Présentation du Collectif médecine libertaire de Caen

Collectif médecine libertaire : une présentation

Historique

Suite au mouvement social contre la réforme des retraites en octobre 2010 et le constat d’une généralisation de la violence de la répression policière, une équipe de soutien médical dans les manifs/actions (dite « Medical Funky Fight Team ») s’est organisée à Caen afin de gérer collectivement les premiers soins nécessaires en situation de crise. Dans ce contexte de lutte sociale, des temps de formation menés dans une logique d’autonomie et de réappropriation des soins, ouverts à tou-te-s, se sont également déroulés et du matériel a été réuni.

S’il nous paraît important à l’avenir de s’organiser et d’assurer une présence dédiée aux premiers secours dans toutes les situations potentiellement conflictuelles, il est tout autant nécessaire d’élargir nos réflexions et nos pratiques concernant la médecine. Et cela d’autant plus que cette dernière nous semble la porte d’entrée idéale à la politique que nous défendons. C’est pourquoi, au début de l’année 2011, nous avons décidé de créer ce collectif médecine libertaire.

Un rapide contexte socio-politique…

Si l’on part du dernier mouvement social en France, dit « contre la réforme des retraites », le constat est simple à faire : l’État s’assoit sur la volonté du peuple et favorise la classe bourgeoise qui se trouve aux commandes administratives, industrielles… On retrouve ainsi un système étatique capitaliste prônant le libéralisme à tout va et mêlant oligarchisme et népotisme (favoritisme que les dirigeants font à leur famille et leur entourage au détriment du peuple). Le résultat en est une démocrature (dictature parée des atours de la démocratie bourgeoise) qui s’infiltre insidieusement à l’intérieur de nos vies et induit, de fait, de graves conséquences sur la médecine !

C’est dans ce contexte que nous retrouvons la médecine occidentale dominante. Celle-ci délaisse toute théorie générale de la santé de la femme et de l’homme en société. On l’entend se gargariser de sa toute puissance, de ses dernières prouesses, de ses victoires contre la mort et la vieillesse, mais toujours, elle reste muette dans le champ socio-politique. Et quand il lui prend de se préoccuper de prévention, elle y pense en tant que prévention des maladies, dont le premier modèle fut celui de la vaccination, et dont les formes actuels s’attachent à l’action sur les facteurs de risque.

Ce n’est pas rien, mais c’est tout autre chose qu’un programme de travail sur les facteurs de santé qui intégrerait d’une part les enseignements issus de l’étude des inégalités de santé, d’autre part les rares travaux qui ont tenté de penser la question dans la complexité de ses dimensions physiologiques, psychologiques et sociales. Et quand elle tente de les intégrer, elle prône un discours sur la « nécessaire » responsabilisation du/de la malade, tandis que les réelles pratiques autogestionnaires dont nous nous revendiquons se doivent de rester absentes. C’est pourquoi selon nous cette médecine est en réalité partout et nulle part à la fois.

Une médecine à la fois partout…

Partout, car elle cherche à s’approprier nos corps et nos esprits dans une logique marchande et de rentabilité. L’organisation du système de santé actuel ne se pense plus en terme de projet collectif, mais découle directement de logiques managériales. Ainsi des dernières lois concernant le fonctionnement hospitalier, dans lesquelles on trouve un budget accordé en fonction d’une tarification à l’activité (la loi dite T2A) qui suppose que tout acte de soin peut et doit être chiffré (quid de l’écoute, des temps informels, etc.). Les lois dites « Hôpital Entreprise », qui, en renforçant le pouvoir administratif par rapport à celui des soignant-es, entérinent définitivement l’idée que le but premier d’un hôpital n’est plus de soigner, mais bien de générer des bénéfices. La rédaction incessante de protocoles de plus en plus abscons ne laisse ainsi plus de temps ni d’espace à l’aléatoire et à la créativité humaine.

Ce temps et cet espace est désormais consacré à l’amélioration de la rentabilité et à la mise en compétitivité du secteur de la médecine comme si elle était un secteur industriel comme un autre. Cette mutation, en plus d’introduire symboliquement dans nos esprits que le soin est une marchandise, permet concrètement à quelques dirigeant-es de s’engraisser. Les firmes pharmaceutiques engendrent ainsi des bénéfices à hauteur de plusieurs centaines de millions d’euros, continuant sans cesse de grossir leurs champs d’action. La pérennité d’un tel système est rendu possible par leurs liens extrêmement intimes avec le pouvoir politique, intimité elle même favorisée par les institutions (exemple de l’AFSSAPS structurellement en conflit d’intérêts).

