Kurdistan turc : Mairies sous tutelle, les conquêtes féministes bafouées

Un article du site kedistan.net

Durant le court répit laissé par le processus de négociations et de paix entre l’Etat turc et le mouvement kurde, certaines conquêtes féministes ont vu le jour.

Les processus électoraux ayant porté aux responsabilités locales des représentantEs du mouvement kurde, ceux/celles-ci ont mis en pratique des modes de démocratie horizontale différents, et surtout donné une place aux femmes à égalité. Quitte à se situer en dehors de règles institutionnelles, la pratique de la collégialité un homme/une femme fut instaurée en règle. Ainsi, les femmes purent-elle faire avancer leur volonté d’égalité réelle.

Nous publions un rapport politique du HDP, qui fait le point sur ce que signifie la “confiscation”  par l’Etat, de l’expression populaire dans la désignation des administrateurs/trices, des municipalités. Il montre clairement le projet politique d’anéantissement de toutes les politiques féministes menées.


Comment les attributions d’administrateurs dans les mairies affectent les conquêtes des femmes

Quand on étudie l’histoire politique de la Turquie, on observe que les administrations locales élues ont été remplacées par des administrateurs attribués, seulement dans les périodes de coup d’Etat. Depuis le coup d’Etat militaire de 1980, c’est la première fois, qu’au 11 septembre 2016, de nombreux maires éluEs par le peuple, sont retiréEs de leurs fonctions, et des administrateurs sont attribués aux 28 mairies dont 24 concernent des maires du DBP (Parti Démocratique des Régions). Avec l’attribution des administrateurs aux mairies d’İdil, commune de Şırnak et la commune Hani de Diyarbakır, le 21 septembre 2016, ce nombre a monté à 26.

Les administrateurs qui ont remplacé les maires DBP sont les Gouverneurs et Préfets des villes et localités concernées, alors que les remplaçants des 4 maires restants [sur les 28 du début] de l’AKP et du MHP ont été redéfinis par élection du Conseil municipal. Par ailleurs, par une circulaire préfectorale envoyée le 29 septembre, les mairies de Viranşehir, Bozova, Halfeti et Suruç sont mises en obligation de demander l’approbation du Gouverneur, pour tout projet et service. La décision de Gouverneur est donc imposée à la volonté des Conseil municipaux, ce qui peut être qualifié également comme une sorte de mise sous tutelle.

Une des premières pratiques des administrateurs dans les mairies, fut l’anéantissement des conquêtes des femmes obtenues avec beaucoup d’efforts qui avaient été poursuivis depuis des années. Les centres de femmes sont fermés, les femmes qui travaillaient dans ces centres sont licenciées, certaines sont mutées vers des postes passifs, et les documents concernant les femmes demandeuses d’aide des centres ont été confisqués.

Avant de détailler ces pratiques, il est nécessaire de préciser ce que sont “les politiques de femmes” dans ces mairies, comment elle se mettaient en pratique, quels ont été les avantages apportés.

Les politiques féministes pratiquées par les mairies gagnées par le DBP, ont été développées depuis 1999 avec la contribution de nombreuses femmes activistes. Grâce à l’efficacité du mouvement de femmes dans ce champ d’action, le nombre de mairesses qui était de 3 en 1999, a augmenté en 2004 à 9, et en 2009 à 14. Et en 2014, la pratique de Co-maire/mairesse a été mise en place dans toutes les mairies. Cette pratique permettait dans des administrations locales qui sont des structures bureaucratiques et de domination masculine, le principe de la représentation égalitaire, de quitter l’abstrait et d’aller vers une transformation concrète. Cette exercice, basé sur le travail collectif commun pour tous les travaux et décisions, permettait aux femmes de quitter les rôles attribués selon le genre social, d’institutionnaliser les travaux de femmes, et par ces moyens, mettre en pratique la vision et le système de femmes.

