La Politique du voile

Joan W. Scott, La Politique du voile. Traduit de l’anglais par Idith Fontaine et Joëlle Marelli, Éditions Amsterdam, 2017. (Une note de lecture à retrouver sur le site Antiopées)

L’édition originale de ce livre date de dix ans déjà (The Politics of the Veil, Princeton University Press, 2007). Et la première « affaire du voile » de 1989… bientôt trente ans ! J’avoue que j’avais tendance, jusqu’à cette lecture, à associer le développement de l’islamophobie en Occident, et particulièrement en France, au contrecoup des attentats du 11 septembre 2001 et à la guerre antiterroriste lancée par les États-Unis. L’un des mérites du livre de Joan Scott est de resituer ce phénomène dans la longue durée de l’histoire de France, et plus précisément de l’histoire du racisme français. Compris dans cette perspective, le terme « islamophobie » pourrait bien ne caractériser que la forme particulière de ce racisme tel qu’il s’exprime aujourd’hui – par exemple en montant en épingle l’« affaire » Tariq Ramadan dont l’image du phallus démesuré publié à la une de Charlie Hebdo sert opportunément à cacher la forêt de bites mises en cause par les campagnes #MeeToo et #BalanceTonPorc – attention, je ne cherche pas ici à défendre un phallus au motif que son porteur serait musulman, et donc persécuté comme tel ; pas plus que je ne cherche à insinuer qu’il y aurait là un plan délibéré (du genre : montrons ceci pour cacher cela) ; je tiens à dire cependant qu’il n’est qu’un parmi une foultitude dont l’écrasante majorité pendouillent entre les cuisses de (petits et grands) bourgeois blancs. Ou comme l’écrit Jean Baubérot, historien de la laïcité (Mediapart, 18 novembre 2017) : « Un “leader musulman” est sur la scène ; les autres personnages ont, automatiquement, quasiment disparu de cette dernière, puisqu’on a celui-là, “laïcité merci”, à se mettre sous la dent. »

Joan Scott commence par rappeler ce que furent « les affaires du voile » (chap. 1). Ici, je ne peux pas ne pas me demander ce qu’en penseront nos descendant·e·s dans quelques lustres. Illes oscilleront probablement entre stupéfaction et dégoût : ainsi, sous prétexte de laïcité et d’émancipation des femmes, on excluait à cette époque des jeunes filles de l’école publique juste parce qu’elles portaient un accessoire vestimentaire marquant leur adhésion à l’islam. Quelques dizaines, voire quelques centaines de ces adolescentes représentaient une menace mortelle pour la République. L’école républicaine, justement, censée jusqu’alors être le meilleur moyen de lutte contre l’obscurantisme, et qui avait réussi à éradiquer toutes les cultures particularistes des derniers recoins l’hexagone (entre autres en imposant le français comme langue unique et obligatoire et le « roman national » comme seul récit historique admissible), l’école publique, laïque et obligatoire capitulait en rase campagne devant quelques gamines têtues. On comprend qu’il nous manque quelques éléments d’explication. « Tout commence, écrit Joan Scott, le 3 octobre 1989 lorsque trois jeunes filles musulmanes refusant d’ôter leur foulard sont exclues de leur collège dans la ville de Creil, dans l’Oise. Leur établissement se trouve dans une zone d’éducation prioritaire (ZEP) qualifiée de “poubelle sociale” par le principal du collège, Ernest Chénière. » Ce sinistre personnage, que nous retrouverons très vite, déclarera un peu plus tard (au journal Le Monde, en 1993) avoir agi au nom de la “laïcité”, contre « la stratégie insidieuse du djihad ». Tout est déjà dit, ou presque. La laïcité selon les nouveaux hussards de la République, c’est renvoyer les religions (au moins l’islam) à la sphère privée, tandis que la République et son ombre, la démocratie, occuperaient tout l’espace public, et spécialement l’espace sacralisé par eux, ce qui ne manque pas d’être paradoxal, de l’école publique, justement. Si vous êtes fidèle de telle ou telle obédience, je n’ai pas à venir vous expliquer l’absurdité de cette conception qui prétend faire de la religion une affaire privée. Je ne ferai pas l’injure aux autres lecteurs et lectrices de penser qu’illes ignorent que se dire athée ne signifie pas encore, et ne signifiera jamais ne croire en rien, ou, pour le dire autrement, échapper purement et simplement à tout régime de croyance. Les fanatiques de la laïcité nous en donnent précisément une brutale et consternante démonstration. Quant au « djihad », son utilisation par ces mêmes fanatiques me fait penser à l’utilisation du sexe par l’industrie pornographique : tout ce qu’ils touchent devient obscène. Bref. En 1989, on venait juste de célébrer avec pompe et fracas le bicentenaire de la dite Grande Révolution – mais on avait surtout mis l’accent sur les institutions qu’elle nous a léguées et pas sur les révolutionnaires décrits par Éric Vuillard dans son excellent 14 juillet, pour prendre l’un des derniers textes parus là-dessus. Au niveau international, il y avait aussi, nous rappelle Joan Scott, la fatwa de l’ayatollah Khomeini contre Salman Rushdie et ses satanés versets, et encore le début de la première intifada palestinienne contre l’occupation israélienne. Dans ce contexte, la première « affaire du voile » allait servir à stigmatiser un peu plus les habitant·e·s des quartiers « susceptibles », tout en posant l’équation jeune-issu·e-de-l’immigration = musulman = islamiste = terroriste (sans parler des stéréotypes du garçon arabe et de la femme voilée donc arabe aussi).

On retrouve un peu plus tard l’ancien principal du collège de Creil à l’Assemblée où il a été porté par la « vague bleue » de 1993 qui a donné une large majorité au RPR. Après un an de « croisade anti-foulard » (dixit Le Monde) et plusieurs incidents dans des établissements scolaires, il finit par obtenir de François Bayrou, alors ministre de l’Éducation nationale, une circulaire interdisant les signes « ostentatoires » d’appartenance religieuse à l’école. Soixante-neuf jeunes filles furent exclues de divers établissements pour avoir arboré de tels signes « ostentatoires », que la plupart des protagonistes du « débat » (c’est-à-dire tout le monde sauf les premières concernées et leurs proches) s’accordèrent à appeler « voile » alors qu’il s’agissait la plupart du temps de simples foulards. La circulaire fut cassée par le Conseil d’État, qui laissa aux chefs d’établissements le soin d’apprécier ce qu’il convenait d’accepter ou non comme vêture de leurs élèves. Enfin, dix ans plus tard (en 2004), une loi interdisant le port de signes ostensibles d’appartenance religieuse fut adoptée. Comme pour la première « affaire » de 1989, Joan Scott revient sur le contexte politique national et international qui pouvait expliquer en partie les crises d’hystérie de la classe politique et médiatique, mais aussi d’une grande partie des enseignant·e·s et des féministes françaises autour du port du « voile » par une fraction toujours très minoritaire des élèves – françaises elles aussi pour la plupart, il importe de le rappeler. Elle parle bien sûr de la situation au Proche-Orient, des guerres du Golfe et, sur le plan intérieur, de la résistible ascension de Jean-Marie Le Pen. Pourtant, « ce serait une erreur », poursuit-elle, « d’attribuer à la seule influence [de ce dernier] toute l’hostilité dirigée contre le foulard. » Bien sûr que la dénonciation de l’immigration a toujours constitué le fonds de commerce du Front national, et que ses scores grimpant d’une élection à l’autre, les autres partis ont repris la plupart de ses propositions. Mais il est vrai aussi que les positions racistes de Le Pen ne sortaient pas de nulle part : « L’“islamophobie” est un aspect de la longue histoire du colonialisme français, qui a débuté au minimum à l’époque de la conquête de l’Algérie, en 1830. » Et dans cette histoire, le voile joue un rôle important comme signe d’une différence irréductible, indépassable, entre l’islam et la France – une version antérieure du soi-disant « choc des civilisations ». C’est pourquoi Joan Scott consacre le deuxième chapitre de son livre à cette histoire du racisme français. Je dois reconnaître que j’avais un peu cédé, comme beaucoup d’autres sans doute, à la thèse simpliste de la « contamination » des partis politiques français par les « idées » du Front national. Ce n’était pas entièrement faux, mais là aussi, cette contamination ne s’est pas produite par hasard. La question de la concurrence électorale n’explique pas tout. Il fallait bien que le ventre fût encore fécond, ou que le terrain soit favorable, si l’on préfère, pour que prenne la greffe. Je savais bien pourtant que la SFIO, qui donna plus tard naissance au Parti socialiste, avait donné au régime de Vichy nombre de collabos, mais aussi et surtout, qu’elle avait mené la politique coloniale de la France après-guerre, et particulièrement la guerre d’Algérie. Mais ça ne m’avait pas empêché de souscrire paresseusement à cette thèse de la contamination. La lecture de Joan Scott m’a rafraîchi la mémoire. Ne serait-ce que par cet aspect, son livre est très utile. Elle rappelle en effet que dès le départ, la politique coloniale française était marquée par une contradiction qui a perduré jusqu’à aujourd’hui en termes à peine différents. En effet, la conquête prétendait se justifier en « apportant la civilisation » aux indigènes. « Cependant, et dans le même temps, l’aventure coloniale puisait sa légitimité dans une représentation raciste des Arabes (musulmans, Nord-Africains, les dénominations tendaient à se recouper et à se confondre) qui remettait inévitablement en cause la possibilité même du projet civilisateur. » La contradiction se retrouve dans les affaires du voile : l’école est là pour intégrer et former des citoyen·ne·s français·e·s (mission civilisatrice). Mais les jeunes filles qui portent un foulard sont à l’évidence inassimilables puisque manipulées/forcées/soumises à l’islam ou alors perverses (représentation raciste, version islamophobe, de ces jeunes filles). La seule solution est alors de les exclure. La mission civilisatrice (en l’occurrence, l’intégration) échoue de nouveau.

