Le biopouvoir chez Foucault et Agamben

Biopouvoir et biopolitique chez Foucault

Foucault date le surgissement de technologies investissant la vie au XVIIIe siècle. Dans une première phase c’est les corps individuels qui deviennent les objets d’une « anatomo-politique », voué alors au « dressage, la majoration de ses aptitudes, l’extorsion de ses forces, la croissance parallèle de son utilité et de sa docilité, son intégration à des systèmes de contrôle efficaces et économiques[1] ». À partir de la deuxième moitié du même siècle, c’est au tour de la vie de l’espèce à devenir l’enjeu de stratégies politiques. Ces techniques nouvelles d’intervention sur la vie des populations, de peuples, de « races », Foucault les nomme « bio-politiques ».

Pour Foucault, il y a rupture d’avec les vieilles structures du pouvoir souverain essentiellement fondé sur le droit de glaive, c’est-à-dire le droit de vie et de mort que détenait le souverain sur ses sujets. Pour lui, l’hypothèse du bio-pouvoir implique au même temps un changement historique du pouvoir et de son analyse. Les théories traditionnelles du pouvoir sont centrées sur une forme passée du pouvoir, celle de la souveraineté basée sur « la vieille patria potestas qui donnait au père de famille romain le droit de “disposer” de la vie de ses enfants comme de celle de ses esclaves[2] ». Déjà chez les théoriciens classiques (Hobbes, etc.) il était « considérablement atténué » et conditionné par la « défense du souverain et sa survie propre[3] ». Ces deux formes ont été des « pouvoirs de prélèvement ». « Le pouvoir y était avant tout droit de prise : sur les choses, le temps, les corps et finalement la vie ; il culminait dans le privilège de s’en emparer pour la supprimer. »[4]

Depuis l’âge classique, l’occident connaît une très profonde transformation des mécanismes de pouvoir qui s’exerce maintenant sur la vie même et entreprend à la « gérer, de la majorer, de la multiplier, d’exercer sur elle des contrôles précis et des régulations d’ensemble[5] ». Si le pouvoir a recours au massacre ou à la mise à mort, il s’y engage au nom de la vie et de la santé de cette population, nation, « race ». « On tue légitimement ceux qui sont pour les autres une sorte de danger biologique. »[6] Le pouvoir s’exerce sur la vie, dont la mort constitue « la limite, le moment qui lui échappe, elle devient le point le plus secret de l’existence, le plus “privé”[7] ».

Mais ce pouvoir n’est donc plus réductible à des institutions comme les grands appareils d’Etat, mais doit être saisi comme des techniques de pouvoir présentes à tous les niveaux du corps social[8] », comme la famille, l’armée, l’école, la police, la médecine individuelle ou l’administration des collectivités. L’entrée, pour la première fois de l’histoire, de la biologie dans le champ du politique, se fait par la « normalisation », le jeu de la norme, aux dépens du système juridique de la loi, dont l’arme par excellence est la mort, représentée par le glaive.

Foucault entend sortir de la théorie de la souveraineté et du droit qui pense le pouvoir sous la forme négative de la répression et de l’interdit. Il saisit le pouvoir plutôt comme un mécanisme positif, visant à la multiplicité, à l’intensification et à la majoration de la vie. Dans « la volonté de savoir » il défend la thèse d’un le biopouvoir qui, concernant la sexualité, fonctionne moins par l’interdit que par la mise en discours, la normalisation.

Pour Foucault, le vieux pouvoir souverain continue à exister, mais les nouvelles techniques bio-politiques restent hétérogènes par rapport à lui, tout en le croisant et en le transformant.

Quand, avec la modernité, la vie biologique rentre au centre des stratégies du pouvoir, une rupture importante s’opère.

« L’homme pendant des millénaires est resté ce qu’il était pour Aristote, un animal vivant et de plus capable d’une existence politique ; l’homme moderne est un animal dans la politique duquel sa vie d’être vivant est en question. »[9]

Le biopouvoir chez Agamben

Agamben ajoute et retourne cette phrase pour préciser son analyse du bio-pouvoir : « Nous sommes des citoyens dans le corps naturel desquels est en jeu leur être politique même[10]. »

Agamben réinvestit la question de la souveraineté délaissée par Foucault. À l’inverse de ce dernier, il entend démontrer le bio-pouvoir comme lié à la nature même du pouvoir souverain. Il procède à une transformation de ce que l’on entend par politique qui pour lui est un rapport entre la « vie nue », et sa forme, le mode d’existence.

« La présente recherche concerne ce point de jonction caché entre le modèle juridico-institutionnel et le modèle biopolitique du pouvoir. L’un des résultats auquel elle est parvenue est précisément le constat que les deux analyses du pouvoir ne peuvent être séparées, et que l’implication de la vie nue dans la sphère politique constitue le noyau originaire – quoique occulté – du pouvoir souverain.[11] »

Pour Agamben, la sphère politique se constitue par l’exclusion de la simple vie naturelle qui reste confinée dans la sphère domestique de l’oïkos.

« L’exclusion de la vie naturelle, qui rend possible la vie politique, est redéfinie par Agamben comme une « ex-ception » au sens étymologique, c’est-à-dire une « prise du dehors ». L’opération qui fonde la sphère politique n’est donc pas une simple transformation de la vie naturelle, mais la constitution d’une vie nue – c’est-à-dire une vie qui n’est pas seulement naturelle, mais prise dans un rapport avec le pouvoir et maintenue sous sa puissance. Les deux termes, pouvoir souverain et vie nue, émergent dans cette relation d’exception. »[12]

Cette relation d’exception, Agamben la définit comme une mise au ban, où le pouvoir souverain abandonne la vie nue et c’est cette relation, cette « prise sur » qui le fond comme souverain. Il donne et reconnaît à ses sujets les droits qui les font devenir citoyens, forme juridique dans laquelle ils peuvent exister au sein de la société. Mais cette forme donnée et reconnue peut aussi être retirée ou refusée, ce qui découvre la vie nue, une survie exposée à la mort.

Hobbes parlait d’un « état de nature », un état de guerre de tous contre tous, qui aurait précédé l’Etat. La constitution de ce pouvoir souverain se base pour lui sur un contrat par lequel les sujets abandonnent au souverain (défini comme un monstre, le Léviathan) leur droit naturel de tuer l’autre pour leur intérêt. Cet « état de nature », Agamben le voit se perpétuer à l’intérieur de la souveraineté comme une matrice recouverte. Ce qui (pour moi) reste un peu obscur dans cette analyse, c’est de savoir si Agamben partage l’idée d’un « état de nature » historique ou s’il le fait coïncider avec l’émergence du pouvoir étatique.

Ce qui est important, c’est dans cette perspective, nous sommes tous, originellement et potentiellement des vies nues, des homi sacri[13]. Cette relecture de Hobbes permet à Agamben de mettre en évidence la violence au fondement de l’Etat, et la persistance de cette violence dans la constitution du souverain.

Mais qu’est ce qui définit alors la spécificité du pouvoir moderne ?

« Ce qui caractérise la politique moderne n’est pas l’inclusion de la zoé dans la polis, en soi très ancienne, ni simplement le fait que la vie comme telle devient un objet éminent de calculs et de prévisions du pouvoir étatique ; le fait décisif est plutôt que, parallèlement au processus en vertu duquel l’exception devient partout la règle, l’espace de la vie nue, situé en marge de l’organisation politique, finit par coïncider avec l’espace politique, où exclusion et inclusion, extérieur et intérieur, bios et zoé, entrent dans une zone d’indifférenciation irréductible. »[14]

La modernité démocratique fait coïncider naissance et nation.

« Les déclarations des droits de l’homme […] assurent l’exceptio de la vie dans le nouvel ordre étatique qui succède à l’écroulement de l’Ancien régime. Le fait que le « sujet » se transforme à travers elles en « citoyen » signifie que la naissance – c’est-à-dire la vie naturelle en tant que telle – devient ici pour la première fois […] le porteur immédiat de la souveraineté. Le principe de naissance et le principe de souveraineté qui, dans l’Ancien Régime (où la naissance donnait lieu seulement au sujet), étaient séparés, s’unissent désormais irrévocablement dans le corps du sujet souverain, pour constituer le fondement du nouvel Etat-nation. […] La fiction impliquée ici est que la naissance devienne immédiatement nation sans qu’il puisse y avoir aucun écart entre les deux termes. Les droits ne sont attribués à l’homme (ou ne découlent de lui) que dans la mesure où il constitue le fondement, qui disparaît immédiatement (ou plutôt qui ne doit jamais émerger à la lumière en tant que tel) du citoyen.[15] »

Ce qui définit la démocratie est donc l’appartenance à la nation par naissance sur laquelle se base la souveraineté. Le totalitarisme ouvre une brèche entre ces deux termes. Agamben l’analyse à travers le nazisme :

« … le totalitarisme est une réponse à la crise de l’espace politique, et à l’absence de régulation du système. Un processus continu conduit de la déchéance des droits (une citoyenneté de seconde classe est conférée aux juifs) à la production d’une vie nue puis à son extermination. L’extermination doit être comprise dans l’ordre juridico-politique du meurtre d’une vie nue et non dans la violence religieuse d’un holocauste :

“La vérité, difficilement acceptable pour les victimes elles-mêmes mais que nous devons pourtant avoir le courage de ne pas recouvrir d’un voile sacrificiel, est que les juifs ne furent pas exterminés au cours d’un holocauste délirant et démesuré mais littéralement, selon les mots mêmes de Hitler, ²comme des poux², c’est-à-dire en tant que vie nue.”[16] »[17]

Dans son analyse du nazisme, Agamben remarque qu’ici le souci d’épanouissement de la race coïncide avec ce qui relève de la politique extérieure, soit la lutte contre l’ennemi. Le nazisme opère la production d’un peuple à partir de la discrimination d’une population, soit d’une certaine vie, celle des Juifs.

La différence avec Foucault, fine sur ce point, consiste, me semble-t-il, dans le fait que pour celui-ci, le totalitarisme et plus spécifiquement le nazisme font la jonction entre bio-pouvoir et pouvoir souverain comme de deux fonctions distincts, alors que pour Agamben, il révèle leur unité originelle.

Ce qui pour Agamben est important dans le totalitarisme, le nazisme et les camps, c’est qu’il s’agit tout d’abord de la production de la vie nue, de la survie pure représentée par ceux qui dans les camps furent appelés des musulmans – ni vivants, ni morts. La césure introduite entre le faire mourir et le faire vivre est celle du faire survivre. Ce que le camp nazi révèle brutalement est donc cette « production d’une vie modulable et virtuellement infinie qui constitue la prestation décisive du bio-pouvoir de notre temps[18] ».

Agamben demande : « qu’est-ce qu’un camp, quelle est sa structure juridique ? [19] » Le camp ne naît pas du droit ordinaire ni du droit carcéral. Il a pour fondement l’état de siège ou l’état d’exception. Dans le camp, le droit n’est pas appliqué mais suspendu. Il émane donc directement de cette prise sur la vie nue caractérisant l’état d’exception comme fondement du pouvoir et de la souveraineté, fondement recouvert ou caché par le fonctionnement « normal » du droit et des rapports juridiques. Le camp est la structure d’un rapport direct du pouvoir à la vie. « C’est ce qui permet de comprendre en quoi il est la marque de la crise du politique, c’est-à-dire la disjonction entre la vie et le pouvoir politique, mais également en quoi il est la matrice et la « solution » de la crise, puisqu’il établit un nouveau lien pour investir la vie malgré la crise du système. Le totalitarisme répond à la crise par l’investissement paroxystique de la vie par le pouvoir. [20] » La crise du système libère en quelque sorte son noyau originaire. Le bio-pouvoir pénètre la vie biologique qui n’est plus comme chez les anciens Grecs une désignation indistincte de tout ce qui est vivant. La vie nue est cette vie biologique traversée par le pouvoir et la politique par son « ex-ception ». Elle peut, en médecine, être maintenue grâce à des techniques de réanimation. On pourrait dire que le bio-pouvoir a réussi, ou s’acharne, à l’isoler, comme on isole, en science, un phénomène ou un organe pour le traiter en tant que tel. Mais cet isolement en tant qu’objet du pouvoir constitue justement son indistinction par rapport à celui-ci.

« Cette indistinction, caractéristique de l’état d’exception, gouverne aussi bien l’analyse de la démocratie que la spécificité du nazisme comme totalitarisme, et place la vie biologique au centre du pouvoir.[21] »

De quelques différences ou de la différence

Il y a, entre Foucault et Agamben, tout d’abord une différence de méthode. Foucault cherche à comprendre divers types de techniques dans leur spécificité autant historiques qu’intrinsèques. S’il arrive au concept de biopolitique, ce n’est pas pour lui une structure essentielle se dévoilant à travers différents phénomènes, mais plutôt l’ensemble de techniques, processus et procédures diverses. Agamben, quant à lui, cherche le noyau originaire et secret du pouvoir qu’il définit par sa prise sur la vie.

Foucault comprend la bio-politique comme moderne. Historiquement il ne remplace pas le « vieux pouvoir souverain », mais s’ajoute à lui et le transforme.

Ce dernier se distinguait par le faire mourir alors que le bio-pouvoir a pour tâche de faire vivre.

Pour Agamben, le bio-pouvoir est aussi ancien que le pouvoir souverain et se confond avec lui. La modernité est alors plutôt comprise comme l’entrée en crise de ce modèle en introduisant, entre ces deux conceptions du pouvoir, le faire survivre qui s’adresse à une vie dégagée de toute forme, de tout mode d’existence, prise et traitée en tant que telle dans toute sa nudité.

 

Johannes, février 2008

 

[1] Foucault, La volonté de savoir (VdS) p. 183

[2] VdS, p. 177

[3] VdS, pp. 177, 178

[4] VdS, p. 179

[5] VdS, p. 180

[6] VdS, p. 181

[7] VdS, p. 182

[8] VdS, p. 185

[9] VdS, p. 188

[10] Homo sacer (HS), p. 202

[11] HS, p. 14

[12] Katia Genel, Le biopouvoir chez Foucault et Agamben (BFA), p.7

http://methodos.revues.org/document131.html?format=print

[13] Homo sacer veut dire homme sacré et vient du droit romain pour désigner justement cette vie tuable mais non sacrifiable. Reste à comprendre pourquoi une vie sacrée est tuable.

[14] HS, p. 17

[15] HS, p. 139

[16] HS, p. 125

[17] BFA, p. 12 et 13

[18] Agamben, Ce qui reste après Auschwitz (CQRA), p. 204

[19] Agamben, Moyens sans fins (MSF), p. 47

[20] BFA, p. 15

[21] BFA, p. 16

Quelques réflexions relatives à la constitution de dispositifs de soin autonomes

Un texte de Josep Rafanell i Orra

Contextualisation de la question du soin

Nous sommes nombreux dans les collectifs politiques dits « radicaux » (autonomes, anarchistes, féministes, écologistes, anticapitalistes…), à nous interroger sur la vie de nos communautés politiques. On sait comment, dans nos « milieux », nous sommes exposés aux violences de l’État. Mais aussi à des formes de violence propres à nos collectifs eux-mêmes, à leur incapacité à prendre en compte la souffrance, les troubles, les événements douloureux des uns et des autres… Bref, à prendre en compte la singularité relationnelle et le monde des affects comme faisant partie de la communauté politique. Et ceci au même titre que les initiatives, les actions, les analyses théoriques. C’est là qu’apparaît avec toute son importance la question du soin, ou tout au moins celle du « prendre soin ».

La question du soin émerge alors non pas comment une question subsidiaire, comme un supplément d’âme de la politique, mais comme ce qui est au cœur même de la vie politique en tant que telle. Les collectifs politiques peuvent-ils résister, tenir, durer ; lutter sans la prise en compte de ce qui leur donne leur propre consistance en tant qu’ils permettent d’habiter la politique ?

