Les agressions sexuelles du nouvel an : des crimes sexistes à l’instrumentalisation raciste

Excellent papier paru sur Crêpe Georgette

Pendant la nuit du nouvel an, de nombreuses agressions sexuelles et parfois des viols ont eu lieu dans des villes allemandes et en Finlande.

Les féministes ont toujours étudié, travaillé, analysé et dénoncé les violences sexuelles. C’est grâce à deux victimes de viol et à leur avocate, Gisèle Halimi, qu’on a pu en 1978, lors du procès d’Aix en Provence comprendre les répercussions psychiques possibles du viol sur les victimes. Les féministes auront également permis de faire reconnaître et condamner le viol conjugal qui sera finalement pris en compte légalement en 1990. Leurs nombreux travaux et études auront permis de connaître le nombre de viols et de tentatives de viols par an (75 000 en France) des agressions sexuelles (13% des femmes allemandes en auraient subi une), le peu de plaintes déposées par les victimes de viol (10% en France). Elles ont également travaillé sur ce qu’est le viol, ce qu’il constitue au niveau sociologique alors qu’il est encore souvent vu par l’ensemble de la société comme l’acte isolé d’un « fou » ou d’un « monstre ». Ces dernières années, ont été analysés le concept de culture du viol et celui de harcèlement dans l’espace public.
Les féministes n’ont donc jamais eu besoin d’attendre quiconque pour condamner TOUTES les agressions sexuelles et TOUS les viols, quels qu’en soient les auteurs. Elles ont plutôt l’habitude de prêcher dans le désert au milieu de personnes qui ne les croient pas et minimisent les chiffres des violences sexuelles. Les agressions sexuelles et les viols commis le 31 décembre en Allemagne et en Finlande sont donc évidemment condamnables, comme toutes les autres violences sexuelles.

Le nombre de viols ? Les femmes ne cesseraient de mentir à ce sujet  même si toutes les études montrent qu’il y a peu de fausses allégations en matière de viol.
Les victimes de viol sont moquées, humiliées et accusées de l’avoir bien cherché.
Ainsi Lara Logan victime de viol place Tahrir s’est vue reprocher de l’avoir cherché en exerçant un métier d’homme et en étant trop jolie.
Ainsi Nafissatou Diallo s’est vue accusée d’être trop laide pour être violée.
Ainsi Samantha Geimer droguée et violée par Roman Polanski lorsqu’elle avait 13 ans s’est vue reprocher de faire plus que son âge et d’être allée chez l’acteur.
Ainsi Lydia Gouardo violée par son père dés l’âge de 9 ans dont beaucoup ont jugé qu’elle devait être consentante.
Ainsi la victime présumée de viols multiples par des policiers jugée « over friendly » (aguicheuse) par des experts psychiatres.
Nous pourrions multiplier les exemples. Les victimes sont rarement crues et toujours mises en accusation. Lorsqu’il s’agit de viol conjugal certains n’hésitent pas à en nier l’existence.
Lorsque les femmes ont témoigné sur les réseaux sociaux des agressions dont elles étaient victimes dans l’espace public, beaucoup leur ont parlé d’hommage en vantant le charme des sifflets. On leur a aussi dit qu’elles exagéraient ou qu’elles cherchaient à attirer l’attention. De nombreux sondages ont pourtant montré que 100% des utilisatrices ont été harcelées dans les transports en commun. Certains ont d’ailleurs bien tenté de dire qu’il s’agissait uniquement du fait « des immigrés ». A moins que ces derniers aient douze bras, 25 mains et le don d’ubiquité, il va être très difficile de prouver cette assertion tant l’importance du nombre de témoignages et leur lecture montrent que le profil des agresseurs est varié.