Joan Scott dit encore pas mal d’autres choses très intéressantes dans son livre, en particulier sur l’interprétation de la laïcité par les intégristes républicains, et aussi sur la question de la sexualité – ou de ce que voilent les affaires du voile, comme la revendication non dite du libre accès au corps des femmes par les hommes, blancs de préférence. C’est pourquoi je recommande vivement cette lecture qui se révèle d’autant plus nécessaire que nous assistons ces dernières semaines, à l’initiative de Manuel Valls, qui n’a toujours pas digéré sa défaite électorale, à une énième résurgence islamophobe qui s’en prend cette fois à « la complaisance des milieux intellectuels à l’égard du prédicateur Tariq Ramadan » (La Provence, 18 novembre). Il ne veut rien moins que leur faire « rendre gorge » (aux intellos, bien sûr) et les « éliminer du débat public ». Il est vrai qu’ils sont méchants avec lui, ces « milieux intellectuels » : rendez-vous compte, « on me compare à Marcel Déat, ce socialiste ultra-collaborationniste […] on parle de la croisade de Caroline Fourest […], c’est insupportable […] Quand on parle de racisme d’État, on met en cause ce que nous sommes, la République. » (ibid.) Ce n’est pas faux. Finalement, il n’est pas si bête que ça, Manu. Méchant, oui. Mais pas si bête. Le Crif Marseille-Provence l’a bien compris, qui l’a invité à conclure sa convention régionale à Marseille le 19 novembre sur, je vous le donne en mille : le terrorisme.

Le cas Tariq Ramadan ou le défi de lutter sur plusieurs fronts

Pour une approche intersectionnelle des luttes antiracistes et antisexistes

Article de Souad Betka, publié sur le site Les mots sont importants
7 novembre 2017

« Laissons la justice faire son travail ! ». « Et la présomption d’innocence ? ». Le texte qui suit n’a évidemment pas pour vocation à se substituer au verdict judiciaire. On voit vite à sa lecture, d’ailleurs, qu’il est finalement peu question de « l’affaire Tariq Ramadan » en elle-même : ce sont les réactions suscitées par ce nouveau scandale qui m’intéressent et qui m’ont poussée à réagir. Par ailleurs, l’usage abusif de la présomption d’innocence pour suspendre toute pensée critique et verrouiller le débat politique sert un agenda clair auquel je m’oppose fortement, d’autant plus lorsqu’il devient un moyen d’accabler les plaignantes.

C’est un bien triste spectacle qui a accompagné et suivi les accusations de violences sexuelles et de viol à l’encontre de Tariq Ramadan. Les réactions, comme toujours, ont été extrêmement polarisées. Ici, un déferlement de haine, d’insultes sexistes et de commentaires d’une bassesse inégalée à l’encontre des plaignantes ; là, des commentaires racistes et islamophobes qui accablent, à travers un homme, toute une communauté.

Et n’est-ce pas le propre du racisme que de recourir à des procédés essentialistes : un homme musulman est toujours plus qu’un homme. Il est l’arbre qui représente la forêt, faute de la cacher. Il est la forêt. D’autres ont vu dans ces accusations une occasion en or pour faire taire Tariq Ramadan, perçu et fantasmé comme le cheval de Troie de l’islamisme en Europe.

Beaucoup attendent des réactions de la « communauté musulmane » et du monde associatif et religieux musulman. Regrette–t-on l’absence d’une campagne de type #NotInMyName ? Faut-il encore une fois, montrer patte blanche ?

Bien que critique de cette injonction pressante à réagir, je me retrouve là, moi, musulmane de France, militante antiraciste, prise par l’urgence d’écrire sur ce que révèlent les réactions révoltantes suscitées par cette affaire. Il semble primordial de rappeler que des accusations aussi graves doivent systématiquement être prises au sérieux et être reçues avec gravité. On ne prend pas une accusation de viol à la légère, d’autant plus lorsque des personnalités publiques sont concernées et que par conséquent, la violence des réactions de part et d’autre est si prévisible.

La nécessité d’une approche intersectionnelle

Nous voilà aujourd’hui face au problème de l’intersectionnalité vécu et théorisé par les féministes noires américaines. Dans son article fondateur « Démarginaliser l’intersection de la race et du sexe : une critique féministe noire de la doctrine anti discriminatoire, de la théorie féministe et des politiques antiracistes », Kimberlé Crenshaw relate que lorsqu’en 1851, dans le cadre de la convention des droits de la femme, Sojourner Thruth, une abolitionniste noire américaine et fervente défenseuse des droits des femmes, se leva pour prendre la parole, « plusieurs femmes blanches exhortèrent à la faire taire, craignant qu’elle puisse détourner l’attention pour le suffrage féminin [au profit de l’abolition de l’esclavage] ».

L’intersectionnalité désigne la situation de personnes qui subissent simultanément plusieurs formes de domination ou de discrimination dans une société. C’est une théorie qui promeut une approche intégrée des inégalités sociales en faisant lumière sur l’imbrication de différentes structures d’oppression (race, sexe, classe, etc.) et sur leur caractère indissociable. Ainsi, si toutes les femmes sont oppressées en tant que femmes, un mouvement féministe ne pourra prétendre parler pour toutes les femmes qu’à partir du moment où il prendra en considération la situation de femmes qui subissent également du racisme au sein d’une société.

Par conséquent, en insistant sur la nécessité d’une approche inclusive, l’approche intersectionnelle refuse la hiérarchisation des différentes structures de domination sociale. Les féministes noires étaient à la fois critiques du racisme au sein du mouvement des féministes blanches et du sexisme au sein des mouvements antiracistes, et au sein de la société toute entière.

Or, c’est une chose de hiérarchiser les structures de domination sociale. C’en est une autre d’utiliser une forme de domination pour en nier une autre, et c’est ce que l’affaire des accusations à l’encontre de Tariq Ramadan génère à plusieurs égards. On s’indigne autant des commentaires sexistes à l’encontre des plaignantes pour sauver la cause d’un antiracisme androcentré que des réflexions racistes et islamophobes qui nourrissent un féminisme dévoyé à géométrie variable.

Nous, féministes musulmanes, refusons de sacrifier la lutte contre le sexisme et les violences patriarcales au combat antiraciste. Et ce n’est pas faire le jeu de ceux qui nourrissent le racisme dans la société que de dire cela parce que nous dénonçons avec tout autant de fermeté leur féminisme partiel, partial et bien souvent raciste. Le refus de mener ces deux luttes de front ne fait que renforcer le statu quo.