Qu’un ami sombre dans une dépression, qu’il soit blessé par la police, qu’il vive un intense chagrin amoureux, qu’il perde un être cher, qu’il éprouve un épisode délirant, que plusieurs personnes s’enferment dans un conflit irrésoluble, parfois violent, et nous voilà démunis, rendus inconsistants. Dans les cas les plus « bruyants » (maladie, troubles psychopathologiques graves…), il est probable que nous finissions par faire appel aux institutions spécialisées, que l’on délègue aux « professionnels » du soin, l’accueil et l’accompagnement de celui qui souffre.

La question du soin depuis une perspective politique interroge donc notre capacité à inventer des médiations autres que celles que nous proposent les institutions de soin. Il s’agit de ne pas être captifs d’une délégation systématique à des dispositifs intégrés aux logiques gestionnaires, voire marchandes, de la santé (et c’est la notion même de santé qui devrait être questionnée, même si ce serait ici trop long de le faire).

Nous savons comment ces dispositifs institutionnels de soin, qu’ils concernent les soins somatiques ou le soin « psychologique » (pour peu que cette frontière puisse clairement être établie) sont pris dans des enjeux de savoir-pouvoir. Dans ces cadres, un sujet du soin est un patient objet passif des procédures du soin. Ou, dans les nouvelles technologies de la santé, un agent actif qui doit venir confirmer les savoirs des soignants : médecins, psy, éducateurs… Je ne dirais pas qu’il n’y a pas d’institutions qui tentent de démocratiser les gestes du soin. Mais alors il faudrait faire une enquête politique sur ces expérimentations démocratiques, anti-autoritaires, pour les mettre en résonance avec des initiatives politiques antagonistes à la gestion et au contrôle des populations, qu’il s’agisse de la psychiatrie ou de la médecine somatique.

Au fond, nous sommes peut-être toujours confrontés, dans les milieux dits « radicaux », à un vieux problème : celui qui fait qu’au nom de l’exceptionnalité de l’engagement politique radical nous nous coupons du monde « ordinaire » dans lequel des médiations entre des gens qui « vont mal » et d’autres gens peuvent avoir lieu. Des médiations qui permettent d’éviter la solitude, de trouver des formes de bienveillance, un souci de l’autre propre à la vie des communautés « ordinaires ».

C’est alors à partir de l’éthos fabriqué par « l’exceptionnalité » des réseaux politiques radicaux qu’il s’agit de retisser des médiations pour ne pas négliger la question de la souffrance et de la maladie en leur sein. Au fond, il faudrait se questionner sur les manières dont les collectifs politiques qui établissent des lignes de rupture avec la politique intégrée à la scène publique gestionnaire (partis, mécanique de la représentation, élections, parlementarisme : c’est-à-dire tout ce qui dépossède les individus collectifs de la politique) s’inscrivent dans le monde « ordinaire ». Par monde ordinaire je voudrais très rapidement faire référence à ce qui est en dehors des logiques affinitaires conduisant à « l’exceptionnalité » de l’engagement politique, et qui s’accompagnent souvent de la constitution de groupes, voir des « bandes », dont leur propre existence, le sentiment de coappartenance, se confond avec le mépris porté à ce qui n’est pas une politique « radicale ». On sait à quel point cette logique est porteuse d’inimitié (mes meilleurs ennemis sont ceux qui devraient être mes plus proches amis), d’une toxicité qui s’infiltre dans les rapports entre les individus au nom de vieilles querelles, de référents théoriques plus ou moins affirmés, de l’incapacité à prendre soin de l’élargissement de la vie politique collective. Donc dans un premier temps il faudra admettre que penser le soin depuis d’existence de collectivités radicalement engagées dans des processus de réappropriation politique suppose d’emblé la question de prendre soin des collectifs politiques eux-mêmes.

Je dirai alors que le soin est une question collective. On ne soigne pas des individus mais des relations. Au fond un collectif ne peut soigner qu’en se soignant, qu’en prenant soin de ses liens, des médiations qu’il est en mesure de fabriquer. C’est ce que nous ont appris d’ailleurs des expériences de psychiatrie dites alternatives, ou l’ethnopsychiatrie lorsqu’elle s’intéresse aux formes de guérison traditionnelles par exemple.

Il y a donc au moins trois lignes de travail à envisager dans les réseaux politiques radicaux à propos du soin : d’abord prendre soin de la vie des collectifs politiques, ensuite inventer des formes de réappropriation de ce qui peut « faire » soin, nous permettant de commencer à nous passer des institutions. Enfin, et simultanément, mener une enquêter politique, dès l’intérieur des institutions, pour saisir des lignes de fuite qui peuvent y apparaître par rapport à leurs logiques de contrôle ou d’autorité. A ce propos il faut une certaine honnêteté : nous ne pouvons pas nous passer complètement des institutions sous peine de confondre autonomie dans le soin et fermeture dans des logiques affinitaires qui nous éloignent de ce que j’ai nommé, provisoirement, le monde ordinaire de la politique. Et ceci en contraste avec « l’exceptionnalité » de la décision politique « radicale », censée produire des formes collectives d’intervention politique, ou des formes de vie autres que celles sécrétés, promues, voire prescrites, par la subjectivation libérale.

Donc, il faut insister sur cette question : il me semble important de redire que dans le soin il est toujours mis en jeu le collectif en tant que tel. Et un collectif devient un collectif capable de soin en se soignant. On ne soigne pas des individus mais des relations, j’ai dit plus haut : des médiations qui permettent de procéssualiser ce qu’on appelle la souffrance ou la maladie. Concrètement, des collectifs de malades n’ont pas attendu les dénonciations des milieux radicaux des institutions répressives (« répressif » étant un concept bien insuffisant, au demeurant, pour caractériser les nouvelles technologies de gestion de la « santé », qui vont plutôt dans un sens « implicationiste »). Je pense ici à des groupes d’auto-support mettant en crise les savoirs, « par le haut », des soignants : groupes d’auto-support d’usagers des drogues, groupes « d’entendeurs des voix » refusant leur statut de psychotiques, groupes des parents d’enfants autistes, collectifs des malades du sida… Nous devrions certainement nous y intéresser à nouveau.

Mais si l’on considère la question de l’autonomie des procédures de soin il faudra interroger dans un premier temps ce que l’on entend par autonomie. Je le ferai ici très brièvement.

L’autonomie n’est pas, comme semble nous l’indiquer la tradition que nous avons héritée des Lumières, si bien mobilisée par le monde libéral-capitaliste, et instrumentalisée par l’Etat, une autonomie individuelle. L’autonomie telle que je vous propose de la revisiter concerne l’autonomie des liens qui font communauté. Autonomie qui éventuellement peut devenir politique, mais pas forcément. Le concept pratique d’autonomie que je voudrais convoquer suppose la reconnaissance des liens de dépendance mutuels qui tentent, simultanément, d’une façon volontariste, de se dégager de l’emprise des institutions de gestion du lien social prescrit.

L’autonomie selon le capital suppose toute autre chose : d’une part une atomisation individuelle, la mise en concurrence de tous contre tous, une capacité d’adaptation à ce monde de vainqueurs et de vaincus et, d’autre part, la prescription plus ou moins intériorisée (depuis l’école, en passant par le travail social, le soin psychiatrique…) d’une logique d’implication et de projet personnel compatible avec l’économie. L’autonomie selon le capital n’exclut pas cependant la coopération : mais toujours dans le cadre de la valorisation marchande des choses, de toutes sortes d’êtres vivants, de leurs milieux ou des humains (ce sera alors de « capital humain » dont il s’agit comme disent si joliment les économistes).

Donc choisir notre autonomie contre celle du capital suppose d’être en mesure d’inventer nos propres procédures de constitution de nos dépendances mutuelles. Depuis la coopération mise en œuvre pour d’autres formes de subsistance que celles de la marchandisation jusqu’à notre « encapacitation » pour prendre soin de nous, de nos collectifs, de ceux qui ne faisant pas partie de nos réseaux subissent la violence de l’exploitation capitaliste, de l’Etat et de ses institutions.

Dispositifs

Il y a avant tout à prendre soin de nos collectifs. Ceci ne peut avoir lieu sans un changement de « paradigme ». Il faut redonner une autre place à la théorie qui différencie les groupes, qui les rend inamicaux à l’égard d’autres groupes. Il faut aussi une sorte d’aggiornamento des querelles issues au travers de l’histoire (pas si longue !) de la politique radicale dans nos contrées. Ceci peut paraître purement déclaratif, naïvement volontariste mais il faut déjà commencer par se le dire !

Dans la construction de dispositifs concrets j’aimerai brièvement évoquer un certain nombre d’éléments qui proviennent des échanges que j’ai pu avoir ces derniers temps avec d’autres personnes qui partagent ce souci pour la question du soin. Je propose quelques pistes que, comme ce qui précède, j’aimerai mettre en discussion avec vous.

Les groupes de soin

Comment constituer des groupes qui se donnent pour objectif de prendre en charge des situations dans lesquelles des personnes souffrent ? De tels groupes existent déjà. On a mentionné des groupes d’auto-support réunissant des personnes concernées par des formes de souffrance spécifiques (usagers de drogues, anciens patients psychiatriques…) en mesure d’entrer en conflit avec les institutions. La question demeure de savoir si d’autres groupes peuvent se constituer dans un commun intérêt pour le soin qui rassemble aussi des personnes non directement concernées par des troubles ou des difficultés spécifiques. C’est le cas, par exemple, de certaines expériences menées conjointement par des sans abris et des travailleurs sociaux en rupture de ban (Goudolie, à Toulouse), ou encore les groupes « d’entendeurs de voix », réunissant des personnes avec des troubles dits psychotiques et des psys prêts à laisser de coté leurs certitudes théoriques de cliniciens.

 La question de la médiation

Un des principaux problèmes que l’on retrouve en termes de souffrance est celui des conflits entre personnes dans nos milieux. En général ils sont résolus sur le versant «politique », celui des idées, des trahisons, des enjeux de pouvoir, etc. Rarement en termes d’une écologie de nos milieux. Ou d’une écosophie, comme diraient certains. Il faut prendre à bras le corps cette question de la médiation. Ne pas laisser pourrir les situations de conflit. La question n’est bien évidement pas de créer des rôles de médiateurs, censés être neutres (qui pourrait être « neutre » ?), mais de considérer la nécessité de fabriquer une autre culture de l’activisme politique moins tétanisée par la démarcation ami/ennemi.

La place de la spécialisation dans le soin

Il est indéniable que certaines personnes sont plus portées que d’autres, pour des raisons affectives, intellectuelles, d’adresse, voir même de don, à s’intéresser à la question du soin. Certains parmi nous ont suivi des formations soignantes (infirmiers, médecins, psychologues, psychiatres, kinés, etc…) et ont exercé ces « métiers » dans des institutions. Si nous nous retrouvons ici c’est par le regard critique que nous portons à ces espaces institutionnels et/ou par l’incompatibilité de nos professions encadrées par les institutions et l’activisme politique. Avoir été formé par l’université, les écoles, etc…, ne garantit en rien d’une pratique démocratique, antiautoritaire, critique, inventive… C’est souvent l’envers qui est le cas. Or, il y a dans ces spécialisations un monde d’expériences très diverses qui ne peuvent pas être mises à coté d’un revers de main. En ce qui me concerne j’ai travaillé avec des usagers de drogues, des psychiatrisés, des grands précaires, des hommes et des femmes violents, des malades du Sida, des détenus en prison, des sans abri…. J’ai du m’interroger sur les limites et les perversités des cadres dans lesquels ces rencontres « soignantes » ont lieu. Cette expérience peut me permettre de faire autre chose ailleurs. Il en est ainsi, me semble-t-il pour de nombreux « professionnels » du soin. C’est alors sur la question d’alliances à fabriquer qu’il faut se pencher.

Quels cadres ?

Si nous songeons à la fabrication de nouveaux cadres de soin, il faut les considérer dans un double mouvement : celui de l’autonomie de ces nouveaux espaces et celui de la subversion des espaces déjà existants pour pouvoir y établir des liens sous contrôle.

Dans le premier cas on peut imaginer qu’un groupe de personnes se donne un temps, dans un espace donné ou arraché à la gestion, pour accueillir d’autres personnes, pour réfléchir à plusieurs à un accompagnement de soin concret. Ceci n’exclut pas des formes d’accompagnement vers des institutions. Est-on sùr de pouvoir se passer de toute la machinerie des soins somatiques en cas de maladie grave ? De même, est-il si évident qu’il faille se passer des prescriptions de psychotropes dans certains moments de la vie de quelqu’un ? N’est-il pas parfois nécessaire de faire rupture, dans un milieu donné, lorsque des troubles psychiques apparaissent d’une façon très envahissante ? On a tous connu chez tel ami, ou telle connaissance des moments qui rendent le partage de ces expériences subjectives impartageables dans les milieux de nos amitiés et de nos camaraderies. Une hospitalisation dont on a une certaine maitrise peut être préférable que l’implosion d’un milieu amical. Ceci n’exclut pas la réappropriation de nouveaux savoirs (naturopathie, thérapies corporelles, techniques traditionnelles de guérison…) qui ne se laissent pas gouverner par la médecine officielle.

La définition des cadres, temporels, spatiaux, subjectifs, ne peut se faire qu’en situation. Il faudrait puiser dans des expériences diverses, dans des héritages aujourd’hui oubliés, pour renouveler ce questionnement.

Intériorité/extériorité des groupes

Ceci suppose dans tous les cas d’œuvrer pour une porosité de nos milieux. Il faut s’ouvrir à d’autres réseaux, amicaux, familiaux, de quartier, de village, qui composent la multiplicité des milieux dans lesquels chacun de nous est inscrit. Il faut considérer l’importance des allers-retours entre des milieux, des territoires… Bref, des passages et du dépaysement pour une personne qui « va mal ».

 L’intime et le public

Cette question doit être présente mais sans fétichiser la notion d’intime et celle de secret qui peut aller avec. A ce propos, il peut-être judicieux de rappeler comment le « secret professionnel » est devenu une des armes du pouvoir soignant dans son emprise sur les « publics » qu’il accueille. Mon expérience de psychologue depuis plus de 20 ans me montre que la question importante n’est pas celle de l’intime, du secret professionnel, mais celle du tact nécessaire lors de la mise en partage d’un problème qui peut affecter une personne et un collectif. Le tact ne se définit pas : il s’expérimente dans des contextes qui cultivent la bienveillance et un appétit affectif et intellectuel pour la différence.

Les rapports avec les institutions existantes

Je viens de le dire : il semble difficile aujourd’hui, sauf déni de réalité, de penser qu’on peut se passer complètement des institutions soignantes. La question devient alors comment susciter des contre-modèles qui mettent celles-ci sous tension, qui les soumettent à un certain contrôle, qui affaiblissent leurs capacités de capture de la souffrance d’autrui pour réinstaurer en permanence leur pouvoir de gestion.

Une critique féroce des savoirs médicaux, de la psychiatrie, de la psychologie, de la psychanalyse, du travail social est toujours indispensable.

Les résonances entre expérimentations (rencontres, transversalisations, coordinations)

Dans le contexte actuel d’affaiblissement des espaces autonomes il est indispensable de mettre en place un travail d’enquête politique sur les expérimentations qui ont lieu aujourd’hui en termes de formes de soin alternatives, antagonistes à celles de la gestion institutionnelle de ce qu’ils appellent la santé. Notre isolement leur garantit l’exercice de leur pouvoir et l’emprise sur les subjectivités souffrantes. Nous avons à apprendre les uns des autres à partir des expériences en situation et non seulement des analyses critiques théoriciennes. Nous avons besoin d’éprouver que nous ne sommes pas seuls à tenter d’expérimenter d’autres manières de prendre soin, y compris en prenant soin de nous, en tant que collectifs politiques plus ou moins organisés.

Josep Rafanell i Orra, 6 janvier 2014.

