Etats-Unis. La puissance de la campagne #MeToo

Publié par Alencontre le 13 novembre 2017

Par Leia Petty

Leia Petty décrit ce que la campagne #MeToo accomplit pour favoriser le débat sur les agressions sexuelles mais aussi pour augmenter les possibilités qu’elle offre pour des avancées de la lutte pour la justice.

«En fait je l’ai pressée. Tu sais, elle était en bas, sur Palm Beach. Je l’ai entreprise et j’ai échoué. Je l’avoue. J’ai essayé de la baiser. Elle était mariée… Je l’ai entreprise très lourdement… Comme si elle était une garce. Mais je n’y suis pas parvenu. Et elle était mariée. Puis tout à coup je l’ai vue, maintenant elle a ces gros faux seins et tout cela. Elle a totalement changé son look… Oui, c’est bien elle. Avec l’or. Je ferai mieux d’utiliser quelques Tic Tac [dragées à la menthe] pour le cas où je me mettrais à l’embrasser. Tu sais, je suis automatiquement attiré par la beauté – je commence simplement à les embrasser. C’est comme un aimant. Juste un baiser. Je n’attends même pas. Et quand tu es une star, elles te laissent faire. Tu peux faire n’importe quoi… les saisir par le sexe. Tu peux faire n’importe quoi.» Donald Trump

Nous étions nombreux à penser que ces paroles, fuitées un mois avant le jour des élections, allaient faire tomber Donald Trump. Au lieu de cela il a gagné la présidence.

Cette croyance qu’ont Trump et d’autres hommes privilégiés comme lui qu’ils peuvent «faire n’importe quoi» aux femmes – ce que Lindy West a appelé dans le New York Times [1]: «le droit étouffant, délirant, galactique des hommes puissants» – a entraîné d’innombrables cas de harcèlement sexuel, d’agressions et de viols qui ont rarement été punis.

Le silence auquel ont été contraintes les femmes était assourdissant. Mais la colère suscitée par cette injustice – une colère que portent toutes les femmes – ne pouvait pas être enterrée à tout jamais. La campagne #MeToo en est la plus récente confirmation. Et ce ne sera pas la dernière.

Au cours des dernières semaines, plus de 30 hommes très en vue ont été accusés de harcèlement sexuel et doivent enfin en affronter les conséquences réelles. Dans de nombreux cas, les allégations mettent en évidence des abus qui se sont déroulés depuis des décennies, abus qui étaient connus et encouragés dans leur entourage proche – souvent en échange de promesses d’avancement des carrières des femmes qui travaillaient pour eux.

Des hommes ayant des positions privilégiées dans l’industrie du spectacle et du divertissement: des producteurs de films, des éditeurs de magazines d’art, des acteurs célèbres, des photographes ont été les premiers à être examinés dans le sillage de la découverte de l’histoire d’abus sexuels commis par Harvey Weinstein, le magnat du cinéma américain.

Hollywood et les industries qui l’entourent constituent une institution collective où la réification des femmes est intégrée aux fondements de la réalisation du profit, ce qui donne lieu à un mélange toxique d’exploitation et de sexisme qui a dévasté les vies de nombreuses femmes.

Mais #MeToo a redonné confiance aux femmes, elles peuvent raconter leur histoire parce que, pour la première fois depuis des décennies, on les croit.

Récemment l’acteur Kevin Spacey a été accusé d’abus sexuels par de nombreux hommes, dont beaucoup étaient des adolescents au moment des agressions. Cela a contribué à lancer le débat si indispensable sur les abus sexuels vécus par des garçons, débat qui est également reflété dans la campagne #MeToo.

L’impact de #MeToo a dépassé Hollywood. Le secrétaire à la Défense britannique, Michael Fallon, a été obligé de démissionner suite à des allégations de harcèlement sexuel. Plusieurs membres du Parlement et plus de 30 législateurs du parti conservateur de Theresa May affrontent également de telles allégations. Trois professeurs de Dartmouth [à Hanover dans le New Hampshire] ont été mis en congé payé pendant qu’une enquête criminelle est menée pour «mauvaise conduite grave».

Tous les signes laissent penser que ce processus se poursuivra. Pour ceux et celles qui ont vécu le harcèlement et l’abus sexuels, les faits qui sont dévoilés entraînent un mélange d’horreur et de justification. Il est particulièrement révélateur de constater combien de femmes qui s’expriment maintenant avaient déjà tenté de le faire par le passé et on les a fait taire, ce qui a suscité chez beaucoup d’entre elles un traumatisme de toute une vie.

Cette confiance qui leur permet de continuer à s’exprimer et qui vient du fait qu’on les croit enfin, ne peut qu’aider le mouvement contre le harcèlement et les abus sexuels, et renforcer la lutte plus large contre toutes les injustices.

• Au cours de ces dernières semaines il y a eu un débat à échelle nationale [Etats-Unis] sur le harcèlement sexuel, cela ne s’était pas produit depuis 1991, lors des auditions pour confirmer le juge Clarence Thomas [nommé par George H.W. Bush] à la Cour suprême.

A cette époque, Anita Hill, professeure en droit qui avait précédemment travaillé pour Thomas, s’était manifestée et l’avait accusé de harcèlement sexuel [lors des audiences devant le Sénat américain, audiences très médiatisées] Mais au lieu de s’en prendre à Thomas, Joe Biden [le vice-président nommé en 2009] – qui était à l’époque président de Comité judiciaire du sénat – a fait un procès à A. Hill et a choisi de ne pas convoquer les autres trois témoins qui auraient pu confirmer les accusations d’abus sexuel lancées par A. Hill. Plus tard, Thomas a été confirmé en tant que juge à la Cour suprême.

Nous sommes redevables à Anita Hill, les centaines de femmes qui prennent la parole maintenant suivent la voie qu’elle a ouverte.

#MeToo a fourni le moyen de briser le silence et de transformer les injustices que nous vivons en quelque chose «qu’il faut combattre au lieu de subir», comme l’a écrit Jen Roesch dans SocialistWorker.org [2].

En résumé, #MeToo a transformé la victimisation, ce qui a des conséquences politiques. Comme l’a écrit James Baldwin : «La victime qui est capable d’exprimer clairement la situation de victime, cesse d’être une victime: il ou elle devient une menace.»

Le fait que nous prenions la parole et que nous racontions nos histoires individuelles est une précondition pour devenir une réelle menace.

Pour que les femmes continuent à avoir suffisamment confiance pour s’exprimer, il faudra que les hommes responsables soient obligés d’assumer les conséquences. Jusqu’à maintenant plusieurs douzaines d’entre eux ont dû de démissionner ou ont des contrats passés ont été annulés.

Jusqu’à maintenant la campagne #MeToo s’est surtout déroulée dans les médias sociaux, mais cela est en train de changer. La Feminist Majority Foundation [créée par Gloria Steinem en 1987], de pair avec Civican [The social network for civic action] et WE for SHE [ structure ayant comme objectif «d’équilibrer» la présence homme/femme dans le paysage médiatique], sponsorise une marche à travers Hollywood le 12 novembre [3], appelée «Take Back the Workplace» [Reconquérir nos places de travail], qui se terminera à côté du centre de la chaîne CNN.

Les femmes qui ont participé au concours de beauté de Miss Pérou 2018 ont protesté contre l’exigence d’annoncer les mesures de leur poitrine et de leur taille. Au lieu de cela elles ont annoncé les statistiques de la violence contre les femmes, dans le cadre d’une campagne d’une année pour sensibiliser sur les taux élevés de violences contre les femmes au Pérou.

Plus récemment, le département de police de New York a aussi annoncé qu’il détenait suffisamment de preuves pour arrêter Harvey Weinstein.

• Etant donné les changements considérables qui se sont produits en quelques semaines, il est très important que les forces progressistes et socialistes soutiennent les femmes et les hommes qui s’expriment, qu’elles trouvent des moyens pour transformer la prise de conscience en activisme, et qu’elles participent avec les forces féministes à la réflexion sur comment construire un mouvement capable de mettre au défi le sexisme sous toutes ses formes.

Le fait d’afficher un dédain pour #MeToo n’est pas une bonne manière de commencer un tel processus. Pourtant il y a quelques personnes qui se sont montrées critiques à l’égard de la campagne depuis le début. C’est notamment le cas de l’écrivaine Megan Nolan dans son article pour Vice [4], intitulé «Le problème de la campagne #MeToo» [article initialement publié sur le site Vice.uk].

Elle écrit: «Le fait de prendre conscience de l’ampleur des abus ne résout pas ces problèmes (…) Le fait simple est que je n’ai aucune idée comment les résoudre. Ils sont incroyablement enracinés dans les fondements de notre société. La condition d’être sexuellement opprimée est la condition de propre aux femmes.»

Beaucoup de femmes partagent un sens d’impuissance et d’impatience, ce qui est compréhensible étant donné le poids de l’oppression et de la réification endurées par les femmes qui, jusqu’à tout récemment, se sentaient totalement ignorées.

Mais nous ne pouvons pas permettre que cela nous rende cyniques, car cela nous fera manquer les possibilités de résister collectivement justement au moment où il est important de le faire.

Il est vrai que «Le fait de prendre conscience de l’ampleur des abus» n’est pas la même chose que de s’attaquer au problème. Mais une sensibilisation accrue peut préparer un terrain plus fertile pour l’activisme. Des douzaines d’hommes qui ont abusé des femmes se trouvent effectivement devant une enquête criminelle ou doivent démissionner de positions de pouvoir, et c’est un bon début.

L’actrice Jane Fonda et l’écrivaine Jamilah Lemieux [écrivaine afro-américaine] expriment un autre type de scepticisme lorsqu’elles disent que la prise de conscience du harcèlement et de l’abus sexuels n’a lieu maintenant que parce que la plupart des victimes qui s’expriment sont blanches .

• Le mieux va encore plus loin que J. Fonda. Dans un article intitulé «Weinstein, les larmes blanches et les limites de l’empathie des femmes noires» [5], elle déclare qu’il y a des limites au niveau de l’empathie des femmes noires face au harcèlement sexuel vécu par les femmes blanches parce qu’au niveau historique cette empathie n’a pas été donnée en retour.

Il est tout à fait exact que les femmes noires ont vécu une expérience particulière d’être victimisées et même criminalisées lorsqu’elles ont pris la parole ou affronté leurs abuseurs. Le projet #Survived and Punished [survivantes et punies] qui rend compte de la re-victimisation de celles qui s’insurgent contre les abus et la violence sexuelle décrivent en très grande majorité des récits de femmes de couleur.