Le racisme nourrit le sexisme, en stigmatisant celles qui sont à l’intersection de plusieurs logiques de domination. Les femmes racisées, et en particulier, dans le contexte français, les femmes musulmanes qui portent un foulard, sont exclues du discours féministe dominant et sont l’objet d’un discours d’injonctions profondément paternaliste, anti féministe et sexiste qui leur nie la possibilité de faire des choix. Le racisme encourage par ailleurs des logiques de défense chez les racisés qui vont jusqu’à la négation des violences faites aux femmes. Dans un climat islamophobe, on préférera croire à un complot plutôt que d’imaginer que « l’un des siens » puisse se rendre coupable de violences sexuelles, qui pourront être instrumentalisées à des fins racistes.

Vers un féminisme inclusif ?

À en croire les réseaux sociaux, la violence des réactions parmi les musulmanes et les musulmans est à la hauteur du choc que ces accusations ont provoqué. Comment est-ce qu’un homme qui n’était pas seulement un homme de pouvoir influent (Harvey Weinstein) ou un intellectuel mais aussi un théologien, dont les écrits et les interventions portaient sur des questions de morale religieuse appliquée et de justice sociale, comment un tel homme peut-il faire preuve d’un comportement en parfaite contradiction avec ses enseignements ?

Pour beaucoup, c’était un mentor, un modèle, non seulement sur le plan intellectuel mais aussi sur celui du caractère voire de la vertu. Nombreuses sont les personnes qui témoignent de l’impact positif que ses écrits ont pu avoir dans leur vie, sur le plan spirituel, intellectuel et politique. Elles se reconnaissent dans la façon dont il articule l’éthique personnelle et l’engagement politique pour plus de justice sociale. Dès lors, on comprend que tout un monde s’effondre. Quelles que soient les conclusions auxquelles parviendra la Justice, cette affaire marque un réel tournant.

Ce qui m’attriste pourtant est quelque chose de bien plus profond. Nous, musulman.e.s français.e.s, serions-nous à ce point fragiles que nous aurions intériorisé la logique essentialiste du racisme et de l’islamophobie qui veut que si l’un des nôtres tombe, nous soyons toutes et tous contaminé.e.s, et que notre monde s’effondre ? C’est en même temps révélateur de la force avec laquelle beaucoup de personnes se sont identifiées à Tariq Ramadan, qui, à bien des égards, a contribué à articuler un discours contre l’islamophobie en France. Aujourd’hui, par cette affaire, il contribue à la nourrir. On observe parfois des réactions très similaires à celles qui ont suivi les attentats terroristes ces dernières années : un ras-le-bol de la récupération politique qui surfe sur l’islamophobie et une peur d’une nouvelle vague de stigmatisation. On aura beau répéter que le patriarcat et les violences sexuelles n’ont pas de religion, la meute est lâchée.

À ce stade, une précision s’impose. Ce texte n’est assurément pas un témoignage, pour autant je ne veux pas prétendre à la neutralité. S’il est sage, face à des accusations aussi graves que le viol, d’attendre que la Justice fasse son travail, je dois avouer que seule la violence des faits relatés dans les témoignages m’a surprise. Comme toute personnalité charismatique, Tariq Ramadan suscite beaucoup de fascination, et cela le place dans un rapport de pouvoir, surtout vis à vis de ses coreligionnaires.

Depuis plus de cinq ans, de nombreuses militantes associatives musulmanes de mon entourage m’ont témoigné avoir été victimes d’insultes, de manipulation et de harcèlement sexuel de la part de cet homme. Et si sentiment de trahison et colère il y a de ma part, ce n’est pas, loin s’en faut, parce que je considérais cette personnalité médiatique comme un modèle de vertu, ou parce que s’est manifesté un contraste saisissant entre le rigorisme moral qui est prôné et le libertinage dont nombre de témoignages se font l’écho – et si les viols sont établis à l’issue du procès, cela prendra une dimension bien plus grande encore, bien au-delà de ce que certains voudraient réduire à une simple « affaire de mœurs ».

Le plus scandaleux, c’est le fait de profiter de la fragilité de ses coreligionnaires. Si les agressions sexuelles sont établies à l’issue du procès, ce seront encore une fois les personnes les plus vulnérables, à en croire le profil des plaignantes au moment des faits, qui auront été victimes de ces abus de pouvoir. Et si elles ne le sont pas, l’affaire aura permis de libérer la parole quant aux abus de pouvoir et manipulations diverses qui ont été relatées par de nombreuses femmes, et de rappeler à quel point, plus que jamais, nous ne pouvons faire l’économie d’une approche intersectionnelle des dominations sociales.

Pour finir, on peut s’interroger sur l’utilisation de l’antiracisme comme seul ou principal argumentaire de défense face aux accusations d’agressions sexuelles, et sur le choix lourd de sens de l’avocat qui représente la famille d’Adama Traoré. Ce choix, manifestement, donne à penser que cette affaire d’agressions sexuelles est une question de racisme et tend à, sinon effacer, du moins minimiser la nature des principaux chefs d’accusation.

Refusons de fermer les yeux sur la violence sexiste et patriarcale au nom de l’antiracisme. Nous ne sacrifierons pas la lutte contre le sexisme et les violences sexuelles sur l’autel d’un antiracisme non inclusif. Malgré la violence et l’humiliation que représente cette affaire pour les musulman.e.s, qui n’ont décidément pas fini d’entendre parler d’elles.eux dans les médias et les débats publics, on ose espérer que cette affaire fera lumière sur le sectarisme et l’aveuglement aux violences sexistes au sein des milieux associatifs et militants, et qu’une introspection permettra de comprendre pourquoi des femmes musulmanes victimes d’agressions sexuelles peuvent être tentées d’aller chercher auprès de Caroline Fourest le soutien que d’autres, plus proches, tardent à leur apporter.

Enfin, je me ferai la défenseuse d’une certaine forme de Made in France (ce qui en étonnera plus d’un !). Nous ne voulons plus être les objets d’études et les fonds de commerce de personnalités extérieures qui vivent à mille lieues des réalités qui sont les nôtres. Avec des amis comme eux, nous n’avons plus besoin d’ennemis politiques. Nous avons suffisamment de ressources locales dans le monde associatif musulman pour pouvoir nous passer des services empoisonnés d’un imam tunisien, d’un journaliste algérien, d’un psychanalyste tunisien, ou même d’un théologien suisse.

Lallab démêle le vrai du faux à son sujet

Vous avez récemment entendu parler de l’association Lallab ? Vous avez lu une chose d’un côté et son contraire de l’autre ? Pas de panique ! Voici quelques éléments de réponses pour démêler  le vrai du faux.
Prenez donc le temps de les lire et de venir nous rencontrer : ce sera le meilleur moyen de nous connaître !

1) “Lallab lutte pour obliger les femmes à porter le voile“ ?

NON. Lallab est pro-choix. Nous ne nous positionnons ni sur le port du voile ni sur aucun autre mode vestimentaire ou pratique religieuse. Au sein de l’association, tous les choix sont représentés. Nous souhaitons permettre à toutes les femmes, musulmanes ou non, de choisir librement ce qu’elles veulent être, sans jamais craindre d’être jugées, violentées ou discriminées. Nous rêvons d’une société qui permette à toutes les femmes de vivre, et notamment de s’habiller, comme bon leur semble, quels que soient les sens et les significations qu’elles y mettent. Nous sommes une association féministe et antiraciste se voulant la plus inclusive possible : chez Lallab, les femmes sont écoutées et soutenues quels que soient leurs choix car nous avons la volonté de créer une société plus juste pour TOUTES les femmes.

Si les missions de Lallab portent spécifiquement sur les femmes musulmanes, voilées ou non, c’est au vu d’un constat dans notre société : elles sont sujettes non seulement au sexisme, mais également au racisme et à l’islamophobie. Ces différentes oppressions ont malheureusement des conséquences concrètes sur leurs parcours de vie. Ces problématiques sont malheureusement trop peu traitées et les voix des femmes musulmanes restent silenciées et/ou méprisées. Par ailleurs, la fixation médiatique et politique portée en particulier sur les femmes portant le voile reflète la persistance des préjugés et des violences systémiques racistes et sexistes aujourd’hui. Chez Lallab, nous travaillons à déconstruire ces éléments, à mettre en lumière les voix des femmes musulmanes et à révolutionner leur image dans leur pluralité.

