Dessine-moi un éléphant

Reblogué depuis le site Un mug

Dessine-moi un éléphant

« Faut dire, elle est chiante aussi »

« Écoute, on a essayé hein, si elle y retourne, c’est qu’elle le veut bien »

« Elle le cherche, c’est pas possible »

« Je vais dire un truc horrible, mais elle le mérite franchement »

« Moi, je comprendrai jamais »

Je comprendrai jamais.

Évidemment qu’on ne comprend pas. Comment comprendre alors qu’on regarde l’éléphant dans le salon.

Les anglophones ont une expression délicieuse : « the elephant in the living room », l’éléphant dans le salon. Elle désigne cet étrange phénomène de truc énorme en train de se passer dans notre vie, mais sans que jamais ce ne soit dit, sans même qu’on s’en aperçoive. On tourne autour de l’éléphant dans le salon, on fait comme s’il n’était pas là.

Les invités, eux, en repartant, ou ceux qui passent devant la fenêtre, se font la réflexion entre eux : « Mais bordel ! Comment c’est possible de ne pas voir ce putain d’éléphant ?! »

L’incompréhension qui entoure les violences conjugales tient avant tout à ce qu’on les croit uniquement physiques. C’est faux, elles sont en premier lieu verbales, psychologiques. Ce sont les violences psychologiques qui entraînent l’aliénation, l’emprise et laissent le champ libre aux violences physiques, sexuelles, faute de quoi elles seraient immédiatement dénoncées – « dénoncées » dans le sens : vues comme inacceptables, refusées.

L’aliénation, la dépossession de soi. Évidemment que si vous êtes, je ne sais pas, dans la salle d’attente de votre dentiste, et qu’un parfait inconnu vous crache soudain dessus, vous allez vous lever et lui dire « Non mais qu’est-ce qui te prend, connard ?! » (version plus ou moins modulable dans le langage et dans les gestes selon le tempérament de la personne agressée) Évidemment. C’est si facile.

L’incompréhension générée par les violences conjugales se base sur deux fausses idées :

– les agresseurs (valable au sens large, quelle que soit l’agression) sont des monstres, inhumains et qui surgissent dans la vie d’une victime au détour d’une ruelle sombre, sans qu’elle ne l’ait jamais vu auparavant.

– un éléphant, ça fait 3 mètres de haut et pèse 7 tonnes dès sa naissance.

La première de ces fausses croyances s’appuie sur des mythes, ancrés socialement. Pour faire court : personne n’aime être responsable.

Pour développer : d’une part, il est plus rassurant que croire que les responsables de violences conjugales sont des êtres un peu anormaux, des personnes dénuées de tout sentiment, des bêtes, des sauvages, des pas-comme-nous. C’est rassurant sur notre propre nature d’être humain – nous, êtres humains, nous ne sommes pas capables de faire de telles choses, ça non. C’est rassurant sur notre nature d’homme – moi, homme, je ne suis pas capable de faire de telles choses, ça non. Ils ont eu des problèmes dans leur vie, leur enfance, cela a dû briser leurs repères ; c’est rassurant pour notre propre nature d’être humain avec des repères – moi, je ne suis pas capable de faire de telles choses, ça non ; c’est rassurant pour notre propre nature de parents – mes enfants, que j’élève avec brio, ne pourront pas faire de telles choses, ça non.

Ce mythe des gens bons d’un côté et des méchants de l’autre, abreuvé en permanence et depuis l’enfance par les dessins animés, les livres, les contes, les films, les mots des parents « Attention, ne parle pas aux inconnus, certains sont méchants » « Pourquoi il va en prison, lui ? — Parce qu’il est méchant », ce mythe rassure la société qui continue à tourner avec ses gens bons qui regardent dans les coins s’il n’y aurait pas quelques méchants.