Cette médecine est partout encore, car elle tend vers un isolement et une normalisation des individus à des fins de meilleur contrôle social. L’injonction à gérer son capital santé, via les campagnes dites de santé publique et la culpabilisation de ceux qui ne s’y conforment pas (l’alcoolique, le/la fumeur/se, la/le gros-se…), place les comportements individuels comme principale explication à la maladie. Exit le questionnement collectif quant aux racines d’une société cancérigène, addictogène, suicidogène… qui selon nous est clairement le fruit d’une politique durement menée par l’État. Par exemple, les suicides sur le lieu de travail (phénomène très récent) sont présentés comme des gestes de personnes dites fragiles, mettant ainsi de côté toutes réflexions et actions concernant la souffrance liée au travail salarié en lui même.

Et puis, la déviance sociale et/ou le trouble à l’ordre public sont dorénavant les critères majeurs pour nous faire entrer dans le domaine du pathologique, pour nous assimiler au/à la fou/folle (forcément dangereux/se), qu’il faut réinsérer à tout prix ou qu’il faut éliminer derrière les barreaux des asiles ou des prisons si elle/il résiste… À l’ encontre de cette pensée réductrice, il nous semble primordial de comprendre la souffrance psychique d’une personne à la lumière de son histoire singulière, de son inscription particulière dans un système (familial, institutionnel, etc.) lui-même potentiellement « fou ».

Partout toujours, quand il s’agit de réduire l’humain à un pion que l’on doit customiser. La médecine a désormais droit de regard et d’action sur chaque moment de nos vies. Elle ne s’intéresse plus exclusivement au domaine de la maladie, mais a recours à ses experts pour s’assurer que nous sommes toujours plus compétitif-ives et performant-es (coaching, médicamentation de nos émotions qui pourraient s’avérer contre-productives voire germes d’une possible remise en question de la marche du monde capitaliste). Injonction nous est ainsi faite de rendre nos corps plus conformes et conventionnels (développement de la chirurgie esthétique, discours eugéniste qui s’ancre peu a peu dans les mentalités… le moule Barbie et Ken est plus qu’opérationnel). Avec cette médecine, nous sommes dans la fabrique, effective et symbolique, d’un seul modèle possible d’être au monde, une seul norme : celui de l’individu performant, l’individu marchandise, l’individu « amélioré », être lisse s’emboîtant parfaitement dans les rouages d’un système politique aliénant.

… et nulle part.

La médecine occidentale dominante n’est nulle part quand on aborde la notion d’inégalités d’accès aux soins. Si celle-ci n’a jamais été aussi puissante scientifiquement et techniquement, on constate pourtant un recul considérable d’accès aux soins de base pour les sans-papiers, les étudiants-es précaires, et les plus pauvres d’entre nous. Géographiquement, sa désertion est aussi manifeste : la concentration des lieux de soins dans les grands pôles économiques et/ou touristiques laisse les habitant-es des régions rurales et des quartiers pauvres sans recours facile et rapide aux structures sanitaires.

Cette médecine n’est nulle part non plus car elle nous dépossède de notre pouvoir de décision, mais aussi de notre individualité. Elle favorise un discours d’expert, souvent technique, froid et pragmatique, qui ne laisse aucune place à la subjectivité et à l’autonomie. Elle accentue notre dépendance face aux pouvoirs scientifiques et industriels, en les érigeant comme seules autorités référentes en matière de soins. Les pratiques alternatives et autonomisantes sont systématiquement diabolisées (la chasse aux sorcières est toujours de mise, mais elle revêt maintenant un visage légaliste). Dans la société de consommation, le/la « bon-ne malade » est celle/celui qui accepte les décisions du/de la spécialiste et consomme tous les produits que celui/celle-ci lui impose.

Enfin, elle est encore nulle part, du fait de la méfiance d’une bonne partie de la population envers les institutions qui l’abrite. L’État et les industries qu’il soutient (voir, par exemple, les accointances entre industries nucléaires et pharmaceutiques et les organismes publics sensés les réguler) sont les principaux responsables des souffrances physiques et psychiques que nous subissons et dans le même temps les principaux gestionnaires des institutions de santé !!

