Des féministes contre la loi de 2004 sur le voile à l’école

Ok, elle s’appelle « loi contre le port des signes religieux dans les établissements scolaires ». Tout le monde comprend: contre le voile – ou comment l’État français a légitimé l’islamophobie. Des féministes lancent aujourd’hui une pétition pour l’abrogation de cette loi. Corps et politique ne peut que s’y associer! Voici le texte, et le lien vers le site ou signer en ligne.

Nous sommes féministes, nous défendons tous les jours les droits des femmes, et nous pensons qu’il faut abroger la loi de 2004 contre le port des signes religieux dans les établissements scolaires.

La question n’est pas de savoir ce que les féministes que nous sommes pensent de la religion en général, ou de l’Islam en particulier, quel sens symbolique ou politique nous donnons au port du foulard islamique, qu’il soit volontaire ou imposé. La question, c’est qu’encore une fois on relègue les femmes au statut de victime, et qu’on propose de les exclure pour mieux les libérer. Encore une fois le corps des femmes est un champ de bataille, une ligne de front sur laquelle s’affrontent des idéologues au nom de leur libération. Et c’est aux filles et aux femmes musulmanes que la France demande de payer le prix de la laïcité. Aujourd’hui, dix ans après le vote de cette loi, qu’a-t-on gagné ? Combien de discriminations et de violences ont été commises en son nom ? Des femmes voilées ont été agressées. Des mères ont été discriminées. A ce prix, la France est-elle devenue plus laïque ? Non. Le port du voile a-t-il régressé, comme les promoteurs de cette loi l’espéraient ? Non. Des filles ont été exclues de l’école. Les camps se sont durcis. La violence contre les femmes a augmenté.

Nous sommes féministes et nous croyons que sommer des filles de dix ans de choisir un camp entre famille et école, entre la religion et la laïcité forcée, n’est pas la solution dont ces filles ont besoin pour s’émanciper. « Ne me libérez pas, je m’en charge » ! dit un vieux slogan féministe. Car ce n’est pas comme ça qu’on libère, c’est comme ça au contraire qu’on contribue à aliéner ceux qu’on prétend libérer. Le corps des femmes n’appartient à personne, pas plus à ceux qui veulent lui imposer le voile qu’à ceux qui veulent le lui retirer de force. Ce n’est pas en arrachant le voile d’une écolière ou en la chassant de l’école publique qu’on fera reculer le sexisme, bien au contraire.

Laissons les filles tranquilles ! Laissons-les réfléchir et discuter ensemble des voies et moyens de leurs propre libération, qu’il s’agisse de se libérer de la norme sexiste, du dogme hétérosexuel ou des interdits religieux, de la symbolique de tel fichu ou de tel chiffon, de la morale et du sacré, des injonctions à montrer ou cacher son corps et ses désirs. Et quoi de mieux pour cela que les bancs et la cour d’une école ?

L’école ne peut pas tout faire, mais elle est le lieu d’émancipation par excellence, parce que chacun peut en principe y accéder à un corpus commun de savoirs, quelle que soit la culture religieuse dans laquelle il ou elle a grandi. C’est là en principe que l’on découvre l’autre, les autres, et qu’on façonne à leur contact sa propre identité. On y apprend que les uns sont athées, les autres pratiquants, les unes juives, catholiques, protestantes, hindoues, les autres musulmanes, les unes hétéros, les autres homosexuelles, filles, garçons ou trans, les uns d’une couleur, les autres d’une autre. Le rôle de l’école laïque est d’accueillir chacun et chacune avec ses différences, ses hontes et ses fiertés, ses secrets de famille, ses croyances et ses doutes. Le rôle de l’école laïque est de veiller à ce que toutes les souffrances puissent s’exprimer sans crainte, et non de préjuger de qui doit être libéré. Le rôle de l’école laïque est de faire preuve de bienveillance et d’ouverture, pas d’imposer d’en haut des valeurs qui n’auraient d’universelles que le nom, puisqu’elles se fonderaient sur l’exclusion.