D’autre part, il est beaucoup plus pratique de tourner sur ce manège-là plutôt que d’arrêter tous les poneys d’un coup pour se dire : Hey ? Mais ce sont nos enfants qui deviennent ces maltraitants, comment faire pour que ça ne se reproduise plus ? — Non mais c’est de la faute de leurs parents !! — Si c’est le cas, ces parents, ils ont été enfants aussi, je répète : comment faire pour que ça ne se reproduise plus ? Peut-on réellement prendre le temps de se pencher sur la question, de donner enfin les moyens, financiers, humains, matériels, à l’éducation, l’aide à l’enfance, aux parents, à la justice des mineurs, aux associations qui œuvrent en ce sens, plutôt que de mettre des pansements sur les plaies une fois faites ? — Euh… Pffff, allez viens, on fait repartir les poneys !!

La deuxième fausse croyance tient à ce qu’un éléphant, on le voit vachement mieux dans le salon d’un autre que dans le sien.

Une victime de violences conjugales peut rarement parler de ce qu’elle vit ou de ce qu’elle a vécu. Car elle doit affronter une autre forme de violence alors, celle du jugement. Quels que soient les interlocuteurs, rares sont ceux qui savent écouter.

Doutes, remises en cause du récit, accusations, engueulades, culpabilisations, fuites, mises en perspective déplacées, tout y passe. En tête de liste, l’incompréhension. « Mais je comprends pas… » Qu’est-ce qui n’est pas compris ? Pourquoi elle reste. Pourquoi elle ne part pas. Pourquoi elle n’a pas porté plainte. Pourquoi elle a retiré sa plainte. Pourquoi elle est retournée vivre avec lui. Pourquoi elle est tombée enceinte. Pourquoi, pourquoi, pourquoi.

En seconde place dans le top 50, l’amour. Si la victime de violences conjugales parle d’amour, l’interlocuteur ouvre de grands yeux, lève les sourcils, soupire, secoue la tête, dit « N’importe quoi putain ! », se tape sur les cuisses, fait des salto arrière, mange un oreiller. Parce que lui, il sait ce qu’est l’amour, et l’amour ce n’est pas ça.

Alors, fatalement, c’est qu’elle le veut bien. C’est qu’elle cherche ce qui lui arrive. C’est qu’elle aime ça. Qu’elle est perverse.

Vous avez déjà construit une maquette ? Un vaisseau Lego ? Une maison Playmobil ? Une cabane en rondins ? Un igloo avec des carrés de neige ?

On se souvient toujours de la première pièce. Le premier élément qu’on a placé. Les inaugurations de bâtiments se font en fanfare sur la première pierre. Personne ne vient voir ce qui se passe quand les ouvriers en sont au troisième étage à installer des milieux de fenêtres. Personne ne se souvient des éléments microscopiques de sa maquette d’avion, ceux qui allaient à l’intérieur et qu’on ne voit même plus. On se rappelle le commencement.

Une victime de violences conjugales se souvient toujours de la première fois. La première fois où elle s’est dit « Wow, c’est bizarre. » Une première dispute, bizarre, pour une raison bizarre, dans un lieu bizarre, sur un ton bizarre. Est-ce qu’on quitte quelqu’un qu’on aime parce qu’une dispute est bizarre ? Non, ce n’est pas suffisant. On avance avec, on fait une concession, c’est le principe du couple. Sur le premier élément, tordu, on en pose un deuxième, joli, coloré.

La première fois où elle a été gênée par ses propos, devant ses amis, sa famille, ses collègues. Elle lui en a parlé ensuite, il a reconnu que c’était déplacé, ça arrive à tout le monde, discussion de couple. On monte les éléments les uns sur les autres.

