Plus de trente ans après la Marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983 et dix ans après les révoltes des quartiers populaires, une manifestation initiée par des femmes a lieu samedi 31 octobre. Elle est soutenue par diverses associations et organismes.
Au départ, il y a le 8 mai 2015, au nom des nombreuses familles qui ont perdu aux mains de la police française un frère, un père, un mari, un compagnon, un fils, l’appel lancé par Amal Bentounsi à une Marche de la dignité et contre le racisme. Au départ, il y a les victimes, les familles des victimes, l’impunité de la police, et les promesses trahies de sévir face au contrôle au faciès et d’accorder le droit de vote aux étrangers. Au départ, il y a le sentiment profond, que rien ne vient malheureusement contredire, que sous la Ve République toutes les vies ne se valent pas.
En réponse, il y a la Marche de la «dignité» pour affirmer la dignité inhérente à tous et le refus d’être «une chose». Des femmes sont à l’origine de cet appel car nous connaissons les liens entre racisme et sexisme. Aucune de nous n’est dupe du rôle que l’Etat voudrait nous faire jouer en nous séparant de nos pères, frères et compagnons présentés comme violents, arriérés, sexistes. Il nous veut dociles et obéissantes, il veut faire de nous des auxiliaires de ses politiques de pacification. Mais, à la suite de nos aînées, esclaves, colonisées, migrantes, réfugiées, ouvrières, nous refusons ce marchandage. Notre émancipation ne se fera pas au prix d’une trahison.
Depuis des décennies, nous sommes témoins de politiques étatiques d’exclusion, de relégation, et de stigmatisation. Si nous ajoutons à ces chiffres les victimes tombées sous les coups des gendarmes, de la police ou de milices privées en Guadeloupe, en Martinique, à La Réunion, en Guyane, ou en Kanaky, si nous ajoutons les morts dans les lagons de Mayotte et les noyés en Méditerranée, le déni d’existence des communautés romani, si nous ajoutons le taux de chômage, les chapitres oubliés de l’histoire esclavagiste et coloniale dans les programmes scolaires, les représentations paternalistes ou racistes au cinéma, à la télévision, au théâtre, nous pouvons parler d’une politique d’Etat économique, culturelle et sociale racisée qui touche en premier une majorité des jeunes dans les terres dites «d’outre-mer» comme dans les quartiers populaires de l’Hexagone.
En 1956, Aimé Césaire publiait une lettre dans laquelle il écrivait à propos du «fraternalisme» des communistes français : «Car il s’agit bel et bien d’un frère, d’un grand frère qui, imbu de sa supériorité et sûr de son expérience, vous prend la main (d’une main hélas ! parfois rude) pour vous conduire sur la route où il sait se trouver la Raison et le Progrès. Or, c’est très exactement ce dont nous ne voulons pas. Ce dont nous ne voulons plus, et il ajoutait ce n’est pas volonté de se battre seul et dédain de toute alliance. C’est volonté de ne pas confondre alliance et subordination».
Pour nous, cette critique s’applique à toute la gauche française, et elle est toujours d’actualité. C’est encore trop souvent une subordination qui nous est proposée. On nous fait miroiter un futur au prix d’un renoncement à nous-mêmes. Or, nous entendons désormais déclarer notre indépendance, et renouer avec notre histoire et nos droits pour forger notre avenir en toute souveraineté.
«L’heure de nous-mêmes a sonné», disait Aimé Césaire. Nous savons que ce sera long et difficile, mais nous marchons en conscience sinon en présence avec nos sœurs et frères étudiants d’Afrique du Sud, nos sœurs et frères expulsés et maintenus dans la rue, nos sœurs et frères migrants et réfugiés, nos sœurs et frères de Palestine, des Etats-Unis, de Grèce, d’Espagne, de tous les pays où un nouveau vent se lève.