Pour institutionnaliser les travaux féministes, il a été fondé, dans de grandes municipalités des “Départements des Politiques de Femmes”, et dans des petites localités des “Directions de femmes”. Ces administrations ont mené leurs travaux en trois unités :

  1. La lutte contre les violences faites aux femmes
  2. Le développement de l’économie de la femme
  3. L’Enseignement et la recherche

Par ailleurs, dans les conseils municipaux, des “Commissions d’égalité Femme-Homme” ont été organisées, et des “Comités de femmes” composés de femmes en activité professionnelle et/ou membres de conseils, sont nés. Des travaux sur la mise en pratique des budgets sensibles à l’égalité des genres ont été menés. Des efforts intenses ont été poursuivis pour changer la structure institutionnelle de la domination masculine au sein des mairies, et pour que les femmes prennent activement place dans le mécanisme de l’administration, au-delà de partage égalitaire des tâches.

Avec l’effort de nombreuses femmes militantes, d’importantes conquêtes à l’avantage des femmes ont été mises en pratique. En résumé :

  • Ouverture de “Centres de femmes” dans 43 lieux. Dans ces centres, 200 femmes contribuant activement aux travaux avec des spécialistes tels que psychologues, sociologues, médecins répondant aux besoins des femmes, ont été engagées. Le nombre de femmes embauchées dans les “Directions des Politiques de femmes” étaient de 500. Des études de terrain ont été effectuées afin d’observer la situation des femmes dans les villes. Des formations de sensibilisation, d’approfondissement et professionnalisation ont été données. Des milliers de femmes ont participé, selon les localités, à des formations professionnalisantes dans des domaines tel que : informatique, comptabilité, entreprise, linguistique, permis de conduire, tapisserie, céramique, porcelaine, argenterie, peinture, osier, cuir, bijouterie, soie, tricot, jouets en bois, coiffure, textile, design… et ont retrouvé du travail ou créé leur propre entreprise. Un service de conseil a été mis en place sur les violences faites au femmes.
  • Afin de développer “l’économie de la femme”, parallèlement aux formations professionnalisantes, dans de nombreux endroits, des marchés de femmes ont été installés, et dans les marchés existants de nouveaux stands/étals ont été ouverts pour les femmes. Des “Cabines de Vente Mauves’”(Mor Satış Kabinleri) ont été préparées et installées dans des rues passantes dans les quartiers. Des ateliers de tapisserie et de Porcelaine/céramique ont été ouverts.
  • Les coopératives de femmes ont été soutenues aussi bien dans leurs créations que leur continuité. Ces coopératives qui ont atteint le nombre de 15, ont réalisé des projets dans divers secteurs. Par exemple à Bismil en vigne-raisin, à Bozova en piment en paillettes, concentré de tomate, à Gürpınar dans la cuisine de maison, à Batman dans la tapisserie… Et ces travaux tentent de se poursuivre.
  • Dans la région, suite à la guerre et aux exodes, il y a beaucoup de maisons où seules vivent femmes et enfants. Ces maisons ont été visitées et selon les besoins, des aides on été effectuées.
  • La santé de la femme et de l’enfant a pris une place importante dans les travaux. Des activités à la fois sur l’enseignement et sur la santé, ont été menées non seulement dans les villes mais aussi dans des villages. Des “Centres de santé” ont été ouverts et des dépistages on été effectués.
  • 4 refuges de femmes ont été ouverts. Les femmes sortantes ont été soutenues et aidées pour leur avenir.
  • Pour ouvrir les activités sportives aux femmes, des équipes de volleyball et basketball ont été créées. Dans certaines localités, des salles de sport ont été ouvertes pour les femmes. Dans les parcs, du matériel sportif utilisés principalement par les femmes, est installé.
  • De nombreuses activités sont menées afin de développer l’agriculture écologique. Par exemple à Çınar, l’activité du “Champs de femmes”, semé pour la solidarité avec les femmes qui sont obligées de quitter leur foyer dans les zones d’affrontements, ainsi que les femmes victimes de violence, est toujours en activité et du gombos est cultivé et vendu. A Dersim, il a été installé un potager où les graines locales sont semées et reproduites. Les femmes se servent des récoltes pour leurs besoins, le reste est vendu, et l’argent est réinvesti pour les activités pour les femmes. Des activités semblables sont menées dans d’autres localités et dans certains endroits, elles fonctionnent en tant que “Communes de femmes”.
  • Les activités culturelles sont aussi un des domaines fondamentaux. Des festivals de femmes, des journées de femmes, des cours de dessin, musique, photographie continuent.
  • Des clauses à l’avantage des femmes ont été ajoutées pour la première fois dans les conventions collectives de travail. Le 8 mars a été déclaré congé. Des sanctions ont été mises en place pour le personnel des mairies contre la pratique de la violence conjugale, et le refus d’envoyer ses filles à l’école, qui pouvaient perdurer.
  • La “Charte européenne de l’autonomie locale” du “Congrès des pouvoirs locaux et régionaux” a été signée par les mairies et les engagements ont été tenus.
  • Des parcs, laveries et crèches de “Femmes Libres” ont été crées.
  • Conférences, débats, symposiums ont été organisés.

