« De la danse des Sorciers au Sabbat », par Pierre de Lancre, Conseiller du Roy au parlement de Bordeaux (1613)

« Conseiller au parlement de Bordeaux, érudit et homme de cour, Pierre de Lancre est envoyé au pays de Labourd, province du Pays basque français, pour enquêter sur la sorcellerie ; un an après, il fait le compte rendu de son expérience. Il en résulte un traité de démonologie – mais aussi, mais surtout, un texte, une formidable construction imaginaire qui fait entrer définitivement la sorcellerie en littérature. Sa représentation du sabbat, qui envahit peu à peu le discours comme il envahit fantasmatiquement le Labourd et l’imaginaire du juge, exercera sa fascination sur Hugo et Michelet, et sur ce qui est encore notre vision de la sorcellerie. »

Le Tableau de l’inconstance des mauvais anges et démons a été réédité en 1982 chez Aubier par Nicole Jacques-Chaquin avec une introduction, des notes et une bibliographie (plus quelques illustrations) qui rendent ce texte du début XVIIe siècle parfaitement accessible au grand public. Aussi bien, le parti-pris « littéraire », signalé dans l’extrait de la quatrième de couverture cité ci-dessus, en facilite également l’accès, ce qui n’est pas le cas des dizaines de traités et brochures consacrées au même thème dès l’invention de l’imprimerie, et dont le style restait marqué par celui des traités de droit canon et de scolastique du Moyen Âge.

Nous avons choisi de reproduire ici le DISCOURS IV du Livre troisième : De la danse des sorciers au sabbat. L’intérêt de ce « discours » est qu’il montre bien comment De Lancre réinterprète à travers sa grille démonologique la culture et les pratiques populaires de la région du Labourd, en qualifiant de diabolique tout ce qui s’éloigne de l’ordre rigide promu par la société disciplinaire : les danses, les sauts et toutes acrobaties (comme la danse sur corde) sont à ses yeux des signes évidents de possession satanique. Comme le fait aussi remarquer Nicole Jacques-Chaquin, ce sont également les traditions carnavalesques qui sont attaquées : « […] le Diable qui n’aime que désordre, veut que toutes choses se fassent à rebours », écrit De Lancre dans sa description des danses du sabbat, mais on peut aussi bien y reconnaître l’une des fonctions essentielles du carnaval, soit mettre le monde ordinaire cul par-dessus tête. On verra aussi, au passage, transparaître les principales obsessions du conseiller au Parlement de Bordeaux, et qui reviennent tout au long de son « Tableau » : le nationalisme (les pires danses, les plus folles et les plus obscènes, sont bien sûr importées de l’Espagne voisine), la sexualité (« Et s’il est vrai ce qu’on dit que jamais femme ni fille ne revint du bal si chaste comme elle y est allée […] »), et bien sûr un fond de misogynie jamais démenti. De Lancre affirme s’appuyer avant tout sur son expérience de juge enquêteur : ainsi, se référant à d’autres chasseurs de sorcières, dit-il que « c’est l’opinion de Boguet et autres qui ont fait le procès à une infinité de sorcières, lesquels je crois plus volontiers que ceux qui parlent par livres, et par ouï-dire simplement ». Son propre savoir vient donc de ce qu’il a conduit au bûcher plusieurs dizaines de « sorcières », sans parler des quelques centaines de « témoignages » obtenus sous la torture, et il peut affirmer sans crainte d’être contredit que le diable « gagne plus de femmes que d’hommes, comme d’une nature plus imbécile [nous soulignons]. Et voit-on qu’au nombre des prévenus de la Sorcellerie qu’on amène aux Parlements, il y a dix fois plus de femmes que d’hommes. »

 

Tableau de l’inconstance des démons, magiciens et sorciers, Livre troisième, Discours IV : De la danse des Sorciers au Sabbat

Les modernes qui ont recherché l’origine de la Danse, ont dit, qu’ayant pris son commencement d’une bonne source, elle s’est depuis relâchée en des mouvements si sales, que c’est vergogne de les vouloir raconter. Car la vérité est que la fougue et allégresse de la guerre inventa premièrement quelque saltation, ou forme de pas réglés, desquels les gens de guerre usaient à l’entrée des batailles et combats.

Si bien que les danses dont on usait pour lors, étaient fort honnêtes décentes, sérieuses et graves, comme faites à l’imitation de celles de la guerre.