Dans la même lignée, nous ne sommes pas non plus pour le “voilement des petites filles” comme il a été annoncé en reprenant des photos personnelles (sans consentement des intéressé·e·s) d’une de nos bénévoles qui sortait d’une mosquée après la prière de l’Aïd qu’elle célébrait en famille (non, ses trois filles ne portent pas le foulard au quotidien). Plusieurs autres clichés de la sorte ont été repris et sortis de leur contexte, alimentant d’autres théories abracadabrantesques. Nous en profitons d’ailleurs pour réaffirmer la gravité de telles pratiques et des conséquences sur nos membres et leurs familles. Cela démontre par ailleurs le niveau d’éthique et de malhonnêteté intellectuelle de nos détracteur·trice·s.


2) “ Lallab est une menace pour la laïcité“ ?

NON. Loin de se positionner contre la laïcité telle que promue par la loi de 1905 qui promulgue la séparation de l’Église et de l’État, Lallab reprend et applique son principe fondamental : la liberté de tou·te·s. Nous critiquons au contraire une vision déformée et erronée de cette loi, trop souvent instrumentalisée par la volonté d’exclure et de discriminer certaines personnes, et notamment les femmes musulmanes.

Il est essentiel de ne pas confondre la neutralité de l’État avec la neutralité des individus. Comme  le Conseil de L’État l’a rappelé en 2004 : la laïcité est un moyen dont la fraternité et le pluralisme sont une fin. Elle permet le vivre-ensemble dans le respect mutuel de nos différences et celui des lois de la République qui s’appliquent à chacun·e.

Les propos haineux, les agressions verbales et les violences physiques doivent ainsi être condamnés. Ainsi, la laïcité n’a jamais eu pour but d’exclure des femmes de la société, en référence à leurs pratiques vestimentaires, mais bel et bien de toutes les rassembler !

Concernant la loi du 15 mars 2004, qui interdit le port de signes religieux ostensibles dans les écoles, collèges et lycées publics, nous déplorons l’exclusion de jeunes filles qu’elle a induite. Mais dans une démocratie, n’est-il pas encore permis d’exprimer une opinion et critiquer les défaillances d’une loi sans tomber dans l’illégalité ?

3) “Lallab est proche des Frères Musulmans” ?

NON. Euh… Non. Lallab n’a aucun lien avec les Frères Musulmans, ni avec aucun autre parti politique et religieux. Petite question :  la proximité avec les Frères musulmans, elle est dans l’article  de notre magazine en ligne qui parle des troubles alimentaires compulsifs ? Dans ceux qui rendent hommage aux femmes entrepreneures ? Dans les événements inclusifs comme le festival féministe organisé en mai dernier ? Non, car nous persistons à chercher ce qui pourrait faire penser à un lien quelconque  mais nous ne trouvons toujours pas…

 

Ces accusations mensongères visent encore et toujours à délégitimer et diaboliser nos actions au quotidien. Nous ne cesserons de le répéter : Lallab est une association apartisane et areligieuse. Et non, parler des femmes musulmanes ne fait pas de nous une association musulmane/islamique.

Notre mission se concentre sur les vécus et expériences spécifiques des femmes musulmanes françaises ou vivant en France, mais notre démarche s’inscrit dans une optique bien plus large : notre rêve est de faire en sorte que TOUTES LES FEMMES ne soient plus jugées, discriminées ou violentées en raison de leur genre, de leur origine, de leur orientation sexuelle, de leur physique, ou encore de leur appartenance religieuse. 

4) “Lallab défend et soutient les femmes qui subissent des oppressions exercées par des musulman·e·s ainsi que les femmes forcées à être voilées en Iran ou dans les quartiers” ?

OUI. Lallab condamne les violences faites envers TOUTES les femmes, et ce, quelle que soit la forme de ces violences, les lieux où elles arrivent et par qui elles sont perpétrées ! Nous le répétons fermement : nous nous lèverons aux côtés de chaque femme contre tout ce qui ira à l’encontre de son libre arbitre et de ses libertés. Ainsi, contrairement à ce qui a souvent été affirmé, nous soutiendrons autant le combat d’une femme qui souhaite enlever le foulard, que celle qui fait le choix de le porter et de le garder ! Ces deux combats sont loin d’être incompatibles, la règle est simple : respecter et soutenir les femmes dans leurs choix et ne jamais céder à ce qui est contraire à leurs libertés.

Concernant les oppressions des femmes à l’étranger, en tant qu’association française, notre travail se concentre principalement sur le contexte français, ses spécificités et ses réalités. Nous n’avons pas vocation ni les ressources et encore moins la légitimité à lutter contre les violences commises à l’encontre des femmes dans le monde entier. Cela ne veut pourtant pas dire que nous ne les soutenons pas. Notons que les femmes sont victimes de violences partout dans le monde, et pas uniquement dans des pays à majorité musulmane, contrairement à ce que certains pensent. Le fait de nous renvoyer systématiquement à d’autres pays, lorsque nous parlons de la situation des femmes musulmanes en France, est une injonction raciste. Cela suggère, de façon insidieuse, que les musulman·e·s sont d’une certaine façon condamné·e·s à être étranger·e·s.

L’autre injonction à devoir uniquement parler du sexisme qui “règne dans les quartiers” laisse généralement sous-entendre plus ou moins subtilement que seuls les hommes qui y vivent sont coupables de sexisme et de violences envers les femmes. Rappelons que les violences faites aux femmes transcendent les classes sociales, les époques, les lieux, les religions et les cultures : en France, une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son conjoint. Cet article explique très bien à quel point le simple fait d’être une femme semble suffisant pour être menacée, agressée, voire tuée. La lutte contre le patriarcat et ses violences, si elle veut être efficace, doit se mener sur tous les fronts et se faire dans tous les espaces où il s’exerce, c’est à dire non seulement dans les quartiers mais également dans les entreprises, les espaces publics, les institutions politiques et gouvernementales, les médias etc.

Notre discours n’est pas de nier le sexisme existant chez les musulmans, il est de dénoncer son instrumentalisation à des fins racistes, là où nous tentons d’éradiquer toute forme d’oppression, à des fins féministes. À noter que cette instrumentalisation est d’autant plus grave qu’elle empêche des femmes, notamment mais pas uniquement musulmanes, de s’exprimer sur certaines violences qu’elles peuvent subir par peur de voir leurs paroles déformées et utilisées contre leurs proches. Au lieu de lutter contre les violences faites aux femmes, on en vient donc une fois de plus à les silencier.

5) “Lallab est homophobe” ?

NON. Lallab s’est toujours clairement positionné en faveur du respect et de l’égalité en droit de chacun·e, quels que soient ses identités de genre et ses orientations sexuelles et romantiques. L’idéal de Lallab est le suivant : une France dans laquelle chaque femme peut être elle-même sans peur d’être jugée, discriminée ou violentée du fait de son genre, physique, appartenance religieuse, orientation sexuelle ou origine.

 

6) “Lallab est anti-IVG” ?

NON. On le répète : Lallab est pro-choix. Elle est donc pour l’accès libre et gratuit à l’interruption volontaire de grossesse pour toutes les personnes qui le souhaitent. Nous affirmons : chaque femme a le droit de disposer de son corps comme elle l’entend !


7) “Lallab est une association communautariste” ?

NON. Lallab est ouverte à toute personne souhaitant s’engager à nos côtés et partageant nos valeurs. Ainsi, nous comptons parmis nos bénévoles des personnes musulmanes et non musulmanes, des femmes ainsi que des hommes !

Lallab n’est donc pas une association “de femmes musulmanes” : il suffit de voir les co-fondatrices de notre association : Sarah Zouak est musulmane et Justine Devillaine est athée, ou encore les membres de notre bureau ainsi que nos autres bénévoles.  Il n’y a pas besoin d’être une femme musulmane pour s’indigner des discriminations qu’elles vivent aujourd’hui en France, et pour vouloir changer les choses. Mais lorsque des femmes décident de s’auto-organiser avec leur allié·e·s pour être auteures de leurs propres récits, celles-ci sont systématiquement accusées de communautarisme.

De plus, il est nécessaire de rappeler que, comme l’explique le sociologue Fabrice Dhume, le concept de communautarisme est une chimère et ne renvoie à aucune réalité sociologique. Selon lui, “le discours du communautarisme s’invente donc des communautés pour mieux les stigmatiser. En effet, le mot sert unilatéralement à stigmatiser ethniquement (ou sexuellement, lorsqu’il est appliqué aux mouvements LGBT, aux demandes de parité femmes-hommes…) et à disqualifier politiquement des gens et leurs voix. Ce terme fait peser sur ces voix un soupçon essentialisant, celui de (com)porter par nature une menace sur « l’universalisme républicain »… lors même que les personnes et les groupes concerné.e.s exigent que le principe d’égalité ou de liberté régisse enfin l’espace public et l’action de l’État, et donc que cessent racisme, discrimination, stigmatisation et minorisation.”

