#Balancetonporc, #Metoo : ne pas en rester là

Est-ce d’une loi dont nous avons vraiment besoin ?

paru dans lundimatin#121, le 6 novembre 2017

Depuis les accusations d’agressions sexuelles et de harcèlements contre le producteur américain Harvey Weinstein, de très nombreuses femmes ont pris la parole pour dénoncer, et raconter, les expériences auxquelles elles sont confrontées quotidiennement. A cette occasion, une loi visant à pénaliser le harcèlement de rue portée par la secrétaire d’État Marlène Schiappa est remise au goût du jour et devrait être adoptée au premier semestre 2018. Qu’attendre du droit et d’une nouvelle loi ? Une lectrice de lundimatin répond : rien.

Il fallait parler. Trop de choses ont été tues, depuis trop longtemps. Une goutte fait déborder le vase : la dénonciation d’un producteur par une actrice, puis dix, puis vingt. Il fallait que l’on se dise que le harcèlement et le viol ne sont pas l’apanage des hautes sphères de la culture, mais sont le lot quotidien de milliers de femmes. Parler à la première personne, dire je, notamment faire fermer leur clapet à celles et ceux qui font du beurre sur les descriptions objectives de la situation. Qui veulent toujours dire ce que sont les femmes, ce qu’elles subissent ou ce qu’elle devraient faire. Qui parlent toujours au nom de toutes les femmes, alors qu’ils/elles sont incapables de parler d’eux/elles-même. Dire je et se rendre compte, rendre visible, que ce qui est le plus intime, le plus caché, est aussi ce que nous avons en partage. J’appelle cela : commencer la politique. Parce que le fait de ne pas s’en tenir au discours officiel, mais commencer en regardant ce que ça nous fait à nous, dans nos corps, dans nos chairs, et le mettre en partage, c’est commencer à faire de la politique. Se refléter, se reconnaître dans le récit d’une amie, d’une inconnue. Se découvrir soi-même à travers le miroir fidèle de sa semblable. Et comprendre que l’on n’est pas toute seule : c’est commencer à faire de la politique. Je n’ai pas lu de revendications particulières, pas de grand discours surplombant qui prétende englober toutes les femmes : je n’ai lu que des récits d’expérience. Et cette multitudes de « je » forme comme le début d’un récit collectif qui n’a pas besoin de se rendre homogène pour exister. Dire « je », ce n’est pas en rester à son histoire particulière, c’est aussi participer à construire une histoire qui nous dépasse.

Et une fois la parole prise, je n’ai pas le sentiment d’en avoir fini. Je n’ai pas envie que cette histoire s’arrête ici. Que nous prenions conscience de nous-même, et que nous rentrions ensuite à la maison. J’en veux davantage. Parce que si nous en restons là, que fera-t-on de notre parole ? Qu’en restera-t-il ?

Ne pas en rester là, parce que pointer un problème sans réfléchir à des solutions pour le résoudre ne me renforce pas. Je ne veux pas que l’on m’accole le statut de victime, de sexe faible, à protéger. Si ce récit s’arrête ici, il est possible que cette libération de la parole nous fragilise, parce qu’il ne suffit pas d’être conscientes de la réalité des violences faites aux femmes mais bien se donner les moyens de lutter contre. Me laisser enfermer dans le rôle de la victime, c’est laisser s’instaurer une médiation entre mon corps et la violence. C’est me déposséder de ma capacité d’agir. C’est encore demander protection à l’homme, parce que les femmes ne seraient pas capables de violence, seraient incapables de répondre à ceux qui les humilient. Ou même ne seraient pas capables d’imaginer d’autres types de réponse que la violence.

Lorsque l’on entend que la ministre de l’égalité entre les sexes veut faire une loi contre le harcèlement de rue, il y a des questions à se poser. Que ce projet de loi précède Me too n’est pas le problème, la ministre se sert désormais de cela pour appuyer une loi qui semble d’ailleurs plaire à tout le monde. Mais est-ce une loi dont nous avons vraiment besoin ?

La loi pose le débat en deux termes : soit on est contre, et alors nous sommes pour la poursuite des violences ; soit nous sommes pour, et l’on est pour le progrès. Où se trouve ma liberté dans cette dualité posée par la prétendue neutralité juridique ? Et que ferait-on alors des femmes qui, refusant de passer par la loi, trouveraient plus sensé de faire justice à partir d’elles-mêmes ? Dans ce cas, il est certain que la loi en faveur des femmes se retournerait contre elles, parce qu’une fois la loi promulguée, les femmes n’auraient alors aucune légitimité à se défendre autrement.

Lorsque l’état et la justice parlent des problèmes liés aux femmes, ils ne peuvent s’empêcher d’en faire un bloc opprimé et homogène. Ils ne peuvent pas voir que les expériences différentes des vécus féminins ne demandent pas forcement à être prises en charge par leur soin. Qu’il est possible que certaines choses ne les regardent pas. Lorsque ceux-ci parlent de « nous » protéger, j’entends tout de suite qu’il s’agit de me dépolitiser. Que la réalité du harcèlement soit mise au même plan que le crachat de rue, c’est faire d’un problème politique une simple question d’éducation. Alors que les rapports de pouvoir les plus crasses se révèlent jusque dans les plus hautes sphères, on nous parlera bientôt d’une vaste opération de morale publique qui ne remettra absolument rien en cause. Et qui n’aura par conséquent rien de politique. Est-ce pour faire de nos mots et de nos corps le terrain d’une telle opération que nous avons écrit ?

Et de même : lorsque je vois, que j’écoute, certaines femmes qui se sont faites mes porte-paroles sans mon assentiment, je me demande pour qui elles se prennent. Pour qui elles se prennent à usurper mon je, mon expérience, pour en faire un projet dans lequel je ne me reconnais pas. Je me sens presque plus de sympathie pour celles qui disent s’en foutre du harcèlement, qui considèrent qu’elles ont bien d’autres problèmes, ou même pour ces femmes qui se taisent, râlent dans leur coin, plutôt que pour celles qui demandent des caméras de surveillance dans les rues. Et bien plus encore que pour celles qui se lamentent de ne pas pouvoir se balader tranquillement à la Chapelle. Il y a ici toute la différence entre une politique sensible, qui part de soi ; et une autre, abstraite, qui n’entend rien d’autre que le discours sur « la condition féminine ».

S’il fallait parler, ce n’était donc sûrement pas pour se plaindre, mais au contraire, pour commencer à sentir qu’une force était en train de naître, qu’elle continue de croître au moment ou je vous parle. Je pense que cette force ne doit pas se jeter dans les bras de la loi et de la police, mais qu’elle doit être le point de départ d’une liberté qu’il s’agit encore de découvrir et qui ne nous sera donnée par personne d’autre que par nous-mêmes.

Au-delà du Mirena : que nous apprennent les polémiques récentes sur la gynécologie-obstétrique ?

NB: Nous avons choisi de mettre le terme patiente au féminin pour ce texte. Les hommes trans consultent aussi en gynécologie et font face à de nombreux problèmes, qui relèvent surtout de la transphobie plutôt que du sexisme. Nous préférons pour ce sujet laisser la parole aux associations concernées (par exemple, ici ou ).

 

Ces dernières années, les polémiques en gynécologie se multiplient :  touchers vaginaux sans consentement sur des patientes sous anesthésie générale, épisiotomies sans explication, pilules de troisième génération, refus de poser des DIU (dispositifs intra-utérins) à des femmes sous prétexte de nulliparité, effets secondaires du Mirena (DIU hormonal), expression abdominale lors des accouchements… Pour chacune d’elles, nous nous réjouissons que la parole des patientes soit relayée dans les médias et enfin entendue. Dans le même temps, nous déplorons les réactions des représentant·e·s du corps médical et le traitement médiatique de ces polémiques successives, qui empêchent d’examiner sérieusement les enjeux soulevés.

Information et respect du consentement

Au cœur des revendications des patientes, nous identifions un problème profond et récurrent : le manque d’informations données et le défaut de recueil et de respect du consentement (ou du refus !).

