Appel à témoignages: violences médicales en gynécologie-obstétrique

Trouvé ceci sur le site Ça fait genre :

La journaliste Mélanie Déchalotte, qui travaille pour la super émission « Sur les Docks » (France Culture), travaille sur un documentaire radio portant sur les violences médicales en gynécologie-obstétrique. La question du toucher vaginal sans consentement l’intéresse particulièrement, mais pas exclusivement.

Elle cherche pour cela à interviewer, de façon anonyme, des personnes prêtes à témoigner sur ce sujet, que ce soit en tant que patientes ou en tant que soignant·es (étudiant·es, docteur·es, sage-femmes, infirimier·es…).

Si cela vous intéresse, vous pouvez remplir le formulaire ci-dessous. Je collecterai les adresses mail et les enverrai à M. Déchalotte.

Pour info, cette journaliste fait de super documentaires comme « PMA pour les couples homosexuels. La filière belge », que j’avais déjà recommandé sur ce blog. Et si le sujet vous intéresse, je vous rappelle que j’ai ouvert un tumblr pour collecter des témoignages sur le défaut de consentement dans la relation médicale: Je n’ai pas consenti.

Pourquoi tant de gynécologues-obstétriciens français sont-ils maltraitants ?

Un article du blog L’École des soignants (Martin Winckler).

Pourquoi tant de gynécologues-obstétriciens français sont-ils maltraitants ?

1° Réponse courte : parce qu’ils sont formés comme ça et que tous ne réagissent pas contre cette formation. (Oui, il y en a qui réagissent et qui se comportent bien. Beaucoup. Mais ils n’ont pas la parole.)
2° Réponse longue : 

Transgression et trahison 

Qu’elle soit physique ou verbale, toute maltraitance médicale est intolérable. Car il ne s’agit pas d’une maltraitance « tout venant » (intolérable elle aussi) mais de celle qu’exerce une personne de confiance. C’est une transgression et une trahison.

Le contrat implicite que passe tout.e patient.e qui consulte un médecin consiste à lui accorder sa confiance (et à se « mettre à nu », au propre et au figuré) dans l’attente d’être au minimum écouté.e, rassuré.e et informé.e – non pour être insulté.e ou rabroué.e. C’est pourtant ce qui se produit, très souvent, en France.

(Oui, ça se produit aussi ailleurs, mais ça ne justifie et n’atténue en rien ce qui se passe en France et ça ne justifie pas non plus qu’on ne le dénonce pas. Et non, ce texte ne vise pas TOUS les gynécologues-obstétriciens individuellement ; il parle d’une corporation, de son idéologie, et de ceux de ses membres qui ne respectent pas l’éthique du soin, et qui compromettent, du coup, le travail de ceux qui sont respectueux de cette éthique.) 

Si le hashtag #PayeTonUterus a explosé ces jours-ci dans la twittosphère francophone, c’est parce qu’il invitait toutes les personnes qui en avaient été victimes à dénoncer et exprimer leur rejet des comportements et commentaires blessants, méprisants, humiliants subis au cours de consultations gynécologiques. Ces atteintes portent aussi bien sur l’aspect physique que sur l’expression des sentiments des patientes ; sur leurs modes de vie ; sur leurs questionnements et leurs hésitations ; sur leurs choix et leurs refus ; sur leur genre psychologique et anatomique, sur leurs préférences sexuelles.

La maltraitance physique et verbale en gynécologie est ouvertement alimentée par les préjugés (de sexe, de genre, d’orientation, de classe) et elle découle du concept même de spécialité médicale. Car une spécialité, c’est un champ de savoir délimité de manière arbitraire. A l’intérieur de ce champ de savoir, les pratiques devraient être guidées en permanence par une préoccupation première : soigner. En réalité, comme tous les champs de savoir, la gynécologie et sa « sœur », l’obstétrique, font l’objet de pratiques fortement imprégnées d’idéologie. En France, cette idéologie est profondément sexiste.