La construction de l’Autre, entretien avec Christine Delphy

La construction de l’Autre, entretien avec Christine Delphy

Dans cet entretien initialement paru dans Migrations et sociétés, Christine Delphy revient sur la question des « autres », ou plutôt, pour reprendre le sous-titre d’un de ses livres, sur « qui sont les autres » [1]. Car ce que sont les autres n’est pas une réalité objective. Les « uns » construisent les « autres », et les construisent par le pouvoir de les nommer, de les catégoriser, de disserter sans fin sur elles et eux, qu’il s’agisse des femmes, des homosexuel-les ou encore des personnes racisées. Cette question, qui constitue un fil rouge de la pensée et des engagements de Christine Delphy, sera longuement traitée dans un documentaire réalisé par Florence Tissot et Sylvie Tissot, qui sortira fin 2014 [2]. Le documentaire de 52 minutes sera accompagné d’un abécédaire abordant différentes thématiques, d’Amitié à Sexualité, de Beauvoir à Wittig.

Lire la suite par ici.

Interview de Joan Scott par Vacarme

Le numéro d’hiver 2014 de Vacarme a publié une interview de et un article sur l’historienne américaine Joan Scott. On trouvera après l’extrait ci-dessous le lien pour lire les deux en entier.

« Femme », « Homme », « Genre », « Français », « Musulman » : ces catégories, par lesquelles se constituent et s’identifient des sujets politiques, n’ont pas de sens fixe. C’est que « les mots ne sont jamais que les batailles pour les définir ». Rencontre avec l’historienne de ces batailles.

Vous avez travaillé sur le mouvement ouvrier français, fait une histoire des discours féministes, contribué à l’introduction de la notion de genre dans l’historiographie… quel est le centre de gravité de votre recherche ?
Je ne suis pas sûre qu’à l’échelle de ma vie de chercheuse, on puisse identifier une unité très claire d’objet, de méthode ou même de théorie. Mieux vaudrait penser en termes de parcours, de bifurcations, de changements successifs d’optique. J’ai été à plusieurs reprises convoquée par un contexte politique et intellectuel : les mobilisations de la gauche des années 1960, le féminisme à partir des années 1970…
Mais peut-être qu’au fond, ma question a toujours été celle des rapports de force dissymétriques. Mon premier travail portait sur l’organisation sociale et politique des verriers de Carmaux à la fin du XIXe siècle. Je m’y intéressais à la prolétarisation d’un artisanat hautement qualifié, liée à la mécanisation des techniques de production. Et je l’ai décrite en termes de rapports de forces économiques et politiques : comment et pourquoi ces travailleurs ont-ils résisté aux transformations de leur travail ?
Quand la vigueur du féminisme des années 1970 m’a convaincue de la nécessité de penser l’histoire des femmes, j’ai tenté de comprendre les modalités de l’inégalité : j’ai questionné par exemple la façon dont le principe universel d’égalité des citoyens s’était accommodé de l’exclusion politique des femmes. Dans tous mes ouvrages, je m’attache ainsi à décrire la façon dont les gens qui vivent dans un rapport inégalitaire l’éprouvent, le pensent et le formulent.

http://www.vacarme.org/rubrique421.html

Femmes sportives, corps désirables

Femmes sportives, corps désirables

Une femme est-elle libre de pratiquer le sport de son choix ? Dans les pays occidentaux, cela ne prête guère à discussion : si les femmes s’investissent majoritairement dans les disciplines « gracieuses » et répugnent aux sports « virils », c’est que tel est leur choix. A y regarder de près, pourtant, cette propension n’est qu’une construction sociale, qui réglemente les représentations et les pratiques « acceptables » du corps, et perpétue la division des rôles. Aux hommes le « faire », aux femmes le « plaire ».

Lire tout l’article ici : www.monde-diplomatique.fr

Une nouvelle génération de chercheuses sur le genre

Une nouvelle génération de chercheuses sur le genre. Réflexions à partir d’une expérience située

Extrait :

Je propose ici de réfléchir aux conditions et enjeux de ce qui est couramment qualifié de renouvellement générationnel du champ des études sur le genre, en partant de mon propre parcours de chercheuse, celui d’une entrée dans le champ au tournant des années 2000 7. Même si ce récit est situé et subjectif – il reflète ma position sexuée, sociale, disciplinaire, politique et géographique –, je me permettrai donc de passer parfois du « je » au « nous », désignant ainsi en premier lieu une cohorte de chercheuses (très majoritairement des femmes) nées vers le milieu des années 1970, ayant commencé leur parcours de recherche en France au tournant de la décennie 2000 en se spécialisant sur « les femmes » et « le genre ».

Voir le texte intégral ici : www.contretemps.eu

Genre et féminisme: pourquoi vont-ils de pair ?

Genre et féminisme: pourquoi vont-ils de pair ?

Quand j’ai commencé ce blog, le lien entre genre et féminisme m’a paru se passer d’explications. Etant arrivée aux études de genre par le féminisme, l’articulation entre les deux m’a toujours semblé aller de soi. Je me rends compte cependant (un peu tard) que le sujet mérite bel et bien un éclaircissement et que le lien entre les deux n’est pas forcément évident pour tout le monde. De plus, certaines féministes s’opposent au concept même de genre et donc à son emploi, de plus en plus fréquent, dans les milieux féministes – ce qui me permet de rappeler, une fois de plus, la diversité des féminismes. On ne peut pas mettre en évidence UNE théorie féministe: il en existe de très nombreuses, variées, et parfois contradictoires, leur seul point commun étant finalement l’identification de l’existence de la domination masculine et donc d’une cause des femmes.

Je rappellerai d’abord brièvement l’origine du concept de « genre », pour ensuite expliquer l’intérêt qu’il représente pour les féminismes et enfin les raisons, telles que je les comprends, pour lesquelles certaines féministes le rejettent.
Certaines explications, du féminisme comme des études de genre, paraîtront sûrement trop courtes, voire caricaturales. C’est malheureusement inévitable, mon but n’étant pas de revenir en détail sur les fondements de l’un et de l’autre, mais de détailler leurs liens.
« Genre »: origine du concept
La filiation théorique du concept est assez complexe. On peut la faire remonter aux travaux de l’anthropologue Margaret Mead en Océanie dans les années 20 et 30, et aussi, bien sûr, à Simone de Beauvoir et à son fameux « On ne naît pas femme, on le devient », bien que ni l’une ni l’autre n’emploie le terme « genre » ou « gender ». Ce dernier apparaît dans les travaux du psychiatre Robert Stoller et du sexologue John Money (tous deux étatsuniens) bien que dans un sens et une perspective très différents de l’emploi actuel du concept. Ils s’intéressent respectivement à la transsexualité et à l’intersexualité, dans une perspective pathologisante; Money distingue le sexe du genre (qu’il considère comme la dimension psychologique du sexe) et Stoller distingue, quant à lui, genre et sexualité.
Comme l’écrit Eric Fassin, « l’invention « psy » du genre va rencontrer l’entreprise féministe de dénaturalisation du sexe » résumée par la formule de Simone de Beauvoir citée ci-dessus (cf référence en fin d’article). Dans les années 1970, il est adopté et surtout adapté par des théoriciennes féministes, notamment par la sociologue britannique Ann Oakley, dont les recherches portent sur le travail domestique des femmes. C’est elle qui introduit le terme dans le champ des études féministes qui émerge à la même époque.
Les études de genre naissent des études féministes, récentes mais déjà bien constituées. Elles s’institutionnalisent aux Etats-Unis dans les années 1980. A la même époque, cependant, les études féministes peinent à s’imposer en France en raison du stigmate de « science militante ». Les recherches sur les femmes existent et se portent bien, mais pas en tant que champ autonome. De nombreuses chercheuses féministes regardent avec méfiance le concept de « genre », considéré comme une importation américaine; il s’est cependant largement imposé depuis les années 2000.
Cette rapide rétrospective est destinée à insister sur le fait qu’il ne faut surtout pas oublier l’origine féministe du concept. On ne peut pas concevoir le genre sans le féminisme. Pourtant, il reste toujours de nombreuses féministes qui n’acceptent pas le genre; nous tâcherons plus loin de comprendre pourquoi. D’abord, je voudrais résumer les apports du concept de « genre » à la pensée féministe.
Intérêt du genre pour le féminisme
Le concept de « genre » permet d’abord de décrire des relations sociales fondées sur l’appartenance à la catégorie « homme » ou « femme ». Mais il ne faut pas s’en tenir à cet aspect relationnel: la relation n’est en effet pas symétrique mais hiérarchisée, les valeurs, représentations et comportements associés au masculin étant considérés comme supérieurs à ceux associés au féminin.
Le genre permet donc de rendre compte et d’expliquer la domination masculine à l’oeuvre dans de très nombreux aspects de la vie sociale et permettant aux hommes de profiter, en tant que groupe, du rapport hiérarchique entre masculin et féminin.
En outre, l’explication que permet le concept de « genre » ne repose pas sur des caractéristiques supposément « naturelles » des hommes et des femmes. Cela signifie que la féminité comme la masculinité ne sont pas des données de nature mais des constructions sociales: on ne naît ni femme, ni homme, on le devient. Depuis la parution du Deuxième sexe de Simone de Beauvoir, le féminisme a largement dénoncé l’utilisation de l’argument de la « Nature » pour justifier la domination masculine. La possession de tel ou tel attribut sexuel (qu’il s’agisse des organes reproducteurs, des chromosomes ou de toute autre caractéristique sexuelle) ne détermine pas le genre. Celui-ci est assigné à la naissance en fonction des caractéristiques sexuelles observée, mais ce n’est pas le fait que les femmes cisgenre auraient un vagin ou une pilosité peu développée qui explique qu’elles ont été privées de tout pouvoir pendant des siècles et qu’aujourd’hui encore, elles soient moins payées à niveau égal que les hommes ou forment la majorité écrasante des victimes de viol.
L’argument de « nature » est utilisé principalement de deux façons (je mets le terme entre guillemets car il n’a en fait que peu à voir avec une hypothétique nature). La première consiste à arguer de l’infériorité naturelle des femmes pour justifier leur domination; il a marché pendant des siècles mais, pour des raisons évidentes, est difficile à utiliser aujourd’hui. Le deuxième, plus subtil, reste très courant. Il consiste à insister sur la différence « naturelle » entre les sexes, présentée en même temps comme une complémentarité, qui se prolongerait dans la sphère sociale. Le sexe masculin et le sexe féminin se complètent dans la reproduction, leurs rôles sociaux devraient donc refléter ce donné naturel.
Le concept de « genre » permet donc de rendre compte de la subordination systématique des femmes en tant que groupe en insistant sur les dynamiques sociales qui rendent cette domination possible et la perpétuent. Cette explication ne se contente pas de renverser la rhétorique du dominant, fondée sur l’argument de « nature », en mettant en avant des « caractéristiques spécifiques » des femmes, qu’il faudrait célébrer et préserver. C’est là le principal point d’achoppement entre féministes pro- et anti-genre.
Arguments des féministes anti-genre
Tout d’abord, le mouvement de dénaturalisation (au sens de dénonciation de l’argument de « nature » tel que je le décris ci-dessus) n’est pas une caractéristique de tous les féminismes. Il distingue la tendance féministe constructionniste, héritière de la pensée de Simone de Beauvoir. La tendance essentialiste, ou naturaliste, repose sur l’inversion rhétorique dont je viens de parler. L’idéologie de la différence n’est pas récusée mais adaptée aux besoins d’une certaine conception du féminisme, qui repose sur l’éloge de la féminité, et notamment de la maternité, comme manière de contrer la dévalorisation du féminin dans les sociétés patriarcales. Les féministes essentialistes insistent aussi sur l’existence d’une société matriarcale originelle, dont on sait aujourd’hui qu’elle est un mythe.
On voit donc en quoi le concept de « genre », intrinsèquement constructionniste, entre en contradiction avec ce courant de pensée.
Le genre est aussi rejeté par certaines féministes radicales qui lui reprochent d’invisibiliser à la fois les femmes et la domination masculine. On ne parlerait en effet plus de la domination des hommes sur les femmes mais du genre, ce qui contribuerait, au finale, à faire disparaître à nouveau les femmes comme sujets politiques et les hommes comme bénéficiaires du patriarcat et acteurs de la domination. Les études de genre considèrent cependant que l’on ne peut pas parler de domination exercée sur les femmes sans envisager celle-ci comme relation et comme processus social, et sans envisager la façon dont elle est systématiquement construite et maintenue au quotidien. De plus, les études de genre reposent sur le principe que l’on ne peut rendre compte du statut des femmes dans la société sans parler de masculinité et la prendre pour objet d’étude. Cela ne revient pas à égaliser féminin et masculin mais, comme je l’ai écrit plus haut, à envisager les relations asymétriques (et non-univoques) qui existent entre les deux groupes.
Le concept est enfin critiqué à cause de son absence supposée de dimension politique. Parler de « recherches sur le genre », par exemple, aurait une portée politique moindre que de parler de « recherches sur les femmes ». Je considère cependant que les débats actuels suffisent largement à prouver le caractère éminemment politique et même subversif du concept de « genre ».
On peut trouver un exemple d’argumentation féministe contre le genre dans le dernier livre de Sylviane Agacinski, Femmes entre sexe et genre. Je n’ai lu que des extraits de son livre et ne le critiquerai donc pas dans le détail. Je constate cependant que ses propos sur la « différence sexuelle » qui serait devenue « tabou » à cause du genre, ne se distinguent guère de ceux des militant·e·s anti-Gender que par le positionnement féministe de leur auteure. Ses propos sont d’ailleurs repris par des individus et des groupes antiféministes et homophobes, trop contents de trouver une alliée féministe, ce qui devrait tout de même lui poser question.
(Presque) Conclusion
Je conclurai de manière quelque peu décousue, complètement éhontée et parce que je déteste conclure par de l’autopromo. Le laboratoire junior GenERe, auquel j’appartiens, organise le 19 mars à l’ENS de Lyon une conférence intitulée « Mauvais genre ? », destinée à faire le point sur la controverse actuelle et, surtout, à servir de cours d’introduction aux études de genre. Je serai l’une des deux intervenantes. La conférence est ouverte à tou·te·s, dans la limite des places disponibles et sous réserve d’inscription préalable. Pour plus de détails, vous pouvez consulter le site du labo. Faites vite, plus de la moitié des places est déjà partie.
Anne-Charlotte Husson

C’est comme une guerre

 