Concernant le DIU hormonal Mirena, par exemple, nous assistons à une mobilisation des patientes pour la reconnaissance de ses effets secondaires : baisse de libido, céphalées, douleurs abdomino-pelviennes… Ces effets indésirables sont pourtant déjà identifiés et bien connus par les professionnel·le·s de santé. Ils sont d’ailleurs indiqués dans la notice du dispositif. Pourquoi n’ont-ils pas été présentés lors de la prescription et de la pose du dispositif ? Pourquoi les patientes évoquant ces manifestations se voient-elles ignorées, voire moquées par leurs consultant·e·s ? Il en est de même pour les pilules de troisième génération et de manière générale pour toutes les contraceptions hormonales, qui comme tout traitement, peuvent présenter des effets indésirables, variables selon les individus. Nous constatons donc que beaucoup trop souvent, les informations données au préalable par les soignant·e·s en matière de contraception sont insuffisantes et ne permettent en aucun cas aux patientes de faire un choix éclairé. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise contraception mais seulement une bonne ou une mauvaise information !

Il n’est pas étonnant de constater que les femmes, que la médecine considère comme incompétentes pour choisir leur contraception, sont traitées avec le même mépris en ce qui concerne les actes réalisés sur leurs corps au cours d’un accouchement. Sous prétexte d’urgence vitale, ou d’un « état » particulier de la femme lors de l’accouchement, des médecins ou sages-femmes se dispensent de prévenir, d’expliquer et de s’assurer du consentement de leurs patientes pour pratiquer des gestes, parfois justifiés, parfois très discutables médicalement et scientifiquement, tels que des épisiotomies ou des expressions abdominales.

Cette infantilisation des patientes mène à leur déshumanisation, comme par exemple lors de la pratique des touchers vaginaux sous anesthésie générale, sans consentement de la patiente, sous couvert d’enseignement aux étudiant·e·s.

Les réponses-types du corps médical

Face à ces témoignages, les réponses du corps médical (syndicats de professionnel·le·s, collèges de spécialistes médicaux, personnalités médicales médiatiques) sont trop souvent indignes : négation de l’existence des mauvaises pratiques, distinction entre de bons et de mauvais médecins, ou encore injonction à changer de professionnel·le de santé.

Nier l’existence des mauvaises pratiques ou en minimiser l’étendue est d’abord une négation de la parole des patientes. On peut probablement l’expliquer par un classique réflexe corporatiste mais aussi parfois à une difficulté à se remettre en question : «je le fais très peu», « moi quand je le fais c’est vraiment justifié », « je le fais bien parce que moi je suis vraiment bienveillant·e »… Mais l’intention compte peu : pour les patientes qui ont été maltraitées, le résultat est le même.

D’autres justifications s’appuient sur les faiblesses du système de soin : manque de personnel, manque de temps, vision comptable actuelle de la médecine. Si elles sont plus légitimes, elles freinent tout de même une remise en question.

Une autre façon encore de se dédouaner est de montrer du doigt les fameuses brebis galeuses : « Il suffit de changer de médecin madame ! ». Ainsi les pratiques maltraitantes ne seraient que le fait de certain·e·s professionnel·le·s incompétent·e·s et mal intentionné·e·s. Une, deux, trois brebis galeuses, un troupeau, deux troupeaux…on pourrait se dire qu’à ce niveau-là c’est de l’élevage intensif.

Examinons l’injonction à « changer de médecin », dans le cas de l’expression abdominale. On peut se représenter la scène suivante : une femme enceinte, en plein travail, voit son médecin ou sa sage-femme s’apprêter à pratiquer une expression abdominale (pratique dont l’HAS réclame l’abandon depuis 2007) – en admettant qu’elle sache ce dont il s’agit -, que devrait-elle faire ? S’enfuir de la salle d’accouchement, appeler la police, une ambulance et exiger de changer de maternité immédiatement ? On voit bien l’absurdité d’un tel conseil. Dans une situation moins « pressante », elle reste inopérante. Comment changer de médecin quand on habite une zone sous-dotée et qu’il a fallu déjà parcourir plusieurs dizaines de kilomètres pour trouver un·e gynécologue ? Qui a les moyens financiers et le temps de multiplier les consultations avant de choisir son praticien ? En quoi changer de médecin règlerait le problème quand la pratique qu’on fuit est généralisée ?

Ce n’est pas aux patientes de changer de médecin mais aux médecins de changer leurs pratiques.

Transmissions de mauvaises pratiques

Ces attitudes sont transmises au cours de l’enseignement, ce qui participe à perpétuer les mauvaises pratiques.

Côté théorie, on apprend par exemple à la faculté de médecine l’adage « toute femme en âge de procréer est enceinte jusqu’à preuve du contraire » et ce, quels que soit ses dires (c’est même un classique des questions lors des examens écrits). Cela équivaut en réalité à apprendre que la parole des patientes ne vaut rien.

Côté pratique, l’apprentissage de la médecine se fait beaucoup par compagnonnage, c’est-à-dire par l’exemple de ses maîtres de stage. Même sans l’expliciter, on reproduit les comportements de ses pairs : la façon dont les enseignant·e·s parlent des patientes, la façon dont ils abordent les questions du choix notamment en matière de contraception, la façon dont ils recueillent le consentement (à commencer par le consentement à être examiné en présence de ou par un·e étudiant·e) a autant voire plus d’influence sur l’exercice futur de l’étudiant·e que la théorie enseignée dans les livres ou à l’école.

L’enseignement théorique peut parfois être plein de bonnes intentions : en tant qu’étudiant·e en médecine on apprend d’ailleurs bêtement par cœur les formules « information claire et loyale », « consentement libre et éclairé ». Mais si, dans les stages, les praticien·ne·s n’appliquent pas ces principes, ces mots et ce qu’ils impliquent ne seront jamais compris.

Il faut souligner également que même si un·e étudiant·e le voulait, il est très difficile de questionner des mauvaises pratiques face à des soignant·e·s « seniors » lors d’un stage.

Les soignant·e·s font obstacle à une remise en cause individuelle et collective de la part du corps médical, indispensable à une médecine de qualité. Accepter que le sexisme est systémique, c’est accepter que l’on puisse être soi-même sexiste. Il en va de même pour l’exercice du pouvoir médical : accepter que le système médical est maltraitant de par son organisation, son fonctionnement, sa pratique… c’est devoir accepter que l’on puisse nous-même être maltraitant. Les femmes se retrouvent victimes à double-titre : des violences sexistes et des violences médicales, qui prennent donc une forme particulière à leur encontre.

Désinformation et dérives

Ce que nous montrent aussi ces polémiques, c’est qu’à force de décrédibiliser la parole des patientes, on laisse la porte ouverte à (tous les vents de) la désinformation et la récupération des revendications. Parmi ceux qui ont intérêt à ce que les femmes se méfient de leur médecin, on retrouve par exemple des mouvements réactionnaires (anti IVG, anti contraception,…) (même si ces mouvements sont également présents au sein même du corps médical) et des adeptes de la théorie du complot et autres confusionnistes…

Entre les gynécologues et le corps médical en général, sourds à la détresse des femmes et qui appellent avec indécence à cesser le « gynéco bashing », et les discours anxiogènes qui frôlent la désinformation sur la pilule et les contraceptions hormonales, nous craignons un recul des droits reproductifs des femmes. En effet, à l’arrivée ce sont les femmes qui sont perdantes, l’accès à une information juste et fiable devenant de plus en plus difficile.

 

Nous militons pour le consentement libre et éclairé des patientes après information juste, claire et loyale, comme préalable à tout soin, tel qu’il est stipulé dans la loi.

Nous voulons qu’il soit appliqué dans la réalité, ce qui implique de le mettre au cœur de l’enseignement pratique, pas seulement en théorie.

Nous militons pour que les femmes soient maîtresses de leurs corps et de leurs choix en matière de santé.

Nous pensons que les soignant·e·s devraient savoir se remettre en question pour soutenir leurs patientes dans cette lutte : reconnaître quand ils ont des pratiques maltraitantes voire violentes (même pour celles et ceux dont l’intention est bonne ! ) et améliorer leur exercice.

Nous militons pour que la médecine de demain prenne en compte les schémas d’oppression de l’ensemble de la société (tels que par exemple le sexisme, le racisme, le classisme…). Ceux-ci n’épargnent pas le domaine du soin et sont même favorisés par le pouvoir exercé par les professionnel·le·s de santé sur leurs patientes à travers un savoir considéré comme asymétrique et une culture soignante paternaliste.