Ce paradoxe cynique et insupportable ne peut que provoquer de la méfiance. Cette dernière est, selon nous, légitime mais à la fois inquiétante puisqu’elle amène la population à se désinvestir de ses problèmes de santé. Nous n’attendons aucune remise en question des dirigeants-es, mais refusons radicalement qu’ils continuent dans cette direction.

La meilleure défense, mieux que l’attaque, c’est l’autogestion !

C’est donc toute cette médecine que nous refusons ; et même si nous sommes solidaires des luttes en cours pour la sauvegarde de l’hôpital public, notre critique veut aller plus loin. En effet, c’est la globalité du système que nous voulons détruire. L’hôpital, même public, même gratuit, demeure un lieu où la dépendance aux pouvoirs médicaux et industriels reste totale

Nous revendiquons la réappropriation du savoir (médical et autre) par d’autres formes de transmissions, de prises de décision et de gestion : à la transmission verticale et autoritaire, nous préférons les partages et échanges horizontaux et égalitaires ; à une prise de décisions secrète et fermée, nous souhaitons des assemblées générales populaires et des débats se rapprochant du consensus ; aux gestions rentables et excluantes, nous voulons des gestions autonomes et libertaires.

À la volonté d’uniformiser nos corps et nos esprits, nous répondons que nous aimons nos disparités, nos rapports au monde différents, nos folies intérieures et extérieures. Que soigner, pour nous, c’est apaiser une personne en souffrance sans jamais l’amputer de son individualité et de sa capacité de décision. À une médecine protocolaire, nous revendiquons notre envie de trouver un langage commun pour parler notre rapport à la douleur, à la mort, au deuil, à la folie, à la guérison, à l’acte de soin…

Nous défendons ainsi coûte que coûte les pratiques auto-gestionnaires, favorisant la réappropriation globale de nos vies. Nous voulons ainsi susciter un maximum d’autonomie collective basée sur l’entraide et la solidarité, laissant le choix à chacun de s’investir comme il le veut/peut dans le collectif. Nous prenons ainsi comme exemple les libertaires d’Espagne de 1936, qui, auto-organisés-es, sont parvenus-es à auto-gérer dispensaires de soins, hôpitaux, cliniques, maternités et même industries pharmaceutiques ! Mais il s’agit pour nous de rendre un tel système pérenne qui ne réponde pas seulement aux éructations de l’histoire.

C’est dans ces perspectives que nous proposons donc ce collectif médecine libertaire, ouvert à tou-te-s. Pour rendre effectives nos réflexions et convictions nous organisons des projections, des discussions, des débats (autour d’une bouffe ou d’une projection)… Nous proposons aussi des ateliers plus pratiques (cueillette de plantes sauvages médicinales, initiation à l’Hypnose, formation street medic’…) ainsi que des rencontres autour d’une bouffe pour une prise en charge collective de problèmes en lien avec la médecine, faisant du sujet patient un-e acteur/trice de sa santé. Nous cherchons à nous inscrire dans des réflexions et des pratiques à long terme, ayant bien conscience que tout est a déconstruire, reconstruire, construire…

>> Pour nous contacter : mediccaen[at]riseup[point]net

 

A propos d’autonomie, d’amitié sexuelle et d’hétérosexualité

Un article de Corinne Monnet, tiré de l’ouvrage Au-delà du personnel, recueil de textes qu’elle avait publié avec Léo Thiers-Vidal, et que l’on pourra aussi lire à la même adresse (infokiosques.net). Extrait :

« Lorsque je considère que le personnel est politique, je dis d’une part que ce personnel est susceptible de changement puisque non déterminé biologiquement, et d’autre part que le comportement affectif et sexuel est bien un comportement social. Autrement dit, le personnel fait partie de l’ordre politique que je souhaite changer. Dire que le personnel est politique n’est pas pour moi seulement dire que le politique influence le personnel mais bien plutôt que les choix et pratiques dans notre vie « privée » ont des significations politiques. »

La suite par ici : [infokiosques.net] – A propos d’autonomie, d’amitié sexuelle et d’hétérosexualité.