Spécialité entièrement centrée sur (on pourrait même dire obsédée par) les organes sexuels féminins et leur « fonction reproductrice », la gynécologie ne considère pas, dans les faits, les patientes comme des individus, mais comme des porteuses de seins, d’ovaires, d’utérus et de vagin – et, potentiellement, d’enfants. De ce fait, toute personne qui se présente à une consultation de gynécologie est jaugée – et jugée – à l’aune d’une norme générale qui voudrait que toute femme ait une apparence, un comportement (sexuel) et des aspirations (maternelles) correspondant à ce qu’on inculque dans les facultés de médecine. Les femmes qui ne correspondent pas à ces critères sont, au minimum, maltraitées verbalement et psychologiquement. Au pire, elles le sont physiquement. Font partie des victimes : les femmes lesbiennes ; les personnes intersexuées ; les personnes transgenre (HàF et FàH) ; les femmes de tous âge demandant une contraception « non agréée » par le praticien ou, pire, une stérilisation tubaire ; celles qui manifestent un désir de grossesse alors qu’elles sont « trop jeunes » ou « trop âgées » au goût du médecin ; celles qui n’ont pas encore d’enfant à trente-cinq ans ; celles qui n’en veulent pas du tout ; celles qui ont plusieurs partenaires sexuels ; celles qui n’en ont pas du tout… La liste est loin d’être exhaustive.

Il est à peine exagéré d’affirmer que pour un très/trop grand nombre de gynécologues-obstétriciens (mais aussi, il faut le souligner, pour bon nombre de généralistes, de sages-femmes et d’autres praticiens spécialisés, car la plupart ont été formés par des GO…), la femme française « normale » est hétérosexuelle, de poids ni trop élevé ni trop bas, avec une poitrine ni trop forte ni trop petite, sans acné ni pilosité excessive ; elle a fait sa puberté entre 11 et 13 ans, a un cycle menstruel compris entre 25 et 30 jours (plus c’est proche de 28, mieux c’est), débute sa première grossesse avant 25 ans, a deux ou trois enfants avant d’avoir atteint la quarantaine et débute sa ménopause autour de 50 ans. Elle prend la pilule sans jamais l’oublier ; ne se plaint d’aucun effet secondaire ; se plie une consultation annuelle comprenant obligatoirement examen des seins, examen au spéculum, frottis de dépistage (dès le premier rapport sexuel, bien sûr !), toucher vaginal et échographie, et comprend qu’il s’agit là d’une condition absolue pour se faire prescrire une contraception ; se plie à une mammographie de dépistage à partir de quarante ans (même s’il n’y a pas d’antécédent familial) ; ne demande pas d’IVG (elle n’oublie jamais sa pilule, vous vous souvenez ?) ; accouche à l’hôpital ou en clinique aux dates prescrites par le praticien ; allaite ou n’allaite pas son enfant conformément aux instructions dudit praticien (ou du collègue pédiatre qui exerce au même étage/dans le même cabinet de groupe). Et surtout, surtout, elle ne lit pas d’inepties sur l’internet et ne pose pas de questions qui font perdre du temps. Et, comme toutes les questions en font perdre, mieux vaut qu’elle n’en pose pas du tout.

Manque de pot pour les tenants de cette vision robotisée des femmes, il n’y pas de « normes » en matière de vie humaine, pas plus qu’en biologie, d’ailleurs. Il n’y a que des variantes, des imprévus, des accidents. Et des personnes, dotées d’un corps, d’une personnalité et d’une histoire qui ne sont pas identiques à ceux d’un.e autre.

Un enseignement formaté

Quand on a, pendant quarante ans, mis régulièrement le nez dans les cours et les livres français de gynécologie-obstétrique, on est en droit de déclarer que l’enseignement de cette spécialité est très formaté. (C’est aussi le cas des autres, malheureusement.)

Ledit formatage porte, en particulier, sur trois aspects très précis :

1° Un corps féminin « standardisé » selon des critères arbitraires

L’enseignement de la médecine en général fait peu de place à ce qui est physiologique (ce qui relève de l’habituel, du quotidien, du non-problématique) et aux variantes innombrables de la « normalité », mais se concentre sur ce qui « pose problème » aux yeux des médecins. C’est encore plus caricatural en gynécologie-obstétrique.

Commençons par l’aspect physique. La publicité, les magazines, le cinéma et la télévision diffusent massivement des images et des représentations trafiquées d’un « idéal féminin » fantasmatique. (Lire à ce sujet l’excellent Beauté Fatale de Mona Chollet.) Mais au moins, à l’ère de l’internet, il est possible de lire et d’entendre des discours critiques à leur sujet. En revanche, lorsqu’une femme consulte son ou sa gynécologue, elle se retrouve – littéralement – nue devant une personne d’autorité, réputée faire la différence entre ce qui est « sain » (compatible avec une bonne santé) et ce qui ne l’est pas, et de qui elle est en droit d’attendre un discours nuancé, qui l’aide à faire la part des choses. Mais l’enseignement de la GO n’a rien de nuancé.