De la belle théorie à une pratique effective

Manifeste à destination des hommes alliés

par Ndella Paye 4 novembre 2017 (trouvé sur le site Les mots sont importants)

Depuis quelques jours circulent sur les réseaux sociaux différents hashtags pour dénoncer les violences que subissent les femmes au quotidien. L’idée étant que les personnes ayant vécu une situation de harcèlement et/ou d’agression sexuelle puissent en témoigner, si elles le veulent bien.

L’ampleur des agressions contre les femmes qu’a révélée le hashtag #MoiAussi ou #MeToo n’a laissé personne indifférent. C’est le cas de le dire.

Ces hashtags ont eu le mérite d’avoir libéré la parole, parole qui a mis mal à l’aise un nombre incalculable d’hommes, et même de femmes, y compris des victimes de violences.

Précision de taille : #MeToo fut à la base une campagne lancée par la militante noire américaine Tarana Burke, fondatrice de Just Be Inc, une association à destination de la jeunesse. L’objectif pour cette activiste était de rassembler les personnes victimes de violences sexuelles, notamment les personnes issues des minorités.

Pour Burke, la campagne n’a pas été construite dans le but d’être virale ou de lancer un hashtag populaire une journée mais oublié dès le lendemain. C’est un slogan à se passer de survivante en survivante, pour montrer aux gens qu’ils ne sont pas seuls et qu’un mouvement de la sorte est possible.

Il était important de le préciser pour rendre à César ce qui lui appartient.

Le hashtag, quant à lui, a eu pour objectif de permettre aux femmes qui le souhaitaient de pouvoir reprendre la parole et mettre des mots sur les différentes agressions (harcèlement, gestes déplacés, viol, violences physiques, verbales…) subies. Et pour celles qui veulent aller plus loin, de témoigner de la nature de la violence.

Quelques jours auparavant, il y eut le hashtag #BalanceTonPorc qui, de la même manière, permettait aux femmes de dénoncer leur agresseur si elles le souhaitaient.

Tous ces hashtags ont eu un réel succès, mais ont été largement critiqués et attaqués. On a vu ressortir des #NotAllMen (tous les hommes ne sont pas des agresseurs), et des femmes (elles-mêmes parfois, victimes de violences) dénoncer les dénonciations. Nous avons pu constater de nombreuses tentatives de réduction au silence des femmes qui souhaitaient s’exprimer car leur parole mettait mal à l’aise une société patriarcale aux relents sexistes et misogynes. D’autres l’ont même pris pour une injonction à parler et à dénoncer.

Il faut croire qu’il y en a qui découvrent ou feignent de découvrir l’ampleur des dégâts et leurs conséquences sur les femmes.

« Il faut aller porter plainte ! » crient certain.e.s, faisant comme si les policiers qui prennent les plaintes accueillaient comme il se doit les femmes victimes d’agressions, comme si la justice faisait bien son travail et enfin comme si témoigner et porter plainte ne pouvaient aller ensemble.

Nous avons vu également des hommes, alliés des femmes, se soulever contre les différentes tentatives de réduire au silence celles qui avaient décidé de témoigner et c’est à ceux-là que je m’adresse. Ceux qui au quotidien, en tout cas dans le discours, se mettent du côté des femmes dans leur quête de justice et leur combat pour une société plus égalitaire, plus sûre et sans violence aucune.

Ce qui leur est demandé maintenant, c’est de passer de la belle parole aux actes concrets pour accompagner, voire accélérer, le changement en train de s’opérer.

L’idée est très simple, il s’agit de mettre leurs pratiques en stricte conformité avec leurs théories, tout de suite.

La question est : combien de vos privilèges êtes-vous prêts à perdre, messieurs, pour un monde plus égalitaire, au-delà de vos vœux pieux ?

➢ Êtes-vous prêts, par exemple, à inviter votre collègue femme tous les midis pour corriger l’écart de salaire entre vous ? C’est une vraie et très sérieuse question. Les lois ne suffisent apparemment pas pour corriger les inégalités et enrailler les injustices. Vous êtes favorisés, que vous le vouliez ou non. En attendant que les salaires des femmes augmentent pour atteindre les vôtres, à travail et compétences égaux, c’est à vous de fournir des efforts. Et comme c’est vous qui détenez le pouvoir, cela accélérera certainement les choses.

➢ Pour ceux qui sont en position hiérarchique de pouvoir dans les entreprises, êtes-vous prêts à briser le plafond de verre ? Il s’agit de ne pas pénaliser les femmes dans leur accession au pouvoir à cause de leur maternité par exemple.

De dénoncer, en sanctionnant systématiquement les blagues sexistes, tous types de harcèlement, tous gestes et/ou paroles déplacés ? Cela sous-entend, évidemment, que vous n’en seriez jamais les auteurs.

Même sans occuper une place de pouvoir dans l’entreprise, vous devrez être du côté des femmes quand elles subissent les méfaits de leurs collègues mâles, vos semblables, en les soutenant, en dénonçant leurs auteurs pour que la peur et la honte changent enfin de camp.

➢ Pour les chercheurs, conférenciers, et intervenants en tous genres, êtes-vous prêts à laisser votre place à une collègue si le panel auquel vous êtes invités n’est pas paritaire ? (Vous aurez établi, au préalable, une liste de collègues femmes que vous proposerez pour vous remplacer). Vous refuserez de parler, à la place des femmes, de sujets ne vous concernant pas. Vous n’avez que trop pris la parole et n’occupez que trop l’espace public.

➢ Pour ceux qui sont en couple hétérosexuel, êtes-vous prêts à veiller, réellement, à ce que les tâches soient équitablement partagées à la maison ? À ce que la charge mentale ne repose plus exclusivement sur votre partenaire ? Et quand vous faites votre part de boulot, please, n’attendez ni n’exigez pas de remerciements, ni même une quelconque reconnaissance. Les femmes le font depuis trop longtemps sans aucune forme de reconnaissance ; pire, les tâches qu’elles effectuent sont dépréciées.

Nous ne sommes pas nées en sachant cuisiner, faire le ménage et nous occuper de la progéniture que nous concevons ensemble. C’est loin d’être naturel. Nous avons appris à le faire. Ce qui signifie que vous pouvez faire de même et à tout âge. Les femmes ne s’amusent pas à s’occuper de la corvée de la cuisine pendant que vous, messieurs, êtes des chefs cuistot. Tout comme ce n’est pas drôle pour nous de nous en sortir mieux que vous à l’école pour qu’en définitive les postes de pouvoir vous reviennent.

➢ Êtes-vous prêts à changer de trottoir la nuit quand vous vous retrouverez à marcher derrière une femme ? L’espace public n’est pas un espace de sécurité pour les femmes. Les hommes s’y comportent et l’occupent comme s’il leur appartenait. Donc il va falloir faire des efforts en attendant de le rendre moins violent et plus sûr pour elles.

Cela concerne également les transports en commun. Puisque vous êtes des alliés, vous y dénoncerez toute attaque à l’encontre d’une femme. Les corps des femmes ne vous appartiennent pas, vous ne pouvez en aucun cas les toucher et/ou les complimenter sans leur accord. Quand vos compliments mettent mal à l’aise une femme, vous devrez les arrêter immédiatement et vous en excuser. Vous n’aimeriez certainement pas qu’on vous pince les fesses sans crier gare, normal, c’est humiliant et porte atteinte au corps et à la dignité. Du respect, donc.

➢ Êtes-vous prêts à cesser tout « humour » sexiste ?

Les différents hashtags ont été repris par beaucoup trop d’hommes, ont été déformés pour les servir à toutes les sauces et détourner l’attention d’un sujet aussi grave. Les blagues des dominants à l’encontre des dominées ne sont pas drôles, en fait. Elles participent aux violences. Une fois de plus, au lieu de vous taire et d’écouter ce que les femmes ont à raconter, vous occupez l’espace et prenez la parole. Essayez donc de développer une capacité d’écoute. Apprenez à vous taire et à écouter plus, pour un meilleur partage de la parole.

➢ Êtes-vous prêts à constamment questionner vos comportements, vos paroles et vos gestes, votre attitude générale vis-à-vis des femmes ? Pas seulement vis-à-vis de votre mère, sœur ou fille mais de toutes les femmes. Êtes-vous prêts à corriger cette attitude immédiatement si elle devient problématique ?