Toutes les personnes qui ont été touchées par le phénomène #MeToo doivent connaître – si elles ne la connaissent pas déjà – cette oppression spécifique à laquelle font face les femmes de couleur. Mais la campagne est justement l’occasion où l’empathie pour les expériences spécifiques que vivent les femmes de couleur peut se développer et essaimer, justement à cause du débat qui a commencé au niveau national.

• Il faudrait que les féministes mettent ces récits en première ligne plutôt que de leur adresser des reproches ou de minimiser à quel point il est déjà difficile pour beaucoup de femmes de prendre la parole sur ces problèmes. La réalité est que même des femmes blanches privilégiées, comme l’actrice Rose McGowan, ont été forcées de se taire pendant des décennies avant de pouvoir enfin briser le silence au sujet des abus qu’elles ont vécu.

Les vannes se sont ouvertes, permettant de parler des abus et du harcèlement sexuels, ce qui donne aux féministes la possibilité de permettre aux plus opprimées d’entre nous d’être entendues.

Tarana Burke qui a lancé le hashtag MeToo, dès les années 2000

Tarana Burke [qui anime le site She Slays, Elle terrasse] qui a lancé #MeToo il y a une décennie, l’a fait pour faire connaître les récits d’agressions sexuelles vécues par les femmes noires et pour rassembler les femmes entre elles. Comme l’a déclaré T. Burke dans une série de tweets en réaction à la résurgence de la campagne #MeToo: «L’objectif du travail que nous avons fait au cours de la dernière décennie avec le mouvement “Me too” est de permettre aux femmes, et en particulier aux jeunes femmes de couleur, de savoir qu’elles n’étaient pas seules (…)- Il s’agit d’un mouvement (…). Il va au-delà d’un hashtag. C’est le début d’un débat plus large et d’un mouvement pour une guérison communautaire radicale.»

• Au sein de la gauche, il s’agira d’aborder cette question de l’orientation de ce «débat et mouvement plus large». Comme l’écrit Alex Press dans un article pour Jacobin intitulé «The Union Option» [6]: «Dans une période où nous sommes si nombreux à savoir à quel point le harcèlement sur le poste de travail est répandu, il est important de tenir compte des rares cas où le harceleur est accusé publiquement. Il s’agit là d’une exception à la règle, qui est que des hommes puissants tels que Weinstein peuvent harceler et abuser des femmes jusqu’à leur mort, quel que soit le nombre de personnes dans leurs entreprises qui sont au courant.

Mais après avoir assimilé ces cas, nous – ou du moins celles et ceux d’entre nous qui nous préoccupons de combattre ces injustices – nous devons aborder la question de savoir ce que nous pouvons faire à ce sujet.»

Il est significatif que la couverture médiatique de l’affaire Weinstein et la résurgence de #MeToo qu’elle a entraînée a eu des résultats tangibles en faisant tomber quelques sexistes abjects et a finalement contribué davantage à mettre en demeure des hommes dans des positions de pouvoir que toutes les fausses formations de «sensibilisation» imaginées par les entreprises.

Mais Alex Press attire l’attention sur l’étape suivante, celle qui consiste à traduire cette prise de conscience en une «action collective formelle. Pour ce qui est des lieux de travail, cette étape passe habituellement par les syndicats. Toutes celles et tous ceux qui veulent éliminer le harcèlement sexuel sur leurs lieux de travail devraient également être en train de lutter pour obtenir des appuis syndicaux.»

Ce point constitue une contribution importante au débat, une composante cruciale de la lutte plus large. Il s’agit en effet d’augmenter les protections pour les femmes et les autres qui vivent le harcèlement sexuel, mais aussi de créer les mécanismes pour y mettre terme à l’intérieur des syndicats.

Mais étant donné que la présence syndicale est au point le plus bas dans l’histoire moderne des Etats-Unis, les syndicats ne peuvent être qu’une partie de la solution.

En outre, la confiance dont ont besoin les femmes pour affronter le harcèlement sexuel au travail est directement liée à l’envergure du mouvement féministe en dehors de la place de travail.

• Comment faire pour que l’élévation de la prise de conscience des abus sexuels et de la confiance pour les contrer débouche sur un mouvement féministe plus combatif et organisé?

L’activisme autour des questions du harcèlement et de l’agression sexuels a été une pierre angulaire lors des précédents mouvements féministes, et en particulier dans le mouvement de libération des femmes des années 1970.

Or, avec l’administration Trump il n’y a pas une pénurie d’attaques contre les droits de femmes. Alors même que #MeToo faisait irruption, la Chambre des représentants a voté pour interdire les avortements après 20 semaines de grossesse; Trump a émis un ordre exécutif permettant aux employeurs de refuser aux femmes la couverture des mesures de contrôle des naissances; la secrétaire à l’Education Betsy DeVos a démantelé les mesures de l’amendement Title IX [qui interdit toute discrimination sur la base du sexe dans les programmes d’éducation soutenus par l’Etat] concernant les agressions sexuelles sur les campus; et de multiples tentatives ont été faites pour stopper le financement du Planned Parenthood [planning familial].

Les conditions qui ont produit et enhardi la droite ont également créé la possibilité de stimuler la résistance, et les champs de bataille sur lesquels un nouveau mouvement féministe peut lutter ne manquent pas.

Le lien entre une lutte contre le harcèlement sexuel et une justice reproductive est la revendication de notre droit à contrôler notre corps et à autodéterminer nos vies.

Il faut que tous les harceleurs sexuels dans des positions de pouvoir continuent de tomber. Mais la justice à long terme ne pourra s’établir que lorsque les socialistes et les féministes construiront des organisations de résistance pour poursuivre le combat au-delà des médias sociaux.

Il nous faut construire des organisations de résistance qui puissent défendre les cliniques pratiquant des avortements, qui exigent des administrations des campus qu’elles rétablissent les protections de l’amendement Title IX, qui mobilisent des milliers de personnes contre le harcèlement sexuel, tout en donnant aux femmes et aux hommes qui veulent en finir avec le sexisme un espace où ils puissent organiser ensemble la lutte.

#MeToo n’est pas un sport de spectacle qu’on peut soit soutenir soit rejeter. C’est un moment que nous pouvons transformer en un mouvement qui fera avancer la lutte contre le harcèlement sexuel et contre toutes les formes d’oppression. (Article publié sur le site socialistworkers.org en date du 9 novembre 2017; traduction A l’Encontre)

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[1] https://www.nytimes.com/2017/10/17/opinion/columnists/weinstein-harassment-witchunt.html

[2] https://socialistworker.org/2017/10/19/the-silence-is-broken

[3] http://www.hollywoodreporter.com/news/a-take-back-workplace-march-is-happening-hollywood-1052976

[4] https://www.vice.com/en_us/article/43akqp/the-problem-with-the-metoo-campaign

[5] https://cassiuslife.com/33564/white-women-dont-look-out-for-black-victims/

[6] https://jacobinmag.com/2017/10/harvey-weinstein-sexual-harassment-women-union

[7] http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/3.0

Lallab démêle le vrai du faux à son sujet

Vous avez récemment entendu parler de l’association Lallab ? Vous avez lu une chose d’un côté et son contraire de l’autre ? Pas de panique ! Voici quelques éléments de réponses pour démêler  le vrai du faux.
Prenez donc le temps de les lire et de venir nous rencontrer : ce sera le meilleur moyen de nous connaître !

1) “Lallab lutte pour obliger les femmes à porter le voile“ ?

NON. Lallab est pro-choix. Nous ne nous positionnons ni sur le port du voile ni sur aucun autre mode vestimentaire ou pratique religieuse. Au sein de l’association, tous les choix sont représentés. Nous souhaitons permettre à toutes les femmes, musulmanes ou non, de choisir librement ce qu’elles veulent être, sans jamais craindre d’être jugées, violentées ou discriminées. Nous rêvons d’une société qui permette à toutes les femmes de vivre, et notamment de s’habiller, comme bon leur semble, quels que soient les sens et les significations qu’elles y mettent. Nous sommes une association féministe et antiraciste se voulant la plus inclusive possible : chez Lallab, les femmes sont écoutées et soutenues quels que soient leurs choix car nous avons la volonté de créer une société plus juste pour TOUTES les femmes.

Si les missions de Lallab portent spécifiquement sur les femmes musulmanes, voilées ou non, c’est au vu d’un constat dans notre société : elles sont sujettes non seulement au sexisme, mais également au racisme et à l’islamophobie. Ces différentes oppressions ont malheureusement des conséquences concrètes sur leurs parcours de vie. Ces problématiques sont malheureusement trop peu traitées et les voix des femmes musulmanes restent silenciées et/ou méprisées. Par ailleurs, la fixation médiatique et politique portée en particulier sur les femmes portant le voile reflète la persistance des préjugés et des violences systémiques racistes et sexistes aujourd’hui. Chez Lallab, nous travaillons à déconstruire ces éléments, à mettre en lumière les voix des femmes musulmanes et à révolutionner leur image dans leur pluralité.

Dans la même lignée, nous ne sommes pas non plus pour le “voilement des petites filles” comme il a été annoncé en reprenant des photos personnelles (sans consentement des intéressé·e·s) d’une de nos bénévoles qui sortait d’une mosquée après la prière de l’Aïd qu’elle célébrait en famille (non, ses trois filles ne portent pas le foulard au quotidien). Plusieurs autres clichés de la sorte ont été repris et sortis de leur contexte, alimentant d’autres théories abracadabrantesques. Nous en profitons d’ailleurs pour réaffirmer la gravité de telles pratiques et des conséquences sur nos membres et leurs familles. Cela démontre par ailleurs le niveau d’éthique et de malhonnêteté intellectuelle de nos détracteur·trice·s.


2) “ Lallab est une menace pour la laïcité“ ?

NON. Loin de se positionner contre la laïcité telle que promue par la loi de 1905 qui promulgue la séparation de l’Église et de l’État, Lallab reprend et applique son principe fondamental : la liberté de tou·te·s. Nous critiquons au contraire une vision déformée et erronée de cette loi, trop souvent instrumentalisée par la volonté d’exclure et de discriminer certaines personnes, et notamment les femmes musulmanes.

Il est essentiel de ne pas confondre la neutralité de l’État avec la neutralité des individus. Comme  le Conseil de L’État l’a rappelé en 2004 : la laïcité est un moyen dont la fraternité et le pluralisme sont une fin. Elle permet le vivre-ensemble dans le respect mutuel de nos différences et celui des lois de la République qui s’appliquent à chacun·e.

Les propos haineux, les agressions verbales et les violences physiques doivent ainsi être condamnés. Ainsi, la laïcité n’a jamais eu pour but d’exclure des femmes de la société, en référence à leurs pratiques vestimentaires, mais bel et bien de toutes les rassembler !

