Une lecture (critique) de « La Reproduction artificielle de l’humain »

  • EscuderoVoici une lecture critique du livre de Alexis Escudero, La Reproduction artificielle de l’humain, paru aux éditions du Monde à l’envers (Grenoble). Ces notes ont été rédigées (par François, qui les assume à titre personnel) voici déjà quelque temps. Ce sont des articles et émissions plutôt complaisants pour le livre parus et diffusées par des médias amis qui nous poussent à les publier, car nous considérons que les thèses problématiques de ce livre doivent être exposées clairement et discutées. On trouvera d’autres lectures dans le dernier numéro de Timult (n°8) ainsi qu’aux adresses suivantes:
  • http://societedelinformation.wordpress.com/2014/10/27/pmo-pma-piege-et-main-doeuvre-lesbophobe-ou-lesbophobe/
  • http://paris-luttes.info/retour-sur-5-fantasmes-qui-2030
  • http://oi.crowdagger.fr/post/2013/09/16/Les-d%C3%A9rives-confusionnistes-de-Pi%C3%A8ces-et-Main-d-%C5%93uvre
  • http://blog.ecologie-politique.eu/post/PMA-ecologie-radicale-et-feminisme
  • http://blog.ecologie-politique.eu/post/La-Reproduction-artificielle
  • Le titre est problématique : pourquoi « de l’humain » et pas « des humains » ? (Voir par exemple l’excellent papier – de 2006, déjà ! et qui, sauf erreur de ma part, n’est jamais cité par Escudero – d’Ilana Löwy sur l’assistance médicale à la procréation, et où elle parle de « fabrication des humains » : http://www.cairn.info/revue-tumultes-2006-1-page-35.htm). Il me semble que ce singulier n’a pas lieu d’être ici car il efface, précisément, les singularités des êtres humains et celles des sociétés où ils évoluent (voir, dans l’article déjà cité, les applications différentes des techniques d’assistance médicale à la procréation, et leurs effets différenciés également, selon les pays – la France, les États-Unis et Israël). En adoptant ce singulier, Escudero annonce la couleur : il essentialise l’humain. Ce qui augure mal de son traitement d’un sujet dont on verra qu’il est piégé par un certain nombre de « naturalisations » et d’essentialisations, justement.
  • Intro (Je suis le plan du bouquin. Ndf signifie : note de François.)
  • « L’insémination pratiquée à domicile avec le sperme d’un proche n’est pas la PMA [procréation médicalement assistée, ndf]. La première n’exige qu’un pot de yaourt et une seringue. Elle soulève essentiellement la question de l’accès aux origines pour l’enfant : lui dire qui est son père ? » Ça commence mal : Escudero confond un fournisseur de sperme avec un père… c’est très précisément ce que veulent souvent éviter les couples de lesbiennes, notamment : que le géniteur biologique, soutenu par le contexte patriarcal, ne se prenne tôt ou tard pour le père. (À dessein, je n’utilise pas ici le terme de « donneur », car le sperme est le plus souvent commercialisé par des banques de sperme.)
  • En outre, pourquoi ne pas préciser aussi que l’insémination « à domicile » est interdite en France ?
  • Escudero dit qu’il y a eu unanimisme à gauche, au moment des manifs contre le mariage pour tous, pour soutenir la PMA. « Les rares personnes estampillées “de gauche” ayant tenu sur le sujet des positions discordantes ont été ignorées ou accusées de faire le jeu de la droite et de la réaction. Ainsi Sylviane Agacinski, qui dénonce depuis des années la gestation pour autrui et le business de la reproduction artificielle dans des termes qui devraient parler à tous les militants de gauche – si l’on croit que la gauche s’oppose à la marchandisation du corps et de tous les aspects de la vie. Les trois écologistes inspirés de Jacques Ellul et d’Ivan Illich, qui ont fait connaître leur opposition n’ont pas connu meilleur sort. On peut discuter leur idée de la nature, mais il faut discuter leurs critiques de la PMA, balayées d’un revers de main par les progressistes : déshumanisation, pouvoir des experts, fuite en avant technologique, négation de l’Autre et atomisation des individus dans le capitalisme mondialisé. » (C’est Escudero qui souligne.) Ces trois personnes sont Michel Sourouille, Hervé le Meur et José Bové. Je (François) me suis donc tapé leurs articles et déclarations.
  • Michel Sourouille, extraits : « Cette problématique est d’actualité. Lors des manifestations en faveur du mariage pour tous, on défile dorénavant pour l’accès à la procréation médicalement assistée pour les lesbiennes. La technique se veut toute puissante, franchissant la barrière des espèces et la différence sexuée. » Cette fois, c’est moi qui souligne. Je n’ose penser que l’auteur a voulu parler des lesbiennes comme d’une espèce… Mais il poursuit : « La volonté des gays et lesbiennes d’avoir un enfant n’est qu’un symptôme de cette dérive de la pensée qui découle à la fois du libéralisme moral (tout découle de la volonté humaine) et de la technique extrême (tout est possible). » Il me semble que critiquer la technoscience ne devrait pas conduire à porter des jugements de valeur aussi méprisants sur des personnes, encore moins sur des catégories de personnes. Sourouille conclut ainsi son papier : « Ce n’est pas ce type de société que je désire, la PMA ne devrait pas être à l’ordre du jour d’une société consciente des limites de la technique et de la convivialité nécessaire entre ses membres. Une autre manière de se reproduire est à la portée de tout un chacun, faire l’amour tout simplement, en usant de la différenciation des sexes. Une technique simple qui n’a pas besoin de l’assistance de “médecins” pour porter ses fruits. » On ne peut pas dire qu’il se préoccupe beaucoup de l’avis des homos – mais on a vu plus haut ce qu’il en pensait.
  • Hervé Le Meur a publié dans L’Écologiste un article intitulé « Faut-il changer la nature de la filiation ? » C’est évidemment moi qui souligne. « Il se trouve que nous luttons notamment contre une loi au profit des semenciers qui taxe les paysans qui conservent leurs graines pour les ressemer. Hélas, l’agenda politique a relégué ce combat loin derrière le mariage gay. Pourtant, autoriser les paysans à ressemer ce qu’ils ont récolté semble moins problématique que de légaliser l’affirmation qu’un enfant peut avoir deux mamans. Et donc pas de papa ! La loi sur le mariage gay rend donc légal le mensonge aux enfants sur leur filiation. » C’est encore moi qui souligne. Cela continue : « […] si la filiation se fonde sur la volonté, le choix ou l’amour (trois motivations très difficiles à estimer), elle est plus fragile qu’actuellement où elle se fonde, pour l’immense majorité, sur l’engendrement qui est une donnée matérielle. » Les enfants engendrés « matériellement » et qui ont été plus ou moins maltraités dans une famille « solide » apprécieront… « En fait, nous pensons qu’un certain humanisme voudrait nous arracher à notre animalité, à notre naturalité. C’est le but des transhumanistes et des théories du gender. » Ici, je souligne le « et » car il est l’outil de l’amalgame, un peu fort de café, entre « transhumanistes » et « théories du gender ». Et voici encore : « En clair, si jamais PMA ou mères porteuses devenaient un mode de reproduction, cela continuerait un mouvement auquel nos sociétés industrielles très individualistes aspirent : tendre vers l’individu atomisé, qui est entièrement autonome et responsable, qui n’a rien à devoir à qui que ce soit (pas même son père et sa mère ou son conjoint), n’est l’obligé de personne et n’est attaché ni à une terre ni à un lieu. Cet humanoïde qui refuse l’amour autre que la sexualité (consumérisme), en plus, pourrait se reproduire tout seul, sans avoir besoin d’en passer par l’Autre. Ce serait, dans l’évolution, un retour au stade de la bactérie… » En clair, donc, les gays et lesbiennes, avec leur revendications irresponsables, nous ramènent au stade de la bactérie. Le Meur y va fort, et cela paraît d’autant plus injuste qu’il n’attaque pas vraiment dans son article, qui paraît en pleine polémique autour du mariage homo, les militants homophobes et traditionalistes de la Manif pour tous.
  • José Bové : « À partir du moment où je conteste les manipulations génétiques sur le végétal et sur l’animal, il serait curieux que, sur l’humain, je ne sois pas dans la même cohérence. Je suis contre toute manipulation sur le vivant, que ce soit pour des couples homosexuels ou des couples hétérosexuels. » À quoi il a été répondu que PMA ou GPA [gestation pour autrui – plus connue sous le nom de mère porteuse, ndf] n’impliquent pas automatiquement de manipulations génétiques. Cela dit, cette position me semble déjà plus modérée et discutable que les précédentes, surtout si l’on suit Escudero sur le fait que la banalisation de la PMA risque de conduire tôt ou tard à ces fameuses manipulations génétiques (autrement appelées : eugénisme).
  • Après avoir longtemps espéré que quelqu’un, enfin, se déciderait à porter haut la critique de la reproduction artificielle de l’humain, Escudero, faisant preuve à la fois d’une certaine humilité et d’une admirable conscience de ses responsabilités, finit par se « résoudre » (c’est bien le terme employé) « à dire pourquoi les partisans de la liberté et de l’émancipation […] doivent s’[y] opposer […] » – c’est ainsi du moins qu’il termine son introduction.
  1. La stérilité pour tous et toutes !
  • Le raisonnement est le suivant : le capitalisme, dans sa version néolibérale, ravage la nature, y compris la nature humaine (entendons : le métabolisme), en ce qu’il produit une masse de polluants, en particulier les perturbateurs endocriniens, lesquels affectent la fertilité des hommes et des femmes. On observe en particulier des baisses significatives du nombre de spermatozoïdes dans le sperme des hommes habitant les régions les plus industrialisées du globe, ainsi qu’un allongement également significatif du temps qui s’écoule entre l’arrêt de toute contraception et la survenue d’une grossesse (désirée). Escudero invite ensuite ses lecteurs·trices à le « suivre un instant sur le terrain de l’économie politique » et leur explique rapidement les thèses de Marx sur l’accumulation primitive (via les enclosures), celles de Rosa Luxembourg (sic) montrant que l’accumulation dite « primitive » (usage de la force, du pillage, du vol) accompagne l’expansion du capitalisme sous sa forme impérialiste, et enfin celles de David Harvey, géographe marxiste contemporain, qui actualise ces thèses en parlant d’« accumulation par dépossession » (soit : rendre payant ce qui était gratuit, comme l’accès à des biens autrefois communs dont l’eau est un des exemples les plus révoltants). Conclusion du chapitre : « À l’ère technologique, la nouvelle voie d’expansion du capitalisme consiste à détruire les biens communs ou naturels afin d’en priver les populations. Il ne reste plus qu’à les synthétiser – par la technologie – et à les revendre sous forme d’ersatz. La beauté de la chose réside dans le fait qu’il suffit à l’industrie d’attendre que ses propres ravages lui ouvrent de nouveaux marchés. Mutilés de leur capacité à se reproduire, les humains sont contraints de payer pour avoir des enfants. C’est ce qu’on appelle un marché captif. »
  • Sur ce chapitre, hormis cette sorte de personnalisation involontaire du « capitalisme » et de « l’industrie » (qui « font » ceci ou cela, tels des sujets doués de volonté), je pourrais suivre l’auteur à peu près tout au long de son développement, sauf sur un point. Évoquant le fait connu du déficit de naissances féminines en Asie (en Inde et en Chine en particulier), sans d’ailleurs s’attarder sur les raisons de ce déficit – en particulier les structures patriarcales et la misogynie proprement criminelle qui en découle –, conjugué avec l’effet de féminisation des populations animales et humaines engendré par les polluants reprotoxiques, il croit en effet spirituel d’ajouter (du moins, j’espère que c’est ironique, même si c’est une ironie de très mauvais goût à mon avis) : « La gauche progressiste n’a pas encore poussé le cynisme jusqu’à voir dans les avortements spontanés de fœtus masculins un juste moyen de combler le déficit de naissances féminines en Asie. Elle ne s’est pas pour autant élevée contre cette inversion chimique du sex-ratio. Plutôt que de s’inquiéter du déficit de naissances masculines, elle préfère réclamer le droit pour les femmes célibataires de recourir à la PMA. Un moyen commode de combler le manque de partenaires disponibles. »
  1. Au bazar du plus beau bébé
  • Ce chapitre se présente comme une visite guidée du « Centre national pour la promotion de la reproduction artificielle de l’humain ». Il s’agit du cadre narratif qui va permettre à l’auteur de décrire les différents secteurs de l’industrie de la PMA – afin que son histoire de visite sonne plus juste, il aurait d’ailleurs mieux fait d’employer ce dernier sigle (PMA) pour l’appellation du Centre national, puisque c’est celui qui est retenu par les promoteurs de la PMA et de la GPA, précisément. Là encore, rien à dire sur la description, assez effrayante, du fonctionnement de ce nouveau business qui pesait déjà il y a quelques années « plus de 650 millions d’euros au Royaume-Uni et plus de trois milliards de dollars aux États-Unis ».
  • C’est vers la fin du chapitre que ça se gâte, avec un passage en revue des « trois positions » de la gauche « dans le récent débat sur la PMA ». Il y a d’abord les plus méchants, parmi lesquels Pierre Bergé et Marcella Iacub, qui sont évidemment à fond pour la marchandisation de l’humain. Ok, mais pourquoi en rajouter dans l’insulte qui n’aide assurément pas à l’exercice d’une critique lucide – et qui, au contraire, aurait tendance à la dévaloriser complètement ? Ainsi, Pierre Bergé ayant déclaré qu’il ne voyait pas la différence entre « louer son ventre pour faire un enfant et travailler à l’usine », Escudero rétorque : « On ignore si Pierre Bergé a jamais loué son ventre ou travaillé en usine. Mais la légitimité importe peu quand on est actionnaire du journal de référence [Le Monde, ndf] en France. » Pour l’usine, on pourrait encore avoir un doute, pour le ventre… Qu’est-ce que c’est que ces manières ? Quand à Marcella Iacub, que nous ne portons pas dans notre cœur à cause de ses positions antiféministes et qui n’hésite pas à faire miroiter la « création d’emplois » pour justifier la GPA, pourquoi, au lieu de se contenter de la citer, ce qui la situe assez aux yeux du lecteur, ajouter qu’elle utilise « des arguments à faire bander l’ex-patron du Fonds monétaire international, avec qui elle a entretenu une profitable relation de plusieurs mois » ? Ce genre d’écriture est quelque peu nauséabond.
  • Deuxième position prise par des gens de gauche : « dénoncer la marchandisation pour la faire advenir ». Ce serait celle, en particulier de Najat Vallaud-Belkacem. La citation qui figure à l’appui de cette affirmation est un peu courte – mais on peut toujours aller voir l’article de la ministre dont l’adresse est donnée en note de bas de page, et qui lève, à mon avis, toute ambiguïté sur ses intentions. Quoi qu’il en soit, dans cette citation figure la phrase suivante : « Il y a parmi les défenseurs d’une GPA gratuite et strictement encadrée, c’est-à-dire plus de 60 % des Français interrogés, des gens responsables qui ne badinent pas avec la marchandisation du corps humain et moins encore avec la dignité humaine. » Qu’à cela ne tienne ! voici l’interprétation d’Escudero : « Dans 1984, Georges Orwell nommait cela double-pensée : “En pleine conscience et avec une absolue bonne foi, émettre des mensonges soigneusement agencés. Retenir simultanément deux opinions qui s’annulent alors qu’on les sait contradictoires et croire à toutes deux. Employer la logique contre la logique. Répudier la morale alors qu’on se réclame d’elle.” » Et hop ! Le tour est joué. Vous dites quelque chose qui ne convient pas à ma démonstration ? C’est que vous donnez dans la double-pensée ! Orwell, vous dis-je, Orwell !
  • Troisième et dernière attitude de la gauche dans le débat sur la PMA : le silence et la lâcheté. Vous pensiez peut-être que vous alliez vous en sortir innocemment, car vous n’aviez pas d’avis tranché sur la question, et par conséquent vous n’en avez rien dit ? Silencieux·ses vous êtes des lâches, voilà tout.
  1. De la reproduction du bétail humain
  • Escudero explique ici que les techniques de reproduction artificielle ont d’abord été mises au point sur les animaux d’élevage, en particulier les bovins, avec l’insémination artificielle qui a placé les éleveurs sous la coupe des « experts » et de l’État, au point même qu’il est envisagé de leur interdire prochainement de laisser leurs animaux se reproduire « naturellement ». Finalement, « les agriculteurs français sont devenus des fonctionnaires. Ils ne vivent plus que des primes et subventions que l’État leur alloue. » C’est peut-être un peu rapide comme jugement…
  • Ensuite, Escudero suit l’application de ces techniques aux humains, d’où le titre du chapitre. Il montre qu’avec la fécondation in vitro (FIV), on peut bien plus facilement « sélectionner » les embryons (grâce au diagnostic pré-implantatoire, DPI) avant de les réimplanter dans l’utérus de la mère ou d’une mère porteuse, ce qui est un grand pas vers l’eugénisme. Déjà le diagnostic prénatal allait dans ce sens – ici, emporté par son élan, Escudero affirme que 150 millions de femmes ne sont pas nées en Asie (Chine et Inde essentiellement) depuis une trentaine d’années, depuis que le DPN permet de connaître le sexe de l’enfant à venir. Là encore, c’est aller un peu vite en besogne que tout mettre au compte de la technique. D’ailleurs, Escudero le reconnaît implicitement lorsqu’il dit que les fœtus féminins sont massivement éliminés par avortement – « quand les petites filles ne sont pas simplement tuées à la naissance ». Ce qui signifie, en gros, que sans les moyens techniques du DPN, les fœtus féminins seraient systématiquement tués dès l’accouchement, comme c’est souvent encore le cas. Par ailleurs, il faudrait mettre l’accent sur la responsabilité du système patriarcal, qui préfère les garçons aux filles, et sur les politiques gouvernementales de restriction de la natalité, sans parler des questions d’éducation et encore moins de pauvreté. Toutes choses qui, encore une fois, dépassent largement les seules questions techniques.
  • Escudero attaque ensuite Jacques Testard dont la carrière de chercheur s’est déroulée d’abord dans le monde de l’élevage, puis dans celui de la FIV pour les humain·e·s, et qui a été à l’origine de la naissance du premier « bébé-éprouvette » en France (en 1982). Pourtant Testard fait partie des trop rares chercheurs qui ont été juqu’à arrêter leurs recherches lorsqu’ils jugeaient qu’elles risquaient d’entraîner des conséquences dangereuses : « Moi, chercheur en procréation assistée, j’ai décidé d’arrêter. Non pas la recherche […] mais celle qui œuvre à un changement radical de la personne humaine. », écrit-il dans un de ses livres. Mais cela ne convainc pas Escudero, loin de là : « Très tôt, [Testard] comprend que pour soulager sa conscience, et poursuivre ses travaux en toute quiétude, il lui faut exprimer publiquement des réticences. […] Toute sa carrière, Testart n’a cessé de dénoncer ce qu’il faisait, et de faire ce qu’il dénonçait. Niant ses contradictions et ses erreurs, persistant à défendre la FIV tout en dénonçant le DPI, il prétend aujourd’hui s’opposer à l’eugénisme en réclamant que soit limité à un seul le nombre de critères génétiques examinés dans le cadre d’un DPI. Un seul ? Pourquoi pas deux ? Trois ? La “contre-expertise citoyenne” est une reddition permanente. » Testard n’est probablement pas aussi « radical » qu’Escudero, mais ce n’est pas une raison pour transformer une critique, voire une polémique nécessaire en entreprise de démolition systématique. Moi-même, j’avoue avoir entendu parler pour la première fois, dans le début des années 1990, de l’utilisation des techniques de reproduction artificielle et des risques d’eugénisme qu’elles entraînent par un certain Jacques Testard, qui allait partout où il pouvait faire connaître ses positions critiques. Cette entreprise de démolition me paraît d’autant plus idiote qu’elle passe à côté des aspects véritablement critiquables des positions de Testard – là-dessus, je renvoie encore une fois à l’article déjà cité de Ilana Löwy.
  • Escudero passe ensuite à la dénonciation d’autres ennemis qui, cette fois, sont vraiment aussi les nôtres (enfin, c’est mon avis) : les transhumanistes, qui sont l’émanation du capitalisme dit « cognitif » (Google et consorts). Sur fond de délires comme le téléchargement de l’esprit humain sur disque dur, ils s’occupent aussi d’applications plus immédiatement accessibles et financièrement très rentables comme la thérapie génique (à partir de l’expérience des OGM végétaux et animaux), entre autres. Escudero esquisse une rapide généalogie de l’eugénisme, rappelant au passage l’épisode nazi, puis revient au présent pour dénoncer – à juste titre – ce qui se prépare pour un futur proche : la possibilité, pour les riches , de se « payer » des enfants les plus conformes possibles à leurs désirs, y compris en les faisant porter par d’autres. Il voit dans cette évolution la transformation de la reproduction en acte de consommation et des bébés en « produits ». Et là, de nouveau, il dérape gravement : « Liberté des consommateurs libres sur un marché libre et concurrentiel. Totale servitude de l’objet de consommation sélectionné, manipulé, produit sur mesure et acheté. Cet objet, c’est un enfant. Le droit de propriété comprend l’abusus, la possibilité de disposer d’un objet, en le vendant, en le modifiant, voire en le détruisant. Si l’objet est livré mal à propos, la liberté du consommateur est donc de pouvoir le supprimer. Ainsi de prétendues féministes – en fait des consommatrices extrémistes – écrivent à propos de l’infanticide : “Un enfant n’existe que quand il y a projet d’enfant, que quand la femme qui le porte le fait exister comme tel, donc dès les premières minutes si on le désire. […] Quand on ne veut pas d’un enfant, quand on ne l’attend pas, c’est un problème, une galère, une catastrophe mais pas un enfant. La femme n’est alors pas mère, elle ne tue pas un enfant, elle règle un problème.” » C’est évidemment moi qui souligne. Escudero se donne le doit de déterminer qui est féministe et qui est une « consommatrice extrémiste ». Il suffit de lire la brochure Réflexions autour d’un tabou. L’infanticide pour comprendre ce qu’il en est. Les deux phrases citées sont d’ailleurs assez claires, non ? Reste à comprendre pourquoi elles choquent à ce point Escudero : ignorance, emportement dans son argumentation, ou simple bêtise ? Ou peut-être aussi, surtout, aveuglement du mâle blanc occidental face aux souffrances et aux révoltes des femmes.
  1. Les crimes de l’égalité
  • Alexis Escudero est assez prodigue en exergues. Chaque partie de son livre exhibe les siennes, et ce chapitre ne fait pas exception, avec une citation de Guy Debord, le penseur à l’évidence incontournable pour qui se veut critique aujourd’hui. Voici : « Les actuels moutons de l’intelligentsia […] ne connaissent plus que trois crimes inadmissibles, à l’exclusion de tout le reste : racisme, antimodernisme, homophobie. » C’est extrait de la correspondance du grand homme, qui aurait peut-être mieux fait de tourner trois fois sa plume dans l’encrier avant d’écrire ce jour-là (en 1993). C’est moi qui ai souligné le mot « moutons », car dans ce quatrième et dernier chapitre du livre, la référence ovine va devenir quasi obsessionnelle. Ça commence d’ailleurs dès l’entame : « Si tous les moutons sont identifiés et tracés par puce électronique (puce sans contact RFID – radio frequency identification), tous ne marchent pas à quatre pattes. Écoutez le bêlement du troupeau dans les bergeries du pouvoir […] » Là, il s’agit, en accumulant quelques citations de responsables politiques en faveur de la PMA, de démontrer comment, « rouges ou verts, citoyennistes ou radicalistes, la PMA active et alimente leur fier panurgisme. » (Panurge, les moutons, vous voyez, hein.) Au passage, notons le « radicalistes », qui permet au « radical » Escudero (page 30, il nous avait informés : « Je ne suis pas extrémiste, je suis radical. ») de se distinguer… du troupeau, ou de ses mauvais pasteurs. D’ailleurs, quelques lignes plus loin, il change d’avis quand à la nature de ces politiciens : « Nul besoin d’être un zoologue averti pour remarquer combien les bêlements de ces loups déguisés en agneaux sonnent faux. Faux, parce qu’une fois de plus, l’égalité prétendue sur le plan sociétal ne sert qu’à occulter les inégalités sociales. Faux surtout parce que les bergers de la gauche libérale confondent sciemment égalité et identité – entendue ici comme caractère de ce qui est identique. » Alors, loups ou bergers ? Il faudrait savoir… D’autant qu’on revient aux moutons juste après. Alors que François Hollande annonce son pacte de responsabilité qui fait plaisir au Medef, « Où sont passés aujourd’hui les moutons de l’égalité pour tous ? Puisque “l’égalité n’attend pas”, et que “le gouvernement ne doit pas céder sur l’égalité”, pourquoi les protestations contre le pacte de responsabilité sont-elles si marginales ? Les manifestations en faveur du mariage homo, qui ont mobilisé plusieurs centaines de milliers de personnes il y a moins d’un an, montrent pourtant que ce ne sont ni les réseaux, ni les talents d’organisateurs, qui manquent à la gauche. » Décidément, ces méchants moutons homosexuels sont vraiment perfides : ils ne se mobilisent pas contre le pacte de responsabilité ! C’est à pleurer, n’est-ce pas ? Mais Escudero ne se décourage pas pour autant, il n’a pas oublié sa mission, qui est d’éclairer ses lecteurs·trices sur les tenants et aboutissants de toute l’affaire : « La raison de ce mutisme, c’est l’abandon des classes populaires par la gauche depuis quarante ans. Suivant le “libéralisme avancé” de Giscard d’Estaing, elle préfère séduire les classes moyennes en leur donnant des hochets sociétaux. C’est désormais un lieu commun : l’égalité mise en avant par les gouvernements en matière sociétale sert à occulter et à faire accepter les inégalités sociales et économiques. Sous Giscard : le droit de vote à 18 ans, la dépénalisation de l’avortement, et la loi sur le divorce pour faire passer la récession, la désindustrialisation et la montée du chômage après les chocs pétroliers. » (C’est moi qui souligne.) Faut-il vraiment commenter ? L’auteur de ces phrases ne doit guère fréquenter de féministes – ou en tout cas, il ne leur fait pas relire ses textes. Ça lui éviterait de parler de la dépénalisation de l’avortement et de la loi sur le divorce comme de hochets sociaux, pardon, « sociétaux ». Escudero prend alors pour cible la fondation Terra Nova, Think Tank du hollandisme, semble-t-il, qui explique effectivement que « La nouvelle gauche a le visage de la France de demain : plus jeune, plus féminin, plus divers, plus diplômé, plus urbain. Cette France de demain, en construction, est unifiée par les valeurs culturelles : elle veut le changement, elle est tolérante, ouverte, solidaire, optimiste, offensive. […] Pour accélérer ce glissement tendanciel, la gauche doit dès lors faire campagne sur ces valeurs, notamment culturelles : insister sur l’investissement dans l’avenir, la promotion de l’émancipation, et mener la bataille sur l’acceptation d’une France diverse. » Et Escudero de poursuivre : « Et mettre en sourdine tout discours sur l’égalité économique. Le rapport de Terra Nova constitue le plan de com’ du gouvernement socialiste depuis son élection, et motive toute cette agitation autour du mariage homo. L’essayiste Jean-Claude Michéa explique bien cette dynamique: “[…] Tant que les Français ne s’affrontent que sur la seule question du mariage gay (et, demain, de la “dépénalisation” du cannabis ou du vote des étrangers) le système capitaliste peut effectivement dormir sur ses deux oreilles.” » Après les féministes, les homos, les agriculteurs fonctionnarisés, voici les étrangers·gères et leurs ami·e·s : Escudero ne craint pas de se brouiller avec beaucoup de monde… Mais c’est bien ce qui arrive quand on se réfère à des atrabilaires comme Michéa, lequel a viré assez réac pour que le site Égalité et réconciliation, du facho Alain Soral, reprenne systématiquement ses articles. Mauvaise pioche.
  • Il est vrai qu’il y a urgence : « En réalité, la revendication d’un droit à l’enfant par des bourgeois stériles (homos ou hétéros) se paye de l’exploitation de milliers de femmes pauvres, contraintes de vendre leurs ovules et de louer leur ventre dans des usines à bébés. Les GPA “conviviales”, entre bénévoles, ne sont que l’exception qui confirme la règle. Où l’on voit la diversité contredire l’égalité. » Les « bourgeois stériles » apprécieront. Mais revenons à nos moutons : « L’imposture du bêlement égalitaire ne s’arrête pas là. La décomposition de toute pensée radicale cohérente à gauche depuis quarante ans et son remplacement progressif par la bouillie post-structuraliste ont vidé de son sens jusqu’à l’idée d’égalité. Croyant promouvoir une égalité en droit sur les questions de procréation, le troupeau progressiste défend l’uniformisation biologique des individus. » (C’est encore moi qui souligne.) C’est toujours pratique de stigmatiser quelque chose que personne ne connaît, comme la « bouillie post-structuraliste ». Ça vous pose un peu là, comme théoricien rigoureux qui ne mange pas de ce pain-là, non mais ! Et, dans le même mouvement, on peut balancer des énormités comme cette soi-disant volonté d’uniformisation biologique – que je sache, ce n’est tout de même pas la préoccupation principale des « avant-gardes de la gauche libérale » pour lesquelles (selon Escudero) toute différence est nécessairement inégalité, ce qui justifierait d’abolir toute différence afin d’obtenir l’égalité. À l’appui de cette affirmation, Escudero cite en note Christine Delphy qui écrivait à propos des discriminations en terme de genre et de race dans Classer, dominer. Qui sont les autres ?: « La hiérarchie ne vient pas après la division, elle vient avec – ou même un quart de seconde avant – comme intention. Les groupes sont créés dans le même moment et distincts et ordonnés hiérarchiquement. » Et Escudero de commenter : « Pour le dire autrement, “Dans toute différence il y a déjà une contradiction, et la différence elle-même constitue une contradiction”. Mao, De la contradiction, 1957. » Ce n’est peut-être pas de la « bouillie », même si ça y ressemble, mais c’est en tout cas une véritable escroquerie intellectuelle. Qu’est-ce qui permet, dans ces citations, de dire qu’on défend l’uniformisation biologique des individus ? Ou que l’on souscrit à cette imbécillité : « L’égalité, c’est l’identité. » (Car c’est finalement à quoi aboutiraient les « bêlements égalitaires » selon Escudero.) Heureusement qu’il est là pour asséner cette vérité comme on enfonce une porte ouverte : « On ne le dira jamais assez : l’égalité n’a de sens qu’entre des individus différents. » J’en reste comme deux ronds de flan.
  • Et ce n’est pas fini : « Le dévoiement du féminisme en post-féminisme, et notamment en cyber-féminisme, illustre ce déni des différences biologiques. Combattre les inégalités homme/femme est désormais has been. Les inégalités de salaire, la répartition des tâches ménagères, l’affirmation des femmes dans la sphère publique, c’était bien bon pour les féministes horriblement universalistes des années 1970. Apparu aux États-Unis au début des années 1990 sous l’influence de Donna Haraway, nourri à Foucault, à Derrida et à la science-fiction, le cyber-féminisme se veut bien plus radical. Ce sont les différences biologiques entre hommes et femmes qu’il entend abolir. » Là, on croirait entendre les plus obtus d’entre les manifestants homophobes – ou des masculinistes. Mais on se dit que l’auteur va étayer son opinion en analysant les propositions de ceux qu’il vitupère. Pas du tout. Il enchaîne sur une citation d’une certaine Peggy Sastre, auteure de Ex Utero. Pour en finir avec le féminisme, laquelle tient blog sur le site du Nouvel Observateur (tiens, une « bergerie libérale », comme dirait l’autre), sur les thèmes suivants : « sexe, sciences et al. ». Bien. Et que nous dit-elle dans l’extrait cité par Escudero ? « « Il y a quelques temps, j’avais traduit pour Slate [un magazine en ligne] un article qui revenait sur la découverte, faite par une équipe de chercheurs italiens, d’un moyen efficace et relativement facilement généralisable de retarder la ménopause (voire de l’abolir, tout simplement) : demander à des femmes de congeler leurs tissus ovariens dans leur vingtaine, pour se les faire greffer plus tard, et augmenter ainsi de manière spectaculaire leurs chances de procréer au-delà de la date de péremption “décidée” par la nature. […] Comment envisager de technique plus féministe, plus sexuellement égalitaire ? L’arrêt brutal de la fertilité féminine, aux alentours et en moyenne de la petite cinquantaine, ne fait-il pas partie des injustices les plus éhontées entre hommes et femmes, et de celles qui possèdent des ramifications sociales et sociétales aussi profondes que nombreuses ? » (C’est moi qui souligne.) Le procédé de Escudero : faire porter aux féministes la responsabilité de ce genre de manips, à partir de leur dénonciation par une antiféministe, est quelque peu tordu, non ? De citations de Foucault ou Derrida, même tronquées, même sorties de leur contexte, on n’en trouvera pas. En plus d’être un peu pervers, Escudero me paraît assez paresseux intellectuellement… Mais poursuivons. Deux pages plus loin, il donne enfin une citation « d’une féministe canadienne, Shulamith Firestone ». Elle date de 1979, mais tant pis, c’est déjà ça. Elle vient après un développement sur les « délires post-féministes » autour de l’utérus artificiel, soit une machine qui permettrait de mener à terme le développement d’un fœtus entièrement hors de tout corps de femme. Or, la « féministe canadienne » l’avait prévu, lisez : « Le but final de la révolution féministe doit être, non seulement l’élimination du privilège masculin, mais l’abolition de la distinction entre les sexes elle-même : culturellement, les différences génitales entre les êtres humains n’auraient plus alors aucune importance. […] La reproduction des espèces par un seul sexe au bénéfice des deux serait remplacée par la reproduction artificielle (ou au moins le choix de cette option) : les enfants seraient issus des deux sexes à proportions égales, ou d’aucun d’entre eux si l’on préfère voir les choses ainsi. » Mais Escudero ne commente pas cette citation. Il nous laisse pantois·e·s devant la situation horrifique qu’elle est censée illustrer. Elle laisse pourtant entrevoir un avenir utopique sur lequel on pourrait réfléchir, un peu comme la « société sans classes » du communisme de Marx. Ah mais non, c’est vrai, il ne faut pas toucher à la nature, parce que c’est mal : ainsi, l’enjeu de la revendication de la PMA pour les couples de lesbiennes n’est rien d’autre que « la possibilité pour des personnes de même sexe de “faire” des enfants. » L’enfer : « On quitte l’égalité [des lesbiennes avec le reste du genre humain] pour l’identité, l’équivalence biologique. » D’ailleurs, les homos, « Si leur désir d’enfant dans un monde surpeuplé les travaille à ce point, ils peuvent toujours adopter. Donner des parents aux orphelins en levant les restrictions aux procédures d’adoption voilà un engagement digne. » J’adore qu’on m’explique ce qu’est un engagement digne. Les gays et lesbiennes doivent adorer aussi, j’imagine.
  • Le problème que pose l’extension du droit à la PMA aux couples de lesbiennes, selon Escudero, c’est qu’elle ouvre la voie à l’extension de la PMA à tous les couples, hors les restrictions actuelles qui la limitent aux cas d’infertilité avérée. Plutôt que de se déchaîner contre les féministes et les homos, pourquoi ne pas simplement proposer que des lesbiennes qui veulent un enfant soient considérées comme un couple infertile, ce qui semble bien être le cas ? Mais ce serait accepter « une technique de convenance et […] sa généralisation. » Hormis les interventions plus ou moins lourdes et désagréables que nécessite cette technique, et qui ne s’accordent guère avec ce terme de « convenance », j’entends dans ce dernier une note moraleuse qui ne me plaît guère. Il est vrai que pour Escudero, les féministes, ou plutôt les « post-féministes », les gays et lesbiennes ne sont rien que des consommateurs égoïstes voire extrémistes, des bourgeois stériles, bref des êtres immoraux. Il arrive que ce vocabulaire me fasse un peu froid dans le dos – il me semble l’avoir déjà entendu quelque part, non ?
  • Je passe sur le cauchemar suivant d’Escudero qui est la reproduction homosexuelle. Si, il paraît que des savants fous y travaillent. Et bien sûr, « on verra bientôt des consommateurs narcissiques revendiquer, au nom de l’égalité avec les couples, leur droit de faire un bébé tout seul ». Un peu pessimiste, Escudero. Il porte un regard assez désespéré sur ses contemporains. Paradoxalement, c’est ce qu’il reproche lui-même aux autres – les technocrates, les socialistes, les autres, quoi, les méchants : « Appeler “égalité”, ce qui n’est qu’uniformisation biologique des individus, c’est accepter le principe fondateur du libéralisme économique selon lequel l’homme est un loup pour l’homme. Les hommes incapables de fixer des règles, de réguler collectivement leurs comportements pour permettre à tous de vivre et de s’épanouir quelles que soient leurs différences, la gauche assigne à la technologie la tâche de les rendre identiques, dans l’espoir que ce nivellement mettra fin aux discriminations et aux inégalités. Ce pessimisme libéral abandonne à la technologie le combat pour l’égalité, et renonce en fait à toute vie politique. » Et les moutons, que deviennent-ils ?
  • Les revoilà, dès le paragraphe suivant : « Derrière cette confusion ovine entre égalité et identité, se cache une conception libérale et anthropophobe de la liberté: une liberté non plus politique, mais consumériste, et dont l’unique critère est l’abolition de la nature, de ce qui naît ; une liberté qui confond émancipation et désincarnation. » Illustrant ce projet cauchemardesque, voici une autre citation, de 1983, celle-là (on progresse). Elle est d’Alison Jaggar, « aujourd’hui professeur en philosophie et études de genre à l’université du Colorado » : « Nous devons nous rappeler que la transformation ultime de la nature humaine à laquelle aspirent les socialistes féministes va au-delà de la conception libérale de l’androgynie psychologique : elle est une possible transformation des capacités “physiques” humaines, dont certaines, jusqu’à présent, ont été considérées comme biologiquement limitées à un seul sexe. Cette transformation pourrait même inclure la possibilité de l’insémination, de l’allaitement et de la gestation, de sorte que par exemple, une femme pourrait en inséminer une autre, de sorte que les hommes et les femmes n’ayant jamais accouché pourraient allaiter, et que les ovules fécondés pourraient être transplantés dans des femmes ou même dans le corps des hommes. » Contrairement à ce que nous racontait Escudero sur « la haine de ce qui naît », ou « le corps vécu comme une prison dont il convient de s’affranchir », si je lis bien la citation, je comprends qu’il y est question d’un monde ou moi aussi (il est temps que je révèle que je suis de sexe biologique masculin), je pourrais allaiter et accoucher. Même si ça me paraît encore un peu lointain, je ne vois pas en quoi cela reflète une haine de la nature et du corps. Bien au contraire, je dirais que cela traduit un bel optimisme quant aux possibilités d’empowerment des corps, quel que soit leur sexe. Et je commence à mieux comprendre pourquoi l’un des rares philosophes convoqués – et non pas conchiés – par Escudero est Hans Jonas (en fait, une citation de Jonas trouvée dans Habermas, L’Avenir de la nature humaine. Vers un eugénisme libéral ?). Jonas a beaucoup écrit sur Le Principe responsabilité (titre de l’un de ses principaux ouvrages, qui a inspiré une partie des législations contemporaines sur l’environnement). Il y évoque avant tout la responsabilité des humains vis-à-vis des générations futures. C’est une pensée également assez pessimiste, qui s’inquiète de l’état de la planète que nous laisserons à nos enfants et petits-enfants. Or cette vision est aussi critiquable. La notice Wikipedia sur l’œuvre de Jonas nous apprend ainsi que le philosophe Arno Münster y voit « le rejet d’un rapport à l’avenir fondé sur la pensée de l’espérance et l’utopie concrète », comme celui, basé sur l’utopie, que proposait par exemple un autre grand philosophe, marxiste celui-là, Ernst Bloch, dans Le Principe espérance. Il n’est pas question de se livrer ici à un exposé philosophique qui dépasse mes compétences, mais le bouquin d’Escudero charrie bien plus qu’il ne veut le dire des conceptions philosophiques, précisément, qui mériteraient d’être exposées clairement et discutées – et l’on découvrirait sans doute qu’elles sont plutôt réactionnaires.
  • Pour revenir au fil du livre, je tombe à présent sur un passage où son auteur se prend les pieds dans le tapis. En effet, dans sa rage de dénonciation du « prétendu égalitarisme technologique », il note justement que « tout le monde ne bénéficiera pas à égalité des projets technologiques » : « L’élite de la technocratie continuera d’accéder aux meilleurs outils de sélection génétique, aux meilleures techniques de manipulation embryonnaire, aux implants électroniques les plus performants. Les inégalités sociales se doubleront d’une inégalité biologique. Dans le monde machine, tout le monde est augmenté, mais certains sont plus augmentés que d’autres. » Là, Escudero ne critique plus le principe technologique, mais son application, au point que l’on pourrait penser qu’il deviendrait acceptable s’il était mieux réparti entre toutes et tous. Ce qui ne manque pas d’être contradictoire avec tout ce qui a été dit auparavant. Mais bon, on voit bien quand même ce qu’il veut dire : que la technique c’est mal.
  • Toute polémique contemporaine atteint tôt ou tard son « point Goodwin », c’est-à-dire le stade où l’adversaire est présenté comme un nazi. Ça ne pouvait pas manquer ici, en prélude à, enfin, une citation de Donna Haraway. « Leur idéal [celui des post-féministes et autres transhumanistes, selon un amalgame désormais familier] : l’homme fabriqué, construit, puis autoconstruit. Le self made man. L’homme-nouveau bolchevique, le surhomme nazi. Le cyborg, débarrassé de toute contrainte sociale, culturelle, historique et bien sûr biologique. Donna Haraway, biologiste et prêtresse du féminisme cyborg, explique: “Le cyborg n’a pas d’histoire originelle au sens occidental du terme, ultime ironie puisqu’il est aussi l’horrible conséquence, l’apocalypse finale de l’escalade de la domination de l’individuation abstraite, le moi par excellence, enfin dégagé de toute dépendance, un homme dans l’espace.” » Je pense que je vais me plonger immédiatement après cette lecture dans celle de Donna Haraway, afin de comprendre quel est son apport original et en quoi il est critiquable ou pas, mais là, je ne suis pas convaincu par la pertinence de la citation.
  • Escudero persiste dans son être et sa détestation d’un certain nombre de philosophes du xxe siècle. Ainsi, revenant sur le fantasme transhumaniste de « mind uploading», soit le téléchargement de l’esprit, il en situe la naissance chez Robert Wiener, théoricien de la cybernétique. « Pour les cybernéticiens, l’homme n’est qu’un ensemble d’informations. Son cerveau : un ordinateur. Son corps : une machine. Ce “paradigme informationnel” est la matrice commune du transhumanisme et de la philosophie post-moderne – Lyotard, Derrida, Foucault, Deleuze, Guattari – et donc du post-féminisme. » N’est-ce pas plus simple comme ça, tout le monde dans le même sac ?
  • Et afin de convaincre celles ou ceux qui ne le seraient pas encore, Escudero a recours à un argument choc : en fait, cette séparation du corps et de l’esprit, cette haine de la matière, de la nature, tout cela existait déjà il y a très longtemps. Aussi bien les transhumanistes, postféministes et philosophes postmodernes sont-ils les héritiers… des manichéens et de leurs avatars cathares ! Bon sang mais c’est bien sûr ! Sylviane Agacinski critique-t-elle le projet d’utérus artificiel en disant que « cette idée rejoint le vieux rêve chrétien de désincarnation et de masculinisation de l’humanité » ? Non ! s’insurge Escudero, pas chrétien, manichéen ! Le voici antihérétique, à présent. Voire inquisiteur ? C’est à se demander s’il ne voudrait pas ménager ces autres opposants à la PMA pour tous que sont les cathos de la manif pour les mêmes tous… Bon d’accord, je suis un peu de mauvaise foi, là. Je retire. Cela dit, je ne comprends pas l’insistance d’Escudero à vouloir attribuer ce « vieux rêve de désincarnation et de masculinisation » aux seuls manichéens… Décidément, l’orthodoxie antitechnologique mène à tout.
  • Revenant au présent, Escudero fustige la gauche et les progressistes qui, dans leur souci de s’opposer aux lubies réactionnaires d’un « ordre naturel », jetteraient le bébé (la nature) avec l’eau du bain (les réacs). Et de nous infliger une nouvelle citation, extraite du livre de Jean-Claude Guillebaud, La Vie vivante, contre les nouveaux pudibonds : « En privilégiant le construit sur le donné, les gender studies entendaient s’affranchir des pesanteurs charnelles et naturelles, au prétexte qu’elles servaient presque toujours de paravent à la domination. La démarche conduit à une impasse. Elle revient à négliger, voire à mépriser, le vécu de l’incarnation, c’est à dire l’expérience subjective du corps, celle de la vie vivante. Cela revient en somme à tomber de l’autre côté du cheval en remplaçant l’erreur naturaliste par son image inversée. La vérité du corps comporte, étroitement imbriquées, les deux dimensions. Entre nature et culture, elle occupe une place intermédiaire. » Kesaco, « une place intermédiaire » ? Et pourquoi privilégier le construit sur le donné reviendrait-il à négliger, voire mépriser l’expérience subjective du corps ? C’est à l’évidence le contraire qui est vrai – en effet, qu’est-ce qui est construit, sinon l’expérience subjective (par rapport au donné, qui peut-être, entre autres, un héritage génétique) ?
  • Après cet envoi, Escudero voudrait toucher avec une citation de Chomsky sur un homme « dépourvu de structures innées de l’esprit » qui serait la proie idéale des régimes autoritaires. Et il poursuit : « Avis aux déconstructionnistes et apôtres de Derrida pour qui l’humain est une pâte à modeler qu’on peut construire, déconstruire et reconstruire à sa guise… » Bon, je crois qu’en plus de Harraway, je vais essayer de lire aussi Derrida.
  • Suivre les zigzags permanents d’Escudero devient quelque peu lassant à la longue. Pourtant, il y aurait encore beaucoup à dire. Nous assistons ainsi dans les dernières pages de ce quatrième chapitre à un véritable tête-à-queue idéologique : Escudero commence par attaquer la gauche qui, en refusant que la génétique (l’inné) détermine quoi que ce soit, et en donnant la prééminence au « construit » (à l’expérience de la vie), ferait preuve d’un « anti-essentialisme primaire » et s’interdirait toute réflexion : « Loin d’évacuer la nature du débat politique, comme [l’anti-essentialisme primaire] le prétend, il la réintroduit comme critère négatif. Ce n’est pas la Raison qui oriente son action, mais une nouvelle conception moraliste et religieuse de la nature. Est mauvais ce qui est naturel. Est bon ce qui est artificiel. Nouvelle époque, même obscurantisme. » On ne voit pas bien ce qui autorise Escudero à taxer l’anti-essentialisme de « primaire » (comme l’anticommunisme de la guerre froide), ni comment il en vient à sa conclusion sur le « mauvais naturel » et le « bon artificiel » ; pas plus pourquoi il reproche à ces conceptions de n’être pas guidées par la Raison… Ma perplexité s’est encore accrue à la lecture du paragraphe suivant, qui s’en prend précisément au promoteur de la Raison triomphante, soit Descartes. Et qui dénonce le projet de domination de la nature. En somme je ne sais plus quoi penser : faut-il ou non célébrer la Raison et dénoncer une « nouvelle conception religieuse et moraliste de la nature », comme semble y inciter le zig, ou au contraire stigmatiser Descartes et son projet de rendre les hommes « maîtres et possesseurs » de cette même nature, comme dit le zag ? Un projet « né des meilleures intentions », ajoute Escudero : comment ça ? J’aimerais bien avoir quelques précisions sur ces intentions, mais je subodore qu’elles n’étaient pas nécessairement « bonnes » – ni forcément « mauvaises », d’ailleurs. Bref. Escudero termine son chapitre de manière comique en assénant que « hurler avec les moutons que la nature est l’ennemie revient à tirer sur un corbillard ». Où l’on voit que, malgré ce qu’il disait plus haut, les notions de zoologie de l’auteur sont tout de même assez approximatives. « À l’ère du capitalisme technologique, la lutte pour la domination de la nature, qui fut facteur d’émancipation, devient facteur d’asservissement. » Là encore, je reste sur ma faim : quand et comment cette lutte pour la domination de la nature fut-elle « facteur d’émancipation », je ne le saurai pas ; et ce n’est pas la référence à Illitch (sur la différence « entre technique autonome et technique hétéronome ») qui suit immédiatement cette affirmation, qui suffira à combler mes doutes.
  • Mais bon, comme Escudero conclut en proclamant que « l’émancipation sera politique ou ne sera pas », je ne peux qu’être d’accord avec lui.
  • Conclusion
  • La conclusion du livre se présente comme une sorte d’ordonnance en dix points délivrée par Doc Escudero pour nous guérir, nous autres ignorant·e·s, de notre grave affection technologique. Le problème est que sur les dix points, neuf concernent le diagnostic, particulièrement sombre, et un seul, le dernier, un possible remède. Je donne ici les deux derniers points qui résument assez bien l’esprit de l’ensemble :
  • « 9 – La gauche techno-libérale – transhumanistes assumés ou non, inter-LGBT, philosophes post-modernes, cyber-féministes – entretient sciemment la confusion entre égalité et identité biologique, entre émancipation politique et abolition de la nature.
  • « 9 bis – Sous couvert du progrès, cette gauche nourrit un projet totalitaire : l’abolition, par re-création technologique, de tout ce qui naît.
  • « 10 – S’il reste à gauche des partisans de l’égalité et de l’émancipation, ils doivent prendre la parole, et dénoncer cette entreprise menée en leur nom. »
  • C’est moi qui souligne ce « doivent ». Il est assez représentatif de la posture de l’auteur. Posture surplombante, méprisante, autoritaire, qui se double d’une imposture intellectuelle nourrie d’amalgames, d’approximations, de mensonges (inconscients ?) et d’ignorance. Pour le dire autrement, selon moi, ce livre est une mauvaise action. À n’en pas douter, il faut critiquer (et agir contre) l’évolution des techniques et des technosciences – mais précisément, il faut se donner les moyens d’un véritable examen critique, et ne pas se livrer à une agit’prop’ qui brouille les pistes plus qu’elle ne les éclaire et, de ce fait, entretient notre impuissance.