Sachez aussi, messieurs, que les femmes ne sont jamais vraiment au repos. Quand vous êtes au café entre potes, vous pouvez parler football en oubliant les galères au travail, les corvées de la maison, l’éducation des enfants, etc. Les femmes, elles, n’en ont pas le loisir, elles n’y arrivent pas, la charge mentale est puissante. Elles passent leur temps à discuter de l’éducation et de l’école, des enfants et des corvées à la maison, des comportements sexistes au travail dans la rue, etc. Nos têtes sont en constante ébullition, même quand nous tentons de dormir, jamais vraiment au repos. Et pourquoi ? À cause des violences patriarcales que nous subissons au quotidien, et ce dans tous les espaces et tous les moments de nos vies. Les choses doivent changer.

C’est à vous de jouer maintenant, la balle est dans votre camp.

P.-S.

Ndella Paye militante afroféministe et antiraciste, membre fondatrice du collectif Mamans Toutes Egales.

Les médias sont partie intégrante du système de domination et sont détenus par les dominants, ce n’est donc pas le meilleur outil au service de nos luttes. Mais aujourd’hui grâce aux réseaux sociaux, une alternative très appréciable et un relais non négligeable, nous pouvons les obliger à traiter de sujets très sensibles voire nous passer carrément d’eux.

Mon militantisme de terrain n’étant plus à prouver, je voudrais profiter de l’élan de vulgarisation ouvert par #BalanceTonPorc et #MoiAussi pour lancer le hashtag #DeLaBelleTheorieAUnePratiqueEffective, afin d’accompagner et de visibiliser ce manifeste. Personne ne pourra me reprocher, très honnêtement, de ne faire que du militantisme hashtag. S’il reste un moyen de toucher le plus grand nombre, l’objectif est d’aller au-delà des dénonciations et de mettre en pratique les vœux pieux.

Se défendre. Une philosophie de la violence

Elsa Dorlin, Se défendre. Une philosophie de la violence, Zones éditions, 2017.

Dans le prologue de Se défendre, Elsa Dorlin revient sur le lynchage de Rodney King, chauffeur de taxi noir, par la police de Los Angeles. C’était en mars 1991 et, comme c’est devenu la norme aujourd’hui, la scène fut entièrement filmée par un témoin qui, « ce soir-là […] captur[a] ce qui s’apparente à une archive du temps présent de la domination. » La vidéo fut diffusée par les chaînes de télévision du monde entier. Un an plus tard, quatre policiers (ils étaient plus nombreux à avoir pris part au lynchage, mais seuls ces quatre-là avaient été inculpés) furent « blanchis » (c’est le cas de le le dire) par un jury populaire. Leur acquittement provoqua une certaine émotion dans les quartiers « susceptibles » de la ville des anges : afin de mettre fin aux émeutes qui s’ensuivirent, l’armée et la police tuèrent 53 personnes et en blessèrent 2 000… Si l’on croit savoir pourquoi une agression caractérisée et parfaitement documentée – la vidéo est toujours visible sur le net, ici par exemple – donna lieu à ce verdict pour le moins clément (grâce au racisme toujours à l’œuvre aux Etats-Unis), reste à comprendre comment, dans la pratique, il fut obtenu. Certes, aucun Africain-Américain ne faisait partie du jury – ils avaient été récusés par les avocats de la police. Tout de même, lorsque l’on voit les images, on se dit qu’il n’est pas possible d’innocenter les flics. Leurs avocats ont pourtant réussi le tour de force de présenter Rodney King comme l’agresseur ! Selon eux, les cops se sont sentis en danger face à un « colosse » qui tentait d’esquiver leurs coups. « Dans la salle d’audience, écrit Elsa Dorlin, la vidéo, visionnée par les jurés et commentée par les avocats des forces de l’ordre, est regardée comme une scène de légitime défense témoignant de la “vulnérabilité” des policiers. » Cette interprétation aberrante pour quiconque a vu les images de ce lynchage, car c’est bien ce qu’elles montrent, ne peut s’expliquer, selon Judith Butler, citée par Elsa Dorlin, que par le « cadre d’intelligibilité de perceptions qui ne sont jamais immédiates ». Dans un texte écrit peu après le verdict, Butler soutient que « la vidéo ne doit pas être appréhendée comme une donnée brute, matière à interprétations, mais comme la manifestation d’un “champ de visibilité racialement saturé” ». En d’autres termes, les policiers et les membres du jury ont vu ce qu’ils voulaient/pouvaient voir. Aujourd’hui comme hier en Amérique, l’agresseur est forcément le Noir, contre lequel il est légitime de se défendre. Lorsque celui-ci se mêle de se protéger, voire de se défendre à son tour, il devient gibier à abattre – voir, entre autres, l’histoire du Black Panther Party for Self-Defense.

Dans ce livre, Elsa Dorlin « retrace une généalogie de l’autodéfense politique », nous dit le texte de couverture. Il s’agit d’une double généalogie, ou de la généalogie de deux mouvements antagonistes : celle de la « légitime défense », autrement dit celle de la défense agressive des privilèges blanc et mâle, et celle de l’autodéfense des subalternes, « des résistances esclaves au ju-jitsu des suffragistes, de l’insurrection du ghetto de Varsovie aux Black Panthers ou aux patrouilles queer ». Dorlin commence par montrer comment l’avènement de la Modernité a reposé, entre autres conditions, sur « la fabrique des corps désarmés ». Mais pas n’importe lesquels : par exemple, le Code noir français (1685) défend « aux esclaves de porter aucune arme offensive, ni de gros bâtons », sous peine de fouet. Non seulement les esclaves ne devaient pas être armés, mais était prohibé tout ce qui pourrait leur donner l’occasion de « se préparer, de s’exercer à la révolte ». Elsa Dorlin cite ainsi Elijah Green, ancien esclave né en 1843 en Louisiane, lequel « rapporte qu’il était strictement interdit à un Noir d’être en possession d’un crayon ou d’un stylo sous peine d’être condamné pour tentative de meurtre et pendu ». (C’est moi qui souligne.) Par contre, « dans la plupart des contextes coloniaux et impériaux, le droit de porter et d’user d’armes est systématiquement octroyé aux colons. »

Cependant les subalternes s’organisent – ainsi, dans tous les contextes esclavagistes sont nées des pratiques clandestines d’autodéfense esclave, souvent déguisées en arts « inoffensifs », dont certains sont désormais bien connus en territoires métropolitains, et pratiqués pour leur aspect festif plutôt que martial, telle la capoeira brésilienne. Durant la Révolution française, des femmes réclament le droit de porter les armes et de former des « bataillons d’Amazones » en défense de la Révolution. Dans l’Angleterre du début du siècle passé, les suffragistes du Womens’s Social and Political Union pratique le ju-jitsu tout récemment importé du Japon et adapté aux besoins du combat de rue et de la protection des militantes féministes. « L’autodéfense des militantes du WSPU a été, précise Elsa Dorlin, non pas tant une ressource choisie dans un répertoire d’actions pour défendre leur cause – à savoir le droit de vote –, mais bien ce qui leur a permis de lutter collectivement par elles-mêmes et pour elles-mêmes, empêchant toute instrumentalisation nationaliste de leur cause. L’autodéfense n’est donc pas un moyen en vue d’une fin – acquérir un statut et une reconnaissance politiques –, elle politise des corps, sans médiation, sans délégation, sans représentation. » Je souligne ces mots qui me paraissent très importants en ce qu’ils permettent aussi bien, me semble-t-il, de comprendre ce qui se jouait dans les têtes de cortège du printemps 2016 à Paris et autres lieux…

Elsa Dorlin distingue ainsi « légitime défense » – de l’ordre raciste par le Klu Klux Klan ou les Dupont-la-Joie français flinguant des Arabes au petit bonheur dans les années 1970, tâche plus souvent déléguée à la police par la suite – et autodéfense populaire. Elle pointe cependant les dérives possibles de cette dernière, comme celle qui aboutit à la disparition du Black Panther Party, lequel, non seulement fut décimé par les forces de répression, mais aussi céda à une fascination machiste des armes et de l’uniforme qui le coupa de ce qu’il aurait dû être, ou rester : une force révolutionnaire.

Autre dérive, celle d’une partie du mouvement gay américain qui a contribué, afin d’aménager des zones safe pour le homosexuels, à inventer ce que nous connaissons aujourd’hui en France comme les « Voisins vigilants », soit une obsession sécuritaire que le (néo)libéralisme ambiant a très bien su diriger contre les pauvres, les marginaux, les délinquants, les gens pas comme il faut.