Enfin, quand bien même Lallab ne serait composée que de femmes musulmanes, la critique n’aurait aucune légitimité, car comme le souligne très bien Rokhaya Diallo dans cet article, certaines personnes se rassemblent en raison de leur vécu similaire, marqué par des injustices. Cette solidarité a pour objectif de mieux faire face aux inégalités, avec pour espoir de rendre la société plus juste et inclusive. Les associations dites communautaires, même si elles peuvent avoir des espaces de non-mixité choisie, combattent donc ce “communautarisme”, dont le but est le séparatisme, empêchant ses membres d’être considérés comme complètement égaux aux autres citoyens, en raison de leur genre, état de santé, origines, religion, orientation sexuelle ou romantique…

Il est intéressant de noter que les attaques pour “communautarisme” concernent toujours les mêmes personnes, alors que l’on ne critique jamais en ces termes, voire pas du tout, la surreprésentation d’hommes des classes supérieures de plus de 50 ans dans les lieux de pouvoir (politique, médias, conseils d’administration d’entreprises). Ces dénominations sont loin d’être anodines et visent encore et toujours à diaboliser et délégitimer notre travail.

8) “Lallab est contre les féministes blanches” ?

NON. Dénoncer les limites du “féminisme blanc” n’est pas synonyme de s’opposer aux femmes ou féministes blanches, ni renier les combats qu’elles ont menés et les acquis qu’elles ont obtenus. Le terme blanc renvoie ici à un concept sociologique selon lequel il existerait une construction socioculturelle de l’identité blanche, en opposition à celles des différentes personnes subissant le racisme (les Noir·e·s, les Arabes, les Asiatiques etc.). Parler de “féminisme blanc”, c’est émettre une critique des féministes qui considèrent leurs opinions et leurs choix individuels comme universels, c’est-à-dire comme pouvant être imposés à toutes les femmes, sans prendre en compte les différences culturelles ou les différences de situations de femmes victimes en parallèle d’autres oppressions, comme le racisme par exemple. On peut ainsi être une féministe blanche sans faire de “féminisme blanc”.

C’est ici que l’intersectionnalité prend tout son sens : toutes les femmes peuvent être opprimées, mais en raison de l’intersection entre différentes caractéristiques relatives à leur statut social, leurs croyances, leur orientation sexuelle ou leur couleur de peau, certaines le sont également pour autre chose que leur genre. Chez Lallab, les bénévoles non-musulman·e·s sont les bienvenu·e·s. En revanche, on ne peut pas imposer une vision ethnocentrée et universaliste du féminisme. C’est ce qui rend cette association si belle et diverse : concerné·e·s et allié·e·s travaillent ensemble afin d’améliorer petit à petit ce monde, marqué par le sexisme et le racisme. Nous vivons et incarnons un bel esprit de sororité !

 

9) “L’ascension de Lallab est suspecte” ?

 

NON. Les raisons du succès d’un projet tiennent souvent à de nombreux paramètres, que les entrepreneur·e·s ne contrôlent pas forcément. Voici néanmoins quelques étapes qui ont pu permettre un développement si rapide de Lallab.

Avant de créer Lallab, Sarah Zouak a créé en février 2014 le Women SenseTour – in Muslim Countries, une série documentaire et un voyage de 5 mois dans 5 pays à la rencontre de 25 femmes musulmanes qui agissent toutes pour l’émancipation des femmes, voyages où Justine Devillaine l’a accompagnée. À leur retour en France, elles ont présenté leur projet et leur film lors de nombreux événements, à des partenaires, lors d’interventions en milieu scolaire, de conférences, ou encore du festival féministe. Ces différentes occasions leur ont permis de construire un réseau et de faire connaître leur travail. La création de Lallab marque donc l’évolution d’une démarche initiée depuis plusieurs années par ses fondatrices : déconstruire les préjugés en laissant la parole aux personnes qui en sont victimes. Comme de nombreux projets d’envergure, Lallab a nécessité un travail sans relâche et sans salaire des années durant. Et cela ne suffit pas ! Pour continuer à grandir, il a fallu fédérer et mobiliser. Si Lallab compte aujourd’hui plus de 250 bénévoles qui permettent la publication d’articles réguliers et les nombreuses actions mises en place, c’est car ce projet vient pallier un manque pour beaucoup : la représentation de personnes trop souvent invisibilisées. Mais cette fantastique émulsion créative réclame aussi une organisation considérable ! Les prix et subventions reçus ont permis de consolider cette force de travail émergente. L’ascension de Lallab est le résultat d’un parcours, de l’envie de faire œuvre commune de réflexions personnelles, et du soutien de personnes et structures convaincues, comme nous, de la pérennité d’un combat contre les stéréotypes.

10) “Lallab est financée à 98% par des mouvements intégristes mondiaux, une poignée de personnages obscurs et Casimir” ?

NON. Alors non, il n’y a pas de cagnotte secrète mise au service de Lallab pour conquérir le monde. Comme toute association loi 1901, nous pouvons mener nos actions grâce à différentes sources de revenu : dons, cotisations, subventions ou revenus propres. Notre premier bilan financier sera validé par l’Assemblée Générale qui se tiendra fin septembre 2017 et, comme la loi l’impose, sera alors disponible pour les personnes souhaitant le consulter.

11) Les attaques violentes et répétées contre Lallab sont-elles révélatrices du travail qu’il nous reste à accomplir ?

OUI. Rédiger cette FAQ est la preuve encore une fois que nous devons sans cesse nous justifier sur nos actions et nos valeurs. Ces injonctions incessantes à l’explication et l’argumentation sur le bien-fondé de nos missions et cette sommation à la “pureté militante”, sont pour nous des pertes de temps et d’énergie considérables qui ont des conséquences sur notre santé et notre travail quotidien pour les droits des femmes.

Nous avons la ferme volonté de continuer à travailler avec tou·te·s nos bénévoles pour faire grandir nos projets et voir nos objectifs se réaliser. Nous ne nous laisserons jamais ni silencier ni intimider et nous continuerons de porter nos voix et nos récits pour une société plus juste et plus inclusive toujours dans un esprit de sororité engagée, plurielle et bienveillante !

Nous laisserons le mot de la fin à Amandine Gay, avec une phrase tirée d’une interview sur Slate.fr, qui résume parfaitement la situation dans laquelle Lallab se trouve aujourd’hui : « Comme le dit Toni Morrison, l’une des fonctions du racisme, c’est de t’empêcher de vivre ta vie, de faire ton travail. Pendant que tu es en train de réagir à des agressions, tu n’es pas en train d’agir et de créer. C’est comme si on était poussé dans une impasse : parce qu’on vit dans une société raciste, au lieu de réfléchir à des enjeux sur lesquels on aimerait se mobiliser, on se retrouve à répondre à des insultes. La question est : est-ce que je veux passer ma vie à y répondre ou créer du contenu ? » »

 

Lallab a fait son choix.

droit de réponse à l’islamopsychose

Réflexions sur un texte de Delphine Horvilleur, trouvées sur le site Les mots sont importants.

par Lilim
16 août 2017

Habituellement, je ne lis pas les articles de BibliObs. Ayant croisé cet article « Je choisis librement de me voiler : les limites du féminisme religieux » de multiples fois, ici et là, j’ai finalement décidé de lui accorder une chance. A tort : quelle déception…

Au début, je n’ai pas compris l’intérêt que ce texte a suscité. Il a pour seul effet de nourrir « l’islamopsychose » et de dicter avec arrogance aux femmes musulmanes la bonne manière d’être féministes. Il est truffé de contre-vérités et de relents néo-coloniaux. Et puis j’ai découvert que l’auteure, Delphine Horvilleur, était en fait une féministe de renom. Dommage pour moi : il faut croire que je ne suis pas tombée sur son écrit le plus brillant. Dommage pour nous toutes : cette femme aurait pu être solidaire des femmes musulmanes, elle a préféré les trahir.

Je vais m’arrêter ici sur sept moments de cet article, et m’amuser à les décortiquer, mais avant tout laissez moi me présenter en quelques mots, pour préciser d’où je parle : je suis franco-tunisienne, de confession musulmane, fille d’immigrés, et je porte le foulard.