Gyn&co: Enfin une liste de soignantEs féministes!

krugerEnfin une liste de soignantEs féministes!

Nous sommes un groupe de militantes féministes et nous en avons marre des soignantEs ayant des pratiques sexistes, lesbophobes, transphobes, putophobes, racistes, classistes, validistes, etc. Nous avons donc mis en place Gyn&Co (https://gynandco.wordpress.com/) pour mettre à disposition une liste de soignantEs pratiquant des actes gynécologiques avec une approche plutôt féministe (qu’il s’agisse de gynécos, de médecins généralistes ou de sages-femmes). 

Nous sommes nombreux’ses à avoir été confrontéEs à des expériences malheureuses avec unE soignantE lors de consultations gynécologiques : qu’il s’agisse de propos jugeants ou déconsidérants, d’un manque de respect de l’intégrité de nos corps, d’un refus de tenir compte de nos choix voire de discrimination ou de violence. De plus, nous n’avons pas forcément les mêmes besoins et attentes selon nos situations et nos pratiques – handicap, travail du sexe, usage de drogue, séropositivité, polyamour, etc. 

Pour mener à bien ce projet, nous avons élaboré un questionnaire afin de collecter des coordonnées de soignantEs et de les mettre à la disposition de touTEs. Attention il s’agit bien d’une LISTE POSITIVE : nous n’intégrerons que les coordonnées de professionnelLEs nous ayant été recommandéEs sur des critères positifs.*

Les questionnaires rapportant des expériences individuelles, il est possible que nous n’ayons pas connaissance de l’ensemble des pratiques réalisées par le/la soignantE. Par exemple, si une fiche médecin ne fait pas mention de la possibilité de faire une pose de stérilet ou un accompagnement IVG, cela ne signifie pas que cetTE professionnelLE ne le propose pas. Nous ne faisons que reporter les informations nous ayant été transmises.

Donc, si vous ne pouvez pas répondre à toutes les questions, cela ne veut pas dire que ce soignantE n’est pas recommandable par ailleurs. Dans le doute, envoyez-nous vos questionnaires avec vos commentaires.

Et rappelons encore que c’est un projet collaboratif et évolutif qui dépend de nous touTEs ! Nous comptons sur chacunE pour l’alimenter, le compléter, le corriger ! (via commentaires ou mails – non publiés mais pris en compte)

Le questionnaire est ici.

Et n’hésitez pas à nous écrire à  gynandco@riseup.net! Surtout si vous avez des questions sur une soignantE ou une requête personnelle à laquelle vous n’avez pas trouvé de réponse.