Le livre se termine pourtant sur une note plus optimiste avec un chapitre intitulé « Répliquer » construit autour d’un roman anglais du début des années 1990, Dirty Week-end, dont voici le résumé donné en quatrième de couverture : « Un beau jour, Bella en eut marre, marre de toujours être la victime, marre de toujours avoir peur, marre des désirs des mecs… Et elle se mit à les tuer. D’abord ce voisin vicieux qui la persécutait, puis un autre, rencontré par hasard, et qui aurait bien aimé la plier à ses caprices. Et cela lui a fait tant de bien, cela l’a tant soulagée, qu’elle se demande pourquoi elle a attendu si longtemps. Et demande pour les femmes le droit à la violence aveugle. » Au cours de ce dirty week-end, tous ceux que Bella va rencontrer y passeront à leur tour. « Les deux jours de Bella, commente Elsa Dorlin, figurent la temporalité d’un stage d’autodéfense féministe, avec sa pratique accélérée, son partage d’expériences, ses prises de conscience et ses recommandations. Bella n’a pas appris à se battre, elle a désappris à ne pas se battre. En passant à une stratégie d’autodéfense féministe, il ne sera donc jamais question de distiller la réalité pour en extraire l’efficace d’un geste (immobiliser, blesser, tuer…) mais, au contraire, de s’enfoncer dans la trame de la réalité sociale de la violence pour y entraîner un corps qui est déjà traversé par la violence, pour déployer un muscle familiarisé à la violence mais qui n’a fondamentalement jamais été éduqué et socialisé à s’entraîner à la violence, à l’agir. »

Elsa Dorlin tire d’autres leçons de ce livre d’Helen Zahavi. Tout d’abord, nous dit-elle, il « offre la possibilité de problématiser ce que nous appellerons un dirty care – un care négatif. » Selon les visions essentialistes, les femmes sont réputées attentives, prévenantes, ce qui explique leur disposition à prendre soin des autres et donc aux professions du care. Le care négatif, nous dit Elsa Dorlin, c’est aussi l’attention portée aux autres, mais pas afin d’en prendre soin : il s’agit d’échapper au harcèlement, au viol, à la violence quotidienne exercée par les hommes sur les femmes. C’est l’attention de la proie par rapport au prédateur. « À partir de cette idée d’attention qui caractérise le dirty care, il est possible de dégager deux éléments majeurs », poursuit Elsa Dorlin. Tout d’abord, ce mode d’attention à l’autre définit un mode de connaissance dans lequel l’objet à connaître prend une importance démesurée. « L’objet devient le centre du monde que le sujet appréhende depuis nulle part. » Dans ce rapport (comme dans tout rapport de domination), c’est l’objet (le chasseur) qui domine le sujet (la proie en tant qu’elle exerce ses capacités cognitives), car c’est lui qui définit les coordonnées de la réalité objective, « c’est son point de vue qui donne le la du réel », réel dont certains auteurs, cités en note par Elsa Dorlin, rappellent que l’étymologie anglaise et espagnole le rapportent « à des expressions qui renvoient à “royal” ou qui sont relatives au roi ». Ainsi, « la propriété de ce qui est réel est ce qui est royal, au roi. Ce qui est réel est ce qui est visible par le roi ». « Autrement dit, cet effort permanent pour connaître le mieux possible autrui dans le but de tenter de se défendre de ce qu’il peut nous faire, est une technologie de pouvoir qui se traduit par la production d’une ignorance non pas de nous-même mais de notre puissance d’agir qui nous devient étrangère, aliénée. » Les dominé·e·s développent ainsi « une connaissance sur les dominant·e·s qui constitue une archive de leur toute-puissance phénoménale et idéologique ». L’autre effet de ce care négatif concerne l’« objet-roi ». Il a déjà été désigné par le concept d’agnotologie, qui est l’étude de la production de l’ignorance. Contrairement aux proies qui doivent en savoir le plus possible sur leurs prédateurs afin d’espérer leur échapper, ces derniers n’ont aucun besoin de connaître mieux leurs proies : « Ignorant·e·s, les dominant·e·s sont engagé·e·s dans des postures cognitives qui leur épargnent à proprement parler de “voir” les autres, de s’en soucier, de les prendre en compte, de les connaître, de les considérer. »

Ouvert sur l’affaire Rodney King, le livre se referme sur le meurtre de Trayvon Martin : le 26 février 2012, George Zimmerman, un bon citoyen américain engagé dans un programme de « voisins vigilants », abat cet ado africain-américain dans un quartier blanc de la ville de Sanford en Floride. Trayvon avait le tort d’être noir et de porter un sweat shirt à capuche, ce qui a semble-t-il suffi à mettre son assassin en position de légitime défense, définie en Floride comme le fait d’agir « pour se protéger si [une personne] ressent un sentiment de peur raisonnable l’incitant à croire qu’elle sera tuée ou gravement blessée ». Un an et demi après les faits, Zimmerman sera acquitté malgré le fait qu’aucune preuve attestant une situation de légitime défense n’ait été produite par ses avocats. « George Zimmerman est un vigilant de l’État racial. Trayvon Martin était sans défense face à la menace d’être, en tant que jeune homme africain-américain, une proie abattable au nom de la légitime défense. » C’est la peur raisonnable ressentie par son assassin qui légalise le meurtre de Trayvon. « La peur comme projection renvoie ainsi à un monde ou le possible se confond tout entier avec l’insécurité, elle détermine désormais le devenir assassin de tout “bon citoyen”. Elle est l’arme d’un assujettissement émotionnel inédit des corps mais aussi d’un gouvernement musculaire d’individus sous tension, de vies sur la défensive. »

C’est ce qu’Elsa Dorlin a cherché – avec succès, à mon avis – à nous faire toucher du doigt tout au long de ce livre excellent  dans lequel elle utilise « [s]a propre histoire, [s]on expérience corporelle » pour « arpenter une histoire constellaire de l’autodéfense ». Sa culture théorique et politique, précise-t-elle dans le prologue, lui « a laissé en héritage l’idée fondatrice selon laquelle les rapports de pouvoir ne peuvent jamais […] complètement se rabattre in situ sur des face-à-face déjà collectifs, mais touchent à des expériences vécues de la domination dans l’intimité d’une chambre à coucher, au détour d’une bouche de métro, derrière la tranquillité apparente d’une réunion de famille… » On reconnaît là l’un des apports fondamentaux du féminisme, qui a montré que l’intime, le « privé » sont aussi politiques. Elsa Dorlin entend ainsi « travailler non pas à l’échelle des sujets politiques constitués, mais bien à celle de la politisation des subjectivités ». Et cela passe évidemment par les corps, par les muscles : « Au jour le jour, que fait la violence à nos vies, à nos corps, à nos muscles ? Et eux, à leur tour, que peuvent-ils à la fois faire et ne pas faire dans et par la violence ? » Ici réside l’un des principaux intérêts du livre, à mes yeux : loin des sempiternels débats autour de la violence et de la non-violence (lesquels, me semble-t-il, ne servent la plupart du temps qu’à renforcer les rapports de domination), il envisage les différentes pratiques violentes de façon très concrète, en ce qu’elles servent, ou non, les intérêts des un·e·s et des autres et en ce qu’elles produisent comme effets tangibles sur les corps comme sur les organisations politiques et sociales.

Moi aussi

Trouvé sur le net (l’original est ici) parmi beaucoup d’autres…

J’ai d’abord pensé que je ferais partie de celles qui assisteraient silencieusement au mouvement de libération de la parole à propos du harcèlement sexuel.
J’ai milité plusieurs années dans une association de lutte contre le harcèlement sexuel dans l’enseignement supérieur, CLASCHES. Et je me pensais suffisamment forte et distanciée vis à vis de ce sujet, capable d’en parler, y compris de situations personnelles.
Mais devant la vague des révélations, l’ampleur de la participation au fil des jours, la présence quotidienne de ce sujet dans les medias, et face à la nécessité de décider de ma prise de parole, j’ai réalisé que ce n’était pas si simple.
J’ai pris le temps d’observer ce que cet événement provoquait en moi. A côté de la satisfaction à voir cette parole se libérer, à assister à des débuts de prise de conscience, à côté de l’admiration, de l’empathie et de la reconnaissance pour celles qui osaient se manifester et dénoncer, je ressentais un vrai malaise, des sentiments beaucoup plus négatifs, de la colère, le besoin dans un premier temps de rester à l’écart du choeur des révélations.
J’ai fini par admettre que cela me fragilisait, au point que j’ai cessé assez rapidement de lire les témoignages et les dénonciations.
Tous ces récits, détaillés ou non, venaient réveiller des souvenirs désagréables voire douloureux – ce qui ne remet nullement en cause leur légitimité.