Concernant la loi du 15 mars 2004, qui interdit le port de signes religieux ostensibles dans les écoles, collèges et lycées publics, nous déplorons l’exclusion de jeunes filles qu’elle a induite. Mais dans une démocratie, n’est-il pas encore permis d’exprimer une opinion et critiquer les défaillances d’une loi sans tomber dans l’illégalité ?

3) “Lallab est proche des Frères Musulmans” ?

NON. Euh… Non. Lallab n’a aucun lien avec les Frères Musulmans, ni avec aucun autre parti politique et religieux. Petite question :  la proximité avec les Frères musulmans, elle est dans l’article  de notre magazine en ligne qui parle des troubles alimentaires compulsifs ? Dans ceux qui rendent hommage aux femmes entrepreneures ? Dans les événements inclusifs comme le festival féministe organisé en mai dernier ? Non, car nous persistons à chercher ce qui pourrait faire penser à un lien quelconque  mais nous ne trouvons toujours pas…

 

Ces accusations mensongères visent encore et toujours à délégitimer et diaboliser nos actions au quotidien. Nous ne cesserons de le répéter : Lallab est une association apartisane et areligieuse. Et non, parler des femmes musulmanes ne fait pas de nous une association musulmane/islamique.

Notre mission se concentre sur les vécus et expériences spécifiques des femmes musulmanes françaises ou vivant en France, mais notre démarche s’inscrit dans une optique bien plus large : notre rêve est de faire en sorte que TOUTES LES FEMMES ne soient plus jugées, discriminées ou violentées en raison de leur genre, de leur origine, de leur orientation sexuelle, de leur physique, ou encore de leur appartenance religieuse. 

4) “Lallab défend et soutient les femmes qui subissent des oppressions exercées par des musulman·e·s ainsi que les femmes forcées à être voilées en Iran ou dans les quartiers” ?

OUI. Lallab condamne les violences faites envers TOUTES les femmes, et ce, quelle que soit la forme de ces violences, les lieux où elles arrivent et par qui elles sont perpétrées ! Nous le répétons fermement : nous nous lèverons aux côtés de chaque femme contre tout ce qui ira à l’encontre de son libre arbitre et de ses libertés. Ainsi, contrairement à ce qui a souvent été affirmé, nous soutiendrons autant le combat d’une femme qui souhaite enlever le foulard, que celle qui fait le choix de le porter et de le garder ! Ces deux combats sont loin d’être incompatibles, la règle est simple : respecter et soutenir les femmes dans leurs choix et ne jamais céder à ce qui est contraire à leurs libertés.

Concernant les oppressions des femmes à l’étranger, en tant qu’association française, notre travail se concentre principalement sur le contexte français, ses spécificités et ses réalités. Nous n’avons pas vocation ni les ressources et encore moins la légitimité à lutter contre les violences commises à l’encontre des femmes dans le monde entier. Cela ne veut pourtant pas dire que nous ne les soutenons pas. Notons que les femmes sont victimes de violences partout dans le monde, et pas uniquement dans des pays à majorité musulmane, contrairement à ce que certains pensent. Le fait de nous renvoyer systématiquement à d’autres pays, lorsque nous parlons de la situation des femmes musulmanes en France, est une injonction raciste. Cela suggère, de façon insidieuse, que les musulman·e·s sont d’une certaine façon condamné·e·s à être étranger·e·s.

L’autre injonction à devoir uniquement parler du sexisme qui “règne dans les quartiers” laisse généralement sous-entendre plus ou moins subtilement que seuls les hommes qui y vivent sont coupables de sexisme et de violences envers les femmes. Rappelons que les violences faites aux femmes transcendent les classes sociales, les époques, les lieux, les religions et les cultures : en France, une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son conjoint. Cet article explique très bien à quel point le simple fait d’être une femme semble suffisant pour être menacée, agressée, voire tuée. La lutte contre le patriarcat et ses violences, si elle veut être efficace, doit se mener sur tous les fronts et se faire dans tous les espaces où il s’exerce, c’est à dire non seulement dans les quartiers mais également dans les entreprises, les espaces publics, les institutions politiques et gouvernementales, les médias etc.

Notre discours n’est pas de nier le sexisme existant chez les musulmans, il est de dénoncer son instrumentalisation à des fins racistes, là où nous tentons d’éradiquer toute forme d’oppression, à des fins féministes. À noter que cette instrumentalisation est d’autant plus grave qu’elle empêche des femmes, notamment mais pas uniquement musulmanes, de s’exprimer sur certaines violences qu’elles peuvent subir par peur de voir leurs paroles déformées et utilisées contre leurs proches. Au lieu de lutter contre les violences faites aux femmes, on en vient donc une fois de plus à les silencier.

5) “Lallab est homophobe” ?

NON. Lallab s’est toujours clairement positionné en faveur du respect et de l’égalité en droit de chacun·e, quels que soient ses identités de genre et ses orientations sexuelles et romantiques. L’idéal de Lallab est le suivant : une France dans laquelle chaque femme peut être elle-même sans peur d’être jugée, discriminée ou violentée du fait de son genre, physique, appartenance religieuse, orientation sexuelle ou origine.

 

6) “Lallab est anti-IVG” ?

NON. On le répète : Lallab est pro-choix. Elle est donc pour l’accès libre et gratuit à l’interruption volontaire de grossesse pour toutes les personnes qui le souhaitent. Nous affirmons : chaque femme a le droit de disposer de son corps comme elle l’entend !


7) “Lallab est une association communautariste” ?

NON. Lallab est ouverte à toute personne souhaitant s’engager à nos côtés et partageant nos valeurs. Ainsi, nous comptons parmis nos bénévoles des personnes musulmanes et non musulmanes, des femmes ainsi que des hommes !

Lallab n’est donc pas une association “de femmes musulmanes” : il suffit de voir les co-fondatrices de notre association : Sarah Zouak est musulmane et Justine Devillaine est athée, ou encore les membres de notre bureau ainsi que nos autres bénévoles.  Il n’y a pas besoin d’être une femme musulmane pour s’indigner des discriminations qu’elles vivent aujourd’hui en France, et pour vouloir changer les choses. Mais lorsque des femmes décident de s’auto-organiser avec leur allié·e·s pour être auteures de leurs propres récits, celles-ci sont systématiquement accusées de communautarisme.

De plus, il est nécessaire de rappeler que, comme l’explique le sociologue Fabrice Dhume, le concept de communautarisme est une chimère et ne renvoie à aucune réalité sociologique. Selon lui, “le discours du communautarisme s’invente donc des communautés pour mieux les stigmatiser. En effet, le mot sert unilatéralement à stigmatiser ethniquement (ou sexuellement, lorsqu’il est appliqué aux mouvements LGBT, aux demandes de parité femmes-hommes…) et à disqualifier politiquement des gens et leurs voix. Ce terme fait peser sur ces voix un soupçon essentialisant, celui de (com)porter par nature une menace sur « l’universalisme républicain »… lors même que les personnes et les groupes concerné.e.s exigent que le principe d’égalité ou de liberté régisse enfin l’espace public et l’action de l’État, et donc que cessent racisme, discrimination, stigmatisation et minorisation.”

Enfin, quand bien même Lallab ne serait composée que de femmes musulmanes, la critique n’aurait aucune légitimité, car comme le souligne très bien Rokhaya Diallo dans cet article, certaines personnes se rassemblent en raison de leur vécu similaire, marqué par des injustices. Cette solidarité a pour objectif de mieux faire face aux inégalités, avec pour espoir de rendre la société plus juste et inclusive. Les associations dites communautaires, même si elles peuvent avoir des espaces de non-mixité choisie, combattent donc ce “communautarisme”, dont le but est le séparatisme, empêchant ses membres d’être considérés comme complètement égaux aux autres citoyens, en raison de leur genre, état de santé, origines, religion, orientation sexuelle ou romantique…

Il est intéressant de noter que les attaques pour “communautarisme” concernent toujours les mêmes personnes, alors que l’on ne critique jamais en ces termes, voire pas du tout, la surreprésentation d’hommes des classes supérieures de plus de 50 ans dans les lieux de pouvoir (politique, médias, conseils d’administration d’entreprises). Ces dénominations sont loin d’être anodines et visent encore et toujours à diaboliser et délégitimer notre travail.

8) “Lallab est contre les féministes blanches” ?

NON. Dénoncer les limites du “féminisme blanc” n’est pas synonyme de s’opposer aux femmes ou féministes blanches, ni renier les combats qu’elles ont menés et les acquis qu’elles ont obtenus. Le terme blanc renvoie ici à un concept sociologique selon lequel il existerait une construction socioculturelle de l’identité blanche, en opposition à celles des différentes personnes subissant le racisme (les Noir·e·s, les Arabes, les Asiatiques etc.). Parler de “féminisme blanc”, c’est émettre une critique des féministes qui considèrent leurs opinions et leurs choix individuels comme universels, c’est-à-dire comme pouvant être imposés à toutes les femmes, sans prendre en compte les différences culturelles ou les différences de situations de femmes victimes en parallèle d’autres oppressions, comme le racisme par exemple. On peut ainsi être une féministe blanche sans faire de “féminisme blanc”.

C’est ici que l’intersectionnalité prend tout son sens : toutes les femmes peuvent être opprimées, mais en raison de l’intersection entre différentes caractéristiques relatives à leur statut social, leurs croyances, leur orientation sexuelle ou leur couleur de peau, certaines le sont également pour autre chose que leur genre. Chez Lallab, les bénévoles non-musulman·e·s sont les bienvenu·e·s. En revanche, on ne peut pas imposer une vision ethnocentrée et universaliste du féminisme. C’est ce qui rend cette association si belle et diverse : concerné·e·s et allié·e·s travaillent ensemble afin d’améliorer petit à petit ce monde, marqué par le sexisme et le racisme. Nous vivons et incarnons un bel esprit de sororité !

 

9) “L’ascension de Lallab est suspecte” ?

 

NON. Les raisons du succès d’un projet tiennent souvent à de nombreux paramètres, que les entrepreneur·e·s ne contrôlent pas forcément. Voici néanmoins quelques étapes qui ont pu permettre un développement si rapide de Lallab.

