Voici quelque temps, Corps et politique avait publié un article : « Le problème qui n’a pas de nom… parce que le mot « femme » est qualifié d’essentialiste ». Une personne qui l’a lu y a vu des positions transphobes. Cela ne nous avait pas sauté aux yeux , mais il est vrai que nous ne connaissons peut-être pas assez les débats, semble-t-il assez virulents, qui opposent sur cette question des personnes trans et celles qu’elles taxent de « TERF » (Trans-Exclusionary Radical Feminism). Notre correspondante nous a donc conseillé de publier l’article ci-après, qui exprime une position opposée : « A trans-inclusive feminism as a progressive sensibility », de Héloïse Guimin-Fati (publié ici : Observatoire des Transidentités le 4 janvier 2018). Nous avons par ailleurs supprimé l’article incriminé. Une mise au point sera publiée prochainement sur cette affaire.
Meghan Murphy, Sheila Jeffreys, Cathy Brennan, les sites « Feminist Current », « Sisyphe », « TRADFEM », quelques blogs, des groupes Facebook et un tas d’échanges acrimonieux sur les réseaux sociaux nous feraient croire que, pour une partie de la planisphère féministe, un nouvel ennemi est né, se substituant à l’ancien, plus dangereux que celui-ci et, pourtant, circonscris à une infime minorité de la population ; à savoir les Femmes trans*. A les lire et à analyser la violence avec laquelle les deux communautés s’affrontent on penserait que le péril est plus alarmant car insidieux et qu’il sonnerait le glas des luttes féministes contre le patriarcat.
Les arguments et modes de « défense » de ce que d’aucuns appellent les TERFS(1) sont récurrents : opposition antinomique entre les « porteurs de pénis » et les « femmes », instrumentalisation de faits divers et de la violence des réactions de la part de certain.e.s personnes trans., sur-légitimité cissexuelle, mythification des trans*, accusation de liquidation des luttes féministes, le tout mêlant ignorance et mauvaise-foi surréalistes.
La multiplication des interventions et des altercations nous a poussées à réagir. Je vais donc prendre le temps de penser ces méthodes pour y apporter un début de réponse, non pas dans l’espoir de vider la querelle, mais pour offrir à celles-ceux qui se retrouvent confronté.e.s à ce genre d’attaques des pistes de réflexions ou des arguments pour se défendre. La médiatisation de plus en plus grande, qui jette sur nos destins un projecteur cru et déformant, ne fera que braquer celles qui voient en nous des ennemi.e.s. Il est donc utopique de croire que la publication de ce dossier mette fin aux conflits. Comme me l’a dit une amie « souffle sur le feu, il y aura toujours des braises ! »
Cela étant dit, penchons-nous sur l’argumentaire déployé. Et d’abord sur la division corporelle de l’humanité entre « porteurs de pénis » et « femmes ». J’use à dessein de ces deux expressions qui sont souvent opposées sur un pied de non-égalité. De même que lorsque Kathy Brennan se fait photographier en exhibant une figurine affichant « Sorry about your dick » (2) ou que Jules Falquet décrit le sort des recrues masculines du service militaire turc (3), il y a ce besoin de partager et de déshumaniser une partie de l’humanité en, d’un côté, la ramenant à un organe de son corps, le définissant irrémissiblement et de l’opposer à des figures (« les femmes ») dont l’existence individuelle est un construit conscient, une victoire sur leur corps, le plus souvent objectivé, et les injonctions au silence dont elles sont souvent victimes. D’un côté un objet confronté à un sujet. Dans le cas qui nous intéresse ici, cela renvoie les Femmes trans* à ce que beaucoup tentent de dépasser et de transcender (l’assignation à la naissance). C’est simple et souvent, avouons-le, efficace, nous laissant avec une meurtrissure insondable, surtout que l’acte posé l’est avec un plaisir non déguisé, souvent sadique, appuyé sur une foi quasi religieuse. Certain.e.s d’entre nous ne sachant y répondre que par l’agressivité et les excès. Sans excuser ceux-ci, allons un peu plus loin.
