Cet article est extrait du blog Chroniques d’une sage femme désœuvrée.
Le « point du mari »
Lorsqu’on est désœuvrée, on a tendance à passer beaucoup de temps sur les réseaux sociaux, histoire de ne pas rompre le contact avec le monde de la santé et ses consœurs et confrères. C’est pourquoi j’ai été une des premières au courant de cette histoire de Point du Mari.
Née d’une anecdote racontée par une collègue et qui a choqué bon nombre d’entre nous, cette histoire a quitté le sphère « intime » de la page privée pour se répandre sur le net lorsque Agnès Ledig, sage-femme et auteur, a utilisé sa plume pour mettre des mots sur cet acte. (Vous pouvez trouver le texte ici) L’indignation, l’horreur, la méfiance se sont répandus à vitesse grand V sur la toile et parmi les groupes de femmes, de parents, de professionnel de la santé. (#PointDuMari sur Twitter)
Parmi ces derniers, nombreux sont ceux qui ignoraient cette pratique (heureux soient-ils !) et nombreux également à ne pas comprendre comment cela pouvait exister et pourquoi d’autres laissaient faire sans rien dire. Je vais essayer de répondre à ces deux questions.
Je vais commencer par vous narrer comment on m’a appris la suture dans mon école de sages-femmes, en vous précisant que ce sont des cours assurés par une sage-femme et qu’elle nous apprend donc ce qu’elle a elle-même appris. Il est donc évident que d’une sage-femme à l’autre, d’une école à l’autre, le contenu de ce cours est très varié.
Dans mon cas, le cous a été très technique : « on suture tel plan avec tel plan, on s’assure de la conformité anatomique ». Au cours de son exposé, la sage-femme a ajouté « et si besoin, on peut parfois rajouter un point en plus pour atténuer la béance vaginale consécutive à l’accouchement ». Rien de bien précis, nous sommes ensuite passés sur nos blocs de mousse pour nous entrainer à tenir nos pinces et faire nos nœuds.
Autant dire que lorsque j’ai assisté à ma première reprise de suture, je découvrais un monde complètement nouveau.
J’ai finalement appris à suturer avec différents maitres :
– le plus souvent, on m’apprenait à « serrer suffisamment pour que ça tienne mais pas trop pour que cela ne lui fasse pas mal ». Dans ces cas-là, personne pour nous préciser si l’on parlait de douleurs post-partum ou plus tardives, liées à l’accouchement ou à la sexualité et dans ma grande candeur de cette époque, je ne m’étais pas particulièrement posée la question.
– d’autres préconisaient de « bien serrer pour pas que ça lâche ». Alors, je serrais. Et comme mon stage ne me permettait pas toujours de revoir mes patientes, j’ignorais alors quel avait été leur vécu par la suite.
– enfin, certains rajoutaient ce fameux point évoqué en cours, avec parfois, pas toujours, une remarque plus ou moins anodine : « Monsieur appréciera ». Dans ma grande candeur (bis), là non plus je ne posais pas de question.
Aujourd’hui, on pourrait s’étonner de mon manque de réaction.
Il venait en premier de ma grande ignorance personnelle des relations sexuelles. Je n’avais aucune expérience pratique de ce genre de choses. Je ne connaissais donc pas ces douleurs qui peuvent arriver au cours d’un rapport, quelle était la part du masculin et du féminin, la part du psychique et du physique. Candide et innocente j’étais.
Le programme scolaire ne m’aidait pas non plus. En effet, la sexologie n’était abordée qu’au cours de la dernière année d’étude. Je suturais donc depuis plus de trois ans déjà des périnées lorsqu’on m’a parlé pour la première fois de ces conséquences.
Ensuite, il faut comprendre qu’au cours de nos stages, je voyais beaucoup de périnées… mais des périnées fraichement « accouché ». Je n’avais comme vision de la normalité que ces vulves béantes d’avoir laissé passer un enfant. Ce n’est là aussi qu’en dernière année que j’ai pu découvrir d’autres périnées, lors de mon stage (optionnel) chez une sage-femme libérale qui pratiquait la rééducation du périnée.
Tout ceci cumulé faisait que, finalement, ce point de resserrage pour rendre un peu d’étroitesse à un vagin ne me choquait pas plus que ça et me paraissait presque logique.
Il faut également ajouter un autre facteur : l’ambiance dans les maternité était à l’obéissance. Évidemment en tant qu’étudiante mais même plus tard, lorsqu’un médecin (ou quelqu’un ayant plus d’expérience que moi) me disait de faire un point en plus, j’obéissais, me disant que si cela m’était demandé, c’est que c’était nécessaire.
Les femmes étaient également dans cette optique, accouchant sur le dos bien gentiment, acquiesçant à tout ce qu’un professionnel de santé, un « sachant » leur disait.