Avant de créer Lallab, Sarah Zouak a créé en février 2014 le Women SenseTour – in Muslim Countries, une série documentaire et un voyage de 5 mois dans 5 pays à la rencontre de 25 femmes musulmanes qui agissent toutes pour l’émancipation des femmes, voyages où Justine Devillaine l’a accompagnée. À leur retour en France, elles ont présenté leur projet et leur film lors de nombreux événements, à des partenaires, lors d’interventions en milieu scolaire, de conférences, ou encore du festival féministe. Ces différentes occasions leur ont permis de construire un réseau et de faire connaître leur travail. La création de Lallab marque donc l’évolution d’une démarche initiée depuis plusieurs années par ses fondatrices : déconstruire les préjugés en laissant la parole aux personnes qui en sont victimes. Comme de nombreux projets d’envergure, Lallab a nécessité un travail sans relâche et sans salaire des années durant. Et cela ne suffit pas ! Pour continuer à grandir, il a fallu fédérer et mobiliser. Si Lallab compte aujourd’hui plus de 250 bénévoles qui permettent la publication d’articles réguliers et les nombreuses actions mises en place, c’est car ce projet vient pallier un manque pour beaucoup : la représentation de personnes trop souvent invisibilisées. Mais cette fantastique émulsion créative réclame aussi une organisation considérable ! Les prix et subventions reçus ont permis de consolider cette force de travail émergente. L’ascension de Lallab est le résultat d’un parcours, de l’envie de faire œuvre commune de réflexions personnelles, et du soutien de personnes et structures convaincues, comme nous, de la pérennité d’un combat contre les stéréotypes.

10) “Lallab est financée à 98% par des mouvements intégristes mondiaux, une poignée de personnages obscurs et Casimir” ?

NON. Alors non, il n’y a pas de cagnotte secrète mise au service de Lallab pour conquérir le monde. Comme toute association loi 1901, nous pouvons mener nos actions grâce à différentes sources de revenu : dons, cotisations, subventions ou revenus propres. Notre premier bilan financier sera validé par l’Assemblée Générale qui se tiendra fin septembre 2017 et, comme la loi l’impose, sera alors disponible pour les personnes souhaitant le consulter.

11) Les attaques violentes et répétées contre Lallab sont-elles révélatrices du travail qu’il nous reste à accomplir ?

OUI. Rédiger cette FAQ est la preuve encore une fois que nous devons sans cesse nous justifier sur nos actions et nos valeurs. Ces injonctions incessantes à l’explication et l’argumentation sur le bien-fondé de nos missions et cette sommation à la “pureté militante”, sont pour nous des pertes de temps et d’énergie considérables qui ont des conséquences sur notre santé et notre travail quotidien pour les droits des femmes.

Nous avons la ferme volonté de continuer à travailler avec tou·te·s nos bénévoles pour faire grandir nos projets et voir nos objectifs se réaliser. Nous ne nous laisserons jamais ni silencier ni intimider et nous continuerons de porter nos voix et nos récits pour une société plus juste et plus inclusive toujours dans un esprit de sororité engagée, plurielle et bienveillante !

Nous laisserons le mot de la fin à Amandine Gay, avec une phrase tirée d’une interview sur Slate.fr, qui résume parfaitement la situation dans laquelle Lallab se trouve aujourd’hui : « Comme le dit Toni Morrison, l’une des fonctions du racisme, c’est de t’empêcher de vivre ta vie, de faire ton travail. Pendant que tu es en train de réagir à des agressions, tu n’es pas en train d’agir et de créer. C’est comme si on était poussé dans une impasse : parce qu’on vit dans une société raciste, au lieu de réfléchir à des enjeux sur lesquels on aimerait se mobiliser, on se retrouve à répondre à des insultes. La question est : est-ce que je veux passer ma vie à y répondre ou créer du contenu ? » »

 

Lallab a fait son choix.

A Barcelone, le ras-le-bol des femmes de chambre

Article d’Aurélie Chamerois publié par Le Courrier le jeudi 15 juin 2017

«S’ils touchent à l’une d’entre nous, ils nous touchent toutes», dit la banderole des Kellys de Barcelone, bien décidées à ne plus se laisser faire par le patronat.
Aurélie Chamerois

Alors que Barcelone bat des records de fréquentation touristique, son secteur hôtelier s’appuie sur une main-d’œuvre de plus en plus précaire et… révoltée.

Barcelone est à la mode. Escapades d’un week-end, vacances ou séminaires d’entreprises, elle a vu ses réservations hôtelières doubler en douze ans. L’année dernière, les hôtels de la ville ont ainsi accueilli 7,5 millions de clients pour un total de 20 millions de nuitées. Mais tandis que le secteur connaît une croissance exceptionnelle, tous les employés ne sont pas logés à la même enseigne. Les femmes de chambre ont ainsi vu leurs conditions de travail se dégrader à mesure que le nombre de touristes augmentait.

Réunies au sein du collectif Las Kellys (contraction de las que limpian, celles qui nettoient), ces travailleuses de l’ombre ont décidé de faire entendre leur voix. Elles ont organisé leur première manifestation barcelonaise en mars dernier, alors que la ville se vantait d’un taux d’occupation hôtelière de presque 100% à l’occasion du congrès mondial de la téléphonie mobile. «Ces jours-là, les chambres de l’hôtel dont je m’occupe sont à 500 euros la nuit, explique Silvia, la petite cinquantaine. Elles sont à 120 euros en période creuse, pendant que moi je touche 2 à 3 euros par chambre et je me détruis la santé.»

Payées à la tache

Baisse des salaires, rythme effréné, maladies professionnelles, les femmes de chambre ne sont souvent pas protégées par la convention collective de leur secteur. Quelques-unes parce qu’elles sont embauchées sous la dénomination d’aide de chambre ou d’autre métier fantasque tel que «repasseuse». La plupart parce qu’elles sont employées par des sociétés de service externes. «L’externalisation permet aux hôtels de payer moins, elle empêche la formation d’une représentation syndicale au sein de l’établissement et complique les contrôles de l’inspection du travail», explique Isabel Cruz, responsable de la communication des Kellys.

Car pour être attractives, les entreprises d’externalisation promettent aux hôtels une baisse des coûts significative et une optimisation des ressources humaines. Elles facturent les établissements par chambre nettoyée et le système se répercute sur les femmes de ménage qui ont désormais un objectif de chambres, d’ailleurs difficile à respecter dans leurs huit heures journalières.

Pour gagner ses 800 euros nets mensuels, Vania, dynamique quadragénaire, doit ainsi s’occuper de 433 chambres par mois. «Il y a encore deux ans, nous avions quinze chambres par jour, maintenant c’est trente, cela nous laisse quinze minutes par chambre sans pause, raconte-t-elle, c’est impossible, alors on fait des heures supplémentaires non rémunérées, car si on n’atteint pas l’objectif mensuel, notre paie diminue.»

Vania gagne 2,50 euros par chambre à condition de réaliser son quota: «Sur la fiche de paie, ils prétendent que je n’ai pas fait mes heures, alors qu’en réalité je n’ai pas fait mon objectif de chambres, et ils me paient en conséquence.»

Maladies généralisées

Le rythme excessif a évidemment un impact direct sur la santé de ces employées. Selon une récente étude, près de 86% d’entre elles souffrent de lombalgie et 80% de douleurs cervicales. Plus grave encore, 96% des femmes de chambre développent des signes d’anxiété et 71% affirment prendre des médicaments pour «affronter leur journée de travail».

Toutefois, la peur du licenciement ou de sanctions empêche la plupart de se plaindre, de demander un arrêt maladie ou même une amélioration de leurs conditions. Vania, employée du Hilton, l’hôtel 5 étoiles devant lequel s’est tenue la première manifestation, fait partie des dix employées de l’établissement à avoir rejoint le mouvement. Cinq ont été licenciées, l’une a été sanctionnée et elle-même affirme être victime de pressions sans précédent. «Les tâches les plus difficiles sont systématiquement confiées à celles qui osent se plaindre», explique-t-elle.

Toujours plus précaires

Selon El Economista, l’externalisation hôtelière a connu en 2016 l’une de ses meilleures années en Espagne. Les experts estiment qu’en 2019, environ 60% du personnel sera externalisé, ce qui ne concernera plus seulement le nettoyage des chambres ou du linge comme c’est le cas actuellement. La raison principale? «La crise économique nous a obligés à réduire les coûts de manière drastique et à nous adapter à la situation», justifie Manel Casals, directeur du Syndicat des hôtels de Barcelone.

Pourtant, toutes les études indiquent que la crise a très peu touché les hôtels de Barcelone, qui sont les plus rentables d’Espagne et n’ont cessé de battre leurs records de fréquentation depuis 2010, après une baisse effectivement liée au contexte économique en 2008 et 2009. «Le syndicat des hôtels est un puissant lobby», lâche Isabel Cruz. Vania, de son côté, est optimiste et espère pouvoir bientôt faire partie du personnel interne de son hôtel.

En attendant, les Kellys poursuivent leurs mobilisations, exigeant que la convention sectorielle catalane les mette sur pied d’égalité. Et misent aussi sur une intervention du politique, à travers un projet de loi socialiste contre les externalisations que des Kellys de Benidorm, Lanzarote, Barcelone et Madrid sont allées défendre le 25 mai devant la commission sociale du parlement national.

Les tampons, une vraie poubelle chimique

A voir sur Télérama.fr, “Tampon, notre ennemi intime”, une enquête glaçante

 

Propos recueillis pour Télérama par Juliette Warlop

Qui prévient les femmes que l’utilisation de tampons peut s’avérer gravement toxique ? Pourquoi les marques s’exonèrent-elles de toute communication sur leur composition chimique ? L’enquête vertigineuse et glaçante d’Audrey Gloaguen lève le voile.

Avec Tampon, notre ennemi intime, diffusé sur France 5 mardi 25 avril à 20h50, Audrey Gloaguen livre une glaçante enquête. En s’intéressant à la composition des tampons, qui s’avèrent « une vraie poubelle chimique », elle signe le premier film documentaire sur le sujet, et exhume un véritable scandale sanitaire : risque de syndrome de choc toxique, incidences sur la fertilité… les conséquences peuvent être gravissimes. Comment se fait-il alors qu’un produit intravaginal puisse regorger d’éléments toxiques, sans que ses fabricants ne soient, légalement, obligés de communiquer sur sa composition ? Entretien avec la réalisatrice.

Qu’est-ce qui vous a poussée à aborder un tel sujet ?