C’est comme une guerre

08 MARS 2014 |  PAR JEAN-PHILIPPE CAZIER

Je n’ignore pas être animée d’une volonté rageuse de rendre improductif mon bas ventre. Je sécrète des maladies produites par cette volonté qui ne m’est pas en propre mais est le résultat de l’air que j’avale. Ces maladies sont issues de mon imagination. Mon imagination est issue des multiples corps qui ont multiplié mon imagination. Je suis une extension de l’imagination des autres, ce qui étend nos corps hors de tout contour. Chaque corps de l’autre étend autant de corps que d’imagination. Chaque corps refigure le corps. Chaque corps de l’autre étend autant de corps que d’imagination. Que par des langues propres on cherche à occuper, des langues non mystérieuses faites par des maladies non mystérieuses parce que saines et produites par la syntaxe droite. C’est une sorte de guerre. C’est comme une guerre. La syntaxe droite est l’idée droite qui capture les corps et les occupe. Elle fabrique des corps fermés prêts à entrer dans les tombeaux de ses guerres économiques. La syntaxe droite a besoin de la nature pour rendre opératoire et naturelle l’idéologie coloniale ou patriarcale ou encore patronale. Elle produit des idées naturelles pour asseoir son droit naturel. La vie naturelle est donc une production de la syntaxe droite. La syntaxe straight opère par occupation des esprits et des corps. De toutes les béances, la syntaxe droite en a trouvé une qui assure le pouvoir naturel. Le mot d’ordre de la syntaxe straight est donc l’occupation de l’utérus, c’est par là qu’elle poursuit la procréation de sa loi. Pour garantir son droit naturel elle fait de ce lieu un territoire qui garantit la vie naturelle. Les corps possédant un utérus sont ainsi expropriés par la vie absolue produite par le droit naturel et la syntaxe droite. Les siècles ont cousu les corps pour en fermer chaque trou. C’est aux béances les plus visibles du corps que l’idéologie dominante s’attaque et c’est par elle que toujours elle entre. Sa façon d’attaquer et de pourchasser les femmes voilées tient de la même manie que celle qui consiste à habiter le ventre des femmes. En faisant de la femme une vie faite pour la vie on trouve par là de quoi retirer la vie, ses droits, ses libertés, son corps. Et la possibilité d’un commun, puisque la voici tellement faite pour la vie qu’elle se trouve jetée hors de celle-ci et de son organisation. C’est donc comme une guerre. Oui, c’est une guerre. Contre les corps, car le corps n’existe pas. Le corps n’existe que par les devenirs dans lesquels il est pris : devenir-femme, devenir-animal, devenir-arabe, devenir-bouche. Toujours des devenirs qui défont le corps et l’ouvrent à une altérité qu’il n’est pas, qu’il n’est jamais. Même le corps du Christ est multiple et pris dans des devenirs : mangez mon corps, buvez mon corps, je suis mort, je suis vivant, crucifiez-moi. La bouche ne sert pas qu’à manger, elle est prise dans des mouvements étranges. Elle parle, elle suce et lèche, elle embrasse et mord – et elle peut embrasser et mordre en même temps. Mon corps aime avoir une bite dans le cul, c’est-à-dire aussi dans le cerveau et partout à travers mes nerfs comme à travers les tiens, mon amour. Les corps sont singuliers, mobiles, toujours ouverts, cosmiques. L’Etat ou l’Eglise ne cessent de vouloir identifier nos corps, les réduire à un corps figé, ordonné selon des impératifs qui ne sont pas ceux du corps mais de l’argent, des valeurs morales, de la police, de la patrie, de la Nation. Les groupes fascisants qui défilent et s’acharnent contre nos corps veulent la même chose : transformer nos corps en tombeaux, en choses mortes, sans futur ni joie. Ces mouvements réactionnaires, violents d’une violence qui s’organise et dont nous n’avons pas encore commencé à mesurer concrètement le degré, veulent imposer un ordre aux corps, un ordre immuable, fixe. Un ordre raciste, nationaliste, haineux, effrayé. Un ordre mortifère. Ce qu’ils veulent, c’est nous tuer, c’est ce qu’ils veulent précisément : en Russie, en Espagne, en France – tuer des corps, tuer des gens. C’est ce qu’ils font et c’est ce qu’ils feront. C’est donc une guerre. Une guerre contre nos corps. Mélanger nos corps. Par la bouche, les mélanger par la peau. Mélanger nos corps par le sexe, par la peau, par les mains. Mélanger nos corps déjà mélangés. Par la bouche, par la peau, par le sexe, par les yeux. Que les corps suintent. Que les corps s’écoulent, saignent. Que les corps submergent, nos corps submergés. Nos corps esclaves. Par la bouche, par la peau, par le sang, par les mains, par le sexe. Révolte révolte révolte.

Texte de Liliane Giraudon, Frank Smith, Amandine André et Jean-Philippe Cazier trouvé sur Mediapart.

Le premier numéro d’Ardecom (1980)

Nous reproduisons ci-dessous le premier numéro de la revue Ardecom (Association pour la recherche et le développement de la contraception masculine). Après une longue « hibernation », Ardecom est réapparue en 2013 – voir son communiqué commun avec le Planning familial du 14 octobre 2013.

Revue ARDECOM

Association pour la Recherche 
et le Développement de la Contraception Masculine 
N°1 – Février 80

CONTRACEPTION MASCULINE
PATERNITÉ
En 1945, Pincus mit au point la première pilule contraceptive à base de progestatif de synthèse.
Cette contraception orale féminine n’a éte possible que parce que les mouvements féministes américains ont réclamé et financé la recherche (notamment le Planning Familial de Margaret Sanger)

SOMMAIRE
ARDECOM  •  La reproduction chez l’homme •  
Les hormones •  La contraception masculine •  Le spermogramme •  
Les différentes possibilités de contraception hormonale •  Attention aux refroidissements •  Le préservatif •  
Quelques questions à propos de la vasectomie •  
Il suffit de la prendre •  
Après le petit déjeuner •  La grève de la reproduction •  
Finalement je ne parlerai pas de moi •  Paternité à la française •  
Pas d’enfants •  



ARDECOM
 Association pour la Recherche 
et le Développement de la Contraception Masculine

ARDECOM est née d’une série de rencontres…

Des hommes ayant participé à des  » groupes d’hommes  » remettant en cause le rôle de mec, les comportements virils, se sont réunis pour parler des choses les plus intimes qui nous touchent, en dehors des rivalités habituelles. Nous avons parlé et réfléchi sur notre sexualité, la paternité, le rapport que nous avons avec les enfants : ceux dont on est le père biologique, ceux avec lesquels on vit, ceux qu’on voudrait avoir, ceux qu’on imagine et, pour certains, le refus d’être père.

Sans abandonner l’idée d’un groupe de parole, nous avons voulu faire plus : pourquoi, si nous ne désirons pas d’enfant, ne pas l’assumer complètement ? Pourquoi accepter comme une fatalité l’absence d’une contraception masculine en dehors des méthodes vécues par nous comme des négations du plaisir (capote, retrait) ?

Alors a commencé une longue quête.

Nous nous sommes rendu compte que, contrairement à l’idée souvent répandue, il n’existait pas de méthode contraceptive au point, nulle part au monde. Quant à la vasectomie, si elle nous a intéressés, nous l’avons abandonnée comme étant actuellement définitive.

C’est à ce moment que nous avons rencontré une équipe de médecins, de chercheurs, qui essayaient de mettre au point une  » pilule  » contraceptive masculine. Les uns pour répondre à une demande de couples ne pouvant employer aucune méthode féminine, les autres dans une démarche liée à la biologie de la reproduction réunissant la lutte contre la stérilité, l’insémination artificielle et l’existence d’une contraception masculine.

Certains d’entre nous qui n’avaient pas envie d’avoir d’enfant ont décidé de participer à ces essais, non comme cobayes mais comme utilisateurs conscients.

Nous avons accepté de prendre ces produits parce qu’ils étaient connus car utilisés et en vente depuis de nombreuses années.

Il avait été établi un protocole prévoyant un contrôle médical très strict de l’innocuité et de l’efficacité du traitement. Nous avons essayé de prendre en main le maximum d’aspects comme le contrôle de la tension artérielle, le comptage au microscope des spermatozoïdes, le choix et la lecture des examens. Nous avons voulu mieux connaître notre corps, comprendre comment il fonctionne et nous avons découvert l’immensité de notre ignorance.

Nous avons rencontré d’autres hommes qui pratiquaient la même contraception mais y étaient arrivés individuellement. Nous avons échangé nos expériences et nous nous sommes regroupés. D’autres hommes, qui refusaient la contraception chimique, se sont joints à nous et cherchent des moyens de contraception nouveaux à partir de la chaleur, de l’action du cuivre…

Enfin s’est créée en octobre 1979 ARDECOM,  » association d’hommes et de femmes concernés par la contraception masculine  » ; une association pour que les gens qui sont intéressés, et nous sommes nombreux, se mettent en contact, échangent, se rassemblent. Nous recherchons toutes les informations sur la contraception masculine et les diffuserons.

Nous essaierons de suivre, d’impulser, de réaliser des essais de contraception (des projets de recherches ont été déposés), de faire se rencontrer les utilisateurs… Nous voulons aussi que la vasectomie soit d’accès facile et légal même si elle n’est pas considérée, à tort, comme une contraception.

Une dynamique pour l’existence d’une contraception masculine se met lentement en place. A chaque article dans un journal, de nombreuses lettres nous arrivent, un lien prometteur s’établit avec le Planning familial, des groupes se créent dans plusieurs villes (Nantes, Lyon, Toulouse, Limoges).

Nous voyons ARDECOM comme un lieu d’expression reflétant la diversité des paroles et des expériences, comme un instrument pour qu’une contraception masculine existe, même si elle ne résoud pas tous les problèmes, comme un endroit où se disent la paternité, l’amour, la vie…

La reproduction chez l’homme
 • Les hormones
LA REPRODUCTION CHEZ L’HOMME
La contraception masculine ne date pas d’hier et les différentes pratiques, retrait, non pénétration et surtout capotes, ne sont pas à négliger. Bon, mais on peut vouloir une contraception qui ne perturbe pas ou ne limite pas les désirs-plaisirs du rapport amoureux et qui délivre de l’angoisse des conséquences possibles, que l’homme ne supportera finalement jamais dans son corps.
Or, actuellement, la seule  » autre  » contraception masculine expérimentée, à part la vasectomie, utilise la voie hormonale. Nous essaierons donc d’expliquer ici les processus hormonaux et auparavant de faire un peu connaissance avec notre physiologie intime d’homme. En effet, nous nous sommes rendu compte, en en parlant entre nous, autour de nous, que la connaissance de l’intérieur de leur corps par les hommes semble à peu près inversement proportionnelle à l’admiration qu’ils vouent à ce qui leur pendouille à l’extérieur.
C’est la fabrication, la maturation et le transport dans les voies génitales mâles des cellules sexuelles ou spermatozoïdes. Ces spermatozoïdes sont formés dans les testicules qui ont aussi une deuxième fonction, la fabrication des hormones mâles.
Les deux testicules sont logés dans deux sacs appelés scrotum ou bourses. C’est dans ces organes et plus précisément le long des canaux spermifères que se forment les cellules mères des spermatozoïdes (ou spermatogonies). Mais c’est seulement à la puberté que certaines de ces spermatogonies commencent à se diviser pour former les spermatozoïdes, qui possèdent la moitié des gènes de l’individu. Ce processus s’appelle la sperrnatogénèse et dure environ 72 jours. La spermatogénèse est un phénomène continu qui dure toute la vie de l’homme.
Les spermatozoïdes se déversent dans des canaux qui tous se réunissent en un seul tube appelé épididyme qui vient se pelotonner sur le testicule, et qu’il est d’ailleurs facile de repérer par palpation. Les spermatozoïdes sont stockés dans la partie terminale ou queue de l’épididyme. Au moment de l’éjaculation les spermatozoïdes remontent les canaux déférents puis l’urètre au-dessous de la vessie ; l’urètre et les canaux déférents confluent en un seul canal à la fois urinaire et génital ; mais il ne peut y avoir mélange car un anneau musculaire autour de l’urètre bloque l’écoulement de l’urine en dehors de la miction. L’urètre dans sa partie terminale est entourée de tissus érectiles et l’ensemble constitue la verge ou le pénis.
Les spermatozoïdes se mélangent aux sécrétions des vésicules séminales et de la prostate au moment de l’éjaculation pour donner le sperme. Ces sécrétions représentent plus de 90 % du volume du sperme. La durée de vie du spermatozoïde est d’environ 24 heures dans le liquide séminal, mais pourrait être de 6 jours à l’intérieur de l’utérus.
Les hormones sexuelles mâles ou androgènes (dont la testostérone) sont en grande partie fabriquées dans les cellules des testicules qui sont entre les canaux séminifères (cellules de Leydig). Elle sont déversées dans le sang et ont de nombreux rôles (modification physique pubertaire, contrôle du pouvoir fécondant des spermatozoïdes, contrôle des sécrétions des vésicules séminales et de la prostate). Ces androgènes sont produits de façon continue (dès bien avant la naissance).Ces deux fonctions du testicule, hormonale et spermatogénétique, sont contrôlées par deux glandes (à la fois glandes et tissu nerveux) situées à la base du cerveau : l’hypothalamus, en relation avec la vie extérieure et le psychisme qui commande à l’hypophyse la sécrétion de deux hormones, FSH et LH comme chez la femme. FSH agit sur la spermatogénèse par l’intermédiaire des cellules de Sertoli (cellules nutritives et de soutien) qui entourent les spermatogonies. La LH a une action plus spécifique sur les cellules androgéniques (cellules de Leydig). L’hypothalamus est le centre de la vie végétative, échappant à la conscience directe mais par où passent et sont modulées toutes les informations sensorielles avant d’arriver à la conscience (cortex). Hypothalamus et hypophyse modifient leur sécrétion selon les informations qu’ils reçoivent. Notamment, si l’ordre envoyé par l’hypothalamus de sécréter plus de testostérone (par l’intermédiaire de LH) est exécuté, le taux sanguin de testostérone monte. L’hypothalamus et l’hypophyse sont donc informés de ce que leur ordre a été exécuté. Ils arrêteront donc leur stimulation : on parle de rétro-contrôle.
LES HORMONES

Une hormone peut être considérée comme le vecteur d’informations qui régulent les phénomènes biologiques propres à certains organes. La diversité des hormones et de leurs effets font de la régulation hormonale un aspect essentiel de l’équilibre physiologique.
Elles sont libérées dans la circulation sanguine par les différentes glandes endocrines qui les produisent mais souvent ne sont rendues actives qu’au contact de l’organe cible. Elles ont besoin d’être reconnues pour être actives. Il existe donc des  » récepteurs  » spécifiques au niveau des organes cibles à qui est destinée chaque hormone. Leur rôle régulateur implique que leur production ne soit pas constante et doive s’adapter au besoin de l’organisme. La régulation de la production des hormones est donc nécessaire d’autant que leur efficacité est extrême à des doses infimes. Cette régulation de la production hormonale se fait par des mécanismes d’activation ou d’inhibition dont la clef de voûte se trouve à la base du cerveau et est constituée par deux petites glandes : l’hypothalamus et l’hypophyse. En effet au centre d’un complexe où les systèmes nerveux et hormonal sont reliés, l’hypothalamus peut intégrer les informations qui proviennent en retour des glandes endocrines périphériques ainsi que celles provenant du monde extérieur et du psychisme par l’intermédiaire du cortex cervical. Suivant les informations reçues, les neurosécrétions de l’hypothalamus sont alors activées ou inhibées et régulent à leur tour en partie la production par l’hypophyse d’une demi-douzaine d’hormones.
Parmi ces hormones, celles qui nous intéressent sont celles qui vont activer les fonctions génitales. Elles ont été mises en évidence il y a un demi-siècle et définies par leur action chez la femme. Ce sont la FSH ou Follicule Stimulating Hormone (car régulant la maturation folliculaire et la sécrétion d’oestrogènes) et la LH (Luteinising Hormone) qui intervient chez la femme dans l’ovulation et la sécrétion par le corps jaune de progestérone. Mais ces deux hormones hypophysaires encore appelées Gonadotrophines ou Gonadostimulines sont aussi sécrétées chez l’homme.
Comme nous l’avons vu la FSH a pour cible principale les cellules de Sertoli qui se trouvent sur la paroi interne des canaux séminifères autour des cellules de la lignée germinale. La LH a pour cible les cellules interstitielles ou cellules de Leydig qui sont à l’extérieur des canaux séminifères et produisent des oestrogènes mais surtout des androgènes (Testostérone) dont une partie peut diffuser à travers la paroi des tubes séminifères et être amenée au contact des cellules spermatogénétiques grâce à une protéine fabriquée par les cellules de Sertoli sous l’influence de FSH. Cet apport d’androgènes active alors la spermatogénèse.
Il est à noter que ceci est schématique et ne permet que d’entrevoir les multiples interrelations hormonales qui aboutissent à la production des spermatozoïdes et d’hormones mâles. D’autre part, sachant que le mode d’action de la pilule pour femme est justement de bloquer la sécrétion de FSH et de LH par l’antéhypophyse, on peut déjà supposer l’utilisation possible d’un moyen contraceptif semblable chez l’homme. Dans les deux cas, le but est de tromper le système de commande, en lui faisant croire par un apport d’hormones dans le sang que le taux est suffisant donc qu’il n’est plus la peine d’en commander la fabrication.