Le féminisme radical se défend d’être essentialiste, il ne s’attaquerait qu’à « La » racine du patriarcat pour libérer les femmes de l’oppression des hommes. A les entendre il n’y aurait donc qu’une seule racine à ce système inique, un seul axe d’oppression et de classification qui expliquerait tout et où tout serait soluble. Cette idée du « tout » explicable par un seul schème me fait furieusement penser à la doctrine psychanalytique où ce « tout » est explicable, entre autre, par le concept de « résistance ». Résister c’est la preuve de la névrose et donc du refus d’être soigné.e. Sous entendre qu’à l’axe oppressif homme-femme, peuvent se substituer (ou se superposer) d’autres axes est, sur le même mode, une preuve de misogynie patriarcale et le dossier que vous lisez, qui met en question ces doctrines radicales, le serait tout autant. Dans les deux cas soit vous acceptez soit vous êtes un.e ennemi.e. Il vous faut donc laisser votre libre arbitre et votre conscience aux portes de ces cabinets d’analyse.
L’appartenance à un corps est le juge ultime qui fait de vous soit une victime du patriarcat soit un de ses privilégiés. Kate Louise Gould (4) nous dit qu’elle est « une femme natale. Un être humain femelle adulte » qu’elle a « un vagin et, jusqu’à la ménopause, un cycle menstruel » que « ce ne sont pas des opinions ; ce sont des états de faits biologiques » que « cette biologie peut ne pas définir une femme dans son intégralité — elle a un vagin, elle n’est pas un vagin —, mais elle est essentielle à ce qu’est une femme », pour elle « notre biologie et notre être féminin sont entremêlés » et elle finit par « comme la biologie des hommes avec leur être masculin : un pénis et des testicules sont les marqueurs biologiques de la masculinité ».
Que nous apprend, ou ne nous apprend pas, cette profession de foi ? D’abord, une première chose, assez étonnante pour une personne prédicant la dualité des sexes et des genres, c’est qu’il y aurait des femmes « natales » et donc, à contrario, qu’il y en aurait qui ne le soit pas.
Elle se désigne elle-même comme « femelle humaine », discernant pourtant les corps par leurs seuls organes et caractéristiques procréatrices, atténuant à peine le fait que nous soyons tous.tes des mammifères, en effleurant notre humanité consciente pour finir par lier sexe et « façon d’être au monde » ; le genre, qu’elle ne nomme pas. Parler de « femelles humaines » c’est supposer la « pré-existence de groupes à leur hiérarchisation [en laissant] de côté la question de [leur] constitution » (5). C’est aussi penser les corps en soulignant leur animalité tout en coupant ceux-ci de la perception que nous pouvons en avoir. Que l’oppression des femmes en tant que classe repose en partie sur deux construits reliés : la capacité de reproduction et la capacité sexuelle est une chose facilement vérifiable. Mais pour que cette oppression aie pu s’installer et perdurer il a fallu, d’abord, que TOUS les corps soient pensés selon l’axiome hétérosexualité-procréation.
Ramener la différence des sexes à la seule réalité biologique c’est ; ne pas prendre en compte le construit perceptif de cette réalité. C’est ramener les corps à des « machines » dont le rôle social et singulier est la permanence de l’Humanité. C’est faire croire que le corps est un assemblage d’organes indépendants les uns des autres alors que c’est une intégration, les uns n’ayant d’existence qu’en rapport aux autres, la fonction procréatrice n’en étant qu’une des qualités, ne définissant chaque corps singulier qu’en partie. De plus, « Ce qui permet d’affirmer que ce corps est le mien, c’est le sentiment de propriété lui-même » (6), que seul le point de vue d’une subjectivité ou d’une conscience peut isoler de la masse des autres corps. Et là où il y a conscience, il y a dépassement du stade limitatif de l’animalité darwinienne et possibilité de se libérer du cadre oppressif du contrôle des corps par le patriarcat et de leurs définitions biologiques. L’idée comme quoi les humains seraient déterminables selon leurs caractéristiques sexuelles primaires et secondaires et leur flux d’hormones indépendamment de leurs mises en combinaisons et de la possibilité de penser et la finitude de ces caractéristiques et la modélisation des divers vécus est s’offrir, une fois encore, en offrande à la toute puissante supposée de la Nature. Lors, réduire les corps à quelques organes c’est les vider de ce qui leur donne vie et perspective, c’est, somme toute, tuer ces corps que l’on prétend définir.
