Une copine nous a partagé ce texte pour qu’il puisse être diffusé : à vous de lire, partager si vous voulez, faire tourner. Pour que la honte change de camp !

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Des fois le temps s’arrête au détour d’une odeur, d’une mélodie, d’une histoire.
Parfois elles nous rappellent des choses qu’on sent mais qu’on ne sait plus, ou qu’on s’est caché pour survivre. Continuer. Aller au boulot le lendemain. Sourire aux mômes. Se dire qu’il y a forcément un horizon.

Des fois on ose y repenser ou se demander pourquoi ça nous retourne tant le bide. Mais il y a des choses qu’on ne fait pas seule. Qu’on ne peut pas affronter seule. C’est sûrement pour ça qu’on les a dedans, qu’on avance avec, sans se l’avouer car c’est toujours un peu là, et que c’est souvent déjà trop.

Comme ce jour où j’ai regardé « Ne dis rien » de Icíar Bollaín. La tétanie et le malaise qui m’ont envahie durant la plupart des scènes m’ont fait me dire que si j’avais aussi peur, une peur incontrôlable et si remuante, c’est parce que je reconnaissais la violence qui suintait dans ces images. Et que si j’avais encore peur, c’est que ça n’était pas « réglé », pas derrière moi, mais en moi, tous les jours. C’était presque pire d’y assister, impuissante, en connaissant ça par cœur. Les images me touchaient comme des souvenirs. Ils étaient violents et tellement graves que je ne m’en rappelais plus.

Je ne m’étais jamais dit que la « violence conjugale » me concernait, jamais. Et pourtant, j’avais toujours peur.

Alors vu que j’assistais à ce film parce que des femmes concernées avaient trouvé la force d’organiser un week-end de discussions sur le sujet qui commençaient par cette projection, j’ai décidé d »aller à la discussion de « celles qui sont concernées ». En me disant que c’était une folie, un aveu quelque part, mais aussi peut être une occasion. Et que rien ne me forcerait à y parler, mais que je refusais d’avoir toujours aussi peur, et d’être aussi prisonnière de la honte, au point de m’être racontée ne pas être concernée, sans rien comprendre, en me mentant tout ce temps. Alors j’ai osé, sans trop savoir pourquoi, me pointer là-bas.

Le reste s’est dit entre quelques unes, dans une confidentialité où toutes sont égales et où sont partagées les expériences comme les premières concernées l’entendent. Où la honte change de camp car quand les écrasées, les blessées, les salies sont ensemble, il est possible d’en rire. Et de se sentir fortes face à ce moche qu’on a planqué si longtemps dans notre intimité, en se sentant coupables, même.

Alors… peut-être faut-il passer le message, se le dire, au moins. Les « victimes » portent le fardeau de la honte et l’isolement les anéantit. Être ensemble, même quelques heures, sans que personne d’autre que celles qui savent de l’intérieur ce que c’est n’aient l’œil dessus est une évasion, un soupir de soulagement, et une grosse dose de force.

Alors… une manière de refuser d’être une serpillière c’est peut-être de se rappeler que la plupart des meufs ont appris à essuyer la merde des autres. Et donc celle de ceux qu’elles aiment, d’abord… J’ai compris que c’était un système.

Nous ne sommes pas sauvées. Mais peut-être que si on se met ensemble, et qu’on arrive à comprendre pourquoi c’est possible qu’on ai pu subir ça, alors c’est à partir de là qu’on peut penser à comment transformer la honte en force et l’horreur en souvenir – douloureux, certes, mais derrière nous – , alors on peut aussi, à partir de là, faire avancer les choses ? Et faire en sorte que ça ne puisse pas se reproduire, pour nous comme pour les autres ?

Et finalement tenir debout. Pas seulement feinter pour que les autres croient que c’est le cas. Donc enrayer ce système, jusqu’à ce qu’il disparaisse.

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