Cette liste pourrait être encore plus longue. Comme on peut voir, des travaux on été effectués dans tous les domaines de la vie, afin d’améliorer les conditions des femmes, installer l’égalité, et des avantages ont été conquis par les femmes.

Affectations d’administrateurs et arrestations

Pendant que tous ces projets étaient poursuivis, des actes politiques à connotation génocidaire étaient menés intensivement contre le DBP et le HDP. Nombre de Co-présidentEs, membres de conseil, employés de mairies ont été misEs en garde-à-vue et arrêtéEs. 19 Co-présidentes ont été arrêtées dans des différentes dates et libérés. 14 Co-présidentes sont actuellement détenues et des ordres d’arrestation sont donnés à l’encontre de 2 co-présidentes. En totalité 35 de 96 Co-présidentes, on été déjà arrêtées ou recherchées. Et toutes ont été retirées de leurs fonctions. Des administrateurs ont été affectés aux 26 mairies, dont 15 où étaient les mairesses ‘officielles’ [aux yeux de l’Etat qui ne prend pas en compte le principe de Co-présidence].

La mise sous tutelle des mairies est illégale selon la “Loi des mairies” (la Loi municipale). Selon l’article n°127 de la Constitution “Les fondations, les devoirs et les autorités des administrations locales sont régies par la loi, conformément au principe de subsidiarité”. Autrement dit, les espaces de devoirs et d’autorités des mairies, sont définie et appliqués dans le cadre de la volonté des personnes vivant dans une unité administrative, selon ce qu’elles expriment par les élections. Par ailleurs, les objections pour que les administateur/trices locaux/les éluEs par le peuple puisse perdre leurs qualifications, doivent trouver solution par les moyens de justice et d’inspection. Le fait que le Ministre d’intérieur ou le Préfet, confisque l’autorité de l’organe élu, sans qu’il y ait une quelconque décision précise de justice, est une claire violation de la Constitution.

Aucune des procédures de justice concernant les maires remplacéEs par des administrateurs n’est terminée. Avant la mise en vigueur du décret n°674, selon l’article n°5393 de la Loi des mairies, “les maires contre lesquelLEs des enquêtes concernant les violations liées à leurs fonctions est en cours, peuvent être retiréEs de leurs fonctions par le Ministère d’intérieur, jusqu’au terme des enquêtes en cours”. Ainsi, à la date où le décret promulgué a été annoncé, 33 Co-présidentEs du DBP étaient déjà retiréEs de leur fonctions, donc selon cette loi. Le fait de remplacer ces Co-présidentEs, éloignéEs de leurs fonctions ‘provisoirement’, par des administrateurs, au lieu des Vice-coprésidentEs, faisant partie des membres du Conseil municipal ; reviendrait à la suppression de la volonté populaire ; ainsi que, les procédures judiciaires n’étant pas terminées, à une violation de la présomption d’innocence.

De plus, les réunions ordinaires des Conseils qui sont les mécanismes décisionnaires des localités,qui sont désormais placées sous l’autorité et l’appel des administrateurs, revient à l’anéantissement total de la démocratie locale qui est déjà très insuffisante.

