Un calendrier de l’histoire de l’humanité selon Eduardo Galeano

Trouvé surle site Global Voices:
Eduardo Galeano, l’un des écrivains les plus éminents d’Amérique Latine, est mort ce lundi. Il est l’auteur de Les Veines ouvertes de l’Amérique Latine, Mémoire du feu (trilogie), Miroirs et beaucoup d’autres titres. Son dernier livre Children of the Days: A Calendar of Human History (Enfants des jours: calendrier de l’histoire de l’humanité) vient d’être publié en anglais en livre de poche chez Nation Books et n’est pas encore traduit en français. A World of Violence: On Women Who Refused to Live in Silence and Be Consigned to Oblivion (Un monde de violence: à propos des femmes qui refusent de se taire et d’être condamnées à l’oubli) est un extrait du livre. Galeano a reçu de nombreux prix internationaux dont le premier Prix Lannan pour la Liberté de la Culture, l’American Book Award, et le Prix Casa de las Américas.

La chaussure

(15 janvier)

En 1919, Rosa Luxembourg, la révolutionnaire, a été assassinée à Berlin.

Ses assassins l’ont matraquée à mort à coups de crosses de fusil et l’ont ensuite jetée dans les eaux d’un canal.

En chemin, elle a perdu une chaussure.

Une main inconnue a ramassé cette chaussure tombée dans la boue

Rosa aspirait à un monde où la justice ne serait pas sacrifiée au nom de la liberté, pas plus que la liberté au nom de la justice.

Chaque jour, une main inconnue relève le flambeau.

Tombé dans la boue, comme la chaussure.

La fête ratée

(17 février)

Les ouvriers agricoles qui travaillaient sur les fermes de Patagonie en Argentine se sont mis en grève pour protester contre des salaires de misère et des journées de travail sans fin. L’armée a chargé pour rétablir l’ordre.

Les exécutions sont exténuantes. En cette nuit de 1922, les soldats épuisés par la tuerie sont allés au bordel du port de San Juliàn pour une récompense bien méritée.

Mais les cinq femmes qui travaillaient là leur ont fermé la porte au nez et les ont chassés aux cris de “Assassins! assassins, dehors!”

Osvaldo Bayer a noté leurs noms. Il s’agit de Consuelo García, Ángela Fortunato, Amalia Rodríguez, María Juliache, et Maud Foster.

Les putains vertueuses.

Femmes sacrilèges

(9 juin)

En 1901, Elisa Sánchez et Marcela Gracia se sont mariées à l’église Saint-Georges de la Corogne en Galice.

Elisa et Marcela s’aimaient en secret. Pour faire les choses dans les règles, avec une cérémonie, un prêtre, une autorisation et des photos, il a fallu inventer un mari. Elisa est devenue Mario: elle s’est coupé les cheveux, s’est habillée en homme et a déguisé sa voix.

Quand l’histoire a été dévoilée au grand jour, dans toute l’Espagne les journaux ont juré leurs grands dieux – “c’est un scandale écœurant, d’une immoralité sans nom” – et ont profité de cette occasion lamentable pour faire des records de ventes de leurs journaux, pendant que l’Église, trompée dans sa bonne foi, dénonçait le sacrilège à la police.

Et la cavale a commencé.

Elisa et Marcela ont fui au Portugal.

Elles ont été rattrapées à Porto et emprisonnées.

Le droit au courage

(13 août)

En 1816, le gouvernement de Buenos Aires a promu Juana Azurduy au rang de lieutenant colonel “en raison de ses efforts dignes d’un homme”.

Elle a mené la guérilla qui a pris Cerro Potosí aux espagnols durant la guerre d’indépendance.

La guerre était une affaire d’hommes et les femmes n’avaient pas le droit d’y participer, mais les officiers masculins ne pouvaient pas s’empêcher d’admirer “le courage viril de cette femme”.

Après des milliers de kilomètres à cheval, après la mort de son mari et de 5 de ses 6 enfants à la guerre, Juana s’est éteinte. Elle est morte dans la pauvreté, pauvre parmi les pauvres, et elle a été enterrée dans une fosse commune.

