Avortement, les croisés contre-attaquent

Avortement, les croisés contre-attaquent

Article repris du site Quartiers libres

Partout en Europe, de nouveaux militants, très organisés, mènent une redoutable croisade contre l’avortement et la liberté des femmes à disposer de leur corps. Une passionnante – et inquiétante – enquête dans ces réseaux d’influence. Plus de quatre décennies après la loi Veil (1975), le droit à l’avortement subit une offensive concertée en Europe, menée par une nouvelle génération de militants, maîtres en communication et en pétitions.Dans les pays de l’Est, de la Pologne à la Hongrie, il a reculé sous l’égide de gouvernements ultraconservateurs, tandis qu’en Italie, sous l’influence de l’Église, 70 % de gynécologues « objecteurs de conscience » refusent désormais de pratiquer l’IVG – légale depuis quarante ans –, privant les femmes de la liberté à disposer de leur corps. En France, une petite légion d’activistes pro-life, avec à sa tête un jeune publicitaire, porte le combat sur le terrain culturel auprès des 15-35 ans, au travers des médias et des réseaux sociaux. Entre séduction et désinformation, leur campagne mêle conservatisme et style pop, reprenant pour mieux les détourner la terminologie des féministes. Fédérés et remarquablement organisés, ces soldats antiavortement exercent en outre un puissant lobbying à Bruxelles. Qui se cachent derrière ces croisés modernes, qui mutualisent leurs pernicieuses méthodes de persuasion et invoquent les atteintes aux droits de l’homme et la liberté de choix (de vivre) dans leur guerre contre l’IVG ?
Au fil d’une rigoureuse investigation qui donne la parole à ces activistes comme aux femmes victimes de leur offensive, Alexandra Jousset et Andrea Rawlins-Gaston remontent ces réseaux pour dessiner une inquiétante carte d’Europe. Un état des lieux d’autant plus glaçant que ces croisés assument avec affabilité leur terrorisme psychologique, comme lors de cette séquence où des catholiques en Italie enterrent solennellement des fœtus collectés dans les hôpitaux. Le film met aussi au jour les circuits de financement de ces mouvements pro-life, très discrètement parrainés par de riches fondations américaines, liées à l’ultradroite et aux milieux évangélistes, comme par quelques oligarques russes, fondamentalistes orthodoxes. « Vous devrez rester vigilantes votre vie durant« , prophétisait Simone de Beauvoir, s’adressant aux femmes il y a 70 ans. Dont acte.

Un documentaire à voir sur YouTube

Documentaire d’Alexandra Jousset et Andrea Rawlins-Gaston (France, 2017, 1h30mn) ARTE F

« Assurance viol », le coup de grâce contre le droit à l’avortement au Texas

Info trouvée sur le site Terriennes

Une femme habillée en statue de la liberté se tenait devant le Capitole du Texas (chambre législative et siège du gouverneur de cet Etat du Sud des Etats-Unis) pour protester contre cette législature estivale calamiteuse 2017 qui adopte à la châine des textes contre l'Interruption volontaire de grossesse ou les droits des transgenres.

Une femme habillée en statue de la liberté se tenait devant le Capitole du Texas (chambre législative et siège du gouverneur de cet Etat du Sud des Etats-Unis) pour protester contre cette législature estivale calamiteuse 2017 qui adopte à la châine des textes contre l’Interruption volontaire de grossesse ou les droits des transgenres.
(AP Photo/Eric Gay)

Loi après loi, décret après décret, très habilement, les élus du Texas érigent une barrière infranchissable contre l’interruption volontaire de grossesse, un droit pourtant constitutionnel aux Etats-Unis. En imposant une assurance privée obligatoire aux femmes violées ou abusées qui voudraient avorter, en obligeant les médecins de très jeunes filles victimes d’inceste ou d’abus sexuels à déclarer leurs noms si elles veulent avorter, l’Etat du Sud achève d’interdire, de fait, ce droit fondamental.

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Les mots sont choisis avec soin. Les législateurs texans ont appris à louvoyer pour que leurs textes ne soient pas annulés par la Cour suprême des Etats-Unis. Et en ce qui concerne les tentatives de prohibition du droit à l’avortement, ils ont de la constance. Ainsi, dans l’acte voté le 13 août 2017 au Capitol d’Austin, capitale de cet Etat du Sud héritier des plus rétrogrades sécessionnistes, ils s’attaquent à l' »elective abortion » autrement dit l’interruption volontaire de grossesse (IVG), choisie par une femme en raisons de circonstances qui ne regardent qu’elle, toujours un drame comme le rappelait Simone Veil. Ils l’opposent à l’avortement thérapeutique, nécessaire au sauvetage de la vie d’une femme ou imposé par un accident, bref en cas d’urgence absolue, urgences dont la définition texane exclut « le viol, l’inceste, ou les anomalies du foetus« .

Je suis fier d’annoncer qu’une nouvelle loi vient d’être signée afin qu’aucun Texan ne soit obligé de financer une procédure qui met fin à la vie d’un enfant non né
Greg Abbott, gouverneur du Texas

Par ce vote, ils imposent aux Texanes de souscrire une assurance pour couvrir les frais d’une interruption volontaire de grossesse, si elles veulent y recourir dans l’un des derniers établissement qui pratiquent ces opérations au Texas. Le trio d’hommes, au centre duquel trône le gouverneur Abbott à l’origine de cette idée, pose tout sourire sur les réseaux sociaux pour annoncer au monde la « bonne nouvelle » au monde. Il est entouré du sénateur Bryan Hughes et du représentant Jim Murphy. Tous républicains, tendance Donald Trump et Mike Pence, les croisés du combat anti avortement.

Le gouverneur accompagne la photo de ce commentaire : « Avec une foi absolue dans les valeurs du Texas, je suis fier d’annoncer qu’une nouvelle loi vient d’être signée pour s’assurer qu’aucun Texan ne sera obligé de payer (par ses impôts, ndlr) pour une procédure qui met fin à la vie d’un enfant non né. »

Les opposants à cette loi « pro-vie » (par opposition à « pro-choix ») ont eu vite fait de la renommer « l’assurance viol« . Cet internaute s’interroge ironiquement : « Ma famille est composée surtout de femmes. Devrons nous prendre une assurance lorsque nous viendrons au Texas, ou bien est-ce réservé aux résidents ? »

Mais cela ne suffisait pas, et le surlendemain, le même triumvirat par un nouvel acte, le HB 215, sommait les médecins accueillant des mineures en attente d’IVG, à rendre compte dans un rapport détaillé des raisons, des autorisations, des circonstances, avant de permettre l’opération. Parce que « le Texas doit tout faire pour protéger ces jeunes mères« . De quoi décourager encore plus les derniers médecins résistants, bienveillants envers leurs patientes.

Dans le Austin Chronicle, un hebdomadaire « alternatif » selon Wikipedia, la journaliste Mary Tuma, a trouvé un cas d’école pour illustrer ce qu’il en coûtera désormais à celles qui recourront à l’IVG.