Mais ce n’est pas tout. Comment continuer à lier sexe et genre lorsque Christine Delphy, elle-même (5), avance que, « la différence est la façon dont […] on justifie l’inégalité entre les groupes.[…] ces différences ne sont pas seulement des différences, mais aussi des hiérarchies. La société s’en sert pour justifier son traitement « différentiel » – en réalité inégal et hiérarchique- des groupes et individus. […] une « vraie » différence est d’une part réciproque et d’autre part n’implique pas de comparaison au détriment de l’un des termes. Or la différence invoquée sans arrêt à propos des femmes, mais aussi des homosexuel.les, des « arabes », des « noirs, n’est pas réciproque, bien au contraire. […] Cette différence est un stigmate. », plus loin elle ajoute, « cet implicite d’une préexistence des groupes à leur hiérarchisation laisse de côté la question de la constitution des groupes en groupes […] L’impossibilité de rendre compte de leur constitution par autre chose que la volonté de hiérarchiser les individus (de les rassembler en groupes d’inégale valeur) est la clé de toute de ma théorie […] une fois que les groupes sont constitués, on ne se demande plus comment ils ont été constitués. On se demande en quoi ils diffèrent, comme si l’opération par laquelle ils ont été nommés différents, puis traités différemment, était sans rapport avec leurs différences actuelles », enfin, « la biologie est un regard sur la réalité […] il ne peut exister de « vérité biologique ». Et elle termine par ceci ; « le sexe est conceptualisé comme une division naturelle de l’humanité – la division mâles/femelles- division dans laquelle la société met son grain de sel […] si le genre n’existait pas, ce qu’on appelle le sexe serait dénué de signification, et ne serait pas perçu comme important : ce ne serait qu’une différence physique parmi d’autres. […] Je conclus que le genre n’ [a] pas de substrat physique […] qu’au contraire c’ [est] le genre qui [crée] le sexe : autrement dit, qui [donne] un sens à des traits physiques qui, pas plus que le reste de l’univers physique, ne possèdent de sens intrinsèque. […] La plupart des féministes continuent de penser à l’intérieur du paradigme précédent [le sexe comme une division naturelle de l’humanité]. Beaucoup certes font une place au genre : admettent qu’une bonne part, sinon la totalité de ce qu’on appelle « féminité » ou « masculinité » sont des construits sociaux, et se défendent d’appartenir à l’école essentialiste qui postule une différence ontologique et irréductible et totale entre les femmes et les hommes. Néanmoins, elles gardent l’idée que le genre est assis sur un sexe physique, dichotomique et réel : que les catégories de sexe nous sont données par la « nature ». Toujours Delphy ; « les défenses sans cesse renouvelées de « la différence sexuelle » ne font que confirmer l’importance du genre dans nos sociétés : une importance sociale telle qu’elle est apparemment le fondement de notre appréhension du monde. […] Tout se passe comme si la différence des sexes était ce qui donne sens au monde […] cette croyance est si ancrée dans la conscience de chacun.e, qu’elle déborde largement le domaine du genre lui-même, affecte la perception du monde et même la capacité à le percevoir […] La croyance que le « différence sexuelle » est une différence fondamentale, un socle naturel produisant deux principes, féminin et masculin, sur lesquels la société peut et doit s’appuyer, est aussi vieille que notre civilisation historique. ».
Les deux cas de « changement » chirurgical de sexe au II° siècle avant notre ère décris par Jean Lascaratos et Stavros Perentidis (7) confirment que la naturalisation des sexes sur des modèles déterminés est ancienne et un des fondés sur lequel toute la perception du normal et du pathologique reposent quand il s’agit de corps hors du schéma naturaliste. Tout agit comme si nous devions rendre à notre mort le corps que nous avons reçu en l’état et que l’appel à la technique, réputée changer la nature, doit être neutraliser par l’édification de lois (morales ou institutionnelles) pour rétablir les droits de la Nature mise en danger. Le simple désir de modifier les paramètres et les apparences morphologiques ne peut alors qu’être le symptôme d’une déréliction de la raison.