—-

*Nous nous basons sur les expériences subjectives des patientEs tout en sachant bien qu’évaluer unE soignantE sur ce critère a un caractère aléatoire. Effectivement, unE soignantE peut avoir des retours différents selon les patientEs. C’est pour cela que nous ne prenons en compte que les recommandations des patientEs sur unE soignantE, si cela s’est bien passé, nous la mettrons sur la liste.

Mlac : un bref historique

La loi de 1920, réprime la complicité et la provocation à l’avortement ainsi que toute propagande anticonceptionnelle, mais laisse en vente libre les préservatifs. Elle sera renforcée par trois lois (1923, 1941, 1942) qui aggravent les peines et criminalise ces pratiques. Il faut repeupler là où les guerres sont passées.

Dater un commencement est une chose difficile, et même parfois impossible. Pendant les grands chamboulements de 68, des groupes de femmes se sont constitués un peu partout, et notamment sur le constat de leur exclusion des sphères de décision. Les femmes se sont mises à parler ensemble de leur vécus de femmes au sein d’un système social masculin. Leur condition n’est plus une fatalité individuelle mais une oppression commune. Elles déclarent que le privé est politique et ajoutent leurs voies à celle du mouvement français pour la planification des familles -MFPF, crée en 1960- pour proclamer le droit de chaque femme à disposer de son corps, à n’avoir de maternités et de rapports sexuels que désirés et choisis. Plus largement, la révolte gronde contre l’ordre moral et le tabou que représentent les sexualités. C’est ce que les historiens ont nommé la libération sexuelle.

1970 est l’année d’apparition publique du Mouvement de Libération des Femmes -MLF- en France. Les femmes affirment alors que la sexualité et la procréation doivent être dissociées. Les actions publiques s’enchaînent pour dénoncer l’oppression des femmes et la revendication du droit à l’avortement descend dans la rue. «La liberté d’avortement est la première étape de notre libération», mais il est clair que la lutte déborde largement de cette question.

C’est ainsi que 343 femmes, célèbres ou anonymes, signent le 5 avril 1971 un manifeste dans lequel elles affirment avoir avorté, et donc avoir enfreint l’article 317 du Code Pénal de 1810 , et dans lequel elles revendiquent la liberté de l’avortement. Jusqu’à ce jour, les interruptions de grossesse se passent dans une clandestinité totale, au profit des «faiseuses d’anges», entraînant de nombreux décès et mutilations surtout chez les femmes plus pauvres qui ne peuvent se payer un trajet à l’étranger.

Ce manifeste constitue un véritable défi au pouvoir, qui n’avait alors le choix qu’entre deux options : soit poursuivre en justice les 343 signataires, ce qui n’était pas assumable politiquement ; soit reconnaître que les lois de 1920 et de 1923, qui avaient renforcé la répression de l’avortement, n’étaient de fait plus applicables.

Contrairement à ce qu’on retient souvent de cet épisode, certaines des signataires ont payé cher leur prise de position : il s’agissait des femmes moins célèbres, enseignantes par exemple, qui se sont vues brutalement renvoyées après la publication du Manifeste.

Alors que ce manifeste est devenu dans les mémoires comme celui « des 343 salopes », jamais les 343 femmes signataires ne se sont auto-dénommées ainsi. En fait ce terme viendrait de la couverture de Charlie Hebdo du 12 avril 1971, mettant en scène Michel Debré, connu pour ses positions natalistes.

Après ce manifeste, et le procès de Marie-Claire à Bobigny en octobre novembre 1972 (cinq femmes passent en jugement : une femme mineure, Marie-Claire C qui avait avorté après un viol et quatre majeures. Défendues par Gisèle Halimi -figure importante du mouvement, avocate co fondatrice de Choisir- le procès est une victoire judiciaire et médiatique), la loi n’était plus applicable, ce qui oblige les médecins à prendre position. Le Conseil de l’Ordre des médecins, s’oppose catégoriquement à toute légalisation de l’avortement, et son président Lortat-Jacob ira jusqu’à dire des 343 femmes signataires du Manifeste qu’en « observant la qualité nominale des 343 délinquantes en question, l’orthographe et la résonance de leur nom patronymique, elles n’apparaissent pas très catholiques.»

Par ailleurs, le 3 fevrier 1972 paraît un manifeste du même nom, représentant 331 médecins signataires, dans lequel ils déclarent pratiquer des avortements. La plupart sont issus du Groupe Information Santé. Le GIS, créé en 1972 par des médecins et étudiants en médecine militants d’extrême-gauche, lutte pour la restitution aux usagers de leur pouvoir sur leur corps et leur santé.

C’est dans ce contexte qu’est créé le Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception, M.L.A.C, en avril 1973.

Des tensions politiques sont nées au sein de l’association Choisir, et le Mlac se crée alors sur l’affirmation de la mixité, mais surtout d’une position plus révolutionnaire: « nous privilégions la lutte contre l’idéologie présente et nous pensons que la seule position juste est celle que nous découvrirons demain en poursuivant l’analyse à travers notre pratique », la lutte doit coller à la vie : « nous nous efforçons d’analyser notre vie quotidienne et de la reconstruire sur des bases non capitalistes ». Le M.L.A.C rassemble des groupes femmes, des membres du GIS, du MFPF, de partis et de syndicats communistes et révolutionnaires, du Parti Socialiste Unifié, de la CFDT, mais aussi des individu-e-s « non encartés », autonomes, au début principalement des personnes appartenant au corps médical.

Son objectif est de répondre aux difficultés rencontrées par les femmes désirant avorter. Le but premier de l’association est de rencontrer les femmes dans les permanences et les aider à avorter en organisant leur voyage vers l’Angleterre et la Hollande ou en réalisant leur avortement sur place le cas échéant. En effet, une nouvelle méthode d’interruption de grossesse «par aspiration » est arrivée en France en 1972, la méthode Karman. Celle-ci se transmet très rapidement à tout le mouvement, elle permet entre autre d’être pratiquée par des non-médecins. Le MLAC exerce également une activité de promotion et de lutte pour l’avortement et la contraception par l’organisation de campagnes, de manifestations…

Très vite les nombreux (300 à 400) et très variés comités vont ouvrir des locaux directement liés à la pratique de l’avortement.

L’implantation des comités est assez irrégulière. C’est dans les grandes villes et les villes moyennes qu’ils sont les plus nombreux. Certaines régions de forte tradition catholique comptent moins de comités. Certains comités sont fondés dans des hôpitaux par des professionnels (médicaux et infirmiers) qui pratiquent ouvertement des avortements. D’autres, dans les entreprises, sont issus de sections syndicales, souvent très féminisées. Des comités sont créés dans des universités et même des lycées, où ils permettent une organisation spécifique des filles.

Chaque comité loue un local, fait de l’information et tient régulièrement des permanences. Il s’agira non pas seulement de «faire prendre conscience du sens de la lutte du Mlac et de la dimension collective de la lutte pour l’avortement, mais aussi et surtout de discuter à propos de la vie quotidienne (la nôtre et celle de la femme).»

Ainsi, la force de ce mouvement de masse tient dans cette diversité, dans sa mixité et surtout dans sa pratique revendiquée et assumée d’actes illégaux, principalement les avortements sur place et les départs collectifs pour avorter à l’étranger.

Le 8 mai 1973, une anesthésiste – membre d’un collectif grenoblois, créé en février 1972 pour l’abrogation de textes répressifs sur l’avortement et de l’association Choisir – est inculpée pour avoir pratiqué, à la demande de la mère, un avortement sur une jeune fille de 17 ans. La doctoresse Annie Ferrey-Martin revendique son action : « Depuis près d’un an nous avons pratiqué ou aidé à pratiquer plus de 500 avortements de façon collective par la méthode Karman». À Grenoble, puis partout, la réaction est immédiate : meetings, manifestations et prises de positions se succèdent. C’est la sortie définitive de la clandestinité: «A partir de maintenant la loi est morte; le pouvoir ne peut plus décider pour nous.». L’inculpation est levée.

D’autre part, le film de Marielle Issartel et Charles Belmont, Histoire d’A, qui filme un avortement et des débats du MLAC, est interdit en novembre 1973 au motif de troubles à l’ordre public. Sa projection donne lieu a des affrontements mais se fera très largement et notamment dans des usines en grève, dans la rue..

La loi est donc ouvertement bafouée. L’illégalité est devenue légitime et publique.

A cet époque, le corps médical n’a cessé d’être un terrain de lutte intense. Les femmes ont sans cesse cherché a maintenir une tension avec les hôpitaux et les médecins: Lettres ouvertes, création d’un réseau avec des médecins symphatisants, intervention et avortements directement dans les hôpitaux, accompagnement en groupe des femmes en consultation, confrontation de leur propre rapport au soin et au corps…

Le Conseil de l’Ordre des médecins réagit le 6 février 1973 en publiant un communiqué: «Le Conseil de l’Ordre rejette tout rôle du corps médical tant dans l’établissement des principes (des avortements pour convenances personnelles) que dans leur décision et leur exécution ; met en garde le législateur contre toute mesure libéralisant l’avortement, au mépris du risque de détérioration de l’éthique médicale et de ses conséquences. En cas de libéralisation de l’avortement, le législateur devrait prévoir des lieux spécialement aménagés à cet effet (avortoir) et un personnel d’exécution particulier»

Cet illégalisme de masse pratiqué au grand jour n’est pas sans poser question aux militant-e-s. En novembre 1973, lors des Assises du MLAC à Grenoble, les militant-e-s débattent de l’objectif prioritaire du mouvement, partagé entre aide sociale et lutte politique, de la place des non-médecins dans la pratique des avortements et s’interrogent sur la nécessité d’une loi. Alors que l’association Choisir présidée par Gisèle Halimi revendique une loi légalisant l’avortement, le MLAC redoute en effet l’encadrement par les pouvoirs publics qu’impliquera effectivement la loi.

Quoi qu’il en soit, le pouvoir ne tolère plus ces transgressions ouvertes et répétées de la loi, et Valéry Giscard d’Estaing, lorsqu’il est élu président en 1974, confie le dossier de l’avortement à Simone Veil, ministre de la Santé, dans l’objectif premier de rétablir l’ordre. Simone Veil a défendu son projet de loi devant une Assemblée Nationale déchaînée, essuyant des insultes antisémites, et la loi promulguée en 1975 légalise l’avortement sans le reconnaître comme un droit, loin de là. Elle ne prévoit pas de remboursement de l’avortement par la Sécurité Sociale, remboursement auquel Simone Veil a fermement affirmé son opposition. La loi impose un entretien social avant un avortement et limite le recours à l’avortement à dix semaines de grossesse, et conditionne l’avortement à une autorisation parentale pour les mineures et à des critères de séjour pour les étrangères.

De plus, la loi est votée pour une durée limitée, et il faudra attendre 1979 pour que cette loi soit rendue définitive, après une manifestation non-mixte qui a réuni 30 000 femmes le 6 octobre 1979 et une manifestation de 50 000 personnes le 24 novembre 1979 à l’appel des partis politiques et des syndicats.

Le MLAC, tout en dénonçant les insuffisances de la loi de 1975, se bat pour qu’elle soit appliquée, en continuant les actions dans les hôpitaux et sur les médecins notamment. L’hôpital de Cochin, par exemple, refusant d’appliquer la loi, 150 militant-e-s du MLAC investissent les lieux le 7 mars 1975 et réalisent six avortements « sauvages ». Certains groupes du MLAC continuent à faire des avortements, insatisfait que l’avortement et son encadrement soient confiés aux médecins, comme le groupe d’Aix-en-Provence à qui cette pratique vaudra un procès retentissant en 1976.

Quand la loi Veil est adoptée, un certain nombre d’organisations et d’associations considèrent que c’est une victoire et une reconnaissance des femme et de leur lutte, scellant ainsi ce mouvement sur un triomphe de la loi et du droit. Le MLAC lui disparaît progressivement. Le MLAC Rouen centre conclue ainsi: « Seul le passage à la pratique (permanences et présence constante dans un quartier; avortements; préparation en commun d’un procès, etc) est révolutionnaire. C’est en pratiquant ensemble que nous avons inventé. (…) Dans la société actuelle, qui fabrique des être « assistés » ou « inféodés », la contraception peut être quelque chose de « provisoirement impossible ». C’est toute la vie quotidienne qui est en cause. (…) La lutte doit donc englober maintenant l’ensemble de la vie quotidienne.(…)

Toute pratique conduit à l’invention et, corrélativement, à la mise en cause des institutions en place les unes après les autres. Ces institutions sont les institutions de l’Ordre bourgeois, mais aussi une quantité de « mouvements (en lutte) » qui deviennent, à un moment donné, des institutions

L’action du mouvement est relayée par les maisons des femmes à partir de 1977.

La manifestation d’octobre 1979, non mixte, signe la fin de la « décennie féministe».

 

 

 

 

Le Mlac : lieux de soins, lieux de lutte

Lieux de soins, Lieux de lutte

Bien qu’il soit difficile de dater le début d’un mouvement, la période de 1972 (importation de la méthode Karman) à 1975 (vote de la loi provisoire) est une période charnière car c’est à cette époque que la méthode Karman se répand et que nombre de personnes se mettent à pratiquer des avortements en totale illégalité et publiquement. On a alors vu émerger de nombreuses expériences de lieux, où lutte et soin se sont vus noués si bien, qu’ils ont parfois cherché à changer la vie.

Quand on se trouve dans une telle situation, on a beaucoup de force pour dénoncer et beaucoup d’imagination pour inventer. L’invention, quant à elle, nourrit la réflexion à propos d’un domaine plus large: cela pourrait bien mettre en cause beaucoup d’autres choses.

(VA1, p77.)

I. Clandestinité et rapport à la loi

Soin clandestin

Nous partirons du récit d’un comité pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception de Choisir, paru en livre-brochure en 1973, qui témoigne des pratiques, des expériences et des contradictions qui ont pu se vivre depuis 1970.

Ce comité, qui après avoir un temps posé des sondes utérines dans des conditions difficiles, est parti en juin 1972 en Angleterre et a alors ramené la méthode Karman en France qu’il s’est empressé de pratiquer et de répandre :

 

2 «Dans les motivations qui nous ont déterminés à lutter pour la liberté de l’avortement, il en est une au moins qui nous est commune, c’est la conscience des méfaits dus à la clandestinité de l’avortement. (…)

Nous pensons tous que c’est le contexte de clandestinité dans lequel se trouve plongée une femme qui provoque le traumatisme psychique le plus grave.(…)

Si aujourd’hui des médecins peuvent envisager de mettre le pouvoir face au fait accompli en pratiquant au grand jour des avortements, au moment où nous avons commencé, nous n’avions pas d’autre choix que la clandestinité. (…)

Les dangers de la clandestinité, nous les avons acceptés, car nous disposions d’une méthode qui permet de réduire au minimum les risques médicaux de l’avortement

Il n’empêche que la clandestinité dans laquelle nous avons du travailler a été ressentie par chacun d’entre nous comme un obstacle au développement de la lutte. (p 40 LA)

Nous ne nous faisons toutefois aucune illusion: le fait de pratiquer dans la clandestinité, au sein d’une société où l’avortement est réprimé, ne nous permet pas d’espérer l’élimination de ce traumatisme.» p47

« Le travail dans la clandestinité a rendu les problèmes matériels encore plus aigus.

Le local

Au début de notre expérience, nous pratiquions les avortements dans la chambre de l’un de nous (en cité universitaire). Ce n’était pas une solution satisfaisante : exiguïté, atmosphère clandestine amplifiée, manque d’asepsie, sans compter que la vie devenait impossible pour le locataire. La nécessité d’un local réservé à notre activité s’imposait. Après plusieurs déménagements, nous trouvons la solution dans un grand ensemble anonyme. Nous y louons un appartement. Dans la pièce aménagée en salle d’intervention, nous installons une table gynécologique de notre fabrication. Deux grands placards contiennent le matériel ; aux murs, de grands posters égayent l’atmosphère. Dans l’autre pièce sont disposés un divan, des sièges, un électrophone, des revues… C’est là que les femmes attendent, se reposent et discutent avec nous autour d’un tasse de café. Grâce à ce local, la clandestinité est mieux vécue par tous.

Le matériel

Une partie du matériel ne pose pas de gros problèmes d’approvisionnement : les étudiants en médecine peuvent se procurer facilement à l’hôpital médicaments, seringues et compresses.

Par contre, le matériel gynécologique a du être acheté avec la complicité de médecins. Quant au matériel spécifique de la méthode d’aspiration (canules et pompe), il a nécessité quelques voyages en Angleterre.

Les finances

Tous les membres de l’équipe travaillent de façon militante ; ils ne touchent donc pas d’argent autre que le remboursement de leurs frais éventuels.

Le coût du matériel utilisé pour chaque avortement est en fait minime (de l’ordre de 10 F). Mais il faut tenir compte de l’amortissement du matériel de base, de la location de local et des frais de voyage en Angleterre. Nous pouvons ainsi estimer le prix de revient d’un avortement autour de 50F. C’est l’ordre de grandeur que nous indiquons aux femmes qui nous le demandent, mais nous n’imposons aucun tarif. Beaucoup donnent une somme supérieure et certaines ne donnent rien. Le surplus ainsi recueilli sert à l’action militante de notre section « Choisir »:impression de tracts, soutien financier aux victimes de la répression…

Le problème que nous pose la manipulation financière n’a jamais été résolu : vis-à-vis des femmes, une gêne est généralement ressentie lorsqu’elles nous proposent de l’argent, et nous refusons les fortes sommes.

Entre nous, rien n’a été organisé, et les uns refusent tout contact avec l’argent le laissant au local; les autres le centralisent vers notre trésorière. Certains enfin n’ont jamais voulu se faire rembourser les frais occasionnés. »p31

Entre réforme et autonomie

En 71, le mouvement en France est rendu visible par les 343 salopes qui attaquent la clandestinité et réclament le libre accès à l’avortement et à la contraception, mot d’ordre assez vaste pour rassembler de très nombreuses personnes et groupes. Le mouvement est ainsi complètement pris dans la question du rapport à la loi. Chacun s’accorde à lutter contre l’illégalité et la criminalisation de l’avortement.

De nombreux groupes pratiquent l’avortement et agissent ainsi dans l’illégalité qui est très vite assumée publiquement, grâce à l’ampleur des événements, notamment. L’action illégale assumée permet de sortir de la clandestinité, mais ouvre aussi le mouvement à la sphère juridique. En effet, on assiste à de grands procès utilisés comme tribunes politiques. Souvent victorieux, ils créent un nouvel acteur des luttes: l’avocat engagé, à l’image de Gisèle Halimi, avocate et créatrice de l’association Choisir.

Mais une partie des forces tend à la légalisation, l’autre à la non légifération, ni médicalisation, cette tension crée du conflit mais c’est aussi une grosse faille au sein du mouvement: Par l’influence des groupes réformistes, des médecins qui se réfugient derrière l’absence de loi, la difficulté de dépasser les mots d’ordre du début et des procès spectaculaires, “liberté d’avortement, de contraception, sexuelle” glisse rapidement vers libéralisation, ou légalisation.

Le pouvoir dispose alors d’un terrain béni pour diviser le mouvement et le réduire à celui de la législation, malgré la mise en garde de certains groupes: “Vouloir lancer un mouvement de masse sur les revendications limitées de la liberté de contraception et d’avortement est une erreur. Ce choix, bien défini dans l’étiquette M.L.A.C, vise à rassembler un nombre aussi important que possible de militants d’horizon variés. Mais il ne suffit pas de faire semblant d’être d’accord. C’est un choix réformiste et inefficace. Réformiste, parce qu’il se situe sur le terrain de la modification d’une loi qui en soi n’apporte pas grand chose, même si elle est indispensable.”(Tankonalasanté).

Ou encore du Mlac Rouen centre: «on n’a peut-être pas pris conscience (ou pas voulu) que la limitation de la lutte à la contraception féminine veut dire qu’on est en train de défendre une idéologie tout à fait réformiste.

La pire des choses serait qu’après une (éventuelle!) abrogation de la loi de 1920, et l’obtention de la contraception libre et gratuite, des femmes crient victoire (sur l’homme), les médecins libéraux crient victoire (sur l’Ordre des médecins), les « militants de la vie » crient victoire (sur la société capitaliste).» C’est d’ailleurs la fameuse loi Weil de 1975 qui mettra fin à la lutte.

Mais si le MLF n’a pas échappé au broyeur de la législation, il (et notamment par l’action du Mlac) a su se donner les moyens de sortir les questions de la sexualité, de la contraception et la naissance de la clandestinité, par son ampleur et sa « créativité » ; par un débordement des formes et des sujets de lutte classiques, et notamment par son action au sein de la question et du milieu médical.

II. Les rapports avec la sphère médicale – terrain de lutte et d’alliances.

Alliances et dépendances

> Les médecins sympathisants et dérives

De nombreux médecins sont impliqués dans la lutte, tant pour dénoncer la situation catastrophique, que pour agir. On peut citer par exemple les 331 médecins signataires du manifeste du 3 fevrier 1972 dans lequel ils déclarent pratiquer des avortements, ou encore ceux du GIS, créé en 1972 par des médecins et étudiants en médecine qui luttent pour la restitution aux usagers de leur pouvoir sur leur corps et leur santé. D’autres encore pratiquent des avortements, avant qu’il soit légalisé, dans les hôpitaux où les centres ouverts par le mouvement, il y a des médecins dans chaque équipe. Partout, des alliances sont tissées avec le corps médical, que ce soit pour assister et pratiquer les avortements, comme formateurs aux risques éventuels et aux réaction à avoir, pour le matériel, mais aussi comme accès aux structures médicales institutionnelles.

Cependant les militantes constatent rapidement que prendre en charge une partie des avortements n’amène pas en soi à bouleverser la place et le rôle des médecins, mais au contraire leur permet de se déresponsabiliser, et se fait d’une certaine manière le relais de leur inertie.

Choisir : « Bien qu’un seul médecin ait véritablement participé à notre équipe, nous n’étions pas complètement coupés du monde médical de notre ville. Il est à noter tout d’abord que, lorsque trois d’entre nous ont pris la décision de poser des sondes, nous avons bénéficié des conseils d’un médecin qui avait une longue expérience de cette pratique.

Lorsque nous avons ramené d’Angleterre la technique de Karman, nous sommes allés la présenter à un certain nombre de généralistes et à un gynécologue sympathisants. Bien que, pour des raisons diverses, aucun d’entre eux n’ait voulu l’appliquer immédiatement, ils se sont montrés disponibles chaque fois que nous avons eu besoin de leurs conseils ou de leur aide des suites d’un avortement.

Très vite, notre action a été connue d’une grande partie du corps médical, en ville comme à l’hôpital. La présence d’une mobilisation importante derrière nous, ainsi que l’absence de complications sérieuses, expliquent probablement qu’aucune enquête officielle, ni aucun mesure répressive n’est été engagée à leur initiative. Par contre, des médecins de plus en plus nombreux nous ont adressé des femmes, en leur faisant prendre l’engagement de ne pas nous dire qui les avait envoyées ! Nous avons eu alors fortement l’impression de jouer un rôle pénible et nuisible : nous leur permettions de fuir leurs responsabilités et d’apparaître généreux à bon compte auprès de leur clientes, en leur donnant la « bonne adresse », sans prendre de risque. » LA p33

Si la pratique de la méthode Karman apporte une vraie autonomie des femmes par rapport aux médecins et aux hôpitaux, elles en restent dépendantes pour ce qui est de la question de la couverture médicale essentielle à l’aspiration, des cas difficiles, et les centres ne permettent (évidemment) pas de prendre en charge toutes les femmes désirant mettre fin à leur grossesse. Il faut alors sans cesse chercher les meilleures adresses, se confronter au refus et à la bêtise (misogynie, culpabilisation…) de la plupart des médecins, et à leur hiérarchie, et aux différences entre les différentes structures de soin. Se rajoute les conditions de clandestinité qui rendent difficile la confrontation des femmes avec les médecins, qui armés de leur savoir ne tiennent pas à voir leurs privilèges disparaître. De nombreux médecins même militants, ne tiennent pas à changer quoi que ce soit à leur pratique médicale. Ce sont des spécialistes tenant à leur savoir et au rayonnement qui en résulte et ramenant toute pratique à une question technique. «Quand on leur demande de passer une technique, ils s’arrogent le droit de discuter les motivations de cette demande» VA p45

Comité Choisir

« Dans les cas où l’aspiration était insuffisant et où un curetage était nécessaire, nous dirigions les femmes vers des cliniques où l’interrogatoire était moins policier qu’à l’hôpital, et où en principe, le chirurgien ne les faisait pas attendre plusieurs jours avant d’intervenir. Toutefois, nous nous sommes rendus compte que les conditions médicales dans lesquelles s’effectuaient les curetages3, dans ces « boîtes à sous » que sont les cliniques, sont souvent désastreuses. […]

Aussi au bout de quelque temps, nous les avons plutôt dirigées vers l’hôpital où les conditions médicales étaient beaucoup plus satisfaisantes. Mais là, les précautions élémentaires que nous imposait la clandestinité ne nous permettaient pas d’avoir de contact direct avec le chirurgien. Quant à la façon dont les femmes y étaient reçus d’un point de vu psychologique… la misogynie et parfois le sadisme caractérisent les services de gynécologie » p 33

« Ce n’est pas parce que nous avons décidé de prendre en charge une petite partie des avortements que l’objectif choisi sera atteint. Aussi nous semble-t-il juste d’entreprendre, dès maintenant, une action vers les hôpitaux pour qu’ils prennent en charge les avortements.»

Des actions dirigées contre le corps médical vont donc être menées. L’idée étant d’amener les toubibs à prendre position activement dans le mouvement et de détruire les rapports de domination et la posture des spécialistes dans la prise en charge institutionnelle du soin.

Il faut lutter au sein de l’institution

Les femmes ont sans cesse cherché a maintenir une tension avec les hôpitaux et les médecins: Lettres ouvertes, création d’un réseau avec des médecins sympathisants, intervention et avortements directement dans les hôpitaux, accompagnement en groupe des femmes en consultation, confrontation de leur propre rapport au soin et au corps, dénonciation des médecins pourris…

«  La méthode Karman recèle en elle-même des éléments qui remettent en cause bien des choses.