Une « taxe de grossesse » à 64 000 dollars

« Scott Ross et Jeni-Putalavage Ross approchent de leur 21ème semaine de grossesse, avec joie. Il s’agit de leur premier enfant. Mais une visite de routine chez le médecin révèle une rare et sévère malformation congénitale du foetus. Leur bébé ne survivra pas après la naissance. Le docteur recommande une interruption de la grossesse, une décision douloureuse à prendre pour le couple. Scott raconte : « Nous étions très angoissés, mais nous avons compris que notre angoisse, physique et mentale, serait encore plus lourde si nous menions le bébé à son terme. » En raison de complications, Jeni a passé sept jours en soins intensifs. Une fois tout accompli, l’addition médicale s’élève à 64 000 dollars. Heureusement, l’assurance de l’employeur couvrait 90% du total. Mais la nouvelle loi change la donne. « Avec cette loi, nous aurions dû tout payer de notre poche. Et en plus de la douleur liée à la perte de l’enfant, nous nous serions retrouvés dans de grandes difficultés financières », dit encore Scott qui voit ce texte comme une « taxe de grossesse ». « C’est tellement dur d’entendre les élus parler d’avortement volontaire – nous n’avons pas voulu avoir un enfant incompatible avec la vie. Comme tous les avortements, c’était imprévu. » »

Imposer de nouvelles restrictions à des femmes déjà prises dans la douleur et une situation difficile, c’est leur procurer encore plus de stress. C’est déraisonnable
Sealy Massingill, médecin en chef auprès de Planned Parenthood

Selon le magazine Broadly, déclinaison « femmes » de « l’empire » Vice, dans les faits, cela ne changera pas forcément grand chose pour deux raisons principales : d’abord parce que la couverture des avortements est déjà très réduite au Texas en raison d’un système d’assurance sociale quasi inexistant ; ensuite parce que les Texanes concernées, souvent paupérisées, ne connaissent pas leurs droits, et par peur d’être stigmatisées ne recourent pas aux assurances éventuelles.

« Dans ces conditions, les femmes qui ont besoin d’une hospitalisation en raison de problèmes médicaux gravissimes sur leur foetus, en particulier quand elles-mêmes sont malades, serons bannies de l’accès aux soins. Imposer de nouvelles restrictions à des femmes déjà prises dans la douleur et une situation difficile, c’est leur procurer encore plus de stress. C’est déraisonnable » se lamente le Dr Sealy Massingill, médecin en chef auprès de Planned Parenthood (l’équivalent américain du Planning familial) du Grand Texas, interrogée par Broadly.

Et selon le Huffington Post, les conséquences des attaques du Texas contre le planning familial, la contraception ou l’IVG sont déjà visibles : la mortalité infantile a doublé depuis cinq ans. Ce qui fait tâche dans un Etat où la vie des mères et de leurs enfants est errigée au statut de religion. #yaduboulot

Suivez Sylvie Braibant sur Twitter > @braibant1

Peu importe la raison pour laquelle c’était arrivé

Un article trouvé sur le site Quartiers libres

J’étais enceinte. Le test disait : « supérieur à quatre semaines ». Alors j’ai paniqué. J’ai lâché le test sur lequel j’avais pissé et je me suis mise à chialer comme une gamine. Et puis j’ai dû, comme plein d’autres avant moi, trouver une solution. Vite. Et comprendre comment régler « ça ».

Car bien que je respecte la vie plus que tout, ce p’tit truc qui pouvait grandir dans mon ventre n’était pas le bienvenu, du tout. Impossible de l’accueillir. Qu’il ait une famille et un tant soit peu de sécurité. Alors bon. Fallait s’y résoudre, fallait qu’il disparaisse. Pas que ça me bouleverse pas, plutôt que j’avais pas le choix.

En cherchant sur le net, tu tombes direct sur toutes sortes d’images affreuses de bébés ensanglantés : les mal-nommés « pro-vie » saturent la toile. Et les informations sur l’IVG, éparses, m’ont vite fait comprendre que j’en aurais pour un moment, à m’occuper de « ça ». Pas si facile, quand il est préférable que ta propre famille n’en sache rien, et que le « monde médical » est soit saturé, soit ouvertement réac. Quand je leur expliquais la raison de l’urgence d’un rdv, des médecins m’ont envoyé chier. La standardiste du service gynéco de l’hôpital de mon secteur m’a dit qu’ils ne pratiquaient pas l’IVG alors que leur site internet disait le contraire. Elle m’a raccroché au nez.

T’en viens même à te dire que c’est mektoub. La providence. Faut le garder. Il est là, voilà, plus on est de fous plus on rit, nan ? Mais déjà que j’arrive pas a me loger moi, à finir le mois, à manger correctement et à trouver un rythme dans ce bordel et toutes ses modalités … Là où je cherche un peu de sens et de dignité avant de faire grandir des mômes, je me permettrais pas de faire grandir un bout de moi dans ce bronx, sans logement, et sans père. C’était un faux choix. La seule solution était malheureusement radicale. Même si mon corps avait déjà changé, ne serait-ce qu’un tout petit peu, même si je savais qu’il s’en souviendrait et ne serait plus jamais comme avant.

Heureusement, je me suis rappelé que le planning familial existait. Au premier rendez-vous, on m’a montré à la télé ce petit bout de vie d’à peine un millimètre. Alors j’ai eu une semaine pour décider. D’avaler, ou pas, trois médocs pour que la vie qui avait commencé à germer dans le fond de mon bide s’expulse.

J’ai signé, j’ai avalé les trois médocs et je suis rentrée à l’hôpital le surlendemain. Une demie-journée pour « expulser », pour fermer le livre de cette histoire qui avait déjà marqué mon corps.
Je vous épargne le sang, la douleur, la solitude et les questionnements. Tout ça pour finalement se sentir vide, et quelque part épargnée. Un mois plus tard, j’ai dû faire une dernière échographie. Encore une fois, le médecin a osé me faire la morale, me dire que, « entre nous », j’aurais peut être bien fait de le garder. Qu’un médecin d’un quartier populaire se permette de me dire ça m’a mise salement en colère, et m’a éclairée sur… là où on en est.

Et puis plus rien. Juste y repenser, souvent, et me dire que j’ai eu chaud. Que si je m’étais arrêtée aux premiers râteaux des médecins ou de leurs standardistes, j’aurais bousillé ma vie. Par défaut. Par manque d’information. Parce que l’IVG en France n’est légale que parce que certainEs luttent pour que ça reste possible. Parce que nos acquis n’existent que parce qu’on lutte pour pouvoir les garder. Parce que j’ai senti, cette fois encore, qu’ils sont fragiles, qu’on doit s’entraider et se passer le mot.

Seules celles qui luttent savent.

Salvador. À deux doigts de la mort : la violence contre les femmes et l’interdiction de l’avortement – Amnesty International Belgique Francophone

Salvador. À deux doigts de la mort : la violence contre les femmes et l’interdiction de l’avortement – Amnesty International Belgique Francophone.

María Teresa Rivera a été condamnée pour avoir fait une fausse couche et purge actuellement une peine de 40 ans de prison. Âgée de 28 ans au moment des faits, elle était mère célibataire et travaillait dans une usine de confection quand, un jour, elle a eu un besoin urgent d’aller aux toilettes. Sa belle-mère l’a découverte par terre, baignant dans son sang. María Teresa ne savait pas qu’elle était enceinte.

María Teresa Rivera a été transportée d’urgence à l’hôpital, où un membre du personnel l’a dénoncée à la police. Les policiers, arrivés sur les lieux, ont commencé à l’interroger en l’absence d’un avocat.

Elle a été jugée et déclarée coupable d’homicide avec circonstances aggravantes, sur la base de preuves pourtant douteuses. Le juge a déclaré que les dires de María Teresa, qui affirmait qu’elle ne savait pas qu’elle était enceinte (un point clef du dossier), n’étaient pas crédibles car le tribunal avait la preuve qu’en janvier 2011 elle avait dit à son employeur qu’elle était peut-être enceinte. Si la grossesse avait démarré en janvier 2011 et s’était terminée en novembre 2011, María Teresa aurait eu une grossesse de 11 mois.

María Teresa Rivera a déclaré à Amnesty International : « Le jour de l’audience, j’ai juste eu très mal. Lorsque le jugement a été prononcé, j’ai demandé à Dieu de me donner de la force. J’ai dit “mon Dieu, mon fils aura 45 ans quand je sortirai de prison.” »

« Qu’est-ce que je peux espérer de l’avenir ? La liberté. La nuit, je suis souvent triste parce que je veux être avec mon fils, dormir à côté de lui […] Je veux qu’elles [les femmes qui ne sont pas en prison] apprécient tout ce qu’elles ont dehors, parce qu’elles ne réalisent pas ce qu’elles ont. L’eau, un centime […] elles devraient apprécier tout ce qu’elles ont, tout  ».

