Les tampons, une vraie poubelle chimique

A voir sur Télérama.fr, “Tampon, notre ennemi intime”, une enquête glaçante

 

Propos recueillis pour Télérama par Juliette Warlop

Qui prévient les femmes que l’utilisation de tampons peut s’avérer gravement toxique ? Pourquoi les marques s’exonèrent-elles de toute communication sur leur composition chimique ? L’enquête vertigineuse et glaçante d’Audrey Gloaguen lève le voile.

Avec Tampon, notre ennemi intime, diffusé sur France 5 mardi 25 avril à 20h50, Audrey Gloaguen livre une glaçante enquête. En s’intéressant à la composition des tampons, qui s’avèrent « une vraie poubelle chimique », elle signe le premier film documentaire sur le sujet, et exhume un véritable scandale sanitaire : risque de syndrome de choc toxique, incidences sur la fertilité… les conséquences peuvent être gravissimes. Comment se fait-il alors qu’un produit intravaginal puisse regorger d’éléments toxiques, sans que ses fabricants ne soient, légalement, obligés de communiquer sur sa composition ? Entretien avec la réalisatrice.

Qu’est-ce qui vous a poussée à aborder un tel sujet ?

J’avais vu se profiler pas mal d’interrogations sur les réseaux sociaux, quand Lauren Wasser, une mannequin américaine, a médiatisé, en 2015, son amputation d’une jambe suite à un syndrome de choc toxique (SCT), déclenché par l’utilisation de tampons. Depuis, une pétition sur Change.org a recueilli près de 260 000 signatures (une jeune Française, Mélanie Doerflinger, y demande qu’une marque de la multinationale Procter et Gamble rende visible la composition de ses tampons, ndlr). Je me suis demandé comment il était possible que les fabricants commercialisent un produit aussi sensible dans une telle opacité : aucune marque ne communique sur la composition des tampons, contrairement à des produits tels que les gels douche. C’est quand même ahurissant…

Au départ, je doutais pourtant de l’intérêt d’un tel sujet. Vous parlez, vous, de vos règles avec vos copines ? Et a-t-on le droit d’interroger la nature de ce produit qui a servi le féminisme, en libérant la femme des contraintes de la serviette hygiénique ? Ma réaction, je ne l’ai comprise que lorsque, aux Etats-Unis, j’ai rencontré Chris Bobel, une prof de genre qui étudie les menstruations. Elle explique que le tampon revêt une fonction particulièrement forte en ce sens qu’il cache nos règles, cette chose qui nous salit, qu’on ne maîtrise pas. On n’a pas envie de questionner ce qui touche à ces règles, et donc on s’accommode de l’absence de communication autour des tampons. Ce n’est d’ailleurs pas innocent que l’alerte soit lancée par des jeunes femmes : peut-être leur génération est-elle moins dans ce tabou.

Quelles difficultés avez-vous rencontrées au fil de cette enquête ?

Je me suis vite aperçue qu’il n’y avait jamais eu d’étude d’impact de grande ampleur sur les tampons. Il n’existe que de petites études isolées, et débusquer des pistes, des interlocuteurs, a été un travail de fourmi. En France, je n’ai trouvé personne qui puisse me parler de ce sujet ! J’ai donc été obligée de me rendre aux quatre coins du monde. Les spécialistes étaient gênés par mes questions, comme si c’était mal de parler de règles, de vagin. J’ai chaque fois mesuré le poids du tabou.

Il était, en outre, assez incroyable de rencontrer des chercheurs qui travaillent sur les phtalates, les dioxines, l’endométriose, et qui n’avaient jamais songé à faire le lien avec le tampon : au début, la plupart me disaient que mon sujet n’avait rien à voir avec leur travail…

Vous jouez, avec cette enquête, un rôle de lanceur d’alerte…

J’essaie juste d’alarmer les gens. Ce qui était palpitant était de voir qu’à chaque fois, j’amenais un élément nouveau. Quand, par exemple, j’ai informé le Dr Carmen Messerlian (qui a mené au Canada, une étude sur l’impact des phtalates sur la fertilité) que les tampons contenaient des phtalates, elle a décidé de revoir son enquête, afin de mettre en relation le port de tampon avec le taux de phtalates mesuré chez chaque femme. Elle n’avait pas pensé à ce cas de figure. Pourtant, vous vous rendez compte, les phtalates sont en contact direct avec l’endroit où l’on fait des enfants !

A Los Angeles, le Dr Paulsen a prouvé qu’un cachet d’œstrogène est dix fois plus actif quand il est absorbé par voie vaginale plutôt que par voie orale. Quand je le rencontre pour lui demander si la dioxine (qui est un perturbateur endocrinien, et dont on retrouve la présence dans les tampons), peut être absorbée par le vagin, il vérifie sous mes yeux et me dit : « la réponse est oui ». Or, il n’y a encore aucune étude sur la dioxine et la perméabilité du vagin : avec le recul cela me semble dingue !

Pour la fiabilité de mon enquête, j’ai ressenti le besoin de disposer de mes propres analyses, émanant d’un laboratoire indépendant. Je n’ai pas pu intégrer dans le film tout ce qu’elles ont révélé, il a fallu faire des choix. Mais on a trouvé, notamment, un génotoxique. En terme de toxicité, c’est ce qu’il y a de plus grave : ça brise votre ADN… Le champ d’investigation reste énorme, il y aurait matière à un autre documentaire !