Le principe “Les lois ne peuvent être rétroactives”, un des principes les plus fondamentaux du Droit, est assuré par l’article n°38 de la Constitution de la République de Turquie. Avec le décret n°674, ce principe est bafoué. La possibilité de faire des procédures rétroactives est clairement prononcée, et des administrateurs sont affectés aux mairies administrés par des maires contre lesquelles des enquêtes sont encore en cours.

La Turquie avec l’attribution d’administrateurs, viole également la“Charte européenne de l’autonomie locale” qu’elle a ratifié et mise en vigueur. Le paragraphe n°4 de l’article n°4 de cette Charte notifie ceci : “Les compétences confiées aux collectivités locales doivent être normalement pleines et entières. Elles ne peuvent être mises en cause ou limitées par une autre autorité, centrale ou régionale, que dans le cadre de la loi.”. L’attribution d’administrateurs à la place des maires éluEs, effectuées par le gouvernement central, a clairement violé cet article engageant l’Etat Turc.

Les conquêtes des femmes menacées

En ce qui concerne les conquêtes des femmes expliquées en résumé ci-dessus, la situation est encore plus grave. Car, la première chose que ces administrateurs ont effectuée, fut l’intervention sur les “Directions de femmes” et les “Centres de femmes”. Ces réalisations sont sous la menace de disparition par la main d’administrateurs.

La “Direction des Politiques de femmes” de la Mairie de Batman, est supprimée. “Centre de femmes Selis” et l’”Atelier de femme Hevi”, qui mènent depuis 12 ans, une lutte intensive contre toutes les violences faites aux femmes, ont été menacées d’être fermés. Grâce aux protestations des femmes, cette décision est pour l’instant suspendue… Le centre culturel, qui enseigne le théâtre et qui met en scène des pièces multilingues, a été fermé par les administrateurs.

A Sur, Erciş, Edremit, İpekyolu, Özalp, Cizre, Silopi, Mazıdağı, Derik et Suruç, les “Directions des femmes” sont fermées, les travaux sont arrêtés et les employéEs ont été mutées dans des postes passifs.

Dans le “Centre de conseils aux femmes, Sitiya Zîn”, attaché à la “Direction des politiques des femmes” de la Mairie de Cizre, les documents, formulaires de demande des femmes ont été confisqués.

Les contrats de travail d’une partie des femmes contribuant aux travaux pour les femmes dans les mairies de Cizre et de Silvan, ont été résiliés. Les participantes dont les contrats ne sont pas résiliés sont éloignées par changement de poste.

La Présidente du “Département des Politiques des femmes” de la Mairie métropole de Diyarbakır a été mise en garde-à-vue pendant 20 jours.

A Bağlar le “Centre d’enfants” et l’école, enseignant en langue maternelle, ont été fermés.

Ainsi, toutes les conquêtes que les femmes ont obtenues avec de grands efforts depuis des années ont été confisquées et les projets concrets pour transformer la vie sont annihilés.

Violence contre les femmes, des chiffres…

Un article trouvé sur Kedistan.net

« Des hommes ont tué 24 femmes, agressé sexuellement cinq enfants et infligé des violences à six femmes en Septembre ». Voilà des chiffres bruts que publient les journalistes de l’agence de presse JINHA.


« Nous avons recueilli les rapports de sites d’information, de journaux et d’agences de presse…» poursuivent-elles :

« Neuf d’entre elles ont été tuées par des hommes qui étaient leurs proches parents. Sept d’entre elles ont été abattues au cours d’affrontements provoqués par les forces répressives de l’Etat. Dans le même temps, des hommes ont violenté six femmes et une a été soumise à la torture sexuelle en détention.

Les agressions contre les femmes trans ont augmenté en Septembre.  Cinq trans ont été soumises à des agressions transphobes à Ankara. A Istanbul, des expulsions de logement ont eu lieu dans des quartiers.

37, 5 % de ces femmes ont été tuées parce qu’ils voulaient divorcer ou se séparer de leurs maris ou de leurs partenaires. 29 %  ont été tuées par balles, tirées par les forces de l’ Etat.