María Teresa Rivera est l’une des 17 femmes emprisonnées, certaines pour des motifs liés à une grossesse comme des avortements et des fausses couches, pour lesquelles un recours en grâce présidentielle a été déposé. Dans toutes ces affaires, tous les autres recours formés en vue d’une remise en liberté ont été épuisés.

Cristina a déclaré avoir fait une fausse couche à 18 ans. Alors qu’elle était enceinte, elle avait ressenti une douleur fulgurante et avait couru aux toilettes où elle avait perdu connaissance. Sa famille l’avait retrouvée en pleine hémorragie, couverte de sang. Elle avait été emmenée d’urgence à l’hôpital mais là, au lieu d’être traitée comme une patiente en souffrance, elle avait été accusée d’être une criminelle et questionnée : « Pourquoi as-tu tué ton enfant ? »

La soupçonnant d’avoir déclenché un avortement, le personnel de l’hôpital avait dénoncé Cristina à la police. Elle avait été accusée d’homicide avec circonstances aggravantes mais l’affaire avait été classée sans suite en octobre 2004, faute de preuves. Cependant, le Bureau du procureur général a fait appel et Cristina a été déclarée coupable en août 2005 et condamnée à 30 ans d’emprisonnement.

Cristina a déclaré à Amnesty International : « La cause du décès était indéterminée, ils ne savaient pas pourquoi le bébé était mort, alors comment ont-ils pu m’accuser d’homicide aggravé pour la mort de mon enfant s’ils ne disposaient même pas de cette preuve fondamentale ? Il s’agit de négligence de la part du juge, c’est évident […] Comment ces gens, qui sont supposés être si professionnels, peuvent-ils faire ce type d’erreur ? »

Le procureur avait affirmé que Cristina avait l’obligation d’en faire plus pour sauver son enfant. Cependant, un médecin de l’Institut médicolégal aurait fourni des preuves au tribunal que Cristina était en état de choc et avait perdu connaissance au moment de la naissance.

« Comment, alors que j’étais étendue sur le sol, inconsciente, étais-je censée me précipiter à l’hôpital avec mon bébé ? » demande Cristina.

Le ministère de la Justice et de la Sécurité publique a finalement commué sa peine, au motif qu’elle était excessive, sévère et disproportionnée.

Cristina a été libérée en août 2009, après tout de même quatre années de prison.

Le gouvernement espagnol capitule en rase campagne

89939d54afc419451a405ec6a26f022f3fbb4b05« Le gouvernement conservateur espagnol a annoncé mardi l’abandon de son projet de loi supprimant le droit à l’avortement, qui avait suscité la polémique jusque dans les rangs du pouvoir, entraînant la démission du ministre de la Justice, porteur du projet. » (AFP)  En voilà une bonne nouvelle ! Et même si nous ne bouderons pas notre plaisir devant cette reculade et la démission d’un ministre ultraconservateur et catholique, bref, en phase avec les franquistes qui existent encore en Espagne, il faut tout de même remarquer deux lacunes notables dans les articles de la presse mainstream annonçant la chose.

1. Rien, ou quasiment rien, à part quelques photos, sur l’énorme mobilisation, en Espagne surtout mais pas seulement, qui a finalement eu raison de cette loi scélérate. Par exemple,  Slate.fr titre : « Avortement : une victoire pour les femmes, mais surtout un fiasco de la droite espagnole ». Quant à Libération, il préfère s’attarder sur les considérations préélectorales de Rajoy, le chef du gouvernement, et sur les rivalités internes à la droite espagnole. Et bien sûr que tout cela a joué. Mais sans l’opposition populaire – des femmes en premier lieu – on peut parier que la loi serait passée.

2. Rien non plus sur les nombreux mouvements antiavortement menés par les droites néoconservatrices et leurs jumelles extrêmes, entre autres aux États-Unis et en France… Dans ce contexte, la victoire des femmes espagnoles est d’autant plus importante.

Un lien vers une petite vidéo sur le mouvement en Espagne : https://www.youtube.com/watch?v=rGiBnTHGP4U

Mlac : un bref historique

La loi de 1920, réprime la complicité et la provocation à l’avortement ainsi que toute propagande anticonceptionnelle, mais laisse en vente libre les préservatifs. Elle sera renforcée par trois lois (1923, 1941, 1942) qui aggravent les peines et criminalise ces pratiques. Il faut repeupler là où les guerres sont passées.

Dater un commencement est une chose difficile, et même parfois impossible. Pendant les grands chamboulements de 68, des groupes de femmes se sont constitués un peu partout, et notamment sur le constat de leur exclusion des sphères de décision. Les femmes se sont mises à parler ensemble de leur vécus de femmes au sein d’un système social masculin. Leur condition n’est plus une fatalité individuelle mais une oppression commune. Elles déclarent que le privé est politique et ajoutent leurs voies à celle du mouvement français pour la planification des familles -MFPF, crée en 1960- pour proclamer le droit de chaque femme à disposer de son corps, à n’avoir de maternités et de rapports sexuels que désirés et choisis. Plus largement, la révolte gronde contre l’ordre moral et le tabou que représentent les sexualités. C’est ce que les historiens ont nommé la libération sexuelle.

1970 est l’année d’apparition publique du Mouvement de Libération des Femmes -MLF- en France. Les femmes affirment alors que la sexualité et la procréation doivent être dissociées. Les actions publiques s’enchaînent pour dénoncer l’oppression des femmes et la revendication du droit à l’avortement descend dans la rue. «La liberté d’avortement est la première étape de notre libération», mais il est clair que la lutte déborde largement de cette question.

C’est ainsi que 343 femmes, célèbres ou anonymes, signent le 5 avril 1971 un manifeste dans lequel elles affirment avoir avorté, et donc avoir enfreint l’article 317 du Code Pénal de 1810 , et dans lequel elles revendiquent la liberté de l’avortement. Jusqu’à ce jour, les interruptions de grossesse se passent dans une clandestinité totale, au profit des «faiseuses d’anges», entraînant de nombreux décès et mutilations surtout chez les femmes plus pauvres qui ne peuvent se payer un trajet à l’étranger.

Ce manifeste constitue un véritable défi au pouvoir, qui n’avait alors le choix qu’entre deux options : soit poursuivre en justice les 343 signataires, ce qui n’était pas assumable politiquement ; soit reconnaître que les lois de 1920 et de 1923, qui avaient renforcé la répression de l’avortement, n’étaient de fait plus applicables.

Contrairement à ce qu’on retient souvent de cet épisode, certaines des signataires ont payé cher leur prise de position : il s’agissait des femmes moins célèbres, enseignantes par exemple, qui se sont vues brutalement renvoyées après la publication du Manifeste.

Alors que ce manifeste est devenu dans les mémoires comme celui « des 343 salopes », jamais les 343 femmes signataires ne se sont auto-dénommées ainsi. En fait ce terme viendrait de la couverture de Charlie Hebdo du 12 avril 1971, mettant en scène Michel Debré, connu pour ses positions natalistes.

Après ce manifeste, et le procès de Marie-Claire à Bobigny en octobre novembre 1972 (cinq femmes passent en jugement : une femme mineure, Marie-Claire C qui avait avorté après un viol et quatre majeures. Défendues par Gisèle Halimi -figure importante du mouvement, avocate co fondatrice de Choisir- le procès est une victoire judiciaire et médiatique), la loi n’était plus applicable, ce qui oblige les médecins à prendre position. Le Conseil de l’Ordre des médecins, s’oppose catégoriquement à toute légalisation de l’avortement, et son président Lortat-Jacob ira jusqu’à dire des 343 femmes signataires du Manifeste qu’en « observant la qualité nominale des 343 délinquantes en question, l’orthographe et la résonance de leur nom patronymique, elles n’apparaissent pas très catholiques.»

