Etats-Unis. La puissance de la campagne #MeToo

Publié par Alencontre le 13 novembre 2017

Par Leia Petty

Leia Petty décrit ce que la campagne #MeToo accomplit pour favoriser le débat sur les agressions sexuelles mais aussi pour augmenter les possibilités qu’elle offre pour des avancées de la lutte pour la justice.

«En fait je l’ai pressée. Tu sais, elle était en bas, sur Palm Beach. Je l’ai entreprise et j’ai échoué. Je l’avoue. J’ai essayé de la baiser. Elle était mariée… Je l’ai entreprise très lourdement… Comme si elle était une garce. Mais je n’y suis pas parvenu. Et elle était mariée. Puis tout à coup je l’ai vue, maintenant elle a ces gros faux seins et tout cela. Elle a totalement changé son look… Oui, c’est bien elle. Avec l’or. Je ferai mieux d’utiliser quelques Tic Tac [dragées à la menthe] pour le cas où je me mettrais à l’embrasser. Tu sais, je suis automatiquement attiré par la beauté – je commence simplement à les embrasser. C’est comme un aimant. Juste un baiser. Je n’attends même pas. Et quand tu es une star, elles te laissent faire. Tu peux faire n’importe quoi… les saisir par le sexe. Tu peux faire n’importe quoi.» Donald Trump

Nous étions nombreux à penser que ces paroles, fuitées un mois avant le jour des élections, allaient faire tomber Donald Trump. Au lieu de cela il a gagné la présidence.

Cette croyance qu’ont Trump et d’autres hommes privilégiés comme lui qu’ils peuvent «faire n’importe quoi» aux femmes – ce que Lindy West a appelé dans le New York Times [1]: «le droit étouffant, délirant, galactique des hommes puissants» – a entraîné d’innombrables cas de harcèlement sexuel, d’agressions et de viols qui ont rarement été punis.

Le silence auquel ont été contraintes les femmes était assourdissant. Mais la colère suscitée par cette injustice – une colère que portent toutes les femmes – ne pouvait pas être enterrée à tout jamais. La campagne #MeToo en est la plus récente confirmation. Et ce ne sera pas la dernière.

Au cours des dernières semaines, plus de 30 hommes très en vue ont été accusés de harcèlement sexuel et doivent enfin en affronter les conséquences réelles. Dans de nombreux cas, les allégations mettent en évidence des abus qui se sont déroulés depuis des décennies, abus qui étaient connus et encouragés dans leur entourage proche – souvent en échange de promesses d’avancement des carrières des femmes qui travaillaient pour eux.

Des hommes ayant des positions privilégiées dans l’industrie du spectacle et du divertissement: des producteurs de films, des éditeurs de magazines d’art, des acteurs célèbres, des photographes ont été les premiers à être examinés dans le sillage de la découverte de l’histoire d’abus sexuels commis par Harvey Weinstein, le magnat du cinéma américain.

Hollywood et les industries qui l’entourent constituent une institution collective où la réification des femmes est intégrée aux fondements de la réalisation du profit, ce qui donne lieu à un mélange toxique d’exploitation et de sexisme qui a dévasté les vies de nombreuses femmes.

Mais #MeToo a redonné confiance aux femmes, elles peuvent raconter leur histoire parce que, pour la première fois depuis des décennies, on les croit.

Récemment l’acteur Kevin Spacey a été accusé d’abus sexuels par de nombreux hommes, dont beaucoup étaient des adolescents au moment des agressions. Cela a contribué à lancer le débat si indispensable sur les abus sexuels vécus par des garçons, débat qui est également reflété dans la campagne #MeToo.

L’impact de #MeToo a dépassé Hollywood. Le secrétaire à la Défense britannique, Michael Fallon, a été obligé de démissionner suite à des allégations de harcèlement sexuel. Plusieurs membres du Parlement et plus de 30 législateurs du parti conservateur de Theresa May affrontent également de telles allégations. Trois professeurs de Dartmouth [à Hanover dans le New Hampshire] ont été mis en congé payé pendant qu’une enquête criminelle est menée pour «mauvaise conduite grave».

Tous les signes laissent penser que ce processus se poursuivra. Pour ceux et celles qui ont vécu le harcèlement et l’abus sexuels, les faits qui sont dévoilés entraînent un mélange d’horreur et de justification. Il est particulièrement révélateur de constater combien de femmes qui s’expriment maintenant avaient déjà tenté de le faire par le passé et on les a fait taire, ce qui a suscité chez beaucoup d’entre elles un traumatisme de toute une vie.

