Au nom des droits des femmes ? Fémonationalisme et néolibéralisme

 

Sara R. Farris est une féministe marxiste qui mène des recherches sur le fémonationalisme. Elle vient de publier In the Name of Women’s Rights. The rise of Femonationalism, Duke 2017. Nous publions ici l’intervention qu’elle a faite à l’EHESS le 6 novembre dernier pour présenter son ouvrage.

 

Je pensais commencer par vous parler un peu de ce qui m’a poussé à écrire ce livre. En 2011, je vivais en Allemagne et avec quelques collègues j’ai organisé une conférence sur la mobilisation des idées féministes par la droite. Le livre de Jasbir Puar sur l’homonationalisme[1] avait été publié quelques années plus tôt et avait lancé un débat important sur ce qu’elle appelait les collusions entre le mouvement gay et LGBT aux États-Unis et le nationalisme américain et l’islamophobie. En Europe, un certain nombre d’analystes politiques, de féministes et de sociologues se demandaient : comment les partis d’extrême droite essayaient de nous convaincre qu’ils se préoccupaient des droits des femmes et qu’ils voulaient combattre l’Islam pour défendre ces droits.

Ayant travaillé pendant plusieurs années sur les questions de migration des femmes et en particulier sur les stéréotypes et les représentations des femmes migrantes et musulmanes en Europe, j’étais très intéressée par toutes ces questions et notamment par la compréhension des soi-disant « récits de sauvetage » (rescue narratives) que la droite et les néolibéraux, mais aussi quelques féministes, utilisaient lorsqu’ils parlaient des communautés musulmanes et migrantes et affirmaient que ces femmes devaient être émancipées de leurs cultures arriérées.

Mais cependant, je n’étais pas entièrement satisfaite des réponses fournies par les études antérieures. D’autant que j’appartiens à ce courant féministe qu’est le féminisme marxiste : j’étais donc intéressée par la possibilité d’identifier une logique politico-économique derrière ces « récits de sauvetage ». Je voulais examiner si la stigmatisation soudaine des hommes musulmans et migrants au nom des droits des femmes avait aussi quelque chose à voir avec la position des femmes musulmanes et migrantes dans l’arène économique. J’ai donc commencé à examiner ces problèmes et à travailler sur un projet qui a finalement été développé dans ce livre.

Dans le temps dont je dispose, je voudrais vous exposer les principaux arguments que je présente dans mon livre. Tout d’abord, ce livre analyse ce que j’appelle la convergence autour de la politique anti-islam de trois agendas politiques très différents : les nationalistes de droite, les féministes, et les politiques néolibérales.

J’analyse cette convergence dans trois pays qui ont montré des similitudes importantes dans la façon dont cette convergence a eu lieu : la France, les Pays-Bas et l’Italie. De Geert Wilders aux Pays-Bas à Matteo Salvini en Italie, en passant par Marine Le Pen en France, l’un des thèmes centraux mobilisés par ces nationalistes de droite est le danger éminent que les hommes musulmans représentent pour les sociétés européennes occidentales, notamment en raison de l’oppression qu’ils font peser sur les femmes. De l’autre côté du spectre politique, des féministes notoires ont également rejoint le chœur anti-islam.

Tout au long des années 2000, la philosophe féministe Élisabeth Badinter, la politicienne hollandaise Ayan Hirsi Ali et la célèbre « féministe occasionnelle » Oriana Fallaci ont dénoncé les communautés musulmanes comme relevant d’une exception sexuelle, les opposant aux pays occidentaux où les rapports de genres sont d’une nature meilleure. De même, les organisations de femmes ainsi que les bureaucrates de haut rang des agences gouvernementales pour l’égalité des sexes – souvent qualifiées de fémocrates – ont tous identifié les pratiques religieuses islamiques comme particulièrement patriarcales, soutenant qu’elles n’avaient aucune place dans la sphère publique occidentale.

En conséquence, ils ont tous endossé des propositions législatives telles que l’interdiction du voile, tout en dépeignant les femmes musulmanes comme des victimes passives qui ont besoin d’être sauvées et émancipées. Ce front féministe hétérogène anti-islam présente donc le sexisme et le patriarcat comme le domaine presque exclusif de l’Autre musulman.

La rencontre singulière entre les agendas anti-islam et la rhétorique émancipatrice des droits des femmes ne se limite toutefois pas aux nationalistes et aux féministes. Les défenseurs néolibéraux ont également déployé de plus en plus de représentations anti-islam au nom des droits des femmes. Un bon exemple se trouve dans les programmes d’intégration civique pour les migrantes – qui, comme je l’expliquerai, sont un symbole du néolibéralisme. Conçus pour favoriser l’intégration des migrants dans les sociétés européennes, ces programmes ont conditionné l’octroi aux migrants des permis de résidence de longue durée à leur engagement à apprendre la langue, la culture et les valeurs du pays d’immigration. Ils exhortent ainsi les migrants à reconnaître les droits des femmes comme une valeur centrale de l’Occident et à s’assimiler aux pratiques culturelles occidentales, qui sont présentées comme plus civilisées.

À la lumière de ces pratiques, la question que j’explore dans mon livre est la suivante : pourquoi ces différents mouvements invoquent les mêmes principes et désignent les hommes musulmans comme l’une des menaces les plus dangereuses pour les sociétés occidentales ? Sommes-nous témoins de la montée d’une nouvelle alliance durable, ou est-ce que ce qui apparaît comme un consensus à travers tout le spectre politique n’est que fortuit et contingent ? Et enfin, pourquoi les femmes musulmanes se voient-elles proposer des offres d’« émancipation » et de « sauvetage » dans un contexte d’islamophobie et de sentiments anti-immigrés croissants, notamment en matière d’emploi et de protection sociale ? Pour répondre à ces questions et cerner la logique politico-économique qui sous-tend cette convergence inattendue entre les différents agendas politiques, j’ai forgé le terme de fémonationalisme.

Le fémonationalisme renvoie à la fois à l’exploitation des thèmes féministes par les nationalistes et les néolibéraux dans les campagnes anti-islam (mais aussi, comme je le montrerai, anti-immigration) et à la participation de certaines féministes à la stigmatisation des hommes musulmans sous la bannière de l’égalité des sexes. Le fémonationalisme décrit ainsi, d’une part, les tentatives des partis de droite et des néolibéraux de faire avancer la politique xénophobe et raciste par la promotion de l’égalité des sexes, et d’autre part, l’implication de diverses féministes dans les représentations de l’Islam comme une religion et une culture misogynes par excellence.

Dans cette intervention, je veux suggérer que le fémonationalisme doit être compris comme une idéologie qui provient d’un mode de rencontre spécifique, ou de ce que je préfère appeler une convergence, entre différents projets politiques, et qui est produite par, et qui produit, une logique spécifiquement économique. La partie suivante de cette présentation est donc consacrée à la clarification d’une dimension clé du fémonationalisme. Il s’agit pour moi d’expliquer le fémonationalisme comme une économie politique néolibérale.

Comme je l’ai dit au début, très peu d’études ont tenté d’explorer les fondements économiques et politiques de ces convergences idéologiques. Les quelques études qui ont essayé de prendre en compte les dimensions politiques et économiques du virage vers la question de genre et la question gay pris par des politiques conservatrices, néolibérales ou racistes ont principalement fait référence au néolibéralisme comme le cadre contextuel dans lequel opérait ce virage.

Par exemple, Sirma Bilge soutient que la possibilité que le genre et la sexualité deviennent un « champ opératoire des nationalismes racistes et impérialistes » est principalement due à leur « adéquation » avec le mode néolibéral de dissimulation des inégalités structurelles derrière les conflits culturels. Ces études, cependant, abordent le néolibéralisme comme le théâtre économique de la rencontre entre ces différentes forces, mais non comme l’un des personnages principaux de la scène. Tout en étant d’accord sur le fait que le néolibéralisme est central pour comprendre ces phénomènes, je défends l’idée que le néolibéralisme n’est pas simplement le contexte économique où s’effectue la convergence évoquée précédemment, mais qu’il est lui-même constitutif d’une telle convergence.

Le principal exemple ici tient dans les politiques d’intégration civique pour les migrantes. Ces politiques sont extrêmement importantes à la fois parce qu’elles témoignent de la participation des néolibéraux à la stigmatisation des musulmans et des immigrés au nom des droits des femmes, et parce qu’elles rappellent fortement que le féminisme n’est pas seulement un discours flottant confiné aux médias, mais qu’il se traduit concrètement par des politiques réelles. Comme je l’ai mentionné au début de mon exposé, ces politiques exigent que, afin d’obtenir leur droit de résidence, les migrants apprennent ce que l’on prétend être les principaux principes culturels des États européens. L’égalité des genres est ici présentée comme un pilier de la nation européenne occidentale, et la déclaration de respect des droits des femmes est devenue une condition d’établissement en Europe pour les migrants.

Cependant, il convient de noter que les programmes d’intégration civique ont non seulement une dimension culturelle, mais aussi une forte composante économique. Avec la création du Fonds européen d’intégration en 2007 – destiné à financer des initiatives de différentes organisations européennes visant à faciliter l’intégration des migrants – les politiques d’intégration civique aux Pays-Bas, en France et en Italie ont ciblé les femmes en particulier. L’un des objectifs de ce fonds est en effet de fournir des ressources matérielles à des programmes qui aident les femmes migrantes à s’intégrer économiquement en trouvant un emploi.

Un ensemble important de données statistiques, d’études transnationales et de documents politiques a été progressivement élaboré au niveau de l’Union Européenne ces dernières années, mettant en évidence des taux d’emploi et d’activité inférieurs pour les femmes migrantes par rapport à ceux des hommes migrants non occidentaux. Plus ou moins explicitement, les faibles taux de participation de ces femmes à la main-d’œuvre sont attribués à leurs origines culturelles arriérées, jugées responsables du maintien des femmes migrantes musulmanes et non occidentales dans un état de sujétion et de dépendance économique et, par conséquent, les décourageant d’entrer sur le marché du travail.

Afin de garantir les ressources fournies par les fonds d’intégration, un certain nombre de programmes ont été adoptés depuis 2007 pour promouvoir l’entrée sur le marché du travail national des femmes migrantes issues de pays non européens. Il est à noter que, dans les trois pays sur lesquels je me concentre, certaines organisations de femmes et féministes ont été en première ligne pour faire des propositions visant à encourager l’intégration des femmes migrantes au marché du travail. Par exemple, en France depuis 2009, la loi sur l’intégration des migrants a instauré un «bilan de compétences professionnelles» comme exigence obligatoire pour tous les signataires du contrat d’accueil et d’intégration [CAI].

Les migrants qui signent le CAI doivent suivre un cours de trois heures, au cours duquel leurs certificats scolaires et les documents certifiant leurs compétences et leur expérience de travail sont évalués. Selon les données officielles publiées en 2011, 58,7% des signataires d’un CAI ont fourni un bilan professionnel ; 65% d’entre eux étaient des femmes. La mise en œuvre du bilan de compétences professionnel obligatoire a été présentée au public comme un moyen de promouvoir l’intégration des migrants, selon l’idée que « l’accès à l’emploi est l’une des priorités du gouvernement français dans le but de faciliter l’intégration des nouveaux arrivants dans la Société française ».

En outre, il a été envisagé comme un instrument permettant de lutter contre la position défavorisée de la population migrante sur le marché du travail, en particulier de sa composante féminine. Bien qu’elle ait été présentée comme un moyen d’évaluer les compétences et les attitudes des nouveaux arrivants afin de les aider à adapter leur recherche d’emploi à leurs compétences, la stratégie visant à s’attaquer aux taux réduits d’activité et d’emploi des migrants, en particulier des femmes, les a en fait conduits non vers les secteurs pour lesquels ils ont des diplômes et/ou une expérience de travail, mais vers les secteurs confrontés à des pénuries de main-d’œuvre.

Depuis la fin des années 2000, les gouvernements français successifs ont signé des accords avec les représentants des branches économiques qui ont des difficultés à recruter des travailleurs nés au pays; notamment l’Agence nationale des services à la personne (ANSP), le secteur du nettoyage et de l’économie sociale, le secteur de la restauration et de l’hôtellerie.

L’orientation des femmes migrantes en voie d’insertion civique vers les secteurs de l’accueil et du ménage et du travail domestique en France comme aux Pays-Bas, est également mise en œuvre à travers des programmes spécifiques financés par le Fonds européen d’intégration. Depuis 2008, le Pôle Emploi français – qui est coordonné avec plusieurs associations bénéficiaires des fonds du FEI depuis 2008 comme le Centre National d’Information sur les Droits des Femmes et des Familles – a signé un accord avec le Ministère de l’Immigration et l’Agence nationale des services à la personne, afin de promouvoir les services ménagers comme une opportunité d’emploi pour les femmes migrantes participant au programme d’intégration.

En outre, le FEI a régulièrement financé l’organisation basée à Bordeaux, Promofemmes, pour offrir une formation aux femmes migrantes afin de les aider à trouver un emploi dans le secteur du nettoyage et de l’hôtellerie. Dans l’ensemble, l’encouragement des femmes migrantes à être actives sur le marché du travail et l’identification de mécanismes (comme le bilan des compétences professionnelles) destinés à les aider à surmonter les obstacles qu’elles rencontrent, les orientent de facto vers les emplois dont les femmes et les hommes français ne veulent pas : ménage, nettoyage, baby-sitting, soins infirmiers et aide à la personne.

En dépit de l’importance donnée par diverses féministes, organisations féminines et fémocrates, à la nécessité pour ces femmes de s’émanciper en entrant dans la sphère publique productive, les femmes migrantes ont en réalité été confinées aux soins et au travail domestique dans la sphère privée. Il y a donc une contradiction à ce que les féministes réclament l’émancipation des femmes migrantes et musulmanes tout en les dirigeant vers la sphère de laquelle le mouvement féministe avait historiquement tenté de libérer les femmes. Mais il est important de mentionner ici le rôle actif des gouvernements de droite et de certains partis de droite nationalistes dans ces politiques visant à orienter ces femmes dans le secteur des soins et du secteur reproductif domestique ou social.

Par exemple, lors de la crise économique mondiale de 2007-2011, le gouvernement italien de Berlusconi a supprimé de nouveaux quotas d’immigration, présentés comme une réponse à la crise économique qui semblait avoir rendu inutile le recours aux travailleurs migrants. Cependant, une exception a été faite pour les travailleuses domestiques et de soins. En 2009, le gouvernement a donc accordé une régularisation uniquement pour les migrants irréguliers qui travaillaient comme domestiques, car c’était considéré comme le seul secteur où la demande de main-d’œuvre ne pouvait être satisfaite par l’offre nationale. A cette occasion, Roberto Maroni de la Ligue du Nord (alors Ministre de l’Intérieur) a de nouveau déclaré :

« Il ne peut y avoir de régularisation pour ceux qui sont entrés illégalement, pour ceux qui violent une femme ou volent une villa, mais nous prendrons en compte toutes ces situations qui ont un fort impact social, comme dans le cas des soignants migrants. »

Les partis anti-immigrés de droite, tels que la Ligue du Nord, étaient donc prêts à fermer les yeux sur les sans-papiers quand il s’agit de femmes travaillant dans le secteur domestique et des soins, même en période de crise économique. Il y a trois ans, j’ai effectué une analyse détaillée des données sur les performances économiques des migrants non occidentaux entre 2007 et 2013, en termes d’évolution de l’emploi et des secteurs où ils sont employés.

Ces données montrent que les migrantes musulmanes et non occidentales ont non seulement été épargnées pendant la crise, mais que leurs taux d’emploi et d’activité ont même augmenté au cours de ces années. Contrairement aux hommes migrants non occidentaux, qui trouvent le plus souvent un emploi dans des secteurs économiques tels que la construction ou la fabrication, où les délocalisations et fermetures de sites de production peuvent facilement être utilisées comme dispositifs de « gestion de crise » pour réduire le nombre de travailleurs, les femmes migrantes non occidentales sont principalement employées dans les secteurs du soin et de l’économie domestique.

Ce sont des secteurs auxquels les opérations classiques de gestion de crise du capital ne s’appliquent pas : la reproduction sociale, tout simplement, ne peut être délocalisée ou fermée en période de crise économique. Le travail de soin doit continuer même pendant les périodes de récession afin de garantir le fonctionnement quotidien de nos sociétés. En effet, dans le contexte actuel de croissance des taux d’emploi de femmes d’Europe occidentale, ce sont de plus en plus des femmes migrantes musulmanes et non occidentales qui s’occupent des enfants, des personnes handicapées et des personnes âgées. Cela se produit précisément à un moment historique où l’Europe occidentale privatise à la fois les services d’aide publique et de soins et est confrontée à une population vieillissante de plus en plus importante.

En d’autres termes, ce n’est pas un hasard si les programmes d’intégration civique encouragent les femmes migrantes musulmanes et non occidentales à trouver un emploi dans le secteur des soins et du travail domestique. Il s’agit en fait d’un secteur pour lequel la demande est en augmentation, en particulier dans une situation où la population vieillit rapidement mais où les femmes européennes ne veulent pas travailler comme soignantes. L’accent mis sur l’intégration des femmes migrantes non occidentales dans leur processus d’intégration et d’émancipation, y compris par des offres d’emploi, est donc possible car elles occupent, contrairement aux hommes migrants, un rôle stratégique dans le secteur de la reproduction sociale des enfants, les soins aux personnes âgées et le nettoyage.

Plutôt que des « voleurs d’emplois », les femmes migrantes musulmanes et non occidentales sont présentées comme celles qui permettent aux habitants d’Europe occidentale, et particulièrement aux femmes, de travailler dans la sphère publique en fournissant les soins que la restructuration néolibérale a marchandisés. En conclusion, je voudrais suggérer que le double standard appliqué aux femmes migrantes musulmanes et non occidentales dans l’imaginaire public en tant qu’individus ayant besoin d’une attention particulière, voire d’un « sauvetage », fonctionne comme un outil idéologique étroitement lié à leur rôle clé (présent ou futur) dans la reproduction des conditions matérielles de la reproduction sociale.

Le fémonationalisme doit être compris comme faisant partie intégrante de la réorganisation spécifiquement néolibérale du bien-être, du travail et des politiques migratoires des États qui ont eu lieu dans le contexte de la crise financière mondiale et, plus généralement, de la crise sociale occidentale. La possibilité que les nationalistes et les néolibéraux puissent exploiter les idéaux émancipateurs de l’égalité de genres, ainsi que la convergence de féministes et fémocrates avec des politiques anti-émancipatrices et xénophobes, provient en grande partie de la reconfiguration spécifiquement néolibérale de l’économie de l’Europe occidentale de ces trente dernières années.

 

Notes

[1] Jasbir Puar, Homonationalisme. Politiques queers après le 11 septembre, Paris, Amsterdam, 2012.