Par ailleurs, le 3 fevrier 1972 paraît un manifeste du même nom, représentant 331 médecins signataires, dans lequel ils déclarent pratiquer des avortements. La plupart sont issus du Groupe Information Santé. Le GIS, créé en 1972 par des médecins et étudiants en médecine militants d’extrême-gauche, lutte pour la restitution aux usagers de leur pouvoir sur leur corps et leur santé.

C’est dans ce contexte qu’est créé le Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception, M.L.A.C, en avril 1973.

Des tensions politiques sont nées au sein de l’association Choisir, et le Mlac se crée alors sur l’affirmation de la mixité, mais surtout d’une position plus révolutionnaire: « nous privilégions la lutte contre l’idéologie présente et nous pensons que la seule position juste est celle que nous découvrirons demain en poursuivant l’analyse à travers notre pratique », la lutte doit coller à la vie : « nous nous efforçons d’analyser notre vie quotidienne et de la reconstruire sur des bases non capitalistes ». Le M.L.A.C rassemble des groupes femmes, des membres du GIS, du MFPF, de partis et de syndicats communistes et révolutionnaires, du Parti Socialiste Unifié, de la CFDT, mais aussi des individu-e-s « non encartés », autonomes, au début principalement des personnes appartenant au corps médical.

Son objectif est de répondre aux difficultés rencontrées par les femmes désirant avorter. Le but premier de l’association est de rencontrer les femmes dans les permanences et les aider à avorter en organisant leur voyage vers l’Angleterre et la Hollande ou en réalisant leur avortement sur place le cas échéant. En effet, une nouvelle méthode d’interruption de grossesse «par aspiration » est arrivée en France en 1972, la méthode Karman. Celle-ci se transmet très rapidement à tout le mouvement, elle permet entre autre d’être pratiquée par des non-médecins. Le MLAC exerce également une activité de promotion et de lutte pour l’avortement et la contraception par l’organisation de campagnes, de manifestations…

Très vite les nombreux (300 à 400) et très variés comités vont ouvrir des locaux directement liés à la pratique de l’avortement.

L’implantation des comités est assez irrégulière. C’est dans les grandes villes et les villes moyennes qu’ils sont les plus nombreux. Certaines régions de forte tradition catholique comptent moins de comités. Certains comités sont fondés dans des hôpitaux par des professionnels (médicaux et infirmiers) qui pratiquent ouvertement des avortements. D’autres, dans les entreprises, sont issus de sections syndicales, souvent très féminisées. Des comités sont créés dans des universités et même des lycées, où ils permettent une organisation spécifique des filles.

Chaque comité loue un local, fait de l’information et tient régulièrement des permanences. Il s’agira non pas seulement de «faire prendre conscience du sens de la lutte du Mlac et de la dimension collective de la lutte pour l’avortement, mais aussi et surtout de discuter à propos de la vie quotidienne (la nôtre et celle de la femme).»

Ainsi, la force de ce mouvement de masse tient dans cette diversité, dans sa mixité et surtout dans sa pratique revendiquée et assumée d’actes illégaux, principalement les avortements sur place et les départs collectifs pour avorter à l’étranger.

Le 8 mai 1973, une anesthésiste – membre d’un collectif grenoblois, créé en février 1972 pour l’abrogation de textes répressifs sur l’avortement et de l’association Choisir – est inculpée pour avoir pratiqué, à la demande de la mère, un avortement sur une jeune fille de 17 ans. La doctoresse Annie Ferrey-Martin revendique son action : « Depuis près d’un an nous avons pratiqué ou aidé à pratiquer plus de 500 avortements de façon collective par la méthode Karman». À Grenoble, puis partout, la réaction est immédiate : meetings, manifestations et prises de positions se succèdent. C’est la sortie définitive de la clandestinité: «A partir de maintenant la loi est morte; le pouvoir ne peut plus décider pour nous.». L’inculpation est levée.

D’autre part, le film de Marielle Issartel et Charles Belmont, Histoire d’A, qui filme un avortement et des débats du MLAC, est interdit en novembre 1973 au motif de troubles à l’ordre public. Sa projection donne lieu a des affrontements mais se fera très largement et notamment dans des usines en grève, dans la rue..

La loi est donc ouvertement bafouée. L’illégalité est devenue légitime et publique.

A cet époque, le corps médical n’a cessé d’être un terrain de lutte intense. Les femmes ont sans cesse cherché a maintenir une tension avec les hôpitaux et les médecins: Lettres ouvertes, création d’un réseau avec des médecins symphatisants, intervention et avortements directement dans les hôpitaux, accompagnement en groupe des femmes en consultation, confrontation de leur propre rapport au soin et au corps…

Le Conseil de l’Ordre des médecins réagit le 6 février 1973 en publiant un communiqué: «Le Conseil de l’Ordre rejette tout rôle du corps médical tant dans l’établissement des principes (des avortements pour convenances personnelles) que dans leur décision et leur exécution ; met en garde le législateur contre toute mesure libéralisant l’avortement, au mépris du risque de détérioration de l’éthique médicale et de ses conséquences. En cas de libéralisation de l’avortement, le législateur devrait prévoir des lieux spécialement aménagés à cet effet (avortoir) et un personnel d’exécution particulier»

Cet illégalisme de masse pratiqué au grand jour n’est pas sans poser question aux militant-e-s. En novembre 1973, lors des Assises du MLAC à Grenoble, les militant-e-s débattent de l’objectif prioritaire du mouvement, partagé entre aide sociale et lutte politique, de la place des non-médecins dans la pratique des avortements et s’interrogent sur la nécessité d’une loi. Alors que l’association Choisir présidée par Gisèle Halimi revendique une loi légalisant l’avortement, le MLAC redoute en effet l’encadrement par les pouvoirs publics qu’impliquera effectivement la loi.

Quoi qu’il en soit, le pouvoir ne tolère plus ces transgressions ouvertes et répétées de la loi, et Valéry Giscard d’Estaing, lorsqu’il est élu président en 1974, confie le dossier de l’avortement à Simone Veil, ministre de la Santé, dans l’objectif premier de rétablir l’ordre. Simone Veil a défendu son projet de loi devant une Assemblée Nationale déchaînée, essuyant des insultes antisémites, et la loi promulguée en 1975 légalise l’avortement sans le reconnaître comme un droit, loin de là. Elle ne prévoit pas de remboursement de l’avortement par la Sécurité Sociale, remboursement auquel Simone Veil a fermement affirmé son opposition. La loi impose un entretien social avant un avortement et limite le recours à l’avortement à dix semaines de grossesse, et conditionne l’avortement à une autorisation parentale pour les mineures et à des critères de séjour pour les étrangères.

De plus, la loi est votée pour une durée limitée, et il faudra attendre 1979 pour que cette loi soit rendue définitive, après une manifestation non-mixte qui a réuni 30 000 femmes le 6 octobre 1979 et une manifestation de 50 000 personnes le 24 novembre 1979 à l’appel des partis politiques et des syndicats.

Le MLAC, tout en dénonçant les insuffisances de la loi de 1975, se bat pour qu’elle soit appliquée, en continuant les actions dans les hôpitaux et sur les médecins notamment. L’hôpital de Cochin, par exemple, refusant d’appliquer la loi, 150 militant-e-s du MLAC investissent les lieux le 7 mars 1975 et réalisent six avortements « sauvages ». Certains groupes du MLAC continuent à faire des avortements, insatisfait que l’avortement et son encadrement soient confiés aux médecins, comme le groupe d’Aix-en-Provence à qui cette pratique vaudra un procès retentissant en 1976.