1. « Le scénario est connu et trouve fréquemment le chemin des plateaux télés. Une femme à la tête couverte, généralement élégante, cultivée et se disant « féministe », est invitée à témoigner devant un homme politique, un journaliste ou un intellectuel. »

Le scénario auquel l’auteure fait ici référence, c’est « l’Emission Politique » sur France 2 qui a donné la parole à Attika Trabelsi face à Manuel Valls en janvier dernier. Il faut croire que l’on ne regarde pas la même télé, car ce scénario est plutôt unique en son genre, ce n’est en tout cas pas le chemin le plus courant que prennent les médias. J’ai tout de même ardemment cherché dans ma mémoire… Mais non, à l’exception de la sociologue Hanane Karimi qui, telle une justicière, prend de son temps pour porter dans le débat public une voix dissonante parce que féministe et décoloniale, je ne retrouve aucune autre femme qui soit conforme à cette plaisante description et que la télévision se plairait à inviter. Personnellement, dans mon fil d’actualités, le seul média dominant qui, suite à l’affaire burkini, a eu le bon sens de donner la parole aux premières concernées, femmes françaises de confession musulmane, c’est le New York Times – qui, « obviously« , n’est pas français. Et si certains médias écrits comme Mediapart ou Slate ont publié sur le sujet des articles de fond objectifs, et de qualité, et si enfin Libération a ouvert ses colonnes à une (remarquable) tribune de Karima Mondon, on ne peut guère en dire autant des grands médias audiovisuels, et même de la grande presse.

2. « Cette femme dit « JE », et pourtant il y a comme un malentendu : y résonne étrangement le « NOUS » de revendications communautaires, la voix de groupes identitaires qui s’abritent derrière l’histoire individuelle. »

Alors attention, c’est ici, avec ce délire je / nous, que commence « l’islamopsychose ». Le « je » cacherait en fait sournoisement un « nous ». Cette femme serait tout autant une agente du « nous », qui veut s’imposer dans « notre » société, qu’une victime du « nous », qui lui soustrait son autonomie individuelle. L’auteure nous précise plus loin qu’il y a « pression d’un NOUS collectif, qui imposerait les codes ou les dogmes d’un « groupe » d’appartenance ». Je vais vous révéler un petit secret : l’auteure a raison ! Il semble bien qu’il y ait un « nous » qui s’abrite derrière Attika Trabelsi. Mais désolée de vous décevoir : ce « nous » n’est pas une horde d’hommes musulmans monstrueux qui veulent imposer le voile à toutes les femmes du monde. Ouvrez grands vos yeux : le « nous » caché derrière Attika Trabelsi, c’est en fait l’association Lallab, une association lumineuse, de femmes brillantes, déterminées et enthousiastes, voilées et non voilées. Cette association défend le droit de chaque femme à s’auto-déterminer et met en lumière le récit de la diversité des femmes musulmanes en France.

3. Selon l’auteure, nous considérerions que la laïcité « empêche des femmes (ou des hommes) de dire JE, et d’être des sujets pleinement aux commandes de leur existence, des individus capables de décisions autonomes ».

Nous serions donc contre la laïcité. Petites rectifications, madame l’auteure. D’abord, personne dans ce débat n’a jamais déploré que la laïcité empêche de dire « je » ! Je ne sais pas où vous avez trouvé cette idée saugrenue. Je dénonce assurément tout un tas d’individus qui considèrent que je suis influencée par le « groupe » dans mon choix de porter le foulard, je revendique donc la capacité de dire que « je » suis maîtresse de mes choix, indépendamment du groupe. Mais ceci n’a rien à voir avec la laïcité. Là, j’avoue, je ne comprends pas votre logique.

Ensuite, je considère tout comme vous que la laïcité garantit bel et bien pour un individu « la possibilité, quelles que soit ses croyances, ses ancrages ou sa culture, d’exister et de parler dans l’espace public », et je déplore bel et bien qu’une entrave soit faite à cette possibilité, mais je considère que cette entrave n’est en aucun cas la laïcité : c’est plutôt l’instrumentalisation qui en est faite, et la promotion d’une « nouvelle » laïcité falsifiée, dévoyée de son sens premier. Cette « nouvelle » laïcité s’est traduite par exemple par la loi de 2004 qui a exclu des jeunes filles portant le foulard de l’éducation, ou par les arrêtés municipaux anti-burkini qui ont chassé de la plage des femmes couvertes. Les sages du Conseil d’Etat, plus haute juridiction administrative française, se sont d’ailleurs prononcés contre ces deux mesures anti-laïques.

4. « Ces femmes qui disent légitimement « Je suis un sujet de plein droit, autonome et souverain dans sa décision » ont raison de l’affirmer mais elles oublient de dire qu’elles le sont grâce à la République… »

Voici une phrase qui place l’auteure, au moment où elle ose l’écrire, dans une posture néo-coloniale stupéfiante. Quelle arrogance ! Cette phrase nous ramène à l’époque de la République française coloniale, qui se donnait pour « mission civilisatrice » de sauver les femmes musulmanes du patriarcat arabe dans ses colonies (la réalité impérialiste n’étant bien sûr rien d’autre qu’une instrumentalisation du féminisme pour justifier l’exploitation de ressources étrangères). Demanderait-on aujourd’hui à une femme blanche, non musulmane de se montrer reconnaissante envers la République qui lui offre si généreusement d’être libre et autonome ? Cette phrase de l’auteure sous-entend que la République viendrait hisser les pauvres femmes musulmanes soumises à un statut de sujet de plein droit, autonome et souverain dans ses décisions. Il me paraît opportun de rappeler que cette République n’est pas de manière innée garante des droits des femmes, que celles-ci ont au contraire dû se battre – et qu’elles se battent encore – pour les conquérir. Dans cette si belle République qu’il nous (femmes musulmanes) faudrait vénérer, il existe encore des inégalités de salaire homme / femme, des violences conjugales meurtrières, des viols / harcèlements, des représentations extrêmement dégradantes de la femme dans la publicité, les jeux vidéos, le cinéma, les clips musicaux…

Et non, dans notre cas ici, ce n’est précisément pas « grâce à la République » que nous existons comme sujets autonomes, puisque bien au contraire, les représentants de la République nous dénient le droit de porter le foulard, donc le droit de disposer de nous-mêmes – et c’est justement pourquoi nous devons, contre eux, le réaffirmer !

Quant aux interprétations de notre tradition religieuse, il existe effectivement des oppressions faites aux femmes de manière abusives au nom du religieux. Mais de là à dire comme l’auteure que ces interprétations feraient « toujours » du féminin « le genre de la dépendance, de l’éclipse ou de la soumission », c’est absolument essentialiste, et complètement faux.

5. « La liberté de sujet que ces femmes revendiquent les oblige, comme elle oblige chacun d’entre nous, à exiger que d’autres y accèdent. Ne pas le reconnaître est un refus de responsabilité. »

Sous-entendu : on ne défendrait peut-être pas assez le droit des femmes à ne pas porter le foulard. Bon, j’ai compris avec le temps qu’il n’est pas nécessaire de s’acharner à s’innocenter de points de vue ou d’attitudes qu’on nous attribue arbitrairement, parce que nos paroles tombent dans des oreilles qui ne les entendront jamais, parce qu’elles ne le veulent pas. On a affaire en fait, à nouveau, à une injonction néo-coloniale de l’auteure : on a le droit de revendiquer notre liberté de sujet, mais ce droit est soumis à conditions ! L’auteure nous oblige à nous positionner en retour de ce droit. Ah non, pardon : ce n’est pas seulement « nous » les femmes musulmanes portant un foulard qui sommes obligées, mais « chacun d’entre nous » c’est-à-dire tout le monde… même si l’auteure nous fait l’honneur d’un article rien que pour nous ! Dans ce cas, elle pourrait écrire aussi un texte spécialement adressé aux politiques, pour exiger d’eux qu’ils reconnaissent la liberté de sujet des femmes musulmanes, et leur droit de se vêtir comme elles le veulent. Elle l’a peut-être déjà fait, je lui accorde le bénéfice du doute – un petit doute…

6. « Voilà ce qui continue de m’étonner quand j’entends ce discours « féministe religieux » : il exige de la République ce qu’on n’entend pas ces femmes exiger de la pensée religieuse, à savoir la possibilité d’y être entendues et autonomes, en possession de leur corps, sujets dans la discussion et pas sujets de discussion, capables d’interpréter le texte et de condamner la violence exercée en son nom contre les femmes. »

A nouveau une contre-vérité incroyable ! Il est étrange que les voix nombreuses et diverses du féminisme musulman, qui s’élèvent partout dans le monde contre les autorités politiques et religieuses bafouant le droit des femmes, ne soient pas parvenues aux oreilles de l’auteure, alors même qu’elle se vit elle même comme féministe et religieuse, féministe juive. Hmmm ! Quant à « nous », je nous renvoie à l’ouvrage Féminismes islamiques de la sociologue Zahra Ali.