Faut-il le rappeler ? Depuis 1905 et jusqu’au vote en 2004 de la loi contre le port des signes religieux dans les écoles, l’obligation de neutralité religieuse n’incombait qu’à l’État et à ses fonctionnaires, pas à ses citoyens. Aujourd’hui, en France, la laïcité prend trop souvent la forme d’une religion d’État au service de l’exclusion des filles et des minorités. Si c’est cette laïcité dogmatique – sacralisée – qui doit être inculquée demain aux enfants de France, ce ne sera pas en notre nom. Nous sommes féministes. Nous demandons le retrait de la loi qui interdit le port des signes religieux dans les établissements scolaires.

https://www.change.org/p/laissons-les-filles-tranquilles?recruiter=54353118&utm_source=share_petition&utm_medium=email&utm_campaign=share_email_responsive

À propos du prix Nobel de la paix : Malala Yousafzai et le complexe du sauveur blanc

malala-yousafzai-and-talibanVoici un coup de gueule d’Assed Baig à propos du prix Nobel de la paix qui vient d’être remis à Malala Yousafzai, jeune pakistanaise qui avait été gravement blessée par des hommes armés talibans, en raison de son engagement pour l’école. Son article, traduit de l’anglais, est publié par le site État d’exception (voir le lien ci-après.)

Assed Baig (@AssedBaig) est un journaliste de presse écrite et audiovisuelle basé à Londres. Il a couvert des événements partout dans le monde, y compris en Somalie, Libye, Myanmar et Pakistan. Il travaille actuellement en tant que pigiste et à la réalisation de documentaires. Il a précédemment travaillé pour la BBC dans les Midlands en tant que journaliste et connaît bien les histoires relatives à la communauté musulmane. Assed a vécu et étudié en Syrie et en Mauritanie. Il contribue au New Statesman, Vice, Huffington Post, ainsi qu’à d’autres titres. On peut lire son article en suivant le lien ci-dessous.

Malala Yousafzai et le complexe du sauveur blanc | Etat d’Exception.

Le genre, angle mort des discriminations à l’école

Récupéré sur Mediapart, cet article qui date un peu (2012) mais n’en reste pas moins valable…

Dans l’école mixte et officiellement égalitaire d’aujourd’hui, certains chiffres laissent songeur. En fin de troisième, parmi les élèves orientés, 78 % des garçons vont dans le secteur de la production et 88 % des filles dans les services. Dans la voie technologique, le médico-social accueille 93 % de filles, les sciences et technologies industrielles 89 % de garçons. Dans la filière générale, la filière L est toujours composée par 79 % de filles.

« Ce sont des chiffres qui n’évoluent pratiquement pas », observe la sociologue Clotilde Lemarchant, spécialiste du genre dans le champ scolaire. Que filles et garçons, dès que le système scolaire leur en offre la possibilité, se séparent et épousent aussi massivement les stéréotypes de genre, est accueilli tantôt avec fatalisme tantôt avec indifférence.« C’est un peu affligeant, mais qu’est-ce qu’on y peut ? » se demande une enseignante.

Une classe de lycée technologique à MarseilleUne classe de lycée technologique à Marseille© LD

De fait, le rôle de l’institution scolaire dans la reproduction de ces schémas est difficile à cerner. S’interroger sur l’existence de discriminations selon le sexe à l’école peut paraître à première vue incongru voire déplacé. Qu’il existe encore aujourd’hui des trajectoires scolaires très différentes selon les sexes est certes fort connu et abondamment documenté – de la meilleure réussite des filles à leur plus faible appétence pour les carrières scientifiques – mais n’est jamais, ou pratiquement jamais, posé en terme de discrimination. Sans doute parce qu’à l’inverse des discriminations liées à l’origine – où le ressenti très fort chez certains élèves impose aux acteurs de l’école de s’interroger –, aucun sentiment d’injustice chez les filles, ni a fortiori chez les garçons, n’accompagne ces destins scolaires très différenciés.

Poser la question des discriminations liées au genre va aussi à l’encontre d’une histoire glorieuse, celle de la « longue marche des filles vers l’égalité » au sein de l’école, selon l’expression de l’historien de l’éducation Claude Lelièvre. Une histoire glorieuse qui a son panthéon : Fénelon, Duruy, Camille Sée, et ses grandes étapes : accès à l’école primaire, secondaire, au supérieur, puis le grand tournant de la mixité. « Qu’on se rappelle qu’il y a un siècle il n’y avait aucune fille dans le supérieur. Maintenant elles dominent. Même les plafonds de verre petit à petit s’effritent », souligne Claude Lelièvre qui rappelle que sur la question du sexisme, l’école est encore bien souvent une institution« en avance sur la famille, sur le marché de l’emploi ».