La Politique du voile

Joan W. Scott, La Politique du voile. Traduit de l’anglais par Idith Fontaine et Joëlle Marelli, Éditions Amsterdam, 2017. (Une note de lecture à retrouver sur le site Antiopées)

L’édition originale de ce livre date de dix ans déjà (The Politics of the Veil, Princeton University Press, 2007). Et la première « affaire du voile » de 1989… bientôt trente ans ! J’avoue que j’avais tendance, jusqu’à cette lecture, à associer le développement de l’islamophobie en Occident, et particulièrement en France, au contrecoup des attentats du 11 septembre 2001 et à la guerre antiterroriste lancée par les États-Unis. L’un des mérites du livre de Joan Scott est de resituer ce phénomène dans la longue durée de l’histoire de France, et plus précisément de l’histoire du racisme français. Compris dans cette perspective, le terme « islamophobie » pourrait bien ne caractériser que la forme particulière de ce racisme tel qu’il s’exprime aujourd’hui – par exemple en montant en épingle l’« affaire » Tariq Ramadan dont l’image du phallus démesuré publié à la une de Charlie Hebdo sert opportunément à cacher la forêt de bites mises en cause par les campagnes #MeeToo et #BalanceTonPorc – attention, je ne cherche pas ici à défendre un phallus au motif que son porteur serait musulman, et donc persécuté comme tel ; pas plus que je ne cherche à insinuer qu’il y aurait là un plan délibéré (du genre : montrons ceci pour cacher cela) ; je tiens à dire cependant qu’il n’est qu’un parmi une foultitude dont l’écrasante majorité pendouillent entre les cuisses de (petits et grands) bourgeois blancs. Ou comme l’écrit Jean Baubérot, historien de la laïcité (Mediapart, 18 novembre 2017) : « Un “leader musulman” est sur la scène ; les autres personnages ont, automatiquement, quasiment disparu de cette dernière, puisqu’on a celui-là, “laïcité merci”, à se mettre sous la dent. »

Joan Scott commence par rappeler ce que furent « les affaires du voile » (chap. 1). Ici, je ne peux pas ne pas me demander ce qu’en penseront nos descendant·e·s dans quelques lustres. Illes oscilleront probablement entre stupéfaction et dégoût : ainsi, sous prétexte de laïcité et d’émancipation des femmes, on excluait à cette époque des jeunes filles de l’école publique juste parce qu’elles portaient un accessoire vestimentaire marquant leur adhésion à l’islam. Quelques dizaines, voire quelques centaines de ces adolescentes représentaient une menace mortelle pour la République. L’école républicaine, justement, censée jusqu’alors être le meilleur moyen de lutte contre l’obscurantisme, et qui avait réussi à éradiquer toutes les cultures particularistes des derniers recoins l’hexagone (entre autres en imposant le français comme langue unique et obligatoire et le « roman national » comme seul récit historique admissible), l’école publique, laïque et obligatoire capitulait en rase campagne devant quelques gamines têtues. On comprend qu’il nous manque quelques éléments d’explication. « Tout commence, écrit Joan Scott, le 3 octobre 1989 lorsque trois jeunes filles musulmanes refusant d’ôter leur foulard sont exclues de leur collège dans la ville de Creil, dans l’Oise. Leur établissement se trouve dans une zone d’éducation prioritaire (ZEP) qualifiée de “poubelle sociale” par le principal du collège, Ernest Chénière. » Ce sinistre personnage, que nous retrouverons très vite, déclarera un peu plus tard (au journal Le Monde, en 1993) avoir agi au nom de la “laïcité”, contre « la stratégie insidieuse du djihad ». Tout est déjà dit, ou presque. La laïcité selon les nouveaux hussards de la République, c’est renvoyer les religions (au moins l’islam) à la sphère privée, tandis que la République et son ombre, la démocratie, occuperaient tout l’espace public, et spécialement l’espace sacralisé par eux, ce qui ne manque pas d’être paradoxal, de l’école publique, justement. Si vous êtes fidèle de telle ou telle obédience, je n’ai pas à venir vous expliquer l’absurdité de cette conception qui prétend faire de la religion une affaire privée. Je ne ferai pas l’injure aux autres lecteurs et lectrices de penser qu’illes ignorent que se dire athée ne signifie pas encore, et ne signifiera jamais ne croire en rien, ou, pour le dire autrement, échapper purement et simplement à tout régime de croyance. Les fanatiques de la laïcité nous en donnent précisément une brutale et consternante démonstration. Quant au « djihad », son utilisation par ces mêmes fanatiques me fait penser à l’utilisation du sexe par l’industrie pornographique : tout ce qu’ils touchent devient obscène. Bref. En 1989, on venait juste de célébrer avec pompe et fracas le bicentenaire de la dite Grande Révolution – mais on avait surtout mis l’accent sur les institutions qu’elle nous a léguées et pas sur les révolutionnaires décrits par Éric Vuillard dans son excellent 14 juillet, pour prendre l’un des derniers textes parus là-dessus. Au niveau international, il y avait aussi, nous rappelle Joan Scott, la fatwa de l’ayatollah Khomeini contre Salman Rushdie et ses satanés versets, et encore le début de la première intifada palestinienne contre l’occupation israélienne. Dans ce contexte, la première « affaire du voile » allait servir à stigmatiser un peu plus les habitant·e·s des quartiers « susceptibles », tout en posant l’équation jeune-issu·e-de-l’immigration = musulman = islamiste = terroriste (sans parler des stéréotypes du garçon arabe et de la femme voilée donc arabe aussi).

On retrouve un peu plus tard l’ancien principal du collège de Creil à l’Assemblée où il a été porté par la « vague bleue » de 1993 qui a donné une large majorité au RPR. Après un an de « croisade anti-foulard » (dixit Le Monde) et plusieurs incidents dans des établissements scolaires, il finit par obtenir de François Bayrou, alors ministre de l’Éducation nationale, une circulaire interdisant les signes « ostentatoires » d’appartenance religieuse à l’école. Soixante-neuf jeunes filles furent exclues de divers établissements pour avoir arboré de tels signes « ostentatoires », que la plupart des protagonistes du « débat » (c’est-à-dire tout le monde sauf les premières concernées et leurs proches) s’accordèrent à appeler « voile » alors qu’il s’agissait la plupart du temps de simples foulards. La circulaire fut cassée par le Conseil d’État, qui laissa aux chefs d’établissements le soin d’apprécier ce qu’il convenait d’accepter ou non comme vêture de leurs élèves. Enfin, dix ans plus tard (en 2004), une loi interdisant le port de signes ostensibles d’appartenance religieuse fut adoptée. Comme pour la première « affaire » de 1989, Joan Scott revient sur le contexte politique national et international qui pouvait expliquer en partie les crises d’hystérie de la classe politique et médiatique, mais aussi d’une grande partie des enseignant·e·s et des féministes françaises autour du port du « voile » par une fraction toujours très minoritaire des élèves – françaises elles aussi pour la plupart, il importe de le rappeler. Elle parle bien sûr de la situation au Proche-Orient, des guerres du Golfe et, sur le plan intérieur, de la résistible ascension de Jean-Marie Le Pen. Pourtant, « ce serait une erreur », poursuit-elle, « d’attribuer à la seule influence [de ce dernier] toute l’hostilité dirigée contre le foulard. » Bien sûr que la dénonciation de l’immigration a toujours constitué le fonds de commerce du Front national, et que ses scores grimpant d’une élection à l’autre, les autres partis ont repris la plupart de ses propositions. Mais il est vrai aussi que les positions racistes de Le Pen ne sortaient pas de nulle part : « L’“islamophobie” est un aspect de la longue histoire du colonialisme français, qui a débuté au minimum à l’époque de la conquête de l’Algérie, en 1830. » Et dans cette histoire, le voile joue un rôle important comme signe d’une différence irréductible, indépassable, entre l’islam et la France – une version antérieure du soi-disant « choc des civilisations ». C’est pourquoi Joan Scott consacre le deuxième chapitre de son livre à cette histoire du racisme français. Je dois reconnaître que j’avais un peu cédé, comme beaucoup d’autres sans doute, à la thèse simpliste de la « contamination » des partis politiques français par les « idées » du Front national. Ce n’était pas entièrement faux, mais là aussi, cette contamination ne s’est pas produite par hasard. La question de la concurrence électorale n’explique pas tout. Il fallait bien que le ventre fût encore fécond, ou que le terrain soit favorable, si l’on préfère, pour que prenne la greffe. Je savais bien pourtant que la SFIO, qui donna plus tard naissance au Parti socialiste, avait donné au régime de Vichy nombre de collabos, mais aussi et surtout, qu’elle avait mené la politique coloniale de la France après-guerre, et particulièrement la guerre d’Algérie. Mais ça ne m’avait pas empêché de souscrire paresseusement à cette thèse de la contamination. La lecture de Joan Scott m’a rafraîchi la mémoire. Ne serait-ce que par cet aspect, son livre est très utile. Elle rappelle en effet que dès le départ, la politique coloniale française était marquée par une contradiction qui a perduré jusqu’à aujourd’hui en termes à peine différents. En effet, la conquête prétendait se justifier en « apportant la civilisation » aux indigènes. « Cependant, et dans le même temps, l’aventure coloniale puisait sa légitimité dans une représentation raciste des Arabes (musulmans, Nord-Africains, les dénominations tendaient à se recouper et à se confondre) qui remettait inévitablement en cause la possibilité même du projet civilisateur. » La contradiction se retrouve dans les affaires du voile : l’école est là pour intégrer et former des citoyen·ne·s français·e·s (mission civilisatrice). Mais les jeunes filles qui portent un foulard sont à l’évidence inassimilables puisque manipulées/forcées/soumises à l’islam ou alors perverses (représentation raciste, version islamophobe, de ces jeunes filles). La seule solution est alors de les exclure. La mission civilisatrice (en l’occurrence, l’intégration) échoue de nouveau.

Joan Scott dit encore pas mal d’autres choses très intéressantes dans son livre, en particulier sur l’interprétation de la laïcité par les intégristes républicains, et aussi sur la question de la sexualité – ou de ce que voilent les affaires du voile, comme la revendication non dite du libre accès au corps des femmes par les hommes, blancs de préférence. C’est pourquoi je recommande vivement cette lecture qui se révèle d’autant plus nécessaire que nous assistons ces dernières semaines, à l’initiative de Manuel Valls, qui n’a toujours pas digéré sa défaite électorale, à une énième résurgence islamophobe qui s’en prend cette fois à « la complaisance des milieux intellectuels à l’égard du prédicateur Tariq Ramadan » (La Provence, 18 novembre). Il ne veut rien moins que leur faire « rendre gorge » (aux intellos, bien sûr) et les « éliminer du débat public ». Il est vrai qu’ils sont méchants avec lui, ces « milieux intellectuels » : rendez-vous compte, « on me compare à Marcel Déat, ce socialiste ultra-collaborationniste […] on parle de la croisade de Caroline Fourest […], c’est insupportable […] Quand on parle de racisme d’État, on met en cause ce que nous sommes, la République. » (ibid.) Ce n’est pas faux. Finalement, il n’est pas si bête que ça, Manu. Méchant, oui. Mais pas si bête. Le Crif Marseille-Provence l’a bien compris, qui l’a invité à conclure sa convention régionale à Marseille le 19 novembre sur, je vous le donne en mille : le terrorisme.

Etats-Unis. La puissance de la campagne #MeToo

Publié par Alencontre le 13 novembre 2017

Par Leia Petty

Leia Petty décrit ce que la campagne #MeToo accomplit pour favoriser le débat sur les agressions sexuelles mais aussi pour augmenter les possibilités qu’elle offre pour des avancées de la lutte pour la justice.

«En fait je l’ai pressée. Tu sais, elle était en bas, sur Palm Beach. Je l’ai entreprise et j’ai échoué. Je l’avoue. J’ai essayé de la baiser. Elle était mariée… Je l’ai entreprise très lourdement… Comme si elle était une garce. Mais je n’y suis pas parvenu. Et elle était mariée. Puis tout à coup je l’ai vue, maintenant elle a ces gros faux seins et tout cela. Elle a totalement changé son look… Oui, c’est bien elle. Avec l’or. Je ferai mieux d’utiliser quelques Tic Tac [dragées à la menthe] pour le cas où je me mettrais à l’embrasser. Tu sais, je suis automatiquement attiré par la beauté – je commence simplement à les embrasser. C’est comme un aimant. Juste un baiser. Je n’attends même pas. Et quand tu es une star, elles te laissent faire. Tu peux faire n’importe quoi… les saisir par le sexe. Tu peux faire n’importe quoi.» Donald Trump

Nous étions nombreux à penser que ces paroles, fuitées un mois avant le jour des élections, allaient faire tomber Donald Trump. Au lieu de cela il a gagné la présidence.

Cette croyance qu’ont Trump et d’autres hommes privilégiés comme lui qu’ils peuvent «faire n’importe quoi» aux femmes – ce que Lindy West a appelé dans le New York Times [1]: «le droit étouffant, délirant, galactique des hommes puissants» – a entraîné d’innombrables cas de harcèlement sexuel, d’agressions et de viols qui ont rarement été punis.

Le silence auquel ont été contraintes les femmes était assourdissant. Mais la colère suscitée par cette injustice – une colère que portent toutes les femmes – ne pouvait pas être enterrée à tout jamais. La campagne #MeToo en est la plus récente confirmation. Et ce ne sera pas la dernière.

Au cours des dernières semaines, plus de 30 hommes très en vue ont été accusés de harcèlement sexuel et doivent enfin en affronter les conséquences réelles. Dans de nombreux cas, les allégations mettent en évidence des abus qui se sont déroulés depuis des décennies, abus qui étaient connus et encouragés dans leur entourage proche – souvent en échange de promesses d’avancement des carrières des femmes qui travaillaient pour eux.

Des hommes ayant des positions privilégiées dans l’industrie du spectacle et du divertissement: des producteurs de films, des éditeurs de magazines d’art, des acteurs célèbres, des photographes ont été les premiers à être examinés dans le sillage de la découverte de l’histoire d’abus sexuels commis par Harvey Weinstein, le magnat du cinéma américain.

Hollywood et les industries qui l’entourent constituent une institution collective où la réification des femmes est intégrée aux fondements de la réalisation du profit, ce qui donne lieu à un mélange toxique d’exploitation et de sexisme qui a dévasté les vies de nombreuses femmes.

Mais #MeToo a redonné confiance aux femmes, elles peuvent raconter leur histoire parce que, pour la première fois depuis des décennies, on les croit.

Récemment l’acteur Kevin Spacey a été accusé d’abus sexuels par de nombreux hommes, dont beaucoup étaient des adolescents au moment des agressions. Cela a contribué à lancer le débat si indispensable sur les abus sexuels vécus par des garçons, débat qui est également reflété dans la campagne #MeToo.

L’impact de #MeToo a dépassé Hollywood. Le secrétaire à la Défense britannique, Michael Fallon, a été obligé de démissionner suite à des allégations de harcèlement sexuel. Plusieurs membres du Parlement et plus de 30 législateurs du parti conservateur de Theresa May affrontent également de telles allégations. Trois professeurs de Dartmouth [à Hanover dans le New Hampshire] ont été mis en congé payé pendant qu’une enquête criminelle est menée pour «mauvaise conduite grave».

Tous les signes laissent penser que ce processus se poursuivra. Pour ceux et celles qui ont vécu le harcèlement et l’abus sexuels, les faits qui sont dévoilés entraînent un mélange d’horreur et de justification. Il est particulièrement révélateur de constater combien de femmes qui s’expriment maintenant avaient déjà tenté de le faire par le passé et on les a fait taire, ce qui a suscité chez beaucoup d’entre elles un traumatisme de toute une vie.

Cette confiance qui leur permet de continuer à s’exprimer et qui vient du fait qu’on les croit enfin, ne peut qu’aider le mouvement contre le harcèlement et les abus sexuels, et renforcer la lutte plus large contre toutes les injustices.

• Au cours de ces dernières semaines il y a eu un débat à échelle nationale [Etats-Unis] sur le harcèlement sexuel, cela ne s’était pas produit depuis 1991, lors des auditions pour confirmer le juge Clarence Thomas [nommé par George H.W. Bush] à la Cour suprême.

A cette époque, Anita Hill, professeure en droit qui avait précédemment travaillé pour Thomas, s’était manifestée et l’avait accusé de harcèlement sexuel [lors des audiences devant le Sénat américain, audiences très médiatisées] Mais au lieu de s’en prendre à Thomas, Joe Biden [le vice-président nommé en 2009] – qui était à l’époque président de Comité judiciaire du sénat – a fait un procès à A. Hill et a choisi de ne pas convoquer les autres trois témoins qui auraient pu confirmer les accusations d’abus sexuel lancées par A. Hill. Plus tard, Thomas a été confirmé en tant que juge à la Cour suprême.

Nous sommes redevables à Anita Hill, les centaines de femmes qui prennent la parole maintenant suivent la voie qu’elle a ouverte.

#MeToo a fourni le moyen de briser le silence et de transformer les injustices que nous vivons en quelque chose «qu’il faut combattre au lieu de subir», comme l’a écrit Jen Roesch dans SocialistWorker.org [2].

En résumé, #MeToo a transformé la victimisation, ce qui a des conséquences politiques. Comme l’a écrit James Baldwin : «La victime qui est capable d’exprimer clairement la situation de victime, cesse d’être une victime: il ou elle devient une menace.»

Le fait que nous prenions la parole et que nous racontions nos histoires individuelles est une précondition pour devenir une réelle menace.

Pour que les femmes continuent à avoir suffisamment confiance pour s’exprimer, il faudra que les hommes responsables soient obligés d’assumer les conséquences. Jusqu’à maintenant plusieurs douzaines d’entre eux ont dû de démissionner ou ont des contrats passés ont été annulés.

Jusqu’à maintenant la campagne #MeToo s’est surtout déroulée dans les médias sociaux, mais cela est en train de changer. La Feminist Majority Foundation [créée par Gloria Steinem en 1987], de pair avec Civican [The social network for civic action] et WE for SHE [ structure ayant comme objectif «d’équilibrer» la présence homme/femme dans le paysage médiatique], sponsorise une marche à travers Hollywood le 12 novembre [3], appelée «Take Back the Workplace» [Reconquérir nos places de travail], qui se terminera à côté du centre de la chaîne CNN.

Les femmes qui ont participé au concours de beauté de Miss Pérou 2018 ont protesté contre l’exigence d’annoncer les mesures de leur poitrine et de leur taille. Au lieu de cela elles ont annoncé les statistiques de la violence contre les femmes, dans le cadre d’une campagne d’une année pour sensibiliser sur les taux élevés de violences contre les femmes au Pérou.

Plus récemment, le département de police de New York a aussi annoncé qu’il détenait suffisamment de preuves pour arrêter Harvey Weinstein.

• Etant donné les changements considérables qui se sont produits en quelques semaines, il est très important que les forces progressistes et socialistes soutiennent les femmes et les hommes qui s’expriment, qu’elles trouvent des moyens pour transformer la prise de conscience en activisme, et qu’elles participent avec les forces féministes à la réflexion sur comment construire un mouvement capable de mettre au défi le sexisme sous toutes ses formes.

Le fait d’afficher un dédain pour #MeToo n’est pas une bonne manière de commencer un tel processus. Pourtant il y a quelques personnes qui se sont montrées critiques à l’égard de la campagne depuis le début. C’est notamment le cas de l’écrivaine Megan Nolan dans son article pour Vice [4], intitulé «Le problème de la campagne #MeToo» [article initialement publié sur le site Vice.uk].

Elle écrit: «Le fait de prendre conscience de l’ampleur des abus ne résout pas ces problèmes (…) Le fait simple est que je n’ai aucune idée comment les résoudre. Ils sont incroyablement enracinés dans les fondements de notre société. La condition d’être sexuellement opprimée est la condition de propre aux femmes.»

Beaucoup de femmes partagent un sens d’impuissance et d’impatience, ce qui est compréhensible étant donné le poids de l’oppression et de la réification endurées par les femmes qui, jusqu’à tout récemment, se sentaient totalement ignorées.

Mais nous ne pouvons pas permettre que cela nous rende cyniques, car cela nous fera manquer les possibilités de résister collectivement justement au moment où il est important de le faire.

Il est vrai que «Le fait de prendre conscience de l’ampleur des abus» n’est pas la même chose que de s’attaquer au problème. Mais une sensibilisation accrue peut préparer un terrain plus fertile pour l’activisme. Des douzaines d’hommes qui ont abusé des femmes se trouvent effectivement devant une enquête criminelle ou doivent démissionner de positions de pouvoir, et c’est un bon début.

L’actrice Jane Fonda et l’écrivaine Jamilah Lemieux [écrivaine afro-américaine] expriment un autre type de scepticisme lorsqu’elles disent que la prise de conscience du harcèlement et de l’abus sexuels n’a lieu maintenant que parce que la plupart des victimes qui s’expriment sont blanches .

