#Balancetonporc, #Metoo : ne pas en rester là

Est-ce d’une loi dont nous avons vraiment besoin ?

paru dans lundimatin#121, le 6 novembre 2017

Depuis les accusations d’agressions sexuelles et de harcèlements contre le producteur américain Harvey Weinstein, de très nombreuses femmes ont pris la parole pour dénoncer, et raconter, les expériences auxquelles elles sont confrontées quotidiennement. A cette occasion, une loi visant à pénaliser le harcèlement de rue portée par la secrétaire d’État Marlène Schiappa est remise au goût du jour et devrait être adoptée au premier semestre 2018. Qu’attendre du droit et d’une nouvelle loi ? Une lectrice de lundimatin répond : rien.

Il fallait parler. Trop de choses ont été tues, depuis trop longtemps. Une goutte fait déborder le vase : la dénonciation d’un producteur par une actrice, puis dix, puis vingt. Il fallait que l’on se dise que le harcèlement et le viol ne sont pas l’apanage des hautes sphères de la culture, mais sont le lot quotidien de milliers de femmes. Parler à la première personne, dire je, notamment faire fermer leur clapet à celles et ceux qui font du beurre sur les descriptions objectives de la situation. Qui veulent toujours dire ce que sont les femmes, ce qu’elles subissent ou ce qu’elle devraient faire. Qui parlent toujours au nom de toutes les femmes, alors qu’ils/elles sont incapables de parler d’eux/elles-même. Dire je et se rendre compte, rendre visible, que ce qui est le plus intime, le plus caché, est aussi ce que nous avons en partage. J’appelle cela : commencer la politique. Parce que le fait de ne pas s’en tenir au discours officiel, mais commencer en regardant ce que ça nous fait à nous, dans nos corps, dans nos chairs, et le mettre en partage, c’est commencer à faire de la politique. Se refléter, se reconnaître dans le récit d’une amie, d’une inconnue. Se découvrir soi-même à travers le miroir fidèle de sa semblable. Et comprendre que l’on n’est pas toute seule : c’est commencer à faire de la politique. Je n’ai pas lu de revendications particulières, pas de grand discours surplombant qui prétende englober toutes les femmes : je n’ai lu que des récits d’expérience. Et cette multitudes de « je » forme comme le début d’un récit collectif qui n’a pas besoin de se rendre homogène pour exister. Dire « je », ce n’est pas en rester à son histoire particulière, c’est aussi participer à construire une histoire qui nous dépasse.

Et une fois la parole prise, je n’ai pas le sentiment d’en avoir fini. Je n’ai pas envie que cette histoire s’arrête ici. Que nous prenions conscience de nous-même, et que nous rentrions ensuite à la maison. J’en veux davantage. Parce que si nous en restons là, que fera-t-on de notre parole ? Qu’en restera-t-il ?

Ne pas en rester là, parce que pointer un problème sans réfléchir à des solutions pour le résoudre ne me renforce pas. Je ne veux pas que l’on m’accole le statut de victime, de sexe faible, à protéger. Si ce récit s’arrête ici, il est possible que cette libération de la parole nous fragilise, parce qu’il ne suffit pas d’être conscientes de la réalité des violences faites aux femmes mais bien se donner les moyens de lutter contre. Me laisser enfermer dans le rôle de la victime, c’est laisser s’instaurer une médiation entre mon corps et la violence. C’est me déposséder de ma capacité d’agir. C’est encore demander protection à l’homme, parce que les femmes ne seraient pas capables de violence, seraient incapables de répondre à ceux qui les humilient. Ou même ne seraient pas capables d’imaginer d’autres types de réponse que la violence.

Lorsque l’on entend que la ministre de l’égalité entre les sexes veut faire une loi contre le harcèlement de rue, il y a des questions à se poser. Que ce projet de loi précède Me too n’est pas le problème, la ministre se sert désormais de cela pour appuyer une loi qui semble d’ailleurs plaire à tout le monde. Mais est-ce une loi dont nous avons vraiment besoin ?