« L’identité du normal et du pathologique est affirmée au bénéfice de la correction du pathologique » (8) sur l’idéologie que toute atteinte à la « Nature » est inconcevable tant celle-ci est réputée saine, indivisible et bienfaitrice. Ce qui permet dès le début du XIX° à la médecine d’apporter son concours savant à une morale qui, au Moyen-Age par exemple, ne parlait que de dégradation de l’âme (9). Les inverti.e.s vont passer des flammes de l’Enfer à l’enfermement pour cause de maladie et de prétentions thérapeutiques. L’idée étant de soigner et qu’au trouble succède l’apaisement. La psychiatrie, et ensuite la psychanalyse, vont être les bras armés de cette normalisation forcée des identités sexuelles déviantes et des expressions « transsexuelles », mettant allégrement le tout dans le même sac en suivant en cela l’exemple de Magnus Hirschfeld, inventeur du terme « transsexualismus » et ayant classifié les identités-attirances en quelques 80 catégories « d’intermédiaires sexuel.le.s » (10). C’est sur ces bases (Harry Benjamin rencontra Hirshfeld au début de sa carrière) que « le modèle transsexuel » s’édifiera, vu comme une réparation d’erreurs successives et dont beaucoup de trans* feront l’expérimentation douloureuse. Car, que se soit dans l’acceptation d’un complexe œdipien « mal » vécu, d’un refus de choix d’objet hétérocentré, que se soit dans la certitude d’un corps-prison, d’un appel, ou d’une condamnation des interventions chirurgicales ou des traitements hormonaux, que se soit dans l’imposition de thérapies réparatrices ou d’acceptation d’un destin donné, ce qui importe à la Société est le retour à la norme de parcours de vie pervertis pas la perversion, la névrose ou le mensonge. Au final quelque soit le point de départ de la projection des vies transidentitaires à la lumière de la naturalité des corps, c’est le destin pathologique funeste qui en est la qualité pernicieuse et finie. Tout est fait, même après « normalisation », pour qui nous n’oublions jamais l’abjection qui est la nôtre.
C’est ce que Meghan Murphy va s’attacher à faire dans son article incendiaire du 21 septembre 2017 traduit pour le site RADFEMS (11). En fait cet article nous en apprend bien plus sur la vision hallucinée que les féministes radicales transphobes ont des personnes trans. que sur l’intégration de celles-ci dans la société civile, intégration qui ne sera de toute façon vue qu’à la lumière d’une invasion-soumission patriarcale.
Cette diatribe part d’un fait déplorable ; l’agression dont a été victime, au Speaker Point d’Hyde Park, une oratrice féministe de la part de trois activistes trans (12). Quel que soit le fossé qui nous sépare, il est hors de question de légitimer la violence. La violence patriarcale, qui est une réalité commune, est ce qui devrait nous unir tous.tes dans une même volonté de combat, et non pas en nous écharpant entre nous. Mais, les condamnations doivent aussi se faire dans les deux sens. Murphy a beau jeu de souligner les tweets détestables adressés, par des activistes trans* et alli.é.s, à celles qui pensent comme elle en omettant, bien entendu, ceux qu’elles sont tout aussi capables d’envoyer en retour ou en amont. Une rapide recherche sur les réseaux sociaux aura vite fait de montrer l’ampleur des dégâts (13). La violence et les invectives sont réciproques mais l’objectif des féministes transphobes est d’exclure les personnes transidentitaites des droits les plus élémentaires en faisant flèches de tout bois.
Car, il ne faut pas se leurrer, que ce soit dans son allocution de mai 2017 devant le comité sénatorial canadien, son contre-rendu de la conférence donnée à Conway Hall, Londres en 2016 ou le texte du 21 septembre, ce qui intéresse Meghan Murphy est de refuser que les droits humains soient appliqués à une partie de la population sous couvert d’un féminisme essentialiste qui aurait seul valeur de loi en instrumentalisant les actes d’une minorité d’entre nous. Son discours ne doit pas cacher l’obédience de certaines féministes radicales aux thèses de Janyce Raymond, dont le rapport de 1980 servit aux autorités américaines et aux diverses assurances pour exclure les « transsexuel.le.s » de toute une série de remboursement de soins de santé entraînant des décès en cascade (14), et à celles de Sheila Jeffreys qui appelle à l’arrêt des chirurgies et des traitements hormonaux considérére.e.s comme contraires aux droits humains (15) et dont l’un des faits d’armes aura été de se fendre de commentaires racistes condamnés par la communauté aborigène australienne (16). Tout le réquisitoire de cette branche du féministe est axé sur la partition « naturelle » des humains et sur l’idée que nous serions atteint.e.s d’une psychopathologie nommée en ce moment « dysphorie de genre », soumis.e.s au patriarcat capitaliste, voir, comme le prétend Jeffreys, parce que c’est une excitation sexuelle qui « fait » de nous des malades. Quant aux hommes trans*, ils sont ravalés au rang de traîtres à la cause des femmes et, parfois, avec paternalisme, de simples brebis égarées éveillant de la commisération, mais le plus régulièrement ils sont ignorés (17).