• Le mieux va encore plus loin que J. Fonda. Dans un article intitulé «Weinstein, les larmes blanches et les limites de l’empathie des femmes noires» [5], elle déclare qu’il y a des limites au niveau de l’empathie des femmes noires face au harcèlement sexuel vécu par les femmes blanches parce qu’au niveau historique cette empathie n’a pas été donnée en retour.

Il est tout à fait exact que les femmes noires ont vécu une expérience particulière d’être victimisées et même criminalisées lorsqu’elles ont pris la parole ou affronté leurs abuseurs. Le projet #Survived and Punished [survivantes et punies] qui rend compte de la re-victimisation de celles qui s’insurgent contre les abus et la violence sexuelle décrivent en très grande majorité des récits de femmes de couleur.

Toutes les personnes qui ont été touchées par le phénomène #MeToo doivent connaître – si elles ne la connaissent pas déjà – cette oppression spécifique à laquelle font face les femmes de couleur. Mais la campagne est justement l’occasion où l’empathie pour les expériences spécifiques que vivent les femmes de couleur peut se développer et essaimer, justement à cause du débat qui a commencé au niveau national.

• Il faudrait que les féministes mettent ces récits en première ligne plutôt que de leur adresser des reproches ou de minimiser à quel point il est déjà difficile pour beaucoup de femmes de prendre la parole sur ces problèmes. La réalité est que même des femmes blanches privilégiées, comme l’actrice Rose McGowan, ont été forcées de se taire pendant des décennies avant de pouvoir enfin briser le silence au sujet des abus qu’elles ont vécu.

Les vannes se sont ouvertes, permettant de parler des abus et du harcèlement sexuels, ce qui donne aux féministes la possibilité de permettre aux plus opprimées d’entre nous d’être entendues.

Tarana Burke qui a lancé le hashtag MeToo, dès les années 2000

Tarana Burke [qui anime le site She Slays, Elle terrasse] qui a lancé #MeToo il y a une décennie, l’a fait pour faire connaître les récits d’agressions sexuelles vécues par les femmes noires et pour rassembler les femmes entre elles. Comme l’a déclaré T. Burke dans une série de tweets en réaction à la résurgence de la campagne #MeToo: «L’objectif du travail que nous avons fait au cours de la dernière décennie avec le mouvement “Me too” est de permettre aux femmes, et en particulier aux jeunes femmes de couleur, de savoir qu’elles n’étaient pas seules (…)- Il s’agit d’un mouvement (…). Il va au-delà d’un hashtag. C’est le début d’un débat plus large et d’un mouvement pour une guérison communautaire radicale.»

• Au sein de la gauche, il s’agira d’aborder cette question de l’orientation de ce «débat et mouvement plus large». Comme l’écrit Alex Press dans un article pour Jacobin intitulé «The Union Option» [6]: «Dans une période où nous sommes si nombreux à savoir à quel point le harcèlement sur le poste de travail est répandu, il est important de tenir compte des rares cas où le harceleur est accusé publiquement. Il s’agit là d’une exception à la règle, qui est que des hommes puissants tels que Weinstein peuvent harceler et abuser des femmes jusqu’à leur mort, quel que soit le nombre de personnes dans leurs entreprises qui sont au courant.

Mais après avoir assimilé ces cas, nous – ou du moins celles et ceux d’entre nous qui nous préoccupons de combattre ces injustices – nous devons aborder la question de savoir ce que nous pouvons faire à ce sujet.»

Il est significatif que la couverture médiatique de l’affaire Weinstein et la résurgence de #MeToo qu’elle a entraînée a eu des résultats tangibles en faisant tomber quelques sexistes abjects et a finalement contribué davantage à mettre en demeure des hommes dans des positions de pouvoir que toutes les fausses formations de «sensibilisation» imaginées par les entreprises.

Mais Alex Press attire l’attention sur l’étape suivante, celle qui consiste à traduire cette prise de conscience en une «action collective formelle. Pour ce qui est des lieux de travail, cette étape passe habituellement par les syndicats. Toutes celles et tous ceux qui veulent éliminer le harcèlement sexuel sur leurs lieux de travail devraient également être en train de lutter pour obtenir des appuis syndicaux.»

Ce point constitue une contribution importante au débat, une composante cruciale de la lutte plus large. Il s’agit en effet d’augmenter les protections pour les femmes et les autres qui vivent le harcèlement sexuel, mais aussi de créer les mécanismes pour y mettre terme à l’intérieur des syndicats.

Mais étant donné que la présence syndicale est au point le plus bas dans l’histoire moderne des Etats-Unis, les syndicats ne peuvent être qu’une partie de la solution.

En outre, la confiance dont ont besoin les femmes pour affronter le harcèlement sexuel au travail est directement liée à l’envergure du mouvement féministe en dehors de la place de travail.

• Comment faire pour que l’élévation de la prise de conscience des abus sexuels et de la confiance pour les contrer débouche sur un mouvement féministe plus combatif et organisé?

L’activisme autour des questions du harcèlement et de l’agression sexuels a été une pierre angulaire lors des précédents mouvements féministes, et en particulier dans le mouvement de libération des femmes des années 1970.

Or, avec l’administration Trump il n’y a pas une pénurie d’attaques contre les droits de femmes. Alors même que #MeToo faisait irruption, la Chambre des représentants a voté pour interdire les avortements après 20 semaines de grossesse; Trump a émis un ordre exécutif permettant aux employeurs de refuser aux femmes la couverture des mesures de contrôle des naissances; la secrétaire à l’Education Betsy DeVos a démantelé les mesures de l’amendement Title IX [qui interdit toute discrimination sur la base du sexe dans les programmes d’éducation soutenus par l’Etat] concernant les agressions sexuelles sur les campus; et de multiples tentatives ont été faites pour stopper le financement du Planned Parenthood [planning familial].

Les conditions qui ont produit et enhardi la droite ont également créé la possibilité de stimuler la résistance, et les champs de bataille sur lesquels un nouveau mouvement féministe peut lutter ne manquent pas.

Le lien entre une lutte contre le harcèlement sexuel et une justice reproductive est la revendication de notre droit à contrôler notre corps et à autodéterminer nos vies.

Il faut que tous les harceleurs sexuels dans des positions de pouvoir continuent de tomber. Mais la justice à long terme ne pourra s’établir que lorsque les socialistes et les féministes construiront des organisations de résistance pour poursuivre le combat au-delà des médias sociaux.

Il nous faut construire des organisations de résistance qui puissent défendre les cliniques pratiquant des avortements, qui exigent des administrations des campus qu’elles rétablissent les protections de l’amendement Title IX, qui mobilisent des milliers de personnes contre le harcèlement sexuel, tout en donnant aux femmes et aux hommes qui veulent en finir avec le sexisme un espace où ils puissent organiser ensemble la lutte.

#MeToo n’est pas un sport de spectacle qu’on peut soit soutenir soit rejeter. C’est un moment que nous pouvons transformer en un mouvement qui fera avancer la lutte contre le harcèlement sexuel et contre toutes les formes d’oppression. (Article publié sur le site socialistworkers.org en date du 9 novembre 2017; traduction A l’Encontre)

_____

[1] https://www.nytimes.com/2017/10/17/opinion/columnists/weinstein-harassment-witchunt.html

[2] https://socialistworker.org/2017/10/19/the-silence-is-broken

[3] http://www.hollywoodreporter.com/news/a-take-back-workplace-march-is-happening-hollywood-1052976

[4] https://www.vice.com/en_us/article/43akqp/the-problem-with-the-metoo-campaign

[5] https://cassiuslife.com/33564/white-women-dont-look-out-for-black-victims/

[6] https://jacobinmag.com/2017/10/harvey-weinstein-sexual-harassment-women-union

[7] http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/3.0

Troisième Quinzaine féministe de Marseille

Une Quinzaine, des Féminismes #3

un festival de féminismes

La Quinzaine féministe revient pour sa 3ème édition, du 9 au 18 novembre 2017.

Qui sommes-nous ? Des personnes qui ont envie de se réunir, d’échanger, de rendre visible des paroles et des interrogations sur les systèmes de domination qui nous traversent.

L’oppression des femmes cis et des minorités de genre fait système et le sexisme nous traverse toutes et tous. Il imprègne l’ensemble du monde social que ce soit l’espace public, l’école, le monde du travail, nos pratiques militantes, et sans conteste notre intimité ! Les représentations sexistes sont martelées au quotidien dans la pub, les médias, les livres, le cinéma, les jouets, les jeux vidéo, etc. ! L’homme cis — ou reconnu comme tel dans l’œil de son interlocuteur-trice — peut bien essayer d’être aussi sympa, attentif et anti-sexiste que possible, il jouit de privilèges importants dans le monde qui est le nôtre, qu’il le veuille ou non.

Dès lors, les bonnes intentions ne suffisent pas, et il s’agira pendant cette 3ème édition de la Quinzaine féministe de poursuivre nos interrogations sur ces constructions sociales dans lesquelles nous sommes pris-es, de continuer les échanges précédents et de creuser nos réflexions.

Cette 3ème édition nous engage encore, à l’humilité et à l’ouverture, car c’est bien la diversité des expériences qui fera la richesse de nos échanges.

L’Équitable Café et le Planning Familial 13 s’associent de nouveau pour proposer des ateliers, concerts, performances, discussions autour de féminismes.

Ici, retrouver le programme complet

PDF - 6.1 Mo
Programme Quinzaine Complet

// Mixité Choisie ?

Certains événements de cette Quinzaine (et parfois d’autres au Café) sont proposés en mixité choisie : les personnes qui proposent les ateliers et nous autres du Café, choisissons sur certains sujets de proposer des espaces réservés aux personnes partageant des vécus et situations communes.

Pour plus de précisions, se référer aux descriptions des divers événements, et bien sûr, en discuter de vive voix pendant la Quinzaine.


Le festival est le résultat du travail de plusieurs militant-e-s ainsi que du soutien et du partenariat de plusieurs associations marseillaises :

  • Planning Familial 13 – www.leplanning13.org – FB : @planningfamilial.bdr
 Le Planning Familial est une association féministe et d’éducation populaire, qui s’engage avec une équipe de militant-e-s salarié-e-s et bénévoles dans des actions de sensibilisation auprès du public mais aussi dans la réflexion et la mobilisation sur la santé sexuelle, la liberté de choix en matière de sexualité et de fécondité et des rapports de genres / femmes-hommes.
  • Pulse – www.asso-pulse.fr L’association PULSE est une association d’éducation populaire qui vise la transformation sociale par l’éducation à la sexualité, et se préoccupe de l’émancipation de chacun-e, de 0 à 150 ans.
  • ASUD – www.asud.org/ – FB : @ASUDMARSEILLE L’association ASUD « Mars Say Yeah » a été créée en 1995. Elle œuvre pour la Réduction des Risques auprès de personnes usagères de drogue. Elle porte un CAARUD (Centre d’Accueil et d’Accompagnement à la Réduction des risques pour Usager-ère-s de Drogues) à Marseille.
  • La Fêlure – www.lafelure.eklablog.com/
 La Fêlure est le résultat de son propre processus. Elle fait le pari du caractère émancipateur de la création, lorsqu’elle est collective. Elle considère la performance comme manifestation artistique primaire. Elle ne revendique aucune forme préétablie, elle jouit du manque qui empêche de les cerner et s’autorise à toutes les utiliser. Elle manie ses corps, ses temps et ses espaces, s’amuse à déplacer les lignes et à multiplier les failles.
  • Équitable Café/Asso En Visages – www.equitablecafe.org – FB : @equitablecafe Café associatif, militant et culturel depuis 2005. L’objectif ? Expérimenter et promouvoir des alternatives positives et solidaires, et les luttes sociales, en permettant à tou-te-s de trouver les moyens de s’informer, d’échanger et de créer.

Le genre : théorie et pratique

À propos de : Juliette Rennes (ed.), Encyclopédie critique du genre. Corps, sexualité, rapports sociaux, La Découverte


Camille Robcis, « Le genre : théorie et pratique », La Vie des idées , 10 novembre 2017. Article traduit de l’anglais par Emilie Frenkiel avec le soutien de la fondation Florence Gould
NB : L’Encyclopédie critique du genre est disponible à la bibliothèque Corps et politique (13, rue des Cordeliers à Forcalquier, ouverte les lundis de 10h à 13h et les samedis de 16h. à 19h.).

L’Encyclopédie critique du genre dirigée par Juliette Rennes est beaucoup plus qu’un panorama des études sur le genre. Elle montre comment le genre réinvente les sciences sociales traditionnelles et fait naître de nouveaux questionnements. Dépassant largement les controverses, la notion de genre révèle l’étendue de sa force critique.

 L’Encyclopédie critique du genre est tout d’abord un livre incroyablement impressionnant et passionnant. Impressionnant de par son simple volume : 740 pages, 70 entrées, 8 éditeurs, et 80 contributeurs de 15 disciplines. Si la simple idée de coordonner autant d’auteurs en intimiderait déjà plus d’un, le choix attentif des thématiques par les éditeurs, les multiples références croisées, la bibliographie approfondie, la problématique sous-jacente et la cohérence méthodologique sont réellement époustouflants. L’ouvrage est également enthousiasmant parce qu’il y a vingt ans, un tel travail n’aurait jamais été envisageable dans le monde académique français. On se souvient par exemple de la diatribe de Frédéric Martel à la fin des années 1990 contre les études gays et lesbiennes, qui étaient selon lui un exemple de la « tentation communautaire » venue des États-Unis qui était en passe de s’imposer dans la vie académique française [1]. On pourrait également se souvenir de l’avertissement lancé par Mona Ozouf à la même époque contre une interprétation « maximale » du genre, du genre comme « pur rapport de pouvoir, où tout est historiquement et socialement construit ». Elle précisait qu’il s’agissait d’une définition américaine provenant du féminisme radical, une notion « inécoutable, inintelligible, parfois même intraduisible » en France [2] . Ces années-là, des auteurs comme Elisabeth Badinter, Sylviane Agacinski et Alain Finkielkraut se félicitaient régulièrement de l’ « exception française » des relations hétérosexuelles heureuses, l’engagement pour la mixité, la séduction, et la civilité qui, prétendaient-ils, rendaient la France imperméable à l’agression théorique et politique du genre [3]. Et pourtant, nous voici vingt ans plus tard avec cette Encyclopédie critique du genre rédigée principalement par des chercheurs français qui, pour la plupart, sont solidement rattachés aux plus grandes universités et principaux laboratoires de recherche en France. Lire et citer des sources américaines et étrangères n’est plus considéré comme un acte de trahison nationale mais plutôt comme une invitation au dialogue. Pour cette nouvelle génération, le genre n’est plus un concept marginalisé ou assiégé. Traversant un grand nombre de disciplines, il est plutôt au cœur de recherches particulièrement stimulantes politiquement et intellectuellement – et on ne peut que s’en réjouir.

Le genre comme système

L’Encyclopédie critique du genre a été magistralement coordonnée par la sociologue Juliette Rennes avec l’aide d’une équipe éditoriale comprenant deux politistes, Catherine Achin et Alexandre Jaunait ; un anthropologue, Gianfranco Rebucini ; une démographe, Armelle Andro ; un linguiste, Luca Greco, et deux autres sociologues, Laure Bereni et Rose-Marie Lagrave. Comme ils l’expliquent en introduction, les coordinateurs ont choisi d’organiser les différentes notices thématiques selon trois axes : le corps, la sexualité et les relations sociales. Ce sont des thèmes récurrents du livre, trois domaines traversés par le genre mais aussi trois vecteurs permettant d’étudier de plus près les opérations spécifiques du genre. En effet, une des contributions les plus intéressantes du livre est son invitation à constamment penser l’objet étudié et la méthode ensemble. C’est un des sens que je donne à l’adjectif « critique » du titre. Le genre, tout comme le corps, la sexualité et les relations sociales, n’est jamais une simple entité qu’on peut appréhender objectivement une fois pour toute, mais plutôt un mode d’analyse, une méthode, un angle évolutif permettant de lire la réalité sociale. Ainsi, le message général du livre n’est pas seulement que le genre est politique (ce que nous savons déjà) mais plutôt que toutes ces autres notices le sont. Dans certains cas, cette affirmation est évidente (par exemple pour les cas de « filiation », « hétéro/homo », « queer », « race » ou « trans ») ; moins pour d’autres cas (comme « poids », « sport », « taille », « voix », « danse », « animal »).

Comme le disent clairement les différents contributeurs, le genre se réfère moins au produit final qu’au processus par lequel certaines entités (certains corps, certains comportements, par exemple) sont construits et sont perçus comme différents. En d’autres termes, il n’y a rien qui précède le genre, aucune nature pure, non corrompue, ou non affectée par le pouvoir. Comme indiqué en introduction, dans la section sur le corps : « Le genre n’est plus conçu comme une ‘signification sociale’ qui s’ajouterait à des différences naturelles toujours déjà là, mais comme le système même qui façonne notre perception du corps comme féminin ou masculin » (17). Le genre n’est donc pas un paradigme théorique abstrait surimposé sur une réalité sociale (comme le prétendent nombre de ses détracteurs) mais plutôt un concept qui émerge de façon organique de ces différentes études empiriques solidement ancrées dans les sciences sociales. Que ces notices soient basées sur un matériau ethnographique, des entretiens, des archives ou des analyses textuelles et visuelles, elles adhérent toutes à cette vision de la critique, de la remise en question et de l’historicisation de toute idée, surtout celles qui semblent les plus naturelles, inévitables, évidentes ou universelles. Il n’est ainsi guère surprenant que la figure de Michel Foucault, qui perfectionna cet art de l’histoire critique et qui se tourna vers la généalogie pour penser l’ « histoire du présent », plane autant sur les pages de l’Encyclopédie.

Un outil politique

La démarche critique des auteurs n’est néanmoins pas uniquement manifeste dans les objets spécifiques étudiés, elle guide également la méthodologie du livre, qui est explicitement intersectionnelle et multidimensionnelle. Race et classe sont ainsi constamment en discussion avec genre, mais les auteurs mobilisent aussi des outils d’analyse plus rares comme l’apparence physique, l’âge, la santé, la capacité, l’orientation sexuelle ou les pratiques religieuses (21). L’objectif est de montrer comment la domination fonctionne différemment lorsqu’une de ces variables change. Pour illustrer ce point, la notice « care » (qu’on peut traduire par soin ou sollicitude) évolue lorsque l’auteure, Francesca Scrinzi, présente le racisme, la mondialisation et le handicap comme trois facteurs ayant radicalement transformé la compréhension du care comme forme féminine d’engagement relationnel. Le postulat ici est que le pouvoir évolue, se transforme et se dissimule sous de nouvelles formes. En ce sens, la critique, comme le genre, ne peut être un cadre théorique préconçu mais plutôt une forme d’introspection. Ce rappel est d’autant plus apprécié dans le domaine des études sur le genre qui sont longtemps restées aveugles aux questions de race, de classe, et d’autres formes de domination, et qui continuent encore trop souvent de présupposer que les femmes sont par défaut blanches, occidentales, hétérosexuelles, reproductrices et valides (22). Comme l’écrivent les coordinateurs de l’Encyclopédie, le but principal du projet est de dresser une cartographie de la « chair des rapports sociaux ». La « chair » n’est pas seulement entendue ici comme le corps, la peau et la sexualité mais également comme ce qui est observable, empirique ; et les « rapports sociaux » compris comme asymétries structurelles constamment en mouvement de notre monde social (24-25).