Près de deux siècles plus tard, le gouvernement argentin, mené par une femme, l’a promue au rang de général, “en hommage à son courage de femme”.

Les femmes qui ont libéré le Mexique

(17 septembre)

Les fêtes du centenaire se terminent et toutes ces bêtises éclatantes sont balayées.

C’est là que commence la révolution.

L’histoire se souvient des chefs révolutionnaires comme Zapata, Vila et bien d’autres hommes. Les femmes, qui se sont tues, sont tombées dans l’oubli.

Quelques combattantes ont refusé de disparaître:

Juana Ramona, “la Tigresse,” qui a pris d’assaut plusieurs villes;

Carmen Vélez, “la Générale”, qui commandait 300 hommes;

Ángela Jiménez, pour qui la dynamite n’avait pas de secrets, s’est fait appeler Angel Jiménez;

Encarnación Mares,qui a coupé ses tresses et est devenue sous-lieutemant en se cachant derrière les bords de son grand sombrero, “pour que l’on ne voit pas ses yeux de femme”;

Amelia Robles, qui est devenue Amelio et qui a atteint de grade de colonel;

Petra Ruiz, qui est devenue Pedro et qui a tiré plus que quiconque pour forcer l’ouverture des portes de Mexico;

Rosa Bobadilla, une femme qui a refusé de devenir un homme et a participé à plus d’une centaine de batailles;

et María Quinteras,qui avait fait un pacte avec le diable et qui n’a pas perdu une seule bataille. Les hommes, dont son mari, obéissaient à ses ordres.

La mère des femmes journalistes

(14 novembre)

Un matin de 1889, Nellie Bly s’est mise en route.

Jules Verne ne croyait pas que cette jolie petite femme était capable de faire le tour du globe toute seule en moins de 80 jours.

Mais Nellie a embrassé le monde en 72 jours, et tout au long de son périple, elle a publié article sur article pour raconter ce qu’elle entendait et ce qu’elle voyait.

Ce n’était pas le premier exploit de la jeune reporter et ce ne serait pas le dernier.

Pour écrire sur le Mexique, elle est devenue si Mexicaine que le gouvernement mexicain naissant l’a déportée.

Pour écrire sur les usines, elle a travaillé à la chaîne.

Pour écrire sur les prisons, elle s’est fait arrêtée pour vol.

Pour écrire sur les asiles d’aliénés, elle a si bien feint la folie que les médecins l’ont internée. Ensuite elle a dénoncé les traitements psychiatriques qu’elle a subis et qui sont une raison suffisante pour vous rendre fou.

À Pittsburgh, quand Nellie avait vingt ans, le journalisme était une affaire d’hommes.

C’est à cette époque qu’elle a eu l’insolence de publier ses premiers articles.

Trente ans plus tard, elle a publié son dernier, en échappant aux balles en première ligne de la 1ère guerre mondiale.

Mais ils en ont réchappé. Ils ont changé de nom et pris la mer.

Journée Internationale pour l’Élimination de la Violence contre les Femmes

(25 novembre)

Dans la jungle de la Paranà supérieure, les plus beaux papillons survivent en se montrant. Ils étalent leurs ailes noires rehaussées de taches rouges ou jaunes, et volètent de fleur en fleur sans la moindre crainte. Après des milliers et des milliers d’années, leurs ennemis ont appris que ces papillons sont venimeux. Les araignées, les guêpes, les lézards, les mouches et les chauve-souris les admirent à distance.

En cette journée de 1960 trois activistes opposées au dictateur Trujillo en République Dominicaine ont été battues et jetées d’une falaise. Il s’agit des sœurs Mirabal. Elles étaient très belles et on les appelait Las Mariposas, “Les papillons”.

En leur mémoire, en souvenir de leur indicible beauté, ce jour est la Journée Internationale pour l’Élimination de la Violence contre les Femmes. En d’autres termes pour l’élimination de la violence perpétrée par les petits Trujillos qui font la loi dans tant de foyers.

L’art de vivre

(9 décembre)

En 1986, le Prix Nobel de Médecine a été attribué à Rita Levi-Montalcini.