Mais comme les esprits des hommes ont volontiers inclination et leur pente au mal, on tourna aussitôt toutes les danses et saltations en délices. De là a pris son origine cette danse, de laquelle s’aident nos bateleurs, qui dansent à cadence, et font quelque forme de combat, faisant semblant de se choquer, s’entreheurtant à plusieurs tours et retours : ores avec des épées courtes, ores avec des boucliers, ores avec des javelots et houlettes. Ce que j’ai vu merveilleusement exprimer aux Juifs à Rome, ès jours de Carnaval en pleine rue. Comment aussi ai-je vu une sorte de danse à Naple tirée fort gentiment de la guerre : car c’étaient des gens de cheval armés d’écus et de javelots qui couraient aux carrousels, deux poursuivant, et jetant certaines boulettes de terre, contre deux fuyant, lesquels les recevaient sur leurs écus ou boucliers de bois, peints, dorés et bien accommodés, avec un bruit et rencontre si à propos : et outre ce accompagnés d’un chant si mélodieux de quelques hauts-bois, que c’était un merveilleux plaisir d’en entendre le bruit. Puis ils dansèrent un ballet à cheval si ingénieusement, que jamais les livrées ne se confondirent.

Et comme les batailles et les assauts, ne se livrent sans instruments qui poussent et animent le monde, et encouragent les plus lâches : de même la danse est monstrueuse sans quelque son et harmonie, et ressent tout à fait la folie.

Ces saints et religieux commencements de la danse, s’étant relâchés à toute sorte de turpitude et indécence, ont été violés et corrompus, par la licence de nos derniers siècles : et cette virile et robuste sévérité a affaibli et dépravé la vigueur de ces cœurs martiaux. Ce ne sont plus pas de guerre qui vont virilement et droitement vers l’ennemi, ce sont pas pusillanimes, pas de surprise et de vanité délicieuse, qui vont vers l’ami pour l’attirer au combat. Ce n’est plus un saut pour donner terreur aux hommes, c’est un saut impudique pour attirer des femmes : si bien que Mars n’a maintenant plus de honte d’avoir été surpris avec Vénus : on ne saute plus pour lui, ains seulement que pour elle et pour sa suite.

Et encore plus salement et vilainement ès Sabbats, et les mouvements des danses qui se font en ces malencontreuses assemblées, et ces ords et sales désirs, que le Diable engendre ès cœurs, d’une infinité de jeunes vierges qui y sont : tout au-devant desquelles et le Diable, et une infinité de Sorcières font ouvertement leurs accouplements diaboliques.

Ce ne sont point jeux et danses, ce sont incestes et autres crimes et forfaits, lesquels nous pouvons dire à la vérité être venus à nous de ce mauvais et pernicieux voisinage d’Espagne : d’où les Basques et ceux du pays de Labourd sont voisins. Aussi n’ont-ils pas une danse noble comme ceux qui sont plus avant dans la France : ains toutes les danses les plus découpées, et celles qui agitent et tourmentent plus le corps, celles qui plus le défigurent, et toutes les plus indécentes sont venues de là. Toutes les Pyrrhiques, les Morisques, les sauts périlleux, les danses sur les cordes, la Cascade du haut des échelles, le voler avec des ailes postiches, les Pirouettes, la danse sur les demi-piques, l’Escarpolette, les Rontades, les forces d’Hercules sur la femme renversée sans toucher du dos à terre, les Canaries des pieds et des mains, tous ces batelages sont presque venus de l’Espagne. Et naguères elle nous a encore donné de nouvelle invention la Chacone ou Sarabande.

C’est la danse la plus lubrique et la plus effrontée qui se puisse voir, laquelle des courtisanes Espagnoles s’étant depuis rendues comédiennes, ont tellement mise en vogue sur nos théâtres, que maintenant nos plus petites filles font profession de la danser parfaitement. D’ailleurs c’est la danse la plus violente, la plus animée, la plus passionnée, et dont les gestes, quoique muets, semblent plus demander avec silence, ce que l’homme lubrique désire de la femme, que tout autre. Car l’homme et la femme passant et repassant plusieurs fois à certains pas mesurés l’un près de l’autre, on dirait que chaque membre et petite partie du corps cherche et prend sa mesure pour se joindre et s’associer l’un l’autre en temps et lieu. La seule Bergamasque est venue d’Italie, qui est aucunement accompagnée de gestes déshonnètes, mais fort peu au respect de l’autre.

Or toutes ces danses se font encore avec beaucoup plus de liberté et plus effrontément au Sabbat : car les plus sages et modérées croient ne faillir, de commettre inceste toutes les nuits avec leurs pères, frères et autres plus proches, voire en présence de leurs maris. Et tiennent même à titre de Royauté comme Reines du Sabbat, d’être connues publiquement devant tout le monde, de ce malheureux Démon : quoique son accouplement soit accompagné d’un merveilleux et horrible tourment, comme nous dirons en son lieu.