Les parcours scolaires divergents des filles et des garçons sont-ils le fruit d’une discrimination liée au sexe ? L’hypothèse est loin de faire l’unanimité. « Il y a des différences mais est-ce de la discrimination ? Est-ce qu’on peut parler d’injustice ? » s’interroge Claude Lelièvre. Si l’école est à l’évidence « sous l’emprise du genre », peut-être l’est-elle ni plus ni moins que la société dans son ensemble.

Lorsqu’on pose aujourd’hui la question à un petit groupe de collégiens, ils disent avoir plutôt l’impression d’exercer un libre choix en optant pour des cursus différents. Si aujourd’hui filles et garçons n’ont pas la même scolarité, c’est d’ailleurs, pour beaucoup d’acteurs de l’école, tout simplement parce qu’elles et ils le veulent bien.

Des inégalités d’orientation qui modèlent les inégalités de carrière

« En raisonnant en terme de différences, on ne regarde pas la réalité en terme d’inégalité, encore moins de discrimination », regrette Françoise Vouillot qui a dirigé l’ouvrage Orientation scolaire et discrimination, justement sous-titré : Quand les différences de sexes masquent les inégalités. Se contenter d’enregistrer les choix des élèves – si tant est que l’école se cantonne dans ce rôle – est un peu court dans la mesure où, comme l’écrit la sociologue Marie Duru-Bellat, ce sont « ces inégalités d’orientation qui, bien plus que les inégalités de réussite, modèlent les inégalités de carrière entre les sexes ».

Se réfugier derrière le choix des élèves revient pour certains chercheurs à esquiver une véritable interrogation sur le fonctionnement de l’institution scolaire, et sur un différentialisme partout présent bien que jamais vraiment assumé.

« Au moment de l’orientation, les élèves sont des ados en pleine construction identitaire. Il faut qu’ils montrent aux autres leur masculinité/leur féminité. C’est un manque de lucidité effarant de la part des adultes qui ne voient pas à quel point les modèles qu’ils leur proposent reproduisent des stéréotypes de sexe», s’agace Françoise Vouillot. Pour cette psychologue spécialiste de l’orientation et directrice-adjointe de l’Institut national d’étude du travail et d’orientation professionnelle au CNAM, l’école ne produit d’ailleurs pas « des discriminations au sens juridique du terme, ce qui était le cas encore récemment dans l’éducation nationale. C’est plus subtil que cela. Comme le dit Marie Duru-Bellat,à l’école on est “sexiste par négligence” ».

La plupart du temps, les acteurs de l’éducation nationale commettraient en effet des discriminations systémiques, non intentionnelles. Une occasion de rappeler que l’histoire glorieuse de l’émancipation des filles à l’école a aussi son revers, plus sombre, où leur scolarité a d’emblée été pensée comme différente et foncièrement inégale. Un passé mal connu, peu enseigné, qui agirait par retour du refoulé. « Un garçon brillant qui ne veut pas aller en S sera systématiquement convoqué pour qu’on lui explique que c’est du gâchis. Pas une fille, dont on pensera qu’elle est libre de faire d’autres choix », relève Marie Duru-Bellat.

Enseignants, conseillers d’orientation, ont parfois une idée bien arrêtée de ce qui est bon – et surtout potentiellement fragilisant – pour les élèves. « Evidemment, c’est compliqué d’envoyer une jeune fille dans le bâtiment quand on sait qu’elle y sera mal reçue et aura plus de mal à s’insérer professionnellement », rapporte une conseillère d’orientation. Clotilde Lemarchant, qui a travaillé sur ces élèves dits « atypiques », garçons dans des filières féminines et filles dans des filières masculines, montre bien la souffrance de ces minoritaires… « Surtout pour les filles, les garçons dans ces situations, étant beaucoup mieux acceptés. » Encore aujourd’hui, constate-t-elle, la résistance de certains acteurs de l’école à ces transgressions de genre est patente. « Une fille ou deux dans la classe, c’est le maximum, lui expliquait un prof de mécanique. Après cela devient ingérable ! » Au lycée professionnel où la séparation des sexes est la plus marquée, certains internats ne prévoient tout simplement même pas la mixité.