Pendant une époque troublée, sous la dictature de Mussolini, Rita a secrètement étudié les fibres nerveuses dans un laboratoire de fortune caché chez elle.

Des années plus tard, après un travail énorme, cette détective des mystères de la vie a découvert la protéine qui multiplie les cellules humaines, ce qui lui a valu le Prix Nobel.

Elle avait près de 80 ans quand elle a dit “Mon corps est ridé, mais pas mon cerveau. Quand je ne pourrai plus penser, tout ce que je demande c’est que l’on m’aide à mourir dans la dignité”.

Cet article est paru sur TomDispatch. Mark Fried a traduit en anglais sept livres d’Eduardo Galeano, dont Les Enfants des Jours. Il a également traduit, parmi tant d’autres, Luciole de Severo Sarduy. Il vit à Ottawa, Canada.
Écrit par NACLA. Traduit par Marie André

La militante palestinienne Khalda Jarrar a été arrêtée !

khalida_jarrar_02042015Nous relayons ce communiqué du Collectif Coup Pour Coup 31 (via Quartiers libres):

Très tôt ce matin, jeudi 2 Avril, plus de 60 soldats de l’occupation israéliennes ont attaqué la maison de la parlementaire palestinienne Khalida Jarrar, une dirigeante de la gauche palestinienne et féministe. Elle a été brutalement arrêtée, l’armée est rentrée chez elle à coups de pied dans la porte d’entrée et tenant son mari dans une chambre séparée.

Dirigeante du Front Populaire pour la Libération de la Palestine (FPLP), Khalida Jarrar a résisté à la volonté de l’armée d’occupation de l’expulser de Ramallah à Jéricho pour six mois en septembre 2014.

Qui est Khalida?

Khalida est une avocate palestinienne, spécialisée dans la défense des prisonniers palestiniens au sein du réseau Addamer. Elle préside le Comité du Conseil législatif palestinien des Prisonniers. Elle est également active dans le mouvement des femmes palestiniennes, une voix féministe de premier plan pour la défense des droits des femmes.

Depuis 1998, elle est interdite de voyager à l’extérieur de la Palestine occupée; en 2010, alors qu’elle avait besoin d’un traitement médical en Jordanie, elle a lutté pendant des mois dans une campagne publique avant de finalement recevoir son traitement.

En août septembre 2014, une campagne internationale en soutien à Khalida Jarrar fut lancée, exigeant l’annulation de « l’ordonnance de surveillance spéciale » et de son transfert forcé de Ramallah à Jéricho. Jarrar a refusé l’expulsion à Jéricho. Au lieu de cela, elle a mis en place une tente de protestation dans la cour du Conseil législatif palestinien à Ramallah, où elle a vécu et travaillé jusqu’à ce que l’ordonnance fût levée le 16 Septembre, 2014. « C’est l’occupation qui doit quitter notre patrie », a déclaré Jarrar. La tente a été visitée par de nombreuses délégations palestiniennes et internationales, y compris les membres internationaux du Parlement.

Aujourd’hui, Il y a 18 membres du Conseil législatif palestinien élu emprisonnés par Israël, 9 en détention administrative sans procès ou sans charge. Les membres du CLP ont été à plusieurs reprises et systématiquement ciblé par les forces d’occupation israéliennes.

La campagne Khalida Jarrar solidarité est réactivée pour exiger sa libération immédiate.

Libérez Khalida Jarrar !

Palestine vivra, palestine vaincra !

Des féministes contre la loi de 2004 sur le voile à l’école

Ok, elle s’appelle « loi contre le port des signes religieux dans les établissements scolaires ». Tout le monde comprend: contre le voile – ou comment l’État français a légitimé l’islamophobie. Des féministes lancent aujourd’hui une pétition pour l’abrogation de cette loi. Corps et politique ne peut que s’y associer! Voici le texte, et le lien vers le site ou signer en ligne.

Nous sommes féministes, nous défendons tous les jours les droits des femmes, et nous pensons qu’il faut abroger la loi de 2004 contre le port des signes religieux dans les établissements scolaires.