On peut étudier que la partition du sain et du pathologique se retrouve déjà chez Aristote et sert de modèle classificateur et hiérarchique à une société qui, ailleurs, subordonne sur fond de sexes et aura interdit aux femmes l’accès du domaine public pour des raisons soi-disant « naturelles ». L’agencement du pathologique est une hiérarchie patriarcale, y faire appel pour exclure une part de la population ne peut que réifier une oppression en se faisant les allié.e.s objectif.ive.s de l’oppresseur. On peut dès lors raisonnablement se demander ce qui fait qu’une partie du féminisme radicale aie décidé que les personnes trans* seraient les ennemies à abattre de quelques manières que se soit, en usant d’artifices et de désinformations et en s’appuyant sur des thèses psychiatriques données par le patriarcat lui-même.
Mais en définitive, la question est de savoir, au-delà des arrogances et invectives et des quelques échauffourées ici et là, comment cela se déroule t’il au niveau du terrain ? Là où féministes et personnes trans. se croisent ? Comment cela se déroule t’il dans les lieux LGBTQI, lors des événements communs, des drinks, des actions, des soirées et des festivités ?
Puisque Meghan Murphy parle de différences selon les territoires (le terme de territoire n’est pas anodin, j’en reparlerai plus loin), parlons donc du « territoire » belge où je milite.
En fait, cela se passe bien et de manière tout à fait cordiale et pacifique.
En tant qu’administratrice de l’association Genres Pluriels et responsable de deux de nos permanences, je suis amenée à fréquenter et à accueillir énormément de personnes. Que se soit à Bruxelles, Liège ou Verviers, cis*, trans*, gays, lesbiennes, hétéros, féministes, queers, hommes, femmes, inters., non-binaires etc se croisent, se saluent, échangent des propos, s’organisent ensemble, se soutiennent sans que cela ne posent le moindre problème. Ces derniers mois, notre association s’est associée avec le L-Festival (18) et le festival Pink Screens (19), comme chaque année. Dans le cadre de notre festival, nous avons mis sur pied plusieurs soirées avec une autre association qui accueille les réfugié.e.s et les migrant.e.s afin de parler de la situation des personnes transidentitaires venant de ces pays (20). Enfin, nous avons organisé un colloque transféministe pour parler de la trans-sectionnalité des oppressions et où en collaboration avec des personnes de tout horizon, entre autres de l’ASBL Garance (21), nous pourrons questionner l’auto-santé, l’appréhension des corps dit hors-norme, parler des attitudes de réappropriation de nos identités multiples et complexes, de la pathologisation et de tant d’autres injonctions patriarcales (22).
Dès lors comment doit-ont, interpréter leur attitude et les demandes de formations à l’accueil des personne trans* par une association comme Liège Gay Sport, dont la majeure partie des affilié.e.s sont des gays et des lesbiennes et qui désire nous accueillir et pouvoir réagir contre les réactions transphobes lors de leurs événements sportifs? Comment interpréter que le L-Festival et d’autres associations lesbiennes ne se sentent pas agressées par la simple présence de F Trans*, qui contrairement à ce qu’en a dit JJ Barnes, dans un autre article des plus surréalistes, relayé par Christine Delphy (via TRADFEMS) et publié au départ sur Feminist Current (le chemin pris par ce texte n’est pas innocent) (23), ne cherchent pas à obliger les lesbiennes à avoir des relations sexuelles avec des « femmes à pénis » qui n’ont guère peur des viols correctifs dont nous serions les nouvelles portes-drapeau (24) ?
