. Dans la voie technologique, le médico-social accueille 93 % de filles, les sciences et technologies industrielles 89 % de garçons. Dans la filière générale, la filière L est toujours composée par 79 % de filles.

« Ce sont des chiffres qui n’évoluent pratiquement pas », observe la sociologue Clotilde Lemarchant, spécialiste du genre dans le champ scolaire. Que filles et garçons, dès que le système scolaire leur en offre la possibilité, se séparent et épousent aussi massivement les stéréotypes de genre, est accueilli tantôt avec fatalisme tantôt avec indifférence.« C’est un peu affligeant, mais qu’est-ce qu’on y peut ? » se demande une enseignante.

Une classe de lycée technologique à MarseilleUne classe de lycée technologique à Marseille© LD

De fait, le rôle de l’institution scolaire dans la reproduction de ces schémas est difficile à cerner. S’interroger sur l’existence de discriminations selon le sexe à l’école peut paraître à première vue incongru voire déplacé. Qu’il existe encore aujourd’hui des trajectoires scolaires très différentes selon les sexes est certes fort connu et abondamment documenté – de la meilleure réussite des filles à leur plus faible appétence pour les carrières scientifiques – mais n’est jamais, ou pratiquement jamais, posé en terme de discrimination. Sans doute parce qu’à l’inverse des discriminations liées à l’origine – où le ressenti très fort chez certains élèves impose aux acteurs de l’école de s’interroger –, aucun sentiment d’injustice chez les filles, ni a fortiori chez les garçons, n’accompagne ces destins scolaires très différenciés.

Poser la question des discriminations liées au genre va aussi à l’encontre d’une histoire glorieuse, celle de la « longue marche des filles vers l’égalité » au sein de l’école, selon l’expression de l’historien de l’éducation Claude Lelièvre. Une histoire glorieuse qui a son panthéon : Fénelon, Duruy, Camille Sée, et ses grandes étapes : accès à l’école primaire, secondaire, au supérieur, puis le grand tournant de la mixité. « Qu’on se rappelle qu’il y a un siècle il n’y avait aucune fille dans le supérieur. Maintenant elles dominent. Même les plafonds de verre petit à petit s’effritent », souligne Claude Lelièvre qui rappelle que sur la question du sexisme, l’école est encore bien souvent une institution« en avance sur la famille, sur le marché de l’emploi ».

Les parcours scolaires divergents des filles et des garçons sont-ils le fruit d’une discrimination liée au sexe ? L’hypothèse est loin de faire l’unanimité. « Il y a des différences mais est-ce de la discrimination ? Est-ce qu’on peut parler d’injustice ? » s’interroge Claude Lelièvre. Si l’école est à l’évidence « sous l’emprise du genre », peut-être l’est-elle ni plus ni moins que la société dans son ensemble.

Lorsqu’on pose aujourd’hui la question à un petit groupe de collégiens, ils disent avoir plutôt l’impression d’exercer un libre choix en optant pour des cursus différents. Si aujourd’hui filles et garçons n’ont pas la même scolarité, c’est d’ailleurs, pour beaucoup d’acteurs de l’école, tout simplement parce qu’elles et ils le veulent bien.

Des inégalités d’orientation qui modèlent les inégalités de carrière

« En raisonnant en terme de différences, on ne regarde pas la réalité en terme d’inégalité, encore moins de discrimination », regrette Françoise Vouillot qui a dirigé l’ouvrage Orientation scolaire et discrimination, justement sous-titré : Quand les différences de sexes masquent les inégalités. Se contenter d’enregistrer les choix des élèves – si tant est que l’école se cantonne dans ce rôle – est un peu court dans la mesure où, comme l’écrit la sociologue Marie Duru-Bellat, ce sont « ces inégalités d’orientation qui, bien plus que les inégalités de réussite, modèlent les inégalités de carrière entre les sexes ».

Se réfugier derrière le choix des élèves revient pour certains chercheurs à esquiver une véritable interrogation sur le fonctionnement de l’institution scolaire, et sur un différentialisme partout présent bien que jamais vraiment assumé.

« Au moment de l’orientation, les élèves sont des ados en pleine construction identitaire. Il faut qu’ils montrent aux autres leur masculinité/leur féminité. C’est un manque de lucidité effarant de la part des adultes qui ne voient pas à quel point les modèles qu’ils leur proposent reproduisent des stéréotypes de sexe», s’agace Françoise Vouillot. Pour cette psychologue spécialiste de l’orientation et directrice-adjointe de l’Institut national d’étude du travail et d’orientation professionnelle au CNAM, l’école ne produit d’ailleurs pas « des discriminations au sens juridique du terme, ce qui était le cas encore récemment dans l’éducation nationale. C’est plus subtil que cela. Comme le dit Marie Duru-Bellat,à l’école on est “sexiste par négligence” ».

La plupart du temps, les acteurs de l’éducation nationale commettraient en effet des discriminations systémiques, non intentionnelles. Une occasion de rappeler que l’histoire glorieuse de l’émancipation des filles à l’école a aussi son revers, plus sombre, où leur scolarité a d’emblée été pensée comme différente et foncièrement inégale. Un passé mal connu, peu enseigné, qui agirait par retour du refoulé. « Un garçon brillant qui ne veut pas aller en S sera systématiquement convoqué pour qu’on lui explique que c’est du gâchis. Pas une fille, dont on pensera qu’elle est libre de faire d’autres choix », relève Marie Duru-Bellat.