-La pratique de la médecine occidentale qui tend, en gros, à s’appuyer de plus en plus sur les médicaments et à spécialiser de plus en plus les médecins

-L’attitude actuelle des gens par rapport à ces médecins (des spécialistes) qu’on n’ose pas contredire et qui s’occupent de nous dans le silence de leur SAVOIR. Comme il n’y a pas d’alternative, on finit évidemment par être sûr que leur savoir est le bon. Malheureusement, c’est de la société que nous sommes malades, et leur savoir n’y peut rien – au contraire.

-Cette mentalité « d’assistés », nous l’avons acquise à cause du développement des spécialistes dans toutes les branches, et aujourd’hui nous sommes dépossédés de notre capacité à nous « prendre en main ».

Le Conseil de l’Ordre des médecins réagit le 6 février 1973 en publiant un communiqué: «Le Conseil de l’Ordre rejette tout rôle du corps médical tant dans l’établissement des principes (des avortements pour convenances personnelles) que dans leur décision et leur exécution ; met en garde le législateur contre toute mesure libéralisant l’avortement, au mépris du risque de détérioration de l’éthique médicale et de ses conséquences. En cas de libéralisation de l’avortement, le législateur devrait prévoir des lieux spécialement aménagés à cet effet (avortoir) et un personnel d’exécution particulier»

Il faut donc changer les mentalités dans le monde médical et hospitalier qui ne se gêne pas pour culpabiliser les femmes et afficher sa misogynie et sa morale catholique et bourgeoise.

Par ailleurs, en soulevant la question des institutions, le Mlac rappelle que la « collectivité » doit répondre à certaines nécessités et notamment, l’accès au soin pour tous.

Le mouvement doit chercher à transformer les hôpitaux pour qu’ils accueillent l’avortement, car c’est là bas qu’il pourra être pris en charge pour toutes les femmes.

Mais lutter dans l’institution médicale, pour le Mlac ou certains groupes femme ne veut pas seulement dire l’ouvrir à l’avortement, ou rappeler les médecins à leur devoir de soignant, c’est surtout soulever la question de la délégation de notre pouvoir de décision au monde médical, et briser les rapports de pouvoir et la morale que l’institution et le sens commun relaient.

«Le 26 juin , une soixantaine de personnes se rendent devant le service de gynécologie de l’Hôtel-Dieu. Banderoles et tracts développent l’idée que personne n’a le droit d’ignorer aujourd’hui le nombre d’avortements qui a lieu chaque année en France ni le nombre de morts qui en résulte. On met donc l’hôpital, service public, devant ses responsabilités immédiates et on invite le personnel, notamment féminin, à faire pression sur l’administration et les médecins pour que des avortement aient lieu dès maintenant à l’Hôtel-Dieu. VA p 53

« Nous sommes sûrs que, lorsque 800000 femmes, ne se sentant pas prêtes à bien s’occuper d’un enfant, avortent de toute façon chaque année dans des conditions telles qu’elles se mettent en danger et que 5000 en meurent, c’est un service que la collectivité doit rendre que de mettre fin à ce drame!

En disant cela, on en fait que décrire ce qu’est la notion de service public: la collectivité s’est organisée de telle façon qu’elle a crée des institutions pour se venir en aide à elle même – l’hôpital en est un exemple.

Mais tout ce raisonnement simple est, volontairement ou non, oublié par le plus grand nombre. Il apparaît aujourd’hui à une grande partie de l’opinion publique que c’est aux médecins hospitaliers de décider de ce qu’il est souhaitable de faire. Une autre partie de l’opinion publique, au contraire, est très consciente qu’à l’hôpital «ils ne font que ce qui leur chante!». Quant aux médecins, chefs de service et collaborateurs, ils sont persuadés d’être dans leur bon droit en décidant, choisissant. Ils refusent, à l’heure actuelle de faire des avortements, ils «raccrochent» les grossesses parce qu’à eux cela paraît juste! Nous nous disons que ces gens là OCCUPENT l’hôpital et imposent à tous ceux qui le fréquentent par nécessite, leur propre morale. VA p54 »

«  Comment retrouver notre capacité d’oser imposer notre droit ou ce dont nous sentons que nous avons besoin, dans une société qui nous impose ses institutions fonctionnant pour elles-mêmes ? »

Alors pourquoi s’être mis à faire des avortements en dehors du cadre médical classique?

Pour s’autonomiser de l’institution qui nous dépossède de nos corps et du soin, pour contribuer à ne pas laisser entrer dans le secteur de la médecine de classe un acte qui n’y a jamais été. En le faisant nous même dans les meilleures conditions possibles (couverture médicale), et en disant publiquement qu’on le fait.

III. Perspectives de soin

Le Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception, qui choisit bien mal son nom (comme le souligne Tankonalasanté), se crée en rupture avec Choisir, sur l’affirmation de la mixité, mais surtout d’une position plus révolutionnaire: « nous privilégions la lutte contre l’idéologie présente et nous pensons que la seule position juste est celle que nous découvrirons demain en poursuivant l’analyse à travers notre pratique », la lutte doit coller à la vie : « nous nous efforçons d’analyser notre vie quotidienne et de la reconstruire sur des bases non capitalistes ». Le M.L.A.C rassemble des groupes femmes, des membres du GIS, du MFPF, de partis et de syndicats communistes et révolutionnaires, du Parti Socialiste Unifié, de la CFDT, mais aussi des individu-e-s « non encartés », autonomes, au début principalement des personnes appartenant au corps médical.

Avec les groupes femme, ils réunissent la plus grande diversité de groupes, d’affirmations et de pratiques, et c’est en leur sein que semble se concentrer les expériences les plus révolutionnaires.

Sur la question de l’avortement, la méthode Karman est la véritable clé de ce mouvement. Outil révolutionnaire car il est pensé pour être pratiqué par des non médecins, c’est une méthode qui peut être considérée comme le meilleur moyen d’interruption de grossesse. Alors on affiche publiquement ce qui légalement et dans les mœurs est considéré comme un crime et on expérimente une nouvelle façon de prendre en charge les avortements, la contraception, et plus largement la sexualité, l’enfantement. Cet outil se répand rapidement dans tous les pays et d’une frontière à l’autre. Il permet de sortir du joug des médecins et d’inventer une autre pratique du soin, sans cesser de se frotter et se confronter à la médecine dominante, dite de classe.

Le Mlac rouen-centre :

« Notre pratique des avortements n’est pas isolée de l’ensemble de la démarche du groupe depuis quatre ou cinq mois.

Cette démarche à tendue à :

-Appréhender l’ensemble de la sexualité à partir de notre vie quotidienne

-Replacer l’avortement dans le problème général de la lutte pour une maternité désirée. Cette lutte englobe donc la lutte pour la contraception libre et gratuite pour tous et toutes, la lutte pour la prévention de la stérilité des femmes et des hommes et la lutte pour la réforme du droit d’adoption.

-A développer publiquement une contre information sur la sexualité.

-Enfin à dénoncer la répression sexuelle générale et particulière (sur certains groupes d’âge ou dans certaines situations).

Notre lutte est menée contre l’idéologie régnante et nous pensons que la seule position juste est celle que nous découvrirons demain en poursuivant l’analyse à travers notre pratique. » p39 VA

La non spécialisation, la non médicalisation et la démédicalisation

« Ce fut, pour nous, l’effet d’une bombe lorsque Joan commença à nous parler de Karman et à nous expliquer sa méthode. Quand elle sortit de son sac quelques canules et seringues, nous nous précipitâmes dessus avec une curiosité extrême…, conscients que, bien plus que d’une amélioration technique, il s’agissait d’un arme révolutionnaire qui permettrait de défier les lois les plus répressives. En effet, pour la première fois il apparaissait possible de pratiquer des avortements, à l’extérieur de tout circuit médical officiel, sans faire courir de risque aux femmes. » VA p23

« Le terme de démédicalisation suggère qu’on peut ôter aux médecins une partie de leur savoir et la faire prendre par d’autres. C’est vrai ! Avec l’aide des médecins.

Mais la démédicalisation, c’est le transfert de savoir, vu par les médecins. Pour nous, non médecins, femmes et hommes, le problème est tout à fait différent.

Nous ce que nous voulons, c’est diminuer dans notre vie quotidienne l’importance des spécialistes afin de reprendre possession de nous mêmes, de nous réapproprier notre corps. Afin aussi, que lorsque nous jugeons que notre santé est déficiente ce soit nous qui en parlions (même s’il y a en face de nous un technicien qui nous éclaire).

Ce qu’on veut nous, c’est la non médicalisation.

(…) C’est un thème de lutte où beaucoup d’individus peuvent se retrouver. Nous disons bien d’individus qui ont quelque chose à conquérir, c’est à dire eux mêmes.

La société capitaliste est organisée avec des spécialistes de tout. Ne nous y trompons pas, ces spécialistes orientent notre vie. Ce sont des institutions qui nous aliènent sans qu’on s’en rende compte. »

.Equipes de soin

La méthode repose sur deux principes, l’aspiration et l’accueil « psychologique » de la personne.

« Pour nous qui ne sommes pas médecins, tout en ayant “emprunté” à la médecine certains acquis essentiels comme la stérilisation, à aucun moment il ne nous est venu à l’idée de “jouer au médecin”. Nous ne sommes pas des gens qui avons l’intention de devenir spécialistes de quelque chose. Confrontés à la situation concrète dramatique, des femmes face à l’avortement, elles ont cherché d’abord à le dédramatiser, tout en s’insurgeant contre le pouvoir qui produit cette situation et “l’ignoble abstention de la presque totalité du corps médical” p77

« Choisir :  « Praticiens et intermédiaires » p 51

Après quelques mois de mise au point technique et de formation de nouveaux membres, nous étions une équipe suffisamment soudée et solide. Pendant le dernier trimestre 1972, les praticiens sont au nombre de sept ; six d’entre eux sont en fin d’études de médecine ; la seule fille est infirmière dans un service de réanimation. Heureusement, parmi ceux qui apprennent à utiliser la canule de Karman et commencent alors à être prêts à fonctionner de façon autonome, il se trouve une majorité de femmes. A côté, de ces « praticiens », une quinzaine « d’intermédiaires », exclusivement des femmes, se chargent des entretiens et de l’assistance de l’avortée avant, pendant et après l’intervention. De 18 à 35 ans, elles ont des situations variables : étudiantes, secrétaires ou mères de famille… Chaque « praticien » collabore généralement avec deux « intermédiaires », formant ainsi une mini-équipe. »p28

« Le groupe des praticiens existait avant la mise en place du système avec « intermédiaires ». Au début, ils assuraient à eux seuls l’entretien avec l’avortée et l’interruption de la grossesse. Lorsque les rôles ont été séparés, le groupe des avorteurs s’est trouvé quelque peu à l’écart, et a connu des problèmes nettement différents. Dans les discussions revenait souvent le thème du « pouvoir », détenu par les praticiens et qui s’exerçait de façon rayonnante sur les intermédiaires »

Le problème médecin/non médecin, s’est alors doublé du problème homme/femme. »

Relations avec les femmes avortées p55

choisir : « Les relations des intermédiaires avec les avortées avant l’avortement ont été vécues de façon différente,mais ont toujours été assez pénibles. C’est surtout dans de telles conditions que le camouflage par l’aspect technique survenait. L’acte médical devenait rassurant, simplificateur. »

De nombreux Mlac ont péri, à cause des rôles qui s’installent entre le groupe et les femmes :

«  La réussite prend l’allure d’un échec.

A aucun moment, nous n’avons voulu en ouvrant ce local et en faisant des avortements être de « merveilleuses bonnes sœurs » au profit de quelques femmes qui auraient eu la chance de nous trouver. C’est pourquoi nous vivons très mal les cas où, après l’avortement, on nous dit merci.

Ce que nous souhaitons par ailleurs faire comprendre, c’est que, face à tous ces échecs, toutes ces aliénations, à tout ce manque d’information, on peut, en se mettant à plusieurs, prendre les moyens de s’en sortir.

Quant à nous, nous ne sommes pas prêts à assumer seuls les problèmes des autres, pour eux »

(Sur les relations soignant – soigné voir « la relation médecin-malade : un cul de sac » p8 de Tankonalasanté.)

Les locaux

Le Mlac de Rouen-centre, a opté pour un lieu fixe ce qui n’est pas le cas d’autres Mlac.

«La surprise est quand même grande de constater que le local du Mlac Rouen-centre ne ressemble absolument pas à une entrée de clinique et que les gens qui y sont, jeunes, n’ont pas l’allure habituelle des personnes qu’on côtoie dans le monde médical.

« A Rouen, rue Victor Hugo, se trouvait le local du M.L.A.C Rouen-centre.

Disposer de ce pas de porte, c’était très important pour la lutte que nous entendions mener dans le quartier.

Aussi dès avril 1974, les textes et affiches collées sur les vitres disaient-ils très clairement qu’à notre avis cela valait la peine de parler ensemble de notre sexualité dans un monde qui la cache. Ils disaient aussi que, deux fois par semaine, les femmes désirant avorter pourraient , ici même trouver une solution à leur problèmes.»p5 VA

« on y ferait notamment:

  • des tests de grossesse et des avortements par la méthode Karman (praticiens: médecins et non médecins), en expliquant le sens politique de cette action.
  • Des séances pour communiquer au plus grand nombre le «savoir faire» Karman.
  • Des séances, très ouvertes d’information sexuelle. En clair, on s’efforcerait d’expliquer comment la répression sexuelle agit sur notre vie sexuelle (sur ce point on visera surtout les jeunes). » p35

Cette implantation de quartier permettra de continuer à exister et à agir après le passage de la loi, au sein des maisons des femmes.

Le matos

« En ce qui concerne le matériel, notre souci permanent a été de « comprendre en profondeur » sa fonction. Il n’y avait plus ensuite qu’à le construire. C’est ainsi que nous avons fait ce qu’on appelle une table gynécologique en bois, des canules de Karman de plastique souple ; la pompe aspirante a été mise au point par nous, enfin, on a cherché les meilleures raccords possibles (ceux qui ne collapsent pas). Faire le matériel soi même, ce n’est pas une question d’économie, c’est vouloir être, ne serait-ce que par ce matériel, mieux à même d’obtenir le résultat qu’on cherche »

 

L’expérience de cette époque a permis un gros chamboulement de la sphère médicale et de la façon de penser le corps, et notamment le corps des femmes, à travers la sexualité, la procréation… Elle a soulevé de nombreuses hypothèses et tenté des paris sur la réappropriation des corps et plus largement de la vie, au sein du système capitaliste. Mais on voit aussi que rien n’est achevé, et que le chemin pour échapper aux rouages institutionnels est bien difficile.

En 1974, le Mlac Rouen-centre soulignait: “La pire des choses serait aussi que, soi-disant «victorieux», (en tout cas il est clair que des militants gauchistes traditionnels s’apprêtent à crier victoire et à passer, sereinement, à un autre sujet), nous laissions par la force des choses et sans combattre, le soin de l’information sur la contraception à des structures clairement réformistes, la pratique de l’avortement aux structures hospitalières traditionnellement réactionnaires. VA

Et de rappeler aussi que « toute pratique conduit à l’invention et, corrélativement, à la mise en cause des Institutions en place les unes après les autres. Ces institutions de l’Ordre bourgeois, mais aussi une quantité de « mouvements (en lutte) » qui deviennent, à un moment donné, des Institutions. »

1Vivre autrement dès maintenant, MLAC Rouen Centre, éd. Maspero, 1975.

2Citations LA pour Libérons l’Avortement, d’un Comité pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception, ed. Maspero, 1973.

3Intervention qui consiste à racler la paroi de l’utérus pour en évacuer ce qui y est accroché.

Le premier numéro d’Ardecom (1980)

Nous reproduisons ci-dessous le premier numéro de la revue Ardecom (Association pour la recherche et le développement de la contraception masculine). Après une longue « hibernation », Ardecom est réapparue en 2013 – voir son communiqué commun avec le Planning familial du 14 octobre 2013.

Revue ARDECOM

Association pour la Recherche 
et le Développement de la Contraception Masculine 
N°1 – Février 80

CONTRACEPTION MASCULINE
PATERNITÉ
En 1945, Pincus mit au point la première pilule contraceptive à base de progestatif de synthèse.
Cette contraception orale féminine n’a éte possible que parce que les mouvements féministes américains ont réclamé et financé la recherche (notamment le Planning Familial de Margaret Sanger)

SOMMAIRE
ARDECOM  •  La reproduction chez l’homme •  
Les hormones •  La contraception masculine •  Le spermogramme •  
Les différentes possibilités de contraception hormonale •  Attention aux refroidissements •  Le préservatif •  
Quelques questions à propos de la vasectomie •  
Il suffit de la prendre •  
Après le petit déjeuner •  La grève de la reproduction •  
Finalement je ne parlerai pas de moi •  Paternité à la française •  
Pas d’enfants •  



ARDECOM
 Association pour la Recherche 
et le Développement de la Contraception Masculine

ARDECOM est née d’une série de rencontres…

Des hommes ayant participé à des  » groupes d’hommes  » remettant en cause le rôle de mec, les comportements virils, se sont réunis pour parler des choses les plus intimes qui nous touchent, en dehors des rivalités habituelles. Nous avons parlé et réfléchi sur notre sexualité, la paternité, le rapport que nous avons avec les enfants : ceux dont on est le père biologique, ceux avec lesquels on vit, ceux qu’on voudrait avoir, ceux qu’on imagine et, pour certains, le refus d’être père.

Sans abandonner l’idée d’un groupe de parole, nous avons voulu faire plus : pourquoi, si nous ne désirons pas d’enfant, ne pas l’assumer complètement ? Pourquoi accepter comme une fatalité l’absence d’une contraception masculine en dehors des méthodes vécues par nous comme des négations du plaisir (capote, retrait) ?

Alors a commencé une longue quête.

Nous nous sommes rendu compte que, contrairement à l’idée souvent répandue, il n’existait pas de méthode contraceptive au point, nulle part au monde. Quant à la vasectomie, si elle nous a intéressés, nous l’avons abandonnée comme étant actuellement définitive.

C’est à ce moment que nous avons rencontré une équipe de médecins, de chercheurs, qui essayaient de mettre au point une  » pilule  » contraceptive masculine. Les uns pour répondre à une demande de couples ne pouvant employer aucune méthode féminine, les autres dans une démarche liée à la biologie de la reproduction réunissant la lutte contre la stérilité, l’insémination artificielle et l’existence d’une contraception masculine.

Certains d’entre nous qui n’avaient pas envie d’avoir d’enfant ont décidé de participer à ces essais, non comme cobayes mais comme utilisateurs conscients.

Nous avons accepté de prendre ces produits parce qu’ils étaient connus car utilisés et en vente depuis de nombreuses années.

Il avait été établi un protocole prévoyant un contrôle médical très strict de l’innocuité et de l’efficacité du traitement. Nous avons essayé de prendre en main le maximum d’aspects comme le contrôle de la tension artérielle, le comptage au microscope des spermatozoïdes, le choix et la lecture des examens. Nous avons voulu mieux connaître notre corps, comprendre comment il fonctionne et nous avons découvert l’immensité de notre ignorance.

Nous avons rencontré d’autres hommes qui pratiquaient la même contraception mais y étaient arrivés individuellement. Nous avons échangé nos expériences et nous nous sommes regroupés. D’autres hommes, qui refusaient la contraception chimique, se sont joints à nous et cherchent des moyens de contraception nouveaux à partir de la chaleur, de l’action du cuivre…

Enfin s’est créée en octobre 1979 ARDECOM,  » association d’hommes et de femmes concernés par la contraception masculine  » ; une association pour que les gens qui sont intéressés, et nous sommes nombreux, se mettent en contact, échangent, se rassemblent. Nous recherchons toutes les informations sur la contraception masculine et les diffuserons.

Nous essaierons de suivre, d’impulser, de réaliser des essais de contraception (des projets de recherches ont été déposés), de faire se rencontrer les utilisateurs… Nous voulons aussi que la vasectomie soit d’accès facile et légal même si elle n’est pas considérée, à tort, comme une contraception.

Une dynamique pour l’existence d’une contraception masculine se met lentement en place. A chaque article dans un journal, de nombreuses lettres nous arrivent, un lien prometteur s’établit avec le Planning familial, des groupes se créent dans plusieurs villes (Nantes, Lyon, Toulouse, Limoges).

Nous voyons ARDECOM comme un lieu d’expression reflétant la diversité des paroles et des expériences, comme un instrument pour qu’une contraception masculine existe, même si elle ne résoud pas tous les problèmes, comme un endroit où se disent la paternité, l’amour, la vie…

La reproduction chez l’homme
 • Les hormones
LA REPRODUCTION CHEZ L’HOMME
La contraception masculine ne date pas d’hier et les différentes pratiques, retrait, non pénétration et surtout capotes, ne sont pas à négliger. Bon, mais on peut vouloir une contraception qui ne perturbe pas ou ne limite pas les désirs-plaisirs du rapport amoureux et qui délivre de l’angoisse des conséquences possibles, que l’homme ne supportera finalement jamais dans son corps.
Or, actuellement, la seule  » autre  » contraception masculine expérimentée, à part la vasectomie, utilise la voie hormonale. Nous essaierons donc d’expliquer ici les processus hormonaux et auparavant de faire un peu connaissance avec notre physiologie intime d’homme. En effet, nous nous sommes rendu compte, en en parlant entre nous, autour de nous, que la connaissance de l’intérieur de leur corps par les hommes semble à peu près inversement proportionnelle à l’admiration qu’ils vouent à ce qui leur pendouille à l’extérieur.
C’est la fabrication, la maturation et le transport dans les voies génitales mâles des cellules sexuelles ou spermatozoïdes. Ces spermatozoïdes sont formés dans les testicules qui ont aussi une deuxième fonction, la fabrication des hormones mâles.
Les deux testicules sont logés dans deux sacs appelés scrotum ou bourses. C’est dans ces organes et plus précisément le long des canaux spermifères que se forment les cellules mères des spermatozoïdes (ou spermatogonies). Mais c’est seulement à la puberté que certaines de ces spermatogonies commencent à se diviser pour former les spermatozoïdes, qui possèdent la moitié des gènes de l’individu. Ce processus s’appelle la sperrnatogénèse et dure environ 72 jours. La spermatogénèse est un phénomène continu qui dure toute la vie de l’homme.
Les spermatozoïdes se déversent dans des canaux qui tous se réunissent en un seul tube appelé épididyme qui vient se pelotonner sur le testicule, et qu’il est d’ailleurs facile de repérer par palpation. Les spermatozoïdes sont stockés dans la partie terminale ou queue de l’épididyme. Au moment de l’éjaculation les spermatozoïdes remontent les canaux déférents puis l’urètre au-dessous de la vessie ; l’urètre et les canaux déférents confluent en un seul canal à la fois urinaire et génital ; mais il ne peut y avoir mélange car un anneau musculaire autour de l’urètre bloque l’écoulement de l’urine en dehors de la miction. L’urètre dans sa partie terminale est entourée de tissus érectiles et l’ensemble constitue la verge ou le pénis.
Les spermatozoïdes se mélangent aux sécrétions des vésicules séminales et de la prostate au moment de l’éjaculation pour donner le sperme. Ces sécrétions représentent plus de 90 % du volume du sperme. La durée de vie du spermatozoïde est d’environ 24 heures dans le liquide séminal, mais pourrait être de 6 jours à l’intérieur de l’utérus.
Les hormones sexuelles mâles ou androgènes (dont la testostérone) sont en grande partie fabriquées dans les cellules des testicules qui sont entre les canaux séminifères (cellules de Leydig). Elle sont déversées dans le sang et ont de nombreux rôles (modification physique pubertaire, contrôle du pouvoir fécondant des spermatozoïdes, contrôle des sécrétions des vésicules séminales et de la prostate). Ces androgènes sont produits de façon continue (dès bien avant la naissance).Ces deux fonctions du testicule, hormonale et spermatogénétique, sont contrôlées par deux glandes (à la fois glandes et tissu nerveux) situées à la base du cerveau : l’hypothalamus, en relation avec la vie extérieure et le psychisme qui commande à l’hypophyse la sécrétion de deux hormones, FSH et LH comme chez la femme. FSH agit sur la spermatogénèse par l’intermédiaire des cellules de Sertoli (cellules nutritives et de soutien) qui entourent les spermatogonies. La LH a une action plus spécifique sur les cellules androgéniques (cellules de Leydig). L’hypothalamus est le centre de la vie végétative, échappant à la conscience directe mais par où passent et sont modulées toutes les informations sensorielles avant d’arriver à la conscience (cortex). Hypothalamus et hypophyse modifient leur sécrétion selon les informations qu’ils reçoivent. Notamment, si l’ordre envoyé par l’hypothalamus de sécréter plus de testostérone (par l’intermédiaire de LH) est exécuté, le taux sanguin de testostérone monte. L’hypothalamus et l’hypophyse sont donc informés de ce que leur ordre a été exécuté. Ils arrêteront donc leur stimulation : on parle de rétro-contrôle.
LES HORMONES

Une hormone peut être considérée comme le vecteur d’informations qui régulent les phénomènes biologiques propres à certains organes. La diversité des hormones et de leurs effets font de la régulation hormonale un aspect essentiel de l’équilibre physiologique.
Elles sont libérées dans la circulation sanguine par les différentes glandes endocrines qui les produisent mais souvent ne sont rendues actives qu’au contact de l’organe cible. Elles ont besoin d’être reconnues pour être actives. Il existe donc des  » récepteurs  » spécifiques au niveau des organes cibles à qui est destinée chaque hormone. Leur rôle régulateur implique que leur production ne soit pas constante et doive s’adapter au besoin de l’organisme. La régulation de la production des hormones est donc nécessaire d’autant que leur efficacité est extrême à des doses infimes. Cette régulation de la production hormonale se fait par des mécanismes d’activation ou d’inhibition dont la clef de voûte se trouve à la base du cerveau et est constituée par deux petites glandes : l’hypothalamus et l’hypophyse. En effet au centre d’un complexe où les systèmes nerveux et hormonal sont reliés, l’hypothalamus peut intégrer les informations qui proviennent en retour des glandes endocrines périphériques ainsi que celles provenant du monde extérieur et du psychisme par l’intermédiaire du cortex cervical. Suivant les informations reçues, les neurosécrétions de l’hypothalamus sont alors activées ou inhibées et régulent à leur tour en partie la production par l’hypophyse d’une demi-douzaine d’hormones.
Parmi ces hormones, celles qui nous intéressent sont celles qui vont activer les fonctions génitales. Elles ont été mises en évidence il y a un demi-siècle et définies par leur action chez la femme. Ce sont la FSH ou Follicule Stimulating Hormone (car régulant la maturation folliculaire et la sécrétion d’oestrogènes) et la LH (Luteinising Hormone) qui intervient chez la femme dans l’ovulation et la sécrétion par le corps jaune de progestérone. Mais ces deux hormones hypophysaires encore appelées Gonadotrophines ou Gonadostimulines sont aussi sécrétées chez l’homme.
Comme nous l’avons vu la FSH a pour cible principale les cellules de Sertoli qui se trouvent sur la paroi interne des canaux séminifères autour des cellules de la lignée germinale. La LH a pour cible les cellules interstitielles ou cellules de Leydig qui sont à l’extérieur des canaux séminifères et produisent des oestrogènes mais surtout des androgènes (Testostérone) dont une partie peut diffuser à travers la paroi des tubes séminifères et être amenée au contact des cellules spermatogénétiques grâce à une protéine fabriquée par les cellules de Sertoli sous l’influence de FSH. Cet apport d’androgènes active alors la spermatogénèse.
Il est à noter que ceci est schématique et ne permet que d’entrevoir les multiples interrelations hormonales qui aboutissent à la production des spermatozoïdes et d’hormones mâles. D’autre part, sachant que le mode d’action de la pilule pour femme est justement de bloquer la sécrétion de FSH et de LH par l’antéhypophyse, on peut déjà supposer l’utilisation possible d’un moyen contraceptif semblable chez l’homme. Dans les deux cas, le but est de tromper le système de commande, en lui faisant croire par un apport d’hormones dans le sang que le taux est suffisant donc qu’il n’est plus la peine d’en commander la fabrication.