La stratégie du tri 

Mais surtout, j’ai compris qu’ils me confrontaient à mon déni, à la façon dont je gérais intérieurement mon histoire et les violences sexuelles en général.
Alors que je me pensais capable de les repérer, de les admettre et de les verbaliser, au moins pour moi-même, j’ai réalisé que je les triais.
Ce tri s’opère selon une figure concentrique :
vers l’extérieur du cercle, se situent les situations qui peuvent émerger clairement à ma conscience, que je peux évoquer et dénoncer (même si je n’ai jamais porté plainte contre personne). Plus on se rapproche du centre du cercle, plus il s’agit de situations difficiles à verbaliser, voire à me représenter, des situations que j’ai pu en partie refouler/oublier, dont je n’ai pas parlé pendant très longtemps, et que je continue à ne pas évoquer pour certaines.
En essayant de lister pour moi-même ces situations, en les observant revenir à ma mémoire, j’ai réalisé que le critère de ce tri n’était pas fonction de la gravité des agressions subies, ni de leur impact plus ou moins traumatique. Le critère majeur tient en premier lieu à la personne agresseuse : plus celle-ci est proche et connue, plus la situation est difficile à évoquer, voire même à qualifier d’agression ou de violence.

 Au plus loin, la rue

Ainsi, les situations que j’ai l’habitude d’évoquer sont des agressions commises par des hommes inconnus, dans des lieux publics, extérieurs, collectifs. Ce sont des agressions ponctuelles : je n’ai jamais recroisé mon agresseur par la suite. Il s’agit, par exemple, d’une agression sexuelle dans le hall de mon immeuble, quand j’avais 16 ans, par un homme qui m’avait suivie dans la rue alors que je rentrais chez moi. Ou encore d’un homme croisé dans un parc qui se masturbait en public. De toutes les agressions verbales (aussi bien sexistes que lesbophobes) subies dans la rue au fil des années, malheureusement bien trop fréquentes pour être dénombrées.
Pendant assez longtemps, je me suis raconté que mon expérience des violences sexuelles se limitait à ça. Ce n’était pas seulement que je triais sciemment ce que je racontais : le tri s’opérait aussi dans ma conscience, par un phénomène plus ou moins intense de refoulement. Et je parvenais à peu près à me convaincre moi-même que je n’avais pas d’autres choses à dénoncer. Ces situations que je situe dans la partie externe de mon schéma de tri, je peux les mettre à distance de moi, d’une certaine façon, et j’ai pu sans difficulté les qualifier d’agressions : même si elles m’ont impactée, en particulier cette agression dans mon immeuble qui a été traumatique et dont je n’ai pu parler à personne à l’époque, j’avais d’emblée conscience que je n’étais en rien responsable, que le problème se situait chez cet homme, pas chez moi. Et j’ai pu ressentir de la colère et de l’indignation, contre lui et contre le fonctionnement de cette société. Par ailleurs, je ne l’ai jamais revu. Et même si j’ai eu peur de le recroiser pendant une période, je n’ai jamais été confronté à nouveau à mon agresseur.
En fait, ces situations rentraient dans mon cadre de pensée, celui que l’on m’avait transmis et que l’on partage globalement dans mon milieu social, et dans l’ensemble de la société : il existe des hommes violents, qui agressent les femmes, et le monde extérieur peut être dangereux quand on est une jeune fille ou une femme seule. Ça arrive. En quelque sorte, on m’y avait préparée.

Entre deux, au travail et au lycée

Mais il y a bien d’autres situations qui ne rentrent pas complètement dans ce cadre, voire pas du tout. Et plus elles s’en éloignent, plus il devient difficile de les évoquer, de se les représenter.

En-dessous de cette première strate de situations que je peux relater sans problème, il y en a une seconde, déjà un peu plus délicate, qui concerne les situations de harcèlement vécues dans des lycées : l’une en tant que salariée, l’autre en tant qu’élève. Dans les deux cas, il s’agissait d’hommes adultes, un proviseur et un prof. Ces deux situations étaient plus diluées dans le temps, plus sournoises aussi, et caractérisées par un déni massif de l’entourage professionnel (infirmière scolaire, direction, CPE, Rectorat) qui pourtant savait, sans aucun doute possible (plusieurs plaintes avaient été prononcées).

Ces deux situations étaient plus difficiles à dénoncer, parce qu’il n’y a pas eu envers moi d’actes, pas d’agression physique, pas d’insultes : il s’agissait de propos malveillants, de regards déplacés, de manipulations, de remarques sur le physique, de l’instauration d’un climat hostile… C’était, par exemple, de la part du proviseur, le fait de venir s’installer dans mon bureau en l’absence de ma collègue (alors qu’il avait un bureau à lui où il était sensé travailler) et de mettre de la musique (sans me demander mon avis bien sûr), en l’occurrence uniquement des chansons contenant des propos sexuellement explicites. Ceci s’inscrivant dans un comportement quotidien, récurrent : une accumulation de « petites » choses qui font se sentir vulnérable.
Dans les deux cas, j’ai alerté et cherché de l’aide, pas tant pour moi-même que pour des collègues qui m’avaient rapporté des situations d’agressions sexuelles de la part de ces hommes : dans les deux cas, j’ai été ridiculisée et confrontée à la minimisation et la dénégation. Je précise qu’à chaque fois, les personnes vers qui je me suis tournée étaient des femmes. Et je crois que leurs réactions ont été presque plus difficiles à encaisser pour moi que le comportement de ces harceleurs.

Dans ces deux situations de harcèlement caractérisé, qui concernaient plusieurs victimes, et se perpétuaient dans le temps, je me suis confrontée aussi à l’image du lycée comme un lieu nécessairement sain et sécure, un lieu d’apprentissage et de savoir dont la violence serait par définition exclue. Un lieu où l’on pouvait, en tout cas, être protégé-e en cas de problème, à partir du moment où ce problème était signalé.

Cette seconde « strate » m’a donc posé plus de difficulté, bien que ces deux situations aient eu en elles-mêmes moins de conséquences sur moi que les agressions dans la rue : ce qui en a eu, c’est le constat que se plaindre n’était pas forcément efficace, et que la solidarité n’était pas du tout évidente, y compris entre femmes. Le mépris affiché par la gestionnaire du rectorat et l’infirmière scolaire est resté gravé dans ma mémoire : mais qu’en faire ?
Ces deux hommes sont restés à leur poste, et ont continué à nuire. Contrairement aux situations de la 1ere « strate », celles-ci m’ont confrontée à la culpabilité et à une forme de désarroi : n’aurais-je pas du aller plus loin dans mes dénonciations, insister, n’avaisje pas une responsabilité envers les autres personnes déjà victimes ou qui pouvaient le devenir ?

J’ai travaillé successivement dans 6 établissements, avec 6 proviseurs ou principaux différents : 4 sur 6 avaient des comportements de harcèlement (moral uniquement pour la plupart) envers leurs collègues directs (intendant-e, proviseur adjoint, secrétaire…). La violence entre élèves était palpable et quotidienne dans ces établissements. En fait, la violence en général était palpable dans ces établissements, à tous les niveaux, entre adultes, entre enfants, entre adultes et enfants : des atmosphères particulièrement pénibles.

Plus près, les agressions entre pair-es, au collège et entre ami-es

La violence entre élèves inclut aussi le harcèlement sexuel et les agressions sexuelles. Bien que j’en ai conscience depuis très longtemps, évoquer les situations auxquelles j’ai été moi-même confrontée en tant qu’élève/enfant est encore très compliqué. Et je dois admettre que je n’en ai jamais parlé. Là encore, parce que cette violence est terriblement taboue.