La loi pose le débat en deux termes : soit on est contre, et alors nous sommes pour la poursuite des violences ; soit nous sommes pour, et l’on est pour le progrès. Où se trouve ma liberté dans cette dualité posée par la prétendue neutralité juridique ? Et que ferait-on alors des femmes qui, refusant de passer par la loi, trouveraient plus sensé de faire justice à partir d’elles-mêmes ? Dans ce cas, il est certain que la loi en faveur des femmes se retournerait contre elles, parce qu’une fois la loi promulguée, les femmes n’auraient alors aucune légitimité à se défendre autrement.

Lorsque l’état et la justice parlent des problèmes liés aux femmes, ils ne peuvent s’empêcher d’en faire un bloc opprimé et homogène. Ils ne peuvent pas voir que les expériences différentes des vécus féminins ne demandent pas forcement à être prises en charge par leur soin. Qu’il est possible que certaines choses ne les regardent pas. Lorsque ceux-ci parlent de « nous » protéger, j’entends tout de suite qu’il s’agit de me dépolitiser. Que la réalité du harcèlement soit mise au même plan que le crachat de rue, c’est faire d’un problème politique une simple question d’éducation. Alors que les rapports de pouvoir les plus crasses se révèlent jusque dans les plus hautes sphères, on nous parlera bientôt d’une vaste opération de morale publique qui ne remettra absolument rien en cause. Et qui n’aura par conséquent rien de politique. Est-ce pour faire de nos mots et de nos corps le terrain d’une telle opération que nous avons écrit ?

Et de même : lorsque je vois, que j’écoute, certaines femmes qui se sont faites mes porte-paroles sans mon assentiment, je me demande pour qui elles se prennent. Pour qui elles se prennent à usurper mon je, mon expérience, pour en faire un projet dans lequel je ne me reconnais pas. Je me sens presque plus de sympathie pour celles qui disent s’en foutre du harcèlement, qui considèrent qu’elles ont bien d’autres problèmes, ou même pour ces femmes qui se taisent, râlent dans leur coin, plutôt que pour celles qui demandent des caméras de surveillance dans les rues. Et bien plus encore que pour celles qui se lamentent de ne pas pouvoir se balader tranquillement à la Chapelle. Il y a ici toute la différence entre une politique sensible, qui part de soi ; et une autre, abstraite, qui n’entend rien d’autre que le discours sur « la condition féminine ».

S’il fallait parler, ce n’était donc sûrement pas pour se plaindre, mais au contraire, pour commencer à sentir qu’une force était en train de naître, qu’elle continue de croître au moment ou je vous parle. Je pense que cette force ne doit pas se jeter dans les bras de la loi et de la police, mais qu’elle doit être le point de départ d’une liberté qu’il s’agit encore de découvrir et qui ne nous sera donnée par personne d’autre que par nous-mêmes.

As Clemmie Wonders · Du caractère polymorphe et multicolore du relou en milieu urbain

« Non mais qu’ils ne respectent pas les femmes chez eux, c’est leur problème, mais ici, on est en France »

 » Je suis pas raciste, mais j’en ai marre de me faire draguer dans la rue!  »

 » C’est dans leur culture, ils n’ont pas le même rapport à la séduction ».

Ces déclarations n’ont pas particulièrement été tenues par des membres du FN ou même des personnes se disant (se pensant) racistes. Non. Ce sont des déclarations que j’ai entendues, que j’entends régulièrement, dès que l’on parle de harcèlement de rue.

 

Parce que, comme en parlait récemment un article de rue89, c’est un fait : pour beaucoup de personnes, y compris les victimes de harcèlement de rue, les agresseurs de rue ne sont que des mecs de banlieue, de cité, de quartiers populaires. Que des immigrés, des fauchés, des lascars, des cailleras, des ouaich, des rebeus, des renois… Je parle souvent de harcèlement de rue, avec beaucoup de personnes. Et la récurrence des déclarations précédentes m’attriste.

 

Non, elle me révolte, en fait. Elle me met hors de moi.

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