Je me pose donc cette question, si toutes ces femmes « natales », pour reprendre l’expression de Kate Louise Gould, ne se sentent pas en danger, est-donc parce qu’elles se sont soumises aux lois du patriarcat ? Est-ce que, lorsque Mirabal Belgium invite notre association à participer à « la manifestation féministe nationale » contre le féminicide, les organisatrices trahissent la cause des seules « vraies » femmes ? Et, quand le festival Cinéffable poste ce message sur son Facebook : « Nous regrettons d’apprendre ce qui s’est passé avant 2008. A ce moment-là, le positionnement de l’association Cineffable n’était peut-être pas suffisamment clair en ce qui concerne l’accès au Festival. Nous avons désormais clarifié ce positionnement. Le Festival est un espace ouvert à toute personne s’identifiant en tant que femme. Le choix de venir ou non de participer au festival appartient à chacunE. Nous sensibiliserons également les personnes qui assurent la sécurité à l’entrée du Festival afin qu’un tel événement ne se reproduise pas. En cas de problème, n’hésitez pas à solliciter une membre de l’équipe organisatrice. » (25), devons-nous supposer que ce festival renie la cause des femmes « biologiques » et se soumet aux invectives et à la violence des personnes transidentitaires, agentes infiltrées du patriarcat honni en abandonnant les luttes féministes et lesbiennes ? Et que dire des excuses de Gloria Steinem, qui a longtemps professer les idées de Raymond (26) mais qui en octobre 2013 expliquait : « Alors maintenant je veux être sans équivoque dans mes mots: Je crois que les personnes transgenres, y compris celles qui ont fait la transition, vivent des vies réelles et authentiques. Ces vies devraient être célébrées, pas questionnées. Leurs décisions en matière de soins de santé devraient être les leurs et être les seules à en décider. Et ce que j’ai écris il y a des décennies ne reflète pas ce que nous savons aujourd’hui, puisque nous nous éloignons seulement des cases binaires du «masculin» ou du «féminin» et que nous commençons à vivre sur le continuum humain de l’identité et de l’expression. » (27)
En conclusion, et si tout cela n’était rien d’autres qu’une question de territoire et de la perte d’un illusoire monopole dans l’action politique contre le patriarcat ? Et si au final, la multiplicité des luttes et les glissements des diverses oppressions et stigmatisations dues à cette organisation sociétale millénaire, capable de se régénérer tel une hydre, ne déstabilisaient pas une certaine idéologie radicale qui en est obligée à défendre un essentialisme abscons, usant du genre comme d’un outil contraignant à une partition de plus en plus abstraite pour combattre plus aisément un ennemi bien défini quitte a condamner toutes celles.ceux qui ne se contenteraient pas d’une seule grille d’analyse, ou refuseraient de ne penser la lutte contre le dit patriarcat que comme l’affaire des seules femmes « natales » adhérentes aux dogmes de Janice Raymond et Sheila Jeffreys?
Fort heureusement, le féminisme est riche de possibilités et l’on peut sans problème penser son investissement en liant Christine Delphy, malgré ses errances contemporaines, Michel Foucault et Judith Butler. Car, la masse des savoirs est telle qu’il serait bien dommage de se priver des possibilités qu’ils nous offrent afin de penser et actionner d’une manière personnelle et commune nos investissements à défaire le genre, à en refuser le dogmatisme et, au-delà, à récuser au patriarcat le poids qu’il s’arroge dans nos existences, nos éducations et nos luttes.
NOTES
1 Le terme Trans-Exclusionary Radical Feminism, TERFS, est devenu au fil du temps une insulte jetée en réponses aux diverses agressions et conflits entre certaine.e.s activistes trans., leurs allié.e.s et une partie des féministes radicales. En ce qui me concerne je l’utilise assez peu, lui préférant le terme « féministes radicales transphobes », voir « féministes transphobes ». Dans ce cadre-ci, j’en use, pour poser et délimiter l’objet de mon article.