Dans la préface de sa traduction en français de Gender Trouble (Trouble dans le genre) de Judith Butler en 2005, quinze ans après sa parution en anglais, Eric Fassin commentait ce « retard » français dans l’étude du genre. Comme le suggérait Fassin, le texte de Butler et sa théorisation du genre sont soudainement apparus nécessaires pour penser les différents débats qui saisissaient la France à l’époque, de la violence sexuelle aux unions homosexuelles, en passant par la procréation médicalement assistée (PMA) et la gestation pour autrui (GPA). Trouble dans le genre, d’après Fassin, devait éclairer notre « actualité sexuelle », actualité de plus en plus « troublée [4] ». Dans ce contexte, il est intéressant de remarquer que l’Encyclopédie critique du genre est publiée trois ans après les violentes manifestations contre le mariage pour tous, la loi qui ouvrait le mariage et l’adoption aux couples de même sexe, où cette rhétorique du genre est réapparue avec vigueur. Selon plusieurs des opposants au mariage pour tous, le genre, ou plutôt une nébuleuse « théorie du genre » était à la fois l’origine et le résultat du mariage homosexuel. C’est ainsi qu’un slogan de la Manif pour tous déclarait « Mariage pour tous = théorie du genre pour tous ». D’une part, les opposants à la loi prétendaient que les militants du mariage gay étaient inspirés par une « théorie du genre » qui s’était imposée dans les milieux politiques et éducatifs. D’autre part, ils avertissaient contre les conséquences du mariage gay ; à savoir, la généralisation de cette « théorie du genre » dans la société, la légalisation de la PMA et de la GPA), et en fin de compte la destruction de la famille, de la société, et de l’homme [5]. Comme je l’ai développé ailleurs, ces débats sur le genre sont en réalité des débats sur la définition de la nation et sur l’encadrement de la reproduction sociale. C’est un débat qui oppose les défenseurs d’une France catholique, blanche et hétérosexuelle à ceux qui luttent pour plus d’égalité [6]. Dans ce contexte, il est difficile de ne pas lire l’Encyclopédie critique du genre comme un livre militant : non polémique mais militant, au sens où il défend l’importance éthique et politique du savoir. Avec ce livre fascinant, Juliette Rennes et son équipe nous ont montré que le genre peut toujours nous aider à penser notre présent, apprendre et réapprendre sans cesse, et lutter pour plus d’ouverture, plus de discussion, et en fin de compte plus de démocratie dans le monde académique et plus généralement dans l’espace public.

Notes

[1Frédéric Martel, Le rose et le noir : les homosexuels en France depuis 1968 (Paris : Seuil, 1996) ; Frédéric Martel, « Dans la solitude des bibliothèques gay », Le Monde, 27/06/1997.

[2Mona Ozouf, « Le Compte des jours », Le Débat, no. 87 (1995) : 124.

[3Sylviane Agacinski, Politique des sexes : précédé de mise au point sur la mixité (Paris : Seuil, 2001), Elisabeth Badinter, L’Un est l’autre : des relations entre hommes et femmes (Paris : Odile Jacob, 1986).

[4Judith Butler, Trouble dans le genre : pour un féminisme de la subversion (préface d’Éric Fassin ; traduit de l’anglais par Cynthia Kraus) (Paris : La Découverte, 2005)./ Gender trouble : feminism and the subversion of identity. Routledge, 1990.

[5Voir par exemple la couverture du livre de Béatrice Bourges, Aude Mirkovic, and Elizabeth Montfort, De la théorie du genre au mariage de même sexe : L’effet dominos (Paris : Peuple Libre, 2013).

[6Camille Robcis, La loi de la parenté la famille, les experts et la République (traduit de l’anglais par Ninon Vinsonneau) (Paris : Éditions Fahrenheit, 2016). / The Law of Kinship. Anthropology, Psychoanalysis, and the Family in France, Cornell University Press, 2013. Voir auss Bruno Perreau, Queer theory : the French Response (Stanford, California : Stanford University Press, 2016).

Recensé : Juliette Rennes (éd.), Encyclopédie critique du genre. Corps, sexualité, rapports sociaux, Paris, La Découverte, 2016.

Le cas Tariq Ramadan ou le défi de lutter sur plusieurs fronts

Pour une approche intersectionnelle des luttes antiracistes et antisexistes

Article de Souad Betka, publié sur le site Les mots sont importants
7 novembre 2017

« Laissons la justice faire son travail ! ». « Et la présomption d’innocence ? ». Le texte qui suit n’a évidemment pas pour vocation à se substituer au verdict judiciaire. On voit vite à sa lecture, d’ailleurs, qu’il est finalement peu question de « l’affaire Tariq Ramadan » en elle-même : ce sont les réactions suscitées par ce nouveau scandale qui m’intéressent et qui m’ont poussée à réagir. Par ailleurs, l’usage abusif de la présomption d’innocence pour suspendre toute pensée critique et verrouiller le débat politique sert un agenda clair auquel je m’oppose fortement, d’autant plus lorsqu’il devient un moyen d’accabler les plaignantes.

C’est un bien triste spectacle qui a accompagné et suivi les accusations de violences sexuelles et de viol à l’encontre de Tariq Ramadan. Les réactions, comme toujours, ont été extrêmement polarisées. Ici, un déferlement de haine, d’insultes sexistes et de commentaires d’une bassesse inégalée à l’encontre des plaignantes ; là, des commentaires racistes et islamophobes qui accablent, à travers un homme, toute une communauté.

Et n’est-ce pas le propre du racisme que de recourir à des procédés essentialistes : un homme musulman est toujours plus qu’un homme. Il est l’arbre qui représente la forêt, faute de la cacher. Il est la forêt. D’autres ont vu dans ces accusations une occasion en or pour faire taire Tariq Ramadan, perçu et fantasmé comme le cheval de Troie de l’islamisme en Europe.

Beaucoup attendent des réactions de la « communauté musulmane » et du monde associatif et religieux musulman. Regrette–t-on l’absence d’une campagne de type #NotInMyName ? Faut-il encore une fois, montrer patte blanche ?

Bien que critique de cette injonction pressante à réagir, je me retrouve là, moi, musulmane de France, militante antiraciste, prise par l’urgence d’écrire sur ce que révèlent les réactions révoltantes suscitées par cette affaire. Il semble primordial de rappeler que des accusations aussi graves doivent systématiquement être prises au sérieux et être reçues avec gravité. On ne prend pas une accusation de viol à la légère, d’autant plus lorsque des personnalités publiques sont concernées et que par conséquent, la violence des réactions de part et d’autre est si prévisible.

La nécessité d’une approche intersectionnelle

Nous voilà aujourd’hui face au problème de l’intersectionnalité vécu et théorisé par les féministes noires américaines. Dans son article fondateur « Démarginaliser l’intersection de la race et du sexe : une critique féministe noire de la doctrine anti discriminatoire, de la théorie féministe et des politiques antiracistes », Kimberlé Crenshaw relate que lorsqu’en 1851, dans le cadre de la convention des droits de la femme, Sojourner Thruth, une abolitionniste noire américaine et fervente défenseuse des droits des femmes, se leva pour prendre la parole, « plusieurs femmes blanches exhortèrent à la faire taire, craignant qu’elle puisse détourner l’attention pour le suffrage féminin [au profit de l’abolition de l’esclavage] ».

L’intersectionnalité désigne la situation de personnes qui subissent simultanément plusieurs formes de domination ou de discrimination dans une société. C’est une théorie qui promeut une approche intégrée des inégalités sociales en faisant lumière sur l’imbrication de différentes structures d’oppression (race, sexe, classe, etc.) et sur leur caractère indissociable. Ainsi, si toutes les femmes sont oppressées en tant que femmes, un mouvement féministe ne pourra prétendre parler pour toutes les femmes qu’à partir du moment où il prendra en considération la situation de femmes qui subissent également du racisme au sein d’une société.

Par conséquent, en insistant sur la nécessité d’une approche inclusive, l’approche intersectionnelle refuse la hiérarchisation des différentes structures de domination sociale. Les féministes noires étaient à la fois critiques du racisme au sein du mouvement des féministes blanches et du sexisme au sein des mouvements antiracistes, et au sein de la société toute entière.

Or, c’est une chose de hiérarchiser les structures de domination sociale. C’en est une autre d’utiliser une forme de domination pour en nier une autre, et c’est ce que l’affaire des accusations à l’encontre de Tariq Ramadan génère à plusieurs égards. On s’indigne autant des commentaires sexistes à l’encontre des plaignantes pour sauver la cause d’un antiracisme androcentré que des réflexions racistes et islamophobes qui nourrissent un féminisme dévoyé à géométrie variable.

Nous, féministes musulmanes, refusons de sacrifier la lutte contre le sexisme et les violences patriarcales au combat antiraciste. Et ce n’est pas faire le jeu de ceux qui nourrissent le racisme dans la société que de dire cela parce que nous dénonçons avec tout autant de fermeté leur féminisme partiel, partial et bien souvent raciste. Le refus de mener ces deux luttes de front ne fait que renforcer le statu quo.

Le racisme nourrit le sexisme, en stigmatisant celles qui sont à l’intersection de plusieurs logiques de domination. Les femmes racisées, et en particulier, dans le contexte français, les femmes musulmanes qui portent un foulard, sont exclues du discours féministe dominant et sont l’objet d’un discours d’injonctions profondément paternaliste, anti féministe et sexiste qui leur nie la possibilité de faire des choix. Le racisme encourage par ailleurs des logiques de défense chez les racisés qui vont jusqu’à la négation des violences faites aux femmes. Dans un climat islamophobe, on préférera croire à un complot plutôt que d’imaginer que « l’un des siens » puisse se rendre coupable de violences sexuelles, qui pourront être instrumentalisées à des fins racistes.

Vers un féminisme inclusif ?

À en croire les réseaux sociaux, la violence des réactions parmi les musulmanes et les musulmans est à la hauteur du choc que ces accusations ont provoqué. Comment est-ce qu’un homme qui n’était pas seulement un homme de pouvoir influent (Harvey Weinstein) ou un intellectuel mais aussi un théologien, dont les écrits et les interventions portaient sur des questions de morale religieuse appliquée et de justice sociale, comment un tel homme peut-il faire preuve d’un comportement en parfaite contradiction avec ses enseignements ?

Pour beaucoup, c’était un mentor, un modèle, non seulement sur le plan intellectuel mais aussi sur celui du caractère voire de la vertu. Nombreuses sont les personnes qui témoignent de l’impact positif que ses écrits ont pu avoir dans leur vie, sur le plan spirituel, intellectuel et politique. Elles se reconnaissent dans la façon dont il articule l’éthique personnelle et l’engagement politique pour plus de justice sociale. Dès lors, on comprend que tout un monde s’effondre. Quelles que soient les conclusions auxquelles parviendra la Justice, cette affaire marque un réel tournant.

Ce qui m’attriste pourtant est quelque chose de bien plus profond. Nous, musulman.e.s français.e.s, serions-nous à ce point fragiles que nous aurions intériorisé la logique essentialiste du racisme et de l’islamophobie qui veut que si l’un des nôtres tombe, nous soyons toutes et tous contaminé.e.s, et que notre monde s’effondre ? C’est en même temps révélateur de la force avec laquelle beaucoup de personnes se sont identifiées à Tariq Ramadan, qui, à bien des égards, a contribué à articuler un discours contre l’islamophobie en France. Aujourd’hui, par cette affaire, il contribue à la nourrir. On observe parfois des réactions très similaires à celles qui ont suivi les attentats terroristes ces dernières années : un ras-le-bol de la récupération politique qui surfe sur l’islamophobie et une peur d’une nouvelle vague de stigmatisation. On aura beau répéter que le patriarcat et les violences sexuelles n’ont pas de religion, la meute est lâchée.

À ce stade, une précision s’impose. Ce texte n’est assurément pas un témoignage, pour autant je ne veux pas prétendre à la neutralité. S’il est sage, face à des accusations aussi graves que le viol, d’attendre que la Justice fasse son travail, je dois avouer que seule la violence des faits relatés dans les témoignages m’a surprise. Comme toute personnalité charismatique, Tariq Ramadan suscite beaucoup de fascination, et cela le place dans un rapport de pouvoir, surtout vis à vis de ses coreligionnaires.

Depuis plus de cinq ans, de nombreuses militantes associatives musulmanes de mon entourage m’ont témoigné avoir été victimes d’insultes, de manipulation et de harcèlement sexuel de la part de cet homme. Et si sentiment de trahison et colère il y a de ma part, ce n’est pas, loin s’en faut, parce que je considérais cette personnalité médiatique comme un modèle de vertu, ou parce que s’est manifesté un contraste saisissant entre le rigorisme moral qui est prôné et le libertinage dont nombre de témoignages se font l’écho – et si les viols sont établis à l’issue du procès, cela prendra une dimension bien plus grande encore, bien au-delà de ce que certains voudraient réduire à une simple « affaire de mœurs ».

Le plus scandaleux, c’est le fait de profiter de la fragilité de ses coreligionnaires. Si les agressions sexuelles sont établies à l’issue du procès, ce seront encore une fois les personnes les plus vulnérables, à en croire le profil des plaignantes au moment des faits, qui auront été victimes de ces abus de pouvoir. Et si elles ne le sont pas, l’affaire aura permis de libérer la parole quant aux abus de pouvoir et manipulations diverses qui ont été relatées par de nombreuses femmes, et de rappeler à quel point, plus que jamais, nous ne pouvons faire l’économie d’une approche intersectionnelle des dominations sociales.

Pour finir, on peut s’interroger sur l’utilisation de l’antiracisme comme seul ou principal argumentaire de défense face aux accusations d’agressions sexuelles, et sur le choix lourd de sens de l’avocat qui représente la famille d’Adama Traoré. Ce choix, manifestement, donne à penser que cette affaire d’agressions sexuelles est une question de racisme et tend à, sinon effacer, du moins minimiser la nature des principaux chefs d’accusation.

Refusons de fermer les yeux sur la violence sexiste et patriarcale au nom de l’antiracisme. Nous ne sacrifierons pas la lutte contre le sexisme et les violences sexuelles sur l’autel d’un antiracisme non inclusif. Malgré la violence et l’humiliation que représente cette affaire pour les musulman.e.s, qui n’ont décidément pas fini d’entendre parler d’elles.eux dans les médias et les débats publics, on ose espérer que cette affaire fera lumière sur le sectarisme et l’aveuglement aux violences sexistes au sein des milieux associatifs et militants, et qu’une introspection permettra de comprendre pourquoi des femmes musulmanes victimes d’agressions sexuelles peuvent être tentées d’aller chercher auprès de Caroline Fourest le soutien que d’autres, plus proches, tardent à leur apporter.

Enfin, je me ferai la défenseuse d’une certaine forme de Made in France (ce qui en étonnera plus d’un !). Nous ne voulons plus être les objets d’études et les fonds de commerce de personnalités extérieures qui vivent à mille lieues des réalités qui sont les nôtres. Avec des amis comme eux, nous n’avons plus besoin d’ennemis politiques. Nous avons suffisamment de ressources locales dans le monde associatif musulman pour pouvoir nous passer des services empoisonnés d’un imam tunisien, d’un journaliste algérien, d’un psychanalyste tunisien, ou même d’un théologien suisse.

Dirty Week-end

Dirty Week-end, Helen Zahavi. Trad. de l’anglais par Jean Esch. Presses Pocket, Paris, 1992.

Un article publié sur le site de nos amis d’Antiopées.

J’ai découvert ce thriller féministe grâce au livre Se défendre d’Elsa Dorlin dont j’ai rendu compte ici même il y a peu. Le dernier chapitre de Se défendre, intitulé « Répliquer », prend appui sur ce roman afin de donner à voir ce que c’est que la dite « condition féminine » – concrètement : être objet de harcèlement permanent – et une manière d’en sortir… Cette lecture n’apprendra probablement pas grand-chose aux femmes, par contre à nous autres, hommes, elle me semble tout à fait utile, voire indispensable. Comme je suis un peu flemmard, et qu’en plus, Elsa Dorlin donne une excellente présentation de ce livre, je m’en remets à elle (avec l’aimable autorisation des éditions Zones) pour cette note de lecture. La section citée, « Phénoménologie de la proie », occupe les pages 163 à 171 de Se défendre, dont on trouvera le texte intégral en ligne sur le site des lybers de Zones.

 

Phénoménologie de la proie

Quelques semaines avant sa sortie en 1991, la presse dénonce déjà Dirty Week-end, accusé d’être un brûlot immoral, ultra-violent et pornographique, et Helen Zahavi, son autrice, une « malade mentale ». Dans l’histoire moderne de la censure en Angleterre, le roman est le dernier opus à faire l’objet d’une demande d’interdiction de publication et de diffusion auprès du Parlement de Londres. Dirty Week-end touche visiblement un point ultrasensible. Pour la plupart des commentateurs du livre, il s’agit d’une apologie de la violence qui ne s’encombre même plus de justifications vengeresses : une violence gratuite, irrationnelle, sans limite. Bella, son héroïne, est la figure même de la victime devenue bourreau. Ralliée à la brutalité la plus obscène – mais, déclinée au féminin, la brutalité n’est-elle pas toujours considérée comme obscène ? –, Bella est présentée comme une version contemporaine de la folie féminine meurtrière : son éthique est ainsi réduite à une pathologie. À l’encontre du texte même de Helen Zahavi, ces commentaires manquent totalement ce qui est pourtant au centre du roman. Et, en ce sens, ils sont aussi peut-être le symptôme d’une volonté de ne pas savoir ; volonté que le texte même de Zahavi bouscule, déstabilise. Bella est bien une figure de la banalité qu’il y a à être violentée, et son week-end meurtrier, la fiction méthodologique qui sert à faire éprouver cette expérience, qui la fait, par l’écriture, accéder à la densité du réel et forcer les consciences.

Le roman déstabilise aussi une appréhension éthico-politique commune dans les courants féministes contemporains où la violence est seulement pensée comme expression de la puissance d’agir des « dominants » et ne constitue pas ou plus, par conséquent, une option « politique » possible pour le féminisme. Dans cette perspective, le roman est éminemment choquant parce qu’il resignifie les effets de la violence faite aux femmes en décrivant ce que la violence fait à Bella et ce qu’elle peut à son tour en faire. « Serial killer féministe », comme des journalistes l’ont qualifiée, Bella rompt ainsi avec une éthique féministe (ou trop rapidement attribuée au féminisme dans son ensemble) de la non-violence ; elle est la sale héroïne dont le féminisme avait besoin pour questionner son propre rapport à la violence : ce que l’on fait dans / de / avec la violence. Dans ce roman, nulle conversion véritablement héroïque de la gentille, fragile et vulnérable Bella en justicière sanguinaire défendant la cause des femmes. Il s’agit d’autre chose. Le politique se situe à un autre niveau : au cœur justement de cette intimité vécue, introspective, vaincue et désespérée, et, en même temps, de cette expérience charnelle d’une patience à bout. Dirty Week-end, c’est l’histoire politique du déploiement d’un muscle, jusqu’ici épuisé, recroquevillé sur lui-même, qui se saisit un jour d’un marteau pour exploser un crâne. « Politique », donc, au sens le plus féministe du terme, au sens où le personnel peut l’être.

Bella vit seule dans un tout petit appartement en semi-sous-sol d’un immeuble modeste, typique de Brighton, ville côtière du sud de l’Angleterre. Comme des millions d’autres, Bella est une jeune femme sans histoires, dont nul n’était censé se souvenir. Dans la vie, elle n’a ni ambition ni prétentions, pas même au bonheur le plus simple, le plus stéréotypé. D’ailleurs, Bella « a appris à être une bonne perdante. Perdre semblait lui convenir. C’était quelque chose de familier, comme une douleur qui a toujours été en vous, et qui vous manquera si jamais un jour elle disparaît ». Bella est une antihéroïne, un personnage anonyme, une femme qui passe et presse le pas, une ombre dans une foule. Et Bella est à ce point commune qu’elle peut précisément figurer toutes les femmes. Comme l’écrit Zahavi : « Vous la trouvez pathétique ? Sa faiblesse vous rebute ? L’image de ses grands yeux fous de victime vous soulève l’estomac ? Ne la jugez pas. Ne la jugez pas sans avoir vécu cela. » Dont acte, nous sommes toutes un peu Bella. Qui n’a pas une fois ressenti la médiocrité existentielle de Bella, son propre anonymat, la peur si familière qui l’accompagne, ses espoirs avortés, son épuisement revendicatif, sa claustrophobie à vivre dans son espace étriqué, à survivre dans son corps, son genre, son humilité à supporter sa galère sociale, sa seule exigence de vivre tranquille ? Parce que nous faisons à peu près quotidiennement, de façon répétitive, diverse, l’expérience de toute cette myriade de violences insignifiantes qui nous pourrissent la vie, qui met en permanence à l’épreuve notre consentement ; parce que nous faisons à peu près quotidiennement l’expérience de ces regards salaces, de ces harcèlements licites, de ces réflexions humiliantes, de ces gestes intrusifs, de ces brutalités nauséeuses, qui endommagent nos corps comme nos vies.