Cette confiance qui leur permet de continuer à s’exprimer et qui vient du fait qu’on les croit enfin, ne peut qu’aider le mouvement contre le harcèlement et les abus sexuels, et renforcer la lutte plus large contre toutes les injustices.

• Au cours de ces dernières semaines il y a eu un débat à échelle nationale [Etats-Unis] sur le harcèlement sexuel, cela ne s’était pas produit depuis 1991, lors des auditions pour confirmer le juge Clarence Thomas [nommé par George H.W. Bush] à la Cour suprême.

A cette époque, Anita Hill, professeure en droit qui avait précédemment travaillé pour Thomas, s’était manifestée et l’avait accusé de harcèlement sexuel [lors des audiences devant le Sénat américain, audiences très médiatisées] Mais au lieu de s’en prendre à Thomas, Joe Biden [le vice-président nommé en 2009] – qui était à l’époque président de Comité judiciaire du sénat – a fait un procès à A. Hill et a choisi de ne pas convoquer les autres trois témoins qui auraient pu confirmer les accusations d’abus sexuel lancées par A. Hill. Plus tard, Thomas a été confirmé en tant que juge à la Cour suprême.

Nous sommes redevables à Anita Hill, les centaines de femmes qui prennent la parole maintenant suivent la voie qu’elle a ouverte.

#MeToo a fourni le moyen de briser le silence et de transformer les injustices que nous vivons en quelque chose «qu’il faut combattre au lieu de subir», comme l’a écrit Jen Roesch dans SocialistWorker.org [2].

En résumé, #MeToo a transformé la victimisation, ce qui a des conséquences politiques. Comme l’a écrit James Baldwin : «La victime qui est capable d’exprimer clairement la situation de victime, cesse d’être une victime: il ou elle devient une menace.»

Le fait que nous prenions la parole et que nous racontions nos histoires individuelles est une précondition pour devenir une réelle menace.

Pour que les femmes continuent à avoir suffisamment confiance pour s’exprimer, il faudra que les hommes responsables soient obligés d’assumer les conséquences. Jusqu’à maintenant plusieurs douzaines d’entre eux ont dû de démissionner ou ont des contrats passés ont été annulés.

Jusqu’à maintenant la campagne #MeToo s’est surtout déroulée dans les médias sociaux, mais cela est en train de changer. La Feminist Majority Foundation [créée par Gloria Steinem en 1987], de pair avec Civican [The social network for civic action] et WE for SHE [ structure ayant comme objectif «d’équilibrer» la présence homme/femme dans le paysage médiatique], sponsorise une marche à travers Hollywood le 12 novembre [3], appelée «Take Back the Workplace» [Reconquérir nos places de travail], qui se terminera à côté du centre de la chaîne CNN.

Les femmes qui ont participé au concours de beauté de Miss Pérou 2018 ont protesté contre l’exigence d’annoncer les mesures de leur poitrine et de leur taille. Au lieu de cela elles ont annoncé les statistiques de la violence contre les femmes, dans le cadre d’une campagne d’une année pour sensibiliser sur les taux élevés de violences contre les femmes au Pérou.

Plus récemment, le département de police de New York a aussi annoncé qu’il détenait suffisamment de preuves pour arrêter Harvey Weinstein.

• Etant donné les changements considérables qui se sont produits en quelques semaines, il est très important que les forces progressistes et socialistes soutiennent les femmes et les hommes qui s’expriment, qu’elles trouvent des moyens pour transformer la prise de conscience en activisme, et qu’elles participent avec les forces féministes à la réflexion sur comment construire un mouvement capable de mettre au défi le sexisme sous toutes ses formes.

Le fait d’afficher un dédain pour #MeToo n’est pas une bonne manière de commencer un tel processus. Pourtant il y a quelques personnes qui se sont montrées critiques à l’égard de la campagne depuis le début. C’est notamment le cas de l’écrivaine Megan Nolan dans son article pour Vice [4], intitulé «Le problème de la campagne #MeToo» [article initialement publié sur le site Vice.uk].

Elle écrit: «Le fait de prendre conscience de l’ampleur des abus ne résout pas ces problèmes (…) Le fait simple est que je n’ai aucune idée comment les résoudre. Ils sont incroyablement enracinés dans les fondements de notre société. La condition d’être sexuellement opprimée est la condition de propre aux femmes.»