Prenez le « critère numéro un » de bonne santé féminine – j’ai nommé : le cycle menstruel. Saviez-vous que sa durée « idéale » de vingt-huit jours est entièrement arbitraire, et a été fixée par les médecins, sans argument scientifique, au début du siècle dernier ? Les enquêtes de grande envergure menées depuis les années cinquante (dans les pays anglo-saxons et scandinaves) ont montré que moins de trente pour cent des femmes ont un cycle de 28 jours. Les deux tiers restants ont des cycles de 23 à 35 jours, voire plus – et ce, sans pour autant que leur fertilité soit compromise. Le cycle « normal » a été fixé à 28 jours parce qu’il semblait correspondre au cycle lunaire. C’est dire que cette notion (antédiluvienne) est erronée : le cycle lunaire est de 29,5 jours, et non de 28 !
De plus, la fertilité apparente d’une femme dépend de bien d’autres facteurs que la durée du cycle : âge, poids, alimentation, hérédité, état de santé, fréquence des rapports sexuels, fertilité du partenaire, hasards de la recombinaison entre les gamètes de l’un et de l’autre, nombre d’enfants déjà nés, durée de l’allaitement, etc. L’anthropologie moderne a ainsi montré que les femmes préhistoriques étaient rarement menstruées avant l’âge de 20 ou 25 ans (faute d’une ration alimentaire suffisante) et passaient de très longues périodes sans menstruations. Beaucoup n’en étaient pas moins parfaitement fertiles – notre existence en est la preuve !
Mais ça, l’immense majorité des GO ne le savent pas. Ils ne peuvent donc pas rassurer les femmes qui s’inquiètent d’un cycle « anormal ».

Et non seulement ils ne peuvent pas les rassurer, mais ils ont furieusement tendance à aggraver les choses en voyant de l’anormal là où il n’y en a peut-être pas et en prescrivant des examens (dosages sanguins, échographies) et des remèdes inutiles – toujours les mêmes d’ailleurs. Convaincus que chaque fois qu’une femme présente un symptôme, celui-ci est lié à un « déséquilibre hormonal », ils prescrivent essentiellement… des hormones. Une pilule pour les règles douloureuses et les poitrines trop petites. De la progestérone pour raccourcir un cycle « trop long » ou pour un retard de règles inhabituel. Un anti-androgène pour l’acné, ou une pilosité « trop importante ». Un traitement hormonal substitutif « parce qu’il faut éviter l’ostéoporose », même aux femmes qui ne se plaignent de rien et ne courent aucun risque.
Car, comme tous les spécialistes, les GO ont appris des « critères diagnostiques » par cœur – alors ils font tout leur possible pour les plaquer sur ce que disent les femmes ; ils ont appris à prescrire prises de sang et comprimés, alors ils ne s’en privent pas. Et ils disposent d’un jouet coûteux, spectaculaire, qui leur donne le sentiment d’être doté d’une boule de cristal. J’ai nommé : l’échographe.

Entre les mains d’un GO formaté, l’échographe est le pire instrument médical qui soit. Comme son utilisation est sans danger, le GO n’hésitera jamais à le dégainer, « pour s’assurer que tout va bien ». Le malheur, c’est que ce « tout va bien » dépend de ce que le GO a appris. Un examen d’imagerie ne doit pas être fait sans but, car à force de chercher, on trouve. Même si ce qu’on trouve ne veut rien dire. Et quand un médecin trouve quelque chose d’inhabituel, il va presque toujours aller plus loin. Même si rien ne le justifie. C’est ainsi, par exemple que des centaines de femmes ressortent, catastrophées, de consultation, après qu’on a constaté un « aspect micropolykystique des ovaires » lors d’une échographie dont on aurait parfaitement pu se passer. Le dit « aspect micropolykystique » n’est pas du tout une anomalie. C’est la visualisation des follicules (normaux) avec un échographe puissant. Bref, c’est un peu comme si on vous regardait le visage près avec une loupe et qu’on disait : « Waaah ! C’est terrible ! Vous avez plein de trous dans la peau ! ». Ben oui. Ça s’appelle des pores.