Les premières pages qui décrivent la vie de Bella dessinent en creux ce qui pourrait être qualifié de phénoménologie de la proie. Une expérience vécue que nous tentons par tous les moyens de supporter, de normaliser par une herméneutique du déni, en tentant de donner sens à cette expérience en la vidant de son caractère invivable, insupportable. Bella est très vite agressée par un homme des plus « ordinaires » (c’est un détail important) qui la violente de toute part, et elle essaie de maintenir coûte que coûte la fiction d’une Bella d’« avant » l’agression. Elle tente de vivre comme à son habitude, de se rassurer en faisant semblant que tout va bien, de se protéger en faisant comme si rien ne s’était passé, en déréalisant sa propre appréhension de la réalité – en face dans la rue, un homme la regarde jour et nuit depuis sa fenêtre, mais peut-être est-ce elle qui pense qu’un homme la regarde. Bella vit dans cet effort constant qui consiste à n’accorder que peu d’importance à soi : à ses ressentis, à ses émotions, à son malaise, à sa peur, à son angoisse, à sa terreur. Ce scepticisme existentiel de la victime relève d’une perte de confiance généralisée qui touche tout ce qui est vécu, perçu, au je. Puis, quand le déni devient impossible, Bella « prend sur elle » : en se recroquevillant dans son corps, en restant tapie dans son appartement, en rétrécissant son espace vital qui, malgré tous ses efforts, est violé. Elle vit dans la banalité d’un quotidien d’une proie qui veut s’ignorer, en aménageant sa vie pour en sauver le sens, et parce que l’idée même d’être une proie appelle une forme d’attention à soi qu’elle ne s’accorde même pas. Aussi, l’agression, loin de marquer un point de rupture dans l’itinéraire d’une vie sans histoires, n’est en fait que le révélateur de ce que les expériences continuées de la violence ont déjà abîmé, marqué dans le corps de Bella. Elles ont constitué son corps propre, son rapport au monde, ont charpenté la façon même dont ce monde lui apparaît, la touche ; elles ont modelé la façon dont son corps habite, affecte ce monde et s’y déploie. Il n’y a donc pas de retour possible à une vie ante agression. Il n’y a pas de possibilité de « revenir » en arrière car, de fait, il n’y a pas de point d’accroche pour retrouver une féminité épargnée, qu’il faudrait restaurer ou déviolenter.

L’histoire de Bella, c’est aussi l’histoire d’un voisin, un homme lambda, habitant l’immeuble en face, qui a décidé un jour de la violenter. Pourquoi ? Parce que Bella paraît si pathétique, si fragile, déjà si « victime ». Et, si nous sommes toutes un peu Bella, c’est aussi parce que, comme Bella, nous avons commencé à ne plus sortir à certaines heures, dans certaines rues, à sourire quand un inconnu nous interpellait, à baisser les yeux, à ne pas répondre, à presser le pas quand nous rentrions chez nous ; nous avons veillé à fermer à clef nos portes, à tirer nos rideaux, à ne plus bouger, à ne plus répondre au téléphone. Et, comme Bella, nous avons dépensé beaucoup d’énergie à croire que notre perception de cette situation n’était pas digne de faire sens, qu’elle n’avait pas de valeur, de réalité : à dissimuler nos intuitions et émotions, à simuler que rien de révoltant ne se passait ou, au contraire, que ce n’était peut-être pas acceptable d’être épiée, harcelée ou menacée, mais que c’est nous qui étions de mauvaise humeur, qui devenions intolérantes, paranoïaques, ou alors qu’on avait la poisse, que ce genre de « trucs », ça n’arrivait qu’à nous. Précisément, l’expérience de Bella est une somme de bribes d’expériences communément partagées mais aussi la description minutieuse de toutes ces tactiques prosaïques, de tout ce travail phénoménal (perceptif, affectif, cognitif, gnoséologique, herméneutique), que nous effectuons chaque jour pour vivre « normalement », qui relève du déni, du scepticisme, et rend indigne tout ce qui relève de soi. Or, cette normalité renvoie de fait à un critère de l’acceptable (et donc aussi à un critère de l’inacceptable, du révoltant), défini par la perspective imposée par cet homme à la fenêtre : c’est d’après son échelle de l’acceptable et du crédible, d’après « son monde à lui », que nous jugeons qu’il est « normal » de subir ce qu’il fait puisque c’est lui qui juge « normal » d’agir comme il le fait.

Et c’est depuis cet horizon d’expériences commensurables de la banalité du pouvoir que Bella peut devenir le personnage tragique d’un conte féministe, un conte exemplaire. Car l’histoire de Bella ne commence véritablement que quand Bella considère que finalement ça suffit. Il n’y a pas de roman avant ce point de basculement, juste un prologue qui évoque ce que ça fait d’être une femme.

Le voisin de Bella, l’homme qui l’observait par la fenêtre, l’appelait au téléphone, la réveillait au milieu de la nuit, cet homme l’a suivie un après-midi. Il s’est assis à côté d’elle alors qu’elle s’était octroyée quelques minutes pour jouir d’un rayon de soleil dont elle s’était privée depuis des semaines ; il lui a mis la main sur la cuisse, tenu le poignet au point de le lui briser, l’a embrassée de force et il lui a promis de venir chez elle pour lui « faire mal », Bella attend. Elle attend son tour devant la porte du monde de son violeur. Elle a beau lui avoir dit d’arrêter ; elle a beau avoir évoqué le fait que c’était insensé, protesté que c’était anormal : il n’entend pas, il ne comprend pas. C’est le « vide sidéral » – elle perd pied, elle n’y arrive plus ; elle est désorientée et ne parvient plus à restaurer du sens. Pourtant, Bella va « passer à l’acte ». Pourquoi ce jour-là précisément ? Était-elle plus exténuée de tout ce travail accompli pour maintenir une « vie normale » ? Rien ne permet d’y répondre. Tout se passe comme si un mouvement ou, plutôt, une tension à l’échelle même d’un muscle dont elle ignorait encore l’existence s’était petit à petit manifestée, avait fécondé un « petit noyau de rage compact ». Bella s’est arrêtée de douter, elle a arrêté de nier et d’attendre, de protester gentiment en tentant de sourire. Elle est alors sortie d’elle-même, elle est sortie de chez elle, elle a marché vers quelque chose : « Il était trois heures passées quand elle arriva dans les North Laines. C’est un quartier où on se rend quand on souhaite consulter un psy, se faire lire les lignes de la main, ou connaître son avenir. C’est le quartier mystique et altruiste de la ville. Là où on vous prend par la main pour vous conduire à travers vos rêves. »

Au cours de cette pérégrination, elle rencontre un voyant iranien, qui lui tient des propos elliptiques, et avec lequel elle parle longuement : d’elle, de sa vie, de son arrivée à Brighton trois ans auparavant, de ce qui se passe depuis plusieurs mois. Elle raconte la fatigue d’être une femme, à la manière d’une fable de l’hétérosexualité désenchantée. Les désirs, les rencontres, le sexe, l’amour libre, l’amour payant, le désamour, la désillusion, les ruptures, les abandons, parce qu’il nous dit que « l’on se laisse aller ». Les petits riens de la non-attention, du non-intérêt, de la non-écoute, des non-regards, des non-égards, du non-soin, du non-attachement qui ont généré chez Bella cette conviction profonde d’être « une épave flottante, un objet rejeté sur la côte. La dernière de la course. La pluie sans que vienne le beau temps. Un simple galet sur la plage. La dernière sortie du lit et la dernière dans la queue. La dernière en tout, pour tout le monde ». Ce passage du roman est crucial : Bella dialogue avec le voyant, mais se parle à elle-même.

Elle s’adresse à lui mais elle s’écoute. Pour la première fois, elle prend en compte ses propres mots, ses ressentis, ses jugements. Elle se redonne réalité. Apparaît alors, derrière l’« exceptionnelle » violence de son voisin « ordinaire », toute la violence des protagonistes « connus », « proches », « familiers » qu’elle a rencontrés tout au long de sa vie : des enseignants, des amoureux, des amants, des amis, des patrons… Cette parenthèse introspective redonne de la densité à son point de vue, à sa perspective, à son monde vécu.

Elle fait le lien entre toutes ses expériences, et objective tout ce qu’elle a déjà fait, toutes les résistances imperceptibles qu’elle a déployées pour traverser et vivre dans ces violences. Il s’avère que si Bella est encore là, c’est qu’elle est depuis longtemps une experte de l’autodéfense – une autodéfense qui n’en a pas le nom, pas le label, ni le prestige. Les techniques d’autodéfense que Bella a activées quotidiennement ont précisément été efficaces parce qu’elles lui ont permis de ne pas être complètement abattue par la violence. Évitement, déni, ruse, mot, argument, explication, sourire, regard, geste, fuite, esquive sont des techniques de « combat réel » qui ne sont pas reconnues comme telles. Bella prend donc conscience que, jusqu’ici, elle s’est défendue mais qu’elle s’est épuisée à prendre sur elle, qu’elle a raboté son monde, coupé dans le vif de son être. Elle a fait avec les moyens du bord, avec ce qu’on lui avait appris, ce qu’elle a reçu en héritage. Cette tactique qui relève de ce qui apparaît de prime abord comme une lâcheté toute « féminine », a été la seule tactique de survie efficace lui permettant de sauver la face au prix de sa propre déréalisation. N’empêche, jusqu’ici, elle a survécu, elle s’est défendue tant bien que mal.

Une question surgit alors : que peut-elle faire à présent, que lui est-il permis d’espérer ? Se défendre. Se défendre encore mais autrement : passer de la tactique à la stratégie. Ne plus se tenir tapie dans le monde de l’Autre à éviter les coups et à serrer les dents. Bella ne se libère pas, elle n’est pas plus « libre » qu’avant, elle comprend juste qu’elle est en colère, et cela lui suffit pour agir. Cette colère lui appartient. Bella restera polie, humaine, presque prévenante avec ses victimes. Au constat que, jusqu’ici, Bella s’est défendue de la violence en se faisant constamment violence, elle va modifier les règles de sa propre action. Plutôt que d’agir en « prenant sur elle », elle va se recentrer sur elle-même, prendre soin d’elle-même, et agir sur le monde. Et, pour cela, il faudra nécessairement qu’elle transgresse les règles en vigueur.

Alors voilà, même la fragile Bella peut soulever un marteau. C’est elle qui, un vendredi soir, part chez son agresseur en pleine nuit et s’introduit dans sa chambre. C’est elle qui, à présent, lui explique les nouvelles règles parce qu’il ignorait que le jeu avait changé ; c’est elle encore qui lui assène plusieurs coups et lui fracasse la tête, le laissant agoniser dans une mare de sang. À partir de ce point de non-retour, Bella tout en restant Bella va prendre soin d’elle-même en donnant de l’importance à sa réalité. Bella ne voulait pas s’imposer, elle ne voulait embêter personne, mais finalement, toute sa vie, elle a été éduquée à tuer les hommes – parce que, de fait, ils ont fait beaucoup pour qu’elle en arrive là ; ils l’ont très bien éduquée à la violence et il ne faut pas beaucoup de volonté, de force pour « passer à la violence » ; pas beaucoup de technique, pas beaucoup d’entraînement, et c’est d’ailleurs précisément pour cette raison qu’il est si facile de violenter une femme. Elle a vu faire, elle a vu faire, elle a éprouvé ce que cela fait. Au cours du week-end qui va suivre, ceux qu’elle rencontrera sur son passage vont donc « y passer », Toutefois, ces meurtres ne sont jamais « aveugles » : ne sachant pas que Bella avait changé les règles du jeu, tous les hommes croisés en deux jours l’ont comme à l’accoutumée insultée, harcelée, frappée, violée, menacée de la liquider, ou ont violenté une autre femme.

En réalité, c’est Bella elle-même qui est parvenue à un certain stade de maturité : à un point où la violence subie ne peut que devenir une violence agie. Bella est l’Émile mutant de Helen Zahavi, elle est une bonne élève. Elle n’a jamais pratiqué d’arts martiaux, elle n’a jamais reçu d’entraînement spécial, ni appris à utiliser un marteau, un couteau, ou tirer au pistolet… mais le travail sourd de la violence vécue a fonctionné en elle comme un apprentissage à l’autodéfense féministe – lui donnant, sans qu’elle s’en aperçoive elle-même, les ressources pour raisonner, juger, agir et frapper – c’est-à-dire pour advenir au monde. Bella expérimente son corps, elle apprend « sur le tas ». Elle commence à faire confiance à ses ressentis (à sa haine, sa rage, sa peur, sa joie), à ses déductions (non il ne faut pas se moquer d’un homme qui bande mou, non il ne faut pas se faire raccompagner, non il ne faut pas s’engouffrer dans une ruelle sombre, non il ne faut pas se tenir à portée d’une main prête à vous gifler, non il ne faut pas les laisser s’approcher trop près de votre cou… à moins d’être armée et résolue à taper fort), à donner du poids à ses choix (est-ce trop demander de vivre sans être violentée ?). Les deux jours de Bella figurent la temporalité d’un stage d’autodéfense féministe, avec sa pratique accélérée, son partage d’expériences, ses prises de conscience et ses recommandations. Bella n’a pas appris à se battre, elle a désappris à ne pas se battre. En passant à une stratégie d’autodéfense féministe, il ne sera donc jamais question de distiller la réalité pour en extraire l’efficace d’un geste (immobiliser, blesser, tuer…), mais, au contraire, de s’enfoncer dans la trame de la réalité sociale de la violence pour y entraîner un corps qui est déjà traversé par la violence, pour déployer un muscle familiarisé à la violence mais qui n’a fondamentalement jamais été éduqué et socialisé à s’entraîner à la violence, à l’agir.

S’il y a bien une mue, pour autant il n’y a pas de véritable métamorphose dans Dirty Week-end, Bella reste toujours la même. Elle ne devient ni une « hystérique assoiffée de cruauté » ni une « héroïne meurtrière magnifique », Helen Zahavi veut préserver son personnage principal dans sa banalité féminine à la fois si singulière et si communément vécue. L’autrice précise à plusieurs reprises que Bella voulait qu’on la laisse tranquille et que, malgré sa patience à toute épreuve, cela n’a pas été possible. Il a fallu deux jours de violence sidérante pour que son point de vue soit enfin pris en compte, qu’il compte pour autrui.

«Elle s’appelait Emmanuelle, elle avait 26 ans» : une année de meurtres conjugaux

120 femmes sont tuées chaque année par leur conjoint, leur mari ou leur ex. Derrière cette statistique, il y a des prénoms, des histoires, des vies. Cette litanie funéraire égrène les meurtres conjugaux depuis le 1er janvier 2017 : on en décompte déjà 59.

Article trouvé sur liberation.fr (Nous recommandons aussi le « Grand format » de Libé dont on trouvera le lien un peu plus bas.)

Cette liste macabre n’est pas exhaustive. Elle s’appuie sur les cas qui ont été mentionnés dans la presse depuis janvier 2017. En outre, certaines affaires n’ont pas été intégrées quand l’enquête n’était pas encore suffisamment avancée.

J’ai également choisi de ne pas inclure ce qu’on appelle les «suicides altruistes», ces couples où la femme est malade, par exemple atteinte d’Alzheimer, et où le mari la tue pour mettre fin à sa souffrance, ou parce que, lui-même malade, il sait qu’il ne pourra plus s’occuper d’elle. J’ai estimé que dans ces cas, il y avait peut-être eu un pacte fait par le couple. Mais force est de constater que je ne suis pas tombée sur le cas inverse. Une femme qui tue son mari atteint d’Alzheimer. Pourtant, cette configuration d’une femme qui s’occupe de son mari malade doit être courante. Mais il est possible que les femmes ayant été élevées dans l’attention aux autres, dans l’idée qu’elles étaient là pour prendre en charge leurs proches, choisissent d’assumer leur mission jusqu’au bout, peu importe à quel point le quotidien devient difficile. On peut donc également voir dans ces meurtres une marque de genre.

A lire Notre grand format «Violences conjugales : enquête sur un meurtre de masse»

Janvier

Elle s’appelait Doris. Elle avait 60 ans. Elle dormait quand son mari, âgé de 58 ans, l’a frappée à coups de batte de base-ball. L’autopsie a également révélé des marques de strangulation. Lui s’est ensuite suicidé en inhalant du gaz. Il était au chômage et n’était pas connu des services de police. Le procureur, pris d’un accès de romantisme, a déclaré : «Il a laissé des écrits expliquant qu’il la soupçonnait d’infidélité sans que l’on sache si ces faits sont avérés. Apparemment cet homme était toujours fou de sa femme après 33 ans de mariage et il n’a pas supporté.» Aubenas, Ardèche.

Elle s’appelait Sandrine. Elle avait «la quarantaine». Elle avait deux enfants. Elle était orthophoniste. Son corps a été retrouvé dans son pavillon. L’été dernier, elle avait quitté Franck, son conjoint, avec qui elle vivait à Londres. Elle était venue s’installer dans l’agglomération bordelaise. Franck vivait très mal cette séparation. Il avait 45 ans. Ancien élève de HEC, il travaillait depuis dix ans dans la finance à Londres. Franck a été mis en examen pour le meurtre de son épouse, il a reconnu les faits. Incarcéré en détention préventive, il s’est pendu. Talence, Gironde.

Elle s’appelait Valérie. Elle avait 39 ans. Elle avait deux enfants, âgés de 20 et 8 ans. Le soir du meurtre, ce dernier était chez son père. Valérie s’est disputée avec l’homme qu’elle fréquentait depuis six mois, Moulay, 32 ans. La dispute aurait tourné autour du passé judiciaire de Moulay. Il avait été condamné pour viol en 2011 et était sorti de prison en février 2016. Il l’a frappée. Elle a eu une orbite et la mâchoire cassées. Puis il lui a donné 13 coups de couteau au niveau du thorax et du cou. Après s’être confié à des proches, il s’est rendu de lui-même au commissariat. Besançon, Doubs.

Elle s’appelait Catherine. Elle avait 40 ans. Elle travaillait dans une boulangerie. Elle était mère de deux adolescents. Elle venait de quitter son mari, leur père. Ils étaient en instance de divorce. Lui avait 53 ans. Elle a été retrouvée morte dans sa voiture, garée devant sa maison, abattue par arme à feu. Son ex-mari a été retrouvé mort dans la maison, il se serait suicidé avec la même arme. Crouzet, Gard.

Elle s’appelait Sandra. Elle avait 39 ans. A 11h30, elle allait chercher son fils à la sortie de l’école élémentaire pour le déjeuner. Elle arrivait en voiture sur le parking quand une autre voiture lui a délibérément foncé dessus et l’a emboutie. Le conducteur est ensuite sorti de sa voiture et s’est dirigé vers Sandra. Il l’a poignardée à plusieurs reprises devant les portes de l’école. Des témoins ont tenté d’intervenir en vain. L’agresseur, âgé de 37 ans, était son compagnon. Il semblerait que le couple était sur le point de se séparer. Avon, Seine-et-Marne.