Quand la loi Veil est adoptée, un certain nombre d’organisations et d’associations considèrent que c’est une victoire et une reconnaissance des femme et de leur lutte, scellant ainsi ce mouvement sur un triomphe de la loi et du droit. Le MLAC lui disparaît progressivement. Le MLAC Rouen centre conclue ainsi: « Seul le passage à la pratique (permanences et présence constante dans un quartier; avortements; préparation en commun d’un procès, etc) est révolutionnaire. C’est en pratiquant ensemble que nous avons inventé. (…) Dans la société actuelle, qui fabrique des être « assistés » ou « inféodés », la contraception peut être quelque chose de « provisoirement impossible ». C’est toute la vie quotidienne qui est en cause. (…) La lutte doit donc englober maintenant l’ensemble de la vie quotidienne.(…)

Toute pratique conduit à l’invention et, corrélativement, à la mise en cause des institutions en place les unes après les autres. Ces institutions sont les institutions de l’Ordre bourgeois, mais aussi une quantité de « mouvements (en lutte) » qui deviennent, à un moment donné, des institutions

L’action du mouvement est relayée par les maisons des femmes à partir de 1977.

La manifestation d’octobre 1979, non mixte, signe la fin de la « décennie féministe».

 

 

 

 

Le Mlac : lieux de soins, lieux de lutte

Lieux de soins, Lieux de lutte

Bien qu’il soit difficile de dater le début d’un mouvement, la période de 1972 (importation de la méthode Karman) à 1975 (vote de la loi provisoire) est une période charnière car c’est à cette époque que la méthode Karman se répand et que nombre de personnes se mettent à pratiquer des avortements en totale illégalité et publiquement. On a alors vu émerger de nombreuses expériences de lieux, où lutte et soin se sont vus noués si bien, qu’ils ont parfois cherché à changer la vie.

Quand on se trouve dans une telle situation, on a beaucoup de force pour dénoncer et beaucoup d’imagination pour inventer. L’invention, quant à elle, nourrit la réflexion à propos d’un domaine plus large: cela pourrait bien mettre en cause beaucoup d’autres choses.

(VA1, p77.)

I. Clandestinité et rapport à la loi

Soin clandestin

Nous partirons du récit d’un comité pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception de Choisir, paru en livre-brochure en 1973, qui témoigne des pratiques, des expériences et des contradictions qui ont pu se vivre depuis 1970.

Ce comité, qui après avoir un temps posé des sondes utérines dans des conditions difficiles, est parti en juin 1972 en Angleterre et a alors ramené la méthode Karman en France qu’il s’est empressé de pratiquer et de répandre :

 

2 «Dans les motivations qui nous ont déterminés à lutter pour la liberté de l’avortement, il en est une au moins qui nous est commune, c’est la conscience des méfaits dus à la clandestinité de l’avortement. (…)

Nous pensons tous que c’est le contexte de clandestinité dans lequel se trouve plongée une femme qui provoque le traumatisme psychique le plus grave.(…)

Si aujourd’hui des médecins peuvent envisager de mettre le pouvoir face au fait accompli en pratiquant au grand jour des avortements, au moment où nous avons commencé, nous n’avions pas d’autre choix que la clandestinité. (…)

Les dangers de la clandestinité, nous les avons acceptés, car nous disposions d’une méthode qui permet de réduire au minimum les risques médicaux de l’avortement

Il n’empêche que la clandestinité dans laquelle nous avons du travailler a été ressentie par chacun d’entre nous comme un obstacle au développement de la lutte. (p 40 LA)

Nous ne nous faisons toutefois aucune illusion: le fait de pratiquer dans la clandestinité, au sein d’une société où l’avortement est réprimé, ne nous permet pas d’espérer l’élimination de ce traumatisme.» p47

« Le travail dans la clandestinité a rendu les problèmes matériels encore plus aigus.

Le local

Au début de notre expérience, nous pratiquions les avortements dans la chambre de l’un de nous (en cité universitaire). Ce n’était pas une solution satisfaisante : exiguïté, atmosphère clandestine amplifiée, manque d’asepsie, sans compter que la vie devenait impossible pour le locataire. La nécessité d’un local réservé à notre activité s’imposait. Après plusieurs déménagements, nous trouvons la solution dans un grand ensemble anonyme. Nous y louons un appartement. Dans la pièce aménagée en salle d’intervention, nous installons une table gynécologique de notre fabrication. Deux grands placards contiennent le matériel ; aux murs, de grands posters égayent l’atmosphère. Dans l’autre pièce sont disposés un divan, des sièges, un électrophone, des revues… C’est là que les femmes attendent, se reposent et discutent avec nous autour d’un tasse de café. Grâce à ce local, la clandestinité est mieux vécue par tous.

Le matériel

Une partie du matériel ne pose pas de gros problèmes d’approvisionnement : les étudiants en médecine peuvent se procurer facilement à l’hôpital médicaments, seringues et compresses.

Par contre, le matériel gynécologique a du être acheté avec la complicité de médecins. Quant au matériel spécifique de la méthode d’aspiration (canules et pompe), il a nécessité quelques voyages en Angleterre.

Les finances

Tous les membres de l’équipe travaillent de façon militante ; ils ne touchent donc pas d’argent autre que le remboursement de leurs frais éventuels.

Le coût du matériel utilisé pour chaque avortement est en fait minime (de l’ordre de 10 F). Mais il faut tenir compte de l’amortissement du matériel de base, de la location de local et des frais de voyage en Angleterre. Nous pouvons ainsi estimer le prix de revient d’un avortement autour de 50F. C’est l’ordre de grandeur que nous indiquons aux femmes qui nous le demandent, mais nous n’imposons aucun tarif. Beaucoup donnent une somme supérieure et certaines ne donnent rien. Le surplus ainsi recueilli sert à l’action militante de notre section « Choisir »:impression de tracts, soutien financier aux victimes de la répression…

Le problème que nous pose la manipulation financière n’a jamais été résolu : vis-à-vis des femmes, une gêne est généralement ressentie lorsqu’elles nous proposent de l’argent, et nous refusons les fortes sommes.

Entre nous, rien n’a été organisé, et les uns refusent tout contact avec l’argent le laissant au local; les autres le centralisent vers notre trésorière. Certains enfin n’ont jamais voulu se faire rembourser les frais occasionnés. »p31

Entre réforme et autonomie

En 71, le mouvement en France est rendu visible par les 343 salopes qui attaquent la clandestinité et réclament le libre accès à l’avortement et à la contraception, mot d’ordre assez vaste pour rassembler de très nombreuses personnes et groupes. Le mouvement est ainsi complètement pris dans la question du rapport à la loi. Chacun s’accorde à lutter contre l’illégalité et la criminalisation de l’avortement.

De nombreux groupes pratiquent l’avortement et agissent ainsi dans l’illégalité qui est très vite assumée publiquement, grâce à l’ampleur des événements, notamment. L’action illégale assumée permet de sortir de la clandestinité, mais ouvre aussi le mouvement à la sphère juridique. En effet, on assiste à de grands procès utilisés comme tribunes politiques. Souvent victorieux, ils créent un nouvel acteur des luttes: l’avocat engagé, à l’image de Gisèle Halimi, avocate et créatrice de l’association Choisir.

Mais une partie des forces tend à la légalisation, l’autre à la non légifération, ni médicalisation, cette tension crée du conflit mais c’est aussi une grosse faille au sein du mouvement: Par l’influence des groupes réformistes, des médecins qui se réfugient derrière l’absence de loi, la difficulté de dépasser les mots d’ordre du début et des procès spectaculaires, “liberté d’avortement, de contraception, sexuelle” glisse rapidement vers libéralisation, ou légalisation.

Le pouvoir dispose alors d’un terrain béni pour diviser le mouvement et le réduire à celui de la législation, malgré la mise en garde de certains groupes: “Vouloir lancer un mouvement de masse sur les revendications limitées de la liberté de contraception et d’avortement est une erreur. Ce choix, bien défini dans l’étiquette M.L.A.C, vise à rassembler un nombre aussi important que possible de militants d’horizon variés. Mais il ne suffit pas de faire semblant d’être d’accord. C’est un choix réformiste et inefficace. Réformiste, parce qu’il se situe sur le terrain de la modification d’une loi qui en soi n’apporte pas grand chose, même si elle est indispensable.”(Tankonalasanté).