A partir des années 2000 apparaît en France le mot « tournante » ; pour celles et ceux qui l’emploient il désigne un viol collectif commis en banlieue (et en filigrane commis par des jeunes d’origine africaine/maghrébine). Cela n’est certes pas le premier moment où certains commencent à parler du sexisme des racisés qui serait selon eux, si particulier ; l’histoire coloniale regorge de faits du genre où l’on cherche à justifier la colonisation par la supposée sauvagerie sexiste du colonisé .
Suite à l’apparition de ce concept de tournante, s’en suivent des milliers d’analyses sur ce sexisme de banlieue – comprendre ce sexisme des immigrés – qui serait par nature différent du sexisme des français et qui serait bien plus grave et plus profond. Là où les français commettraient des conneries, des crimes passionnels, des dérapages sexistes, des viols collectifs, les racisés commettraient des tournantes, des crimes d’honneur et des actes barbares témoignant de leur culture par essence profondément sexiste. Les violences sexuelles n’ont jamais été très prises au sérieux (on persistait à en faire des sommes d’histoires individuelles) mais tout d’un coup le viol collectif qui représente 10% des viols devenait un phénomène de société.
Dans ce contexte, les agressions sexuelles du 1er janvier, commises pour partie par des demandeurs d’asile, ont été récupérées par toutes celles et ceux souhaitant stopper leur arrivée.
Tout d’un coup, un certain nombre de gens feignait de découvrir qu’il y avait des agressions sexuelles et des viols en Europe. Pire certains semblaient surtout considérer que ces agressions sexuelles et ces viols étaient de nature différente de ceux commis habituellement.
Pourtant quelle différence entre une agression sexuelle commise par un proche ou un inconnu ?
Quelle différence entre un viol commis chez soi par une connaissance et un viol commis par un étranger ?
Quelle différence, pour poser le débat là où l’extrême-droite nous oblige à le poser, entre un viol commis par un demandeur d’asile et quelqu’un qui ne l’est pas ?
Qui plus est, le simple fait de parler de crimes commis par « des gens d’origine étrangère » constitue déjà une erreur sociologique majeure consistant à considérer que les « étrangers » auraient la même culture, la même façon de voir les femmes. Lorsqu’il y a 75 000 viols par an, comme en France, je crois qu’on peut se dispenser de juger de la culture des autres en en faisant un immense gloubiboulga couvrant une dizaine de pays.
La vérité est que les femmes ne sont pas en sécurité où que ce soit dans le monde et l’on n’a pas attendu l’arrivée de demandeurs d’asile pour que cela soit le cas.
Le fait est que les foules masculines matinales des transports en commun français sont déjà un danger pour les femmes donc les foules avinées en sont également un, comme l‘Oktoberfest (10 viols rapportés chaque années, on soupçonne que 200 ne font pas l’objet d’une plainte ; autre lien); les fêtes de Bayonne (2011, 2013, 2014). Un article de slate de 2004 faisait d’ailleurs le point sur le problème des violences sexuelles pendant les fêtes où l’alcool coule à flot et disait que « Les exemples de violences sexuelles abondent dans l’histoire récente des grandes fêtes ou festivals et la litanie des victimes est longue« . En 2003, bien avant l’arrivée des demandeurs d’asile donc, trois associations allemandes ont lancé « Sichere Wiesn für Mädchen und Frauen afin  de lutter contre les comportements sexistes, le harcèlement sexuel, les viols et les agressions sexuelles pendant l’Oktoberfest. Un point de sécurité réservé aux femmes existe pendant toute la durée de la fête ce qui montre l’importance du nombre d’agressions.

Une étude de 2004, bien avant l’arrivée des demandeurs d’asile donc, pour l’Allemagne nous montre que 13% des femmes allemandes entre 16 et 85 ans ont été victimes de violences sexuelles. 58% des femmes interrogées ont subi du harcèlement sexuel.
Comme en France, la majeure partie des victimes a été violentée par des gens qu’elles connaissaient (49,3% par des partenaires ou ex partenaires ; 53.9% par des connaissances, 10;1% par des membres de leur famille ) ; seules 14.5% d’entre elles ont été sexuellement agressées par des inconnus.

 

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Les violences sexuelles et par corrélation les nombreuses victimes sont donc instrumentalisés pour  tenir des discours racistes qui s’accompagnent maintenant de crimes racistes. L’extrême-droite a une longue tradition anti féministe et de lutte contre les droits des femmes ; les combats féministes contre les violences sexuelles n’ont (évidemment) jamais été soutenus par les membres des extrêmes-droite françaises et allemandes.  En s’arrêtant uniquement sur les victimes de ces derniers jours, l’extrême-droite nie la réalité des crimes sexuels qui est un crime généralement commis par un proche. Qu’elle ne prétende donc pas s’intéresser aux victimes puisqu’elle nie ainsi la réalité de la majorité des victimes de violences sexuelles.
En tant que féministe qui travaille depuis de nombreuses années sur les violences sexuelles, je continuerais à dénoncer l’ensemble des violences sexuelles et je vous incite, si vous avez été choqué par les violences sexuelles commises ces derniers jours, à vous intéresser à l’ensemble des violences sexuelles commises chaque jour. Les ressources à ce sujet sont nombreuses et vous aideront à mieux connaître la réalité du sujet.