LA CONTRACEPTION MASCULINE
Comment trouver une méthode contraceptive masculine et la tester ?
Comment rendre un homme stérile ?
En réduisant à zéro ou presque le nombre de spermatozoïdes éjaculés, on rend un homme stérile. Pour y parvenir, il faut soit arrêter leur fabrication, soit les empêcher de sortir.
L’autre possibilité est de rendre les spermatozoïdes inaptes à féconder. On dispose pour ça de deux moyens: modifier certaines propriétés du spermatozoïde indispensables à sa pénétration dans l’oeuf bloquer l’acquisition du pouvoir fécondant une fois fabriqué, le spermatozoïde doit en effet subir une maturation sans laquelle il ne sera jamais fécondant.
Quand un homme est-il stérile ?
Un des obstacles majeurs à tout essai de contraception masculine est la difficulté d’en juger l’efficacité.
Sans un spermatozoïde, on est stérile. Mais dès que l’éjaculat en contient, même peu, le doute commence et les probabilités de fertilité s’accroîtront jusqu’à atteindre une quasi certitude.
Pour savoir si un homme est fertile, on dispose en gros de deux sources : les conceptions antérieures et l’analyse du sperme. Cette analyse, c’est le spermogramme qui établit des paramètres propres à un individu, à un moment donné (nombre de spermatozoïdes : N ; mobilité : % ; aspect des spermatozoïdes : morphologie). Les résultats sont rapportés aux données statistiques maintenant accumulées. On sait ainsi qu’à tel ou tel chiffre du spermogramme correspond telle ou telle probabilité pour l’homme de concevoir.
Pour savoir si une contraception masculine est efficace, il faudra donc se rapporter à ces critères.
- La venue d’une grossesse pose un des gros problèmes de toute contraception masculine : ce n’est pas l’utilisateur qui fait les frais de l’échec.
- Obtenir une modification du spermogramme pose d’autres problèmes : cet examen donne des informations très précises sur la fertilité d’une population. Au niveau de l’individu, il le fait seulement rentrer dans une tranche statistique. Or ce qui intéresse chacun, c’est une réponse claire : oui ou non. On peut avoir un spermogramme qui donne 90 % de chances de fertilité et ne jamais aboutir. On peut être de ceux qui n’ont que 10 % de chances et avoir très vite un enfant.
C’est donc que le spermogramme n’apprend pas tout. On peut dès lors très bien imaginer que des méthodes contraceptives soient très efficaces, sans modifier le spermogramme. Malheureusement, le critère de référence restera cet examen. Pour le moment.

Les méthodes qui existent aujourd’hui

Les hormones
Les agents les plus disponibles pour les chercheurs, ce sont les hormones. Elles sont nécessaires à la fabrication des spermatozoïdes comme à leur maturation ; on connaît relativement bien leur mécanisme d’intervention ; on dispose de l’expérience féminine de contraception hormonale.
L’organisme est doté, pour toutes ses fonctions, de systèmes de surveillance complexes dont le haut de l’échelle est situé en général dans le cerveau. L’ordre part de là et, pour s’assurer qu’il a été bien exécuté, il y a des circuits d’informations qui lui reviennent.
En prenant certaines hormones, on dupe ce système en lui faisant croire que tout marche bien et qu’il n’a plus besoin de rien ordonner. Ce qu’il fait, et le tour est joué, la fabrication s’arrête.
Le problème, c’est que c’est à peu près le même système de commande qui régit les deux fonctions du testicule : élaboration des spermatozoïdes et sécrétion des hormones mâles. Il faut alors parvenir à inhiber la première sans toucher à la seconde. Ce n’est pas simple, mais on commence à y arriver.

L’association androgènes-progestatifs
Les méthodes actuellement proposées en premier lieu aux États-Unis et expérimentées depuis près de dix ans reposent sur l’association de deux types d’hormones : progestatifs et androgènes (hormones mâles). Ce modèle est très proche de la pilule pour femme la plus classique, qui est une association de progestatif et d’oestrogène (hormone féminine).
La répartition des tâches est la suivante : les progestatifs bloquent la fabrication des spermatozoïdes par le mécanisme dont on a parlé plus haut ; les androgènes permettent de maintenir des taux normaux d’hormone mâle et d’éviter ainsi une féminisation ou une chute de libido.
Pourquoi cette méthode n’est-elle pas plus divulguée ? Sans doute du fait qu’elle n’est pas parfaite et se heurte, en gros, à cinq difficultés :
- l’efficacité est difficile à juger et le fardeau de l’échec ne repose pas sur l’utilisateur. Mais en plus l’effet est très variable d’un individu à l’autre. Avec un même traitement, certains hommes sont rapidement rendus stériles quand d’autres voient leur fertilité apparemment améliorée. On ne sait rien non plus d’une éventuelle accoutumance à ces drogues ;
- les dangers : on peut s’assurer qu’un certain nombre de fonctions de l’organisme ne souffrent pas d’une surcharge hormonale. Mais on ne peut pas tout observer. Les observations faites depuis vingt ans sur les risques cardiaques et vasculaires des contraceptifs hormonaux chez la femme, surtout fumeuse, étaient imprévisibles. Ici comme ailleurs, on se posera le problème du moindre mal ;
- la réversibilité : jusqu’à présent, cette méthode est réversible et sans conséquences sur la progéniture. Mais si un homme sur 1.000 ou sur 10.000 essuie un échec, on ne le saura que quand plusieurs milliers ou dizaines de milliers d’hommes auront utilisé cette méthode ;
- le mode d’administration : peut-on éviter la prise quotidienne de la pilule ? Sans doute, mais ce n’est pas parfaitement au point. Certains systèmes permettent de libérer petit à petit dans l’organisme certaines hormones qu’ils contiennent. Ce sont des morceaux de substances anorganiques qui contiennent les hormones et les lâchent progressivement dans le sang au fil du temps. Il semble que l’on puisse disposer de ces méthodes (implants ou injection de microsphères) dans un délai assez bref ;
- le prix de l’expérimentation : si on veut faire un essai consciencieux, avec une surveillance rigoureuse, il faut payer cher. Les dosages hormonaux, par exemple, coûtent des fortunes. Qui va payer ? Ni les utilisateurs, ni la Sécurité sociale. Il faudra donc que la contraception masculine rentre dans les préoccupations des pourvoyeurs de fonds (CNRS, DGRST : direction générale de la recherche scientifique et technique, Ministère de la Santé) si l’on veut faire le moindre pas en avant.
D’autres méthodes hormonales ont été proposées. Moins sûres, plus hasardeuses, elles se situent pour l’instant loin derrière celle dont nous avons parlé sur le plan de l’expérimentation.

Vasectomie et méthodes apparentées
Vasectomiser, c’est couper le canal déférent qui permet aux spermatozoïdes de sortir du testicule. C’est une stérilisation volontaire, considérée en France comme une mutilation et, de ce fait, interdite, fût-elle volontaire. Elle est quand même pratiquée.
La vasectomie est théoriquement irréversible. Il y a cependant deux moyens d’éviter cette fatalité :
- certains centres demandent avant toute vasectomie une conservation du sperme. La procréation reste donc théoriquement possible, par insémination du sperme mis en réserve ;
- la chirurgie peut remettre parfois bout à bout les deux extrémités du canal sectionné. Le taux de réussite effective tourne autour de 20%.
Des méthodes proches ont été expérimentées, qui cherchent à fermer ce canal temporairement au lieu de le couper. Elles semblent prometteuses chez l’animal, mais rien de probant n’est encore proposé à l’homme ; le cuivre étant réputé pour sa toxicité à l’égard des spermatozoïdes, la pose d’un fil de cuivre dans les déférents pourrait entraîner une stérilité, même si la spermatogénèse n’est pas arrêtée.

Autres méthodes
On peut altérer la fabrication des spermatozoïdes en réchauffant les testicules (slips chauffants, isolation thermique…). Mais il faudrait trouver un système commode et sûr ; il n’existe pas, et on en cherche un (cf. ARDECOM).
On a aussi proposé les ultra-sons, les infrarouges et les micro-ondes. Le gros danger, avec ce genre de solutions, est le risque de provoquer des mutations dans la descendance. Il ne semble donc pas qu’il s’agisse là des méthodes les plus prometteuses.
Rappelons enfin les préservatifs…
Où en est la contraception masculine dans le monde ?
Il n’existe nulle part dans le monde de contraception masculine acceptable. Alors y a-t- il des recherches, des essais, ou seulement des difficultés insurmontables ?
Voyons par exemple ce qui se passe dans trois pays : les USA, la Chine et la France.
Les USA ont commencé en 1971 à proposer des méthodes expérimentales de contraception masculine. Ils ont débloqué depuis peu des sommes très coquettes pour accélérer le travail en étroite collaboration avec l’OMS (Organisation mondiale de la santé, organisme spécialisé de l’ONU). C’est d’eux que viennent la plupart des propositions de contraception hormonale. Leur champ d’expérimentation est surtout L’Amérique du Sud et l’Inde, mais aussi un peu la Suède, la Finlande, l’Autriche et même les USA.
La Chine a révélé en novembre 1978 à l’Occident un contraceptif nouveau : le Gossypol. Tiré du coton, pas cher, ce produit avait été utilisé par plus de 4.000 hommes (durant plus de 6 mois) depuis 1972, dans différentes provinces chinoises. La publication est signée par  » le groupe national de coordination des agents contraceptifs masculins « . L’efficacité serait excellente : 99,89 %. Mais le critère pour en juger met la barre un peu bas (4 millions de spermatozoïdes). Le seuil d’efficacité choisi laisse une probabilité de féconder qui est loin d’être nulle. Le produit ne serait pas toxique. Mais il cause chez 13 % des consommateurs une faiblesse, au début du traitement, certes passagère mais inexpliquée. Quelques troubles digestifs, une libido un peu atteinte, une réversibilité acquise à trois mois sans que l’on sache sur quel critère, ni s’il y a des risques sur les descendants. Peut-être prometteur, ce produit laisse pour l’instant encore trop d’inconnues pour être considéré comme une proche espérance.
En France, nous connaissons un seul essai, mené à Paris (hôpital Tenon) il y a quelques années. A chaque consultation, le produit nouveau était présenté aux utilisateurs sans qu’il leur soit fourni d’informations, et il y eut finalement constatation d’une certaine toxicité de ce produit et abandon. Un autre essai en apparence plus prometteur est actuellement en cours (cf. ARDECOM).
On ne peut pas espérer disposer rapidement d’une bonne contraception masculine (efficace, sans effets secondaires ni dangers, réversible rapidement, sans risques pour la descendance, simple, confortable, pas cher … ).
On peut espérer une contraception moyenne avec des désagréments de méthode ou de surveillance, de petits risques dont il faut guetter la venue, ou une efficacité incertaine qu’il faudra mesurer. Mais cette contraception moyenne nous paraît meilleure que l’absence totale de contraception.
Les conditions du développement rapide de méthodes contraceptives masculines
Certaines méthodes contraceptives masculines peuvent être proposées dès aujourd’hui en France (cf. méthodes hormonales citées plus haut). Mais leur efficacité, leurs risques, leur réversibilité, ne sont pas assez précisément connus. Ces inconvénients peuvent s’effacer devant ceux qu’amène l’absence de contraception. C’est pourquoi des petits groupes d’hommes utilisent ces méthodes. Mais toutes les questions en suspens imposent des contraintes : excellente information des utilisateurs et des médecins, coopération entre eux, surveillance de la fertilité potentielle et des risques éventuels, acceptation de protocoles (normalisation de la surveillance de l’efficacité et de l’absence de danger) qui, au point où on en est, restent des protocoles d’expérimentation.
LE SPERMOGRAMME
Il semble que l’analyse du sperme devrait être l’examen minimum que devrait effectuer tout homme vis-à-vis d’une contraception. En effet, bien que l’on ne puisse définir avec certitude un seuil de non fertilité par le nombre de spermatozoïdes, à moins d’azoospermie totale, le spermogramme permet aussi d’apprécier à l’état frais leur mobilité, important critère de leur potentiel fécondant.
La numération peut se faire relativement facilement avec un microscope (x 400) et une lame spéciale dite cellule de Thoma qui permet, grâce aux repères quadrillés qu’elle comporte d’y compter les spermatozoïdes en nombre d’unités par volume. Les spermatozoïdes auront d’abord été immobilisés par dilution avec une solution de Ringer. L’espace entre cellule de Thoma et lamelle détermine un volume. Les repères quadrillés permettent de diviser en unités très précises dans lesquelles on compte le nombre de spermatozoïdes. Le résultat se donne en unités/ml.
Le spermocytogramme permet d’apprécier la proportion de spermatozoïdes qui ont un aspect normal. On constate souvent un certain nombre d’anomalies de la morphologie des spermatozoïdes qui atteignent soit la tête soit la pièce intermédiaire soit la flagelle ou plusieurs de ces parties simultanément. On considère que ces formes différentes sont morbides mais que 20 %, voire 50 %, de formes anormales n’altère pas le pouvoir fécondant du sperme.
Enfin l’analyse biochimique du sperme permet d’apprécier le fonctionnement des glandes sexuelles annexes que sont les vésicules séminales et la prostate. C’est le taux de fructose qui est considéré comme représentatif du fonctionnement des vésicules séminales. Le taux de phosphatase acide représente celui de la prostate. Cet organe a donné son nom aux prostaglandines dont le liquide séminal est très riche sans qu’on en connaisse le rôle dans la fécondation. En fait des recherches récentes ont fait apparaître que ce sont les vésicules séminales qui produisent surtout les prostaglandines.
Pour Rehan et coll. (1975) une étude de 1.300 hommes fertiles a montré que le volume des éjaculats varie de 0, 1 à 11 ml. La densité en spermatozoïdes varie de 1,5 à 375 millions/ml, le pourcentage de spermatozoïdes mobiles variant de 5 à 95 % et le degré de mobilité varie de 1 à 4. Les différents paramètres du spermogramme permettent de classer un individu dans un groupe statistique : on obtiendra une probabilité de fertilité qui n’aura pas de valeur précise pour l’individu.
Les différentes possibilités de contraception hormonale
Attention aux refroidissements
LES DIFFÉRENTES POSSIBILITÉS DE CONTRACEPTION HORMONALE
L’effet recherché est une chute de la spermatogénèse ; on va donc essayer de court-circuiter les différentes informations hormonales qui peuvent entretenir cette spermatogénèse.
Ainsi, en introduisant des androgènes dans la circulation sanguine : hypothalamus et hypophyse, informés de cette augmentation du taux d’androgènes circulants, vont cesser d’envoyer leurs ordres de fabrication FSH-LH en particulier dans les testicules. Les cellules de Leydig stoppent alors leur production de testostérone et la spermatogenèse s’effondre. Cependant, les androgènes ont d’autres activités dans l’organisme et leur forte augmentation entraîne des risques cardio-vasculaires et hépatiques, entre autres…
On pourrait aussi introduire des antiandrogènes qui se font passer auprès des  » sites d’action  » (donc au niveau des tubes séminifères) pour similaires des androgènes sans en avoir l’activité. Là aussi on obtient une chute de la spermatogénèse, mais elle n’est que temporaire car, malgré la similitude, le système de contrôle perçoit la pénurie d’androgènes et augmente alors sa sécrétion, de gonadotrophines (FSH-LH) pour produire les androgènes manquants. On doit noter ici que la testostérone a surtout une activité périphérique car au niveau de la spermatogénèse c’est une autre hormone, très proche, la dihydrotestostérone (DHT), qui agit. Il faudrait donc trouver un produit anti-DHT qui ne soit pas anti-testostérone.
Les oestrogènes sont les plus puissants inhibiteurs des gonadotrophines hypophysaires ; cependant, leur utilisation chez l’homme s’accompagne de troubles cardio-vasculaires et d’une féminisation. Pour certains, leur association avec des androgènes éviterait ces troubles tout en conservant l’action anti-spermatogénétique.
La progestérone et les progestatifs
Androgènes, oestrogènes et progestatifs peuvent agir sur des récepteurs (dits glandes-cibles) qui ne leur sont pas propres. Ceci est dû à la similitude de leurs molécules de base. Chacun peut donc en partie concurrencer les deux autres et en particulier divers progestatifs peuvent agir sur les récepteurs androgéniques. Cette interaction est en général inférieure à 10 %. Mais avec l’acétate de médroxyprogestérone (AMP), dérivé artificiel, l’interaction est beaucoup plus grande. Autrement dit, l’AMP va pouvoir tromper avec beaucoup d’efficacité les récepteurs habituels des androgènes, d’où l’inhibition principalement de la production de FSH-LH par l’hypophyse et par suite chute de la spermatogénèse.
Cependant, l’administration chez l’homme de progestatifs seuls entraîne aussi une chute de la  » libido  » et une atrophie des testicules et des glandes sexuelles annexes (symptômes dus à l’arrêt de la production de testostérone). Aussi, parallèlement à un traitement progestatif, il est nécessaire de réintroduire de la testostérone dans la circulation sanguine pour éviter troubles de la libido et féminisation.
Mais alors, cela ne va-t-il pas remettre en route la spermatogénèse, puisqu’on réintroduit de la testostérone alors que l’administration de progestatifs devait en interdire la production ? Il faut préciser que la concentration de testostérone est, sans traitement progestatif, beaucoup plus forte dans les testicules près du lieu de production que dans les glandes annexes simplement irriguées par le sang.
Sous progestatifs, si on introduit de la testostérone dans la circulation sanguine, le taux hormonal habituel y sera rétabli et donc les fonctions normales des glandes annexes, du métabolisme, ainsi que les caractères sexuels secondaires et la libido, ne bougeront pas. Cependant, la concentration initiale de testostérone dans les testicules ne sera jamais rétablie et la spermatogénèse reste donc très basse.
Et la pilule dans tout ça ? Eh bien, c’est justement la forme que prend l’acétate de médroxyprogestérone dans le commerce. Deux pilules par jour dosées à 10 Mg de AMP. La testostérone est contenue dans une solution dont on se frictionne le corps et qui se diffuse dans le sang à travers la peau.
Et ça marche : effondrement de la spermatogénèse et atteinte d’un seuil d’1 million de spermatozoïdes en 3 mois à peu près (il y a de grandes variabilités individuelles). Mais reste posé le problème d’un seuil de stérilité. Aucun trouble secondaire (après élimination des sujets à risque, en particulier les gros fumeurs). Aux dernières nouvelles, elle ne rendrait pas sourd. Un inconvénient toutefois, le prix élevé des produits et des examens.
Un bilan détaillé est en cours de réalisation il porte sur l’utilisation par 6 hommes, pendant un an, de cette contraception.
ATTENTION AUX REFROIDISSEMENTS !