Beaucoup de femmes partagent un sens d’impuissance et d’impatience, ce qui est compréhensible étant donné le poids de l’oppression et de la réification endurées par les femmes qui, jusqu’à tout récemment, se sentaient totalement ignorées.

Mais nous ne pouvons pas permettre que cela nous rende cyniques, car cela nous fera manquer les possibilités de résister collectivement justement au moment où il est important de le faire.

Il est vrai que «Le fait de prendre conscience de l’ampleur des abus» n’est pas la même chose que de s’attaquer au problème. Mais une sensibilisation accrue peut préparer un terrain plus fertile pour l’activisme. Des douzaines d’hommes qui ont abusé des femmes se trouvent effectivement devant une enquête criminelle ou doivent démissionner de positions de pouvoir, et c’est un bon début.

L’actrice Jane Fonda et l’écrivaine Jamilah Lemieux [écrivaine afro-américaine] expriment un autre type de scepticisme lorsqu’elles disent que la prise de conscience du harcèlement et de l’abus sexuels n’a lieu maintenant que parce que la plupart des victimes qui s’expriment sont blanches .

• Le mieux va encore plus loin que J. Fonda. Dans un article intitulé «Weinstein, les larmes blanches et les limites de l’empathie des femmes noires» [5], elle déclare qu’il y a des limites au niveau de l’empathie des femmes noires face au harcèlement sexuel vécu par les femmes blanches parce qu’au niveau historique cette empathie n’a pas été donnée en retour.

Il est tout à fait exact que les femmes noires ont vécu une expérience particulière d’être victimisées et même criminalisées lorsqu’elles ont pris la parole ou affronté leurs abuseurs. Le projet #Survived and Punished [survivantes et punies] qui rend compte de la re-victimisation de celles qui s’insurgent contre les abus et la violence sexuelle décrivent en très grande majorité des récits de femmes de couleur.

Toutes les personnes qui ont été touchées par le phénomène #MeToo doivent connaître – si elles ne la connaissent pas déjà – cette oppression spécifique à laquelle font face les femmes de couleur. Mais la campagne est justement l’occasion où l’empathie pour les expériences spécifiques que vivent les femmes de couleur peut se développer et essaimer, justement à cause du débat qui a commencé au niveau national.

• Il faudrait que les féministes mettent ces récits en première ligne plutôt que de leur adresser des reproches ou de minimiser à quel point il est déjà difficile pour beaucoup de femmes de prendre la parole sur ces problèmes. La réalité est que même des femmes blanches privilégiées, comme l’actrice Rose McGowan, ont été forcées de se taire pendant des décennies avant de pouvoir enfin briser le silence au sujet des abus qu’elles ont vécu.

Les vannes se sont ouvertes, permettant de parler des abus et du harcèlement sexuels, ce qui donne aux féministes la possibilité de permettre aux plus opprimées d’entre nous d’être entendues.

Tarana Burke qui a lancé le hashtag MeToo, dès les années 2000

Tarana Burke [qui anime le site She Slays, Elle terrasse] qui a lancé #MeToo il y a une décennie, l’a fait pour faire connaître les récits d’agressions sexuelles vécues par les femmes noires et pour rassembler les femmes entre elles. Comme l’a déclaré T. Burke dans une série de tweets en réaction à la résurgence de la campagne #MeToo: «L’objectif du travail que nous avons fait au cours de la dernière décennie avec le mouvement “Me too” est de permettre aux femmes, et en particulier aux jeunes femmes de couleur, de savoir qu’elles n’étaient pas seules (…)- Il s’agit d’un mouvement (…). Il va au-delà d’un hashtag. C’est le début d’un débat plus large et d’un mouvement pour une guérison communautaire radicale.»

• Au sein de la gauche, il s’agira d’aborder cette question de l’orientation de ce «débat et mouvement plus large». Comme l’écrit Alex Press dans un article pour Jacobin intitulé «The Union Option» [6]: «Dans une période où nous sommes si nombreux à savoir à quel point le harcèlement sur le poste de travail est répandu, il est important de tenir compte des rares cas où le harceleur est accusé publiquement. Il s’agit là d’une exception à la règle, qui est que des hommes puissants tels que Weinstein peuvent harceler et abuser des femmes jusqu’à leur mort, quel que soit le nombre de personnes dans leurs entreprises qui sont au courant.

Mais après avoir assimilé ces cas, nous – ou du moins celles et ceux d’entre nous qui nous préoccupons de combattre ces injustices – nous devons aborder la question de savoir ce que nous pouvons faire à ce sujet.»