L’idée que des enfants ou de jeunes adolescent-e-s puissent s’agresser sexuellement entre eux heurte en général nos représentations.
Je pense que ma grande difficulté à évoquer ces situations tient aussi au fait qu’elles impliquaient des personnes plus proches affectivement : des élèves de ma classe, qui est restée la même du CE1 à la 3ème. Certains de nos parents étaient amis. Nous allions parfois les un-e-s chez les autres, nous nous voyions en-dehors de l’école.
Il est représentatif que pendant très longtemps, la seule situation dont je me sois souvenue était la suivante : un garçon d’une autre classe, en 5ème-4ème, qui me suivait aux toilettes, m’attendait devant la porte, essayait de me toucher (ce qu’il faisait avec d’autres filles). Ce garçon, je le connaissais à peine (je ne me rappelle pas son prénom), il n’évoluait pas dans mon cercle de connaissances, et en-dehors de ces rares épisodes je n’ai eu aucun contact avec lui.

Mais il y a eu d’autres situations que j’ai refoulées pendant très longtemps :
• l’une impliquant un garçon faisant partie de mes « amis », qui me poursuivait de ses ardeurs malgré mes refus répétés, et est allé jusqu’à me montrer son sexe (pensant sûrement que ça me ferait changer d’avis…!) ;
• l’autre, le harcèlement subi par un groupe de filles, que j’ai mis des années à qualifier de harcèlement sexuel, alors que c’en était : et pas le moins acharné. Insultes, images pornographiques, « petits mots » transmis pendant les cours me mettant en scène dans des situations sexuelles, etc.

Comment dénoncer de tels faits commis par des filles de 13 à 15 ans ?
Voilà une situation à laquelle on ne m’avait pas du tout préparée.

Pourtant le comportement de ces filles a eu sur moi un impact bien plus grave que celui des deux garçons cités précédemment. Parce que plus haineux, plus durable, avec une intention marquée d’humilier. Et parce que ce n’était pas pour moi représentable d’être agressée sexuellement par des filles de mon âge, et qu’il était inimaginable d’en parler à qui que ce soit. Ce n’était pas des filles « masculines », ni considérées comme rebelles, agressives : des filles de familles plutôt aisées, féminines voire très féminines, ne posant aucun problème aux adultes ni à l’institution scolaire.

Je ne suis pas la seule, les situations de harcèlement et d’agressions sexuelles entre filles à l’adolescence sont certainement plus fréquentes qu’on ne le croit. En y repensant, je me confronte à cette interrogation : où ont-elles appris cette violence ? Qu’ont-elles reproduit ? Et je m’aperçois que j’ai plus de difficulté à me poser la question concernant les garçons et les hommes, comme s’il était plus « naturel » ou « attendu » qu’ils soient violents.

Beaucoup plus près : la violence des adultes envers les enfants, les proches, la famille

Une partie de l’explication se situe peut-être dans une autre situation, plus ancienne, et plus difficile encore à admettre : la prof de sport en CE1 qui fait des remarques humiliantes sur le physique des enfants. Qui fait des « plaisanteries » ambiguës lorsqu’elle nous fait faire de la lutte, ou lorsqu’on va à la piscine. Elle me met systématiquement en binôme avec un petit garçon qui fait le même poids et la même taille que moi (nous sommes les plus petits et les plus menus), et elle s’amuse beaucoup à se moquer de nous, à suggérer des attitudes sexuelles – ce que, à 7 ans, nous ne sommes pas tout à fait en mesure de comprendre, et que nous saisissons pourtant.
Tout le monde rit, j’ai le souvenir aigü de l’humiliation que je ressentais, je me souviens du sentiment d’intrusion que provoquaient ses remarques sur mon corps. Je n’ai jamais oublié cet épisode, bien que je l’ai longtemps enfoui.

Malgré tout, là aussi, j’ai mis très longtemps à admettre le caractère sexuel de ses propos et de son attitude, le fait que ce comportement rentrait dans le cadre du harcèlement. Encore aujourd’hui, j’ai du mal à intégrer qu’une femme adulte puisse humilier sexuellement des enfants de 7 ans, mais je sais d’expérience pourtant que c’est possible.

La violence sexuelle des adultes envers les enfants des deux sexes est aussi répandue que taboue…
Evoquer le harcèlement et les agressions qui se produisent dans les familles, dans les cercles d’ami-e-s reste particulièrement difficile.

Dénoncer une personne proche, avec laquelle on a des liens affectifs, est une épreuve qui est souvent risquée, et peut s’avérer insurmontable.

Admettre également la violence exercée par les femmes, en particulier par les femmes envers d’autres femmes, que ce soient dans un couple, dans une famille, dans le cadre d’une relation éducative, vient heurter nos représentations encore très ancrées d’une supposée « non-violence » féminine naturelle, et des relations forcément protectrices des adultes envers les enfants dont ils ont la responsabilité.

Visibiliser la violence sexuelle des hommes entre eux, sans doute beaucoup plus répandue qu’on ne le croit – je connais plusieurs personnes de mon entourage plus ou moins proches qui l’ont subie.

Toutes ces situations se situent, je crois, au centre du cercle, et il nous faudra encore du temps pour pouvoir les aborder et les affronter, dans une perspective féministe, sans craindre de minimiser la domination masculine et les violences faites aux femmes. Parce que ça ne s’oppose pas.

De la réalité complexe des violences sexuelles

En listant toutes ces situations, j’ai compris que la violence sexuelle, si elle s’inscrit dans la domination masculine, ne se limite pas au genre/sexe.
La violence sexuelle n’est pas tant une question de sexualité que de pouvoir : cela peut arriver dans toute situation où il y a rapport de domination. Entre un-e adulte et un-e mineur-e, entre un-e parent-e et un-e enfant, entre un groupe et un individu fragilisé/dominé, etc.
Plusieurs types d’oppressions peuvent être en jeu, qui sont toutes liées : homophobie, transphobie, domination adulte, racisme, validisme, etc… Il ne s’agit pas de désir ou de pulsion sexuelle, mais de l’expression et de l’exercice d’un pouvoir sur l’autre, qui vise à le soumettre.
A ce titre, l’éducation sexuelle n’est pas une solution suffisante : il faut travailler sur les rapports de pouvoir et de domination.

Aussi étonnant que cela puisse paraître, malgré mon féminisme, mon engagement sur ces sujets, mes prises de positions, je continuais à minimiser, à masquer, à me protéger de cette réalité.
Je ne prétends pas avoir épuisé toutes les situations que j’ai rencontrées dans ma vie : depuis le début de ce mouvement #MeToo, et l’écriture de cet article, des souvenirs me reviennent régulièrement en mémoire. J’ai l’impression que ça n’a pas de fin, et c’est effrayant.

Cette multiplication de témoignages nous place toutes et tous face à une réalité très éprouvante psychiquement : admettre que les situations de violence sexuelle jalonnent nos existences depuis des années, c’est faire face à une image de soi et du monde qu’on préfèrerait ignorer. Et pourtant, c’est une première étape essentielle pour que demain ces situations ne se reproduisent plus.

Les Inrockuptibles et Cantat ; de l’impunité face aux féminicides

Les Inrockuptibles et Cantat ; de l’impunité face aux féminicides

 On me dit que Cantat a « payé sa dette ». Ce sont des termes qui me sont étrangers ; je ne considère pas que la justice est là pour « faire payer les gens ». Je considère que chacun-e, en revanche, doit se questionner sur ses actes et leurs symboles.

On me dit qu’il faut dissocier l’homme de l’artiste ; expliquez moi comment vous faites cela. Vous l’applaudissez une fois sur deux ? Vous applaudissez en hurlant « j’admire l’artiste mais pas l’homme » ?
On me dit que cela fait 14 ans.
Le meurtre de Marie Trintignant par Cantat a été un séisme pour la jeune féministe que j’étais.
J’ai découvert, comme tant d’autres, ce que beaucoup de gens pouvaient penser des victimes de violences conjugales.
J’ai découvert que certain-es abruti-es se berçaient de l’illusion du poète déchu qui a tant et mal aimé, pour excuser Cantat.
Les réactions à ce féminicide ont été – comme furent ensuite celles aux « affaires » DSK, Polanski, Baupin, Sapin etc – un parfait révélateur de l’état désastreux de la société française en matière de violences faites aux femmes. Marie Trintignant a été traînée dans la boue de la pire des façons ; ce qui a été dit à l’époque illustre vraiment à quel point nous sommes dans la posture quand il s’agit de violences conjugales. C’était une pute, une salope, une droguée, une hystérique et une alcoolique et il semblait bien à une partie de la population françaises qu’être cela en tout ou partie justifie qu’on vous massacre à mains nues. Nous trouvons toujours des excuses, des bonnes raisons pour que des femmes meurent: une pâte à crêpe pleine de grumeaux, des nuggets trop chers, une femme hystérique, un chanteur à fleur de peau.