Enseignants, conseillers d’orientation, ont parfois une idée bien arrêtée de ce qui est bon – et surtout potentiellement fragilisant – pour les élèves. « Evidemment, c’est compliqué d’envoyer une jeune fille dans le bâtiment quand on sait qu’elle y sera mal reçue et aura plus de mal à s’insérer professionnellement », rapporte une conseillère d’orientation. Clotilde Lemarchant, qui a travaillé sur ces élèves dits « atypiques », garçons dans des filières féminines et filles dans des filières masculines, montre bien la souffrance de ces minoritaires… « Surtout pour les filles, les garçons dans ces situations, étant beaucoup mieux acceptés. » Encore aujourd’hui, constate-t-elle, la résistance de certains acteurs de l’école à ces transgressions de genre est patente. « Une fille ou deux dans la classe, c’est le maximum, lui expliquait un prof de mécanique. Après cela devient ingérable ! » Au lycée professionnel où la séparation des sexes est la plus marquée, certains internats ne prévoient tout simplement même pas la mixité.

La discrimination systémique liée au genre s’exprime par des processus ténus. « Les recherches montrent que les enseignant(e)s et les élèves, à travers une multitude de processus quotidiens très fins, contribuent à faire vivre aux filles et aux garçons des expériences très différentes qui aboutissent à des positions inégales des filles et des garçons », expliquait récemment Nicole Mosconi dans Genre et pratiques scolaires : comment éduquer à l’égalité ? « Quand on observe la vie quotidienne dans le système scolaire, en effet, on voit que, dans l’ensemble, l’école a tendance à laisser agir les mécanismes sociaux du genre. » A partir d’observations fines de classes, la chercheuse souligne que, « sans en avoir conscience », les enseignants interagissent nettement plus avec les garçons qu’avec les filles. Idem sur la notation, où les attentes vis-à-vis des garçons sont beaucoup plus importantes (s’il est médiocre, il sera plus mal noté qu’une fille par exemple).

D’où l’importance de former les acteurs de l’école pour prévenir ces phénomènes via des formations obligatoires, estime Françoise Vouillot. « On voit bien sinon que ceux qui demandent ces formations – elles existent notamment pour les conseillers d’orientation – sont déjà sensibilisés à ces sujets. »

«Le monde universitaire ou médiatique où tout le monde est antiraciste mais tout le monde est blanc»

Globalement, si les discriminations liées à « l’origine » commencent à être prises en compte (voir nos précédents articles sur le sujet ici et ), l’emprise du genre à l’école est encore largement dans l’angle mort des politiques publiques. Claude Lelièvre se souvient qu’au moment de la commission Thélot, et du grand débat sur l’école lancé en 2003, la question des inégalités de parcours scolaires selon le sexe avait été retoquée car jugée non prioritaire. Un manque d’intérêt qui s’explique sans doute parce que la demande sociale des élèves, des parents ou des acteurs de l’école est très faible sur le sujet.

Les campagnes publiques se sont cantonnées la plupart du temps à promouvoir la place des filles dans les métiers scientifiques et techniques, où le manque de main-d’œuvre est devenu problématique. « Souvent mal pensées, mal ciblées, elles négligent les garçons qui subissent eux aussi l’influence des stéréotypes de sexe dans leur choix d’orientation. Cela revient fondamentalement à ne pas toucher au système de normes », rappelle Françoise Vouillot. Leur impact a d’ailleurs été des plus faibles, si l’on regarde les statistiques officielles récemment publiées.

A ceux qui jugent « non-prioritaire » cette question dans les immenses chantiers que doit ouvrir l’école  et ils sont très nombreux –,  Françoise Vouillot rétorque que le poids du genre est une donnée fondamentale des inégalités scolaires.« L’échec scolaire, comment ne pas voir que cela touche en priorité les garçons des classes défavorisées. Le décrochage, la violence… le sexué est partout ! »

Dire que sur ce sujet, on a affaire à des discriminations systémiques, souligne le sociologue Eric Fassin, « cela ne veut pas dire que, comme cela concerne toute le société, on ne fait rien. Puisque dans ces formes de discriminations, on ne s’intéresse pas à l’intention, c’est donc le résultat qui compte. Sinon les choses en resteront là,  comme dans le monde universitaire ou médiatique où tout le monde est antiraciste mais tout le monde est blanc ». Faute d’un réel volontarisme politique sur le sujet, ces chercheurs craignent que les stéréotypes de genre à l’école, avec leurs conséquences très concrètes dans la scolarité des filles et des garçons, pèseront encore longtemps.

Signe d’un frémissement ? Alors que le rapport commandé par la Halde à Françoise Vouillot sur les discriminations liées au sexe à l’école, publié l’an dernier, a été accueilli dans une indifférence polie par Luc Chatel et son administration, un rendez-vous a été récemment pris rue de Grenelle pour évoquer ces questions. Affaire à suivre, donc.

La construction de l’Autre, entretien avec Christine Delphy

La construction de l’Autre, entretien avec Christine Delphy

Dans cet entretien initialement paru dans Migrations et sociétés, Christine Delphy revient sur la question des « autres », ou plutôt, pour reprendre le sous-titre d’un de ses livres, sur « qui sont les autres » [1]. Car ce que sont les autres n’est pas une réalité objective. Les « uns » construisent les « autres », et les construisent par le pouvoir de les nommer, de les catégoriser, de disserter sans fin sur elles et eux, qu’il s’agisse des femmes, des homosexuel-les ou encore des personnes racisées. Cette question, qui constitue un fil rouge de la pensée et des engagements de Christine Delphy, sera longuement traitée dans un documentaire réalisé par Florence Tissot et Sylvie Tissot, qui sortira fin 2014 [2]. Le documentaire de 52 minutes sera accompagné d’un abécédaire abordant différentes thématiques, d’Amitié à Sexualité, de Beauvoir à Wittig.

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