Les danses des Sorciers rendent presque les hommes furieux, et font avorter le plus souvent les femmes.

Non pas que je sois de l’avis de Bodin, lequel dit que la volte, laquelle outre les mouvements violents et impudiques, a cela de mauvais, qu’une infinité d’homicides et avortements en adviennent, a été portée en France par des Sorciers Italiens. Car la vérité est qu’il ne s’en danse en nul lieu d’Italie, sauf en Piémont, et fort peu en quelque coin de Lombardie : et l’ont empruntée du voisinage de nos Provençaux : et Nice étant à nous, qui est en la côte de Provence, nous la leur avons apprise, ou bien lorsque nous avions tant de bonnes villes en Piémont : et de fait par tout ce pays-là, l’appellent la Nissarde, et est la danse la plus commune en Piémont qui se danse au bal, soit ès villes, soit ès fêtes des villages : si bien qu’on emploie la plus grande partie du temps que le bal se tient, sans danser autre chose, tant cette grande agitation leur plait.

De manière qu’il me souvient que Dom Pietro de Médicis passant à Bordeaux lorsque la feu Reine mère et la Reine Marguerite étaient à Nerac, il y séjourna plus de six semaines, pendant lequel séjour venant tout fraîchement d’Italie, j’avais l’honneur (la langue Italienne me donnant ce privilège) de l’entretenir à toute heure. Et comme le sieur de Sansac pour lors gouverneur de la ville de Bordeaux, avait reçu commandement de la Reine mère, de l’honorer et caresser comme son parent, il eut un jour envie de voir les dames et le bal, pour voir danser à la Française, si bien que me voyant danser la volte avec une très belle demoiselle, il la trouva si étrange qu’il me pria de lui en donner quelque air sur le luth pour l’emporter à Florence : surtout il trouvait rude, parce qu’il était Italien, qu’on se joignit de si près, et qu’après quelques tours de salle on vint aux prises, portant la main au busc, qui va un peu bien bas, pour plus aisément aller amont, et rehausser la femme, comme on faisait en ce temps-là.

On commence à la laisser en France, ayant fort à propos reconnu que c’est aux furieux et forcenés seuls à user de telles danses et sauts violents. Que si elle eût continué guère davantage, il eût fallu faire comme on fait en Allemagne et traiter les Français en malades, contraignant les grands sauteurs et danseurs de danses violentes, à danser posément et en cadence grave et pesante.

Je ne voudrais pas pour cela sauter à l’autre extrémité, et faire comme ceux de Genève, qui haïssent, toute sorte de danses. Car le Diable leur en apprend parfois de plus rudes qu’aux autres, et les fait souvent danser avec la verge et le bâton, comme on fait les animaux.

Je dirai donc volontiers et donnerai pour avis aux sorciers ou sorcières, et surtout aux jeunes fillettes qui se laissent débaucher et ensorceler à ce vieux Bouc de Satan, ne sautez point jeunes fillettes, et ne vous agitez, afin que ce malheureux Bouc ne coure après vous. Le Diable qui se représente en bouc au sabbat, fait tous exercices sous la figure et forme de cet animal : animal si désagréable, si immonde et puant, qu’il n’en pouvait choisir aucun autre qui le fut tant que celui-là.

Il est assis comme un bouc en sa chaire dorée, il danse au sabbat avec les filles et femmes, et avec les plus belles, ores menant la danse, ores se mettant à la main de celles qui lui sont plus à gré ; et s’accouple en cette forme avec elles. Et comme il a la faculté et permission de Dieu, de se transformer en tel animal qu’il veut, il est en degré supérieur plus laid que le plus horrible bouc que nature ait jamais produit. Tellement que je m’émerveille, qu’il se trouve femme quelconque si vilaine, qui veuille baiser cet animal en nulle partie du corps : à plus forte raison qui n’ait horreur de l’adorer et le baiser ès plus sales, et parfois ès plus vergogneuses parties d’icelui.