Le temps passe, éléments stables, éléments moins stables, l’ensemble monte. « Y a des hauts et des bas », c’est le principe du couple. Il y a surtout des moments forts. Il la place au-dessus de tout et de tout le monde, il lui dit des choses qu’elle n’a jamais entendues, qu’elle a besoin d’entendre, qu’il a besoin de dire ; elle est son unique amour, il ne vit que pour elle, elle est irremplaçable, il sera toujours là pour elle, s’opposera à quiconque lui voudra du mal, la défend envers et contre tout. Elle l’aime tout autant, elle seule sait qu’il est fragile malgré les apparences. Dans leur bulle, ils ressentent ce qu’ils avaient toujours eu besoin de ressentir. Sur les fragilités antérieures de l’un et de l’autre, le ciment prend, solide. Il coule sur les premières bases et amalgame l’ensemble dans un bloc compact. Impossible désormais de discerner quelle pièce provenait d’elle et laquelle venait de lui ; il n’y a que des éléments uniformes bétonnés. Les prochains seront préalablement trempés dans l’enduit « couple » avant même d’être mis en place.

La première fois qu’il sort vraiment de ses gonds. Qu’il hurle sur elle. Ces horreurs qui sortent de sa bouche, ces mots qui la sèchent sur place, qu’elle ne comprend pas ; la colère, l’indignation en elle, mais la question de savoir s’il l’aime encore alors, malgré tout ce qu’il a dit ; la culpabilité, car il l’a accusée de choses terribles. Le retour au calme, à la sérénité ; l’amour est toujours là, plus fort que tout, le bloc est toujours là, il s’en veut, il est désolé, elle est désolée aussi, oublions tout, le bloc est toujours là, c’est ça l’important, c’est ça l’important. Les nouvelles pièces posées dessus, qu’elle enfonce quand même, un goût amer dans la bouche. Ne pas donner raison à ceux qui lui ont dit qu’il était bizarre, pas fait pour elle.

Il la bouscule une première fois. Il la secoue. Il la gifle. Il était en colère, maintenant les colères elle les connaît, elles font partie du bloc bétonné, mais en voilà une nouvelle, plus forte, plus haute. « Y a des hauts, y a des bas » Elle pleure, elle dit que ça suffit, cette fois c’est trop, quelque chose en elle dit que c’est trop, elle part chez des proches et il pleure aussi, il a tout perdu, l’amour de sa vie, son unique amour, il s’en veut tellement, il ne comprend pas comment c’est arrivé, la faute au boulot, au stress, au manque d’argent, aux enfants, aux voisins, à l’hiver, à la crise, à l’alcool, au shit, au sommeil, aux jeux vidéo, la faute à pas de chance, il jure, il jure, il lui montre le bloc, c’est leur amour depuis tout ce temps, elle n’en a jamais eu d’autre comme ça, il ne sait pas vivre sans elle, il se sent mourir, il sait qu’il ne le refera plus, elle ne l’a jamais entendu aussi sincère, il lui manque ; le bloc lui manque, ailleurs elle ne sait pas quoi faire d’elle-même avec ses petits éléments pleins de béton qui ne s’encastrent nulle part. Elle revient. La construction s’élève, les pièces seront désormais rentrées en force.