J’avais vu se profiler pas mal d’interrogations sur les réseaux sociaux, quand Lauren Wasser, une mannequin américaine, a médiatisé, en 2015, son amputation d’une jambe suite à un syndrome de choc toxique (SCT), déclenché par l’utilisation de tampons. Depuis, une pétition sur Change.org a recueilli près de 260 000 signatures (une jeune Française, Mélanie Doerflinger, y demande qu’une marque de la multinationale Procter et Gamble rende visible la composition de ses tampons, ndlr). Je me suis demandé comment il était possible que les fabricants commercialisent un produit aussi sensible dans une telle opacité : aucune marque ne communique sur la composition des tampons, contrairement à des produits tels que les gels douche. C’est quand même ahurissant…

Au départ, je doutais pourtant de l’intérêt d’un tel sujet. Vous parlez, vous, de vos règles avec vos copines ? Et a-t-on le droit d’interroger la nature de ce produit qui a servi le féminisme, en libérant la femme des contraintes de la serviette hygiénique ? Ma réaction, je ne l’ai comprise que lorsque, aux Etats-Unis, j’ai rencontré Chris Bobel, une prof de genre qui étudie les menstruations. Elle explique que le tampon revêt une fonction particulièrement forte en ce sens qu’il cache nos règles, cette chose qui nous salit, qu’on ne maîtrise pas. On n’a pas envie de questionner ce qui touche à ces règles, et donc on s’accommode de l’absence de communication autour des tampons. Ce n’est d’ailleurs pas innocent que l’alerte soit lancée par des jeunes femmes : peut-être leur génération est-elle moins dans ce tabou.

Quelles difficultés avez-vous rencontrées au fil de cette enquête ?

Je me suis vite aperçue qu’il n’y avait jamais eu d’étude d’impact de grande ampleur sur les tampons. Il n’existe que de petites études isolées, et débusquer des pistes, des interlocuteurs, a été un travail de fourmi. En France, je n’ai trouvé personne qui puisse me parler de ce sujet ! J’ai donc été obligée de me rendre aux quatre coins du monde. Les spécialistes étaient gênés par mes questions, comme si c’était mal de parler de règles, de vagin. J’ai chaque fois mesuré le poids du tabou.

Il était, en outre, assez incroyable de rencontrer des chercheurs qui travaillent sur les phtalates, les dioxines, l’endométriose, et qui n’avaient jamais songé à faire le lien avec le tampon : au début, la plupart me disaient que mon sujet n’avait rien à voir avec leur travail…

Vous jouez, avec cette enquête, un rôle de lanceur d’alerte…

J’essaie juste d’alarmer les gens. Ce qui était palpitant était de voir qu’à chaque fois, j’amenais un élément nouveau. Quand, par exemple, j’ai informé le Dr Carmen Messerlian (qui a mené au Canada, une étude sur l’impact des phtalates sur la fertilité) que les tampons contenaient des phtalates, elle a décidé de revoir son enquête, afin de mettre en relation le port de tampon avec le taux de phtalates mesuré chez chaque femme. Elle n’avait pas pensé à ce cas de figure. Pourtant, vous vous rendez compte, les phtalates sont en contact direct avec l’endroit où l’on fait des enfants !

A Los Angeles, le Dr Paulsen a prouvé qu’un cachet d’œstrogène est dix fois plus actif quand il est absorbé par voie vaginale plutôt que par voie orale. Quand je le rencontre pour lui demander si la dioxine (qui est un perturbateur endocrinien, et dont on retrouve la présence dans les tampons), peut être absorbée par le vagin, il vérifie sous mes yeux et me dit : « la réponse est oui ». Or, il n’y a encore aucune étude sur la dioxine et la perméabilité du vagin : avec le recul cela me semble dingue !

Pour la fiabilité de mon enquête, j’ai ressenti le besoin de disposer de mes propres analyses, émanant d’un laboratoire indépendant. Je n’ai pas pu intégrer dans le film tout ce qu’elles ont révélé, il a fallu faire des choix. Mais on a trouvé, notamment, un génotoxique. En terme de toxicité, c’est ce qu’il y a de plus grave : ça brise votre ADN… Le champ d’investigation reste énorme, il y aurait matière à un autre documentaire !

Comme un poisson sans bicyclette N°16 : Violences gynecologiques et obstétricales

http://www.zinzine.domainepublic.net/emissions/CUP/2017/CUP2017-02-17-cup16violencesGyneco.mp3

Ovaires et contre tout !
Dans cette émission, nous avons profité de la tenue du festival « Ovaire et contre tout » à Forcalquier organisé par le collectif Agate, Armoise et Salamandre-Corps et Politique pour parler des violences gynécologiques et obstétricales. Laëtitia Négrié et Béatrice Cascales, autrices du livre
L’accouchement est politique nous ont présenté leur livre. Puis le témoignage d’une amie ayant vécu un accouchement et des violences à l’hopital de Manosque, il y a quelques mois, a illustré leur propos. Nous avons ensuite débattu avec toutes les magnifiques intervenantes présentes autour de la table qui étaient là pour le festival.
Au cours de l’émission, nous avons évoqué plusieurs sites de références si vous voulez allez plus loin :
L’Alliance francophone pour l’accouchement respecté (AFAR)
– Le site Gyn&co qui donne une liste de gynécologues et soignantEs féministes
– Le site de Martin Winckler
Et nous vous rappellons que si vous avez des témoignages à apporter concernant ce sujet dans le 04, vous pouvez nous écrire à l’adresse mail : commeunpoissonsansbicyclette@radiozinzine.org
ou bien nous envoyer une lettre à :
Comme un poisson sans bicyclette
Radio Zinzine
04300 LIMANS.

(Re)découvrir l’écoféminisme

 

Nous publions ici un entretien  avec Émilie Hache et Isabelle Cambourakis autour du recueil de textes écoféministes Reclaim, trouvé sur le site de l’excellente revue Contretemps. Philosophe, Émilie Hache a coordonné cet ouvrage et en a écrit l’introduction. Isabelle Cambourakis vient de terminer à l’EHESS un master sur les relations entre mouvement féministe et mouvement écologiste dans les années 1970 et est responsable de la collection « Sorcières » aux éditions Cambourakis, dans laquelle est publié Reclaim.

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Reclaim. Recueil de textes écoféministes, choisis et présentés par Émilie Hache, Cambourakis, 2016, 413 p., 24€.

*

Contretemps (CT) : Reclaim rassemble des textes issus de l’écoféminisme états-unien qui a émergé à la fin des années 1970 et au début des années 1980. Pouvez-vous rappeler les conditions d’émergence des mouvements écoféministes et la façon dont ils se sont ou non développés dans d’autres pays ?

Émilie Hache (EH) : La fin des années 1970 et le début des années 1980 sont marqués par la montée en puissance des mouvements antinucléaires et des mouvements pour la paix aux États-Unis. Après l’accident de la centrale nucléaire de Three Mile Island en mars 1979 et face à la relance des programmes militaires par Reagan, des mouvements de femmes se mobilisent, organisant notamment la spectaculaire Women’s Pentagon Action en 1980. Ces mouvements rassemblent des militantes issues des mouvements pacifistes, du féminisme, des organisations écologistes et vont s’étendre sur une décennie. La mobilisation de ces femmes a pris la forme d’actions et donné lieu à des textes qui mettent en question la destruction croisée des femmes et de la nature. Parmi les actions mises en œuvre – occupations de sites de recherche ou de production nucléaire, manifestations, blocages, etc. – certaines durèrent quelques heures, d’autres quelques jours, voire quelques mois, parfois plus ; et pendant de tels moments, on parle, beaucoup. Des idées s’échangent, des textes se diffusent, les femmes qui sont là viennent de milieux et d’histoires différentes, mais il y a de très nombreuses personnes qui étaient politisées auparavant ; certaines étaient poètes, d’autres chercheuses, artistes… et tout se brasse. C’est à l’intérieur de ce mouvement que le mot « écoféminisme » émerge. Il émerge en fait à plein d’endroits différents, chez plein de femmes différentes, et cette émergence est le fruit du moment historique dans lequel cela se produit.

Isabelle Cambourakis (IC) : Il y a en France une difficulté à saisir ce moment, liée en partie à la manière dont a été « réceptionné » l’écoféminisme à des périodes différentes et par divers canaux. Au moment où émerge ce mouvement à la fin des années 1970, la France est vraiment à l’écart de ce qui se passe en Angleterre ou aux États-Unis ; par contre le terme revient avec les traductions de textes de Vandana Shiva1 dans les années 1990, et est donc perçu comme un écoféminisme du tiers-monde, du Sud. Il y a une confusion entre différentes histoires de l’écoféminisme. L’écoféminisme du Sud est postérieur aux mouvements antinucléaires des années 1970 qui sont la matrice du mouvement écoféministe. Les participantes à ces mouvements se sont revendiquées de l’écoféminisme. D’autres mouvements comme ceux pour la justice environnementale ou les luttes environnementales menées par des femmes ne s’en sont pas forcément revendiqués. De même, Vandana Shiva évoque le mouvement Chipko2, qui ne s’est pas lui-même défini comme écoféministe. Doit-on utiliser le même concept pour parler de différents mouvements qui ne se sont pas réclamés de l’écoféminisme ? En tout cas, le moment où émerge un mouvement qui pose la nécessité d’articuler écologie et féminisme se situe à la fin des années 1970 et au début des années 1980 ; on a pu ensuite réutiliser le terme d’écoféminisme pour essayer de comprendre d’autres expériences, d’autres mouvements.

 

CT : Mais ces mouvements ne partent pas de rien, ils se sont appuyés sur des expériences antérieures, une politisation qui ne se réduit pas à la lutte antinucléaire. Qu’en est-il alors des rapports entre ce qui émerge sous le terme d’écoféminisme à la fin des années 1970 et le féminisme de la deuxième vague?3 Quelle est son inscription dans l’histoire du féminisme ?

EH : D’une façon provocatrice, on pourrait dire que les militantes de cette époque ne se posent pas une telle question. C’est une question qui intéresse les universitaires ou les historien-ne-s des idées, mais ce n’était pas leur problème. En revanche, cette question va être posée à la fin des années 1980, période de fin de la « Guerre froide » et donc de baisse d’intensité des mouvements pour la paix et le désarmement, et moment également d’institutionnalisation de l’écoféminisme qui, de mouvement, devient un objet de réflexion dans les universités états-uniennes. Pour autant, il y a bien un rapport aux féminismes antérieurs, d’héritage mais aussi critique, dans la mesure où ceux-ci n’ont pas pris en compte la dimension écologiste. Dans un des textes de Reclaim, Ynestra King4 explique par exemple la nécessité de défendre un féminisme qui prenne en compte à la fois les femmes et le féminisme, c’est-à-dire un féminisme qui ne considère pas comme aliénées les femmes qui entretiennent un rapport non critique (ou pas seulement critique) à la nature (au sens d’environnement, de vivant) et qui sont facilement soupçonnées d’essentialisme par le féminisme mainstream. C’est un des points de départ de l’articulation entre féminisme et écologie, qui peut constituer effectivement une prise de distance avec un certain féminisme.