LA CONTRACEPTION MASCULINE
Comment trouver une méthode contraceptive masculine et la tester ?
Comment rendre un homme stérile ?
En réduisant à zéro ou presque le nombre de spermatozoïdes éjaculés, on rend un homme stérile. Pour y parvenir, il faut soit arrêter leur fabrication, soit les empêcher de sortir.
L’autre possibilité est de rendre les spermatozoïdes inaptes à féconder. On dispose pour ça de deux moyens: modifier certaines propriétés du spermatozoïde indispensables à sa pénétration dans l’oeuf bloquer l’acquisition du pouvoir fécondant une fois fabriqué, le spermatozoïde doit en effet subir une maturation sans laquelle il ne sera jamais fécondant.
Quand un homme est-il stérile ?
Un des obstacles majeurs à tout essai de contraception masculine est la difficulté d’en juger l’efficacité.
Sans un spermatozoïde, on est stérile. Mais dès que l’éjaculat en contient, même peu, le doute commence et les probabilités de fertilité s’accroîtront jusqu’à atteindre une quasi certitude.
Pour savoir si un homme est fertile, on dispose en gros de deux sources : les conceptions antérieures et l’analyse du sperme. Cette analyse, c’est le spermogramme qui établit des paramètres propres à un individu, à un moment donné (nombre de spermatozoïdes : N ; mobilité : % ; aspect des spermatozoïdes : morphologie). Les résultats sont rapportés aux données statistiques maintenant accumulées. On sait ainsi qu’à tel ou tel chiffre du spermogramme correspond telle ou telle probabilité pour l’homme de concevoir.
Pour savoir si une contraception masculine est efficace, il faudra donc se rapporter à ces critères.
- La venue d’une grossesse pose un des gros problèmes de toute contraception masculine : ce n’est pas l’utilisateur qui fait les frais de l’échec.
- Obtenir une modification du spermogramme pose d’autres problèmes : cet examen donne des informations très précises sur la fertilité d’une population. Au niveau de l’individu, il le fait seulement rentrer dans une tranche statistique. Or ce qui intéresse chacun, c’est une réponse claire : oui ou non. On peut avoir un spermogramme qui donne 90 % de chances de fertilité et ne jamais aboutir. On peut être de ceux qui n’ont que 10 % de chances et avoir très vite un enfant.
C’est donc que le spermogramme n’apprend pas tout. On peut dès lors très bien imaginer que des méthodes contraceptives soient très efficaces, sans modifier le spermogramme. Malheureusement, le critère de référence restera cet examen. Pour le moment.

Les méthodes qui existent aujourd’hui

Les hormones
Les agents les plus disponibles pour les chercheurs, ce sont les hormones. Elles sont nécessaires à la fabrication des spermatozoïdes comme à leur maturation ; on connaît relativement bien leur mécanisme d’intervention ; on dispose de l’expérience féminine de contraception hormonale.
L’organisme est doté, pour toutes ses fonctions, de systèmes de surveillance complexes dont le haut de l’échelle est situé en général dans le cerveau. L’ordre part de là et, pour s’assurer qu’il a été bien exécuté, il y a des circuits d’informations qui lui reviennent.
En prenant certaines hormones, on dupe ce système en lui faisant croire que tout marche bien et qu’il n’a plus besoin de rien ordonner. Ce qu’il fait, et le tour est joué, la fabrication s’arrête.
Le problème, c’est que c’est à peu près le même système de commande qui régit les deux fonctions du testicule : élaboration des spermatozoïdes et sécrétion des hormones mâles. Il faut alors parvenir à inhiber la première sans toucher à la seconde. Ce n’est pas simple, mais on commence à y arriver.

L’association androgènes-progestatifs
Les méthodes actuellement proposées en premier lieu aux États-Unis et expérimentées depuis près de dix ans reposent sur l’association de deux types d’hormones : progestatifs et androgènes (hormones mâles). Ce modèle est très proche de la pilule pour femme la plus classique, qui est une association de progestatif et d’oestrogène (hormone féminine).
La répartition des tâches est la suivante : les progestatifs bloquent la fabrication des spermatozoïdes par le mécanisme dont on a parlé plus haut ; les androgènes permettent de maintenir des taux normaux d’hormone mâle et d’éviter ainsi une féminisation ou une chute de libido.
Pourquoi cette méthode n’est-elle pas plus divulguée ? Sans doute du fait qu’elle n’est pas parfaite et se heurte, en gros, à cinq difficultés :
- l’efficacité est difficile à juger et le fardeau de l’échec ne repose pas sur l’utilisateur. Mais en plus l’effet est très variable d’un individu à l’autre. Avec un même traitement, certains hommes sont rapidement rendus stériles quand d’autres voient leur fertilité apparemment améliorée. On ne sait rien non plus d’une éventuelle accoutumance à ces drogues ;
- les dangers : on peut s’assurer qu’un certain nombre de fonctions de l’organisme ne souffrent pas d’une surcharge hormonale. Mais on ne peut pas tout observer. Les observations faites depuis vingt ans sur les risques cardiaques et vasculaires des contraceptifs hormonaux chez la femme, surtout fumeuse, étaient imprévisibles. Ici comme ailleurs, on se posera le problème du moindre mal ;
- la réversibilité : jusqu’à présent, cette méthode est réversible et sans conséquences sur la progéniture. Mais si un homme sur 1.000 ou sur 10.000 essuie un échec, on ne le saura que quand plusieurs milliers ou dizaines de milliers d’hommes auront utilisé cette méthode ;
- le mode d’administration : peut-on éviter la prise quotidienne de la pilule ? Sans doute, mais ce n’est pas parfaitement au point. Certains systèmes permettent de libérer petit à petit dans l’organisme certaines hormones qu’ils contiennent. Ce sont des morceaux de substances anorganiques qui contiennent les hormones et les lâchent progressivement dans le sang au fil du temps. Il semble que l’on puisse disposer de ces méthodes (implants ou injection de microsphères) dans un délai assez bref ;
- le prix de l’expérimentation : si on veut faire un essai consciencieux, avec une surveillance rigoureuse, il faut payer cher. Les dosages hormonaux, par exemple, coûtent des fortunes. Qui va payer ? Ni les utilisateurs, ni la Sécurité sociale. Il faudra donc que la contraception masculine rentre dans les préoccupations des pourvoyeurs de fonds (CNRS, DGRST : direction générale de la recherche scientifique et technique, Ministère de la Santé) si l’on veut faire le moindre pas en avant.
D’autres méthodes hormonales ont été proposées. Moins sûres, plus hasardeuses, elles se situent pour l’instant loin derrière celle dont nous avons parlé sur le plan de l’expérimentation.

Vasectomie et méthodes apparentées
Vasectomiser, c’est couper le canal déférent qui permet aux spermatozoïdes de sortir du testicule. C’est une stérilisation volontaire, considérée en France comme une mutilation et, de ce fait, interdite, fût-elle volontaire. Elle est quand même pratiquée.
La vasectomie est théoriquement irréversible. Il y a cependant deux moyens d’éviter cette fatalité :
- certains centres demandent avant toute vasectomie une conservation du sperme. La procréation reste donc théoriquement possible, par insémination du sperme mis en réserve ;
- la chirurgie peut remettre parfois bout à bout les deux extrémités du canal sectionné. Le taux de réussite effective tourne autour de 20%.
Des méthodes proches ont été expérimentées, qui cherchent à fermer ce canal temporairement au lieu de le couper. Elles semblent prometteuses chez l’animal, mais rien de probant n’est encore proposé à l’homme ; le cuivre étant réputé pour sa toxicité à l’égard des spermatozoïdes, la pose d’un fil de cuivre dans les déférents pourrait entraîner une stérilité, même si la spermatogénèse n’est pas arrêtée.

Autres méthodes
On peut altérer la fabrication des spermatozoïdes en réchauffant les testicules (slips chauffants, isolation thermique…). Mais il faudrait trouver un système commode et sûr ; il n’existe pas, et on en cherche un (cf. ARDECOM).
On a aussi proposé les ultra-sons, les infrarouges et les micro-ondes. Le gros danger, avec ce genre de solutions, est le risque de provoquer des mutations dans la descendance. Il ne semble donc pas qu’il s’agisse là des méthodes les plus prometteuses.
Rappelons enfin les préservatifs…
Où en est la contraception masculine dans le monde ?
Il n’existe nulle part dans le monde de contraception masculine acceptable. Alors y a-t- il des recherches, des essais, ou seulement des difficultés insurmontables ?
Voyons par exemple ce qui se passe dans trois pays : les USA, la Chine et la France.
Les USA ont commencé en 1971 à proposer des méthodes expérimentales de contraception masculine. Ils ont débloqué depuis peu des sommes très coquettes pour accélérer le travail en étroite collaboration avec l’OMS (Organisation mondiale de la santé, organisme spécialisé de l’ONU). C’est d’eux que viennent la plupart des propositions de contraception hormonale. Leur champ d’expérimentation est surtout L’Amérique du Sud et l’Inde, mais aussi un peu la Suède, la Finlande, l’Autriche et même les USA.
La Chine a révélé en novembre 1978 à l’Occident un contraceptif nouveau : le Gossypol. Tiré du coton, pas cher, ce produit avait été utilisé par plus de 4.000 hommes (durant plus de 6 mois) depuis 1972, dans différentes provinces chinoises. La publication est signée par  » le groupe national de coordination des agents contraceptifs masculins « . L’efficacité serait excellente : 99,89 %. Mais le critère pour en juger met la barre un peu bas (4 millions de spermatozoïdes). Le seuil d’efficacité choisi laisse une probabilité de féconder qui est loin d’être nulle. Le produit ne serait pas toxique. Mais il cause chez 13 % des consommateurs une faiblesse, au début du traitement, certes passagère mais inexpliquée. Quelques troubles digestifs, une libido un peu atteinte, une réversibilité acquise à trois mois sans que l’on sache sur quel critère, ni s’il y a des risques sur les descendants. Peut-être prometteur, ce produit laisse pour l’instant encore trop d’inconnues pour être considéré comme une proche espérance.
En France, nous connaissons un seul essai, mené à Paris (hôpital Tenon) il y a quelques années. A chaque consultation, le produit nouveau était présenté aux utilisateurs sans qu’il leur soit fourni d’informations, et il y eut finalement constatation d’une certaine toxicité de ce produit et abandon. Un autre essai en apparence plus prometteur est actuellement en cours (cf. ARDECOM).
On ne peut pas espérer disposer rapidement d’une bonne contraception masculine (efficace, sans effets secondaires ni dangers, réversible rapidement, sans risques pour la descendance, simple, confortable, pas cher … ).
On peut espérer une contraception moyenne avec des désagréments de méthode ou de surveillance, de petits risques dont il faut guetter la venue, ou une efficacité incertaine qu’il faudra mesurer. Mais cette contraception moyenne nous paraît meilleure que l’absence totale de contraception.
Les conditions du développement rapide de méthodes contraceptives masculines
Certaines méthodes contraceptives masculines peuvent être proposées dès aujourd’hui en France (cf. méthodes hormonales citées plus haut). Mais leur efficacité, leurs risques, leur réversibilité, ne sont pas assez précisément connus. Ces inconvénients peuvent s’effacer devant ceux qu’amène l’absence de contraception. C’est pourquoi des petits groupes d’hommes utilisent ces méthodes. Mais toutes les questions en suspens imposent des contraintes : excellente information des utilisateurs et des médecins, coopération entre eux, surveillance de la fertilité potentielle et des risques éventuels, acceptation de protocoles (normalisation de la surveillance de l’efficacité et de l’absence de danger) qui, au point où on en est, restent des protocoles d’expérimentation.
LE SPERMOGRAMME
Il semble que l’analyse du sperme devrait être l’examen minimum que devrait effectuer tout homme vis-à-vis d’une contraception. En effet, bien que l’on ne puisse définir avec certitude un seuil de non fertilité par le nombre de spermatozoïdes, à moins d’azoospermie totale, le spermogramme permet aussi d’apprécier à l’état frais leur mobilité, important critère de leur potentiel fécondant.
La numération peut se faire relativement facilement avec un microscope (x 400) et une lame spéciale dite cellule de Thoma qui permet, grâce aux repères quadrillés qu’elle comporte d’y compter les spermatozoïdes en nombre d’unités par volume. Les spermatozoïdes auront d’abord été immobilisés par dilution avec une solution de Ringer. L’espace entre cellule de Thoma et lamelle détermine un volume. Les repères quadrillés permettent de diviser en unités très précises dans lesquelles on compte le nombre de spermatozoïdes. Le résultat se donne en unités/ml.
Le spermocytogramme permet d’apprécier la proportion de spermatozoïdes qui ont un aspect normal. On constate souvent un certain nombre d’anomalies de la morphologie des spermatozoïdes qui atteignent soit la tête soit la pièce intermédiaire soit la flagelle ou plusieurs de ces parties simultanément. On considère que ces formes différentes sont morbides mais que 20 %, voire 50 %, de formes anormales n’altère pas le pouvoir fécondant du sperme.
Enfin l’analyse biochimique du sperme permet d’apprécier le fonctionnement des glandes sexuelles annexes que sont les vésicules séminales et la prostate. C’est le taux de fructose qui est considéré comme représentatif du fonctionnement des vésicules séminales. Le taux de phosphatase acide représente celui de la prostate. Cet organe a donné son nom aux prostaglandines dont le liquide séminal est très riche sans qu’on en connaisse le rôle dans la fécondation. En fait des recherches récentes ont fait apparaître que ce sont les vésicules séminales qui produisent surtout les prostaglandines.
Pour Rehan et coll. (1975) une étude de 1.300 hommes fertiles a montré que le volume des éjaculats varie de 0, 1 à 11 ml. La densité en spermatozoïdes varie de 1,5 à 375 millions/ml, le pourcentage de spermatozoïdes mobiles variant de 5 à 95 % et le degré de mobilité varie de 1 à 4. Les différents paramètres du spermogramme permettent de classer un individu dans un groupe statistique : on obtiendra une probabilité de fertilité qui n’aura pas de valeur précise pour l’individu.
Les différentes possibilités de contraception hormonale
Attention aux refroidissements
LES DIFFÉRENTES POSSIBILITÉS DE CONTRACEPTION HORMONALE
L’effet recherché est une chute de la spermatogénèse ; on va donc essayer de court-circuiter les différentes informations hormonales qui peuvent entretenir cette spermatogénèse.
Ainsi, en introduisant des androgènes dans la circulation sanguine : hypothalamus et hypophyse, informés de cette augmentation du taux d’androgènes circulants, vont cesser d’envoyer leurs ordres de fabrication FSH-LH en particulier dans les testicules. Les cellules de Leydig stoppent alors leur production de testostérone et la spermatogenèse s’effondre. Cependant, les androgènes ont d’autres activités dans l’organisme et leur forte augmentation entraîne des risques cardio-vasculaires et hépatiques, entre autres…
On pourrait aussi introduire des antiandrogènes qui se font passer auprès des  » sites d’action  » (donc au niveau des tubes séminifères) pour similaires des androgènes sans en avoir l’activité. Là aussi on obtient une chute de la spermatogénèse, mais elle n’est que temporaire car, malgré la similitude, le système de contrôle perçoit la pénurie d’androgènes et augmente alors sa sécrétion, de gonadotrophines (FSH-LH) pour produire les androgènes manquants. On doit noter ici que la testostérone a surtout une activité périphérique car au niveau de la spermatogénèse c’est une autre hormone, très proche, la dihydrotestostérone (DHT), qui agit. Il faudrait donc trouver un produit anti-DHT qui ne soit pas anti-testostérone.
Les oestrogènes sont les plus puissants inhibiteurs des gonadotrophines hypophysaires ; cependant, leur utilisation chez l’homme s’accompagne de troubles cardio-vasculaires et d’une féminisation. Pour certains, leur association avec des androgènes éviterait ces troubles tout en conservant l’action anti-spermatogénétique.
La progestérone et les progestatifs
Androgènes, oestrogènes et progestatifs peuvent agir sur des récepteurs (dits glandes-cibles) qui ne leur sont pas propres. Ceci est dû à la similitude de leurs molécules de base. Chacun peut donc en partie concurrencer les deux autres et en particulier divers progestatifs peuvent agir sur les récepteurs androgéniques. Cette interaction est en général inférieure à 10 %. Mais avec l’acétate de médroxyprogestérone (AMP), dérivé artificiel, l’interaction est beaucoup plus grande. Autrement dit, l’AMP va pouvoir tromper avec beaucoup d’efficacité les récepteurs habituels des androgènes, d’où l’inhibition principalement de la production de FSH-LH par l’hypophyse et par suite chute de la spermatogénèse.
Cependant, l’administration chez l’homme de progestatifs seuls entraîne aussi une chute de la  » libido  » et une atrophie des testicules et des glandes sexuelles annexes (symptômes dus à l’arrêt de la production de testostérone). Aussi, parallèlement à un traitement progestatif, il est nécessaire de réintroduire de la testostérone dans la circulation sanguine pour éviter troubles de la libido et féminisation.
Mais alors, cela ne va-t-il pas remettre en route la spermatogénèse, puisqu’on réintroduit de la testostérone alors que l’administration de progestatifs devait en interdire la production ? Il faut préciser que la concentration de testostérone est, sans traitement progestatif, beaucoup plus forte dans les testicules près du lieu de production que dans les glandes annexes simplement irriguées par le sang.
Sous progestatifs, si on introduit de la testostérone dans la circulation sanguine, le taux hormonal habituel y sera rétabli et donc les fonctions normales des glandes annexes, du métabolisme, ainsi que les caractères sexuels secondaires et la libido, ne bougeront pas. Cependant, la concentration initiale de testostérone dans les testicules ne sera jamais rétablie et la spermatogénèse reste donc très basse.
Et la pilule dans tout ça ? Eh bien, c’est justement la forme que prend l’acétate de médroxyprogestérone dans le commerce. Deux pilules par jour dosées à 10 Mg de AMP. La testostérone est contenue dans une solution dont on se frictionne le corps et qui se diffuse dans le sang à travers la peau.
Et ça marche : effondrement de la spermatogénèse et atteinte d’un seuil d’1 million de spermatozoïdes en 3 mois à peu près (il y a de grandes variabilités individuelles). Mais reste posé le problème d’un seuil de stérilité. Aucun trouble secondaire (après élimination des sujets à risque, en particulier les gros fumeurs). Aux dernières nouvelles, elle ne rendrait pas sourd. Un inconvénient toutefois, le prix élevé des produits et des examens.
Un bilan détaillé est en cours de réalisation il porte sur l’utilisation par 6 hommes, pendant un an, de cette contraception.
ATTENTION AUX REFROIDISSEMENTS !

Météo et contraception

Tout le monde sait que les testicules pendent entre la verge et les fesses. De ce fait, si la température moyenne du corps est de 37°, celle des testicules est de 34°. Et ce n’est pas un hasard. Car lorsque cette température est augmentée de façon constante ou importante, la spermatogénèse est notablement réduite : ce sont ses stades intermédiaires (phases de division et de synthèse protéique) qui sont extrêmement sensibles à la chaleur. Bref la lignée germinale dégénère.
La chaleur a pour conséquence de diminuer le nombre de spermatozoïdes, leur mobilité, leur vitalité, et d’accroître le pourcentage de formes anormales. Et ceci, sans modifier sensiblement ni les taux d’hormones, ni les glandes sexuelles annexes, ni la libido. En plus, même si cela n’annule pas le nombre de spermatozoïdes, la fertilité de ceux qui restent baisse sérieusement : il semble que la chaleur provoque une inhibition de l’aptitude à féconder du spermatozoïde.
Comment ? A l’intérieur des testicules, la chaleur agit sur les flux sanguins, sur la synthèse protéique, sur le métabolisme des glucides, lipides, acides nucléiques, et sur la synthèse des récepteurs hormonaux. Mais comment ces altérations provoquent-elles la chute de la numération, du nombre de formes normales et de la fécondance, personne ne le sait vraiment en fait.
Évidemment, toutes ces actions sont absolument réversibles du moment qu’on reste dans des limites raisonnables de température.
Comment se chauffer ?
La méthode que nous prévoyons d’utiliser est la suivante : le port pendant le temps de veille d’un slip suspensoir surisolé, ce qui élève la température moyenne de 2 à 3°. Ceci fait déjà bien chuter le nombre de spermatozoïdes sans toutefois provoquer la stérilité totale. Alors on ajoute un petit chauffage à 41 ou 42° (soit 7 à 8° au-dessus de la température normale) pendant une heure par jour, dans un premier temps, et on espère, au moyen de résistances chauffantes de petites dimensions. Les spermogrammes permettront d’apprécier la baisse de la numération (qui doit se faire en 2 à 3 mois) et le niveau atteint. Cependant, il n’existe actuellement pas d’examen permettant d’évaluer l’aptitude à féconder d’un éjaculat, or c’est justement dans l’altération du pouvoir fécondant des spermatozoïdes qu’on a le plus d’espoirs — leur nombre importerait alors moins.
En fin de compte, on ne peut pas dire qu’on a trouvé là une méthode sûrement contraceptive pour tout de suite, beaucoup de travail est encore à faire, autant dans la mise au point du  » matériel « , les slips et les résistances, que dans la mise au point d’analyses médicales déterminantes, et surtout celle du  » protocole « . Mais on peut commencer le boulot, non ?

LE PRÉSERVATIF :
une bonne efficacité due à une technologie en évolution

Il existe deux techniques de contraception masculine pouvant être actuellement proposées à une échelle relativement large :
- la vasectomie, dont on parle par ailleurs
- le préservatif masculin.
Nous n’aborderons pas ici les problèmes sexuels, sociaux, légaux ou moraux liés à cette méthode, pour nous attacher uniquement à son efficacité.
Il existe en effet une  » ambiance psychologique  » d’inefficacité autour de l’utilisation des préservatifs, qui n’a plus de justification aujourd’hui.
Les progrès de l’industrie du latex ont abouti à des préservatifs :
- de très bonne qualité ; 
- traités dans une atmosphère d’humidité évitant la dessiccation responsable de perforations ;
- avec un contrôle électronique de chaque préservatif, associé à des tests d’insufflation d’air ou d’eau ;
- lubrifiés par des silicones semi-secs conditionnés de façon à donner une durée de vie de 5 ans.
Grâce à ces améliorations, on aboutit à une efficacité telle que les dernières statistiques britanniques donnent de 0,4 à 1,6 échecs pour 100 années-femme. Rappelons que le stérilet donne une efficacité de 1,5 à 3 échecs pour 100 années-femme, et qu’il est responsable d’infections tubaires.
En conclusion, paradoxalement, alors que sa nocivité est nulle, le préservatif masculin est une méthode sous-utilisée en France : les raisons de cet état de fait sont multiples, mais l’un d’entre elles nous semble la méconnaissance de son efficacité qui est grande.


QUELQUES QUESTIONS À PROPOS DE LA VASECTOMIE

1) Qu’est-ce que la vasectomie ?
C’est la section chirurgicale des canaux déférents chez l’homme, provoquant une stérilisation définitive en empêchant l’émission des spermatozoïdes. C’est la stérilisation au masculin.

2) Comment se pratique l’intervention ?
Les canaux déférents sont très facilement accessibles sous la peau des bourses. Sous simple anesthésie locale, une incision de 1 cm sur le scrotum de chaque côté de la verge permet de les visualiser. L’obturation est généralement faite par une double ligature du canal plus une résection de 1 cm entre les deux noeuds. La peau est ensuite refermée par des points de suture ou des agrafes.

3) A quel moment la stérilité est-elle acquise ?
L’évacuation des spermatozoïdes restant dans les canaux déférents en aval de l’obturation est fonction du rythme des éjaculations suivant l’intervention. On peut trouver des spermatozoïdes pendant plusieurs mois en très petite quantité, mais normalement ils ne sont pas fécondants sauf pendant les 15 premiers jours. Il est de toute façon indispensable de faire des spermogrammes de contrôle pour s’assurer de la réussite de l’opération et déterminer le moment d’apparition de la stérilité.

4) La vasectomie provoque-t-elle des modifications de l’appareil génital ?
Aucune modification ni des testicules, ni des autres glandes participant à la formation du sperme, ni de la fonction des hormones sexuelles. L’éjaculation n’est pas modifiée, il n’y a pas de diminution perceptible du volume du sperme (il est comme une rivière dont on aurait enlevé les poissons !!!). Bien entendu, la vasectomie n’a rien à voir avec une castration.

5) La vasectomie modifie-t-elle les rapports sexuels ?
Il n’y a aucune raison d’ordre biologique pour qu’ils soient modifiés.

6) Les spermatozoïdes continuent-ils à être produits ?
Oui, il n’y a pas de changement de l’activité testiculaire.

7) Que deviennent les spermatozoïdes ?
Ils séjournent pendant un certain temps dans les voies génitales, puis comme toutes les cellules de l’organisme à durée de vie limitée, ils meurent et ils sont résorbés par d’autres cellules : les macrophages (c’est d’ailleurs ce qui se passe normalement quand on reste longtemps sans avoir d’éjaculation).