2 http://planettransgender.com/sorry-about-your-dick-an-interview-with-cathy-brennan/
3 Jules FALQUET. « Au delà des larmes des hommes : l’institution du service militaire en Turquie » in « pax neoliberalia » Edts racine de iXe. 2017. Quelques précisons s’imposent tout de même. Si dans ce texte Falquet articule son discours dans une séparation biologique sexo-centrée, elle évoque l’idée (sans l’approfondir) que la soumission à une attitude de « type » masculine opposée à une attitude de « type » féminine est la condition essentielle pour être accueilli dans la communauté des « mâles » effectuant leur service militaire en Turquie. Elle évacue trop facilement à mon goût cet acte de soumission porteur en lui-même de discriminations et d’oppressions pour faire valoir une analyse très juste du masculinisme militaire, fondateur et fédérateur d’une identité virile. Elle base son analyse du destin trans* au sein des corps d’armée sur un seul exemple qui, cependant, démontre bien le caractère inique de l’injonction genrée imposée à la f trans* dont il est question dans l’étude sur laquelle elle se base. Tout porte à croire que pour ne pas déforcer son discours, mais je ne vois pas en quoi, que du contraire, elle avait besoin de taire une oppression spécifique, basée sur la binarité des sexe-genres, alors que c’est justement cette oppression duale qui est l’objet de son travail. On peut aussi se demander pourquoi elle tend à minimiser l’exclusion dont les gays sont victimes au sein même des rangs de l’Armée turque ? Mais le titre donne, je pense, la réponse.
4 https://tradfem.wordpress.com/2017/10/27/transfemmes-les-nouveaux-misogynes/
5 Christine Delphy «L’ennemi principal : 2 Penser le Genre » Edts Syllepse 2013
6.Maine de Biran « Essai sur les fondateurs de la psychologie » Edts Tisserand. 1982
7 Jean Lascaratos et Stavros Perenditis « Deux cas de changement chirurgical de sexe au II° siècle avant notre ère : approche historique » in « Les assises du corps transformé ». Edts Les Etudes Hospitalières . 2010
8 Georges Canguilhem « Le normal et le pathologique » Edts Puf 2017
9.Jean Verdon « Le plaisir au Moyen Age » Edts Tempus 2010
10 https://fr.scribd.com/doc/32692115/Hommage-to-Magnus-Hirschfeld-FR
12 http://www.newnownext.com/terf-hyde-park-transgender/09/2017/. Dans cet article vous pourrez voir que, contrairement à ce qu’avance Meghan Murphy, l’association Trans Health London a condamné l’agression de Maria MacLachlan par trois activistes se revendiquant être de ses membres.
https://twitter.com/hashtag/terfs?lang=fr
14.http://transadvocate.com/fact-checking-janice-raymond-the-nchct-report_n_14554.htm http://transgriot.blogspot.be/2010/09/why-trans-community-hates-dr-janice-g.html. Pour être complète voici la défense de Raymond sur son propre site, vous pourrez ainsi vous faire votre propre opinion : http://janiceraymond.com/fictions-and-facts-about-the-transsexual-empire/
15.http://journals.sagepub.com/doi/pdf/10.1177/1363460715583452 https://www.newyorker.com/magazine/2014/08/04/woman-2
17 https://monsieursilvousplait.wordpress.com/2017/02/17/mecs-trans-et-feminisme/
18 http://rainbowhouse.be/fr/projet/l-festival/
22 https://www.genrespluriels.be/18-11-17-Colloque-Transfeminisme-s-et-Intersectionnalite-s
24 https://reflexionstrans.wordpress.com/2017/08/03/premier-article-de-blog/
25 https://www.facebook.com/pg/Cineffable-101128133261457/reviews/ . Voir le commentaire du 26 juin 2016 et sa réponse du 28 par l’organisation du festival.
26 http://transgriot.blogspot.be/2012/09/gloria-steinem-transphobe.html
27 https://www.advocate.com/commentary/2013/10/02/op-ed-working-together-over-time
28 Le titre de mon texte est inspiré d’un article paru sur le site Progress Queen dont je partage le lien ci-après: http://www.progressqueens.com/news/2017/10/2/some-feminists-embrace-oppression-by-continuing-to-exclude-trans-women-from-language-of-legal-protections-activists. Pour continuer, et penser globalement, les deux liens suivants émanent d’une redneck-hippie végétarienne comme elle se définit et démontre qu’on peut être féministe radicale et citer Andrea Dworkin sans pour autant être transphobe http://daisysdeadair.blogspot.be/2009/08/andrea-dworkin-on-transgender.html# , http://daisysdeadair.blogspot.be/2009/05/censorship-and-radical-feminist.html
29 Je ne peux m’empêcher de terminer mon article sans citer ce très beau texte d’une association féministe américaine ayant fêté ses 50 ans d’existence il y a peu. http://www.radicalwomen.org/transphobia.shtml