IC : Les femmes qu’on retrouve au sein des mouvements écoféministes sont en partie issues des mouvements féministes de la deuxième vague extrêmement divers, mais aussi de mouvements socialistes, anarchistes, écologistes où elles ont pu expérimenter, partout dans le monde à la même époque, qu’ils n’étaient pas particulièrement féministes. Si le mouvement émerge à la fin des années 1970, c’est parce qu’elles ont traversé ces différents milieux et qu’elles se retrouvent avec cette histoire derrière elles. En Allemagne de l’Ouest, on va retrouver de nombreuses femmes venant des mouvements antinucléaires et féministes, et aux États-Unis, il y en beaucoup qui viennent des mouvements féministes radicaux et séparatistes, notamment beaucoup de lesbiennes. Le mouvement états-unien de la deuxième vague est né à la fin des années 1960, donc dix ou quinze ans avant ; de nombreuses femmes qui ont déjà vécu des expériences communautaires arrivent ensuite aux luttes écologistes. San Francisco en Californie et la Women’s Pentagon Action sur la côte Est sont des creusets de rencontres, tout comme le site de Greenham Common en Grande-Bretagne. Cette période correspond à des moments de sortie des mouvements gauchistes, féministes et à des reconversions militantes dans les mouvements écologistes et antinucléaires.

 

CT : Vous évoquez des mouvements qui essaiment dans différents pays dans la même période, mais assez peu en France. Les liens et échanges entre féminismes états-unien et français existent pourtant, tout en étant difficiles. À propos de l’écoféminisme, existe-t-il à la fin des années 1970 et dans les années 1980 des tentatives de passages, d’échanges transnationaux, et comment expliquer les éventuels blocages en la matière ?

EH : Ce qui est étonnant dans cette histoire, c’est que outre le fait qu’en France on a reçu l’écoféminisme par des voies détournées, avec plusieurs années d’écart, en considérant que l’écoféminisme venait du Sud, etc., la première occurrence du terme même d’écoféminisme en 1974 vient d’une auteure française, Françoise d’Eaubonne, sans pour autant que cela produise quelque chose en France. Elle a créé un groupe, « Féminisme et Écologie », qui est en quelque sorte mort-né. Ce néologisme a voyagé de la France vers les États-Unis, à travers des féministes françaises, peut-être par Monique Wittig, pourquoi pas ? Une écoféministe états-unienne, Mary Daly, semble avoir été l’une des premières à utiliser ce terme dans son séminaire à l’université, qu’elle aurait repris d’extraits traduits de Françoise d’Eaubonne. Pour autant, après ces prémices, il y aura peu d’échanges par la suite, et il y a encore dix ans en France, personne n’associait l’écoféminisme aux mouvements antinucléaires des années 1980. On utilisait ce terme soit pour désigner l’écoféminisme indien ou des Suds, soit à propos d’articles universitaires états-uniens proposant une éthique environnementale écoféministe, sans référence à ces mouvements sociaux. S’ajoutait à cela la traduction du texte de Starhawk aux Empêcheurs de penser en rond5, mais dont la préface (très importante par ailleurs pour l’introduction de ce texte et cette auteure en France) par Isabelle Stengers ne faisait pas référence explicitement à l’écoféminisme. Bref, la compréhension de la façon dont le terme d’écoféminisme a émergé à partir de différents mouvements et écrits demeure complexe et nécessite de considérer les expériences diverses, aussi bien aux États-Unis qu’en Inde ou dans d’autres pays.

IC : Il y a en effet beaucoup de malentendus dans cette histoire. Si Françoise d’Eaubonne est une des premières à avoir articulé théoriquement le féminisme et l’écologie en 1974 dans Le féminisme ou la mort, son livre a eu peu d’impact dans le camp féministe, un peu plus chez les écologistes. Françoise d’Eaubonne avait une position marginale dans ces différents mouvements, sans doute perçue comme trop radicale. Sa position sur la nécessité de la « contre-violence » n’était pas partagée par tout-e-s. Son concept d’écoféminisme s’accompagnait d’une relecture du passé, notamment des temps préhistoriques, mais aussi d’une œuvre science-fictionnelle qui a sans doute dérouté. À la fin des années 1970, la revue Sorcières, qui était une revue de littérature et d’art féministe, baigne un peu dans une culture transnationale écoféministe. En 1980, le numéro 20 est consacré à « La nature assassinée » et les contributions ressemblent à certains textes publiés dans Reclaim… À cette période, les textes de Xavière Gauthier6 pourraient également être qualifiés d’écoféministes mais, très vite, le contexte politique après 1981 et le positionnement des féministes vis-à-vis du nouveau gouvernement mettent un terme aux tentatives d’alliances entre féministes et écologistes qu’essayaient de réaliser quelques militantes des Amis de la Terre. Alors que les luttes antinucléaires avaient été centrales dans la deuxième moitié des années 1970, elles le sont moins après l’arrivée de Mitterrand, et les écoféministes européennes se retrouvent dans les luttes contre l’implantation des missiles Pershing qui n’ont pas eu lieu en France. Il faudra donc attendre la traduction du livre de Shiva et Mies pour qu’on reparle d’écoféminisme.

 

CT : Pourtant, des mouvements antinucléaires se développent en France dans les années 1970, au moins jusqu’à la manifestation de Creys-Malville en 1977, mais on ne retrouve pas des dynamiques semblables à ce qui se passe aux États-Unis ou en Angleterre. Est-ce lié à la forme même et aux orientations des mouvements écologistes français ?

IC : Les quelques auteures dont on a parlé, comme Xavière Gauthier ou la revue Sorcières, avaient très peu de liens avec les mouvements écologistes. Mais ces derniers ont été percutés par les féministes. La presse écologiste, La Gueule ouverte par exemple, traite des questions féministes mais sans qu’il y ait une ligne très claire. Isabelle Cabut qui est une des responsables de la revue va jouer un rôle important pour la mise à l’agenda du féminisme. Mais le mouvement écologiste est pluriel, on parle de nébuleuse, et l’écologie est questionnée sur ses positions, y compris sur l’avortement ou la pilule qui ne sont pas défendues par l’ensemble des écologistes. Le mouvement écologiste est donc très travaillé par le féminisme mais la critique du progrès ou de la technique peut rentrer en conflit avec des revendications féministes. Dans le mouvement antinucléaire, la question féministe ne semble pas se poser sur le terrain, contrairement à la RFA où des femmes organisent des actions non-mixtes. La place des féministes dans le mouvement antinucléaire allemand est donc importante, ce qui est moins le cas en France même si des écologistes alsaciennesont influencées par ce qui se passe de l’autre côté du Rhin. Ce n’est pas tant dans le mouvement écologiste français que dans le mouvement non-violent pour la paix que des liens sont pensés entre les violences en général et les violences faites aux femmes. En tout cas, on trouve en France peu de traces de réunions non-mixtes féministes consacrées aux questions écologistes, au nucléaire, aux questions d’alimentation, etc., comme on en trouve en Allemagne, en Suisse, en Italie, en Angleterre…

 

CT : Émilie, ton travail s’inscrit dans une perspective de philosophie pragmatique. Quels liens existent entre une telle orientation et l’écoféminisme ?

EH : Il existe à mon sens de nombreux points de rencontre et d’affinités dans la façon dont fonctionnent ces mouvements comme dans les écrits théoriques et non théoriques qui se revendiquent écoféministes avec la pensée pragmatique. Outre le fait que certaines auteures se réclament explicitement du pragmatisme, comme Starhawk, on peut repérer de nombreuses manières communes d’aborder certaines questions ou de poser les problèmes, par exemple à propos de la religion ou dans leur rapport à la vérité. La philosophie pragmatique est un empirisme radical qui accorde une très grande importance à l’expérience ; c’est également le cas de l’écoféminisme, « Dieu » étant, dans un tel cadre de pensée, une expérience parmi d’autres, qui n’a rien à voir avec les grands monothéismes transcendants. Un des points saillants de cet empirisme radical est l’absence de dualisme, chose que l’on retrouve à différents niveaux dans l’écoféminisme, dans la remise en cause des frontières disciplinaires et épistémologiques (d’où la coexistence de textes de philosophie, de littérature, etc.), comme dans sa critique radicale du dualisme nature/culture au fondement de notre culture. On y retrouve également la sensibilité démocratique profondément anti-élitiste propre à la philosophie pragmatique. Bref, de manière évidemment bien trop rapide, je défends l’idée que l’écoféminisme peut être compris comme une version écologiste et féministe du pragmatisme.

 

CT : Les féminismes ont donné lieu à de nombreux débats sur « les femmes » en tant que catégorie, en tant que sujet collectif, en tant que groupe traversé par des divisions de race et/ou de classe. Dans les textes de Reclaim, on perçoit mal l’écho de tels débats. Qu’en est-il alors des approches des femmes, en tant que sujet politique, à travers les expériences partagées, mais aussi leurs divisions ?

EH : Ayant comme point de départ le féminisme de la deuxième vague, les écoféministes sont attentives aux expériences plurielles des femmes, mais elles ont été en effet critiquées parce que l’écoféminisme était un mouvement largement blanc, en particulier par les féministes noires, notamment Audre Lorde, qui leur reprochait l’usage de « les femmes » de manière indifférenciée, comme un tout homogène. Si la réflexion autour de ces questions n’est pas toujours très poussée, pour autant, quand les écoféministes parlent de « nous, les femmes », elles ne se prennent pas nécessairement pour un universel. L’écoféminisme constitue un gigantesque questionnement sur « comment on en est arrivé-e-s là ? », « qu’est-ce qui s’est passé pour qu’on soit dans cette situation-là ? », et cette reprise incessante de leur histoire peut être entendue comme une interrogation située. Pour le dire autrement, si on peut leur reprocher de parler de façon parfois euro-centrée ou états-unienne-centrée, ce n’est pas la même chose que de se prendre pour l’universel (c’est-à-dire toutes les femmes), et il me semble que c’est un des enjeux aujourd’hui de notre héritage de l’écoféminisme des années 1980 que de prolonger – et décliner – ce questionnement que l’on pourrait reformuler ainsi : « nous en tant que femmes blanches, descendantes de cette histoire européenne, arrivées aux États-Unis, quelle est notre histoire épistémologique, théorique et politique de l’articulation entre la destruction de la nature et la disqualification des femmes ? »

 

CT : Mais entre l’anti-théoricisme, l’appui sur les expériences des femmes et la pensée du croisement entre oppression des femmes et domination sur la nature, on a parfois du mal à cerner ce qui fonde le postulat selon lequel cette oppression et cette domination renverraient aux mêmes racines et auraient nécessairement à voir l’une avec l’autre…

EH : J’ai eu une difficulté semblable à saisir ce croisement tant que je lisais des textes universitaires qui parlaient du concept d’écoféminisme de manière très abstraite et semblaient le présenter comme un postulat. Mais en découvrant les textes écrits au sein des mouvements écoféministes, j’ai pu m’apercevoir que cette articulation avait émergé progressivement afin de comprendre pourquoi les femmes avaient toujours été naturalisées, toujours été mises du côté de la nature : pourquoi le fait d’avoir des enfants n’a jamais été pris comme quelque chose de social mais a toujours été mis du côté de la nature ? Mais aussi pour comprendre de quelle façon, à partir de quels arguments, avait-on ainsi mis à distance la « nature », le monde, comment on l’avait chosifié, objectivé, naturalisé. Donc il ne s’agit pas d’un postulat posé a priori, mais d’une articulation qui a été élaborée progressivement comme tentative d’explicitation de la situation de violence généralisée qui pèse sur les femmes et sur la nature.