7. « Elles oublient de rappeler qu’aujourd’hui encore, bien des femmes sont menacées par les traditions religieuses, précisément quand elles essaient d’exercer cette autonomie de sujet, et que dès lors, le « féminisme » qu’elles revendiquent les engage, notamment à reconnaître que certains vêtements ou certains rites sont « chargés » de la douleur de celles à qui on dénie ce statut d’individu souverain. »

L’oppression que l’on fait subir à une femme en la forçant à porter le foulard est aussi « douloureuse » que l’oppression que l’on fait subir à une femme en la forçant à retirer le foulard. En faisant longuement référence aux femmes qui souffrent d’une oppression faite au nom du religieux, c’est comme si l’auteure tentait ici de rendre illégitime la revendication du droit de celles qui souhaitent s’émanciper par le religieux. Sincèrement, je n’irais pas jusqu’à dire que l’auteure instrumentalise la souffrance de certaines femmes pour justifier la discrimination d’autres femmes, mais j’affirme tout de même qu’il y a deux types de discours : ceux qui condamnent clairement toutes les oppressions et ceux qui zigzaguent pour justifier la stigmatisation et discrimination des femmes musulmanes qui choisissent de se couvrir.

Et voilà comment BibliObs publie oklm ce type de propos. Liberté d’expression me dira-t-on. Soit, double soit, mais alors liberté d’expression pour tout-t-es ! Que la parole publique soit offerte aux différentes voix de manière égalitaire ! J’espère que BibliObs publie des avis contradictoires, pour donner à ses lecteurs et lectrices une vision un peu plus globale, et alimenter leur esprit critique plutôt que leur « islamopsychose ». Ceci dit, cet article repose peut-être sur un concept philosophique du « je/nous » qui n’est pas à la portée de mon intelligence ! A l’heure où j’écris cette réponse, cet article a quand même reçu l’approbation de milliers de likes sur Facebook, donc comprenez que je sois perplexe – je suis peut-être passée à côté de quelque chose de transcendant !

Bien à vous, qui m’avez lue jusqu’au au bout.

PS : Je dis « je » dans mon texte, alors je vous rassure : c’est bien « je » qui s’exprime. Mais bon, méfiez-vous quand même ! Dieu Seul sait : je cache peut-être un « nous » qui pense comme moi que l’article de Delphine Horvilleur est ridicule et qui en a marre d’entendre parler tout le temps du voile, ce faux problème créé pour nous détourner des vraies questions [1].

Pas au nom du féminisme !

 Qui seraient les personnes visées par une telle loi ? Des femmes, majeures, musulmanes. Il s’agirait donc de discrimination sexiste. Au nom du féminisme. Pour résumer : les partisans de cette proposition prônent une loi qui viserait finalement à exclure du système éducatif ces femmes qu’ils prétendent vouloir défendre !
Comme le soulignent les universitaires à l’origine d’une lettre ouverte à Mme Boistard, (qui a reçu l’appui de plus de 1 800 universitaires à ce jour et à laquelle je me suis associée, en tant qu’universitaire et féministe – lire le texte de cette lettre ci-après), cette dernière ne peut ignorer que depuis plus de dix ans, la question du voile «n’a fait qu’instrumentaliser à moindres frais les droits des femmes au profit de politiques racistes, aux relents paternalistes et colonialistes». Ni que la laïcité, c’est l’interdiction du port de signes religieux pour les agents de l’Etat et non pour les citoyens auxquels la loi garantit, par contre, la liberté de culte.

C’est à ce titre que l’exclusion des filles voilées de l’école primaire avait été condamnée par le Conseil d’Etat, lors de la première «affaire du voile» en 1989, comme une forme de discrimination religieuse contraire au principe de laïcité garanti par la Constitution. L’évolution du contexte sociopolitique et la progressive fabrique du «problème musulman» (1) ont rendu possible la remise en cause de cette décision par la loi de 2004 qui interdit le port de signes religieux dans les établissements primaires et secondaires publics. Et l’on assiste, depuis, à une progressive exclusion des femmes portant le foulard de la sphère scolaire et économique (des employées de crèches privées subventionnées, aux mères d’élèves interdites d’accompagner les sorties scolaires par la circulaire Châtel de 2012), au nom d’acceptions toujours plus extensives de la «mission de service public».

La proposition d’interdiction du voile dans l’enseignement supérieur correspond ainsi à une étape supplémentaire du processus de discrimination légale par capillarité analysé par les sociologues Hajjat et Mohammed (1). Si elle a été désavouée par M. Valls (pour l’instant), elle n’en porte pas moins la potentialité d’un racisme et d’un sexisme d’Etat.

Mais d’où vient, et à quoi sert, cette proposition ? Elle n’est pas issue de la communauté universitaire qui n’a jamais constitué cette question en «problème», contrairement à celles du harcèlement sexuel et du sexisme à l’université, de la casse des services publics d’enseignement, de la fermeture des services sociaux et médicaux à destination des étudiants ou encore de l’absence de crèches dans les universités, rappelées dans la pétition susmentionnée.

Ce n’est donc pas dans le champ académique que se situe la genèse de cette proposition de loi, mais dans le champ politique et dans la concurrence qui s’y joue entre professionnels de la politique. Mme Boistard reprend cette proposition, à quelques semaines des élections départementales, à certains ténors de la droite, à des fins électoralistes à peine voilées (sans jeu de mots) : en préemptant la thématique de la stigmatisation des musulmans à ses adversaires (la droite l’ayant déjà reprise au FN), le PS espère récupérer des voix auprès d’un électorat qui ne lui est pas traditionnellement acquis. On ne peut que souscrire au constat d’une déshérence idéologique profonde du PS – analysé dans les travaux de Rémi Lefebvre sur le PS (2) – dans un contexte où cette «gauche» a abandonné ses valeurs et propositions (quid du vote des étrangers aux municipales ? de la PMA ? de la renégociation du traité européen pour privilégier la croissance et l’emploi ?) pour se ranger à l’austérité.

Alors, s’il vous plaît, Mesdames et Messieurs les membres du gouvernement, ayez au moins la décence de ne pas dissimuler vos errances électoralistes sous le voile du féminisme ! Et n’allez pas crier au loup au soir du 22 mars si d’aventure le FN venait à faire un score élevé : vos politiques d’austérité et de stigmatisation des jeunes des quartiers populaires font le lit de l’extrême droite qui a toujours prospéré sur la misère sociale et la recherche d’un ennemi intérieur, que vous leur servez là, sur un plateau d’argent.

(1) «Islamophobie. Comment les élites françaises fabriquent le « problème musulman »», par Abdellali Hajjat, Marwan Mohammed, La Découverte, 2013. (2) «Les Primaires socialistes : la fin du parti militant», éd. Raisons d’agir, 2011.

Julie Pagis est chercheure en sociologie politique au CNRS.

Lettre ouverte à la Secrétaire d’Etat aux droits des femmes – Madame Pascale Boistard, Secrétaire d’Etat déléguée aux droits des femmes : Non à l’interdiction du voile à l’université – 7 mars 2015

Madame la Secrétaire d’Etat déléguée aux droits des femmes,

Nous appartenons à la communauté universitaire et sommes toutEs en charge d’une mission de service public qui, au-delà de la formation, de l’enseignement supérieur et de la recherche, participe à construire un espace démocratique qui au jour le jour s’invente comme un espace de dialogues, de débats ; un espace traversé d’antagonismes (y compris avec nos présidences et conseils d’administration), mais aussi de solidarités, un espace ouvert sur le monde dont nous héritons en commun, une agora qui se recrée à chaque heure dans nos amphis, dans nos « cafèts », sur nos parvis ou les murs de nos campus, et ce, malgré les conditions matérielles déplorables qui sont celles de nos institutions. S’il y a bien un lieu dans notre République, où la liberté de pensée et d’expression, ou plutôt, le droit de cité se vit ici et maintenant, c’est encore au sein des universités – et même les tentatives qui ont visé à mettre à mal cette liberté autogérée (en envoyant ces dernières années les forces de l’ordre traditionnellement interdites dans nos espaces en cas de conflit, de contestation ou d’occupation), ne sont pas parvenues à nous désespérer de penser la complexité du monde social et les enjeux du vivre en commun, comme à en expérimenter les conditions possibles.