Ou encore du Mlac Rouen centre: «on n’a peut-être pas pris conscience (ou pas voulu) que la limitation de la lutte à la contraception féminine veut dire qu’on est en train de défendre une idéologie tout à fait réformiste.

La pire des choses serait qu’après une (éventuelle!) abrogation de la loi de 1920, et l’obtention de la contraception libre et gratuite, des femmes crient victoire (sur l’homme), les médecins libéraux crient victoire (sur l’Ordre des médecins), les « militants de la vie » crient victoire (sur la société capitaliste).» C’est d’ailleurs la fameuse loi Weil de 1975 qui mettra fin à la lutte.

Mais si le MLF n’a pas échappé au broyeur de la législation, il (et notamment par l’action du Mlac) a su se donner les moyens de sortir les questions de la sexualité, de la contraception et la naissance de la clandestinité, par son ampleur et sa « créativité » ; par un débordement des formes et des sujets de lutte classiques, et notamment par son action au sein de la question et du milieu médical.

II. Les rapports avec la sphère médicale – terrain de lutte et d’alliances.

Alliances et dépendances

> Les médecins sympathisants et dérives

De nombreux médecins sont impliqués dans la lutte, tant pour dénoncer la situation catastrophique, que pour agir. On peut citer par exemple les 331 médecins signataires du manifeste du 3 fevrier 1972 dans lequel ils déclarent pratiquer des avortements, ou encore ceux du GIS, créé en 1972 par des médecins et étudiants en médecine qui luttent pour la restitution aux usagers de leur pouvoir sur leur corps et leur santé. D’autres encore pratiquent des avortements, avant qu’il soit légalisé, dans les hôpitaux où les centres ouverts par le mouvement, il y a des médecins dans chaque équipe. Partout, des alliances sont tissées avec le corps médical, que ce soit pour assister et pratiquer les avortements, comme formateurs aux risques éventuels et aux réaction à avoir, pour le matériel, mais aussi comme accès aux structures médicales institutionnelles.

Cependant les militantes constatent rapidement que prendre en charge une partie des avortements n’amène pas en soi à bouleverser la place et le rôle des médecins, mais au contraire leur permet de se déresponsabiliser, et se fait d’une certaine manière le relais de leur inertie.

Choisir : « Bien qu’un seul médecin ait véritablement participé à notre équipe, nous n’étions pas complètement coupés du monde médical de notre ville. Il est à noter tout d’abord que, lorsque trois d’entre nous ont pris la décision de poser des sondes, nous avons bénéficié des conseils d’un médecin qui avait une longue expérience de cette pratique.

Lorsque nous avons ramené d’Angleterre la technique de Karman, nous sommes allés la présenter à un certain nombre de généralistes et à un gynécologue sympathisants. Bien que, pour des raisons diverses, aucun d’entre eux n’ait voulu l’appliquer immédiatement, ils se sont montrés disponibles chaque fois que nous avons eu besoin de leurs conseils ou de leur aide des suites d’un avortement.

Très vite, notre action a été connue d’une grande partie du corps médical, en ville comme à l’hôpital. La présence d’une mobilisation importante derrière nous, ainsi que l’absence de complications sérieuses, expliquent probablement qu’aucune enquête officielle, ni aucun mesure répressive n’est été engagée à leur initiative. Par contre, des médecins de plus en plus nombreux nous ont adressé des femmes, en leur faisant prendre l’engagement de ne pas nous dire qui les avait envoyées ! Nous avons eu alors fortement l’impression de jouer un rôle pénible et nuisible : nous leur permettions de fuir leurs responsabilités et d’apparaître généreux à bon compte auprès de leur clientes, en leur donnant la « bonne adresse », sans prendre de risque. » LA p33

Si la pratique de la méthode Karman apporte une vraie autonomie des femmes par rapport aux médecins et aux hôpitaux, elles en restent dépendantes pour ce qui est de la question de la couverture médicale essentielle à l’aspiration, des cas difficiles, et les centres ne permettent (évidemment) pas de prendre en charge toutes les femmes désirant mettre fin à leur grossesse. Il faut alors sans cesse chercher les meilleures adresses, se confronter au refus et à la bêtise (misogynie, culpabilisation…) de la plupart des médecins, et à leur hiérarchie, et aux différences entre les différentes structures de soin. Se rajoute les conditions de clandestinité qui rendent difficile la confrontation des femmes avec les médecins, qui armés de leur savoir ne tiennent pas à voir leurs privilèges disparaître. De nombreux médecins même militants, ne tiennent pas à changer quoi que ce soit à leur pratique médicale. Ce sont des spécialistes tenant à leur savoir et au rayonnement qui en résulte et ramenant toute pratique à une question technique. «Quand on leur demande de passer une technique, ils s’arrogent le droit de discuter les motivations de cette demande» VA p45

Comité Choisir

« Dans les cas où l’aspiration était insuffisant et où un curetage était nécessaire, nous dirigions les femmes vers des cliniques où l’interrogatoire était moins policier qu’à l’hôpital, et où en principe, le chirurgien ne les faisait pas attendre plusieurs jours avant d’intervenir. Toutefois, nous nous sommes rendus compte que les conditions médicales dans lesquelles s’effectuaient les curetages3, dans ces « boîtes à sous » que sont les cliniques, sont souvent désastreuses. […]

Aussi au bout de quelque temps, nous les avons plutôt dirigées vers l’hôpital où les conditions médicales étaient beaucoup plus satisfaisantes. Mais là, les précautions élémentaires que nous imposait la clandestinité ne nous permettaient pas d’avoir de contact direct avec le chirurgien. Quant à la façon dont les femmes y étaient reçus d’un point de vu psychologique… la misogynie et parfois le sadisme caractérisent les services de gynécologie » p 33

« Ce n’est pas parce que nous avons décidé de prendre en charge une petite partie des avortements que l’objectif choisi sera atteint. Aussi nous semble-t-il juste d’entreprendre, dès maintenant, une action vers les hôpitaux pour qu’ils prennent en charge les avortements.»

Des actions dirigées contre le corps médical vont donc être menées. L’idée étant d’amener les toubibs à prendre position activement dans le mouvement et de détruire les rapports de domination et la posture des spécialistes dans la prise en charge institutionnelle du soin.

Il faut lutter au sein de l’institution

Les femmes ont sans cesse cherché a maintenir une tension avec les hôpitaux et les médecins: Lettres ouvertes, création d’un réseau avec des médecins sympathisants, intervention et avortements directement dans les hôpitaux, accompagnement en groupe des femmes en consultation, confrontation de leur propre rapport au soin et au corps, dénonciation des médecins pourris…

«  La méthode Karman recèle en elle-même des éléments qui remettent en cause bien des choses.

-La pratique de la médecine occidentale qui tend, en gros, à s’appuyer de plus en plus sur les médicaments et à spécialiser de plus en plus les médecins

-L’attitude actuelle des gens par rapport à ces médecins (des spécialistes) qu’on n’ose pas contredire et qui s’occupent de nous dans le silence de leur SAVOIR. Comme il n’y a pas d’alternative, on finit évidemment par être sûr que leur savoir est le bon. Malheureusement, c’est de la société que nous sommes malades, et leur savoir n’y peut rien – au contraire.

-Cette mentalité « d’assistés », nous l’avons acquise à cause du développement des spécialistes dans toutes les branches, et aujourd’hui nous sommes dépossédés de notre capacité à nous « prendre en main ».