8) Y a-t-il des risques de complications ?
Pas particulièrement, si ce n’est ceux inhérents à toute intervention chirurgicale. Certains hommes signalent des douleurs au niveau des testicules dans les mois qui suivent l’opération mais elles ne sont pas importantes et toujours passagères. La complication principale est la reperméation des canaux, elle est exceptionnelle avec des chirurgiens entraînés et facilement dépistée par les examens de contrôle.

9) La vasectomie a-t-elle des conséquences psychologiques ? 
La vasectomie supprime de manière définitive la possibilité d’avoir des enfants, c’est une décision qui n’est sûrement pas facile à prendre, dans aucun cas. Si l’homme est informé, conscient des enjeux et des risques, il est probable que les meilleures chances existent pour que tout se passe bien, mais il est à souligner que dans tous les bilans qui ont été faits à distance de l’intervention, quelles que soient les conditions de sa réalisation, quels que soient les pays, les conditions socio-culturelles, il existe toujours un certain pourcentage (variable) d’hommes qui regrettent

10) La vasectomie peut-elle être réversible ?
La réanastomose des canaux déférents sectionnés est une opération difficile et longue qui nécessite le recours à la microchirurgie. Les spermatozoïdes ne réapparaissent dans le sperme qu’une fois sur deux mais il n’y a grossesse qu’une fois sur cinq environ. Il vaut mieux donc considérer la vasectomie comme une méthode de contraception irréversible.

11) Et la conservation du sperme ?
Les spermatozoïdes congelés dans de l’azote liquide peuvent garder leur pouvoir fécondant pendant plusieurs années, (et peut-être beaucoup plus !). Une conservation peut donc être faite avant l’intervention et d’ailleurs certains chirurgiens l’exigent. Ce n’est pas cependant une garantie de fertilité future car tous les spermes congelés ne sont pas sûrement fécondants. La conservation ne change donc pas le caractère irréversible de la vasectomie.
En pratique, pour conserver le sperme, il faut se rendre dans un laboratoire spécialisé.

12) La vasectomie est-elle légale ?
Aucune loi ne l’interdit spécifiquement. Au cours du seul procès qui ait jamais eu lieu en la matière, en 1937 à Bordeaux, elle a été assimilée à une mutilation volontaire avec coups et blessures pour pouvoir condamner des anarchistes qui la pratiquaient.
Le Conseil de l’Ordre des médecins l’interdisait formellement comme la stérilisation féminine, mais elle n’est plus mentionnée dans la dernière version du Code de déontologie (juillet 1979).

13) Combien d’hommes se font vasectomiser ?
On estime qu’il y a à travers le monde 80 millions d’hommes et de femmes stérilisés, ce nombre augmente très vite. Aux USA, 34 % des couples ont choisi une stérilisation comme méthode de contraception (18 % féminine, 16 % masculine) quand l’âge de la femme est compris entre 30 et 44 ans. La pratique française ayant été confidentielle sinon clandestine pendant longtemps, il est difficile d’avoir une idée précise. On peut estimer à quelques milliers par an le nombre de Français se faisant vasectomiser. La demande augmente de manière importante depuis quelques années et le nombre de médecins pratiquant cette intervention aussi.

14) Combien coûte la vasectomie ?
Ne nécessitant ni hospitalisation ni anesthésie générale, elle devrait être très bon marché et ne pas coûter plus de 100 ou 200 F . Malheureusement, des tarifs scandaleusement abusifs sont trop souvent pratiqués. Il est à noter que la vasectomie est une méthode de contraception économique à terme, ne nécessitant ni renouvellement, ni examens de laboratoire, ni visites médicales périodiques, comme la pilule ou le stérilet.

15) Où s’adresser ?

Chez votre médecin ou chez un urologue mais trop souvent il ne pourra ou ne voudra pas répondre à votre demande, alors adressez vous aussi aux organisations de Planning familial ou aux CECOS (banques de sperme), ou à ce journal.

16) Etes-vous convaincu ?
Ce n’est pas ce que j’ai voulu faire. Décider à un moment donné de sa vie de s’aliéner de manière définitive la liberté de choisir d’avoir ou de ne pas avoir un enfant, et ce quelle que soit la situation affective, familiale, dans laquelle on se trouvera demain ou dans cinq ans… ce n’est pas facile. Ce côté définitif… inscrit dans le corps… c’est assez impressionnant. Alors, la vasectomie ? Pourquoi pas, à condition de la prendre pour ce qu’elle est, une stérilisation au masculin.

IL SUFFIT DE LA PRENDRE
Il fallait bien qu’on y vienne un jour à cette histoire de contraception masculine, de  » pilule pour hommes « .
Il y avait les  » j’en ai marre de prendre la pilule « ,  » j’ai toujours pas mes règles « , les petites peurs et les grosses angoisses, un avortement, les  » il parait que ça existe pour les hommes « , et les sempiternels  » c’est toujours pas au point « . Et puis il y avait ces mecs qui, dans les manifs mixtes (c’était toujours ça de fait), criaient à l’unisson des femmes, depuis des années,  » contraception (et avortement) libres, et gratuits pour toutes « . Ils revendiquaient, exigeaient la contraception de (pour) l’autre. Et pourquoi ne revendiquaient-ils pas leur paternité libre et choisie au moment où ils la désireraient, plutôt que, de la même manière, la maternité de la femme ? Il a bien fallu alors qu’un jour on se dise :  » C’est quand même incroyable, qu’est-ce qu’ils foutent dans les labos ?  »
Il y a bien la vasectomie, ouais, mais un peu risquée, parce que c’est pas tout à fait au point l’histoire de la réversibilité et puis c’est passible de prison, dame ! Alors on décroche le téléphone et on fait le tour des hôpitaux, des services d’urologie (c’est eux qui s’occupent de ça paraît-il !). Et on n’y trouve que mutisme et méfiance, on se décharge de vous d’un service à l’autre, vous n’avez pas, bien sûr, appelé le bon poste, rappelez mercredi, la personne est absente, vous devez appeler un tel, une vraie partie de ping-pong. Ou encore on vous dit (sans rire) :  » Comment ça se fait que votre amie ne veuille plus prendre la pilule ? J’aimerais bien pouvoir parler avec elle …  » Et moi … !!!
On s’adresse à des toubibs dont on a pu nous parler à droite ou à gauche, toubibs qui, … toubibs que… on ose téléphoner à des sommités en la matière qui justement vont à un congrès où…. qui étudient précisément en ce moment tel aspect de la question … téléphone à des copains, à des copains de copains, et toc, au bout de six mois de ce genre de démarches, on tombe sur une adresse, ouf !
Entre-temps, bien sûr, on a eu droit à toutes sortes d’explications-justifications : ça fait tomber les poils, ça fait pousser les seins, on ne bande même plus quelquefois, c’est plus facile d’empêcher la fabrication d’un ovule une fois par mois (chez la femme) que celle de millions de spermatozoïdes chaque jour (chez l’homme). Sans parler des  » Ça ne résoud rien pour les femmes qui vivraient plusieurs relations « , mais si la pilule pour homme était aussi répandue que celle des femmes ? Et si les mecs désiraient vraiment maîtriser leur fécondité ?
Voilà donc le toubib si providentiel enfin déniché, un petit entretien avec lui, quelques mises au point sur le traitement et sur les garanties à prendre (toutes sortes d’examens étalés sur un an), et on démarre le traitement avec des produits qui existent déjà et dont on connaît les effets, mais qui sont ici utilisés dans d’autres buts. On s’observe un peu les premiers jours, on s’y fait. Rien d’anormal ? Rien d’anormal ! Ça va ? Ça va ! Et puis les questions des autres, Pourquoi tu fais ça ? pour pas avoir d’enfants, Comment ça t’est venu ? ben, comme ça ! Pourquoi tu fais ça ?  » pour maîtriser ma fécondité « .
Non, ça fait pas mal, ça fait pas pousser les seins, ni tomber les poils… J’ai toujours très bien bandé, même sans doute plus, et c’était mieux. C’est peut-être pas étranger au fait que (quand les courbes des spermogrammes étaient bonnes), je savais ce que je faisais (ou plutôt ce que je pouvais ne pas faire), peut-être qu' » inconsciemment  » ça enlève un poids. Ouais, c’était plutôt bien. C’est sûr que  » quelque part  » on se sent plus détendu, plus maître de ce qu’on fait, et ça rejaillit naturellement sur le plaisir. On peut se laisser aller, plus d’angoisses, de retrait en catastrophe, d’arrêtcapote, de capotes mal mises ou qui craquent sans prévenir. Peut-être un peu ce que les femmes ont pu ressentir quand elles ont eu un accès aisé à la  » pilule libératrice  » (pour un temps) ; et puis pouvoir partager la contraception (chacun son tour, parce que c’est quand même chimique tout ça !), que ce ne soit plus l’autre qui supporte tout ce poids ; et au bout du compte, sentir qu’on peut être maître de sa fécondité et pas toujours à la merci d’un oubli ou d’une erreur de l’autre, et savoir qu’on peut ne pas être père ou, au contraire, l’être quand on l’aura décidé.
Tout ça c’est bien beau, mais reste le côté technique qui est assez dur pour l’instant. La prise des produits de manière quotidienne, c’est pas très drôle, il faudrait que bien vite des mecs s’y mettent, alors les labos feraient peut-être quelque chose pour faciliter le traitement. Et puis, comme tout ça c’était un peu sous le manteau, les toubibs ont pris mille précautions (examens mensuels, puis trimestriels, puis remensuels) pour qu’il ne nous arrive rien de fâcheux, de vrais poupons ! Il est vrai qu’aucune erreur ne leur aurait été permise. Mais quelle inertie et quelle résistance de la part des chefs de services, responsables de toutes sortes, et des pouvoirs publics !
A quand la pilule en vente dans les monoprix ?
APRÈS LE PETIT DÉJEUNER

Petits câlins. Maou. Frottis-frottas. Douceur de la peau. Samedi matin, on a le temps. On traînasse. Petits bécots. C’est bon au creux du cou. C’est doux.
Tiens, v’là aut’chose. Les bras se font plus boas. Les jambes deviennent arabesques. Les baisers s’appuient. Hop là, les chemises de nuit par-dessus bord. Les corps s’explorent encore, pourtant on se connaît par coeur. Tu me montes dessus. On aime beaucoup ça.
Mais tu me surveilles.
Et je me surveille.
Tu te surveilles aussi d’ailleurs. Tout le monde en deçà du point de non-retour !
Parce que, avec ça, il faut pas rigoler. Déjà une fois on s’est fait avoir. Mauvais calcul, acte manqué. Et ce fameux après-midi à la clinique on s’en souvient tous les deux. Alors quand il y a  » pénurie  » de pilule, c’est moi qui me pointe à la pharmacie. Faussement tranquille. Mi-gêné, mi-provocateur. Avant d’entrer, je répète dans ma tête  » Je voudrais une boîte de préservatifs  » histoire de ne pas lâcher en public le mot  » capote « .
Pourvu qu’on ne me demande pas  » quelle taille ? « . Vieux phantasme.
Enfin bref, pas question de jouir avant de me contracepter. Alors, petit intermède. Je me lève et vais chercher mon imperméable dans son armoire : à la salle de bains. Y a pas de table de chevet, et on va pas en mettre une exprès pour ça, alors c’est là que je les ai planqués. Pourquoi ??
Quand je reviens, la plupart du temps, je bande encore. Cela m’étonne toujours. Mécanique graissée. Puis il faut reprendre le conte là où on l’avait laissé. Des fois l’entracte est arrivé en plein suspens et comme un bon livre dont on n’a rien oublié lorsqu’on le reprend, immédiatement les langues se re-enroulent furieusement,  » Viens ! « . Désir, désir, quand tu nous tiens ! Mais souvent, loin des yeux loin du corps, et faut bien dire qu’on a besoin de retourner quelques pages en arrière pour se remettre l’intrigue en mémoire.  » Allez, on n’a pas fait tout ça pour rien , on se force un petit peu, tout petit peu promis !, et ça repart.  » On sait que ça va marcher, que le petit effort sera récompensé ; le tout c’est de s’y mettre. Habitude des désirs, habitude de l’habitude. Bon d’accord, c’est un peu chancelant, mais on va pas en faire un drame, c’est bon quand même, pas vrai ? Et puis, on sera content d’y être arrivé malgré tout ; parce que la catastrophe c’est quand on se dit  » j’ai pas envie  » ou  » il a pas envie  » ou  » elle … « .
Alors là, crac ! Méfiance, honte, froid jeté. Quelle déception ! Bon, on arrête tout et on réfléchit, et advienne que pourra. Voilà, c’était  » le plastique comme révélateur du désir, ou prêcher le faux pour savoir le vrai »
Pratiquement toujours ma tête se faufile entre tes jambes. Mais attention, caresses à sens unique ! Une fois que la combinaison est enfilée, il ne reste plus qu’à plonger. Moi, intouchable, insuçable. (C’est pas un reproche, je comprends bien.) Heureusement pour la bonne marche du scénario, le goût de ton orgasme au bout de ma langue a plutôt tendance à m’exciter. Quel hasard !
Dans toi, l’impression que ça me fait, c’est que quand même, c’est pas pareil. On a beau dire, quelle que soit la finesse du gant, il sépare. (Il est même fait pour ça.) Moi dedans, toi dehors. Je ne sais pas bien comment expliquer, ça atténue, ça dilue, ça modifie en tous cas. M’enfin, comme dans tout y a du bon : au moins il y a une angoisse que je ne risque pas d’avoir, celle de l’éjaculation précoce. Même qu’il peut arriver que je n’aie pas du tout d’orgasme. Je me dis alors :  » Sans préservatif j’aurais joui. Oui mais comme j’aurais éjaculé, il aurait été absolument nécessaire « . Quadrature du cercle. Frustration obligatoire, qui se cristallise sur le préservatif mais qui vient sans doute d’ailleurs. En fait c’est très rare.
Après, une petite main contrôleuse se glisse est-il toujours là ? Faut dire qu’une fois je l’ai perdu. J’étais pas fier. Sur le moment et la veille du premier jour des règles je ne l’étais pas moins. Mais là non, tout va bien.  » Reste encore un peu « . Pourtant il faut bientôt se séparer complètement.
Toujours trop tôt.
Je tire sur le caoutchouc, bruit de succion, sac qui pendouille. Si j’avais un microscope, je pourrais en faire un spermogramme, mais la seule chose que je puisse en faire c’est un noeud qui enferme le sperme, noeud noué comme ce quelque chose qui reste coincé pendant le déroulement du programme. C’est ça batifoler ? Mais en fait le programme est écrit dans ma tête, pas sur le latex.
Plus tard, quand on se lève, en ramenant le plateau du petit déjeuner à la cuisine, je vais mettre ma petit poubelle dans le sac en plastique qui est lui-même dans la grand poubelle. A la  » décharge  » ! Sperme : semence magique, ou ordure ? On est content qu’il soit venu, mais on préfère s’en débarrasser.
D’ailleurs après, à la salle de bains, pendant que je lis la notice explicative qui était dans la boîte, tu me parles.
 » Michelin préserve le couple. Mode d’emploi : La chambre à sperme doit être mise avant chaque rapport sexuel. Cessez le contact rapidement après l’éjaculation. La chambre à sperme ne peut être utilisée qu’une fois. Tu sais, je suis vachement contente qu’on utilise des préso. Moi ça me va très bien, comme ça pas de foutre en moi, qui dégouline, qui me laisse son odeur, pas de trace.  »
Je pense :  » Ouais, vieille histoire du baisage ni vu ni connu. Mais merde, mon sperme ça vient de moi, c’est une partie de mon corps masculin. D’une certaine façon, si ça la dégoûte c’est qu’elle rejette mon corps de mec. « 
 » La chambre à sperme est la forme de contraception la plus simple et la plus pratique. C’est aussi le moyen le plus sûr pour éviter les maladies transmises sexuellement.  » C’est vrai que mes parents qui ne m’ont d’ailleurs jamais rien expliqué sur le comment on fait des enfants, ont appris que j’étais plus puceau parce que j’avais attrapé une blenno. Et alors ils (mon père ?) m’ont acheté une boite de condoms.
 » Les chambres à sperme Michelin sont d’une grande finesse et d’une très grande sensibilité (tiens je ne savais pas qu’un morceau de caoutchouc pouvait être sensible), toujours prêtes à l’emploi (ça, ça me rappelle quelque chose) grâce à leur lubrification à sec qui les rend imperceptibles.  »
Bon, je vis donc avec une femme qui me rejette en tant que mec. Et ça ne me révolte pas. C’est peut-être que je n’accepte pas tellement mon corps d’homme. Oui, je suis content quand elle dit qu’elle aime bien mes seins, et mon sperme me dégoûte un peu aussi.
 » De plus, les chambres à sperme Michelin vous assurent une sécurité absolue. Chaque chambre est contrôlée électroniquement et subit toute une série de tests très sévères, ceci pour répondre aux normes de la British Standard Institution.  »
Dis donc, ils jouent vachement sur la sécurité, mais quelle sécurité ? Celle de la contraception ou une autre ? Et pour renforcer cette mise en confiance, ils vont chercher les cautions de la science et d’une institution. Une institution britannique, ce qui est le moins qu’on puisse faire pour des capotes anglaises.
LA GRÈVE DE LA RE-PRODUCTION
Dans mon histoire de prendre la pilule, outre mon histoire personnelle, il y avait un ras le bol des groupes de parole (groupes d’hommes). Parole sur la sexualité, parole sur l’enfance, sur comment on nous avait fait petit garçon, petit homme, sur les rôles d’homme inculqués, parole sur les relations de pouvoir/dépendance aux/des femmes. Dans ces paroles, absence quasi totale des gosses et du boulot. Et pourtant une idée commence à trotter : on est vraiment dans des rôles, on s’y raccroche, on est en dehors de nos pompes à vouloir canaliser la vie, diriger des flux pour les utiliser, pour créer des structures, des objets, des livres, des rapports, des tracts, des lettres, des oeuvres. Ce qui compte le plus, c’est citer le nombre et le nom de ce qu’on a fait et non comment on l’a fait. Je connais un tel, j’ai une relation avec une telle, j’ai tel projet, j’ai été dans telle organisation, j’ai deux enfants. Le résultat plus que la voie, le comment ça s’est vécu. Conjurer un flot en balisant les berges et ça balise sec quand ça échappe, quand ça déborde… On ne sait plus où ça va, quelle va être la fin, la mort ? Moi, homme, j’ai peur de cette mort, la vie m’échappe, mon pouvoir, c’est chercher à laisser des traces pour conjurer la mort. Et en parlant ça, un désir naît d’aller au-delà des traces, des  » oeuvres « , pour voir ce qui les désire, comment ça se conçoit. Et la conception, pour moi, elle passe par les femmes. C’est l’identité renvoyée par la femme qui me permet de me croire capable, d’oser, d’exprimer un désir. C’est dans la relation à une femme que je nais et que je fais naître ma création, que je conçois. Et alors ça s’embrouille avec l’autre. Où je suis, là dedans ?
Assez parlé ; pour y voir plus clair, il faut aussi que je pose des actes, me séparant de cette fusion avec la femme, où je puisse me re-connaitre. Alors a commencé une recherche des ou plutôt du labo faisant de la recherche sur là contraception masculine ; ça, a été décevant : un seul labo terminant une expérience sans avenir car trop d’effets secondaires. Restait la vasectomie. Je crois possible pour moi de désirer un troisième enfant. Alors l’insémination artificielle, ça ne me fait pas rêver.
Non merci ! Et pourtant Alain qui vient de se faire vasectomiser chante les mérites de se protéger radicalement de faire un môme et le plaisir de faire l’amour avec tout son corps sans retenue. Alors on cherche un peu plus. Pierre nous aiguille sur Jean-Claude, médecin avec une démarche scientifique que j’aime bien mais méfiant des cas pas strictement médicaux, les cas  » psychologiques  » comme il nous appelle. Là commence une petite épreuve avant d’arriver au plaisir : perdre mes bourrelets et lâcher ma pipe. Ça, j’aime pas, mais c’est la découverte que mon corps, je peux m’en occuper, qu’il n’est pas forcément capable de tout faire, de tout avaler. Et puis fier de mes cinq kilos perdus, je commence à prendre la pilule. Bordélique comme je suis, je prends les ampoules par deux ou trois car prendre dix minutes chaque jour pour me verser ça sur le corps ! c’est beaucoup me demander. La pilule, elle, ça passe bien, c’est vite avalé. La lotion, ça fait froid, ça pue l’hôpital, ça colle quand c’est pas bien sec. La quincaillière, la voisine me demande toujours si j’ai si mal aux reins tellement je pue le camphre. Pourquoi qu’elle demanderait pas à tous les gens qui sentent le camphre s’ils prennent la pilule ? Jamais j’ai réussi à me caresser la peau pour faire pénétrer la testo. Je laisse sécher. Et puis des questions viennent sur l’ignorance de mon corps. Ça produit jour et nuit à débit constant de la testo ou ça se repose de temps en temps ? Quand je mets une ampoule, mon corps, il l’avale tout de suite ou il la déguste ?
Questions sans réponses, corps sans rythmes. Attente inquiète des spermogrammes pour suivre la baisse. Philippe est déjà à zéro au bout d’un mois. On nous avait dit trois mois, les fameux soixante-douze jours et quelques ; rythmes et réactions bien loin des livres. Et puis m’y voilà à zéro petite bête. Je peux pas faire d’enfant. Alors ça devient bon de pénétrer et de jouer, de couler trois gouttes ou pas. Tellement que tes caresses autrefois interdites (elles me chatouillaient tant) explorent mes cuisses et mon ventre, terrains autrefois défendus. Mon sexe pourtant dur se détend. Ça coule autant qu’avant et c’est pas dangereux. Alors les muscles se détendent, on peut jouer n’importe quand ; plaisir très fort.
Ça me donne envie de jouir plus, de vivre mes fantasmes, de jouir mieux. Et puis quand je ressens beaucoup d’amour pour toi, j’ai envie de te faire un enfant. Alors c’est plus possible : on peut faire autre chose. Pas créer quelque chose qui sort de nous, qui nous survivrait, mais quelque chose de consommable tout de suite, du bonheur entre nous, de l’imperceptible éphémère mais qui fait chaud à la peau et au coeur. D’autant que un peu moins dans la fusion, du fait un peu de cette « coupure », on se perçoit comme pouvant prendre des chemins différents. Il se crée un espace de non production où nos désirs peuvent naître et se conjuguer, un espace de plaisir gratuit, vertigineux par la solitude ressentie, l’absence « d’être » commun, d’enfant possible, « preuve dite tangible » de notre amour, enivrant par ce « sans produit » proche de la mort.
Contracepter, ça m’a fait évacuer cette possibilité de concevoir avec/par l’autre. Ça ne concernait bien sûr concrètement que l’enfant, mais en fait ça me renvoyait à toute ma vie. C’est dans cette période que j’ai commencé une analyse, besoin de ne plus baliser, de laisser aller, d’être faible, de ne plus créer, de ne plus parer à « ce que je dois faire ». C’est aussi pendant cette période que je n’arrive plus à être compétitif , à tenir un rang, professionnellement, affectivement et sexuellement, que je ne suis presque plus jaloux ni désespéré de la valeur de l’autre et de ma nullité. Quelque chose comme ça doit sortir tel que c’est pas définitif et puis ce qui compte le plus c’est : comment c’est pour moi et non : qu’est-ce que ça représente pour l’autre. C’est un peu la découverte de ma créativité, de ma propre fécondance. Ce n’est pas le ventre de la femme qui fait mon enfant. C’est aussi moi l’enfant que je porte, ce que j’y mets, mes désirs qui l’ont conçu. Ça à entraîné un rejet des femmes comme miroir/réceptacle de ce que je suis. La maturation de ma fécondance s’est accompagnée par commencer à apprendre la flûte, faire de la recherche dans mon boulot, aménager ma piaule. Ça je crois que c’est de l’irréversible et c’est bon. La pilule je l’arrête dans une semaine, histoire de voir la remontée. Mais je crois que dans 6 mois je recommencerai. C’est si bon d’avoir le temps et l’espace pour désirer.
FINALEMENT, JE NE PARLERAI PAS DE MOI
Viviane est née en mars 69. J’avais 20 ans, j’étais un tout petit garçon. 18 ans d’éducation bourgeoise et d’écoles catholiques… et puis 68, les yeux ouverts, et puis Jeanne prolo, P.C., ses seize ans face au ciel, un autre monde. Jeanne enceinte ; peut-être c’était trop :  » Je ne comprends pas, je ne savais pas, je ne voulais pas, je n’en veux pas « . Fuite, accablement. Jeanne voulait cet enfant, je n’ai rien fait, rien tenté. Elle a accouché, seule.
Et puis la culpabilité, les années à essayer de construire :  » J’aime Viviane, Viviane est ma fille « . Reconstituer l’amour porté à un enfant, mécanisme, horlogerie, jusqu’à me tromper moi- même.
Je n’ai jamais vécu avec Viviane ; pas un jour. Je n’ai jamais éprouvé de sentiment de paternité envers Viviane. Viviane est vivante. J’essaie (si peu, si maladroitement, si artificiellement), j’essaie d’en tenir compte. Je ne veux pas de mal à Viviane. Mon existence même fait du mal à Viviane. Aurait-il pu en être autrement ????
Puis le temps a passé.
Mon identité sociale qui dérape, plutôt par pressentiment que par analyse, un peu par hasard.
La gerbe de lumière et puis la cicatrice dont je témoigne ici, dont je ne parlerai pas.
D’autres histoires, rien de plus que des histoires. A l’intérieur de ces histoires, toujours les mêmes duels : références traditionnelles de mec, phantasmes ordinaires de mec et désir d’évidence, d’amour, de transparence. Toujours les mêmes angoisses aussi.
Et puis la pilule (pour femmes), la magie. Plus de capotes débandantes, plus d’étranglement de l’instant, plus de faire attention, plus de compte à rebours, de traits rouges accusateurs sur le petit calendrier des éboueurs, plus mon corps étranger, qu’il faut faire obéir. Plus d’éjaculation rageuse, plus d’éjaculation danger, plus d’éjaculation rupture. Pas de problèmes, pas de questions. Bonne conscience ? Bien sûr, mais aussi douceur de l’abandon partagé, qualité de caresses nouvelle, réconciliation des corps, ne pas oublier, ne pas nier ça, nos sexes apprivoisés.
1973, premiers doutes sur la contraception, révolte des femmes.
Expectative, nébuleuse.
Rencontre. Églantine, petite terre violente et écorchée, ses enfants : Sophie, un peu plus d’un an, Julien, quelques semaines. Deux mômes que j’ai choisis, que j’ai aimés (ça ne s’est pas fait en un jour), que j’aime, que je n’ai pas  » faits « , qui sont à jamais gravés dans ma tête, dans mon ventre. Mathieu, leur père. Quel rôle chacun a tenu dans cette histoire ?
Désir d’enracinement à la terre, exploitation agricole à plusieurs. Le groupe n’a pas tenu. Nous sommes repartis. Mathieu aussi, mais pas avec nous.
Et puis deux ans de vie, d’errance aussi, d’amour sourd et profond, de quotidien et de sourire, tendresse obscure. Mais aussi doute, ambiguïté, comment dire les nuances, le temps passé à faire le chemin qui sépare l’un de l’autre, l’identité de chacun…
Retour à Paris. Églantine reprend son travail, je m’occupe des enfants. Désir d’enfant, flou mais sûrement présent. Crèche sauvage, un peu, folle. Les révoltes des femmes m’explosent à la figure. De la révolte au mépris. Horreur d’être homme, d’être moi. J’essaie d’être ce que je veux avant ce que je suis. Pour m’innocenter d’être homme ? Pas seulement, et puis ça ne durera pas.
Rencontre, chandelle, ballet de silence, Alice, merveilleuse et terrible. Vivre ce qui est possible, tout de suite. J’ai cru mes forces décuplées pour entraîner tout ça. Je n’étais que moi- même, elles aussi, avec nos cicatrices, nos zones d’ombres, nos barrières, nos défenses, nos méfiances.
Vie fenêtre fermée. Mouvement, balance, une fois encore. Course poursuite toujours perdue avec le temps. Je ne vis ni ici ni là vraiment, nulle part ailleurs, j’ai un sac et une voiture pour maison.
Mes deux compagnes sont contraceptées, stérilet dans le corps, pas dans la tête. Alice surtout, désir violent d’enfant, et peur de ses 29, 30, 31 ans. Douleurs dans le ventre. Je ne supporte plus cette douleur dont je suis responsable et qui m’est étrangère à la fois. Alice veut enlever le stérilet, avoir un enfant, que cet enfant ait un père. Vertige entre mon désir de  » faire un enfant  » depuis l’origine et l’absurdité du Présent, le chaos de l’éparpillement, de l’espace et des gens.
Décembre l’an dernier. Alice est enceinte avec le stérilet. Cauchemar.
Mais tout devient trop proche, je préfère m’éloigner.
Avortement poignard. A nouveau stérilet… et cette partie de poker peau contre peau avec la peur.
Quelques mois avant ; tant pis pour la chronologie ; regard sur moi-même (rare), besoin de mes semblables, peu de copains, ou peu intimes, ou bien trop loin. Difficultés d’entrer en relation, en résonance avec des mecs. Groupe de bonshommes, existant, cahotant, effiloché, vivant. Découverte : mon discours en écho à d’autres discours, en accord, différent ou contraire mais à partir de nous, de ce qui nous ressemble rassemble. Homophilie, sans fusion ni effusion pour autant. Réconciliation avec un discours féministe aussi ou réajustement, même si cela prend parfois des allures de contradiction. Plus besoin de raser les murs.
Écho de l’existence d’un groupe  » contraception-paternité « . Je tire l’oreille pour y aller. Premier contact, rapports plutôt formels, magnétophone au centre, pilule, papier chiffré, jargon pour initiés. Envie de me tirer. Et puis celui qui fait tout déraper. Paternité ! Les esprits qui s’échauffent, les sensibilités, qui affleurent. D’autres réunions, et peu à peu quelques mots-clés qui me permettent de décoder. Un jour, un microscope, je fais mon spermogramme moi-même. Émotion (riez, riez).
Enfin, c’est maintenant. Rentrée scolaire à la campagne pour Églantine et les enfants. 400 kilomètres nous séparent. Je n’ai pas essayé de les retenir. Qu’avais-je à proposer ? J’ai mal. Peur d’avoir laissé monter le trop tard. Je n’accepte pas. Je hante la maison de Paris, je tisse ma toile autour de leur absence. Je m’écorche les yeux sur les masques figés des photos. Je ne peux renoncer à les aimer, à les toucher, qu’en me détruisant.
J’ai besoin d’ouverture.
Maintenant, c’est aussi ARDECOM. Ça me fait un peu peur côté sécheresse et organisation. Ça me concerne, ça me passionne côté recherche aussi bien dans nos têtes que sur les méthodes contraceptives.
La contraception masculine sera vécue, je crois, comme un partage de la contraception parfois, comme une lutte parfois (peut-être l’amour entre un homme et une femme est toujours une lutte), comme une manière de décider un peu de moi et de le vivre dans mon corps. D’être autonome (je ne dis pas libre) par rapport à mon corps dans le désir d’enfant.
Cela ne résoudra rien pour les femmes, ni la contraception, ou rarement, ni l’avortement, je sais. Je me méfie un peu quand on me lance ça.
Cela ne résoudra rien quant à ma trajectoire, je continue de me heurter aux murs de ma propre cellule.
De quoi suis-je capable ? Avec cette douleur, cette révolte, cette fatigue, cet espoir, cet amour, et puis la mort au bout de chaque geste que je fais. J’ai envie de me battre jusqu’aux cerfs-volants de la tendresse.
LA PATERNITÉ À LA FRANÇAISE
En Occident, père et mère ne sont pas pairs : dans la conception, la grossesse, l’accouchement, la petite enfance de leur rejeton commun, il existe un partage symbolique — et arbitraire — du pouvoir procréatif masculin et féminin, partage qui, comme chacun le sait, fait la part belle à la génitrice.