Météo et contraception

Tout le monde sait que les testicules pendent entre la verge et les fesses. De ce fait, si la température moyenne du corps est de 37°, celle des testicules est de 34°. Et ce n’est pas un hasard. Car lorsque cette température est augmentée de façon constante ou importante, la spermatogénèse est notablement réduite : ce sont ses stades intermédiaires (phases de division et de synthèse protéique) qui sont extrêmement sensibles à la chaleur. Bref la lignée germinale dégénère.
La chaleur a pour conséquence de diminuer le nombre de spermatozoïdes, leur mobilité, leur vitalité, et d’accroître le pourcentage de formes anormales. Et ceci, sans modifier sensiblement ni les taux d’hormones, ni les glandes sexuelles annexes, ni la libido. En plus, même si cela n’annule pas le nombre de spermatozoïdes, la fertilité de ceux qui restent baisse sérieusement : il semble que la chaleur provoque une inhibition de l’aptitude à féconder du spermatozoïde.
Comment ? A l’intérieur des testicules, la chaleur agit sur les flux sanguins, sur la synthèse protéique, sur le métabolisme des glucides, lipides, acides nucléiques, et sur la synthèse des récepteurs hormonaux. Mais comment ces altérations provoquent-elles la chute de la numération, du nombre de formes normales et de la fécondance, personne ne le sait vraiment en fait.
Évidemment, toutes ces actions sont absolument réversibles du moment qu’on reste dans des limites raisonnables de température.
Comment se chauffer ?
La méthode que nous prévoyons d’utiliser est la suivante : le port pendant le temps de veille d’un slip suspensoir surisolé, ce qui élève la température moyenne de 2 à 3°. Ceci fait déjà bien chuter le nombre de spermatozoïdes sans toutefois provoquer la stérilité totale. Alors on ajoute un petit chauffage à 41 ou 42° (soit 7 à 8° au-dessus de la température normale) pendant une heure par jour, dans un premier temps, et on espère, au moyen de résistances chauffantes de petites dimensions. Les spermogrammes permettront d’apprécier la baisse de la numération (qui doit se faire en 2 à 3 mois) et le niveau atteint. Cependant, il n’existe actuellement pas d’examen permettant d’évaluer l’aptitude à féconder d’un éjaculat, or c’est justement dans l’altération du pouvoir fécondant des spermatozoïdes qu’on a le plus d’espoirs — leur nombre importerait alors moins.
En fin de compte, on ne peut pas dire qu’on a trouvé là une méthode sûrement contraceptive pour tout de suite, beaucoup de travail est encore à faire, autant dans la mise au point du  » matériel « , les slips et les résistances, que dans la mise au point d’analyses médicales déterminantes, et surtout celle du  » protocole « . Mais on peut commencer le boulot, non ?

LE PRÉSERVATIF :
une bonne efficacité due à une technologie en évolution

Il existe deux techniques de contraception masculine pouvant être actuellement proposées à une échelle relativement large :
- la vasectomie, dont on parle par ailleurs
- le préservatif masculin.
Nous n’aborderons pas ici les problèmes sexuels, sociaux, légaux ou moraux liés à cette méthode, pour nous attacher uniquement à son efficacité.
Il existe en effet une  » ambiance psychologique  » d’inefficacité autour de l’utilisation des préservatifs, qui n’a plus de justification aujourd’hui.
Les progrès de l’industrie du latex ont abouti à des préservatifs :
- de très bonne qualité ; 
- traités dans une atmosphère d’humidité évitant la dessiccation responsable de perforations ;
- avec un contrôle électronique de chaque préservatif, associé à des tests d’insufflation d’air ou d’eau ;
- lubrifiés par des silicones semi-secs conditionnés de façon à donner une durée de vie de 5 ans.
Grâce à ces améliorations, on aboutit à une efficacité telle que les dernières statistiques britanniques donnent de 0,4 à 1,6 échecs pour 100 années-femme. Rappelons que le stérilet donne une efficacité de 1,5 à 3 échecs pour 100 années-femme, et qu’il est responsable d’infections tubaires.
En conclusion, paradoxalement, alors que sa nocivité est nulle, le préservatif masculin est une méthode sous-utilisée en France : les raisons de cet état de fait sont multiples, mais l’un d’entre elles nous semble la méconnaissance de son efficacité qui est grande.


QUELQUES QUESTIONS À PROPOS DE LA VASECTOMIE

1) Qu’est-ce que la vasectomie ?
C’est la section chirurgicale des canaux déférents chez l’homme, provoquant une stérilisation définitive en empêchant l’émission des spermatozoïdes. C’est la stérilisation au masculin.

2) Comment se pratique l’intervention ?
Les canaux déférents sont très facilement accessibles sous la peau des bourses. Sous simple anesthésie locale, une incision de 1 cm sur le scrotum de chaque côté de la verge permet de les visualiser. L’obturation est généralement faite par une double ligature du canal plus une résection de 1 cm entre les deux noeuds. La peau est ensuite refermée par des points de suture ou des agrafes.

3) A quel moment la stérilité est-elle acquise ?
L’évacuation des spermatozoïdes restant dans les canaux déférents en aval de l’obturation est fonction du rythme des éjaculations suivant l’intervention. On peut trouver des spermatozoïdes pendant plusieurs mois en très petite quantité, mais normalement ils ne sont pas fécondants sauf pendant les 15 premiers jours. Il est de toute façon indispensable de faire des spermogrammes de contrôle pour s’assurer de la réussite de l’opération et déterminer le moment d’apparition de la stérilité.

4) La vasectomie provoque-t-elle des modifications de l’appareil génital ?
Aucune modification ni des testicules, ni des autres glandes participant à la formation du sperme, ni de la fonction des hormones sexuelles. L’éjaculation n’est pas modifiée, il n’y a pas de diminution perceptible du volume du sperme (il est comme une rivière dont on aurait enlevé les poissons !!!). Bien entendu, la vasectomie n’a rien à voir avec une castration.

5) La vasectomie modifie-t-elle les rapports sexuels ?
Il n’y a aucune raison d’ordre biologique pour qu’ils soient modifiés.

6) Les spermatozoïdes continuent-ils à être produits ?
Oui, il n’y a pas de changement de l’activité testiculaire.

7) Que deviennent les spermatozoïdes ?
Ils séjournent pendant un certain temps dans les voies génitales, puis comme toutes les cellules de l’organisme à durée de vie limitée, ils meurent et ils sont résorbés par d’autres cellules : les macrophages (c’est d’ailleurs ce qui se passe normalement quand on reste longtemps sans avoir d’éjaculation).

8) Y a-t-il des risques de complications ?
Pas particulièrement, si ce n’est ceux inhérents à toute intervention chirurgicale. Certains hommes signalent des douleurs au niveau des testicules dans les mois qui suivent l’opération mais elles ne sont pas importantes et toujours passagères. La complication principale est la reperméation des canaux, elle est exceptionnelle avec des chirurgiens entraînés et facilement dépistée par les examens de contrôle.

9) La vasectomie a-t-elle des conséquences psychologiques ? 
La vasectomie supprime de manière définitive la possibilité d’avoir des enfants, c’est une décision qui n’est sûrement pas facile à prendre, dans aucun cas. Si l’homme est informé, conscient des enjeux et des risques, il est probable que les meilleures chances existent pour que tout se passe bien, mais il est à souligner que dans tous les bilans qui ont été faits à distance de l’intervention, quelles que soient les conditions de sa réalisation, quels que soient les pays, les conditions socio-culturelles, il existe toujours un certain pourcentage (variable) d’hommes qui regrettent

10) La vasectomie peut-elle être réversible ?
La réanastomose des canaux déférents sectionnés est une opération difficile et longue qui nécessite le recours à la microchirurgie. Les spermatozoïdes ne réapparaissent dans le sperme qu’une fois sur deux mais il n’y a grossesse qu’une fois sur cinq environ. Il vaut mieux donc considérer la vasectomie comme une méthode de contraception irréversible.

11) Et la conservation du sperme ?
Les spermatozoïdes congelés dans de l’azote liquide peuvent garder leur pouvoir fécondant pendant plusieurs années, (et peut-être beaucoup plus !). Une conservation peut donc être faite avant l’intervention et d’ailleurs certains chirurgiens l’exigent. Ce n’est pas cependant une garantie de fertilité future car tous les spermes congelés ne sont pas sûrement fécondants. La conservation ne change donc pas le caractère irréversible de la vasectomie.
En pratique, pour conserver le sperme, il faut se rendre dans un laboratoire spécialisé.

12) La vasectomie est-elle légale ?
Aucune loi ne l’interdit spécifiquement. Au cours du seul procès qui ait jamais eu lieu en la matière, en 1937 à Bordeaux, elle a été assimilée à une mutilation volontaire avec coups et blessures pour pouvoir condamner des anarchistes qui la pratiquaient.
Le Conseil de l’Ordre des médecins l’interdisait formellement comme la stérilisation féminine, mais elle n’est plus mentionnée dans la dernière version du Code de déontologie (juillet 1979).

13) Combien d’hommes se font vasectomiser ?
On estime qu’il y a à travers le monde 80 millions d’hommes et de femmes stérilisés, ce nombre augmente très vite. Aux USA, 34 % des couples ont choisi une stérilisation comme méthode de contraception (18 % féminine, 16 % masculine) quand l’âge de la femme est compris entre 30 et 44 ans. La pratique française ayant été confidentielle sinon clandestine pendant longtemps, il est difficile d’avoir une idée précise. On peut estimer à quelques milliers par an le nombre de Français se faisant vasectomiser. La demande augmente de manière importante depuis quelques années et le nombre de médecins pratiquant cette intervention aussi.

14) Combien coûte la vasectomie ?
Ne nécessitant ni hospitalisation ni anesthésie générale, elle devrait être très bon marché et ne pas coûter plus de 100 ou 200 F . Malheureusement, des tarifs scandaleusement abusifs sont trop souvent pratiqués. Il est à noter que la vasectomie est une méthode de contraception économique à terme, ne nécessitant ni renouvellement, ni examens de laboratoire, ni visites médicales périodiques, comme la pilule ou le stérilet.

15) Où s’adresser ?

Chez votre médecin ou chez un urologue mais trop souvent il ne pourra ou ne voudra pas répondre à votre demande, alors adressez vous aussi aux organisations de Planning familial ou aux CECOS (banques de sperme), ou à ce journal.

16) Etes-vous convaincu ?
Ce n’est pas ce que j’ai voulu faire. Décider à un moment donné de sa vie de s’aliéner de manière définitive la liberté de choisir d’avoir ou de ne pas avoir un enfant, et ce quelle que soit la situation affective, familiale, dans laquelle on se trouvera demain ou dans cinq ans… ce n’est pas facile. Ce côté définitif… inscrit dans le corps… c’est assez impressionnant. Alors, la vasectomie ? Pourquoi pas, à condition de la prendre pour ce qu’elle est, une stérilisation au masculin.

IL SUFFIT DE LA PRENDRE
Il fallait bien qu’on y vienne un jour à cette histoire de contraception masculine, de  » pilule pour hommes « .
Il y avait les  » j’en ai marre de prendre la pilule « ,  » j’ai toujours pas mes règles « , les petites peurs et les grosses angoisses, un avortement, les  » il parait que ça existe pour les hommes « , et les sempiternels  » c’est toujours pas au point « . Et puis il y avait ces mecs qui, dans les manifs mixtes (c’était toujours ça de fait), criaient à l’unisson des femmes, depuis des années,  » contraception (et avortement) libres, et gratuits pour toutes « . Ils revendiquaient, exigeaient la contraception de (pour) l’autre. Et pourquoi ne revendiquaient-ils pas leur paternité libre et choisie au moment où ils la désireraient, plutôt que, de la même manière, la maternité de la femme ? Il a bien fallu alors qu’un jour on se dise :  » C’est quand même incroyable, qu’est-ce qu’ils foutent dans les labos ?  »
Il y a bien la vasectomie, ouais, mais un peu risquée, parce que c’est pas tout à fait au point l’histoire de la réversibilité et puis c’est passible de prison, dame ! Alors on décroche le téléphone et on fait le tour des hôpitaux, des services d’urologie (c’est eux qui s’occupent de ça paraît-il !). Et on n’y trouve que mutisme et méfiance, on se décharge de vous d’un service à l’autre, vous n’avez pas, bien sûr, appelé le bon poste, rappelez mercredi, la personne est absente, vous devez appeler un tel, une vraie partie de ping-pong. Ou encore on vous dit (sans rire) :  » Comment ça se fait que votre amie ne veuille plus prendre la pilule ? J’aimerais bien pouvoir parler avec elle …  » Et moi … !!!
On s’adresse à des toubibs dont on a pu nous parler à droite ou à gauche, toubibs qui, … toubibs que… on ose téléphoner à des sommités en la matière qui justement vont à un congrès où…. qui étudient précisément en ce moment tel aspect de la question … téléphone à des copains, à des copains de copains, et toc, au bout de six mois de ce genre de démarches, on tombe sur une adresse, ouf !
Entre-temps, bien sûr, on a eu droit à toutes sortes d’explications-justifications : ça fait tomber les poils, ça fait pousser les seins, on ne bande même plus quelquefois, c’est plus facile d’empêcher la fabrication d’un ovule une fois par mois (chez la femme) que celle de millions de spermatozoïdes chaque jour (chez l’homme). Sans parler des  » Ça ne résoud rien pour les femmes qui vivraient plusieurs relations « , mais si la pilule pour homme était aussi répandue que celle des femmes ? Et si les mecs désiraient vraiment maîtriser leur fécondité ?
Voilà donc le toubib si providentiel enfin déniché, un petit entretien avec lui, quelques mises au point sur le traitement et sur les garanties à prendre (toutes sortes d’examens étalés sur un an), et on démarre le traitement avec des produits qui existent déjà et dont on connaît les effets, mais qui sont ici utilisés dans d’autres buts. On s’observe un peu les premiers jours, on s’y fait. Rien d’anormal ? Rien d’anormal ! Ça va ? Ça va ! Et puis les questions des autres, Pourquoi tu fais ça ? pour pas avoir d’enfants, Comment ça t’est venu ? ben, comme ça ! Pourquoi tu fais ça ?  » pour maîtriser ma fécondité « .
Non, ça fait pas mal, ça fait pas pousser les seins, ni tomber les poils… J’ai toujours très bien bandé, même sans doute plus, et c’était mieux. C’est peut-être pas étranger au fait que (quand les courbes des spermogrammes étaient bonnes), je savais ce que je faisais (ou plutôt ce que je pouvais ne pas faire), peut-être qu' » inconsciemment  » ça enlève un poids. Ouais, c’était plutôt bien. C’est sûr que  » quelque part  » on se sent plus détendu, plus maître de ce qu’on fait, et ça rejaillit naturellement sur le plaisir. On peut se laisser aller, plus d’angoisses, de retrait en catastrophe, d’arrêtcapote, de capotes mal mises ou qui craquent sans prévenir. Peut-être un peu ce que les femmes ont pu ressentir quand elles ont eu un accès aisé à la  » pilule libératrice  » (pour un temps) ; et puis pouvoir partager la contraception (chacun son tour, parce que c’est quand même chimique tout ça !), que ce ne soit plus l’autre qui supporte tout ce poids ; et au bout du compte, sentir qu’on peut être maître de sa fécondité et pas toujours à la merci d’un oubli ou d’une erreur de l’autre, et savoir qu’on peut ne pas être père ou, au contraire, l’être quand on l’aura décidé.
Tout ça c’est bien beau, mais reste le côté technique qui est assez dur pour l’instant. La prise des produits de manière quotidienne, c’est pas très drôle, il faudrait que bien vite des mecs s’y mettent, alors les labos feraient peut-être quelque chose pour faciliter le traitement. Et puis, comme tout ça c’était un peu sous le manteau, les toubibs ont pris mille précautions (examens mensuels, puis trimestriels, puis remensuels) pour qu’il ne nous arrive rien de fâcheux, de vrais poupons ! Il est vrai qu’aucune erreur ne leur aurait été permise. Mais quelle inertie et quelle résistance de la part des chefs de services, responsables de toutes sortes, et des pouvoirs publics !
A quand la pilule en vente dans les monoprix ?
APRÈS LE PETIT DÉJEUNER