Le temps a passé. La peur a tout envahi. Un seul objectif : la sérénité, sa sérénité à lui. Elle n’a plus aucune existence propre. Elle attend toujours que reviennent les hauts du début, les moments forts, ils étaient là, ils vont revenir, il suffit pour cela qu’il aille bien et ça reviendra. Sans qu’elle s’en aperçoive, tout s’est inversé, c’est elle désormais qui le protège lui, qui met tout en oeuvre pour le protéger. Que rien ne le contrarie, pour que la paix règne. Illusoire, elle est toujours brisée, il y a toujours quelque chose qui ne va pas, mais elle lutte pour la maintenir, elle n’a que ça en tête, c’est son seul et unique objectif, chaque jour, du moment où elle ouvre les yeux – avant lui – au moment où elle les ferme – après lui. En veille constante. Tout prévoir, tout anticiper. Penser à chaque phrase, chaque mot qu’elle dira, susceptible de lui déplaire. Pire encore : prévoir chaque mot que les autres pourraient dire, éviter ceux qui pourraient le déprimer, l’énerver, le rendre jaloux, éviter donc les personnes dont elle détecte qu’elles sont des déclencheurs, des dangers en paroles, en actes. Restreindre les interactions amicales, familiales, professionnelles, sociales ; tout restreindre pour avoir le moins de gens et de choses à surveiller, à anticiper. Tout devient pour elle l’objet d’une surveillance ; cercle vicieux sans fin : dans le but d’être tranquille, chaque moment est un sujet d’intranquillité. Un trajet en voiture : un lieu peut lui rappeler un souvenir dérangeant, elle lui parle pendant qu’ils passent devant, occupe son attention ; il zappe sur la télévision : une émission est susceptible de le déprimer, elle serre les dents en espérant que le présentateur ne dira pas des mots qu’il ne faut pas dire. Elle surveille son téléphone constamment ; s’il n’est pas là, elle tient le téléphone tout à côté d’elle et répond dès qu’il appelle pour qu’il n’ait pas à se poser de question, car il peut appeler dix fois, vingt fois de suite sinon. S’ils sont ensemble, elle ne sait plus quoi faire de son téléphone, est effrayée à l’idée qu’il sonne, elle ne donne plus son numéro à personne pour éviter qu’il trouve que qui que ce soit appelle trop. Elle gère toutes les sources de stress potentielles qui le font monter en pression : bruits des enfants, qu’elle berce, fait taire, emmène dans d’autres pièces, « Chuuuut, papa est fatigué » ; manque d’argent, elle cache les courriers de relance, elle ment, elle vole de l’argent ; repas prêts à l’heure et bonne cuisine, maison nettoyée, vêtements repassés, silence à table, que va-t-il vouloir ensuite, que pourra-t-elle faire pour être tranquille, elle veut juste être tranquille. Elle pense à autre chose quand elle lui donne ce qu’il veut, sexuellement. Accusée de le tromper, de mentir, d’être calculatrice, voleuse, responsable de ce qu’elle vit, de leur malheur, de celui de leurs enfants, elle sait, elle sait que ce n’est pas vrai, que c’est lui qui est responsable de tout ça… mais quand même, c’est vrai qu’elle lui ment, qu’elle calcule tout, qu’elle ne l’aime plus comme avant, alors oui elle est sans doute responsable, oui, sans doute… mais non ! ou peut-être… elle ne sait plus, elle veut juste être tranquille, tranquille, tout se passera bien si elle anticipe. Quand il est calme, tout se passe bien. Anticiper. En veille permanente.

Au milieu du salon, l’éléphant, flamboyant.

Ceux qui le voient de loin ouvrent de grands yeux hallucinés et s’exclament : « Mais pourquoi elle ne le voit pas ?!? »

Ceux qui le voient de près disent : « C’est pas évident de faire quelque chose… »

Si seulement c’était un inconnu, un monstre surgi tout à coup de nulle part dans la brume, elle pourrait le voir.

Mais comment voir ce qui est à côté d’elle ? Ce à quoi elle a consenti, pas à pas, au fil du temps ? Elle a dit oui, au début, elle a aimé, passionnément, elle se sent responsable, il n’arrête pas de le lui rappeler constamment, elle l’a voulu ce couple, elle l’a défendu, elle l’a construit, comment pourrait-elle voir ce qui n’était qu’une pièce, puis deux, puis trois et qui aujourd’hui est un putain d’éléphant dans son salon ?

Comme il est facile pour les autres de le voir maintenant qu’il est bien intégralement constitué.

On se souvient toujours de la première pièce. Mais on se souvient aussi toujours de la dernière. Le cockpit du vaisseau Star Wars, la porte qu’on découpe dans l’igloo, les jardinières de géranium aux balcons de la maison Playmobil.

Le moment où elle se dit « Non. C’est trop. C’est fini. »

Une énième humiliation. Une énième nuit sans dormir. Voir les larmes de ses enfants. Un coup plus fort qu’un autre, plus lâche qu’un autre. Les mots d’un proche, qui prennent du sens. Mille et une raisons.

C’est le début d’un autre chemin pour se retrouver.