Le Conseil de l’Ordre des médecins réagit le 6 février 1973 en publiant un communiqué: «Le Conseil de l’Ordre rejette tout rôle du corps médical tant dans l’établissement des principes (des avortements pour convenances personnelles) que dans leur décision et leur exécution ; met en garde le législateur contre toute mesure libéralisant l’avortement, au mépris du risque de détérioration de l’éthique médicale et de ses conséquences. En cas de libéralisation de l’avortement, le législateur devrait prévoir des lieux spécialement aménagés à cet effet (avortoir) et un personnel d’exécution particulier»

Il faut donc changer les mentalités dans le monde médical et hospitalier qui ne se gêne pas pour culpabiliser les femmes et afficher sa misogynie et sa morale catholique et bourgeoise.

Par ailleurs, en soulevant la question des institutions, le Mlac rappelle que la « collectivité » doit répondre à certaines nécessités et notamment, l’accès au soin pour tous.

Le mouvement doit chercher à transformer les hôpitaux pour qu’ils accueillent l’avortement, car c’est là bas qu’il pourra être pris en charge pour toutes les femmes.

Mais lutter dans l’institution médicale, pour le Mlac ou certains groupes femme ne veut pas seulement dire l’ouvrir à l’avortement, ou rappeler les médecins à leur devoir de soignant, c’est surtout soulever la question de la délégation de notre pouvoir de décision au monde médical, et briser les rapports de pouvoir et la morale que l’institution et le sens commun relaient.

«Le 26 juin , une soixantaine de personnes se rendent devant le service de gynécologie de l’Hôtel-Dieu. Banderoles et tracts développent l’idée que personne n’a le droit d’ignorer aujourd’hui le nombre d’avortements qui a lieu chaque année en France ni le nombre de morts qui en résulte. On met donc l’hôpital, service public, devant ses responsabilités immédiates et on invite le personnel, notamment féminin, à faire pression sur l’administration et les médecins pour que des avortement aient lieu dès maintenant à l’Hôtel-Dieu. VA p 53

« Nous sommes sûrs que, lorsque 800000 femmes, ne se sentant pas prêtes à bien s’occuper d’un enfant, avortent de toute façon chaque année dans des conditions telles qu’elles se mettent en danger et que 5000 en meurent, c’est un service que la collectivité doit rendre que de mettre fin à ce drame!

En disant cela, on en fait que décrire ce qu’est la notion de service public: la collectivité s’est organisée de telle façon qu’elle a crée des institutions pour se venir en aide à elle même – l’hôpital en est un exemple.

Mais tout ce raisonnement simple est, volontairement ou non, oublié par le plus grand nombre. Il apparaît aujourd’hui à une grande partie de l’opinion publique que c’est aux médecins hospitaliers de décider de ce qu’il est souhaitable de faire. Une autre partie de l’opinion publique, au contraire, est très consciente qu’à l’hôpital «ils ne font que ce qui leur chante!». Quant aux médecins, chefs de service et collaborateurs, ils sont persuadés d’être dans leur bon droit en décidant, choisissant. Ils refusent, à l’heure actuelle de faire des avortements, ils «raccrochent» les grossesses parce qu’à eux cela paraît juste! Nous nous disons que ces gens là OCCUPENT l’hôpital et imposent à tous ceux qui le fréquentent par nécessite, leur propre morale. VA p54 »

«  Comment retrouver notre capacité d’oser imposer notre droit ou ce dont nous sentons que nous avons besoin, dans une société qui nous impose ses institutions fonctionnant pour elles-mêmes ? »

Alors pourquoi s’être mis à faire des avortements en dehors du cadre médical classique?

Pour s’autonomiser de l’institution qui nous dépossède de nos corps et du soin, pour contribuer à ne pas laisser entrer dans le secteur de la médecine de classe un acte qui n’y a jamais été. En le faisant nous même dans les meilleures conditions possibles (couverture médicale), et en disant publiquement qu’on le fait.

III. Perspectives de soin

Le Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception, qui choisit bien mal son nom (comme le souligne Tankonalasanté), se crée en rupture avec Choisir, sur l’affirmation de la mixité, mais surtout d’une position plus révolutionnaire: « nous privilégions la lutte contre l’idéologie présente et nous pensons que la seule position juste est celle que nous découvrirons demain en poursuivant l’analyse à travers notre pratique », la lutte doit coller à la vie : « nous nous efforçons d’analyser notre vie quotidienne et de la reconstruire sur des bases non capitalistes ». Le M.L.A.C rassemble des groupes femmes, des membres du GIS, du MFPF, de partis et de syndicats communistes et révolutionnaires, du Parti Socialiste Unifié, de la CFDT, mais aussi des individu-e-s « non encartés », autonomes, au début principalement des personnes appartenant au corps médical.

Avec les groupes femme, ils réunissent la plus grande diversité de groupes, d’affirmations et de pratiques, et c’est en leur sein que semble se concentrer les expériences les plus révolutionnaires.

Sur la question de l’avortement, la méthode Karman est la véritable clé de ce mouvement. Outil révolutionnaire car il est pensé pour être pratiqué par des non médecins, c’est une méthode qui peut être considérée comme le meilleur moyen d’interruption de grossesse. Alors on affiche publiquement ce qui légalement et dans les mœurs est considéré comme un crime et on expérimente une nouvelle façon de prendre en charge les avortements, la contraception, et plus largement la sexualité, l’enfantement. Cet outil se répand rapidement dans tous les pays et d’une frontière à l’autre. Il permet de sortir du joug des médecins et d’inventer une autre pratique du soin, sans cesser de se frotter et se confronter à la médecine dominante, dite de classe.

Le Mlac rouen-centre :

« Notre pratique des avortements n’est pas isolée de l’ensemble de la démarche du groupe depuis quatre ou cinq mois.

Cette démarche à tendue à :

-Appréhender l’ensemble de la sexualité à partir de notre vie quotidienne

-Replacer l’avortement dans le problème général de la lutte pour une maternité désirée. Cette lutte englobe donc la lutte pour la contraception libre et gratuite pour tous et toutes, la lutte pour la prévention de la stérilité des femmes et des hommes et la lutte pour la réforme du droit d’adoption.

-A développer publiquement une contre information sur la sexualité.

-Enfin à dénoncer la répression sexuelle générale et particulière (sur certains groupes d’âge ou dans certaines situations).

Notre lutte est menée contre l’idéologie régnante et nous pensons que la seule position juste est celle que nous découvrirons demain en poursuivant l’analyse à travers notre pratique. » p39 VA

La non spécialisation, la non médicalisation et la démédicalisation

« Ce fut, pour nous, l’effet d’une bombe lorsque Joan commença à nous parler de Karman et à nous expliquer sa méthode. Quand elle sortit de son sac quelques canules et seringues, nous nous précipitâmes dessus avec une curiosité extrême…, conscients que, bien plus que d’une amélioration technique, il s’agissait d’un arme révolutionnaire qui permettrait de défier les lois les plus répressives. En effet, pour la première fois il apparaissait possible de pratiquer des avortements, à l’extérieur de tout circuit médical officiel, sans faire courir de risque aux femmes. » VA p23

« Le terme de démédicalisation suggère qu’on peut ôter aux médecins une partie de leur savoir et la faire prendre par d’autres. C’est vrai ! Avec l’aide des médecins.

Mais la démédicalisation, c’est le transfert de savoir, vu par les médecins. Pour nous, non médecins, femmes et hommes, le problème est tout à fait différent.

Nous ce que nous voulons, c’est diminuer dans notre vie quotidienne l’importance des spécialistes afin de reprendre possession de nous mêmes, de nous réapproprier notre corps. Afin aussi, que lorsque nous jugeons que notre santé est déficiente ce soit nous qui en parlions (même s’il y a en face de nous un technicien qui nous éclaire).

Ce qu’on veut nous, c’est la non médicalisation.

(…) C’est un thème de lutte où beaucoup d’individus peuvent se retrouver. Nous disons bien d’individus qui ont quelque chose à conquérir, c’est à dire eux mêmes.