 

CT : Mais ce parallèle entre les violences faites aux femmes et la violence contre la nature demeure difficile à saisir…

EH : Le lien qu’elles font ne se base pas sur un parallèle entre des faits, il s’agit d’une articulation qui tente de rendre compte du fait que la disqualification et la destruction de la nature se sont produites à partir d’arguments autour de sa féminisation. Et inversement, les femmes ont été opprimées en étant constamment renvoyées vers un état de nature. Il ne s’agit donc pas d’un parallèle entre deux formes de violence concernant deux réalités distinctes, mais de la mise en lumière d’un lien intime dans notre histoire, dans notre culture, entre notre rapport à la nature/au monde et celui entretenu à l’égard des femmes – et tout ce qui a été délégué du côté de la féminité.

 

CT : On constate ici une tentative de dépasser le dualisme nature/culture ; pour ce faire, s’agit-il de travailler à la réappropriation de l’appartenance des femmes à la nature ? Et si oui, qu’est-ce que cela signifie ?

EH : Déjà, cela ne va pas de soi de chercher à dépasser ce dualisme. On touche là à une des raisons pour lesquelles l’écoféminisme était relativement insoluble dans un certain féminisme matérialiste. La nécessité de maintenir un lien avec la nature ne va pas du tout de soi. Le geste d’une partie des féministes matérialistes, c’est au contraire de sortir les femmes de la nature, l’émancipation passant par la dénaturalisation des femmes ; la nature, on la laissait où elle est, ce n’était pas le problème. Comme tout ce qui avait été naturalisé et mis du côté de la nature, au premier chef la maternité. C’est ce geste-là que ne font pas les écoféministes. Il y a deux raisons à mon sens qui l’expliquent : leur attachement à la nature, à l’environnement (or, dans l’idée de « libérer » les femmes de la nature, de les dénaturaliser, on entend une valorisation négative de la nature, une version « naturalisée » de la nature elle-même) et le risque de perdre toutes les femmes qui ne seraient pas dans un rapport constructiviste très élaboré à l’égard de cette dernière, de se couper finalement de la majorité des femmes. Or la sensibilité non élitiste du mouvement écoféministe que j’évoquais tout à l’heure rend cela impossible. Cela se retrouve dans la façon dont ont été pensées et organisées leurs actions comme la Women’s Pentagon Action : horizontalité totale, on prend toutes les idées, etc. Comment fait-on alors, si l’on ne veut pas laisser tomber la moitié des femmes et si l’on ne veut pas non plus laisser tomber la nature ? Le geste des écoféministes est fondé sur l’idée, encore une fois, que si l’on fait ça, on se fait doublement avoir, parce qu’on se coupe d’une partie de nous-mêmes, et parce qu’on se coupe de la terre, du monde vivant, sensible, intelligible auquel on appartient, comme on est en train de le réapprendre aux côtés d’autres qui ne l’ont jamais oublié, peut-être trop tard. Reclaim est au croisement de ces deux préoccupations : se réapproprier, réhabiliter cette nature complètement disqualifiée, avec laquelle on entretient nécessairement aussi un rapport critique vis-à-vis de tout ce qu’elle a signifié et tout ce à quoi elle a servi dans la culture occidentale ; et en même temps se réapproprier ce qui a été mis du côté des femmes naturalisées – le rapport au soin, aux émotions, à la vie, etc. Bien sûr il ne s’agit pas de domaines propres aux femmes, mais l’on ne va précisément pas s’en priver pour se construire en concurrence à la masculinité dominante. C’est à mon sens un des apports majeurs de l’écoféminisme : on a immensément besoin des émotions, du sensible, pour faire de la politique différemment et transformer le monde.

 

CT : Mais si le féminisme de la deuxième vague est critiqué pour son évitement de certaines questions, notamment la question de la maternité, cela ne donne pas un caractère d’évidence à ce qui serait un rapport spécifique des femmes à la nature…

IC : Ce qui me gêne quand on aborde ces questions, c’est qu’on ne sait pas toujours ce qu’on entend par « nature ». Par exemple, dans les textes des matérialistes des années 1970, l’emploi du mot « nature » est essentiellement synonyme de destin biologique : il s’agit de dé-biologiser les femmes et d’approfondir le geste beauvoirien. Dénaturaliser veut dire dé-biologiser. Je n’ai pas l’impression, dans ces textes, que le mot « nature » renvoie à l’environnement ni aux dimensions liées à la terre, ni même au vivant. Alors que la question qui est posée aujourd’hui à tous les groupes minorisés est la suivante : après la nécessaire déconstruction de certains types de rapports à la nature, qu’est-ce qu’on reconstruit ensuite comme rapports à la nature pris dans un sens environnemental ? Je pense aux femmes qu’on a longtemps pensées plus proche de la Nature mais aussi aux personnes LGBTQI qui au contraire étaient considérées comme hors de la nature ou aux populations colonisées et aux esclaves qui devaient s’occuper des plantations… J’avais été frappée dans le film de Sebastien Lifshitz, Les Invisibles, de la place accordée à la nature et au rapport à l’environnement des personnes filmées, comme ce couple d’agricultrices lesbiennes. Aux États-Unis, il existe un mouvement de jardins communautaires tenus par des populations noires. Ce qui semble important aujourd’hui est de penser comment créer ou recréer des formes d’attachement à la nature, malgré les histoires compliquées faites d’aliénation mais aussi d’émancipation qui nous lient à elle, l’écoféminisme peut nous aider à penser de tels attachements. Si dans les années 1970 il y a eu autant de difficultés à articuler écologie et féminisme, c’est bien parce qu’il y a quelque chose qui résiste et qui nécessite un effort théorique très important. Cet effort demeure difficile aujourd’hui, et ce n’est pas anodin si les organisations écologistes se sont tournées essentiellement vers un féminisme des droits qui est plus simple à penser. Par ailleurs, et on retrouve là les influences pragmatiques, les textes des écoféministes n’expliquent pas comment il faut qu’on fasse mais nous montrent comment elles ont fait, y compris comment elles se sont débrouillées, comment elles ont bricolé avec ces questions-là.

EH : Il s’agit de savoir comment, en tant que femmes à qui on a imposé un certain rapport – d’identification négative – à la nature, et qui n’avons trouvé pour résister que le refus de ce rapport, comment fait-on aujourd’hui pour retrouver un autre lien à la nature, dans une perspective écologiste ? On hérite donc de cette histoire du féminisme qui a mis à distance la nature parce qu’elle renvoyait à un certain rapport donnant le primat au biologique ; mais si aujourd’hui on intègre une problématique écologiste, est-ce qu’on peut en rester là ?

 

CT : Si les approches des textes de Reclaim ne sont pas nécessairement incluses dans les controverses théoriques du féminisme, on peut tout de même se demander s’il existe des ponts ou des échanges avec des approches matérialistes, comme celle par exemple dont se réclame Christine Delphy.

IC : L’écoféminisme est un mouvement varié, avec des branches issues plutôt de la New Left, socialistes, mais pas seulement. Même si ce n’est pas présent dans les textes publiés dans l’anthologie, il y a des convergences avec certaines militantes du mouvement du salaire ménager comme Silvia Federici qui a été aussi influencée par Starhawk ou Ariel Salleh. Elle explique qu’elle est passée du « refus » des tâches ménagères à leur valorisation et propose, à la suite de bell hooks, de concevoir la « maison » comme site de résistance7 On voit les liens avec le mouvement écoféministe. Quelqu’un comme Wilmette Brown, une militante noire proche de Selma James, s’est aussi investie dans le mouvement pour le salaire ménager et le mouvement pour la paix, elle a d’ailleurs écrit un livre intitulé Black Women and the Peace Movement. Mais toute cette histoire reste largement à faire, notamment en France. La très récente visibilité de Silvia Federici, assez concomitante de la redécouverte du mouvement écoféministe, nous permet de mieux connaître ces débats qui ont eu lieu autour du travail domestique dans les années 1970 et 1980, au-delà de la seule approche matérialiste. Une des auteures d’ailleurs qui a nourri les débats sur le travail est Maria Mies, sans nécessairement par contre s’arrêter au travail domestique, ce qui la rapprocherait plus de certaines marxistes que du matérialisme développé par Christine Delphy.

EH : Dans les prolongements actuels, on trouve des chercheuses et militantes comme Giovanna Di Chiro, sociologue états-unienne spécialiste des questions de justice environnementale, qui reprend le concept des féministes italiennes de reproduction sociale en l’« écologisant ». Elle propose l’idée selon laquelle tous les enjeux environnementaux sont des enjeux de reproduction sociale, posant ici la question de savoir qui prend soin de l’environnement, qui s’occupe de l’eau, qui s’occupe du travail et de quel travail, de quoi parle-t-on quand on parle de reproduction sociale, de la force de travail certes, mais aussi de la reproduction de la Terre, de la nature, etc.8

 

CT : On a rapidement effleuré la question de l’essentialisme, source de nombreuses controverses. Il est fait mention dans l’ouvrage d’un essentialisme stratégique, reprenant la notion de Spivak. Comment cette question est-elle abordée par les écoféministes ?