C’est la pratique systématique de l’échographe après une pose de DIU (quand le GO a accepté de le poser, bien sûr) qui fait dire à tant de praticien : « Ah, zut, votre stérilet est à 22 mm du fond, faut que je le retire et que j’en repose un. » Parfois, le praticien est de bonne foi. C’est ce que lui ont appris ses maîtres, alors il suit les instructions. Mais parfois, il sait parfaitement que le DIU en question sera aussi efficace à 22 mm qu’à 3, car le principal, c’est qu’il soit à l’intérieur de l’utérus, dont la cavité est souvent plus vaste que la longueur du DIU !!!! Et qu’un utérus ça se contracte en permanence (surtout s’il s’agit d’un DIU au cuivre) alors pas étonnant que le DIU se déplace un peu : il a de la marge !!!
« Mais alors, me direz-vous, s’il sait qu’on s’en fout, des 22 mm, pourquoi propose-t-il de retirer le DIU et d’en mettre un autre ? » Pour faire sonner le tiroir-caisse, pardi !

C’est encore l’échographie délétère qui fait dire : « Ouhla ! Votre utérus est rétroversé, je peux pas vous poser de DIU » (c’est un mensonge) ou « Vous risquez d’avoir du mal à être enceinte » (c’est de la foutaise) ou encore « Ah, vous devez avoir mal pendant les rapports sexuels ! » (c’est une connerie). Comme le cœur, le foie, la vésicule biliaire, la rate, et bien d’autres organes, l’utérus a une forme et une position variables d’une femme à une autre. Et c’est seulement parce que le cerveau de certains praticiens n’est pas correctement… formé (!) par la faculté qu’ils peuvent se permettre de proférer sans rire tout un tas de bêtises. (Le paradoxe de la bêtise, comme l’explique John Cleese, c’est que pour prendre conscience qu’on est stupide, il faut être relativement intelligent…)

L’échographe est aussi un instrument intrusif. En dehors de situations très particulières où une image très précise est nécessaire, l’utilisation d’une sonde endo-vaginale n’est pas du tout obligatoire. Les fabricants en ont promu l’utilisation, ce qui a évidemment incité beaucoup – si ce n’est pas tous – les GO à les acheter – et à les utiliser systématiquement. Or, rien n’autorise à imposer une échographie à une femme, et encore moins à utiliser obligatoirement une sonde endo-vaginale. De même que tout médecin devrait demander à tout.e patient.e l’autorisation de l’examiner avant de l’inviter à se déshabiller (oui, soigner, ça prend plus de temps que voir les femmes à la chaîne) tout praticien respectueux devrait éviter les échographies inutiles, réserver cet examen aux situations où il lui apprendra quelque chose d’essentiel, et demander l’autorisation de la patiente pour utiliser une sonde endo-vaginale.

Loin de moi l’idée de dire que l’échographie n’est pas un examen utile. Il l’est, sans aucun doute. Ce que je conteste (à la lueur, d’ailleurs, de nombreux travaux) c’est son utilisation systématique qui n’a que des inconvénients et des effets indésirables : brutalité, images ininterprétables (et donc, inquiétantes), interprétations erronées, perte d’un temps précieux qui aurait pu être utilisé à communiquer, etc. (Aux Etats-Unis, les Républicains font passer des lois qui imposent une échographie endo-vaginale aux femmes demandant une IVG. Très logiquement, les femmes concernées déclarent que cette procédure imposée est un viol, et non une mesure destinée à assurer leur sécurité.)
Mais pour que les GO français puissent exercer la gynécologie courante sans recours systématique à l’échographie et, plus généralement, sans faire de chaque consultation un rituel rigide (Bonjour/Déshabillez-vous/Frottis/Palpation des Seins/Rhabillez-vous/Voilà votre ordonnance/Ça fait tant/A l’année prochaine) il faudrait que ces spécialistes aient bénéficié d’une formation privilégiant la réflexion, la nuance, l’humilité, le respect de l’autre, le désir de bien faire sans faire mal et un apprentissage de l’écoute. Dans toute relation de soin, le soignant a l’obligation professionnelle et morale de se laisser guider par les besoins du patient. A l’heure qu’il est, en France, la formation en gynécologie-obstétrique est plutôt guidée par la volonté de faire rentrer les femmes et les aléas de leur vie dans des schémas pré-établis.

2° La reproduction comme unique objet de la féminité (et des femmes)

Entre les années soixante-dix et le début des années 2000, bien avant que le hashtag #PayeTonUtérus ne fasse son apparition, je recueillais déjà, chaque semaine en consultation, des témoignages de femmes sur les attitudes et commentaires désagréables, insultants ou humiliants qu’elles avaient subi de la part de certains médecins. Ceux des GO les scandalisaient plus que s’ils venaient d’un autre, car elles pensaient qu’un praticien voué à soigner les femmes était mieux à même de les écouter, de les comprendre et de les respecter. Le généraliste ou le neurologue qui rudoie une femme est une brute sexiste. Le GO qui insulte une femme est, en plus, coupable d’une double trahison.