Retrouver ses libertés, ses proches, ses goûts et dégoûts, ses envies, ses espoirs et ambitions, ses désirs, ses rêves… Et apprendre à vivre sans peur et sans culpabilité.

Au bout de ce chemin, tout au bout, il y aura une prise de conscience. Incarnée par une phrase de Stephen King – oui, l’auteur, comme quoi hein, tout peut arriver.

« Des gens qui observent depuis l’extérieur vont parfois demander : “Mais comment tu peux avoir laissé faire ça pendant aussi longtemps ?? Tu n’avais pas vu qu’il y avait un éléphant dans le salon ?!” Il est bien difficile pour une personne vivant dans une situation normale de comprendre la réponse la plus proche de la vérité : “Désolée mais il était là quand j’ai emménagé. Je ne savais pas que c’était un éléphant, je pensais qu’il faisait partie des meubles.” »

Jeunes, moins jeunes, qui êtes ou allez être en couple : faites attention à vos constructions. Arrêtez-vous de temps en temps, prenez le temps de réfléchir. Retournez-vous. Regardez votre salon.

Est-ce qu’il n’y aurait pas un putain d’éléphant dedans ?

Vous avez un doute sur ce que vous vivez ? Voici un dépliant qui pourra vous apporter des réponses : http://stop-violences-femmes.gouv.fr/IMG/pdf/depliant_violences_web-3.pdf

Il y a des associations près de chez vous pour vous écouter, vous aider, en voici une liste (cliquez sur la carte, ou à gauche sur votre région) : http://stop-violences-femmes.gouv.fr/-Les-associations-pres-de-chez-vous-.html

Collectif féministe La Rage: appel à affiches

La Rage, collectif de féministes, englobe un projet qui vise à rassembler des affiches féministes et lesbiennes, faites par des femmes, des gouines, des trans, dans le monde entier ; et les diffuser sous plusieurs formats.

Nous souhaitons donner de la visibilité aux combats des femmes féministes et des lesbiennes, pour en inspirer d’autres et explorer l’outil graphique que sont les affiches.
Tout cela s’inscrivant dans un souci de créativité, d’inventivité, de diversité culturelle et de liberté de partage.

Nous collectons donc des affiches tous azimuts depuis juin 2015 et  avons lancé un appel à contribution en ce sens: POUR PARTICIPER C’EST PAR ICI !

mujero

La Plaga

2015 — Lima (Perou)

Collectif Espacio Abierto

Créé en 2014, le collectif vise à développer des façons alternatives de communiquer en favorisant l’éducation populaire et la déconstruction des modèles normatifs de vie. Il a un souci particulier pour la protection de la planète.

contexte

L’affiche fait partie du projet chilien La Plaga, pour lequel des affiches ont été réalisées à l’occasion du 8 mars. Le sujet était : que célèbre-t-on quand on fête le 8 mars ?

traduction

Femmes luttant pour des corps et des territoires libres

en savoir plus

www.facebook.com/espacioabierto.rmr
www.facebook.com/LaPlaga

Les agressions sexuelles du nouvel an : des crimes sexistes à l’instrumentalisation raciste

Excellent papier paru sur Crêpe Georgette

Pendant la nuit du nouvel an, de nombreuses agressions sexuelles et parfois des viols ont eu lieu dans des villes allemandes et en Finlande.

Les féministes ont toujours étudié, travaillé, analysé et dénoncé les violences sexuelles. C’est grâce à deux victimes de viol et à leur avocate, Gisèle Halimi, qu’on a pu en 1978, lors du procès d’Aix en Provence comprendre les répercussions psychiques possibles du viol sur les victimes. Les féministes auront également permis de faire reconnaître et condamner le viol conjugal qui sera finalement pris en compte légalement en 1990. Leurs nombreux travaux et études auront permis de connaître le nombre de viols et de tentatives de viols par an (75 000 en France) des agressions sexuelles (13% des femmes allemandes en auraient subi une), le peu de plaintes déposées par les victimes de viol (10% en France). Elles ont également travaillé sur ce qu’est le viol, ce qu’il constitue au niveau sociologique alors qu’il est encore souvent vu par l’ensemble de la société comme l’acte isolé d’un « fou » ou d’un « monstre ». Ces dernières années, ont été analysés le concept de culture du viol et celui de harcèlement dans l’espace public.
Les féministes n’ont donc jamais eu besoin d’attendre quiconque pour condamner TOUTES les agressions sexuelles et TOUS les viols, quels qu’en soient les auteurs. Elles ont plutôt l’habitude de prêcher dans le désert au milieu de personnes qui ne les croient pas et minimisent les chiffres des violences sexuelles. Les agressions sexuelles et les viols commis le 31 décembre en Allemagne et en Finlande sont donc évidemment condamnables, comme toutes les autres violences sexuelles.