Au cours des neuf premiers mois de 2016, les hommes ont tué pas moins de 189 femmes, agressées sexuellement 316 enfants et infligé des violences sur 238 femmes. »

Voilà une comptabilité à comparer avec celle de pays européens. Chiffres pour chiffres, les différences ne seront pas d’ampleur. Mais comparaison n’est pas raison.

Les décès sous les balles des forces répressives de l’Etat, le meurtre de femmes trans, les viols en prison comme mode de soumission, sont bel et bien dus à la situation politique turque, à son idéologie dominante, à son état d’urgence, et sa démocrature.

En Turquie, la politique gouvernementale s’ajoute au patriarcat et à la violence quotidienne contre les femmes, tandis qu’une bigoterie sans nom les “domestique” et les “chosifie” davantage, comme dans certains pays occidentaux le ferait des publicités agressives… L’idéologie change, le voile pudique jeté sur les féménicides est pourtant le même partout.

Au regard de ces chiffres, la Turquie est bien dans les moyennes européennes, qu’on le veuille ou non. La lutte des femmes est bien la même partout, et elle est fondamentalement politique.

Présentation de la revue Z : Bonnes femmes et mauvais genres

affiche-zLe 14 octobre avec les rédactrices de la revue Z à Forcalquier ! Vous pouvez venir à partir de 18 h à la bibliothèque d’Agate, armoise et salamandre – corps et politique au 13 Rue des Cordeliers (en dessous de la Crêperie) pour y voir les nouveautés et trouver Z n°10 et autres, puis – comme il paraît qu’il pleuvra, on se déplacera assez rapidement aux Caves à Lulu pour prendre l’apéro et manger une soupe (au prix libre), avant de commencer la présentation de la revue à 20 h environ. Venez nombreux.ses !

Les gynécologues veulent garder leur accès exclusif au sexe des femmes

Un excellent article publié le par Marie-Hélène Lahaye sur son blog « Marie accouche là »

Gerrit_van_Honthorst_cat01-768x564La publication du décret élargissant les compétences des sages-femmes met décidément en évidence toute la misogynie et le sexisme dans lesquels baigne la profession de gynécologue obstétricien. Après la sortie désastreuse d’Elisabeth Paganelli sur son refus d’octroyer des arrêts maladie en cas d’IVG (voir ici), c’est l’ensemble des instances professionnelles des gynécologues et obstétriciens qui publie un communiqué de presse commun pour dénoncer les mesures gouvernementales qui « nuisent à la surveillance médicale des femmes ».

Sans surprise, ces médecins s’inscrivent dans la longue tradition patriarcale de dénigrement du métier de sage-femme, qui perdure depuis quatre siècles. En effet, la sortie du Moyen Âge a été marquée par une grande misogynie et une mainmise des institutions politiques et médicales sur le corps des femmes.[1] Les sages-femmes, qui étaient les alliées des femmes tout au long de leur vie affective, sexuelle et reproductive, se sont vues tour à tour exterminées durant la chasse aux sorcières par le clergé (masculin), interdites d’accès à la formation et l’enseignement par le pouvoir politique (masculin) et accusées d’être incompétentes, sales et dangereuses par les médecins (masculins). Les gynécologues et obstétriciens actuels, déjà impuissants à mettre en œuvre une médecine basée sur des preuves scientifiques et sur des recommandations médicales, sont bien sûr aveugles à toute mise en perspective historique de leur profession, et pensent certainement défendre une position en phase avec notre monde actuel.

Reprenons néanmoins leur communiqué de presse. Ils prétendent donc qu’octroyer de nouvelles compétences aux sages-femmes dans le cadre de la physiologie, entrainera « une perte de chances pour les femmes en raison d’un retard au diagnostic et à la mise en place d’un traitement adéquat ». Les femmes sont en danger de mort. Ni plus ni moins.

L’argumentation du communiqué pour arriver à cette conclusion est pour le moins nébuleuse, mais un long échange sur twitter avec le Syndicat des Gynécologues et Obstétriciens Libéraux (SGOL) m’a permis de mieux cerner le mode de pensée de ses auteurs.