Depuis les années 2000, l’internet m’a valu de recevoir plusieurs milliers de courriels de femmes m’écrivant pour parler de leurs mésaventures médicales. (J’en ai transposé un certain nombre dans Le Choeur des femmes.) Et ces mésaventures ont toutes pour point commun un stéréotype monolithique, omniprésent dans la communauté des gynécologues-obstétriciens et qui pourrait se formuler ainsi :
« Les femmes sont faites pour avoir des enfants mais elles ne savent pas ce qu’elles veulent. »
Déterminisme reproductif et « inconscience » des femmes sont les maîtres-mots guidant la pratique d’un très/trop grand nombre de GO – et leurs attitudes.

S’appuyant sur un profond mépris du vécu personnel et sur une psychanalyse de bazar, cette double prémisse idéologique forme une combinaison imparable : l’objectif de maternité justifie toutes les interventions du médecin ; « l’inconscience » de la femme disqualifie toute objection de sa part.
Celles qui ont effectivement un désir (ou un projet, fût-il éloigné) d’enfant se voient ainsi prises en otage : si elles refusent les instructions et discours imposés par le GO, elles se voient menacées de stérilité, d’accouchement prématuré, d’anomalie fœtale et que sais-je encore ? Celles qui n’en ont pas encore se voient invitées à ne pas trop attendre, car « l’horloge biologique tourne ». Celles qui disent clairement ne pas (ou ne plus) en vouloir se font dire qu’elles changeront d’avis. Celles qui ne peuvent pas en avoir et font appel aux médecins pour les aider à surmonter cet obstacle sont soumises à des procédures « thérapeutiques » dont on ne leur explique ni les risques, ni le faible taux de réussite, ni le coût humain.

Ce déterminisme reproductif enchâssé, tel une ritournelle, dans le mode de pensée gynéco-obstétrical conditionne la manière dont les praticiens voient toutes les personnes qui se présentent à leur consultation. D’après cette perception, une femme lesbienne et une personne transgenre ne sont pas de vraies femmes, puisqu’il leur manque des organes sexuels voués à la reproduction féminine et/ou un homme pour les engrosser. Ces prémisses ne sont pas seulement sexistes, ils sont aussi, comme on le disait autrefois, bourgeois : le discours médical renforce et avalise nombre de préjugés sociaux – ici, homophobie et transphobie.

Le sexisme médical et le dégoût pour ce qui n’est pas nettement féminin ou masculin atteignent des sommets d’horreur face aux enfants intersexués : tout ce qui dépasse doit être amputé – qu’il s’agisse du micro-pénis d’un garçon ou du méga-clitoris d’une fille. On n’aura qu’à construire un néo-vagin au garçon pour en faire une fille et il n’y a pas à se préoccuper des séquelles douloureuses après le retrait d’un organe inutile pour la reproduction.

Mais comment s’étonner d’une semblable cruauté ? On n’enseigne pas aux médecins français que l’anatomie « normale » n’existe pas et que de nombreuses variantes sont parfaitement compatibles avec une bonne vie – à condition que les médecins n’y aient pas mis les pattes.

L’impératif reproductif est pour beaucoup de GO français (hommes et femmes) une obsession puissante : elle leur fait voir des risques de stérilité là où il n’y en a pas (le DIU, la prise de la pilule en continu) ; elle les pousse à contrôler l’âge des premières et des dernières grossesses (en avalisant, ici encore, les préjugés sociaux les plus archaïques) ; elle leur fait déclarer sans rire que, sans eux, les femmes courent à leur perte. C’est cette extraordinaire vanité, et rien d’autre, qui anime les très/trop nombreux GO opposés à l’accouchement à domicile. Car s’il s’agissait, comme ils le prétendent, de « protéger » les femmes, ils passeraient moins de temps à brandir les aléas d’un accouchement sans médecin mais, comme leurs confrères suédois, britanniques ou canadiens, se préoccuperaient plutôt de réduire les effets délétères de la surmédicalisation des salles de travail, des césariennes trop fréquentes, des épisiotomies imposées et inutiles.
Et, oui, j’oubliais : ils s’allieraient aux sages-femmes, au lieu de les traiter comme des sous-fifres. Soigner, ça se fait ensemble, pas en écrasant les autres.