EH : La notion d’essentialisme stratégique n’est pas utilisée en tant que telle dans les textes écoféministes que je connais ; cela ne signifie pas qu’elle soit inappropriée, mais que cette question n’est pas l’enjeu central de ces textes. Il faut repartir du problème qu’elles se posaient : comment écrire ce lien à la nature qui a été abimé et/ou détruit, quels mots utiliser pour revaloriser ce lien disqualifié, méprisé, ridiculisé ? Dans une culture où ce lien est toujours suspect, mis à distance, toute tentative d’énonciation « positive » risque d’être accusée d’essentialisme. En ce sens, parler à leur égard, comme le fait l’une d’entre elle, Elizabeth Carlassare, d’essentialisme stratégique semble en effet pertinent. Elle souligne par ailleurs que se joue également ici une bataille entre épistémologies dominante et dominée : les textes qui ont été critiqués pour leur (prétendu) essentialisme sont des textes non académiques, non argumentatifs, contrairement à ceux qui les critiquent. Mais on retrouve aussi dans cette accusation, cette posture de surplomb, aussi étrange que malheureusement fréquente, de celui/celle qui sait mieux que celles/ceux qui sont concerné-e-s, ce qui est bon pour elles/ils ou ce qu’ils/elles sont/font…

 

CT : Dans le prolongement des débats autour de l’essentialisme, une des dimensions qui peut surprendre dans les textes de Reclaim, concerne le rapport à la spiritualité. Si toutes les écoféministes ne s’inscrivent pas dans  une veine spiritualiste, cela semble tout de même irriguer un certain nombre de militantes.

EH : Complètement. On retrouve cela dans tous les textes ou presque. Toutes les femmes qui se réclament de l’écoféminisme baignent dans cette dimension, qu’elles aient un rapport personnel à la spiritualité ou non. Il y a plusieurs raisons qui peuvent expliquer l’importance de cette dimension. Tout d’abord, il faut avoir en tête la place de la religion dans les mouvements d’émancipation états-uniens, comme dans le mouvement des droits civiques, ou chez les natives américain-e-s… Pour les écoféministes états-uniennes également, la religion n’est pas nécessairement source d’aliénation ou d’obscurantisme mais peut être un des points d’appui d’une émancipation individuelle et collective. Ensuite, s’il y a toutes sortes de courants religieux représentés parmi les écoféministes, l’influence principale vient du mouvement néo-païen, plus précisément, de l’émergence en son sein d’un mouvement féministe radical dont est issu Starhawk, à l’origine de la réinvention de la religion de la Déesse, un culte qui aurait existé avant l’invention des monothéismes mais dont on a perdu presque toute trace. C’est un culte de la déesse, d’une divinité féminine donc, et en même temps il s’agit d’une religion complètement immanente : en gros la déesse c’est la Nature, c’est nous, c’est tout le monde. Le lien est là : en miroir de l’impact fondamental sur nos vies du masculin archi-prédominant dans les religions monothéistes (dans notre rapport à l’autorité, au savoir, etc.), les écoféministes prennent très au sérieux celui qu’une figure féminine de la divinité peut jouer dans la revalorisation des femmes, de leurs corps comme de leur estime d’elles-mêmes ; par ailleurs et c’est lié, ce culte de la déesse est une façon parmi d’autres de recréer un lien avec la nature, un lien individuel et/ou collectif de soin et d’attachement à l’égard du monde vivant, participant autant à sa réhabilitation qu’à sa restauration.

Propos recueillis par Vincent Gay.

Références

1. Vandana Shiva, Maria Mies, Ecoféminisme, L’Harmattan, 1999.
2. Nés en Inde dans les années 1970, les mouvements Chipko se sont battus contre la déforestation prévue pour les besoins de grandes compagnies et ont obtenu des moratoires contre l’abattage des arbres dans certains États.
3. Le féminisme de la deuxième vague désigne les mouvements d’émancipation des femmes qui naissent au milieu des années 1960 et s’attaquent notamment aux problèmes liés à la sexualité, à la famille, aux violences ou encore au travail des femmes.
4. Ynestra King, « Si je ne peux pas danser, je ne veux pas prendre part à votre révolution », pp. 105-126.
5. Starhawk, Femmes, Magie et Politique, Les Empêcheurs de penser en rond, 2003, postfacé par Isabelle Stengers, réédité sous le titre Rêver l’obscur. Femmes, Magie et Politique, Cambourakis, 2015 avec une préface d’Emilie Hache.
6. Ecrivaine et journaliste féministe ayant publié différents écrits de Louise Michel à laquelle elle a consacré plusieurs biographies, Xavière Gauthier est une des fondatrices de la revue Sorcières.
7. Selon bell hooks, « Partout dans le monde, et en particulier dans le contexte du suprématisme blanc, les femmes noires ont participé à cette tâche (en faisant) du foyer un lieu de résistance communautaire. »
8. Giovanna Di Chiro, « Ramener l’écologie à la maison », in E. Hache (ed.), De l’univers clos au monde infini, éd. Dehors, 2014.

Figen Yüksekdağ : les femmes disent « non » | KEDISTAN

C’est un message adressé aux femmes. Un message écrit depuis la prison de Kandıra, par Figen Yüksekdağ, co-présidente du HDP. Un message pour dire “NON”.

Source : Figen Yüksekdağ : les femmes disent « non » | KEDISTAN

« Gagner commence souvent par un “non”. S’il n’y avait pas de femmes qui disent “non” aux hommes qui rendent la vie des femmes misérable, qui disent “non” à l’inégalité, qui disent “non” à la discrimination, qui disent “non” à la violence et à la mort, alors notre vie ne serait qu’enfer et ténèbres. »

C’est un message adressé aux femmes. Un message écrit depuis la prison de Kandıra, et destiné à l’assemblée des femmes du parti démocratique des peuples (HDP), par Figen Yüksekdağ, co-présidente du HDP. Un message pour le “non”. Un message pour dire “non”. Un message relayé ce 14 février par le site web Şûjin, nouvelle agence d’information féministe ouverte après la fermeture de JINHA.

« Bonjour à vous toutes. Je salue votre unité, vos efforts, votre enthousiasme, votre pluralisme sans distinction et votre volonté qui inspire le “non”. Je crois que les femmes qui disent “non” vont redonner vie à la société et la politique. Le monopole d’un pouvoir autoritaire veut qu’une société dise “oui” à tous les maux qu’il impose. Ce pouvoir vise à institutionnaliser son régime d’”un homme” et d’”un parti” et sa politique perverse et brutale à travers le référendum constitutionnel. Il demande à notre peuple de dire “oui” à la guerre et à la mort; à la corruption, à la pauvreté, à la crise économique; aux violences contre les femmes, à la discrimination et à l’atrocité d’un seul homme; à l’abandon de nos jeunes, laissés sans emploi et sacrifiés pour un système où seuls étudient ceux qui ont de l’argent; à la loi enchaînée au palais et au kidnapping de la loi et de la justice; aux  droits et libertés fondamentales laissés à la merci d’un seul homme… Celles qui disent “oui” à tout ça, voire plus, vont se perdre et entraîner la perte des générations à venir. Mais celles qui font preuve de courage et de détermination en disant “non” seront les gagnantes d’aujourd’hui, pour demain. »

« Gagner commence souvent par un “non” Les femmes le savent mieux que personne. S’il n’y avait pas de femmes qui disent “non” aux hommes qui rendent la vie des femmes misérable, qui disent “non” à l’inégalité, qui disent “non” à la discrimination, qui disent “non” à la violence et à la mort, alors notre vie ne serait qu’enfer et ténèbres. Heureusement, il y a des femmes qui disent “non” à l’enfer, des femmes qui sont la flamme empêchant de sombrer dans les ténèbres. Et elles seront toujours là. Tout au long de l’histoire, les femmes ont été à l’avant-garde de tout progrès social, des lumières et des changements révolutionnaires. Au milieu de ceux qui obligent à  dire “oui” à tout, il y a une personne qui change le cours de l’histoire en disant “non”. Les femmes arrêteront cette pourriture. Les femmes donneront la meilleure réponse au pouvoir dirigeant qui essaie d’emprisonner la société. »

« Nous avons été torpillées pendant deux ans pour nous empêcher de dire “non”. Nous avons subi toutes sortes de maux et de cruautés pour nous empêcher de dire “non”. Des milliers, des dizaines de milliers d’entre nous ont été emprisonnées pour nous empêcher de dire “non”. Des guerres ont été déclarées, juste pour un “oui”. Nos enfants sont enterrés, sans pierres tombales ou cérémonies funéraires officielles. Nous disons “non” pour ceci, et beaucoup plus. »

Version en anglais sur Şûjin : Figen Yüksekdağ: Winning starts with ‘No’

Ajout du 21 février :

La co présidente HDP, suite à sa condamnation pour 10 mois de prison a été démise de son mandat de députée par le parlement (Constitution Article n ° 84.) – Ainsi tous les autres députéEs emprisonnéEs qui seront “jugéEs” et condamnéEs pour les faux motifs qu’on connaît, pourraient tour à tour disparaître du Parlement…

Stage d’autodéfense féministe

Samedi 25 et dimanche 26 février 2017
Dans le cadre des rencontres « Ovaires et contre tout », nous organisons le 25 et le 26 février un nouveau stage d’auto-défense pour femmes. N’hésitez pas à faire circuler ces informations dans vos réseaux! Ce stage est organisé avec l’Association La Trousse à Outils de Marseille, mais vos inscriptions et demandes de renseignements passent directement par Agate, armoise et salamandre, BP 19, 04300 Forcalquier, agate.etc@gmail.com et 06 18 56 28 09
de 9h30 à 17h dans les locaux de la salle d’activités corporelles, Place Martial Sicard, Forcalquier (c’est à l’arrière de la mairie)
La participation aux 2 journées est nécessaire. Cette forme d’autodéfense est adaptée à toutes, quel que soit votre âge et votre condition physique.
Les animatrices se sont formées avec des formatrices spécialisées dans l’autodéfense pour femmes et sont diplômées de la méthode RIPOSTE, issue du programme ACTION du Centre de Prévention des Agressions de Montréal.
TARIFS :
Parce que nous voulons que nos stages soient accessibles à toutes, nous proposons une fourchette de prix selon les revenus. Nous avons mis des idées entre parenthèses, à titre indicatif puisque nous ne demanderons pas de papiers prouvant tel ou tel revenu. Nous choisissons de faire confiance aux femmes. Comme nous ne souhaitons pas que l’argent soit une barrière pour participer à un stage, nous vous invitons vivement à nous contacter si vous ne pouvez payer cette somme, nous trouverons ensemble une solution satisfaisante.
– 30-50 euros (peu de revenu, minimas sociaux, petit smic, chômeuses, étudiantes…)
– 60-80 euros (revenus « moyens » à revenus « confortables », + du smic)
– 90 et + (« revenus élevés »)
INSCRIPTION :
Contactez nous par e-mail ou téléphone: agate.etc@gmail.com ou 06 18 56 28 09
en précisant vos nom, prénom, adresse mail et un  numéro de téléphone où vous joindre si besoin.