Selon le SGOL, les sages-femmes seraient, malgré leurs cinq années d’études, inaptes à exercer la moindre compétence étant donné que, bien qu’elles soient spécialistes de la physiologie, elles sont incapables d’identifier les pathologies et donc de renvoyer aux obstétriciens les patientes qui en présenteraient. D’où le fameux danger pour l’ensemble des femmes, puisque leur passage entre les mains d’une sage-femme ne peut que retarder la prise en charge d’une complication.

Pour le dire plus simplement, les sages-femmes s’occupent des femmes en bonne santé, tandis que les gynécos s’occupent des maladies. Le SGOL prétend néanmoins que les sages-femmes sont si ignorantes qu’elles ne sont pas capables de faire la différence entre une femme en bonne santé et une femme malade, ni entre une grossesse normale et une grossesse morbide, ni entre un accouchement qui se déroule parfaitement et un accouchement qui tourne mal. Il est donc de salubrité publique que les sages-femmes n’aient plus accès au sexe des femmes, mais que cette fonction soit réservée aux gynécologues obstétriciens.

La discussion sur twitter a pourtant mis en évidence une autre réalité: ce sont les obstétriciens eux-mêmes qui sont incapables de faire la différence entre une situation saine et une maladie. A leurs yeux, la contraception, l’IVG, la fausse-couche, la grossesse et l’accouchement sont a priori pathologiques. Un frottis n’est pas un dépistage chez une patiente en bonne santé, mais un acte relatif à un cancer. La pose d’un stérilet n’est pas une façon d’améliorer la vie sexuelle de jeunes femmes pleines d’énergie, mais un risque de ne pas identifier une appendicite puisque les sages-femmes ignorent le contenu des utérus (sic). Un accouchement n’est pas l’action de mettre son enfant au monde, mais une « loterie » qui tue des mères et des bébés en quelques instants, les obstétriciens ignorant tout de la hiérarchie de risques et des signes précurseurs de complications.

Plus fondamentalement, les gynécologues considèrent qu’être une femme est, en soi, une maladie. Le titre de leur communiqué est révélateur puisqu’ils dénoncent les mesures gouvernementales qui « nuisent à la surveillance médicale des femmes ». Il ne s’agit donc pas de surveiller médicalement une pathologie, mais bien les femmes elles-mêmes.

Les faibles réactions des sages-femmes

Face à cette misogynie et ce mépris pour leur profession, les instances professionnelles des sages-femmes peinent à affirmer la spécificité de leur métier. Certes, chacune a publié un communiqué regrettant les propos de leurs confrères et rappelant la nécessaire collaboration entre les soignants. Néanmoins, la cacophonie régnant entre les sages-femmes hospitalières, les libérales et les accompagnantes d’accouchements à domicile, rend peu audible l’essence de leur profession auprès des femmes.

Les sages-femmes sont les gardiennes de la physiologie. Elles doivent se penser comme les alliées des femmes, en accompagnant par leur art et leur bienveillance toutes les étapes de la vie sexuelle et reproductive des femmes, depuis l’adolescence jusqu’à la ménopause. Ce sont elles qui comprennent qu’une adolescente souhaitant une contraception est en plein questionnement sur les prémices de sa vie sexuelle et affective. Ce sont elles qui recueillent sans jugement l’ambiguïté ou la détresse d’une femme demandant une IVG. Ce sont elles qui accompagnent dans la douleur une future mère qui vit une fausse-couche ou la naissance d’un bébé mort-né. Ce sont elles qui savent qu’un accouchement est une expérience extrême pour chaque femme, la renvoyant aux confins de son humanité, à la vie, à la mort, à ses aïeux, à son enfance, à son couple, à ses doutes, à ses fragilités, à son corps et à sa sexualité. Ce sont les sages-femmes qui comprennent qu’une femme n’est pas qu’un utérus, mais une personne à part entière, unique et au parcours de vie forcément exceptionnel. Ce sont elles qui, dans ce contexte de domination masculine, devraient donner aux femmes confiance en leurs capacités, et les encourager à se réapproprier leur puissance, leurs pouvoirs et leur liberté.