Le nombre de viols ? Les femmes ne cesseraient de mentir à ce sujet  même si toutes les études montrent qu’il y a peu de fausses allégations en matière de viol.
Les victimes de viol sont moquées, humiliées et accusées de l’avoir bien cherché.
Ainsi Lara Logan victime de viol place Tahrir s’est vue reprocher de l’avoir cherché en exerçant un métier d’homme et en étant trop jolie.
Ainsi Nafissatou Diallo s’est vue accusée d’être trop laide pour être violée.
Ainsi Samantha Geimer droguée et violée par Roman Polanski lorsqu’elle avait 13 ans s’est vue reprocher de faire plus que son âge et d’être allée chez l’acteur.
Ainsi Lydia Gouardo violée par son père dés l’âge de 9 ans dont beaucoup ont jugé qu’elle devait être consentante.
Ainsi la victime présumée de viols multiples par des policiers jugée « over friendly » (aguicheuse) par des experts psychiatres.
Nous pourrions multiplier les exemples. Les victimes sont rarement crues et toujours mises en accusation. Lorsqu’il s’agit de viol conjugal certains n’hésitent pas à en nier l’existence.
Lorsque les femmes ont témoigné sur les réseaux sociaux des agressions dont elles étaient victimes dans l’espace public, beaucoup leur ont parlé d’hommage en vantant le charme des sifflets. On leur a aussi dit qu’elles exagéraient ou qu’elles cherchaient à attirer l’attention. De nombreux sondages ont pourtant montré que 100% des utilisatrices ont été harcelées dans les transports en commun. Certains ont d’ailleurs bien tenté de dire qu’il s’agissait uniquement du fait « des immigrés ». A moins que ces derniers aient douze bras, 25 mains et le don d’ubiquité, il va être très difficile de prouver cette assertion tant l’importance du nombre de témoignages et leur lecture montrent que le profil des agresseurs est varié.