Elle s’appelait Monique. Elle avait 63 ans. Elle venait de se pacser avec son compagnon, 60 ans. Il l’a étranglée et s’est ensuite présenté chez le médecin. Il a été mis en examen. Saint-Beauzire, Puy-de-Dôme.

Elle s’appelait Micheline. Elle avait 53 ans. Elle était assistante maternelle. Son mari, Sylvère, 72 ans, la soupçonnait d’avoir un amant. Il a abattu l’amant potentiel, puis Micheline d’un coup de fusil de chasse avant de retourner l’arme contre lui. Le Moule, Guadeloupe.

Février

Elle s’appelait Karen. Elle avait 37 ans. Elle était caissière. Elle avait une fille de 3 ans et demi. Elle avait quitté le père, 45 ans, employé agricole, quinze jours auparavant. Ce vendredi-là, vers 13 heures, elle venait déposer leur fille chez lui. Ils ont commencé à se disputer. Karen a tenté de partir mais il l’a suivie et l’a poignardée. Il s’est ensuite retranché chez lui et s’est suicidé. Maison-lès-Chaource, Aube.

Elle s’appelait Fatima. Elle avait 58 ans. Lui 65. Ils étaient parents de trois enfants. Ils se disputaient parce qu’il la soupçonnait d’une infidélité. Il l’a frappée à coups de poing puis avec une feuille de boucher au visage et à la poitrine. Il a ensuite téléphoné à leur fille pour lui annoncer qu’il avait tué sa mère et qu’il allait se suicider. Il a raccroché et s’est défenestré du quatrième étage. Quelques semaines auparavant, elle était sortie de chez elle en pyjama en criant à l’aide, qu’il allait la tuer. Il avait été placé en garde à vue et avait reçu un rappel à la loi. Il avait également fait une tentative de suicide et était sorti récemment d’hôpital psychiatrique. Rueil-Malmaison, Hauts-de-Seine.

Elle avait 46 ans. Elle a été retrouvée morte étranglée dans le sous-sol de sa maison. A ses côtés, son mari était dans un état critique. Ils avaient 5 enfants, âgés de 12 à 24 ans. Après avoir été hospitalisé, il a été placé en garde à vue. Il a expliqué s’être violemment disputé avec sa femme, être tombé et puis le trou noir. Aucun souvenir. Elle envisageait de le quitter. Quelques semaines auparavant, il avait porté plainte contre elle pour menaces de mort et le même jour, elle avait déposé plainte contre lui pour violences conjugales. Nanteuil-lès-Meaux, Marne.

Elle s’appelait Gisèle. Elle avait 53 ans et travaillait depuis dix-neuf ans comme femme de ménage à la mairie de Pleucadeuc. Elle était mère et grand-mère. Elle avait quitté le domicile conjugal depuis cinq semaines pour s’installer chez sa fille. Ce dimanche-là, elle était partie en randonnée avec une amie, elles avaient passé l’après-midi ensemble. Vers 19 heures, Gisèle est partie de chez son amie. Elle s’est installée dans sa voiture. Son mari, 54 ans, employé dans l’agroalimentaire, qui était stationné dans un véhicule à côté, lui a tiré dessus à bout portant à quatre reprises avec son fusil de chasse. Il est ensuite venu s’asseoir sur le siège passager, à côté d’elle, et a retourné l’arme contre lui. Il s’est blessé au visage. Il était connu de la police pour des problèmes d’alcool et des faits de violence. Son avocat a expliqué : «Il n’a ni prémédité, ni préparé son acte. Il a pété les plombs, voilà tout.» Pleucadeuc, Morbihan.

Elle s’appelait Jennifer. Elle avait 31 ans. Elle était séparée de son conjoint, Loïc, mais ils vivaient encore ensemble ainsi qu’avec leurs deux enfants âgés de 3 et 7 ans. Jennifer avait prévu de déménager en février. Mais elle a disparu. Un avis de recherche a été lancé. Elle était portée disparue depuis deux mois quand son corps a été retrouvé dans un ravin. C’est son ancien compagnon, Loïc, 31 ans, employé à l’aéroport de Bastia, qui a indiqué aux enquêteurs l’emplacement de son corps. Il a reconnu avoir étranglé Jennifer. Elle l’aurait menacé avec un couteau. Il a ensuite déplacé le corps avec sa voiture et l’a dissimulé dans la végétation en contrebas d’une route. Il s’est débarrassé du téléphone et de la voiture de la victime. Son avocate a déclaré qu’il regrettait douloureusement son geste. Vescovato, Haute-Corse.

Elle s’appelait Rita. Elle avait 58 ans. Elle était conductrice de cars. On lui a tiré dessus un matin devant son entreprise. Selon le procureur, il s’agirait de son ex-compagnon, Alberto, 59 ans, qui aurait ensuite retourné l’arme contre lui mais serait encore en vie. La rupture était récente. Alberto avait déjà été condamné en Italie, en 1988, pour le meurtre de sa compagne de l’époque. Elle avait refusé de l’épouser. Condamné à huit ans de prison, il en avait fait quatre. Montmélian, Savoie.

Elle s’appelait Stéphanie. Elle avait 30 ans. Elle travaillait dans une mutuelle à Corbeil-Essonnes. Il y a deux ans, elle a rencontré Lothaire, 33 ans. Elle travaillait pour la cantine d’une société pour laquelle Lothaire faisait une mission de consulting en informatique de quelques mois. Il l’a draguée mais Stéphanie n’était pas intéressée. Elle a ensuite changé d’emploi. Elle sortait de son travail à la mutuelle, un soir à 18 heures. Lothaire l’attendait. Il avait dissimulé sous son manteau un fusil à pompe et de quoi l’attacher, son plan étant de la kidnapper. Mais elle s’est débattue. Il lui a tiré dessus deux fois puis s’est fait exploser la tête. Corbeil-Essonnes, Essonne.

Elle s’appelait Sylvie. Elle avait 47 ans. Elle était aide à domicile. Elle était en instance de divorce avec Claude, 50 ans, carrossier. Le jour où il devait quitter le domicile conjugal, il l’a abattue avec un fusil de chasse puis s’est pendu. Rigny-le-Ferron, Aube.

Elle s’appelait Marie-Rose. Elle était «octogénaire». Elle avait travaillé à France Télécom. Son mari, René, l’a poignardée dans la cuisine puis s’est pendu dans le garage. Longjumeau, Essonne.

Mars

Elle s’appelait Hélène. Elle avait 27 ans et était la gérante d’un centre équestre. Elle a été retrouvée poignardée dans la cour de son établissement où elle vivait seule. Elle a reçu deux coups de couteau au cœur et au poumon. Son ex-compagnon a été mis en examen pour assassinat. Yannick a 45 ans, il est pompier volontaire. Ils sont restés trois ans ensemble et étaient séparés depuis un mois. Il a reconnu être possessif et jaloux. Il a également reconnu la préméditation. Début mars, Hélène avait porté plainte contre lui pour violation de domicile. Il était entré chez elle en cassant une vitre. L’affaire avait été classée sans suite sous condition de remboursement des frais. Trigny, Marne.

Elle s’appelait Betty. Elle avait 43 ans. Elle était brigadière de police au commissariat de Pointe-à-Pitre. Elle avait trois enfants. Son mari, Pascal, 44 ans, surveillant pénitentiaire, a aspergé son épouse d’un liquide inflammable, puis l’a brûlée vive. Il a empêché un voisin d’intervenir, puis s’est suicidé en se jetant sur le corps en flamme de son épouse. Le couple était en cours de séparation. Il y avait déjà eu une violente dispute sur le parking du commissariat et le mari avait été placé en garde à vue. Betty avait porté plainte contre lui pour violences. Il avait été jugé en comparution immédiate et avait interdiction d’approcher Betty. Il était malgré tout revenu la voir en la menaçant quelques jours plus tard. Gosier, Guadeloupe.

Elle avait 44 ans. Elle était auxiliaire de vie dans le collège où étaient scolarisés deux de ses enfants, âgés de 12 et 13 ans. Avec son nouveau compagnon, ils avaient également un petit garçon de 5 ans et demi. Elle a été poignardée chez elle. Les trois enfants ont également été poignardés dans leurs lits. L’homme, 46 ans, boucher-désosseur, s’est jeté sous un train. Dans sa voiture, les gendarmes ont trouvé un texte dans lequel il reconnaît les meurtres. Le couple était en cours de séparation et il ne le supportait pas. Il craignait de perdre son fils. Il avait été condamné dans les années 90 pour violences avec armes à trois ans d’incarcération. Beaumont-lès-Valence, Drôme.

Elle s’appelait Kelly. Elle avait 20 ans. Ce soir-là, elle passait récupérer ses affaires chez son ex, Steven, âge de 22 ans. Ils se sont disputés. Elle a été poignardée à mort. Son ancien compagnon avait également des plaies au couteau. Il a été hospitalisé puis a été placé en garde à vue. Montval-sur-Loir, Sarthe.

Elle s’appelait Julie. Elle avait 43 ans. Elle était secrétaire dans un cabinet dentaire et avait un fils de 13 ans. Depuis plusieurs semaines, elle se sentait menacée par un ex-compagnon. Il avait forcé la porte de chez elle pour la menacer. Elle avait déposé une main courante, prévenu ses amis et voisins et demandé au père de son fils de le prendre chez lui pour qu’il soit en sécurité. L’ex a réussi à entrer chez elle, il lui a donné 53 coups de couteau dont 7 mortels. Il était encore sur les lieux quand les pompiers sont arrivés. Nice, Alpes-Maritimes.

Elle s’appelait Blandine. Elle avait 29 ans. Elle était aide-soignante dans un hôpital. Elle avait une fille de 5 ans. Elle a été retrouvée morte à son domicile, au côté de Pascal, son ex-compagnon, garagiste, 33 ans, décédé lui aussi, une arme à feu près de lui. Selon le parquet, l’homme aurait tué son ex-compagne avant de se donner la mort. Le maire de la commune d’origine de Pascal a dit : «Pascal, que je connaissais bien, était quelqu’un de très doux, très équilibré.» Miramont-d’Astarac, Gers.

Elle s’appelait Nicole. Elle avait 62 ans. Elle a été battue à mort chez elle. Elle avait plusieurs côtes et une épaule cassées et présentait également des traces de coups plus anciennes. Son ex-concubin, 32 ans, a été mis en examen. En octobre dernier, il avait été condamné à six mois de prison pour des faits de violence sur Nicole. Il avait été placé sous contrôle judiciaire avec obligation de suivi. La peine était assortie d’une interdiction d’entrer en contact avec Nicole. Abbeville, Somme.

Elle s’appelait Marcelle. Elle avait 90 ans. Elle était infirmière à la retraite. Son mari, Frédéric, 86 ans, l’a tuée en la frappant avec une casserole. Peu de temps avant, on avait diagnostiqué à Frédéric une maladie d’Alzheimer. Il a déclaré : «Elle a ce qu’elle mérite, je l’ai fracassée». Limeil-Brévannes, Val-de-Marne.

Elle s’appelait Cathy. Elle avait 43 ans. Elle était employée municipale. Elle avait cinq enfants. Elle venait de quitter son mari, 48 ans. Elle est retournée chez eux pour récupérer des affaires. Il l’a étranglée. Hospitalisée, elle est décédée quelques jours plus tard. Fosses, Val-d’Oise.

Elle s’appelait Virginie. Elle avait 41 ans. Elle avait une fille de 13 ans. Elle entretenait une relation épisodique avec Pierre, 45 ans. Il avait déjà été condamné en 2014 et 2015 pour des violences contre Virginie mais il continuait de débarquer chez elle malgré l’interdiction de la voir. Ce soir-là, il reconnaît l’avoir frappée à plusieurs reprises au visage et à la tête. Le lendemain matin, il est retourné chez elle. Elle était inconsciente, ou morte. Il a nettoyé les taches de sang. Il a également donné un bain à Virginie, toujours inconsciente ou morte, et l’a déposée sur le canapé. C’est sa fille de 13 ans, qui rentrait d’un week-end chez ses grands-parents, qui l’a ensuite trouvée, morte. Vaivre-et-Montoille, Haute-Saône.

Elle s’appelait Nicole. Elle avait 47 ans. Elle sortait d’une supérette avec son nouveau compagnon quand une voiture leur a foncé dessus et les a renversés. Le conducteur était son ancien conjoint, Jean-Pierre, 58 ans. Il était sorti de prison depuis deux ans après une peine de quinze ans pour un crime sexuel. Saint-Louis, Réunion.

Elle s’appelait Djeneba. Elle avait 37 ans. Elle s’occupait d’un élevage de bovins. Elle était originaire du Mali où elle avait été vétérinaire puis elle était venue en France en 2008 pour suivre Jean-Paul, 67 ans qu’elle a épousé. Ils avaient trois enfants. L’an dernier, Djeneba a lancé une procédure de divorce suite à des violences conjugales. Une ordonnance de protection avait été mise en place interdisant à Jean-Paul, chasseur, le port d’arme, mais personne n’était venu saisir ses armes. Ce matin-là, alors qu’elle venait de déposer ses enfants à l’école et à la crèche, elle est arrivée dans la cour de l’exploitation agricole où elle travaillait. Jean-Paul l’attendait, il l’a abattue d’un tir de fusil de chasse. Les proches envisagent de porter plainte contre les services de l’état. Gorses, Lot.

Avril

Elle s’appelait Nastasia. Elle avait 18 ans. Elle était groom-stagiaire dans un centre équestre. Elle sortait depuis quelques mois avec Roberto, 38 ans. Il l’a poignardée, chez elle. Un coup à la carotide a été fatal. Longvilliers, Yvelines.

Elle s’appelait Djamila. Elle avait 31 ans. Elle a été retrouvée sur son lit, victime de deux coups de couteau à la gorge et un à l’abdomen. A côté d’elle, les pompiers, qui venaient pour un problème de fuite d’eau, ont trouvé son compagnon, 47 ans, allongé. Il dormait, ivre. Il semblerait qu’il n’aurait pas supporté une infidélité. Alès, Gard.

Elle s’appelait Séverine. Elle avait 29 ans. Elle était mère de deux enfants, âgés de 6 ans et 18 mois. Elle venait de se séparer de leur père, 32 ans. Elle a été battue à mort chez elle. Son ex-compagnon s’est présenté au commissariat, accompagné de leurs enfants, pour se constituer prisonnier le soir même. Il lui avait déjà cassé le nez en janvier dernier. La Plaine, Maine-et-Loire.

Elle avait 35 ans. Elle avait trois enfants de 11, 8 et 5 ans. Les deux petits jouaient ailleurs mais l’aîné était présent dans la cuisine quand son père, 43 ans, a poignardé sa mère. L’enfant s’est interposé et a été blessé. Il a réussi à appeler les secours. Elle était aidée depuis 2014 par l’association SOS femmes 49. En novembre 2015, elle avait déposé une plainte pour menace de mort qui avait été classée sans suite après enquête et confrontation des deux parties. En novembre 2016, elle avait entamé une procédure de divorce. Elle a reçu 24 coups de couteau, principalement au visage et dans le cou. Trélazé, Maine-et-Loire.

Elle avait 35 ans. Elle était «adulte protégée». Ils s’étaient rencontrés à l’hôpital psychiatrique de Rennes. Ils avaient tous les deux également des problèmes d’alcool. Son ex-compagnon, 42 ans, a été retrouvé dans l’appartement de la victime, à proximité du corps poignardé. Elle a reçu 45 coups de couteau, principalement à l’abdomen. Plus d’une vingtaine était mortels. Il avait déjà été condamné deux fois pour des violences contre elle et avait interdiction de l’approcher. Rennes, Ille-et-Vilaine.

Elle s’appelait Alison. Elle avait 26 ans. Elle était en voiture avec son compagnon, 41 ans, employé aux espaces verts, et leur fils de 2 ans. Leur aîné, âgé de 7 ans, n’était pas présent. Ils étaient sur la départementale 47. Ils s’étaient arrêtés sur le bas-côté de la chaussée, étaient sortis de la voiture quand son compagnon l’a poignardée à 11 reprises dans l’abdomen. Un automobiliste qui passait a assisté à la scène et a appelé les secours mais ils n’ont pas pu la réanimer. Son compagnon, encore sur les lieux, a été arrêté. Il était connu de la police pour des faits de violence. Il a expliqué avoir mené durant des années une double vie. Il venait d’accepter de demander le divorce et venait d’emménager chez Alison. Alors que leur situation se «normalisait», elle l’aurait menacé de le quitter. Il dit avoir voulu la menacer. Rombas, Moselle.

Elle s’appelait Danièle. Elle avait 72 ans. Elle était mariée depuis trente-six ans avec Georges, 93 ans. Il l’a tuée avec une arme de poing avant de se suicider. Georges souffrait d’un cancer à un stade avancé. Danièle fréquentait depuis un an une association d’aide aux femmes, l’Apiaf. L’association a expliqué qu’elle avait pris conscience de la violence de son mari qui la tenait enfermée au maximum mais qu’elle ne souhaitait pas le quitter, elle disait que c’était un homme très vieux, pas dangereux. Toulouse, Haute-Garonne.

Elle s’appelait France-Lise. Elle avait 52 ans. Elle avait été conseillère municipale. Elle avait deux filles. Elle était en instance de divorce. Son mari, Paul, 53 ans, serrurier, l’a abattue devant chez elle de deux balles et s’est ensuite suicidé. Haute-Rivoire, Rhône.

Mai

Elle s’appelait Noémie. Elle avait 30 ans. Elle était infirmière. Elle s’est disputée avec son petit ami, 31 ans, policier. Noémie a été touchée par un tir dans le dos. Le policier, qui n’était pas en service, avait son arme de fonction avec lui. Il était déjà connu pour des faits de violences sur une ex-compagne. Nailly, Yonne.

Elle s’appelait Marion. Elle avait 41 ans. Elle était la mère de deux petits garçons. C’est son compagnon, Martial, 40 ans, qui a prévenu la police, affirmant qu’il l’avait trouvée morte chez eux. L’autopsie a révélé qu’elle avait été violée et battue. Les voisins ont évoqué des cris, une forte dispute. Le conjoint a été mis en examen pour violences volontaires et viol ayant entraîné la mort. Il s’est pendu en détention. En mars, Marion avait déjà été soignée pour des coups mais n’avait pas porté plainte. Aigrefeuille-sur-Maine, Loire-Atlantique.

Elle s’appelait Nathalie. Elle avait 45 ans. Elle avait deux enfants, de 18 et 22 ans. Elle venait de quitter son compagnon. Il est entré chez elle par la force, avec une arme à feu et lui a tiré dessus à bout portant. Il a ensuite retourné l’arme contre lui. Il est décédé le lendemain des suites de ses blessures. Brignoles, Var.

Elle s’appelait Michèle. Elle avait 38 ans. Elle fréquentait Mourad, 30 ans, depuis trois ans. Elle a été tuée à coups de marteau. Mourad nie être responsable mais il a été vu s’enfuyant de chez Michèle, montant en voiture et partant à toute vitesse. Sa voiture a été retrouvée dans un fossé un peu plus loin. Il a continué à pied et a été arrêté. Lagorce, Gironde.

Elle avait 78 ans. Elle venait de quitter son compagnon et avait emménagé en Dordogne, près du domicile de leur fils. Son compagnon, 80 ans, l’a étranglée avec une écharpe avant de se pendre avec un câble électrique. Le parquet précise qu’il ne s’agit pas d’un «suicide altruiste», «cette dame ne voulait pas mourir». Domme, Dordogne.

Elle avait 48 ans. Elle venait de se séparer de son compagnon, 50 ans. Ils tenaient ensemble un bar-restaurant. Elle souhaitait vendre l’affaire pour reprendre sa part et pouvoir retourner vivre au Brésil, son pays d’origine. Il l’a abattue de quatre balles devant le bar. Eragny, Val-d’Oise.