3° La sexualité féminine est suspecte et doit rester sous contrôle

En matière de sexualité, l’obscurantisme médical français est grand : beaucoup de GO n’ont jamais été initiés aux données scientifiques patiemment amassées, depuis plus de cinquante ans, par Alfred Kinsey, Masters et Johnson ou Shere Hite et leurs émules.
Dans les facultés de médecine françaises, au début du 21e siècle, il n’y a pas de conférences ou de cours sur la puberté, son vécu physique et psychologique, mais seulement sur les « troubles » de celle-ci ; il n’y a pas de formation ou de réflexion sur la sexualité, mais on insiste beaucoup sur les « anomalies » des comportements sexuels – qui, naguère encore, incluaient l’homosexualité. Et, alors que les neuropsychologues et neuroanatomistes scandinaves et anglo-saxons mettent en avant de nombreux arguments scientifiques montrant que la transidentité est une réalité et non l’expression d’une souffrance psychologique ou la manifestation d’un délire, les médecins des pays latins – à commencer par l’hexagone – continuent à traiter les personnes transgenres comme des pervers ou des malades mentaux.

Autre exemple de négation du vécu intérieur, quotidien celui-ci : au cours des vingt années écoulées, d’abord au centre de planification puis, de plus en plus souvent, dans des courriels, j’ai vu de nombreuses femmes décrire la diminution de leur libido sous contraception hormonale. Cet effet n’est pas invoqué par toutes les femmes, mais il est fréquent, et je l’ai entendu s’exprimer de manière croissante à mesure que les femmes se sentaient autorisées à en parler. L’histoire est significative : après avoir eu pendant plusieurs mois des relations sexuelles avec préservatifs, une femme décide de passer à une méthode plus sûre et plus régulière. Le plus souvent (on ne lui donne pas le choix) on lui prescrit la pilule. Rapidement, elle se rend compte que son désir s’est atténué ou émoussé et, de manière assez typique, réapparaît pendant la semaine où elle ne prend pas ses comprimés – c’est à dire, malheureusement, au moment des saignements induits par l’arrêt de pilule. Elle décrit ce symptôme à son GO. Lequel lui répond négligemment : « C’est dans votre tête. » Autant dire « Vous avez trop d’imagination. »

Cette réponse n’est pas seulement méprisante, elle est aussi l’expression d’une incompétence confondante. Les « pics » de désir souvent observés au moment de l’ovulation (mais aussi au moment des règles) sont liés aux variations brusque des hormones circulantes. Beaucoup de femmes disent que leur libido diminue quand elles sont enceintes. Or, la pilule bloque l’ovulation en reproduisant artificiellement l’état hormonal de la grossesse. La prise de pilule (comme la grossesse) fait disparaître le « pic » hormonal contemporain de l’ovulation – et le désir qui va avec. La baisse de libido liée à la pilule n’est donc pas le fait de l’imagination des femmes qui s’en plaignent, mais un processus biologique parfaitement explicable – et qui doit être pris au sérieux.
Certaines utilisatrices d’implant et de DIU hormonal (Mirena) éprouvent la même baisse de libido. Certaines, pas toutes. Pourquoi elles et pas d’autres ? Parce que toutes les femmes sont différentes, et que les effets des hormones varient selon les individus. Admettre cette évidence toute simple, c’est s’ouvrir à une médecine individualisée, qui prend en compte ce que dit chaque personne. Mais ce n’est pas cette médecine qui s’enseigne en France.

Réfuter le vécu et le(s) désir(s) des femmes, c’est encore les assigner à l’impératif reproductif – pour mieux les contrôler. Ce sexisme est l’expression directe de la structure archaïque de la société française. Quand les opposants au mariage homosexuel se disent être les défenseurs d’une conception de la famille, on sait bien qu’ils défendent, en plus des « valeurs morales » de l’église catholique, apostolique et romaine, la transmission du patrimoine !!!

Quand des médecins, des psychiatres ou des psychanalystes accusent les familles homoparentales de mettre en péril la santé mentale de leurs enfants, ils font preuve d’ignorance (il suffit de regarder ce qui se passe dans des pays comparables où ce préjugé n’existe plus depuis longtemps) et mettent cette incompétence au service du contrôle social de la natalité tel que l’entend le Code Napoléon. C’est leur droit, mais ça n’a rien de scientifique.