Or, vous ne pouvez ignorer que depuis plus de dix ans le voile, sur lequel vous vous exprimiez encore récemment, est une question qui n’a fait qu’instrumentaliser à moindres frais les droits des femmes au profit de politiques racistes, aux relents paternalistes et colonialistes – définissant pour les femmes de bonnes manières de se libérer, blanchissant une partie des associations féministes en les dédouanant de s’engager contre le racisme y compris dans leurs propres rangs et, inversement, en permettant à des associations dites « communautaires » d’assimiler le féminisme au bras armé de vos politiques islamophobes. La classe politique et votre parti, en exposant aux discriminations les plus brutales des femmes portant le voile (lynchages de jeunes filles, de femmes enceintes et de mères, discriminations à l’embauche, exclusions des écoles publiques, etc.), a fait le lit des nationalismes et doit être tenu pour responsable d’une situation de tension sociale sans précédent.

Vous avez déclaré, en tant que secrétaire d’Etat aux droits des femmes, être « contre le voile à l’université ». Indépendamment de l’inactualité nauséabonde d’une telle prise de position, comment pouvez-vous, « au nom des droits des femmes », vous exprimer contre la liberté et l’égalité entre toutes les femmes ? Comment pouvez-vous considérer qu’il serait pertinent dans ce cadre d’exposer une partie des étudiantes aux rappels à l’ordre des instances dirigeantes des universités ou de quelques mandarins en mal de « mission civilisatrice », pourvus d’un droit discrétionnaire à exclure et à réglementer un droit de cité inaliénable et non négociable ?

Vous acceptez ainsi d’être la porte parole – non pas des femmes – mais d’entrepreneurs de leur seule carrière politique et médiatique, pourvoyeurs de haine et de fantasme. A l’opposé d’une telle rhétorique, en tant que Secrétaire d’Etat déléguée aux droits des femmes, votre mission et votre responsabilité, si vous souhaitez vous intéresser à l’université, seraient pourtant des plus nobles mais aussi des plus considérables : depuis des années, aucune politique publique n’a souhaité financer à hauteur de nos besoins un véritable plan national de lutte contre le harcèlement sexuel et le sexisme à l’université, aucune action efficace, pérenne, n’a visé à lutter contre les exclusions et la paupérisation des étudiantEs ou des personnels administratifs – qui sont en grande majorité des femmes, et qui assurent au jour le jour nos conditions d’études.

Vous voulez œuvrer pour le droit des femmes à l’université ? Remettez en place un service de médecine universitaire digne de ce nom à même de fournir une information et des soins notamment relatifs aux droits reproductifs toujours plus menacés par la « crise » ; assurez-vous que les services sociaux à destination des étudiantEs et des personnels ne soient pas systématiquement la première ligne budgétaire que nos présidents et CA suppriment, que des transports publics desservent nos campus dans des conditions acceptables et que des logements décents pour étudiantEs soient construits en nombre suffisant, ou même, ouvrez des crèches dans nos universités pour permettre à toutes les femmes de venir travailler, étudier et se former.

Enfin, vous voulez discuter des droits des femmes, de liberté, d’égalité ? Des questions de genre, des droits des minorités sexuelles et raciales, des rapports sociaux tels qu’ils s’articulent aux politiques néolibérales de destruction des services publics et de privatisation des biens communs (qui transforment le savoir en marchandise par le biais de politiques que le PS relaie depuis des années) ? Venez dans nos cours et nos séminaires, dans nos départements, nos équipes de recherche, écoutez les enseignantEs, les étudiantEs, voiléEs, pas voiléEs, qui débattent, construisent ensemble une pensée critique à même de servir les connaissances qui nourriront les bibliothèques de demain comme les luttes menées en commun pour faire advenir un monde meilleur dont vous semblez avoir déjà fait le deuil.

Le 6 mars 2015

Pour signer : https://www.change.org/p/madame-pascale-boistard-secrétaire-d-etat-déléguée-aux-droits-des-femmes-lettre-ouverte-à-la-secrétaire-d-etat-aux-droits-des-femmes?just_created=true

Langues de fronde, émission de février 2015 sur l’islamophobie

émission de février sur l’islamophobie

Un grand merci à nos 2 invitées Ismahane et Kenza.

 

début de bibliographie :

  1. Les filles voilées parlent. ouvrage coordonné par Ismahane Chouder, Malika Latrèche & Pierre Tevanian aux éditions la fabrique, 2008. Face à la confiscation de la parole des premières concernées, voici un recueil de paroles des jeunes filles concernées par la loi de 2004 sur l’interdiction du port du voile à l’école ainsi que par ses conséquences à l’université, dans le milieu professionnel, dans le militantisme,…
  2. Un racisme à peine voilé. film documentaire, 2004. Retour sur l’exclusion des filles voilées de l’école. Avec entre autre les interventions de Pierre Tévanian (collectif Les Mots Sont Importants) et de Nacira Guenif-Souillamas (sociologue)

musiques :

  1. La cible de Ryaam
  2. Al Kufiyyeh arabeyyeh de Shadia Mansour (rappeuse américaine et palestinienne.

Pour écouter, cliquer ici: 04 ldf09-02-2015.mp3.

Désigner la dissimulation, figure de l’islamophobie | L’image sociale

valeursactuelles_niqabVoici un excellent article qui montre comment est utilisée l’image de la femme, voilée ou dénudée, au service de l’islamophobie: Désigner la dissimulation, figure de l’islamophobie | L’image sociale. On peut aussi lire les intéressants commentaires qui suivent – à propos de la légitimité de la comparaison entre islamophobie d’aujourd’hui et antisémitisme des années 1930…

« Personnages » et « dérapages » – Les mots sont importants lmsi.net

Le mardi 30 septembre 2014, l’Institut d’Études Politiques d’Aix-en-Provence a été le théâtre d’une agression verbale raciste de la part d’un enseignant ayant conduit une jeune femme portant un foulard, accusée d’être « le cheval de troie de l’islamisme », à quitter l’amphithéatre au sein duquel elle suivait son cours. Elle n’a donc pas été exclue à partir d’une loi ou d’un règlement intérieur mais exclue de fait par la volonté d’un acteur éducatif. Le traitement médiatique de cette agression, joliment requalifiée en « incident » ou « accrochage », en simple « dérapage » de la part d’un « personnage », voire en « altercation entre un professeur et une étudiante » [1], met en lumière plusieurs formes de dominations, et tout simplement une remise en cause de la légitimité de la présence en France d’une frange de la population.

le texte intégral de cet article se trouve ici : « Personnages » et « dérapages » – Les mots sont importants lmsi.net.

« Oui mais quand même, la religion c’est mal »

« Oui mais quand même, la religion c’est mal. » Montée de l’islamophobie et banalisation du fémonationalisme.

Voici un article de Mona Chollet sur son site Périphéries. Le début donne le ton : « Relayer l’information de la énième agression d’une femme voilée, ou les propos haineux tenus sur l’islam par la représentante d’une organisation pseudo-féministe, revient immanquablement à emboucher l’appeau à trolls religiophobes. Que des femmes soient insultées et tabassées, que le féminisme serve de leurre pour répandre et banaliser le racisme le plus crasse, tout cela, le/la religiophobe s’en moque : dans un pays où médias et politiques, de façon plus ou moins insidieuse, désignent à longueur de temps les musulmans comme la cause de tous les maux de la société, son seul sujet d’anxiété est que son droit à « critiquer la religion » soit garanti. Pour l’exprimer, il usera de subtiles gradations dans la virulence, de la simple protestation à l’éructation scatologique probablement censée traduire la hauteur à laquelle il plane dans l’éther philosophique inaccessible aux benêts qui voient du racisme partout : « Moi, je chie sur toutes les religions. » » Voir tout le texte par ici : http://www.peripheries.net/article335.html