Petits câlins. Maou. Frottis-frottas. Douceur de la peau. Samedi matin, on a le temps. On traînasse. Petits bécots. C’est bon au creux du cou. C’est doux.
Tiens, v’là aut’chose. Les bras se font plus boas. Les jambes deviennent arabesques. Les baisers s’appuient. Hop là, les chemises de nuit par-dessus bord. Les corps s’explorent encore, pourtant on se connaît par coeur. Tu me montes dessus. On aime beaucoup ça.
Mais tu me surveilles.
Et je me surveille.
Tu te surveilles aussi d’ailleurs. Tout le monde en deçà du point de non-retour !
Parce que, avec ça, il faut pas rigoler. Déjà une fois on s’est fait avoir. Mauvais calcul, acte manqué. Et ce fameux après-midi à la clinique on s’en souvient tous les deux. Alors quand il y a  » pénurie  » de pilule, c’est moi qui me pointe à la pharmacie. Faussement tranquille. Mi-gêné, mi-provocateur. Avant d’entrer, je répète dans ma tête  » Je voudrais une boîte de préservatifs  » histoire de ne pas lâcher en public le mot  » capote « .
Pourvu qu’on ne me demande pas  » quelle taille ? « . Vieux phantasme.
Enfin bref, pas question de jouir avant de me contracepter. Alors, petit intermède. Je me lève et vais chercher mon imperméable dans son armoire : à la salle de bains. Y a pas de table de chevet, et on va pas en mettre une exprès pour ça, alors c’est là que je les ai planqués. Pourquoi ??
Quand je reviens, la plupart du temps, je bande encore. Cela m’étonne toujours. Mécanique graissée. Puis il faut reprendre le conte là où on l’avait laissé. Des fois l’entracte est arrivé en plein suspens et comme un bon livre dont on n’a rien oublié lorsqu’on le reprend, immédiatement les langues se re-enroulent furieusement,  » Viens ! « . Désir, désir, quand tu nous tiens ! Mais souvent, loin des yeux loin du corps, et faut bien dire qu’on a besoin de retourner quelques pages en arrière pour se remettre l’intrigue en mémoire.  » Allez, on n’a pas fait tout ça pour rien , on se force un petit peu, tout petit peu promis !, et ça repart.  » On sait que ça va marcher, que le petit effort sera récompensé ; le tout c’est de s’y mettre. Habitude des désirs, habitude de l’habitude. Bon d’accord, c’est un peu chancelant, mais on va pas en faire un drame, c’est bon quand même, pas vrai ? Et puis, on sera content d’y être arrivé malgré tout ; parce que la catastrophe c’est quand on se dit  » j’ai pas envie  » ou  » il a pas envie  » ou  » elle … « .
Alors là, crac ! Méfiance, honte, froid jeté. Quelle déception ! Bon, on arrête tout et on réfléchit, et advienne que pourra. Voilà, c’était  » le plastique comme révélateur du désir, ou prêcher le faux pour savoir le vrai »
Pratiquement toujours ma tête se faufile entre tes jambes. Mais attention, caresses à sens unique ! Une fois que la combinaison est enfilée, il ne reste plus qu’à plonger. Moi, intouchable, insuçable. (C’est pas un reproche, je comprends bien.) Heureusement pour la bonne marche du scénario, le goût de ton orgasme au bout de ma langue a plutôt tendance à m’exciter. Quel hasard !
Dans toi, l’impression que ça me fait, c’est que quand même, c’est pas pareil. On a beau dire, quelle que soit la finesse du gant, il sépare. (Il est même fait pour ça.) Moi dedans, toi dehors. Je ne sais pas bien comment expliquer, ça atténue, ça dilue, ça modifie en tous cas. M’enfin, comme dans tout y a du bon : au moins il y a une angoisse que je ne risque pas d’avoir, celle de l’éjaculation précoce. Même qu’il peut arriver que je n’aie pas du tout d’orgasme. Je me dis alors :  » Sans préservatif j’aurais joui. Oui mais comme j’aurais éjaculé, il aurait été absolument nécessaire « . Quadrature du cercle. Frustration obligatoire, qui se cristallise sur le préservatif mais qui vient sans doute d’ailleurs. En fait c’est très rare.
Après, une petite main contrôleuse se glisse est-il toujours là ? Faut dire qu’une fois je l’ai perdu. J’étais pas fier. Sur le moment et la veille du premier jour des règles je ne l’étais pas moins. Mais là non, tout va bien.  » Reste encore un peu « . Pourtant il faut bientôt se séparer complètement.
Toujours trop tôt.
Je tire sur le caoutchouc, bruit de succion, sac qui pendouille. Si j’avais un microscope, je pourrais en faire un spermogramme, mais la seule chose que je puisse en faire c’est un noeud qui enferme le sperme, noeud noué comme ce quelque chose qui reste coincé pendant le déroulement du programme. C’est ça batifoler ? Mais en fait le programme est écrit dans ma tête, pas sur le latex.
Plus tard, quand on se lève, en ramenant le plateau du petit déjeuner à la cuisine, je vais mettre ma petit poubelle dans le sac en plastique qui est lui-même dans la grand poubelle. A la  » décharge  » ! Sperme : semence magique, ou ordure ? On est content qu’il soit venu, mais on préfère s’en débarrasser.
D’ailleurs après, à la salle de bains, pendant que je lis la notice explicative qui était dans la boîte, tu me parles.
 » Michelin préserve le couple. Mode d’emploi : La chambre à sperme doit être mise avant chaque rapport sexuel. Cessez le contact rapidement après l’éjaculation. La chambre à sperme ne peut être utilisée qu’une fois. Tu sais, je suis vachement contente qu’on utilise des préso. Moi ça me va très bien, comme ça pas de foutre en moi, qui dégouline, qui me laisse son odeur, pas de trace.  »
Je pense :  » Ouais, vieille histoire du baisage ni vu ni connu. Mais merde, mon sperme ça vient de moi, c’est une partie de mon corps masculin. D’une certaine façon, si ça la dégoûte c’est qu’elle rejette mon corps de mec. « 
 » La chambre à sperme est la forme de contraception la plus simple et la plus pratique. C’est aussi le moyen le plus sûr pour éviter les maladies transmises sexuellement.  » C’est vrai que mes parents qui ne m’ont d’ailleurs jamais rien expliqué sur le comment on fait des enfants, ont appris que j’étais plus puceau parce que j’avais attrapé une blenno. Et alors ils (mon père ?) m’ont acheté une boite de condoms.
 » Les chambres à sperme Michelin sont d’une grande finesse et d’une très grande sensibilité (tiens je ne savais pas qu’un morceau de caoutchouc pouvait être sensible), toujours prêtes à l’emploi (ça, ça me rappelle quelque chose) grâce à leur lubrification à sec qui les rend imperceptibles.  »
Bon, je vis donc avec une femme qui me rejette en tant que mec. Et ça ne me révolte pas. C’est peut-être que je n’accepte pas tellement mon corps d’homme. Oui, je suis content quand elle dit qu’elle aime bien mes seins, et mon sperme me dégoûte un peu aussi.
 » De plus, les chambres à sperme Michelin vous assurent une sécurité absolue. Chaque chambre est contrôlée électroniquement et subit toute une série de tests très sévères, ceci pour répondre aux normes de la British Standard Institution.  »
Dis donc, ils jouent vachement sur la sécurité, mais quelle sécurité ? Celle de la contraception ou une autre ? Et pour renforcer cette mise en confiance, ils vont chercher les cautions de la science et d’une institution. Une institution britannique, ce qui est le moins qu’on puisse faire pour des capotes anglaises.
LA GRÈVE DE LA RE-PRODUCTION
Dans mon histoire de prendre la pilule, outre mon histoire personnelle, il y avait un ras le bol des groupes de parole (groupes d’hommes). Parole sur la sexualité, parole sur l’enfance, sur comment on nous avait fait petit garçon, petit homme, sur les rôles d’homme inculqués, parole sur les relations de pouvoir/dépendance aux/des femmes. Dans ces paroles, absence quasi totale des gosses et du boulot. Et pourtant une idée commence à trotter : on est vraiment dans des rôles, on s’y raccroche, on est en dehors de nos pompes à vouloir canaliser la vie, diriger des flux pour les utiliser, pour créer des structures, des objets, des livres, des rapports, des tracts, des lettres, des oeuvres. Ce qui compte le plus, c’est citer le nombre et le nom de ce qu’on a fait et non comment on l’a fait. Je connais un tel, j’ai une relation avec une telle, j’ai tel projet, j’ai été dans telle organisation, j’ai deux enfants. Le résultat plus que la voie, le comment ça s’est vécu. Conjurer un flot en balisant les berges et ça balise sec quand ça échappe, quand ça déborde… On ne sait plus où ça va, quelle va être la fin, la mort ? Moi, homme, j’ai peur de cette mort, la vie m’échappe, mon pouvoir, c’est chercher à laisser des traces pour conjurer la mort. Et en parlant ça, un désir naît d’aller au-delà des traces, des  » oeuvres « , pour voir ce qui les désire, comment ça se conçoit. Et la conception, pour moi, elle passe par les femmes. C’est l’identité renvoyée par la femme qui me permet de me croire capable, d’oser, d’exprimer un désir. C’est dans la relation à une femme que je nais et que je fais naître ma création, que je conçois. Et alors ça s’embrouille avec l’autre. Où je suis, là dedans ?
Assez parlé ; pour y voir plus clair, il faut aussi que je pose des actes, me séparant de cette fusion avec la femme, où je puisse me re-connaitre. Alors a commencé une recherche des ou plutôt du labo faisant de la recherche sur là contraception masculine ; ça, a été décevant : un seul labo terminant une expérience sans avenir car trop d’effets secondaires. Restait la vasectomie. Je crois possible pour moi de désirer un troisième enfant. Alors l’insémination artificielle, ça ne me fait pas rêver.
Non merci ! Et pourtant Alain qui vient de se faire vasectomiser chante les mérites de se protéger radicalement de faire un môme et le plaisir de faire l’amour avec tout son corps sans retenue. Alors on cherche un peu plus. Pierre nous aiguille sur Jean-Claude, médecin avec une démarche scientifique que j’aime bien mais méfiant des cas pas strictement médicaux, les cas  » psychologiques  » comme il nous appelle. Là commence une petite épreuve avant d’arriver au plaisir : perdre mes bourrelets et lâcher ma pipe. Ça, j’aime pas, mais c’est la découverte que mon corps, je peux m’en occuper, qu’il n’est pas forcément capable de tout faire, de tout avaler. Et puis fier de mes cinq kilos perdus, je commence à prendre la pilule. Bordélique comme je suis, je prends les ampoules par deux ou trois car prendre dix minutes chaque jour pour me verser ça sur le corps ! c’est beaucoup me demander. La pilule, elle, ça passe bien, c’est vite avalé. La lotion, ça fait froid, ça pue l’hôpital, ça colle quand c’est pas bien sec. La quincaillière, la voisine me demande toujours si j’ai si mal aux reins tellement je pue le camphre. Pourquoi qu’elle demanderait pas à tous les gens qui sentent le camphre s’ils prennent la pilule ? Jamais j’ai réussi à me caresser la peau pour faire pénétrer la testo. Je laisse sécher. Et puis des questions viennent sur l’ignorance de mon corps. Ça produit jour et nuit à débit constant de la testo ou ça se repose de temps en temps ? Quand je mets une ampoule, mon corps, il l’avale tout de suite ou il la déguste ?
Questions sans réponses, corps sans rythmes. Attente inquiète des spermogrammes pour suivre la baisse. Philippe est déjà à zéro au bout d’un mois. On nous avait dit trois mois, les fameux soixante-douze jours et quelques ; rythmes et réactions bien loin des livres. Et puis m’y voilà à zéro petite bête. Je peux pas faire d’enfant. Alors ça devient bon de pénétrer et de jouer, de couler trois gouttes ou pas. Tellement que tes caresses autrefois interdites (elles me chatouillaient tant) explorent mes cuisses et mon ventre, terrains autrefois défendus. Mon sexe pourtant dur se détend. Ça coule autant qu’avant et c’est pas dangereux. Alors les muscles se détendent, on peut jouer n’importe quand ; plaisir très fort.
Ça me donne envie de jouir plus, de vivre mes fantasmes, de jouir mieux. Et puis quand je ressens beaucoup d’amour pour toi, j’ai envie de te faire un enfant. Alors c’est plus possible : on peut faire autre chose. Pas créer quelque chose qui sort de nous, qui nous survivrait, mais quelque chose de consommable tout de suite, du bonheur entre nous, de l’imperceptible éphémère mais qui fait chaud à la peau et au coeur. D’autant que un peu moins dans la fusion, du fait un peu de cette « coupure », on se perçoit comme pouvant prendre des chemins différents. Il se crée un espace de non production où nos désirs peuvent naître et se conjuguer, un espace de plaisir gratuit, vertigineux par la solitude ressentie, l’absence « d’être » commun, d’enfant possible, « preuve dite tangible » de notre amour, enivrant par ce « sans produit » proche de la mort.
Contracepter, ça m’a fait évacuer cette possibilité de concevoir avec/par l’autre. Ça ne concernait bien sûr concrètement que l’enfant, mais en fait ça me renvoyait à toute ma vie. C’est dans cette période que j’ai commencé une analyse, besoin de ne plus baliser, de laisser aller, d’être faible, de ne plus créer, de ne plus parer à « ce que je dois faire ». C’est aussi pendant cette période que je n’arrive plus à être compétitif , à tenir un rang, professionnellement, affectivement et sexuellement, que je ne suis presque plus jaloux ni désespéré de la valeur de l’autre et de ma nullité. Quelque chose comme ça doit sortir tel que c’est pas définitif et puis ce qui compte le plus c’est : comment c’est pour moi et non : qu’est-ce que ça représente pour l’autre. C’est un peu la découverte de ma créativité, de ma propre fécondance. Ce n’est pas le ventre de la femme qui fait mon enfant. C’est aussi moi l’enfant que je porte, ce que j’y mets, mes désirs qui l’ont conçu. Ça à entraîné un rejet des femmes comme miroir/réceptacle de ce que je suis. La maturation de ma fécondance s’est accompagnée par commencer à apprendre la flûte, faire de la recherche dans mon boulot, aménager ma piaule. Ça je crois que c’est de l’irréversible et c’est bon. La pilule je l’arrête dans une semaine, histoire de voir la remontée. Mais je crois que dans 6 mois je recommencerai. C’est si bon d’avoir le temps et l’espace pour désirer.
FINALEMENT, JE NE PARLERAI PAS DE MOI
Viviane est née en mars 69. J’avais 20 ans, j’étais un tout petit garçon. 18 ans d’éducation bourgeoise et d’écoles catholiques… et puis 68, les yeux ouverts, et puis Jeanne prolo, P.C., ses seize ans face au ciel, un autre monde. Jeanne enceinte ; peut-être c’était trop :  » Je ne comprends pas, je ne savais pas, je ne voulais pas, je n’en veux pas « . Fuite, accablement. Jeanne voulait cet enfant, je n’ai rien fait, rien tenté. Elle a accouché, seule.
Et puis la culpabilité, les années à essayer de construire :  » J’aime Viviane, Viviane est ma fille « . Reconstituer l’amour porté à un enfant, mécanisme, horlogerie, jusqu’à me tromper moi- même.
Je n’ai jamais vécu avec Viviane ; pas un jour. Je n’ai jamais éprouvé de sentiment de paternité envers Viviane. Viviane est vivante. J’essaie (si peu, si maladroitement, si artificiellement), j’essaie d’en tenir compte. Je ne veux pas de mal à Viviane. Mon existence même fait du mal à Viviane. Aurait-il pu en être autrement ????
Puis le temps a passé.
Mon identité sociale qui dérape, plutôt par pressentiment que par analyse, un peu par hasard.
La gerbe de lumière et puis la cicatrice dont je témoigne ici, dont je ne parlerai pas.
D’autres histoires, rien de plus que des histoires. A l’intérieur de ces histoires, toujours les mêmes duels : références traditionnelles de mec, phantasmes ordinaires de mec et désir d’évidence, d’amour, de transparence. Toujours les mêmes angoisses aussi.
Et puis la pilule (pour femmes), la magie. Plus de capotes débandantes, plus d’étranglement de l’instant, plus de faire attention, plus de compte à rebours, de traits rouges accusateurs sur le petit calendrier des éboueurs, plus mon corps étranger, qu’il faut faire obéir. Plus d’éjaculation rageuse, plus d’éjaculation danger, plus d’éjaculation rupture. Pas de problèmes, pas de questions. Bonne conscience ? Bien sûr, mais aussi douceur de l’abandon partagé, qualité de caresses nouvelle, réconciliation des corps, ne pas oublier, ne pas nier ça, nos sexes apprivoisés.
1973, premiers doutes sur la contraception, révolte des femmes.
Expectative, nébuleuse.
Rencontre. Églantine, petite terre violente et écorchée, ses enfants : Sophie, un peu plus d’un an, Julien, quelques semaines. Deux mômes que j’ai choisis, que j’ai aimés (ça ne s’est pas fait en un jour), que j’aime, que je n’ai pas  » faits « , qui sont à jamais gravés dans ma tête, dans mon ventre. Mathieu, leur père. Quel rôle chacun a tenu dans cette histoire ?
Désir d’enracinement à la terre, exploitation agricole à plusieurs. Le groupe n’a pas tenu. Nous sommes repartis. Mathieu aussi, mais pas avec nous.
Et puis deux ans de vie, d’errance aussi, d’amour sourd et profond, de quotidien et de sourire, tendresse obscure. Mais aussi doute, ambiguïté, comment dire les nuances, le temps passé à faire le chemin qui sépare l’un de l’autre, l’identité de chacun…
Retour à Paris. Églantine reprend son travail, je m’occupe des enfants. Désir d’enfant, flou mais sûrement présent. Crèche sauvage, un peu, folle. Les révoltes des femmes m’explosent à la figure. De la révolte au mépris. Horreur d’être homme, d’être moi. J’essaie d’être ce que je veux avant ce que je suis. Pour m’innocenter d’être homme ? Pas seulement, et puis ça ne durera pas.
Rencontre, chandelle, ballet de silence, Alice, merveilleuse et terrible. Vivre ce qui est possible, tout de suite. J’ai cru mes forces décuplées pour entraîner tout ça. Je n’étais que moi- même, elles aussi, avec nos cicatrices, nos zones d’ombres, nos barrières, nos défenses, nos méfiances.
Vie fenêtre fermée. Mouvement, balance, une fois encore. Course poursuite toujours perdue avec le temps. Je ne vis ni ici ni là vraiment, nulle part ailleurs, j’ai un sac et une voiture pour maison.
Mes deux compagnes sont contraceptées, stérilet dans le corps, pas dans la tête. Alice surtout, désir violent d’enfant, et peur de ses 29, 30, 31 ans. Douleurs dans le ventre. Je ne supporte plus cette douleur dont je suis responsable et qui m’est étrangère à la fois. Alice veut enlever le stérilet, avoir un enfant, que cet enfant ait un père. Vertige entre mon désir de  » faire un enfant  » depuis l’origine et l’absurdité du Présent, le chaos de l’éparpillement, de l’espace et des gens.
Décembre l’an dernier. Alice est enceinte avec le stérilet. Cauchemar.
Mais tout devient trop proche, je préfère m’éloigner.
Avortement poignard. A nouveau stérilet… et cette partie de poker peau contre peau avec la peur.
Quelques mois avant ; tant pis pour la chronologie ; regard sur moi-même (rare), besoin de mes semblables, peu de copains, ou peu intimes, ou bien trop loin. Difficultés d’entrer en relation, en résonance avec des mecs. Groupe de bonshommes, existant, cahotant, effiloché, vivant. Découverte : mon discours en écho à d’autres discours, en accord, différent ou contraire mais à partir de nous, de ce qui nous ressemble rassemble. Homophilie, sans fusion ni effusion pour autant. Réconciliation avec un discours féministe aussi ou réajustement, même si cela prend parfois des allures de contradiction. Plus besoin de raser les murs.
Écho de l’existence d’un groupe  » contraception-paternité « . Je tire l’oreille pour y aller. Premier contact, rapports plutôt formels, magnétophone au centre, pilule, papier chiffré, jargon pour initiés. Envie de me tirer. Et puis celui qui fait tout déraper. Paternité ! Les esprits qui s’échauffent, les sensibilités, qui affleurent. D’autres réunions, et peu à peu quelques mots-clés qui me permettent de décoder. Un jour, un microscope, je fais mon spermogramme moi-même. Émotion (riez, riez).
Enfin, c’est maintenant. Rentrée scolaire à la campagne pour Églantine et les enfants. 400 kilomètres nous séparent. Je n’ai pas essayé de les retenir. Qu’avais-je à proposer ? J’ai mal. Peur d’avoir laissé monter le trop tard. Je n’accepte pas. Je hante la maison de Paris, je tisse ma toile autour de leur absence. Je m’écorche les yeux sur les masques figés des photos. Je ne peux renoncer à les aimer, à les toucher, qu’en me détruisant.
J’ai besoin d’ouverture.
Maintenant, c’est aussi ARDECOM. Ça me fait un peu peur côté sécheresse et organisation. Ça me concerne, ça me passionne côté recherche aussi bien dans nos têtes que sur les méthodes contraceptives.
La contraception masculine sera vécue, je crois, comme un partage de la contraception parfois, comme une lutte parfois (peut-être l’amour entre un homme et une femme est toujours une lutte), comme une manière de décider un peu de moi et de le vivre dans mon corps. D’être autonome (je ne dis pas libre) par rapport à mon corps dans le désir d’enfant.
Cela ne résoudra rien pour les femmes, ni la contraception, ou rarement, ni l’avortement, je sais. Je me méfie un peu quand on me lance ça.
Cela ne résoudra rien quant à ma trajectoire, je continue de me heurter aux murs de ma propre cellule.
De quoi suis-je capable ? Avec cette douleur, cette révolte, cette fatigue, cet espoir, cet amour, et puis la mort au bout de chaque geste que je fais. J’ai envie de me battre jusqu’aux cerfs-volants de la tendresse.
LA PATERNITÉ À LA FRANÇAISE
En Occident, père et mère ne sont pas pairs : dans la conception, la grossesse, l’accouchement, la petite enfance de leur rejeton commun, il existe un partage symbolique — et arbitraire — du pouvoir procréatif masculin et féminin, partage qui, comme chacun le sait, fait la part belle à la génitrice.