Incompétence professionnelle et autres lacunes inavouables 
Si la pilule a longtemps été la principale contraception prescrite en France, ça n’est pas en raison de sa supériorité sur les autres méthodes (implant et DIU font mieux). L’influence des industriels (les fabricants de pilules sont plus nombreux et plus influents), les facteurs économiques (la pilule ne « régularise » pas seulement le cycle, elle régule aussi le rythme des consultations et la dépendance de la clientèle), le confort pour le prescripteur (insérer un DIU ou un implant sans inconfort pour la patiente, ça demande plus de temps et de soin que gribouiller un nom de marque sur une ordonnance) et les carences de l’enseignement : les traitements chirurgicaux et la reconstruction après cancer du sein, le suivi des grossesses pathologiques, la procréation médicalement assistée, c’est bien plus intéressant à enseigner que la contraception et la sexualité au jour le jour. Quand on lit ou entend encore aujourd’hui dans les livres et les cours de faculté français qu’il est fortement déconseillé de poser un DIU à une adolescente, on sait que les médecins de l’Hexagone ont trente ans de retard.

Outre le paternalisme et le sexisme, ce que reflètent les tweets de #PayeTonUtérus, c’est l’incompétence relationnelle profonde des professionnels qui tiennent ce type de discours.

Ainsi, combien de gynécologues donnent aux patientes l’occasion de tenir un spéculum entre leurs mains, de leur montrer comment il s’utilise (et pourquoi), ce qu’il sert à faire ou à regarder, au moyen d’une simple planche anatomique illustrée ? Combien de gynécologues prennent la peine de dire que l’examen gynécologique (pose de spéculum et/ou « toucher vaginal ») n’est pas indispensable, mais n’est utile que pour des gestes ou des observations spécifiques ? Combien de gynécologues respectent le code dedéontologie médicale français, qui spécifie noir sur blanc :

Article 36 (article R.4127-36 du Code de la Santé Publique) : Le consentement de la personne examinée ou soignée doit être recherché dans tous les cas.

(NB : Dans le Code de déontologie du Québec, le consentement doit être obtenu. En France, est-il même toujours recherché ? )

Vous qui lisez cet article, combien de fois avez-vous entendu un médecin dire : « M’autorisez-vous à vous examiner ? » A l’inverse, combien de femmes ont régulièrement entendu « Déshabillez-vous ! » à leur entrée dans le bureau du médecin, ou pris l’habitude de se dévêtir spontanément après que tant de médecins leur ont signifié qu’ils n’avaient pas de temps à perdre ?

Il n’y a pas de compétence médicale sans qualités relationnelles. Les médecins belges, hollandais, britanniques sont formés dans cet esprit. Aucune faculté de médecine française ne peut le faire, et pour une raison simple : la médecine s’apprend par imitation. N’étant tenu à aucune règle de comportement, le praticien hospitalier « forme » étudiants et internes comme il l’entend. En France, les chefs de service sont nommés à vie. Un chef de service nommé à vie est tout-puissant. S’il refuse qu’on pratique des IVG ou qu’on pose des DIU dans son service, les autres praticiens ne braveront pas l’interdit. Et ils n’enseigneront pas aux étudiants que la vie, c’est compliqué et que soigner, c’est proposer toutes les solutions disponibles et soutenir les personnes dans leurs choix, non pas les leur dicter.

Maltraitance médicale : les femmes en première ligne

En France le corps médical dans son ensemble – même si nombreux sont les médecins qui s’en affranchissent – est un monde à part, hiérarchisé comme la France de l’Ancien Régime. (NB : Je parle ici de strates sociales, non de revenus.)

L’ « aristocratie » est constituée par les hospitalo-universitaires, qui cumulent statuts et revenus de leur activité publique et de leurs diverses activités privées (expertise pour l’industrie, exercice en clinique ou en cabinets privés, consultations privées à l’hôpital).

La « grande bourgeoisie » se répartit entre spécialistes hyperéquipés (radiologues, biologistes) et les praticiens (spécialistes et généralistes) qui exercent dans des villes et quartiers riches.

La « petite bourgeoisie » est constitué essentiellement par les généralistes exerçant en zone rurale et zones urbaines défavorisées, les médecins du travail, les médecins de PMI, etc.

Et le système de santé compte aussi un « prolétariat » : aides-soignant.e.s (souvent traité par les médecins comme un « sous-prolétariat »…), infirmier.e.s, sages-femmes, kinésithérapeutes, orthophonistes dont les actes sont limités en grande partie par les prérogatives des médecins et qui subissent l’antagonisme ou le mépris de nombre d’entre eux.