Elle s’appelait Sadia. Elle avait 47 ans. Son compagnon, Damien, 46 ans, ancien agent communal, l’a abattue de deux balles de revolver dont une dans la tête. Il s’est ensuite suicidé. Ils avaient chacun de leur côté des enfants. Les enquêteurs évoquent une violente dispute et un «contexte alcoolisé» mais on ignore les raisons de cet homicide. Cour-et-Buis, Isère.

Elle avait la trentaine. Elle était serveuse dans un restaurant. Son ex-compagnon, 37 ans, est entré dans le restaurant en pleine journée et l’a poignardée. Il a ensuite poignardé le cuisinier avec qui il soupçonnait qu’elle entretenait une liaison. Chambéry, Savoie.

Elle s’appelait Margaux. Elle avait 29 ans. Elle travaillait comme aide-puéricultrice dans une crèche. Elle avait deux enfants de 5 et 6 ans. Ils étaient présents cette nuit-là, à leur domicile. Mohamed, 29 ans, son compagnon et père de ses enfants, dont elle s’était séparée mais avec qui elle revivait depuis un mois, a débarqué dans la nuit chez un proche pour lui confier leurs deux enfants. Il a lui expliqué qu’ils s’étaient disputés et qu’elle était inconsciente quand il était parti. Il a laissé les enfants et a ensuite pris la fuite. Le proche a prévenu les secours qui ont retrouvé la victime morte avec un sac sur la tête et une cordelette autour du cou. C’était le jour de son anniversaire. Mohamed, qui avait réussi à rejoindre la Tunisie, a finalement décidé de se rendre à la police. La Trinité, Alpes-Maritimes.

Elle s’appelait Claire. Elle avait 35 ans. Elle était secrétaire médicale. Elle avait un garçon de 4 ans. Elle avait disparu de son domicile depuis le 22 avril. Son corps dénudé a été retrouvé par un promeneur le 7 mai près d’une ferme abandonnée. Elle a été tuée par arme blanche. Son compagnon, Simon, 30 ans, a été mis en examen. Il nie les faits mais pour les enquêteurs tout converge vers lui. Cohiniac, Côtes-d’Armor.

Juin

Elle s’appelait Liliya. Elle avait 49 ans. Elle a été tuée d’une balle dans la tête un matin devant son immeuble. Non loin de là, les policiers ont découvert un homme, Gérard, 68 ans, médecin, mort par balle également dans sa voiture, son fusil de chasse à côté de lui. Il s’agissait de son ex-compagnon. Les enquêteurs privilégient la piste du «drame passionnel». Cannes, Alpes-Maritimes.

Elle s’appelait Emilie. Elle avait 34 ans. Elle était secrétaire administrative. Elle avait un bébé de 15 mois avec Guillaume, 37 ans, ancien concessionnaire automobile. Ils élevaient également ensemble trois autres enfants issus d’unions précédentes. Ils étaient en instance de divorce après deux ans de mariage. Guillaume a confié les enfants pour la nuit aux grands-parents. Le lendemain, un TGV parti de Paris vers Nantes a percuté leurs corps. Emilie avait été ligotée au niveau des chevilles et des poignets avec du ruban adhésif. D’après l’autopsie, elle était vivante au moment du passage du train. Une enquête est ouverte pour homicide volontaire suivi d’un suicide. Elle a été tuée le jour de son anniversaire. Beauvilliers, Eure-et-Loir.

Elle s’appelait Sophie. Elle avait 90 ans. Elle avait fait un AVC mais venait de sortir de l’hôpital. Elle remarchait et faisait elle-même ses courses. D’après des voisins, elle était très heureuse d’être rentrée chez elle. Son mari l’a étranglée avant de tenter de se suicider avec une arme à feu. Il a été hospitalisé et son pronostic vital n’est plus engagé. Crépy-en-Valois, Oise.

Elle avait 32 ans. Elle était maître-chien. Son compagnon, la cinquantaine, ancien avocat, l’aurait étranglée avec un câble électrique. Ils se battaient souvent, la police avait dû intervenir à plusieurs reprises. Beauvais, Oise.

Elle s’appelait Virginie. Elle avait 48 ans. Elle avait sept enfants, âgés de 9 à 30 ans. Son corps a été retrouvé après l’incendie de son appartement dans lequel elle vivait seule depuis deux ans. Le feu aurait servi à masquer le meurtre, la cause du décès étant des blessures à l’arme blanche. Son ancien compagnon, 31 ans, a été arrêté. Saint-Omer, Pas-de-Calais.

Elle s’appelait Stella. Elle était secrétaire dans un Ehpad. Avec son mari Laurent, qui travaillait dans une fonderie, elle avait trois enfants âgés de 10 à 19 ans. Elle était atteinte d’une grave maladie. Sur Facebook, elle s’était réjouie de son cadeau de Saint Valentin : des places pour le concert de U2 en juillet prochain à Paris. Les pompiers ont été alertés d’un début d’incendie dans leur pavillon. A leur arrivée, ils ont découvert les corps du couple. Leurs enfants étaient chez les grands-parents. Il semblerait que Laurent aurait appelé les secours en disant qu’il avait fait une bêtise. Il aurait tué Stella avant de se suicider. Les Ormes, Vienne.

Elle avait 45 ans. Elle avait deux enfants de 14 et 21 ans. Elle travaillait dans un centre de vacances. C’est son compagnon qui a appelé la police. Il a ensuite tenté de se suicider. Blessé, il a été hospitalisé. Le corps de la victime présentait des plaies à l’arme blanche et des marques de strangulation. Pont-l’Évêque, Normandie.

Elle s’appelait Rhadia. Elle avait trois enfants. Les circonstances de sa mort ne sont pas connues pour l’instant. Quand elle a été prise en charge par les secours, son pronostic vital était engagé. Elle est finalement décédée. Son compagnon a été interpellé. Evry, Essonne.

Juillet

Elle s’appelait Mélanie. Elle avait 25 ans. Placé en garde à vue, son ex-compagnon a expliqué s’être disputé avec elle. Il serait ensuite sorti de l’appartement, aurait entendu un cri, serait revenu dans le salon et aurait alors trouvé Mélanie blessée. Elle a reçu trois coups de couteau au thorax, dont un mortel. Sarrebourg, Lorraine.

Elle avait 34 ans. Elle avait un enfant. Elle était mariée. Un homme, la trentaine, employé dans un Carrefour City, a prévenu les secours. Qui ont trouvé cet homme chez lui, gravement blessé au cou. Il aurait tenté de se suicider avant de les appeler. Il a indiqué aux enquêteurs que le corps de la femme était dans le coffre de sa voiture, sur un parking, à côté de l’appartement. Il a été placé en détention et n’a pour l’instant apporté aucune explication. D’après l’autopsie, elle est morte suite à un syndrome asphyxique. Saint-Alban-Leysse, Savoie.

Elle avait 32 ans. Elle avait un petit garçon de quatre ans. Elle était séparée du père. Son fils était gardé par son ex-belle-mère. C’est elle qui, sans nouvelles depuis deux jours, s’est inquiétée. Elle a prévenu la police qui s’est rendue chez sur place. Ils y ont trouvé le corps de la jeune femme, qui avait été étranglée, ainsi que celui d’un homme qui aurait été son amant et qui se serait pendu. Les enquêteurs pensent qu’il s’agit d’un homicide suivi d’un suicide. Elancourt, Yvelines.

Elle s’appelait Brigitte. Elle avait 62 ans. Elle avait cinq enfants. Elle était présidente du club de bridge de Chauny. Son mari, Régis, 67 ans, médecin à la retraite, s’est rendu à la gendarmerie pour avouer son crime. Brigitte a été retrouvée étranglée à leur domicile. Régis a été mis en examen pour meurtre aggravé. Le couple vivait toujours sous le même toit mais semblait être en voie de séparation. En 2015, le mari avait été condamné pour des violences conjugales à l’encontre de Brigitte. Chauny, Aisne.

Elle s’appelait Natacha. Elle avait 38 ans. Elle avait 6 enfants. Elle a été retrouvée morte chez elle. Elle a été tuée à coups de batte de base-ball dans la tête. Son conjoint, 35 ans, sans emploi, a été placé en garde à vue, soupçonné de meurtre. La famille connaissait de nombreuses difficultés, et avait été signalée pour des actes de violence conjugale. Les enfants avaient été placés. L’ensemble du village semblait au courant de la situation. Le maire a déclaré lui avoir conseillé à plusieurs reprises de porter plainte mais qu’elle avait refusé par peur. Une seconde information judiciaire a été ouverte pour une éventuelle non-assistance à personne en danger. Alzonne, Aude.

Elle s’appelait Estelle. Elle avait 36 ans. Elle avait un enfant. Elle a été tuée par arme blanche. Elle a été retrouvée dans le logement de son compagnon, un trentenaire qui vivait dans un centre d’hébergement pour personnes en grande précarité. Les enquêteurs évoquent un contexte de forte alcoolisation. Le compagnon a été mis en examen pour homicide volontaire aggravé et faits de violence. Il affirme que la victime s’est elle-même donné le coup de couteau fatal. Abbeville, Somme.

Elle s’appelait Florence. Elle avait 31 ans. Elle avait trois enfants de 16, 10 et 3 ans. Elle a été poignardée à la gorge et dans le dos par son mari, 48 ans, carrossier, sous les yeux de leur fils cadet. Ce sont les cris de l’enfant qui ont alerté les voisins. Depuis quelques semaines, elle était fréquemment absente de leur domicile. Son mari la soupçonnait d’avoir une liaison. Paea, Tahiti.

Elle s’appelait Michèle. Des proches qui s’inquiétaient de la disparition de cette mère et de sa fille de 18 ans, Estelle, ont prévenu la police qui s’est rendue à leur domicile. Les policiers y ont trouvé les deux corps, poignardés. Leur état indique qu’ils étaient là depuis plus d’un mois. Laurent, 43 ans, le mari et père, qui continuait de vivre dans l’appartement, a reconnu son implication dans le double meurtre. Ils avaient également un fils de 11 ans qui a été pris en charge par les gendarmes. Il n’aurait pas assisté aux meurtres et aurait continué de vivre dans le logement en ignorant tout. Le suspect a avoué avoir tué son épouse mais affirme que celle-ci venait de tuer leur fille. Corbas, Rhône.

Elle avait 37 ans. Elle avait un enfant de deux ans. Elle était aide-soignante dans un hôpital. C’est sa sœur, inquiète de ne plus avoir de ses nouvelles, qui a prévenu la police. Les policiers sont venus mener une enquête dans l’immeuble. La gardienne leur a signalé qu’un container de poubelle avait disparu depuis plusieurs jours. En inspectant la cave, ils ont trouvé le bac manquant et le corps de la victime à l’intérieur. Son compagnon, 34 ans, qui était dans l’appartement avec leur enfant, a été arrêté. Il a expliqué qu’elle l’avait énervé. Ils étaient dans la salle de bains, il l’a frappée, l’a laissée pour morte et est parti se coucher. Le lendemain, constatant qu’elle était décédée, il a caché son corps dans un container de poubelle à la cave. Sa sœur a raconté que quelques semaines plus tôt, elle avait déjà un cocard à l’œil et que son compagnon surveillait ses moindres faits et gestes. Paris, Ile de France.

Originaire de Rouen, elle était en vacances avec son conjoint et leur petite-fille de trois ans à Bandol. En fin d’après-midi, son conjoint a appelé la police pour dire qu’il l’avait tuée. Quand les policiers sont arrivés, ils ont découvert qu’elle avait été étouffée. Leur fille était présente. Bandol, Var.

Elle avait la cinquantaine. Elle avait plusieurs enfants. Elle était en cours de séparation avec son compagnon, la cinquantaine aussi. Elle venait de faire une demande auprès des services municipaux pour obtenir un autre logement. Il l’a abattue au fusil de chasse avant de se suicider. Carentan, Normandie.

Août

Elle avait quatre enfants, dont le plus âgé a 10 ans. Son compagnon, 35 ans, a appelé la police et les pompiers pour signaler son décès à leur domicile. Mais sur place, les enquêteurs ont des doutes. L’autopsie confirme que la femme a été tuée. Son compagnon a été mis en examen pour homicide volontaire. Saint-Etienne, Loire.

Elle avait 30 ans. Elle avait deux enfants de 3 et 2 ans. C’est son compagnon, 51 ans, peintre en bâtiment, qui a appelé les pompiers en signalant qu’elle ne respirait plus. Mais les secours ont découvert des ecchymoses sur son corps. L’autopsie a révélé qu’elle avait reçu des coups violents au crâne. L’homme avait déjà été condamné pour des violences sur une ex-compagne. Il a été mis en examen pour violences volontaires ayant entraîné la mort. Grenoble, Isère.

Elle s’appelait Frédérique. Elle avait 51 ans. Elle était archiviste à Fontainebleau. Son mari, Eric, 53 ans, agent de sécurité, l’a étranglée avec une ceinture de peignoir de nuit. Elle est décédée après trois jours de coma. Poligny, Seine-et-Marne.

Elle s’appelait Hulya. Elle avait 35 ans. Elle avait quatre enfants. Son ex-compagnon dont elle était séparée depuis deux mois s’est rendu chez elle tôt un matin. Il a découvert qu’un autre homme était présent avec elle. Ils se sont disputés. L’ex compagnon a attaqué l’homme à la machette et l’a blessé. Il a poignardé son ex-compagne à plusieurs reprises, elle a réussi à fuir mais il l’a poursuivie jusqu’à un parking devant une boulangerie. Il l’a encore poignardée avant de repartir en voiture. En démarrant, il lui aurait roulé dessus. Il s’est rendu au commissariat quelques heures plus tard. La Grand-Croix, Loire.

Elle avait 64 ans. Elle a été retrouvée morte à son domicile, ruée de coups. Les enquêteurs ont immédiatement recherché son compagnon, 30 ans. Le voisinage évoque de fréquentes disputes. Le suspect s’est finalement rendu à la police et a été incarcéré. Saint-Nizier d’Azergues, Rhône.

Elle s’appelait Thalie. Elle avait 36 ans. Son compagnon, 35 ans, l’a frappée avec un robinet neuf, pas encore monté. Des coups suffisamment violents pour la tuer. Il s’est rendu de lui-même à la police avec sa mère et son beau-père. Il a expliqué qu’il s’agissait d’un différend au sujet de la cuisson d’œufs au plat. Il a des antécédents psychiatriques. A cette occasion, plusieurs sites d’infos ont fait des titres «rigolos».  Nantes, Loire-Atlantique.

Elle s’appelait Geneviève. Elle avait 77 ans. Elle avait deux enfants et des petits-enfants. Elle avait été institutrice. C’est son mari, Michel, 74 ans, ancien conseiller municipal, qui a prévenu les secours. Il l’aurait étranglée. Il a ensuite avalé des médicaments pour se suicider, en vain. Ils étaient mariés depuis quarante ans et aucun voisin n’avait remarqué de problème particulier. La Bassée, Nord.

Elle s’appelait Laura. Elle avait 18 ans depuis six jours. Elle venait d’obtenir son bac. Son compagnon, David, 28 ans, passionné d’armes à feux, a admis lui avoir tiré dessus mais plaide le tir accidentel. Après ses aveux, il s’est précipité la tête contre un mur et a été hospitalisé. Les enquêteurs ont retrouvé l’arme dans une rivière proche. Le procureur a indiqué qu’il s’agissait d’un meurtre et non d’un accident. David avait déjà été condamné pour des faits violence et il lui était interdit de détenir des armes. Rambervilliers, Vosges.

Elle s’appelait Aurélie. Elle avait 29 ans. Elle était aide à domicile pour les personnes âgées. Elle avait trois enfants, âgés de 8 à 3 ans, ils étaient présents ce soir-là. Des voisins ont entendu des cris et ont appelé la police. Quand les secours sont arrivés, elle était morte. Elle a reçu 16 coups de couteau et a été égorgée. Son compagnon, présent sur les lieux, a été arrêté. Il était alcoolisé et tenait des propos incohérents. Heyrieux, Isère.

Septembre

Elle s’appelait Sindy. Elle avait 34 ans. Elle avait cinq enfants. Ce matin-là, il était 11h30, elle était sur le quai de la gare avec ses jumeaux de 5 ans et son autre enfant de 3 ans. Son conjoint, 38 ans, policier, est arrivé sur le quai avec une arme à feu et a tiré sur elle et deux de ses enfants, les touchant mortellement. La troisième enfant a réussi à s’échapper. L’homme a ensuite retourné l’arme contre lui. Le matin même, elle avait annoncé à son conjoint sa décision de le quitter. Une dispute avait alors éclaté dans le domicile familial. Elle avait appelé la gendarmerie. En arrivant sur place, les gendarmes avaient trouvé l’homme «parfaitement calme». Ils s’étaient simplement assurés qu’elle et ses enfants allaient s’installer chez les voisins et que le conjoint ne s’y opposait pas. Les voisins ont ensuite conduit Sindy et les trois petits à la gare, elle souhaitait aller chez son frère, en région parisienne. Noyon, Oise.

Elle avait 52 ans, elle était sans emploi. Son compagnon, la quarantaine, l’a poignardée à six reprises, au thorax, au cou et à la main avec un couteau de cuisine. Encore sur place quand la police et les pompiers sont arrivés, il était alcoolisé et incapable de fournir une explication, évoquant une dispute. «Cette triste affaire illustre la problématique des violences conjugales, qui se concrétisent aussi par des homicides. Les victimes sont souvent des gens qui n’avaient pas déposé plainte précédemment», a expliqué le procureur de la République de Montpellier. Montpellier, Hérault.

Elle avait la cinquantaine. A la suite d’un appel téléphonique, un soir vers 20 heures, la police et les secours se sont rendus chez elle. On leur avait signalé une femme gravement blessée. A leur arrivée, elle était décédée. Elle a été battue à mort. Son compagnon, la cinquantaine, présent sur les lieux et alcoolisé, a été arrêté. Il était déjà connu pour des violences. Pertuis, Vaucluse.

Elle avait 42 ans. Une voisine a aperçu par sa fenêtre un corps gisant dans l’appartement et a prévenu les pompiers. Sur place, ils ont découvert deux corps, tués par arme à feu ainsi qu’un revolver. Les circonstances sont floues. Il semblerait que l’homme, âgé de 38 ans, divorcé, venait d’emménager dans l’appartement. La femme était en couple de son côté. La police privilégie la piste de l’homicide suivi du suicide de l’homme. Antibes, Alpes-Maritimes.

Elle s’appelait Lauren. Elle avait 24 ans. Elle avait deux petites-filles de 1,5 an et 4 ans. Elle faisait des remplacements dans une grande surface. Elle a été retrouvée étranglée chez elle. Son compagnon, chauffeur intérimaire, a été mis en examen. Il avait lui-même prévenu la police. Il a avoué l’avoir tuée parce qu’il avait peur qu’elle le quitte. Ils étaient en couple depuis sept ans. Les fillettes étaient présentes lors du crime. Marnay, Vienne.

Elle s’appelait Leila. Elle avait 34 ans. Elle était enseignante. Elle avait deux fils âgés de 3 et 6 ans. C’est un marabout qui a prévenu la police, expliquant qu’un homme était venu lui demander comment faire disparaître trois corps. Sur place, la police a trouvé les corps de la mère et des deux enfants, tous tués par arme blanche. Le compagnon de la femme, avec qui il entretenait une liaison depuis un an, a avoué. Il a expliqué avoir appris qu’elle voyait quelqu’un d’autre. Il avait déjà été condamné en 2010 pour des faits de violence. Fort-de-France, Martinique.