Interrogeons, pour nous en convaincre, notre langue  » maternelle  » ; le Larousse nous apprend (par omission) que l’instinct paternel n’existe pas, tandis que, bien sûr l’instinct maternel figure en tant qu’institution (inscrit, probablement, dans le code génétique… ). De même, on trouve le verbe  » materner « , mais pas plus M. Larousse que M. Robert ne savent ce que c’est que  » paterner « . Question à 1.000 F maintenant : qu’est-ce qu’un enfant naturel ? Vous avez — nous l’espérons — gagné : c’est (toujours d’après Sa Majesté La Langue) un enfant sans père ! Facile à trouver, certes, mais d’autant plus énorme…

Question  » super-banco « , cette fois : qu’est-ce qu’un homme qui attend ? Vous avez perdu si vous pensez que c’est quelqu’un qui attend l’autobus, une lettre ou un ami ; en revanche, la question est inutile si c’est une femme qui attend : c’est (ce n’est même pas une question à 10 F) une femme enceinte, tout le monde sait ça. Inclinons-nous donc devant le fait linguistique qu’un futur père n’attend rien pendant les neuf mois où sa compagne est enceinte de son enfant. Les anglo-saxons lui reconnaissent pourtant ce statut de futur père qui lui est refusé chez nous : c’est un  » expectant father  » disent les dictionnaires d’Outre-Manche. On pourrait avec profit continuer ce petit jeu pas du tout anodin. Signalons seulement qu’on ne peut pas non plus savoir, chez nous, si un homme attend son premier, deuxième (etc.) enfant ; en revanche, notre vocabulaire possède une subtilité confondante pour la mère : telle peut être primigeste et primipare, primipare et multigeste, multipare, etc. Ce n’est pas du dernier joli, il est vrai, mais cela a le mérite de mettre un nom sur une réalité. Tandis que la paternité, c’est du vent, dirait-on.

La fabrication d’un enfant semble être, dans notre société, une affaire de femmes : le (la) jeune français(e) passe inexorablement de la sage- » femme  » à l’institutrice de l’école  » maternelle  » en passant par mère, grand-mères, tantes, etc. Mais soyons juste tout de même avec notre culture : le père participe de façon non négligeable, même hautement glorieuse, puisqu’il donne son nom à l’enfant : le Nom-du-Père, vous connaissez ?

Drôle de partage, tout de même ; comme si la maternité, c’était du naturel, du concret, du vrai, et la paternité, de l’abstrait, du symbolique, de la loi. Et quelles drôles de questions est-on amené à se poser à partir de là…  » To make a long story short « , disons seulement ceci : il importe de comprendre la distinction nécessaire qu’il y a lieu de pratiquer entre le fait de la division sexuelle (l’homme, porteur de sperme ; la femme, porteuse d’utérus), et les modalités selon lesquelles les différentes tâches de la parentalité sont artificiellement et symboliquement imparties à l’un et l’autre sexe.

Notre société, dans son discours sur le  » maternage « , privilégie implicitement des moments qu’elle considère essentiellement féminins : grossesse, accouchement, relations mère/bébé, le père tenant un rôle secondaire pendant cette période. Il suffit, pour s’en convaincre, de parcourir les multiples ouvrages de puériculture et de conseils aux parents.

Mais c’est là où l’idéologie montre le bout de l’oreille… L’étude d’autres cultures fait apparaître en effet que d’autres moments que grossesse, accouchement, allaitement, peuvent aussi bien être privilégiés ; également qu’un autre vécu de ces mêmes moments peut aussi être  » proposé  » par telle ou telle civilisation aux pères. L’analyse des phénomènes de couvade, que l’on rencontre partout, et ce depuis des siècles, en constitue une preuve tangible. connaître ces modèles différents de comportements paternels démontre à quel point les idées reçues dans ce domaine constituent un écran idéologique qui se superpose à la réalité physiologique.

C’est ainsi que, selon les cultures, on trouve de véritables  » théories de la conception  » : tantôt on pense que la femme, pendant la grossesse, n’a qu’un simple rôle d’hôtel, le père, lui, faisant fonction de restaurant (en nourrissant le foetus par son sperme), tantôt l’on pense que les deux parents participent à la croissance du bébé in utero (la mère fonctionnant, pourrait-on dire, en hôtel-restaurant demi-pension), tantôt enfin — comme en Occident par exemple — le dogme officiel est que la mère fait office d’hôtel-restaurant en pension complète… (le père n’ayant pendant cette période qu’un rôle de bon gros toutou protecteur).

On repère cet arbitraire — qui est le propre de toute culture — tout au long du processus de l’enfantement ; à l’accouchement, pendant l’allaitement, au niveau des différents apprentissages de l’enfant, etc.
Il est, nous semble-t-il, de l’intérêt des deux sexes, des deux parents, mais aussi de l’enfant, que l’on démythifie ces images fantasmatiques et culturelles de la parentalité. Après tout, un enfant ne se fait-il pas — en France comme ailleurs — à deux ? Mais il n’est pire sourd que celui qui ne veut entendre, et notre société est dure d’oreille, aveugle, et quelque peu muette quand il s’agit de paternité.

Par Geneviève Delaisi de Parseval, mère-pair en gestation d’une oeuvre sur les fantasmes paternels (à accoucher), co-mère (avec une autre femme) de Allons, enfants de la puériculture.

PAS D’ENFANTS

Je ne veux pas d’enfants,
/ Pas de fruits à mon arbre,
/ A mon chêne pas de glands,/
 A mes joues pas de barbe.

/ Je ne veux pas d’enfants/ 
Pour consoler ma mort,/ 
Pas de petits mutants,/ 
Pas de petits médors.

/ Je ne veux pas d’enfants/ 
Qui sèchent au tableau noir,/ 
A la guerre de cent ans,/ 
Au fond d’un réfectoire.

/ Pas d’enfants aux curés, aux gradés, aux grognasses,/ 
Pas d’enfants au piquet ou premier de la classe.

/ Je ne veux pas d’enfants,
/ Qui pleure ou qui babille,/ 
Et dont on est fier quand/ 
Il fait souffrir les filles.

/ Je ne veux pas d’enfants/ 
Pour réussir mes rêves,/ 
Les rêves des parents/ 
Qui s’étiolent et qui crèvent.

/ Je ne veux pas d’enfants
/ Qu’on s’épingle en médailles, 
Qu’on arbore clinquant/ 
Bien avant la bataille.

/ Je ne veux pas d’enfants/ 
Pour la paix des ménages,/ 
Petits témoins tremblants/ 
Des couples en naufrage.

/ Je ne veux pas d’enfants,/ 
Je ne suis pas normal/ 
De déserter les rangs 
du troupeau génital./ 

C’est comme si j’étais nègre, gauchiste ou non violent,/ 
Enfin, de cette pègre qui fait peur aux parents.

/ Je ne veux pas d’enfants,/ 
Je le gueule à la face/ 
De ce monde des grands,/ 
Assassins et rapaces.

/ Pas d’enfants pour vos guerres, vous les ferez sans lui./ 
Dans le sein de sa mère il objecte sa vie.

Henri Tachan