La discrimination systémique liée au genre s’exprime par des processus ténus. « Les recherches montrent que les enseignant(e)s et les élèves, à travers une multitude de processus quotidiens très fins, contribuent à faire vivre aux filles et aux garçons des expériences très différentes qui aboutissent à des positions inégales des filles et des garçons », expliquait récemment Nicole Mosconi dans Genre et pratiques scolaires : comment éduquer à l’égalité ? « Quand on observe la vie quotidienne dans le système scolaire, en effet, on voit que, dans l’ensemble, l’école a tendance à laisser agir les mécanismes sociaux du genre. » A partir d’observations fines de classes, la chercheuse souligne que, « sans en avoir conscience », les enseignants interagissent nettement plus avec les garçons qu’avec les filles. Idem sur la notation, où les attentes vis-à-vis des garçons sont beaucoup plus importantes (s’il est médiocre, il sera plus mal noté qu’une fille par exemple).

D’où l’importance de former les acteurs de l’école pour prévenir ces phénomènes via des formations obligatoires, estime Françoise Vouillot. « On voit bien sinon que ceux qui demandent ces formations – elles existent notamment pour les conseillers d’orientation – sont déjà sensibilisés à ces sujets. »

«Le monde universitaire ou médiatique où tout le monde est antiraciste mais tout le monde est blanc»

Globalement, si les discriminations liées à « l’origine » commencent à être prises en compte (voir nos précédents articles sur le sujet ici et ), l’emprise du genre à l’école est encore largement dans l’angle mort des politiques publiques. Claude Lelièvre se souvient qu’au moment de la commission Thélot, et du grand débat sur l’école lancé en 2003, la question des inégalités de parcours scolaires selon le sexe avait été retoquée car jugée non prioritaire. Un manque d’intérêt qui s’explique sans doute parce que la demande sociale des élèves, des parents ou des acteurs de l’école est très faible sur le sujet.

Les campagnes publiques se sont cantonnées la plupart du temps à promouvoir la place des filles dans les métiers scientifiques et techniques, où le manque de main-d’œuvre est devenu problématique. « Souvent mal pensées, mal ciblées, elles négligent les garçons qui subissent eux aussi l’influence des stéréotypes de sexe dans leur choix d’orientation. Cela revient fondamentalement à ne pas toucher au système de normes », rappelle Françoise Vouillot. Leur impact a d’ailleurs été des plus faibles, si l’on regarde les statistiques officielles récemment publiées.

A ceux qui jugent « non-prioritaire » cette question dans les immenses chantiers que doit ouvrir l’école  et ils sont très nombreux –,  Françoise Vouillot rétorque que le poids du genre est une donnée fondamentale des inégalités scolaires.« L’échec scolaire, comment ne pas voir que cela touche en priorité les garçons des classes défavorisées. Le décrochage, la violence… le sexué est partout ! »

Dire que sur ce sujet, on a affaire à des discriminations systémiques, souligne le sociologue Eric Fassin, « cela ne veut pas dire que, comme cela concerne toute le société, on ne fait rien. Puisque dans ces formes de discriminations, on ne s’intéresse pas à l’intention, c’est donc le résultat qui compte. Sinon les choses en resteront là,  comme dans le monde universitaire ou médiatique où tout le monde est antiraciste mais tout le monde est blanc ». Faute d’un réel volontarisme politique sur le sujet, ces chercheurs craignent que les stéréotypes de genre à l’école, avec leurs conséquences très concrètes dans la scolarité des filles et des garçons, pèseront encore longtemps.

Signe d’un frémissement ? Alors que le rapport commandé par la Halde à Françoise Vouillot sur les discriminations liées au sexe à l’école, publié l’an dernier, a été accueilli dans une indifférence polie par Luc Chatel et son administration, un rendez-vous a été récemment pris rue de Grenelle pour évoquer ces questions. Affaire à suivre, donc.