Comme tous les corps sociaux, ces différentes « classes » – avec des variations très nombreuses liées aux personnes – vont entretenir avec la population des rapports qui seront le reflet de leur propre situation, et de la manière dont ils font face à celle-ci. Selon, par exemple, qu’ils auront choisi la médecine générale ou l’exercent « par défaut » (par échec à gravir les échelons de la hiérarchie hospitalo-universitaire), les praticiens exerceront de manière plus ou moins paternaliste. La contraception n’est pratiquement pas enseignée aux généralistes (qui pourtant s’occupent de la plus grande partie de la population féminine). Tout généraliste peut cependant choisir de s’y former pour répondre aux besoins des patientes. La plupart des obstétriciens apprennent à faire des épisiotomies larga manu, mais tous peuvent modifier leur pratique. Les moyens et les informations sont disponibles. Encore faut-il que les professionnels veuillent les utiliser.

Mais pour que les médecins changent d’attitude, il faut que quelqu’un le leur demande fermement.

La raison pour laquelle les femmes sont le plus souvent en première ligne face aux médecins est simple : les femmes sont les premières demandeuses de soins. Elles consultent pour elles-mêmes mais aussi pour ou avec leurs enfants, leurs parents et les hommes (fils, père, compagnon) dont elles partagent la vie. Elles sont souvent en position d’agir en « soignantes naturelles », en soutien, en accompagnatrices, en interprètes, en avocates, en protectrices.

En France, dans le corps médical, sexisme et posture de classe vont souvent de pair. Lorsque des patient.e.s, quel que soit leur genre ou leur identité, dénoncent l’attitude des gynécologues, elles dénoncent un arbitraire médical qui s’exerce sur tous les patients – femmes et hommes, enfants et adultes, jeunes et vieux, valides et handicapés – en raison de leur sexe, de leur genre, de leur orientation mais aussi de leur milieu et de leur statut social, de leur origine ethnique, de leur niveau d’éducation…

Parce qu’elles sont les premières interlocutrices des médecins, les femmes sont en mesure de questionner l’ensemble des attitudes médicales contraires au bien individuel et commun. A #PayeTonUtérus devraient s’ajouter d’autres hashtags dénonçant les maltraitances médicales infligées aux personnes âgées, aux enfants mais aussi aux hommes et aux personnes stigmatisées pour quelque raison que ce soit.

Dans le domaine de la santé comme dans bien d’autres, critique et activisme féministes ne se réduisent jamais à la seule cause des femmes.

Marc Zaffran/Martin Winckler

PS : Arnaud C. (lui-même généraliste) me fait justement remarquer que les généralistes et les sages-femmes peuvent, également, être extrêmement maltraitants (en particulier lorsqu’ils pratiquent la gynécologie de manière monopolistique dans un secteur où les femmes n’ont pas le choix de consulter ailleurs). Je suis tout à fait d’accord, et il faut le rappeler : la maltraitance n’est pas affaire de spécialité, mais d’attitude. Il y a aussi des gynécologues parfaitement respectueux, féministes et soignants. Beaucoup. Pas assez.
Mais la hiérarchisation et la technologisation des professions de santé est à mon avis un facteur qui aggrave et accentue la maltraitance par les spécialistes : généralistes et SF ne font pas d’écho vaginale à tire-larigot, « en consultation courante » ; ils ne tiennent pas les femmes en otages en leur imposant un accouchement hypermédicalisé ; ils ne les menacent pas de cancer si elles ne font pas leur mammo ou leur frottis ou leur colposcopie à la date prévue… Tout soignant est susceptible d’être maltraitant. Mais plus un professionnel est haut dans la hiérarchie, plus il a du pouvoir. Et plus il peut en user à discrétion.

Or, ce sont les spécialistes gynécologues-obstétriciens hospitaliers qui, dans les CHU, assurent la (dé)formation initiale des autres spécialistes, des MG et des SF : leur responsabilité et leur aptitude à nuire personnellement ou via leur influence sur les autres soignants sont donc considérables et sans commune mesure avec celles des praticiens de terrain. 

C’est aussi pour ça, en passant, que les cris d’orfraie de certains médecins devant la « violence » de mes textes me font rire. Jaune. Aucun blog ne peut à lui seul contrebalancer l’influence durable d’un mandarin qui aura imposé son idéologie sexiste à des centaines d’étudiants en médecine, pendant plusieurs dizaines d’années. Heureusement, je ne suis pas, et de loin, le seul empêcheur-de-penser-en-rond actif sur le Web. La révolte gronde, et ce n’est qu’un début.