Il est significatif que la couverture médiatique de l’affaire Weinstein et la résurgence de #MeToo qu’elle a entraînée a eu des résultats tangibles en faisant tomber quelques sexistes abjects et a finalement contribué davantage à mettre en demeure des hommes dans des positions de pouvoir que toutes les fausses formations de «sensibilisation» imaginées par les entreprises.

Mais Alex Press attire l’attention sur l’étape suivante, celle qui consiste à traduire cette prise de conscience en une «action collective formelle. Pour ce qui est des lieux de travail, cette étape passe habituellement par les syndicats. Toutes celles et tous ceux qui veulent éliminer le harcèlement sexuel sur leurs lieux de travail devraient également être en train de lutter pour obtenir des appuis syndicaux.»

Ce point constitue une contribution importante au débat, une composante cruciale de la lutte plus large. Il s’agit en effet d’augmenter les protections pour les femmes et les autres qui vivent le harcèlement sexuel, mais aussi de créer les mécanismes pour y mettre terme à l’intérieur des syndicats.

Mais étant donné que la présence syndicale est au point le plus bas dans l’histoire moderne des Etats-Unis, les syndicats ne peuvent être qu’une partie de la solution.

En outre, la confiance dont ont besoin les femmes pour affronter le harcèlement sexuel au travail est directement liée à l’envergure du mouvement féministe en dehors de la place de travail.

• Comment faire pour que l’élévation de la prise de conscience des abus sexuels et de la confiance pour les contrer débouche sur un mouvement féministe plus combatif et organisé?

L’activisme autour des questions du harcèlement et de l’agression sexuels a été une pierre angulaire lors des précédents mouvements féministes, et en particulier dans le mouvement de libération des femmes des années 1970.

Or, avec l’administration Trump il n’y a pas une pénurie d’attaques contre les droits de femmes. Alors même que #MeToo faisait irruption, la Chambre des représentants a voté pour interdire les avortements après 20 semaines de grossesse; Trump a émis un ordre exécutif permettant aux employeurs de refuser aux femmes la couverture des mesures de contrôle des naissances; la secrétaire à l’Education Betsy DeVos a démantelé les mesures de l’amendement Title IX [qui interdit toute discrimination sur la base du sexe dans les programmes d’éducation soutenus par l’Etat] concernant les agressions sexuelles sur les campus; et de multiples tentatives ont été faites pour stopper le financement du Planned Parenthood [planning familial].

Les conditions qui ont produit et enhardi la droite ont également créé la possibilité de stimuler la résistance, et les champs de bataille sur lesquels un nouveau mouvement féministe peut lutter ne manquent pas.

Le lien entre une lutte contre le harcèlement sexuel et une justice reproductive est la revendication de notre droit à contrôler notre corps et à autodéterminer nos vies.

Il faut que tous les harceleurs sexuels dans des positions de pouvoir continuent de tomber. Mais la justice à long terme ne pourra s’établir que lorsque les socialistes et les féministes construiront des organisations de résistance pour poursuivre le combat au-delà des médias sociaux.

Il nous faut construire des organisations de résistance qui puissent défendre les cliniques pratiquant des avortements, qui exigent des administrations des campus qu’elles rétablissent les protections de l’amendement Title IX, qui mobilisent des milliers de personnes contre le harcèlement sexuel, tout en donnant aux femmes et aux hommes qui veulent en finir avec le sexisme un espace où ils puissent organiser ensemble la lutte.

#MeToo n’est pas un sport de spectacle qu’on peut soit soutenir soit rejeter. C’est un moment que nous pouvons transformer en un mouvement qui fera avancer la lutte contre le harcèlement sexuel et contre toutes les formes d’oppression. (Article publié sur le site socialistworkers.org en date du 9 novembre 2017; traduction A l’Encontre)

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[1] https://www.nytimes.com/2017/10/17/opinion/columnists/weinstein-harassment-witchunt.html

[2] https://socialistworker.org/2017/10/19/the-silence-is-broken

[3] http://www.hollywoodreporter.com/news/a-take-back-workplace-march-is-happening-hollywood-1052976

[4] https://www.vice.com/en_us/article/43akqp/the-problem-with-the-metoo-campaign

[5] https://cassiuslife.com/33564/white-women-dont-look-out-for-black-victims/

[6] https://jacobinmag.com/2017/10/harvey-weinstein-sexual-harassment-women-union

[7] http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/3.0