Mais c’est merveille, que pensant faire quelque grande horreur à des filles et des femmes belles et jeunes, qui semblaient en apparence être très délicates et douillettes, je leur ai bien souvent demandé, quel plaisir elles pouvaient prendre au sabbat, vu qu’elles y étaient transportées en l’air avec violence et péril, elles y étaient forcées de renoncer et renier leur Sauveur, la sainte Vierge, leurs pères et mères, les douceurs du ciel et de la terre, pour adorer un Diable en forme de bouc hideux, et le baiser encore et caresser ès plus sales parties, souffrir son accouplement avec douleur pareil à celui d’une femme qui est en mal d’enfant : garder, baiser et allaiter, écorcher et manger, les crapauds : danser en derrière, si salement que les yeux en devraient tomber de honte aux plus effrontées : manger aux festins de la chair de pendus, charognes, cœurs d’enfants non baptisés : voir profaner les plus précieux Sacrements de l’Église, et autres exécrations, si abominables : que les ouir seulement raconter, fait dresser les cheveux, hérisser et frissonner toutes les parties du corps : et néanmoins elles disaient franchement, qu’elles y allaient et voyaient toutes ces exécrations avec une volupté admirable, et un désir enragé d’y aller et d’y être, trouvant les jours trop reculés de la nuit pour faire le voyage si désiré, et le point ou les heures pour y aller trop lentes, et y étant, trop courtes pour un si agréable séjour et délicieux amusement. Que toutes ces abominations, toutes ces horreurs, ces ombres n’étaient que choses si soudaines, et qui s’évanouissaient si vite, que nulle douleur, ni déplaisir ne se pouvait accrocher en leur corps ni en leur esprit : si bien qu’il ne leur restait que toute nouveauté, tout assouvissement de leur curiosité, et accomplissement entier et libre de leurs désirs, et amoureux et vindicatifs, qui sont délices des Dieux et non des hommes mortels.

Et parce que de tous ces exercices qu’elles font au sabbat, il n’y en a pas un qui soit si approchant des exercices règles et communs parmi les hommes, et moins en reproche que celui de la Danse, elles s’excusent aucunement sur celui-là, et disent qu’elles ne sont allées au sabbat que pour danser, comme ils font perpétuellement en ce pays de Labourd, allant en ces lieux, comme en une fête de paroisse.

Et s’il est vrai ce qu’on dit que jamais femme ni fille ne revint du bal si chaste comme elle y est allée, combien immonde revient celle qui s’est abandonnée, et a pris ce malheureux dessein d’aller au bal des Démons et mauvais Esprits, qui a dansé à leur main, qui les a si salement baisés, qui s’est donnée à eux en proie, les a adorés, et s’est même accouplée avec eux ? C’est être à bon escient inconstante et volage : c’est être non seulement impudique voire putain effrontée ; mais bien folle enragée, indigne des grâces que Dieu lui avait faites et versées sur elle, lorqu’il la mit au monde, et la fit naître Chrétienne.

Nous fîmes en plusieurs lieux danser les enfants et filles en la même façon qu’elles dansaient au sabbat, tant pour les déterrer d’une telle saleté, leur faisant reconnaître, combien le plus modeste mouvement était sale, vilain et malséant à une honnête fille : Qu’aussi, parce qu’au confrontement, la plupart des sorcières accusées d’avoir entre autres choses dansé à la main du Diable, et parfois mené la danse, niaient tout, et disaient que les filles étaient abusées, et qu’elles n’eussent su exprimer des formes de danse qu’elles disaient avoir vu au sabbat.

C’étaient des enfants et filles de bon âge, et qui étaient déjà en voie de salut avant notre commission. A la vérité aucunes en étaient dehors tout à fait, et n’allaient plus au sabbat il y avait quelque temps : les autres étaient encore à se débattre sur la perche, et attachés par un pied, dormaient dans les Églises, se confessaient et communiaient, pour s’ôter du tout des pattes de Satan. Or on dit qu’on y danse toujours le dos tourné au centre de la danse, qui fait que les filles sont si accoutumées à porter les mains en arrière en cette danse ronde, qu’elles y traînent tout le corps, et lui donnent un pli courbé en arrière, ayant les bras à demi tournés : si bien que la plupart ont le ventre communément grand, enflé et avancé, et un peu penchant sur le devant. Je ne sais si la danse leur cause cela, ou l’ordure et méchantes viandes qu’on leur fait manger. Au reste on y danse fort peu souvent un à un, c’est-à-dire un homme seul avec une femme ou une fille, comme nous faisons en nos gaillardes : ains elles nous ont dit et assuré, qu’on n’y dansait que trois sortes de branles, communément se tournant les épaules l’un l’autre, et le dos d’un chacun visant dans le rond de la danse, et le visage en dehors. La première c’est à la Bohémienne, car aussi les Bohèmes coureurs sont à demi-Diables : je dis ces longs poils sans patrie, qui ne sont ni Égyptiens, ni du Royaume de Bohème, ains ils naissent partout en chemin faisant et passant pays, et dans les champs, et sous les arbres, et font des danses et batelages à demie comme au sabbat. Aussi sont-il fréquents au pays de Labourd, pour l’aisance du passage de Navarre et de l’Espagne.

