De la belle théorie à une pratique effective

Manifeste à destination des hommes alliés

par Ndella Paye 4 novembre 2017 (trouvé sur le site Les mots sont importants)

Depuis quelques jours circulent sur les réseaux sociaux différents hashtags pour dénoncer les violences que subissent les femmes au quotidien. L’idée étant que les personnes ayant vécu une situation de harcèlement et/ou d’agression sexuelle puissent en témoigner, si elles le veulent bien.

L’ampleur des agressions contre les femmes qu’a révélée le hashtag #MoiAussi ou #MeToo n’a laissé personne indifférent. C’est le cas de le dire.

Ces hashtags ont eu le mérite d’avoir libéré la parole, parole qui a mis mal à l’aise un nombre incalculable d’hommes, et même de femmes, y compris des victimes de violences.

Précision de taille : #MeToo fut à la base une campagne lancée par la militante noire américaine Tarana Burke, fondatrice de Just Be Inc, une association à destination de la jeunesse. L’objectif pour cette activiste était de rassembler les personnes victimes de violences sexuelles, notamment les personnes issues des minorités.

Pour Burke, la campagne n’a pas été construite dans le but d’être virale ou de lancer un hashtag populaire une journée mais oublié dès le lendemain. C’est un slogan à se passer de survivante en survivante, pour montrer aux gens qu’ils ne sont pas seuls et qu’un mouvement de la sorte est possible.

Il était important de le préciser pour rendre à César ce qui lui appartient.

Le hashtag, quant à lui, a eu pour objectif de permettre aux femmes qui le souhaitaient de pouvoir reprendre la parole et mettre des mots sur les différentes agressions (harcèlement, gestes déplacés, viol, violences physiques, verbales…) subies. Et pour celles qui veulent aller plus loin, de témoigner de la nature de la violence.

Quelques jours auparavant, il y eut le hashtag #BalanceTonPorc qui, de la même manière, permettait aux femmes de dénoncer leur agresseur si elles le souhaitaient.

Tous ces hashtags ont eu un réel succès, mais ont été largement critiqués et attaqués. On a vu ressortir des #NotAllMen (tous les hommes ne sont pas des agresseurs), et des femmes (elles-mêmes parfois, victimes de violences) dénoncer les dénonciations. Nous avons pu constater de nombreuses tentatives de réduction au silence des femmes qui souhaitaient s’exprimer car leur parole mettait mal à l’aise une société patriarcale aux relents sexistes et misogynes. D’autres l’ont même pris pour une injonction à parler et à dénoncer.

Il faut croire qu’il y en a qui découvrent ou feignent de découvrir l’ampleur des dégâts et leurs conséquences sur les femmes.

« Il faut aller porter plainte ! » crient certain.e.s, faisant comme si les policiers qui prennent les plaintes accueillaient comme il se doit les femmes victimes d’agressions, comme si la justice faisait bien son travail et enfin comme si témoigner et porter plainte ne pouvaient aller ensemble.

Nous avons vu également des hommes, alliés des femmes, se soulever contre les différentes tentatives de réduire au silence celles qui avaient décidé de témoigner et c’est à ceux-là que je m’adresse. Ceux qui au quotidien, en tout cas dans le discours, se mettent du côté des femmes dans leur quête de justice et leur combat pour une société plus égalitaire, plus sûre et sans violence aucune.

Ce qui leur est demandé maintenant, c’est de passer de la belle parole aux actes concrets pour accompagner, voire accélérer, le changement en train de s’opérer.

L’idée est très simple, il s’agit de mettre leurs pratiques en stricte conformité avec leurs théories, tout de suite.

La question est : combien de vos privilèges êtes-vous prêts à perdre, messieurs, pour un monde plus égalitaire, au-delà de vos vœux pieux ?

➢ Êtes-vous prêts, par exemple, à inviter votre collègue femme tous les midis pour corriger l’écart de salaire entre vous ? C’est une vraie et très sérieuse question. Les lois ne suffisent apparemment pas pour corriger les inégalités et enrailler les injustices. Vous êtes favorisés, que vous le vouliez ou non. En attendant que les salaires des femmes augmentent pour atteindre les vôtres, à travail et compétences égaux, c’est à vous de fournir des efforts. Et comme c’est vous qui détenez le pouvoir, cela accélérera certainement les choses.

➢ Pour ceux qui sont en position hiérarchique de pouvoir dans les entreprises, êtes-vous prêts à briser le plafond de verre ? Il s’agit de ne pas pénaliser les femmes dans leur accession au pouvoir à cause de leur maternité par exemple.

De dénoncer, en sanctionnant systématiquement les blagues sexistes, tous types de harcèlement, tous gestes et/ou paroles déplacés ? Cela sous-entend, évidemment, que vous n’en seriez jamais les auteurs.

Même sans occuper une place de pouvoir dans l’entreprise, vous devrez être du côté des femmes quand elles subissent les méfaits de leurs collègues mâles, vos semblables, en les soutenant, en dénonçant leurs auteurs pour que la peur et la honte changent enfin de camp.