Elle avait 34 ans. Elle habitait avec son compagnon et leur fille de 7 ans au quatrième étage d’un immeuble. Un soir, une dispute a éclaté avec son compagnon. Il a alors aspergé son épouse avec un liquide inflammable avant de l’immoler. Il s’est également immolé par le feu. Ayant vu la fumée, ce sont les voisins qui ont prévenu les pompiers. Ils ont retrouvé la femme brûlée à 80% et le compagnon à 70%. La petite-fille n’était pas blessée physiquement mais en état de choc. Sa mère est décédée quelques jours plus tard. D’après les enquêteurs, l’homme n’aurait pas accepté une éventuelle séparation. Le Plessis-Robinson, Hauts-de-Seine.

Elle s’appelait Aude. Elle avait 34 ans. Elle avait une petite-fille née d’une précédente union. Depuis plusieurs années, elle vivait en Belgique avec son conjoint, Joachim, 26 ans, employé à la poste belge, mais le couple traversait une période difficile. Il l’avait frappée lors d’une crise d’angoisse en juin, il souffrait d’un syndrôme post-traumatique. Elle était venue passer quelques jours à Vannes, dans un appartement prêté par la famille d’Aude, et il l’y a rejointe. Des voisins ont entendu plusieurs disputes. C’est sa mère qui a trouvé Aude dans le salon, dans une mare de sang, avec un couteau à ses côtés. Son conjoint a été retrouvé quelques jours plus tard noyé dans un canal du Morbihan. Son corps était lesté de trois pierres dans sa veste.. Vannes, Morbihan.

Elle avait 24 ans. Elle est morte des suites d’une chute depuis le balcon de son appartement situé au 5e étage d’un immeuble. Son concubin, 34 ans, était présent. Il nie l’avoir poussée mais admet qu’ils étaient en train de se disputer et que des coups ont été échangés. Il a été mis en examen pour meurtre et violences volontaires. Orléans, Loiret.

Octobre

Elle s’appelait Emmanuelle. Elle avait 26 ans. Elle avait quatre enfants. Il était 8h30 ce vendredi-là, elle s’apprêtait à accompagner à l’école trois de ses enfants. Thierry, 30 ans, son ex-compagnon, également père de ses enfants, l’attendait en bas de chez elle. Il l’a poignardée à plusieurs reprises dans le hall de l’immeuble, sous les yeux des enfants. Elle venait de le quitter au bout de onze ans ensemble. Il avait été placé en garde à vue quelques jours plus tôt pour des menaces de mort. Il a été arrêté. Jeumont, Nord.

Elle s’appelait Marine-Sophie. Elle avait 24 ans. Elle venait de réussir son diplôme de géophysique, promo 2016 d’un double diplôme ENSG/EOST. Elle avait rencontré son compagnon à l’école. C’est sa famille, sans nouvelle depuis une dizaine de jours, qui a prévenu la police. On a retrouvé son corps à son domicile, il présentait des traces de coups et des blessures à l’arme blanche. Son compagnon a pris la fuite au Maroc. Strasbourg, Alsace.

Elle avait 56 ans. Elle était employée dans un abattoir de volailles. Elle a été retrouvée poignardée à mort chez elle. Son compagnon, 56 ans, a été arrêté en Loire Atlantique. La gendarmerie a confirmé être déjà intervenue à plusieurs reprises à leur domicile pour des disputes. Ernée, Mayenne.

Elle s’appelait Yamina. Elle avait 42 ans. Elle avait des enfants. En février dernier, son mari l’a déposée en voiture à Auxerre, où elle allait faire des courses. Elle a disparu ce jour-là. En octobre, des promeneurs ont trouvé des papiers lui appartenant dans une forêt. La police a effectué de nouvelles recherches et trouvé son corps sous des branchages. Son mari a été mis en examen pour homicide volontaire. Il affirme qu’il est innocent. L’autopsie devrait apporter davantage d’éléments. Auxerre, Yonne.

Elle avait 51 ans. Elle avait trois enfants. Elle a été tuée chez elle de 32 coups de couteau. C’est son fils, qui est rentré cette nuit-là vers 1h du matin, qui l’a découverte. Il a appelé les secours. Le concubin de sa mère, 57 ans, était prostré dans une autre pièce. La police l’a arrêté, il a avoué le crime mais a été incapable de l’expliquer. D’après le procureur, il consommait quotidiennement entre un litre et un litre et demi de vin. Il avait déjà été condamné en 2012 pour violences aggravées à l’encontre de sa compagne. En février dernier, il avait été condamné à six mois de prison dont trois avec sursis pour menaces de mort sur sa conjointe. Il avait fait appel et attendait que l’affaire soit rejugée. Moléans, Eure-et-Loir.

Elle s’appelait Corinne. Elle avait 42 ans. Elle avait deux filles d’une vingtaine d’années. Ce jour-là, elle était seule à la maison avec son compagnon. C’est en début d’après-midi que des voisins ont entendu des cris qui venaient de chez elle. Elle appelait à l’aide. Ils ont également entendu les bruits de coups. Certains voisins ont essayé d’enfoncer la porte, en vain. Son compagnon a fini par ouvrir en annonçant «c’est terminé». Le procureur a déclaré qu’il l’avait tuée en la frappant avec un «objet du quotidien». Les voisins disent qu’il y avait des rumeurs de séparation du couple. La Trinité, île de la Réunion.

Elle s’appelait Marielle. Elle avait 50 ans. Elle travaillait dans un hôpital. C’est son employeur qui a donné l’alerte, ne la voyant pas au travail. À son domicile, la police a découvert son corps, ainsi que celui de son conjoint et de leur chien, tous tués avec un fusil de chasse présent à côté d’eux. Son compagnon, Gérard, âgé de 69 ans, avait été policier avant de prendre sa retraite. Il aurait d’abord abattu le chien, puis sa compagne, avant de se suicider. Varen, Tarn-et-Garonne.

Elle s’appelait Catherine. Elle avait une cinquantaine d’années. Son ancien compagnon n’a pas accepté qu’elle le quitte. Il l’a abattue chez elle avec une carabine avant de se suicider. Champagne sur Oise, Val d’Oise.

Elle avait 66 ans. Son mari, 72 ans, l’a tuée avec une arme à feu avant de se suicider. C’est le livreur qui leur apportait des repas à domicile qui a donné l’alerte. Louroux-Bourdonnais, Allier.

Elle s’appelait Céline. Elle avait 47 ans. Elle dirigeait une exploitation agricole avec son mari, Pierre, 47 ans aussi. Ils étaient mariés depuis 21 ans. Il semble que leur entreprise ne connaissait pas de difficulté financière particulière. Ils avaient trois enfants : Jean (20 ans), Marion (18 ans) et Baudouin (14 ans). Les deux aînés étudiaient ailleurs mais étaient revenus dans la maison familiale pour les vacances de la Toussaint. L’anniversaire de leur mère approchait. Son mari l’a tuée avec une arme à feu ainsi que leurs trois enfants. Il s’est ensuite suicidé. Aucune lettre d’explication n’a été trouvée. Nouvion-et-Catillon, Aisne.

Titiou Lecoq

Affaire Tariq Ramadan : « Nous choisissons d’inverser la charge de la preuve et de croire la parole des femmes »

Dans une tribune au Monde, un collectif de féministes musulmanes et antiracistes affirme refuser de suivre tant les adversaires que les soutiens les plus zélés de ce prédicateur, qui en profitent pour déverser leur haine.

Les scandales autour des agissements de prédateurs sexuels à Hollywood, dans le monde politique et médiatique français ou les affaires Nouman Ali Khan et Tariq Ramadan nous ont bouleversées, tant l’ampleur du phénomène et le désarroi des victimes sont insoutenables. Et en même temps, l’espoir est permis parce que chaque plainte pour viol ou agression sexuelle est en soi une victoire, tant les conséquences d’une prise de parole publique de femmes violées et agressées sexuellement sont lourdes.

Les hommes coupables d’agression sexuelle ont droit à la « présomption d’innocence » voire à la « prescription des faits », alors que leurs victimes doivent peser avec prudence chaque mot sous peine d’être attaquées pour diffamation et sont condamnées à vivre avec la honte toute leur vie. D’aucuns diront pourtant qu’il est trop tôt pour réagir, car il faudrait attendre que « justice soit faite ». Lorsque l’on sait que seulement 2 % à 3 % des hommes accusés de viol sont condamnés, l’on comprend bien qu’attendre que justice soit rendue signifie en fin de compte : attendre que les criminels sexuels soient acquittés.

Mécaniques racistes et sexistes

Car force est de constater que les femmes qui portent plainte ne sont pas à égalité avec les hommes qu’elles accusent, surtout lorsqu’ils sont puissants, pas plus que les victimes de crimes policiers ne le sont lorsqu’elles ont le courage de porter plainte contre un policier ou un gendarme qui jouit de la protection d’une institution tout entière. Nos systèmes judiciaires ne sont pas exempts des mécaniques racistes et sexistes qui ont cours dans l’ensemble de la société, ils en sont même les corollaires.

D’autant que le procès de Tariq Ramadan, lui, est déjà en cours sur les réseaux sociaux. D’un côté, la récupération politique des milieux islamophobes se donne à cœur joie, eux qui dénoncent non pas les agissements d’un homme mais ceux d’un musulman, faisant état de « violences sexuelles islamistes » comme s’il fallait « islamiser » l’horreur. Le parallèle est pourtant aisé entre l’autorité d’un leader communautaire charismatique et celle d’un homme riche et puissant comme celle de Dominique Strauss-Kahn sur une femme de chambre ou de Harvey Weinstein sur les actrices des films qu’il produisait.

De l’autre, dans les milieux favorables à Tariq Ramadan, ce sont les victimes présumées qui sont insultées, accusées notamment d’être les actrices d’un sombre complot sioniste, des mythomanes, voire d’être coupables parce qu’elles ont répondu favorablement à son invitation en montant dans sa chambre.

Il faut inverser la charge de la preuve

Devant une telle asymétrie des ressources et de crédibilité accordée aux uns contre les autres, nous, féministes antiracistes et musulmanes, nous choisissons d’inverser la charge de la preuve et de croire la parole des femmes. Penser qu’un homme est innocent, simplement parce qu’une plaignante pourrait corroborer une rhétorique islamophobe, fait le jeu de la loi de l’omerta.

Il faut en finir avec cette « solidarité négative » qui lierait tous les musulmans entre eux dès lors que l’un d’eux fait un faux pas. Même s’il faut le reconnaître, dans une société où l’islamophobie s’est vue érigée en « racisme respectable », cette affaire, bon gré, mal gré, nous impacte tous. Néanmoins, nous nous refusons à l’aveuglement volontaire, car la vérité nous ferait mal aux yeux ou « écornerait notre honneur ». Ne nous rendons pas complices par notre silence.

De la même façon, la récupération d’une plainte pour viol à des fins racistes ne peut que nuire aux victimes elles-mêmes et à leurs soutiens, car elle les prend en otage et les force à choisir leur camp. Comme si dénoncer leur agresseur racisé signifiait pointer du doigt toute leur communauté. D’autant que certaines parmi nous ont directement été confrontées au sexisme de Tariq Ramadan. Leurs interactions avec lui ont été marquées par des tentatives malsaines de séduction, une volonté de contrôle affectif et de manipulation psychologique alors qu’elles étaient pour certaines bien jeunes.

Un avant et un après

Un incroyable silence semblait régner autour du fait que cet homme se plaçait en guide religieux de nombreuses jeunes femmes en détresse à qui il distribuait sa carte de visite après chaque conférence. Nous ne pouvons dès lors qu’imaginer et déplorer que ses présumées victimes comme Henda Ayari, n’aient pas trouvé le soutien dont elles avaient besoin, si ce n’est auprès de personnes qui souhaitaient faire un odieux commerce de leur courageux témoignage.

Quelle que soit la décision de la justice, il y aura un avant et un après l’affaire Tariq Ramadan au sein des communautés musulmanes et des réseaux qui lui sont proches. La possibilité de tels actes doit initier une profonde, réelle et sincère prise de conscience collective et un véritable engagement pour que les conditions même de ces actes présumés ne soient plus jamais réunies.

Car le racisme nourrit le sexisme et le sexisme alimente le racisme. Nous, féministes antiracistes et musulmanes, choisissons une troisième voix : l’engagement pour toutes contre la honte et le silence concernant les violences sexuelles et la solidarité avec les victimes quelle que soit leur identité ou celle de l’agresseur.

Les signataires de cette tribune sont : Maria Al-Abdeh (microbiologiste), Leila Alaouf (étudiante chercheure en littératures, genres et études postcoloniales à Sorbonne-Nouvelle), Fatima Ali (doctorante en études théâtrales à Paris-Nanterre, artiste), Zahra Ali (enseignante-chercheure à Rutgers University), Ahlem Assali (biologiste), Aïcha Bounaga (doctorante à Sciences-Po Aix), Seyma Gelen (enseignante, membre du collectif féministe Kahina, Bruxelles), Souad Lamrani (doctorante en philosophie à Paris-Sorbonne), Ndella Paye (membre fondatrice du collectif Maman toutes égales), Fatima Sissani (réalisatrice), Attika Trabelsi (coprésidente de l’association Lallab), Khaoula Zoghlami (doctorante en communication à l’université de Montréal) et Sarah Zouak (cofondatrice et directrice exécutive Lallab, réalisatrice).

LE MONDE | 07.11.2017 à 17 h 32 • Mis à jour le 07.11.2017 à 17 h 53 |

 

#Balancetonporc, #Metoo : ne pas en rester là

Est-ce d’une loi dont nous avons vraiment besoin ?

paru dans lundimatin#121, le 6 novembre 2017

Depuis les accusations d’agressions sexuelles et de harcèlements contre le producteur américain Harvey Weinstein, de très nombreuses femmes ont pris la parole pour dénoncer, et raconter, les expériences auxquelles elles sont confrontées quotidiennement. A cette occasion, une loi visant à pénaliser le harcèlement de rue portée par la secrétaire d’État Marlène Schiappa est remise au goût du jour et devrait être adoptée au premier semestre 2018. Qu’attendre du droit et d’une nouvelle loi ? Une lectrice de lundimatin répond : rien.

Il fallait parler. Trop de choses ont été tues, depuis trop longtemps. Une goutte fait déborder le vase : la dénonciation d’un producteur par une actrice, puis dix, puis vingt. Il fallait que l’on se dise que le harcèlement et le viol ne sont pas l’apanage des hautes sphères de la culture, mais sont le lot quotidien de milliers de femmes. Parler à la première personne, dire je, notamment faire fermer leur clapet à celles et ceux qui font du beurre sur les descriptions objectives de la situation. Qui veulent toujours dire ce que sont les femmes, ce qu’elles subissent ou ce qu’elle devraient faire. Qui parlent toujours au nom de toutes les femmes, alors qu’ils/elles sont incapables de parler d’eux/elles-même. Dire je et se rendre compte, rendre visible, que ce qui est le plus intime, le plus caché, est aussi ce que nous avons en partage. J’appelle cela : commencer la politique. Parce que le fait de ne pas s’en tenir au discours officiel, mais commencer en regardant ce que ça nous fait à nous, dans nos corps, dans nos chairs, et le mettre en partage, c’est commencer à faire de la politique. Se refléter, se reconnaître dans le récit d’une amie, d’une inconnue. Se découvrir soi-même à travers le miroir fidèle de sa semblable. Et comprendre que l’on n’est pas toute seule : c’est commencer à faire de la politique. Je n’ai pas lu de revendications particulières, pas de grand discours surplombant qui prétende englober toutes les femmes : je n’ai lu que des récits d’expérience. Et cette multitudes de « je » forme comme le début d’un récit collectif qui n’a pas besoin de se rendre homogène pour exister. Dire « je », ce n’est pas en rester à son histoire particulière, c’est aussi participer à construire une histoire qui nous dépasse.

Et une fois la parole prise, je n’ai pas le sentiment d’en avoir fini. Je n’ai pas envie que cette histoire s’arrête ici. Que nous prenions conscience de nous-même, et que nous rentrions ensuite à la maison. J’en veux davantage. Parce que si nous en restons là, que fera-t-on de notre parole ? Qu’en restera-t-il ?

Ne pas en rester là, parce que pointer un problème sans réfléchir à des solutions pour le résoudre ne me renforce pas. Je ne veux pas que l’on m’accole le statut de victime, de sexe faible, à protéger. Si ce récit s’arrête ici, il est possible que cette libération de la parole nous fragilise, parce qu’il ne suffit pas d’être conscientes de la réalité des violences faites aux femmes mais bien se donner les moyens de lutter contre. Me laisser enfermer dans le rôle de la victime, c’est laisser s’instaurer une médiation entre mon corps et la violence. C’est me déposséder de ma capacité d’agir. C’est encore demander protection à l’homme, parce que les femmes ne seraient pas capables de violence, seraient incapables de répondre à ceux qui les humilient. Ou même ne seraient pas capables d’imaginer d’autres types de réponse que la violence.

Lorsque l’on entend que la ministre de l’égalité entre les sexes veut faire une loi contre le harcèlement de rue, il y a des questions à se poser. Que ce projet de loi précède Me too n’est pas le problème, la ministre se sert désormais de cela pour appuyer une loi qui semble d’ailleurs plaire à tout le monde. Mais est-ce une loi dont nous avons vraiment besoin ?

La loi pose le débat en deux termes : soit on est contre, et alors nous sommes pour la poursuite des violences ; soit nous sommes pour, et l’on est pour le progrès. Où se trouve ma liberté dans cette dualité posée par la prétendue neutralité juridique ? Et que ferait-on alors des femmes qui, refusant de passer par la loi, trouveraient plus sensé de faire justice à partir d’elles-mêmes ? Dans ce cas, il est certain que la loi en faveur des femmes se retournerait contre elles, parce qu’une fois la loi promulguée, les femmes n’auraient alors aucune légitimité à se défendre autrement.

Lorsque l’état et la justice parlent des problèmes liés aux femmes, ils ne peuvent s’empêcher d’en faire un bloc opprimé et homogène. Ils ne peuvent pas voir que les expériences différentes des vécus féminins ne demandent pas forcement à être prises en charge par leur soin. Qu’il est possible que certaines choses ne les regardent pas. Lorsque ceux-ci parlent de « nous » protéger, j’entends tout de suite qu’il s’agit de me dépolitiser. Que la réalité du harcèlement soit mise au même plan que le crachat de rue, c’est faire d’un problème politique une simple question d’éducation. Alors que les rapports de pouvoir les plus crasses se révèlent jusque dans les plus hautes sphères, on nous parlera bientôt d’une vaste opération de morale publique qui ne remettra absolument rien en cause. Et qui n’aura par conséquent rien de politique. Est-ce pour faire de nos mots et de nos corps le terrain d’une telle opération que nous avons écrit ?

Et de même : lorsque je vois, que j’écoute, certaines femmes qui se sont faites mes porte-paroles sans mon assentiment, je me demande pour qui elles se prennent. Pour qui elles se prennent à usurper mon je, mon expérience, pour en faire un projet dans lequel je ne me reconnais pas. Je me sens presque plus de sympathie pour celles qui disent s’en foutre du harcèlement, qui considèrent qu’elles ont bien d’autres problèmes, ou même pour ces femmes qui se taisent, râlent dans leur coin, plutôt que pour celles qui demandent des caméras de surveillance dans les rues. Et bien plus encore que pour celles qui se lamentent de ne pas pouvoir se balader tranquillement à la Chapelle. Il y a ici toute la différence entre une politique sensible, qui part de soi ; et une autre, abstraite, qui n’entend rien d’autre que le discours sur « la condition féminine ».

S’il fallait parler, ce n’était donc sûrement pas pour se plaindre, mais au contraire, pour commencer à sentir qu’une force était en train de naître, qu’elle continue de croître au moment ou je vous parle. Je pense que cette force ne doit pas se jeter dans les bras de la loi et de la police, mais qu’elle doit être le point de départ d’une liberté qu’il s’agit encore de découvrir et qui ne nous sera donnée par personne d’autre que par nous-mêmes.