La seconde c’est à sauts, comme nos artisans font ès villes et villages, par les rues et par les champs : et ces deux sont en rond. Et la troisième est aussi le dos tourné, mais se tenant tous en long, et sans se déprendre des mains, ils s’approchent de si près qu’ils se touchent, et se rencontrent dos à dos, un homme avec une femme : et à certaine cadence ils se choquent et frappent impudémment cul contre cul. Mais aussi il nous fut dit, que le Diable bizarre, ne les faisait pas tous mettre rangément le dos tourné vers la couronne de la danse, comme communément dit tout le monde : ains l’un ayant le dos tourné, et l’autre non : et ainsi tout à suite jusqu’à la fin de la danse : De quoi aucuns se sont essayés de vouloir rendre la raison, et ont dit que le Diable les dispose ainsi la face tournée, hors le rondeau, ou parfois l’un tourné et l’autre non, afin que ceux qui dansent ne se voient pas en face, et qu’ils n’aient loisir de se remarquer aisément l’un l’autre : et par ce moyen ne puissent s’entraccuser s’ils étaient pris par justice : raison notoirement fausse, parce qu’ils se voient aussi bien presque, ou peu s’en faut, le dos tourné que face à face : Car ce demi-rond qu’ils font ne les éloigne guère plus loin l’un de l’autre, que s’ils étaient main à main à droite danse. Mais c’est que le Diable, qui n’aime que désordre, veut que toutes choses se fassent à rebours, ne se souciant qu’ils se connaissent, et qu’ils s’entraccusent, mêmement lorsqu’il est assuré, que l’accusation de l’un fera périr l’autre.

Or elles dansent au son du petit tambourin et de la flûte, et parfois avec ce long instrument qu’ils posent sur le col, puis l’allongeant jusqu’auprès de la ceinture, ils le battent avec un petit bâton : parfois avec un violon. Mais ce ne sont les seuls instruments du sabbat, car nous avons appris de plusieurs, qu’on y entend toute sorte d’instruments, avec une telle harmonie qu’il n’y a concert au monde qui le puisse égaler.

Quant aux boiteux, aux estropiats, aux vieux décrépits et caducs se sont ceux qui dansent plus légèrement, car ce sont fêtes de désordre, où tout paraît déréglé et contre nature.

Et est chose notable, que le lieu même et la terre sur laquelle ils tripudient, et trépignent ainsi des pieds, reçoit une telle malédiction, qu’il n’y peut croître ni herbe ni autre chose.

Et est chose notable, que le lieu même et la terre sur laquelle ils tripudient, et trépignent ainsi des pieds, reçoit une telle malédiction, qu’il n’y peut croître ni herbe ni autre chose.

Après la danse ils se mettent parfois à sauter, et font à qui fera un plus beau saut, jusques à en faire gageure. Marie de la Parque habitante de Hendaye âgée de 19 à 20 ans, et plusieurs autres déposent, Qu’étant une nuit au sabbat, elles virent que Domingina Maletena sorcière, sur la montagne de la Rhune, si haute, et le pied ou base si large, qu’elle voit et borne trois Royaumes, France, Espagne et Navarre, fit par émulation avec une autre de laquelle elles nous dirent aussi le nom, à qui ferait un plus beau saut, si bien qu’elle sauta du haut de ladite montagne, jusques sur un sable qui est entre Hendaye et Fontarrabie, qui est bien près de deux lieus, et que la seconde s’en approchant aucunement, alla jusqu’à la porte d’un habitant de Hendaye. Qu’elles le voyaient clairement : et que la plupart du sabbat se retirant, allèrent vers elles, et trouvèrent ladite Domingina qui les attendait, pour recueillir le fruit de la victoire et le prix de la gageure.

Celles-ci ne dansent donc à la Française, ains étant Basques et en plus belle disposition, elles font des sauts plus grands, et ont des mouvements et agitations plus violentes.

Il faut donc fuir ces lieux, où Satan fait jouer les inconstances les plus préjudiciables, et les plus ennemies de notre salut : et où la seule abomination et horreur devrait retirer les misérables, quand bien leur malheureuse danse n’aurait autre suite que le seul exercice, et le plaisir et contentement que le corps prend à s’ébranler et sauter.