➢ Pour les chercheurs, conférenciers, et intervenants en tous genres, êtes-vous prêts à laisser votre place à une collègue si le panel auquel vous êtes invités n’est pas paritaire ? (Vous aurez établi, au préalable, une liste de collègues femmes que vous proposerez pour vous remplacer). Vous refuserez de parler, à la place des femmes, de sujets ne vous concernant pas. Vous n’avez que trop pris la parole et n’occupez que trop l’espace public.

➢ Pour ceux qui sont en couple hétérosexuel, êtes-vous prêts à veiller, réellement, à ce que les tâches soient équitablement partagées à la maison ? À ce que la charge mentale ne repose plus exclusivement sur votre partenaire ? Et quand vous faites votre part de boulot, please, n’attendez ni n’exigez pas de remerciements, ni même une quelconque reconnaissance. Les femmes le font depuis trop longtemps sans aucune forme de reconnaissance ; pire, les tâches qu’elles effectuent sont dépréciées.

Nous ne sommes pas nées en sachant cuisiner, faire le ménage et nous occuper de la progéniture que nous concevons ensemble. C’est loin d’être naturel. Nous avons appris à le faire. Ce qui signifie que vous pouvez faire de même et à tout âge. Les femmes ne s’amusent pas à s’occuper de la corvée de la cuisine pendant que vous, messieurs, êtes des chefs cuistot. Tout comme ce n’est pas drôle pour nous de nous en sortir mieux que vous à l’école pour qu’en définitive les postes de pouvoir vous reviennent.

➢ Êtes-vous prêts à changer de trottoir la nuit quand vous vous retrouverez à marcher derrière une femme ? L’espace public n’est pas un espace de sécurité pour les femmes. Les hommes s’y comportent et l’occupent comme s’il leur appartenait. Donc il va falloir faire des efforts en attendant de le rendre moins violent et plus sûr pour elles.

Cela concerne également les transports en commun. Puisque vous êtes des alliés, vous y dénoncerez toute attaque à l’encontre d’une femme. Les corps des femmes ne vous appartiennent pas, vous ne pouvez en aucun cas les toucher et/ou les complimenter sans leur accord. Quand vos compliments mettent mal à l’aise une femme, vous devrez les arrêter immédiatement et vous en excuser. Vous n’aimeriez certainement pas qu’on vous pince les fesses sans crier gare, normal, c’est humiliant et porte atteinte au corps et à la dignité. Du respect, donc.

➢ Êtes-vous prêts à cesser tout « humour » sexiste ?

Les différents hashtags ont été repris par beaucoup trop d’hommes, ont été déformés pour les servir à toutes les sauces et détourner l’attention d’un sujet aussi grave. Les blagues des dominants à l’encontre des dominées ne sont pas drôles, en fait. Elles participent aux violences. Une fois de plus, au lieu de vous taire et d’écouter ce que les femmes ont à raconter, vous occupez l’espace et prenez la parole. Essayez donc de développer une capacité d’écoute. Apprenez à vous taire et à écouter plus, pour un meilleur partage de la parole.

➢ Êtes-vous prêts à constamment questionner vos comportements, vos paroles et vos gestes, votre attitude générale vis-à-vis des femmes ? Pas seulement vis-à-vis de votre mère, sœur ou fille mais de toutes les femmes. Êtes-vous prêts à corriger cette attitude immédiatement si elle devient problématique ?

Sachez aussi, messieurs, que les femmes ne sont jamais vraiment au repos. Quand vous êtes au café entre potes, vous pouvez parler football en oubliant les galères au travail, les corvées de la maison, l’éducation des enfants, etc. Les femmes, elles, n’en ont pas le loisir, elles n’y arrivent pas, la charge mentale est puissante. Elles passent leur temps à discuter de l’éducation et de l’école, des enfants et des corvées à la maison, des comportements sexistes au travail dans la rue, etc. Nos têtes sont en constante ébullition, même quand nous tentons de dormir, jamais vraiment au repos. Et pourquoi ? À cause des violences patriarcales que nous subissons au quotidien, et ce dans tous les espaces et tous les moments de nos vies. Les choses doivent changer.

C’est à vous de jouer maintenant, la balle est dans votre camp.

P.-S.

Ndella Paye militante afroféministe et antiraciste, membre fondatrice du collectif Mamans Toutes Egales.

Les médias sont partie intégrante du système de domination et sont détenus par les dominants, ce n’est donc pas le meilleur outil au service de nos luttes. Mais aujourd’hui grâce aux réseaux sociaux, une alternative très appréciable et un relais non négligeable, nous pouvons les obliger à traiter de sujets très sensibles voire nous passer carrément d’eux.

Mon militantisme de terrain n’étant plus à prouver, je voudrais profiter de l’élan de vulgarisation ouvert par #BalanceTonPorc et #MoiAussi pour lancer le hashtag #DeLaBelleTheorieAUnePratiqueEffective, afin d’accompagner et de visibiliser ce manifeste. Personne ne pourra me reprocher, très honnêtement, de ne faire que du militantisme hashtag. S’il reste un moyen de toucher le plus grand nombre, l’objectif est d’aller au-delà des dénonciations et de mettre en pratique les vœux pieux.