A partir des années 2000 apparaît en France le mot « tournante » ; pour celles et ceux qui l’emploient il désigne un viol collectif commis en banlieue (et en filigrane commis par des jeunes d’origine africaine/maghrébine). Cela n’est certes pas le premier moment où certains commencent à parler du sexisme des racisés qui serait selon eux, si particulier ; l’histoire coloniale regorge de faits du genre où l’on cherche à justifier la colonisation par la supposée sauvagerie sexiste du colonisé .
Suite à l’apparition de ce concept de tournante, s’en suivent des milliers d’analyses sur ce sexisme de banlieue – comprendre ce sexisme des immigrés – qui serait par nature différent du sexisme des français et qui serait bien plus grave et plus profond. Là où les français commettraient des conneries, des crimes passionnels, des dérapages sexistes, des viols collectifs, les racisés commettraient des tournantes, des crimes d’honneur et des actes barbares témoignant de leur culture par essence profondément sexiste. Les violences sexuelles n’ont jamais été très prises au sérieux (on persistait à en faire des sommes d’histoires individuelles) mais tout d’un coup le viol collectif qui représente 10% des viols devenait un phénomène de société.
Dans ce contexte, les agressions sexuelles du 1er janvier, commises pour partie par des demandeurs d’asile, ont été récupérées par toutes celles et ceux souhaitant stopper leur arrivée.
Tout d’un coup, un certain nombre de gens feignait de découvrir qu’il y avait des agressions sexuelles et des viols en Europe. Pire certains semblaient surtout considérer que ces agressions sexuelles et ces viols étaient de nature différente de ceux commis habituellement.
Pourtant quelle différence entre une agression sexuelle commise par un proche ou un inconnu ?
Quelle différence entre un viol commis chez soi par une connaissance et un viol commis par un étranger ?
Quelle différence, pour poser le débat là où l’extrême-droite nous oblige à le poser, entre un viol commis par un demandeur d’asile et quelqu’un qui ne l’est pas ?
Qui plus est, le simple fait de parler de crimes commis par « des gens d’origine étrangère » constitue déjà une erreur sociologique majeure consistant à considérer que les « étrangers » auraient la même culture, la même façon de voir les femmes. Lorsqu’il y a 75 000 viols par an, comme en France, je crois qu’on peut se dispenser de juger de la culture des autres en en faisant un immense gloubiboulga couvrant une dizaine de pays.
La vérité est que les femmes ne sont pas en sécurité où que ce soit dans le monde et l’on n’a pas attendu l’arrivée de demandeurs d’asile pour que cela soit le cas.
Le fait est que les foules masculines matinales des transports en commun français sont déjà un danger pour les femmes donc les foules avinées en sont également un, comme l‘Oktoberfest (10 viols rapportés chaque années, on soupçonne que 200 ne font pas l’objet d’une plainte ; autre lien); les fêtes de Bayonne (2011, 2013, 2014). Un article de slate de 2004 faisait d’ailleurs le point sur le problème des violences sexuelles pendant les fêtes où l’alcool coule à flot et disait que « Les exemples de violences sexuelles abondent dans l’histoire récente des grandes fêtes ou festivals et la litanie des victimes est longue« . En 2003, bien avant l’arrivée des demandeurs d’asile donc, trois associations allemandes ont lancé « Sichere Wiesn für Mädchen und Frauen afin  de lutter contre les comportements sexistes, le harcèlement sexuel, les viols et les agressions sexuelles pendant l’Oktoberfest. Un point de sécurité réservé aux femmes existe pendant toute la durée de la fête ce qui montre l’importance du nombre d’agressions.

Une étude de 2004, bien avant l’arrivée des demandeurs d’asile donc, pour l’Allemagne nous montre que 13% des femmes allemandes entre 16 et 85 ans ont été victimes de violences sexuelles. 58% des femmes interrogées ont subi du harcèlement sexuel.
Comme en France, la majeure partie des victimes a été violentée par des gens qu’elles connaissaient (49,3% par des partenaires ou ex partenaires ; 53.9% par des connaissances, 10;1% par des membres de leur famille ) ; seules 14.5% d’entre elles ont été sexuellement agressées par des inconnus.

 

Sans titre-1

Les violences sexuelles et par corrélation les nombreuses victimes sont donc instrumentalisés pour  tenir des discours racistes qui s’accompagnent maintenant de crimes racistes. L’extrême-droite a une longue tradition anti féministe et de lutte contre les droits des femmes ; les combats féministes contre les violences sexuelles n’ont (évidemment) jamais été soutenus par les membres des extrêmes-droite françaises et allemandes.  En s’arrêtant uniquement sur les victimes de ces derniers jours, l’extrême-droite nie la réalité des crimes sexuels qui est un crime généralement commis par un proche. Qu’elle ne prétende donc pas s’intéresser aux victimes puisqu’elle nie ainsi la réalité de la majorité des victimes de violences sexuelles.
En tant que féministe qui travaille depuis de nombreuses années sur les violences sexuelles, je continuerais à dénoncer l’ensemble des violences sexuelles et je vous incite, si vous avez été choqué par les violences sexuelles commises ces derniers jours, à vous intéresser à l’ensemble des violences sexuelles commises chaque jour. Les ressources à ce sujet sont nombreuses et vous aideront à mieux connaître la réalité du sujet.