Interrogeons, pour nous en convaincre, notre langue  » maternelle  » ; le Larousse nous apprend (par omission) que l’instinct paternel n’existe pas, tandis que, bien sûr l’instinct maternel figure en tant qu’institution (inscrit, probablement, dans le code génétique… ). De même, on trouve le verbe  » materner « , mais pas plus M. Larousse que M. Robert ne savent ce que c’est que  » paterner « . Question à 1.000 F maintenant : qu’est-ce qu’un enfant naturel ? Vous avez — nous l’espérons — gagné : c’est (toujours d’après Sa Majesté La Langue) un enfant sans père ! Facile à trouver, certes, mais d’autant plus énorme…

Question  » super-banco « , cette fois : qu’est-ce qu’un homme qui attend ? Vous avez perdu si vous pensez que c’est quelqu’un qui attend l’autobus, une lettre ou un ami ; en revanche, la question est inutile si c’est une femme qui attend : c’est (ce n’est même pas une question à 10 F) une femme enceinte, tout le monde sait ça. Inclinons-nous donc devant le fait linguistique qu’un futur père n’attend rien pendant les neuf mois où sa compagne est enceinte de son enfant. Les anglo-saxons lui reconnaissent pourtant ce statut de futur père qui lui est refusé chez nous : c’est un  » expectant father  » disent les dictionnaires d’Outre-Manche. On pourrait avec profit continuer ce petit jeu pas du tout anodin. Signalons seulement qu’on ne peut pas non plus savoir, chez nous, si un homme attend son premier, deuxième (etc.) enfant ; en revanche, notre vocabulaire possède une subtilité confondante pour la mère : telle peut être primigeste et primipare, primipare et multigeste, multipare, etc. Ce n’est pas du dernier joli, il est vrai, mais cela a le mérite de mettre un nom sur une réalité. Tandis que la paternité, c’est du vent, dirait-on.

La fabrication d’un enfant semble être, dans notre société, une affaire de femmes : le (la) jeune français(e) passe inexorablement de la sage- » femme  » à l’institutrice de l’école  » maternelle  » en passant par mère, grand-mères, tantes, etc. Mais soyons juste tout de même avec notre culture : le père participe de façon non négligeable, même hautement glorieuse, puisqu’il donne son nom à l’enfant : le Nom-du-Père, vous connaissez ?

Drôle de partage, tout de même ; comme si la maternité, c’était du naturel, du concret, du vrai, et la paternité, de l’abstrait, du symbolique, de la loi. Et quelles drôles de questions est-on amené à se poser à partir de là…  » To make a long story short « , disons seulement ceci : il importe de comprendre la distinction nécessaire qu’il y a lieu de pratiquer entre le fait de la division sexuelle (l’homme, porteur de sperme ; la femme, porteuse d’utérus), et les modalités selon lesquelles les différentes tâches de la parentalité sont artificiellement et symboliquement imparties à l’un et l’autre sexe.

Notre société, dans son discours sur le  » maternage « , privilégie implicitement des moments qu’elle considère essentiellement féminins : grossesse, accouchement, relations mère/bébé, le père tenant un rôle secondaire pendant cette période. Il suffit, pour s’en convaincre, de parcourir les multiples ouvrages de puériculture et de conseils aux parents.

Mais c’est là où l’idéologie montre le bout de l’oreille… L’étude d’autres cultures fait apparaître en effet que d’autres moments que grossesse, accouchement, allaitement, peuvent aussi bien être privilégiés ; également qu’un autre vécu de ces mêmes moments peut aussi être  » proposé  » par telle ou telle civilisation aux pères. L’analyse des phénomènes de couvade, que l’on rencontre partout, et ce depuis des siècles, en constitue une preuve tangible. connaître ces modèles différents de comportements paternels démontre à quel point les idées reçues dans ce domaine constituent un écran idéologique qui se superpose à la réalité physiologique.

C’est ainsi que, selon les cultures, on trouve de véritables  » théories de la conception  » : tantôt on pense que la femme, pendant la grossesse, n’a qu’un simple rôle d’hôtel, le père, lui, faisant fonction de restaurant (en nourrissant le foetus par son sperme), tantôt l’on pense que les deux parents participent à la croissance du bébé in utero (la mère fonctionnant, pourrait-on dire, en hôtel-restaurant demi-pension), tantôt enfin — comme en Occident par exemple — le dogme officiel est que la mère fait office d’hôtel-restaurant en pension complète… (le père n’ayant pendant cette période qu’un rôle de bon gros toutou protecteur).

On repère cet arbitraire — qui est le propre de toute culture — tout au long du processus de l’enfantement ; à l’accouchement, pendant l’allaitement, au niveau des différents apprentissages de l’enfant, etc.
Il est, nous semble-t-il, de l’intérêt des deux sexes, des deux parents, mais aussi de l’enfant, que l’on démythifie ces images fantasmatiques et culturelles de la parentalité. Après tout, un enfant ne se fait-il pas — en France comme ailleurs — à deux ? Mais il n’est pire sourd que celui qui ne veut entendre, et notre société est dure d’oreille, aveugle, et quelque peu muette quand il s’agit de paternité.

Par Geneviève Delaisi de Parseval, mère-pair en gestation d’une oeuvre sur les fantasmes paternels (à accoucher), co-mère (avec une autre femme) de Allons, enfants de la puériculture.

PAS D’ENFANTS

Je ne veux pas d’enfants,
/ Pas de fruits à mon arbre,
/ A mon chêne pas de glands,/
 A mes joues pas de barbe.

/ Je ne veux pas d’enfants/ 
Pour consoler ma mort,/ 
Pas de petits mutants,/ 
Pas de petits médors.

/ Je ne veux pas d’enfants/ 
Qui sèchent au tableau noir,/ 
A la guerre de cent ans,/ 
Au fond d’un réfectoire.

/ Pas d’enfants aux curés, aux gradés, aux grognasses,/ 
Pas d’enfants au piquet ou premier de la classe.

/ Je ne veux pas d’enfants,
/ Qui pleure ou qui babille,/ 
Et dont on est fier quand/ 
Il fait souffrir les filles.

/ Je ne veux pas d’enfants/ 
Pour réussir mes rêves,/ 
Les rêves des parents/ 
Qui s’étiolent et qui crèvent.

/ Je ne veux pas d’enfants
/ Qu’on s’épingle en médailles, 
Qu’on arbore clinquant/ 
Bien avant la bataille.

/ Je ne veux pas d’enfants/ 
Pour la paix des ménages,/ 
Petits témoins tremblants/ 
Des couples en naufrage.

/ Je ne veux pas d’enfants,/ 
Je ne suis pas normal/ 
De déserter les rangs 
du troupeau génital./ 

C’est comme si j’étais nègre, gauchiste ou non violent,/ 
Enfin, de cette pègre qui fait peur aux parents.

/ Je ne veux pas d’enfants,/ 
Je le gueule à la face/ 
De ce monde des grands,/ 
Assassins et rapaces.

/ Pas d’enfants pour vos guerres, vous les ferez sans lui./ 
Dans le sein de sa mère il objecte sa vie.

Henri Tachan

Le réalisateur du film « Vade retro spermato » à Radio Zinzine

En février 2013, à l’occasion de projections de son film Vade retro spermato à Forcalquier et Reillanne (Alpes de haute Provence, organisation Agate, armoise et salamandre), Philippe Lignières est intervenu à Radio Zinzine. Une émission sur la contraception masculine (et surtout le « remonte-couilles toulousain ») à écouter ici :

Interview de Pif, Paf et Pouffe, des Frasc

Voici une copie (pdf) de la retranscription de l’interview de Pif, Paf et Pouffe, des FRASC, Féministes pour la Réappropriation des Avortements, des Sexualités et des Contraceptions. La retranscription a té réalisée en novembre 2008 par les Renseignements généreux. Cliquer ci-après : Broch_FRASC – copie

Les essais de contraception masculine par la chaleur

Les essais de contraception masculine par la chaleur, par R. Mieusset

Centre de Stérilité Masculine, Médecine de la Reproduction, Hôpital Paule de Viguier, CHU de Toulouse, 330 avenue de Grande-Bretagne, TSA 70034, Toulouse cedex 9
Groupe de recherche en fertilité humaine (EA 3694), Université de Toulouse.

A ce jour, trois études d’efficacité contraceptive ont été réalisées dans lesquelles la méthode utilisée consistait à augmenter la température des testicules. Dans tous les cas, la température atteinte par les testicules restait inférieure à la température corporelle des individus ; le corollaire d’une telle méthode est la nécessité d’une utilisation quotidienne au moins pendant les heures d’éveil. Après avoir brièvement décrit les travaux préalables qui ont permis ces études, elles sont décrites dans le présent article en suivant l’année de publication.

Travaux antérieurs aux essais de contraception masculine par la chaleur

L’utilisation de la chaleur comme méthode de contraception masculine repose sur deux caractéristiques. La température des testicules est inférieure à celle du corps, et cette valeur plus basse de la température testiculaire est une condition nécessaire, mais non suffisante, à une spermatogenèse normale. Deux mécanismes contribuent à établir et maintenir ce bas niveau de température : un échange de chaleur à contre courant entre le sang artériel arrivant au testicule et le sang veineux quittant le testicule ; et le scrotum qui assure, entre autres, une basse température du sang veineux quittant le testicule par des transferts de chaleur du testicule vers l’extérieur. Ces mécanismes de thermorégulation du testicule sont cependant limités ; ils peuvent être débordés, par exemple en cas de forte élévation de la température ambiante ou corporelle (fièvre). Ces connaissances sont issues de nombreuses expérimentations chez l’animal et d’un plus petit nombre chez l’homme. Chez ce dernier, les données principales des travaux peuvent être résumées comme suit.
D’une part, la température des testicules qui permet une spermatogenèse normale est de 2 à 4°C inférieure à la température du corps [voir les revues (1-3)]. D’autre part, plusieurs études ont été menées pour évaluer l’effet sur la production de spermatozoïdes d’une augmentation de la température des testicules, selon trois approches.

Température corporelle

Une élévation induite de la température corporelle, une seule fois ou répétée (cabine de fièvreà 43°C, sauna à 77-90°C), a été réalisée dans trois études (4-6). Elles rapportent une diminution du nombre de spermatozoïdes retrouvés dans l’éjaculat entre les 1ère et 9ème semaines (sem) suivantes. Puis, dans tous les cas, survient une récupération aux valeurs de départ entre la 8ème et la 11ème sem après l’arrêt.

Température scrotale

Une élévation de forte intensité (38 à 46°C) de la température scrotale a été induite, pendant 30 minutes par jour une seule fois ou répétée, dans trois études (7-9). Elles montrent que la production de spermatozoïdes est réduite dans tous les cas, entre la 2nde et la 11ème sem selon les études, suivie d’une récupération entre la 9ème et la 13ème sem après l’arrêt. Une élévation de faible intensité (+ 0,8°C) de la température scrotale a été induite par isolation thermique du scrotum, pendant les heures d’éveil et répétée quotidiennement sur 6 à 10 semaines, dans une seule étude (10). Elle montre qu’une élévation de faible intensité de la température scrotale a le même effet sur la production quantitative de spermatozoïdes qu’une élévation de forte intensité de la température scrotale, à condition que la durée d’exposition soit suffisamment longue (16h/jour) et répétée quotidiennement (6 semaines au moins dans cette étude). Cette élévation de faible intensité de la température scrotale entraîne une chute de la production de spermatozoïdes de la 2nde à la 11ème sem et une récupération 11 sem aprèsl’arrêt. L’intensité de la chute est comparable à celle observée en cas d’exposition unique à une élévation de la température générale du corps de 3°C (4), mais supérieure à celles obtenues pour une élévation de la température corporelle d’environ 1°C, qu’elle soit uniquen(6) ou répétée (5). Enfin, en dehors de la réduction du nombre de spermatozoïdes, une élévation induite de la température entraîne aussi une réduction du pourcentage de spermatozoïdes mobiles (7) et une augmentation du pourcentage de spermatozoïdes de morphologie anormale (5-7). En résumé, la connaissance de la thermodépendance de la spermatogenèse chez l’homme apparaît en 1941 (4), et va être affirmée expérimentalement par les études menées principalement entre 1959 (7) et 1968 (11). Et certains auteurs concluaient déjà leurs travaux par la possibilité d’utiliser de cette élévation de la température comme méthode de contraception masculine (7,8,11)). Pourtant, la première publication rapportant l’effet contraceptif de la chaleur chez l’homme date de 1991. Tester l’efficacité contraceptive d’une augmentation de la température des testicules ou du scrotum arrive ainsi 25 ans après que des études aient démontré une réduction de la production de spermatozoïdes par une élévation
induite de la température des testicules.

Efficacité contraceptive de la ‘suspension’ des testicules

En 1991, Ahmed Shafik (12) rapporte la première étude d’efficacité contraceptive de la chaleur chez l’homme.

Rationnel

Dans une étude préalable chez le chien, les auteurs ont déplacé et fixé les testicules dans la poche inguinale superficielle pendant un an : 80% des chiens sont devenus azoospermes au bout d’un an, le taux de testostérone sanguine a chuté de façon significative et aucune femelle n’a été pleine. Trois mois après le rétablissement des testicules en position normale, les paramètres spermatiques et la testostérone sanguine se sont normalisés et les accouplements ont donnés lieux à des grossesses (12).

Matériel et Méthodes

Hommes : 28 volontaires (36-43ans) ayant tous eu des enfants (5 à 8) ; aucun problème de santé ; examen clinique normal. Bilan andrologique (hormones reproductives et paramètres spermatiques) normal.

Méthodes : l’auteur qualifie sa méthode de ‘suspension’ : les testicules sont déplacés du scrotum dans la poche inguinale superficielle. Les testicules sont maintenus 24h/jour pendant un an dans cette position par deux techniques différentes, la suspension par suture ou par balle. Un contrôle de la position des testicules est fait tous les 15 jours.

· suspension par suture (n = 15 hommes) : en ambulatoire et sous anesthésie locale, chacun des testicules est fixé chirurgicalement dans la poche inguinale superficielle correspondante par 2 ou 3 points entre peau et tunique du testicule (albuginée). Un suspensoir est porté pendant 3 semaines et les points enlevés 2 semaines après leur
pose. Au bout d’un an, la suspension est supprimée : en ambulatoire et sous anesthésie locale, une incision scrotale de 1 à 1,5 cm permet de disséquer les adhérences qui se
sont faites entre testicule et peau scrotale.

· suspension par balle (n = 13 hommes) : un suspensoir en tissu inextensible est réalisé : il comprend deux compartiments, chacun contenant une balle fixée au fond. Le suspensoir, ses compartiments et la taille des balles (correspondant à celle des testicules) sont spécifiquement adaptés à l’anatomie et au confort de chaque homme. Le suspensoir ainsi constitué est ensuite mis en place, ce qui entraîne un refoulement des testicules vers le col du scrotum ; les testicules sont alors manuellement glissés dans la poche inguinale superficielle par l’homme et maintenus dans cette localisation par les balles sous-jacentes. Chacun des hommes apprend comment mettre en place par lui-même ce système. Les examens de sperme sont réalisés tous les 15 jours pendant la période de suspension, puis mensuellement après l’arrêt de la suspension pendant un an ou jusqu’au retour à la normale. Les rapports sexuels ont été interdits pendant les 3 premiers mois de la suspension puis autorisés.

Résultats

Aucun homme n’est sorti de l’étude. Aucune complication n’est apparue au cours de l’étude. Toutefois, des douleurs testiculaires sont survenues pendant quelques jours après la fixation chirurgicale, et la technique de suspension par balle a été mieux tolérée que celle par fixation chirurgicale. En dehors des ces faits, aucune des deux techniques n’a induit un quelconque autre retentissement sur la santé, le confort, l’activité ou la sexualité des hommes. Aucun traumatisme scrotal n’est survenu au cours de l’année chez les hommes du groupe suspension chirurgicale. Durant l’année, les hommes du groupe suspension par balle ont utilisé 3 à 6 suspensoirs.

Concentration de spermatozoïdes

Pendant la période de suspension : la concentration de spermatozoïdes diminue graduellement à partir du 2ème au 3ème mois après le début de la suspension : à 3 mois, 14% des hommes ont entre 2 et 10 millions/ml et 86% entre 11 et 20 millions/ml; à 6 mois, 14% des hommes sont azoospermes, 36% ont entre 0 et 1 millions/ml et 50% entre 2 et 10 millions/ml. A la fin de la période de 12 mois de suspension, 19/28 hommes (68%) sont azoospermes (11/15 du groupe fixation chirurgicale, 8/13 du groupe suspension par balle) et 9/28 (32%) ont moins de 10 millions/ml (sans précision supplémentaire). La diminution de la concentration de spermatozoïdes est identique dans les deux groupes. Après l’arrêt de la suspension, la concentration de spermatozoïdes augmente peu à peu, de telle sorte qu’à 3 mois elle est de 10 à 20 millions/ml chez 10 hommes, de 21 à 40 millions/ml chez 12 et supérieure à 40 millions/ml chez les 6 derniers. A 6 mois après l’arrêt de la
suspension, 20 hommes (71%) ont entre 40 et 60 millions/ml et 8 plus de 60 millions/ml, ces valeurs à 6 mois se maintenant jusqu’à la fin des 12 mois de suivi après l’arrêt de la suspension. Il est à noter que l’augmentation de la concentration de spermatozoïdes survient plutôt et est significativement plus importante dans le groupe à suspension par balle que par fixation chirurgicale.

Mobilité des spermatozoïdes

Pendant la période de suspension, le pourcentage de spermatozoïdes mobiles, supérieur à 70% au départ (normale définie dans cette étude), est diminué : il est de 22 à 36% à 3 mois et de 8 à 18% à la fin des 12 mois de suspension. La diminution de ce pourcentage semble de moindre importance dans le groupe à suspension par balle. Après l’arrêt de la suspension, le pourcentage de spermatozoïdes mobiles augmente progressivement et revient à la valeur de départ à 3 mois pour 18 hommes (64%), à 6 mois pour 8 (29%) et à 9 mois pour les 2 derniers (7%). La récupération d’un pourcentage normalde spermatozoïdes mobiles semble survenir plus rapidement dans le groupe à suspension par balle que par fixation chirurgicale.

Morphologie des spermatozoïdes

Un pourcentage normal de spermatozoïdes de forme normale est défini comme inférieur à 40% de spermatozoïdes de formes anormales. Le pourcentage de spermatozoïdes de formes anormales augmente à partir de la 4ème semaine de suspension : il est de 66 à 78% à 3 mois etde 83 à 92% à la fin des 12 mois de suspension.Après l’arrêt de la suspension, ce pourcentage diminue peu à peu et tous les hommes retrouvent un pourcentage normal de spermatozoïdes de forme normale à 6 mois.

Grossesse

Pendant la période de port du suspensoir, les rapports sexuels ont été autorisés 3 mois après le début de la suspension chez l’homme. Des tests mensuels de grossesse ont alors été réalisés jusqu’à la fin de la période de port du suspensoir : aucune grossesse n’est survenue pendant les 9 derniers mois de la période de suspension. Après l’arrêt du port du suspensoir, 19 femmes ont acceptées d’être enceintes, 11 dont l’homme appartient au groupe à suspension par fixation chirurgicale et 8 au groupe par balle. Des tests mensuels de grossesse ont été réalisés et arrêtés quand la grossesse a été obtenue ; une surveillance clinique et échographique mensuelle a ensuite été faite pour dépister toute anomalie du développement foetal. Après l’accouchement, les nouveaux-nés ont subis un examen clinique et échographique pour les mêmes raisons. Les 19 femmes ont été enceintes : 6 dans les 4 à 6 mois après arrêt de la suspension (2 du groupe à suspension par fixation chirurgicale et 4 du groupe par balle), et 13 dans les 7 à 14 mois après arrêt de la suspension. Les grossesses sont survenues plus rapidement dans le groupe à suspension par balle que par fixation chirurgicale. Aucune anomalie échographique n’a été dépistée au cours des grossesses. Aucune malformation n’a été retrouvée après la naissance. Il n’y a eu aucune fausse-couche spontanée.

Autres paramètres

Volume des testicules. Pendant la période de port du suspensoir, le volume testiculaire moyen est diminué d’environ 20% à 6 mois et d’environ 37% à 12 mois. Après l’arrêt de la suspension, le volume augmente graduellement pour atteindre, à 12 mois, 88 à 100% du volume avant suspension.

Hormones reproductives. A partie du 3ème mois de suspension, les taux sanguins sont significativement diminués pour la testostérone, augmentés pour la prolactine, et non modifiés pour FSH et LH par rapport aux taux avant suspension, sans différence entre les deux modes de suspension. Après arrêt de la suspension, tous les taux hormonaux sont normalisés au 3ème mois et le restent au 12ème mois.