La question n’est pas de savoir ce que les féministes que nous sommes pensent de la religion en général, ou de l’Islam en particulier, quel sens symbolique ou politique nous donnons au port du foulard islamique, qu’il soit volontaire ou imposé. La question, c’est qu’encore une fois on relègue les femmes au statut de victime, et qu’on propose de les exclure pour mieux les libérer. Encore une fois le corps des femmes est un champ de bataille, une ligne de front sur laquelle s’affrontent des idéologues au nom de leur libération. Et c’est aux filles et aux femmes musulmanes que la France demande de payer le prix de la laïcité. Aujourd’hui, dix ans après le vote de cette loi, qu’a-t-on gagné ? Combien de discriminations et de violences ont été commises en son nom ? Des femmes voilées ont été agressées. Des mères ont été discriminées. A ce prix, la France est-elle devenue plus laïque ? Non. Le port du voile a-t-il régressé, comme les promoteurs de cette loi l’espéraient ? Non. Des filles ont été exclues de l’école. Les camps se sont durcis. La violence contre les femmes a augmenté.

Nous sommes féministes et nous croyons que sommer des filles de dix ans de choisir un camp entre famille et école, entre la religion et la laïcité forcée, n’est pas la solution dont ces filles ont besoin pour s’émanciper. « Ne me libérez pas, je m’en charge » ! dit un vieux slogan féministe. Car ce n’est pas comme ça qu’on libère, c’est comme ça au contraire qu’on contribue à aliéner ceux qu’on prétend libérer. Le corps des femmes n’appartient à personne, pas plus à ceux qui veulent lui imposer le voile qu’à ceux qui veulent le lui retirer de force. Ce n’est pas en arrachant le voile d’une écolière ou en la chassant de l’école publique qu’on fera reculer le sexisme, bien au contraire.

Laissons les filles tranquilles ! Laissons-les réfléchir et discuter ensemble des voies et moyens de leurs propre libération, qu’il s’agisse de se libérer de la norme sexiste, du dogme hétérosexuel ou des interdits religieux, de la symbolique de tel fichu ou de tel chiffon, de la morale et du sacré, des injonctions à montrer ou cacher son corps et ses désirs. Et quoi de mieux pour cela que les bancs et la cour d’une école ?

L’école ne peut pas tout faire, mais elle est le lieu d’émancipation par excellence, parce que chacun peut en principe y accéder à un corpus commun de savoirs, quelle que soit la culture religieuse dans laquelle il ou elle a grandi. C’est là en principe que l’on découvre l’autre, les autres, et qu’on façonne à leur contact sa propre identité. On y apprend que les uns sont athées, les autres pratiquants, les unes juives, catholiques, protestantes, hindoues, les autres musulmanes, les unes hétéros, les autres homosexuelles, filles, garçons ou trans, les uns d’une couleur, les autres d’une autre. Le rôle de l’école laïque est d’accueillir chacun et chacune avec ses différences, ses hontes et ses fiertés, ses secrets de famille, ses croyances et ses doutes. Le rôle de l’école laïque est de veiller à ce que toutes les souffrances puissent s’exprimer sans crainte, et non de préjuger de qui doit être libéré. Le rôle de l’école laïque est de faire preuve de bienveillance et d’ouverture, pas d’imposer d’en haut des valeurs qui n’auraient d’universelles que le nom, puisqu’elles se fonderaient sur l’exclusion.

Faut-il le rappeler ? Depuis 1905 et jusqu’au vote en 2004 de la loi contre le port des signes religieux dans les écoles, l’obligation de neutralité religieuse n’incombait qu’à l’État et à ses fonctionnaires, pas à ses citoyens. Aujourd’hui, en France, la laïcité prend trop souvent la forme d’une religion d’État au service de l’exclusion des filles et des minorités. Si c’est cette laïcité dogmatique – sacralisée – qui doit être inculquée demain aux enfants de France, ce ne sera pas en notre nom. Nous sommes féministes. Nous demandons le retrait de la loi qui interdit le port des signes religieux dans les établissements scolaires.

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