Malheureusement, bon nombre de sages-femmes s’envisagent d’abord comme des techniciennes, comme des « obstétriciennes light » se limitant à être les petites mains des institutions hospitalières. Elles tentent, de façon pathétique, de rassurer les gynécologues en reprenant à leur compte les discours de peur et de pathologie qu’ils projettent sur les femmes. Elles reproduisent, comme leurs confrères, les violences obstétricales inventées et pratiquées par les médecins au fil des siècles. Et, pire que tout, elles se montrent incapables de solidarité entre elles, notamment en pourchassant et excluant les sages-femmes aux services des mères souhaitant accoucher à domicile.

Entre les gynécologues obstétriciens qui considèrent les femmes comme leur chasse gardée et les sages-femmes incapables de se hisser à la hauteur de leur fonction, les femmes payent le prix fort de ce conflit entre les soignants.

Les futures mères subissent les risques d’une prise en charge défaillante en raison d’un défaut de collaboration entre sages-femmes et obstétriciens. Elles se voient priver de la liberté de mettre au monde leur enfant comme elles le souhaitent, en devant se conformer aux protocoles et diktats de professionnels défendant leurs propres intérêts. Elles sont contraintes de se soumettre sans broncher à la domination des soignants cherchant à se protéger les uns des autres.

Cette guerre séculaire qui oppose les médecins aux sages-femmes pourrait n’être qu’un conflit de corporations. Elle pourrait n’avoir que des conséquences limitées, si elle n’avait pas pour champ de bataille le corps des femmes.

[1] Lire notamment Silvia Federici, « Caliban et la Sorcière », Entremonde, 2014 ; Barbara Ehrenreich et Deirdre English, « Sorcières, sages-femmes et infirmières : une histoire de femmes et de la médecine », 1973, remue-ménage 2005.

Fête d’Inauguration de la bibliothèque infokiosque Corps et Politique Vendredi 10 juin 2016

 

inauguration

La bibliothèque-infokiosk « Corps et Politique » de Forcalquier ré-ouvre ses portes le vendredi 10 juin 2016 !

Féminisme – autonomie santé – critique sociale – naissance, éducation …

Ca y est, après un déménagement, des travaux, rangements et tri de livres, brochures et autres papiers empoussiérés, la bibliothèque « corps et politique » de l’Association Agate Armoise et Salamandre est enfin en mesure de vous recevoir dans ses nouveaux locaux au 13, rue des Cordeliers à Forcalquier !

(en-dessous de la crêperie en vieille ville)

Au menu:

Portes ouvertes à partir de 18 h, fermeture – on verra : pourquoi pas une sorte de Nuit debout féministe ?

Apéritif dinatoire (repas à prix libre)

Lecture de textes féministes et de critique sociale que vous aurez apportés et que vous avez envie de partager

D’autres interventions spontanées

Court-métrages à la tombée de la nuit sur la petite placette devant la bibliothèque

Petit marché de livres d’occasion

Apportez votre petite laine, vos textes, votre bonne humeur et votre rage !

Amitiés, les salamandres armoisées d’Agate

PS: si vous voulez nous aider en amont pour préparer tout ça, n’hésitez-pas à nous contacter – soit par mail, soit par tél: 06 18 56 28 09

10 films pour comprendre le « syndrome Trinity »

10 films pour comprendre le « syndrome Trinity »

 

trinity00Dans un article publié sur le site The Dissolve, Tasha Robinson utilise l’expression « Trinity Syndrome » pour désigner le trope consistant à introduire un personnage féminin particulièrement compétent et intéressant, pour finalement le réduire à la fonction de bras droit du héros masculin. Je propose ici de revenir sur ce trope en passant en revue 10 films qui me semblent particulièrement représentatifs des problèmes qu’il pose. Ce ne sont que des cas parmi d’autres que j’ai choisis en fonction de mes propres goûts. Il existe plein d’autres exemples de ce « syndrome », comme ceux que citent par exemple Tasha Robinson dans l’article que j’ai cité ou, en français, Mirion Malle dans l’excellente BD qu’elle consacre à cette question sur son excellent blog.

Pour lire cet article entièrement, c’est par ici!