La société capitaliste est organisée avec des spécialistes de tout. Ne nous y trompons pas, ces spécialistes orientent notre vie. Ce sont des institutions qui nous aliènent sans qu’on s’en rende compte. »

.Equipes de soin

La méthode repose sur deux principes, l’aspiration et l’accueil « psychologique » de la personne.

« Pour nous qui ne sommes pas médecins, tout en ayant “emprunté” à la médecine certains acquis essentiels comme la stérilisation, à aucun moment il ne nous est venu à l’idée de “jouer au médecin”. Nous ne sommes pas des gens qui avons l’intention de devenir spécialistes de quelque chose. Confrontés à la situation concrète dramatique, des femmes face à l’avortement, elles ont cherché d’abord à le dédramatiser, tout en s’insurgeant contre le pouvoir qui produit cette situation et “l’ignoble abstention de la presque totalité du corps médical” p77

« Choisir :  « Praticiens et intermédiaires » p 51

Après quelques mois de mise au point technique et de formation de nouveaux membres, nous étions une équipe suffisamment soudée et solide. Pendant le dernier trimestre 1972, les praticiens sont au nombre de sept ; six d’entre eux sont en fin d’études de médecine ; la seule fille est infirmière dans un service de réanimation. Heureusement, parmi ceux qui apprennent à utiliser la canule de Karman et commencent alors à être prêts à fonctionner de façon autonome, il se trouve une majorité de femmes. A côté, de ces « praticiens », une quinzaine « d’intermédiaires », exclusivement des femmes, se chargent des entretiens et de l’assistance de l’avortée avant, pendant et après l’intervention. De 18 à 35 ans, elles ont des situations variables : étudiantes, secrétaires ou mères de famille… Chaque « praticien » collabore généralement avec deux « intermédiaires », formant ainsi une mini-équipe. »p28

« Le groupe des praticiens existait avant la mise en place du système avec « intermédiaires ». Au début, ils assuraient à eux seuls l’entretien avec l’avortée et l’interruption de la grossesse. Lorsque les rôles ont été séparés, le groupe des avorteurs s’est trouvé quelque peu à l’écart, et a connu des problèmes nettement différents. Dans les discussions revenait souvent le thème du « pouvoir », détenu par les praticiens et qui s’exerçait de façon rayonnante sur les intermédiaires »

Le problème médecin/non médecin, s’est alors doublé du problème homme/femme. »

Relations avec les femmes avortées p55

choisir : « Les relations des intermédiaires avec les avortées avant l’avortement ont été vécues de façon différente,mais ont toujours été assez pénibles. C’est surtout dans de telles conditions que le camouflage par l’aspect technique survenait. L’acte médical devenait rassurant, simplificateur. »

De nombreux Mlac ont péri, à cause des rôles qui s’installent entre le groupe et les femmes :

«  La réussite prend l’allure d’un échec.

A aucun moment, nous n’avons voulu en ouvrant ce local et en faisant des avortements être de « merveilleuses bonnes sœurs » au profit de quelques femmes qui auraient eu la chance de nous trouver. C’est pourquoi nous vivons très mal les cas où, après l’avortement, on nous dit merci.

Ce que nous souhaitons par ailleurs faire comprendre, c’est que, face à tous ces échecs, toutes ces aliénations, à tout ce manque d’information, on peut, en se mettant à plusieurs, prendre les moyens de s’en sortir.

Quant à nous, nous ne sommes pas prêts à assumer seuls les problèmes des autres, pour eux »

(Sur les relations soignant – soigné voir « la relation médecin-malade : un cul de sac » p8 de Tankonalasanté.)

Les locaux

Le Mlac de Rouen-centre, a opté pour un lieu fixe ce qui n’est pas le cas d’autres Mlac.

«La surprise est quand même grande de constater que le local du Mlac Rouen-centre ne ressemble absolument pas à une entrée de clinique et que les gens qui y sont, jeunes, n’ont pas l’allure habituelle des personnes qu’on côtoie dans le monde médical.

« A Rouen, rue Victor Hugo, se trouvait le local du M.L.A.C Rouen-centre.

Disposer de ce pas de porte, c’était très important pour la lutte que nous entendions mener dans le quartier.

Aussi dès avril 1974, les textes et affiches collées sur les vitres disaient-ils très clairement qu’à notre avis cela valait la peine de parler ensemble de notre sexualité dans un monde qui la cache. Ils disaient aussi que, deux fois par semaine, les femmes désirant avorter pourraient , ici même trouver une solution à leur problèmes.»p5 VA

« on y ferait notamment:

  • des tests de grossesse et des avortements par la méthode Karman (praticiens: médecins et non médecins), en expliquant le sens politique de cette action.
  • Des séances pour communiquer au plus grand nombre le «savoir faire» Karman.
  • Des séances, très ouvertes d’information sexuelle. En clair, on s’efforcerait d’expliquer comment la répression sexuelle agit sur notre vie sexuelle (sur ce point on visera surtout les jeunes). » p35

Cette implantation de quartier permettra de continuer à exister et à agir après le passage de la loi, au sein des maisons des femmes.

Le matos

« En ce qui concerne le matériel, notre souci permanent a été de « comprendre en profondeur » sa fonction. Il n’y avait plus ensuite qu’à le construire. C’est ainsi que nous avons fait ce qu’on appelle une table gynécologique en bois, des canules de Karman de plastique souple ; la pompe aspirante a été mise au point par nous, enfin, on a cherché les meilleures raccords possibles (ceux qui ne collapsent pas). Faire le matériel soi même, ce n’est pas une question d’économie, c’est vouloir être, ne serait-ce que par ce matériel, mieux à même d’obtenir le résultat qu’on cherche »

 

L’expérience de cette époque a permis un gros chamboulement de la sphère médicale et de la façon de penser le corps, et notamment le corps des femmes, à travers la sexualité, la procréation… Elle a soulevé de nombreuses hypothèses et tenté des paris sur la réappropriation des corps et plus largement de la vie, au sein du système capitaliste. Mais on voit aussi que rien n’est achevé, et que le chemin pour échapper aux rouages institutionnels est bien difficile.

En 1974, le Mlac Rouen-centre soulignait: “La pire des choses serait aussi que, soi-disant «victorieux», (en tout cas il est clair que des militants gauchistes traditionnels s’apprêtent à crier victoire et à passer, sereinement, à un autre sujet), nous laissions par la force des choses et sans combattre, le soin de l’information sur la contraception à des structures clairement réformistes, la pratique de l’avortement aux structures hospitalières traditionnellement réactionnaires. VA

Et de rappeler aussi que « toute pratique conduit à l’invention et, corrélativement, à la mise en cause des Institutions en place les unes après les autres. Ces institutions de l’Ordre bourgeois, mais aussi une quantité de « mouvements (en lutte) » qui deviennent, à un moment donné, des Institutions. »

1Vivre autrement dès maintenant, MLAC Rouen Centre, éd. Maspero, 1975.

2Citations LA pour Libérons l’Avortement, d’un Comité pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception, ed. Maspero, 1973.

3Intervention qui consiste à racler la paroi de l’utérus pour en évacuer ce qui y est accroché.

Avorter. Histoire des luttes et des conditions d’avortement des années 1960 à aujourd’hui

Cette brochure est la synthèse d’un travail de recherche édité aux éditions Tahin Party (http://tahin-party.org/l) : COLLECTIF IVP. 2008. Avorter, histoires des luttes et des conditions d’avortement des années 1960 à aujourd’hui. Lyon. Tahin Party. Nous vous encourageons également à lire l’article de DELPHY Christine. 2000. « Comment nous en venons à avorter (nos vies sexuelles) ». In Le Monde du 22 octobre 2000. (http://infokiosques.net/degenree)

brochure_AVORTER_32_pages_format_A5 – copie