Résumé des effets en termes de spermatogenèse et de grossesse

Cette méthode de suspension nuit et jour en continu pendant 12 mois, montre qu’à 12 mois 68% des hommes sont devenus azoospermes et 32% présentent une oligo-athénospermie sévère (moins de 10 millions/ml, sans précision supplémentaire ; 8 à 18% de spermatozoïdes mobiles), associée à une augmentation marquée du pourcentage de spermatozoïdes de formes anormales. Sont associées à cette altération de la spermatogenèse une réduction de 37% du volume testiculaire à 12 mois, ainsi qu’une diminution de la testostéronémie et une augmentation de la prolactinémie dès le 3ème mois. Après arrêt de la suspension, tous les hommes ont retrouvés des valeurs normales de la concentration de spz/ml au 6ème mois (supérieures à 40 millions/ml); aucune donnée précise ne permet de savoir à quel moment les hommes retrouvent leur valeur de départ. Le pourcentage de spermatozoïdes mobiles revient à sa valeur de départ entre 3 (64% des hommes) et 9 mois (7%). Tous les hommes retrouvent un pourcentage normal de spermatozoïdes de forme normale à 6 mois. A 12 mois, le volume testiculaire atteint 88 à 100% de sa valeur avant suspension. Tous les taux hormonaux sont normalisés au 3ème mois et le restent au 12ème mois. Aucune grossesse n’est survenue chez les partenaires des 28 hommes exposées au risque de grossesse à partir du 3ème mois de la période de suspension, soit pendant 252 cycles. Après l’arrêt de la suspension, une grossesse souhaitée chez 19 des 28 couples est survenue chez un tiers des femmes dans les 4 à 6 mois et dans les 7 à 14 mois chez les autres. Aucune fausse couche spontanée n’est survenue, tous les enfants sont nés vivants et aucune anomalie n’a été constatée.

Efficacité contraceptive du port d’un sous-vêtement constitué en partie de polyester

En 1992, Ahmed Shafik publie une seconde étude sur l’efficacité contraceptive de la chaleur, en utilisant une technique particulière d’isolation scrotale (13).

Rationnel

Des études chez le chien ont monté que le port d’un sous-vêtement en polyester induisait une réduction de la concentration de spermatozoïdes qui était réversible après l’arrêt du port de ce type de sous-vêtement. Aucun effet n’a été observé chez les chiens portant un sous-vêtement en coton (13). Chez l’homme, le port d’un sous-vêtement fait d’un tissu en polyester génère des charges électrostatiques qui créent un ‘champ électrostatique’ qui traverse le scrotum et semble affecter les testicules et/ou les épididymes. Dans une étude sur 18 mois incluant 33 hommes, les résultats sont les suivants :

· Chez les 11 hommes portant un sous-vêtement en polyester, quatre ont eu une diminution de la concentration de spermatozoïdes au 14ème mois, avec un retour à la
normale après arrêt du port du sous-vêtement.
· Chez les 11 hommes portant un sous-vêtement en coton et polyester, un seul a eu une diminution de la concentration de spermatozoïdes au 16ème mois, avec un retour à la normale après arrêt du port du sous-vêtement.
· Chez les 11 hommes portant un sous-vêtement en coton, aucune modification de la concentration de spermatozoïdes n’est survenue.

L’auteur conclut de ces études préliminaires que le sous-vêtement en polyester induit une diminution de la spermatogenèse (13).

Matériel et Méthodes

Hommes : 14 volontaires (32-47ans) ayant tous eu des enfants (3 à 7) ; aucun problème de santé ; examen clinique normal. Bilan andrologique (hormones reproductives et paramètres spermatiques) normal.
Méthode : un suspensoir en polyester est confectionné spécifiquement à l’anatomie de chacun des hommes. Mis en place, le suspensoir renferme le scrotum ; le suspensoir est fixé à une ceinture ; la ceinture est positionnée de telle sorte que les testicules soient tirés vers le haut et ainsi rapprochés de l’abdomen. Le pénis est à l’extérieur du suspensoir. Chacun des hommes apprend comment mettre en place par lui-même ce système. Le suspensoir est porté nuit et jour en continu pendant 12 mois. Pendant la période du port du suspensoir, les examens de sperme sont réalisés tous les 15 jours. Les partenaires de ces hommes arrêtent toute contraception après qu’une azoospermie ait été constatée sur 3 examens de sperme successifs. Après l’arrêt du port du suspensoir, les examens de sperme sont mensuels pendant un an ou jusqu’au retour à la normale.

Résultats

Aucun homme n’est sorti de l’étude. Aucune complication ou réaction n’est survenue pendant le port du sous-vêtement.
Sperme : tous les hommes sont devenus azoospermes. Le troisième examen de sperme azoospermique est survenu entre 120 et 160 jours après le début du port du suspensoir. L’azoospermie perdure ensuite jusqu’à la fin de la période de port du suspensoir. Après l’arrêt du port du suspensoir, la concentration de spermatozoïdes revient à la normale (supérieure à 20 millions/ml) chez tous les hommes en 90 à 120 jours, et les valeurs de départ sont
retrouvées en 140 à 170 jours.
Grossesse : aucune grossesse n’est survenue pendant la période de port du suspensoir. Après l’arrêt du port du suspensoir, une grossesse souhaitée chez cinq des 14 couples est survenue avec 4 enfants nés vivants et une fausse-couche spontanée.
Autres paramètres : le volume testiculaire moyen est diminué d’environ 15% à 3 mois de port du suspensoir ; la récupération d’un volume testiculaire identique à celui de départ est observé entre 75 et 135 jours après l’arrêt du suspensoir. Aucune modification des taux sanguins des hormones reproductives (FSH, LH, testostérone) n’a été retrouvée quelle que soit la période.

Résumé des effets en termes de spermatogenèse et de grossesse

Pendant la période du port du suspensoir, nuit et jour en continu pendant 12 mois, tous les hommes sont devenus azoospermes. La contraception a été définie comme l’existence d’une azoospermie sur 3 examens de sperme successifs (à 15 jours d’intervalle). Ceci survient en 120 à 160 jours après le début et perdure ensuite jusqu’à la fin de la période de port du suspensoir. Après l’arrêt du port du suspensoir, la concentration de spermatozoïdes revient à la normale (supérieure à 20 millions/ml) chez tous les hommes en 90 à 120 jours, et les valeurs de départ sont retrouvées en 140 à 170 jours. La baisse d’environ 15% du volume testiculaire moyen observée après 3 mois de suspensoir est récupérée en 75 à 135 jours après l’arrêt du port. Aucune grossesse n’est survenue chez les partenaires des 14 hommes pendant les 126 cycles d’exposition. Une grossesse souhaitée chez cinq des 14 couples est survenue chez tous avec 4 enfants nés vivants et une fausse-couche spontanée.

Efficacité contraceptive de la remontée des testicules pendant les heures d’éveil

En 1994, Mieusset et Bujan (14) rapportent l’efficacité contraceptive de la remontée manuelle des testicules pendant les heures d’éveil (diurne). La technique employée consiste en l’induction d’une élévation de la température des testicules et des épididymes, sans augmentation de la température du scrotum, en utilisant la température du corps comme source de chaleur.

Rationnel

Chez l’homme l’induction d’une élévation de la température du corps ou du scrotum entraîne une réduction de la production de spermatozoïdes et leur mobilité. Le but recherché était une technique d’utilisation suffisamment souple pour ne pas interférer sur la vie quotidienne des utilisateurs. L’élévation de la température corporelle (4-6) fut exclue, de même l’élévation de forte intensité de la température scrotale (7,8). Le choix se porta plutôt sur une élévation de faible intensité de la température, mais maintenue sur une longue durée quotidienne et répétée chaque jour, comme dans l’étude d’isolation thermique du scrotum de Robinson & Rock (10) dans laquelle les auteurs concluaient qu’une élévation de 1°C de la température scrotale pourrait être utilisée comme méthode de contraception masculine. Toutefois, cette faible
élévation de la température scrotale (+ 0,8°C) par isolation du scrotum avait un effet inhibiteur sur la production de spermatozoïdes qui dépassait difficilement 80% au bout de 10 semaines d’utilisation. Avoir un effet inhibiteur plus important nécessitait une augmentation plus importante de la température scrotale, ce qui nécessitait une source de chaleur extérieure. Cependant, chez différentes espèces animales, deux expérimentations princeps avaient démontré la thermodépendance de la spermatogenèse: dans la première, une cryptorchidie est induite chirurgicalement chez un animal adulte dont les testicules étaient normalement descendus dans le scrotum à la naissance ; cette cryptorchidie artificielle entraînait une altération de la spermatogenèse, avec un retour à une spermatogenèse normale après avoir remis les testicules dans le scrotum (15). Dans la seconde expérimentation, le refroidissement local des testicules congénitalement cryptorchides permet une spermatogenèse normale (16). Par ailleurs, une étude chez l’homme (17) rapportait que la température du canal inguinal chez l’homme était supérieure à celle de la cavité scrotale dans laquelle sont normalement les testicules. De ces données et des discussions qui eurent lieu au début des années 1980 dans un groupe d’hommes en recherche d’une contraception masculine (GARCOM) autre que le retrait et le préservatif, est née une méthode caractérisée par l’utilisation du corps comme source de chaleur pour élever la température des testicules en amenant ces derniers du scrotum à proximité de l’orifice externe du canal inguinal. Différents noms furent attribués à cette méthode : ‘remonte-couilles toulousain’, ‘slip chauffant’, ‘cryptorchide artificielle’. Pour enrichir ces expressions imagées, nous le nommerons plus physiologiquement dans le présent article ‘remontée des testicules’. En effet,chaque testicule est ‘remonté’ manuellement du scrotum à la racine de la verge, près de l’orifice externe du canal inguinal ; les testicules sont maintenus dans cette position pendant les heures d’éveil, au moyen de différentes techniques qui seront évoqués plus loin. Dans une première étape, une expérimentation a été réalisée par les hommes du Groupe d’Action et de Recherche en Contraception Masculine (GARCOM), puis avec d’autres volontaires ensuite, pour évaluer l’effet de cette technique sur la spermatogenèse. Plusieurs publications ont été faites sur ces travaux (18-20) dont les résultats ont montré une inhibition de la spermatogenèse jugée suffisante pour qu’un certains nombre de ces hommes se lancent dans une utilisation contraceptive. Hormis un financement de l’auteur par l’INSERM (CRE Inserm 854017), cette étude a été rendue possible par la prise en charge des coûts des analyses de sperme par la Caisse Primaire d’Assurance Maladie de la Haute Garonne, séduite par le projet. Ces hommes du GARCOM constituèrent les premiers volontaires pour tester l’effet d’une telle méthode sur la spermatogenèse, puis pour un nombre plus restreint de poursuivre par une évaluation contraceptive dont les résultats publiés (14) ainsi que des données non publiées sont rapportés ci-après.

Matériel et Méthodes

Hommes : 9 hommes volontaires (23-34 ans) dont 3 ont eu au moins un enfant, 5 un antécédent d’interruption volontaire de grossesse, et le dernier ni l’un ni l’autre ; aucun
problème de santé ; examen clinique normal. Paramètres spermatiques dans la normale.
Méthodes : chaque testicule est ‘remonté’ manuellement du scrotum à la racine de la verge, près de l’orifice externe du canal inguinal. L’élévation de la température des testicules amenés à la racine de la verge (près de l’orifice externe du canal inguinal) est estimée être d’environ 1,5-2°C, comme décrit par Kitayama (17) et confirmé ensuite par Shafik (12) qui rapporte une augmentation moyenne de 1,8 °C de la température des testicules après la remontée des testicules par rapport à leur position scrotale. Les testicules sont maintenus dans cette position pendant les heures d’éveil, soit 15 h/j, sur des durées allant de 7 à 49 mois. Le maintien des testicules dans leur localisation à la racine de la verge est obtenu au moyen de deux techniques.

· Technique 1 (n = 3 hommes) : le maintien des testicules est assuré au moyen d’un sous-vêtement ajusté en coton, dans lequel un orifice est créé au niveau de la racine de la verge. Par cet orifice, l’homme fait passer sa verge puis la peau scrotale, ce qui amène une ascension des testicules dans la position souhaitée. Chacun des hommes apprend comment mettre en place par lui-même ce système. Ce groupe fait partie des 14 hommes volontaires d’une première expérimentation sur 6 à 12 mois ; cette technique induit une réduction du nombre, de la mobilité et des formes normales des spermatozoïdes : entre le 6ème et le 12ème mois, la concentration moyenne de
spermatozoïdes est comprise entre 3 et 10 millions/ml et la concentration moyenne de spermatozoïdes mobiles entre 1 et 3 millions/ml (18,19).
· Technique 2 (n = 6 hommes) : comme la technique 1 n’assurait pas le maintien constant des testicules dans la localisation souhaitée chez tous les hommes, et ne permettait pas de réduire la concentration et la mobilité des spermatozoïdes à des valeurs compatibles avec une contraception masculine, un anneau de caoutchouc souple a soit été rajouté autour de l’orifice du sous-vêtement, soit porté seul au moyen de bandelettes de fixation. Chacun des hommes apprend comment mettre en place par lui-même ce système adapté à l’anatomie de chacun. Ce groupe fait partie des 6 hommes volontaires d’une deuxième expérimentation sur 6 à 24 mois ; cette seconde technique a un effet plus marqué sur la spermatogenèse que la technique 1, avec une réduction moyenne du nombre total de spermatozoïdes mobiles d’au moins 97% après 2 mois : après le 3ème mois, la concentration moyenne de spermatozoïdes mobiles est inférieure ou égale à 1 millions/ml (20).

Les examens de sperme sont mensuels. Les partenaires de ces hommes arrêtent toute contraception après qu’une concentration de spermatozoïdes mobiles inférieure à 1 million/ml ait été constatée sur 2 examens de sperme successifs réalisés à 3 semaines d’intervalle. Après l’arrêt de la remontée des testicules, les examens de sperme sont mensuels jusqu’au retour à la normale. Aucune donnée n’est rapportée dans l’étude concernant les hormones reproductives. Le volume testiculaire est calculé à partir des mesures réalisées au pied à coulisse.

Résultats

Deux hommes sont sortis de l’étude pour des raisons précisées plus loin. Aucune autre complication ou réaction n’est survenue pendant l’étude. Aucune modification de la libido ou de la sexualité n’a été rapportée. Les volumes testiculaires sont réduits en moyenne de 30% (25-40%) à la fin de la période de remontée des testicules, et reviennent à leur valeur initiale dans les 6 à 12 mois après l’arrêt de la période contraceptive.
Sperme
Les résultats sont exprimés en concentration de spermatozoïdes mobiles par ml (concentration de spermatozoïdes/ml multipliée par le pourcentage de spermatozoïdes mobiles).
Technique 1
La période contraceptive a débuté en moyenne 11 mois (7 à 15 mois) après le début du chauffage pour les 3 hommes. La durée de la période contraceptive a été respectivement de 5, 27 et 8 mois. Pendant cette période contraceptive, la concentration de spermatozoïdes mobiles a été en moyenne de 1,87 millions/ml (extrêmes : 0 à 7,4) ; une concentration de spermatozoïdes mobiles inférieure à 1 million/ml a été observée sur 41% des examens de sperme réalisés et aucune azoospermie n’a été observée. Après l’arrêt de la remontée des testicules, la concentration moyenne de spermatozoïdes mobiles était de 51,2 ± 39,5 millions entre 0 et 6 mois et de 98,7 ± 39,7 millions entre 7 et 18 mois, pour 50,2 ± 10 millions avant le chauffage.
Technique 2
La période contraceptive a débuté en moyenne 3,5 mois après le début du chauffage (2 à 3 mois pour 5 des hommes, 9 mois pour le sixième). La durée de la période contraceptive a été de 4 à 46 mois. Pendant cette période, la concentration moyenne de spermatozoïdes mobiles a été de 0,12 millions/ml (extrêmes : 0 à 1,6). Sur la totalité des examens de sperme réalisés, une azoospermie a été observée sur 11,3% des examens et une concentration de spermatozoïdes mobiles/ml inférieure à 1 million sur 86,4%. Après l’arrêt de la remontée des testicules, la concentration moyenne de spermatozoïdes mobiles était de 26,5 ± 19 millions/ml entre 0 et 6 mois et de 36,3 ± 19,4 millions/ml entre 7 et 18 mois, pour 40,2 ± 11,8 millions/ml avant le chauffage.
Grossesse
Technique 1. La durée de la période contraceptive a été de 42 cycles (respectivement 8, 6 et 28). Aucune grossesse n’est survenue chez deux des trois couples. Une grossesse non désirée est survenue chez le troisième couple : l’homme a arrêté de remonter ses testicules pendant 7 semaines (semaines 42 à 48) puis a recommencé. Le premier cycle d’utilisation contraceptive a eu lieu entre les semaines 61-63 de chauffage avec une concentration de 0,04 (sem 61) et 0,7 millions de spermatozoïdes mobiles/ml (sem 63). La grossesse est survenue au deuxième cycle d’exposition (sem 65-66) avec une concentration de 19,3 (sem 68) et 10,4 millions de spermatozoïdes mobiles/ml (sem 71). Une nouvelle période de contraception a été débutée à distance (sem 76) d’une interruption volontaire de la grossesse. L’indice de Pearl (nombre de grossesse divisé par le nombre de cycles d’exposition multiplié par 1200 pour obtenir le taux de grossesse pour 100 années) est de 1/42 x 1200 = 28,6 pour 100 années (IC 95% = 0,7-
159,2).
Technique 2. La durée de la période contraceptive a été de 117 cycles féminins (extrêmes 4- 46). Un couple a arrêté la période de contraception au 6ème cycle d’exposition en raison d’un déménagement professionnel dans une région sans possibilité d’examen de sperme. Un second couple a été arrêté 4ème cycle d’exposition en raison de la persistance d’une azoospermie chez l’homme. Les durées respectives d’exposition ont été respectivement de 13, 18, 30 et 46 cycles féminins pour les 4 autres couples. Aucune grossesse n’est survenue. L’indice de Pearl est de 0,0 pour 100 années (IC 95% = 0,0-37,8). Pour les deux techniques, tous les couples qui ont par la suite souhaité une grossesse l’ont obtenue, et aucune fausse-couche n’est survenue.

Résumé des effets en termes de spermatogenèse et de grossesse

Dans cette étude, une élévation de 1,5 à 2°C de la température des testicules, et non pas du scrotum, est induite 15h/jour en remontant et maintenant les testicules au niveau de la racine de la verge au moyen de deux techniques. La valeur contraceptive du sperme a été définie comme l’existence d’une concentration de spermatozoïdes mobiles inférieure à 1 million/ml sur 2 examens successifs de sperme à 3 semaines d’intervalle. Ce seuil est atteint beaucoup plus rapidement pour la technique 2 – en moyenne 3,5 mois (2-9) – que pour la technique 1 – en moyenne 11 mois (7-15) – après le début du chauffage ; il est à noter que 97,7% des examens de sperme étaient azoospermiques ou avec moins de 1 million de spermatozoïdes mobiles/ml avec la technique 2. Quelle que soit la technique, les valeurs restent ensuite inférieures à ce seuil jusqu’à la fin de la période de remontée des testicules ; mais à condition de respecter une pratique quotidienne, comme le montre l’augmentation de la concentration de spermatozoïdes mobiles chez l’homme ayant arrêté de remonter ses testicules pendant 7 semaines, arrêt responsable de la survenue d’une grossesse non désirée avec la technique 1. Aucune grossesse n’est survenue chez les partenaires de 8 autres hommes. Après l’arrêt de la remontée des testicules, la concentration de spermatozoïdes mobiles revient aux valeurs de départ dans les 6 mois pour la technique 1 et dans les 7 à 18 mois pour la technique 2. Cette durée prise pour récupérer peut paraître longue ; mais cette étude de l’effet contraceptif n’est que la partie terminale d’une étude plus longue de l’effet de la remontée des testicules sur la spermatogenèse : ainsi, les hommes de la technique 1 ont eu une durée de remontée des testicules de 24 à 38 mois, ceux de la technique 2 de 7 à 49 mois. Enfin, Pour les deux techniques, tous les couples ayant par la suite souhaité une grossesse l’ont obtenue, et aucune fausse-couche spontanée n’est survenue.

Remarques

S’il peut paraître surprenant que l’un des couples ait été arrêté lors de l’évaluation del’efficacité contraceptive en raison de la persistance d’une azoospermie, il est important de garder en mémoire que dans la période où l’évaluation a été réalisée – entre 1982 et 1987, lesrésultats ayant tardé à être publiés (1994) – aucune étude utilisant la chaleur sous quelque forme que ce soit n’avait obtenu d’azoospermie permanente. Le principe de précaution avait alors été appliqué. Par ailleurs, la technique 2 donnait de meilleurs résultats que la technique 1 dans cette étude publiée en 1994. Toutefois, dans une récente étude (2010-2011), une technique de remontée des testicules identique à celle de la technique 1, mais avec une modification du sous-vêtement mise au point pour permettre un meilleur maintien des testicules en position remontée, a été utilisée chez 5 hommes volontaires en bonne santé. Cette modification permet d’atteindre le seuil contraceptif (moins de 1 million de spermatozoïdes mobiles/ml) en 2 à 3 mois (21).

Synthèse générale

En terme d’efficacité contraceptive, l’utilisation d’une élévation modérée de la température testiculaire par la remontée des testicules (12,14) ou par isolation thermique du scrotum au moyen d’un suspensoir en coton et polyester (13) peut être résumée comme suit :
· Shafik 1991 (12) : 28 couples, 252 cycles d’exposition à la grossesse : 0 grossesse.
· Shafik 1992 (13): 9 couples, 126 cycles d’exposition à la grossesse : 0 grossesse.
· Mieusset & Bujan 1994 (14): 9 couples, 159 cycles d’exposition à la grossesse : 1 grossesse, qui fut consécutive à une mauvaise utilisation de la méthode, comme il arrive dans la vraie vie pour toute méthode de contraception, qu’elle soit masculine ou féminine. Si l’on exclut le cycle ayant donné lieu à la grossesse, tout en gardant ce couple qui a repris ensuite la technique de remontée des testicules comme unique contraception de couple, il n’y a eu aucune grossesse sur 158 cycles d’exposition. Ces trois études ne sont bien sur que des études préliminaires, portant sur des effectifs limités (46 couples au total), mais leur objectif principal était de démontrer qu’une contraception de couple pouvait être assurée par l’homme au moyen d’une légère augmentation de la température testiculaire, ou scrotale dans la cas d’isolation avec un tissu comprenant du
polyester. Les hommes de ces trois études étaient tous des volontaires non rémunérés et demandeurs d’une contraception masculine, ce qui peut expliquer le très faible taux de désagréments rapportés avec de telles techniques. Ces trois études ne constituent pas une évaluation de l’acceptabilité de la méthode par la chaleur. Il est bien évident qu’une telle manipulation des testicules peut ‘effrayer’ certains hommes, tout comme une méthode de contraception hormonale masculine peut en ‘effrayer’ d’autres. Mais la méthode de contraception par la chaleur peut être – et elle l’est dans notre pratique – proposée à tout homme demandeur d’une contraception masculine.

Remerciements
Mes remerciements aux membres du GARCOM : ils ont créé les différentes techniques de remontée des testicules, et ont été les premiers à être volontaires pour évaluer les effets de ces techniques sur la spermatogenèse puis leur effet contraceptif ; et à Pierre Jouannet, qui a soutenu et encouragé cette recherche. Je dédie ce travail à Geoffrey Waites, qui fut le pionnier, et l’un des rares a oser développer une véritable recherche en contraception masculine à l’OMS.

Références
1. Kandeel FR, Swerdloff RS (1988) Role of temperature in regulation of spermatogenesis and the use of heating as a method for contraception. Fertil Steril 49: 1-23
2. Mieusset R, Bujan L (1995) Testicular heating and its contributions to male infertility: a review. Int J Androl 18: 169-84
3. Setchell BP (1998) The Parkes Lecture. Heat and the testis. J Reprod Fertil 114: 179-94
4. MacLeod J, Hotchkiss RS (1941) The effect of hyperpyrexia upon spermatozoa counts in men. Endocrinilogy 28:780-4
5. Procope BJ (1965) Effect of repeated increase of body temperature on human sperm cells. Int J Fertil 10:333-9
6. Brown-Woodman PDC, Post EJ, Gasc GC, White IG (1984) The effect of a single sauna exposure on spermatozoa. Arch Androl 12:9-15
7. Watanabe A (1959) The effect of heat on human spermatogenesis. Kyushu J Med Sci 10: 101-17
8. Rock J, Robinson D (1965) Effect of induced intrascrotal hyperthermia on testicular function in man. Am J Obstet Gynec 93:703-801
9. French J, Leeb CS, Fabrion SL, et al (1973) Self-induced intrascrotal hyperthermia in man followed by decrease in sperm count. A preliminary report. Andrologie 5: 201-5
10. Robinson D, Rock J (1967) Intrascrotal hyperthermia induced by scrotal insulation: effect on spermatogenesis. Obstet Gynec 2:217-23
11. Robinson D, Rock J, Menkin MF (1968) Control of human spermatogenesis by induced changes of intrascrotal temperature. J Am Med Ass 204:80-7
12. Shafik A (1991) Testicular suspension as a method of male contraception: technique and results. Adv Contr Deliv Syst VII: 269-79
13. Shafik A (1992) Contraceptive efficacy of polyester-induced azoospermia in normal men. Contraception 45: 439-51
14. Mieusset R, Bujan L (1994) The potential of mild testicular heating as a safe, effective and reversible contraceptive method for men. Int J Androl 17: 186-91
15. Fukui N (1923) Action of body temperature on the testicle. Japan Med World 3:160-7
16. Frankenhuis MT, Wensing CJG (1979) Induction of spermatogenesis in the naturally cryptorchid pig. Fertil Steril 31:428-33
17. Kitayama T (1965) Study on testicular temperature in man. Acta Urol Jap 11: 435-7
18. Mieusset R, Grandjean H, Mansat A, Pontonnier F (1985) Inhibiting effect of artificial cryptorchidism on spermatogenesis. Fertil Steril 43: 589-94
19. Mieusset R, Bujan L, Mansat A, et al (1987a) Effect of artificial cryptorchidism on sperm morphology. Fertil Steril 47: 150-5
20. Mieusset R, Bujan L, Mansat A, et al (1987b) Hyperthermia and human spermatogenesis: enhancement of the inhibitory effect obtained by ‘artificial cryptorchidism’. Int J Androl 10: 571-80
21. Ahmad G, Moinard N, Lamare C, et al (2012) Mild testicular and epididymal hyperthermia alters sperm chromatin integrity in men. Fertil Steril in press