Tout ceci pour expliquer pourquoi « nous laissions faire ».
Depuis, les choses ont changé. J’ai pour ma part évolué, pris du recul sur ma pratique et ses conséquences, perdu mon innocence et ai compris ce qui était le plus important : la femme, et qu’elle était la mieux placée pour me dire ce qui lui convenait, à elle.
Les femmes également ont changé, demandant à être partie prenante de leur accouchement.
La physiologie et le respect ont réinvesti les salles d’accouchement.
Voilà pourquoi aujourd’hui une telle affaire peut éclater, parce que la parole des soignants et des femmes s’est libérée.
Pour autant, il reste notre première question : pourquoi certains se sont autorisés à pratiquer ce fameux point ?
Est-ce par ignorance comme c’était mon cas ? Peut-être. Mais lorsque l’on se permet de rajouter ce fameux « monsieur appréciera » c’est qu’il y a une autre volonté.
Un « madame appréciera » aurait pu traduire une vraie maladresse, la pensée que ce point allait aider les femmes dans leur sexualité future. Oui, même si ce n’était pas le cas, mais au moins, l’intention aurait pu être bonne.
Or, non, c’est Monsieur qui est censé apprécier la nouvelle anatomie de sa compagne. Et le dire ainsi, c’est bien sous-entendre que la sexualité de l’homme est supérieure à celle de la femme. Et que le corps de la femme n’est là que pour son bon plaisir, son bon vouloir. Quitte à le mutiler comme c’est le cas lorsqu’on pratique ce « point du mari ».
Je ne suis pas sociologue, je ne m’aventurerais pas à faire une analyse poussée de ce qui est manifestement de la misogynie. Je vais plutôt me pencher sur la vision de la médecine.
Lorsqu’on évoque le cas du « point du mari », c’est explicitement la sexualité de la femme qui est niée. Mais si l’on se penche sur les actes médicaux effectués sur les femmes en général, c’est carrément leur identité qui est bafouée.
Certains professionnels de santé parlent aux femmes comme si elles étaient des enfants « Quoi ? Un stérilet ? Vous n’y pensez pas ! »
Certains professionnels de santé se permettent des actes qu’ils n’aimeraient pas qu’on leur fasse « je vous fais le toucher vaginal pendant que mon interne vous prend la tension, on perd moins de temps » (le sous-entendu étant limpide, on perd son temps à examiner une femme ou à lui prendre la tension donc autant tout faire en même temps, sans le moindre respect pour ce que ce mépris inspire à la patiente, devenue un véritable objet – sans parler de l’objectivité d’une tension prise dans de telles conditions).
Certains professionnels de santé ignorent tout bonnement l’affect de leurs patientes « mais non, je vous fais pas mal en vous examinant, et pis bon, après tout, faut bien que je vois comment est placé ce bébé, serrez les dents voyons ! ».
Certains professionnels de santé oublient la base de la médecine à savoir le libre consentement des patients « quoi ? vous ne vouliez pas d’épisiotomie ? Ah, mais je vous en ai fait une de toute façon »
Certains professionnels de santé vous demandent de vous mettre complètement nue pour un simple prélèvement vaginal.
Certains professionnels ne suivent pas les recommandations de la Haute Autorité de Santé (référence donc) parce que eux, pensent différemment. Et les femmes se retrouvent donc avec des frottis tous les ans à partir de 15 ans. Ou d’autres se voient retirer leurs seins à 85 ans, subir une chimiothérapie et ses horreurs parce qu’un professionnel de santé aura outrepassé les recommandations et décidé de pratiquer une mammographie malgré tout.
Ceci n’étant que des exemples parmi d’autres.
Comment, pourquoi des professionnels de santé, qu’ils soient homme ou femme, osent-ils se permettre ce genre de comportement ?
Parce que c’est ce qu’on nous enseigne pendant nos études : nous sommes l’élite, nous soignons des gens, nous sauvons des vies, donc nous pouvons nous permettre de juger ce qui est bon ou ne l’est pas. Quitte à être maltraitant. Quitte à être misogyne.
Parce que c’est ce que nous « demande » la société (ou du moins ce qu’elle nous demandait jusque il y a peu de temps). Le médecin était considéré comme un notable, à l’égal du curé ou du maire. Aujourd’hui, la pénurie dans certaines régions fait qu’il n’y a plus de réel choix du praticien ou alors que le délai pour un rendez-vous est tellement long qu’on est prêt à se plier à tout pour pouvoir être pris en charge, fusse à notre propre détriment.
Cela touche plus les femmes que les hommes car trop longtemps, elles, nous avons été infantilisées et diminuées.
Il est aujourd’hui temps d’ouvrir les yeux et de ne plus l’accepter. En cela, le « point du mari » sera-t-il finalement salutaire.