Oh les hommes français, qu’ils soient de gauche ou de droite, aiment à corner qu’ils aiment les femmes en grands poètes de l’amour courtois qu’ils sont.
Les femmes françaises se bercent de cette douce illusion et chacun de croire que c’est de l’amour si typiquement français que d’infliger tant de coups que le visage devient violet, que le nez éclate, qu’on finisse dans le coma, qu’on meure.
Chacun finit par croire à la fable de l’homme brisé qui a voulu mourir tant il regrettait. Il ne regrettait pas au point de ne pas qualifier Marie Trintignant d' »hystérique » pendant le procès toutefois. Il ne regrettait pas au point de ne pas inventer une fable où il l’aurait poussée et où elle aurait heurté un radiateur ; thèse que le rapport d’autopsie a mise à mal. Il ne ne regrettait pas au point de ne pas laisser ses avocats fouiller dans le passé de Marie Trintignant afin de voir si elle n’avait pas le crâne fragilisé ce qui aurait pu expliquer qu’elle meure sous ses coups. Il ne regrettait pas au point de ne pas écrire de minables chansons sur le sujet pour chouiner sur son sort. Il ne regrettait pas au point de ne pas avoir la décence de taire son chagrin qu’il est bien le seul à avoir provoqué. Mais nous vivons dans un monde si tolérant envers les violences faites aux femmes qu’on en vient à plaindre un homme qui dit souffrir après avoir massacré sa compagne. Et on parle bien ici de massacre, le mot n’est pas trop fort.

Cantat par son métier est un homme public. Un homme qu’on applaudit sur scène, un homme qu’on aime et qu’on admire. Voilà pourquoi il ne peut se comporter comme un homme exerçant n’importe quelle profession. Parce qu’il y a le symbole. Il y a le symbole d’être applaudi sur scène. Il y a le symbole d’être interviewé pour son nouvel album. Et il y a le symbole de faire la couverture des Inrocks aujourd’hui. Cantat avait la possibilité d’être parolier voire même de changer complètement de métier s’il avait perçu la violence qu’il y a à être applaudi sur scène alors qu’on a tué. Il ne l’a jamais perçue. Il n’a toujours pas la dignité de comprendre qu’il ne peut plus porter de combat politique parce qu’il les discrédite par sa simple présence ; parce que le noble combat d’aide aux migrants mérite mieux qu’un minable égoïste qui a tué une femme à coups de poings. La réinsertion des ex-détenus n’implique pas de sortir des albums, de faire des concerts et encore moins de faire la couverture des Inrocks.

Nous hurlons haut et fort à longueur de journée que nous sommes horrifiés par le viol, horrifiés par les meurtres de femmes. Personne n’a de mot assez dur pour dire ce qu’il voudrait faire aux auteurs. Et puis sortent des affaires précises. Avec des chanteurs qu’on aime bien. Et là d’un coup on devient beaucoup plus tolérants. Et ces chanteurs font la une des journaux.
En 2013 déjà Cantat s’était exprimé dans les Inrocks. Vocabulaire choisi d’un article rédigé par l’actuel rédacteur en chef du journal :
– le « drame de Vilnius » (tellement plus romantico romantique que « meurtre »)
– « l‘irréparable et l’indicible » (amusant j’arrive personnellement très bien à définir ses actes).
– « meurtre passionnel absurde » ; Tout article qui se respecte sur un féminicide ne saurait décidément employer les termes « passionnels ».
Les Inrocks ne reconnaissaient pas, nous disaient-ils, Cantat dans le portrait qui en avait été fait par des « journaux dégueulasses« . C’est vrai que je me demande bien pourquoi on ferait un portrait aussi négatif d’un homme qui a frappé une femme au point de lui éclater le nez, s’est ensuite dit qu’elle devait dormir (après une dizaine de coups au visage  c’est en effet une réaction normale) et l’a balancée sur un lit pour ensuite pleurnicher qu’il était malheureux. C’est vrai que je me demande bien pourquoi certain-es le voient comme une ordure alors qu’il a préféré s’étaler sur sa souffrance et ses tentatives de suicide plutôt que de fermer sa gueule et nous laisser un peu respirer.

Les Inrocks en mettant cet homme à la Une, nous envoient un message clair. On peut en France tuer une femme et faire la Une d’un journal comme si de rien n’était, comme si tout cela était de vieilles histoires sur lequel on peut bien tirer un trait. Une femme meurt tous les 3 jours en France sous les coups de son conjoint. Les chiffres ne baissent pas. Cette couverture envoie le signal clair qu’on peut commettre un féminicide et continuer sa vie tranquillement. Cela envoie comme souvent en ce qui concerne les auteurs de violences faites aux femmes, le signal d’une impunité totale. Qu’au fond tout cela n’est pas si grave face au talent, à l’homme écorché qu’il est. Cette couverture contribue à la glamourisation de la violence envers les femmes, à donner aux féminicides un côté romantique et poète maudit dont nous peinons à nous défaire en France. Les média ont le choix d’inviter ou de ne pas inviter Cantat, de l’interviewer ou pas, d’en faire une couverture ou pas. Faire le choix de Cantat en couverture montre que les Inrockuptibles ont décidé de cultiver une culture de l’impunité en ce qui concerne les violences faites aux femmes.

Panthère première arrive

On a déjà parlé ici de cette nouvelle revue. En voici une présentation tirée de son site – qu’on peut aller visiter pour plus de détails (événénements à venir, contacts, sommaire premier numéro…)

Félin pour l’autre

Imaginer une revue qui s’appelle Panthère Première, c’est se retrouver en février 2016 à Marseille et se dire qu’on a envie de se lancer dans cette aventure toutes ensemble, celles qui s’étaient connues autour d’autres revues et celles qu’on rencontrerait chemin faisant. C’est se dire, oui, une revue mais pas n’importe comment: en réunissant des équipes éditoriale et technique non-mixtes pour s’essayer à d’autres manières de travailler; en ouvrant nos colonnes aux plumes qui se font trop discrètes; en réfléchissant à une économie de la revue qui nous offrirait les moyens matériels nécessaires à une production de qualité et qui ne reposerait pas entièrement sur le bénévolat.

Concevoir une revue qui s’appelle Panthère Première, c’est commencer par lister des titres de rubriques absurdes et enchaîner les jeux de mots carnassiers avant de s’accorder, en mai 2016, sur l’idée d’une revue généraliste et féministe qui s’intéresse aux différentes manières dont le personnel est politique. C’est décider d’explorer, d’un numéro à l’autre, les intersections entre ce qui est communément renvoyé à la sphère du privé – famille, enfance, habitat, corps ou sexualités – et les sphères systémiques – État, marché, travail… – en partant du principe que les formes de domination, de résistance et de créativité s’ancrent et se pérennisent dans ces plis. C’est adopter une ligne éditoriale qui reconnaît que les expériences vécues peuvent faire l’objet de questionnements critiques.

Éditer une revue qui s’appelle Panthère Première, c’est lancer ce premier numéro en s’intéressant à la portée subversive des actes de langage dans notre dossier Quiproclash! C’est penser que le papier n’est pas une tour d’ivoire ; se laisser toucher et prendre position, s’engager au-delà de la publication et espérer vous toucher aussi car, chère lectrice, cher lecteur, nous sommes, au fond, certainement félin pour l’autre.

Instant pleasure : un long déplaisir

Trouvé sur le net, un excellent article où il est question de clitoris et aussi d’art et de genre…

Instant pleasure : un long déplaisir

Par Marie Docher (artiste)bandeau

Il n’y aurait eu aucune raison de mentionner ici le nom de Mathias Pfund, jeune artiste Suisse, s’il n’avait posé une de ses sculptures intitulée Instant Pleasure (clitoris) sur le Rond-Point de l’Europe à Neuchâtel, et prétendu inscrire son projet dans une « perspective pédagogique ». Que certain·es réclament le retrait de ce qui est donc censé être un clitoris n’est pas le sujet de cet article. Il y a bien longtemps que les pénis et scrotums de mâles statues ponctuent nos promenades dans les parcs publics ou nous pissent dessus à Bruxelles sans que ça n’émeuvent les tenant·es de la morale. Ce qui nous mobilise ici, c’est le parfait cas d’école que Pfund nous fournit pour illustrer l’opportunisme de certains artistes et la récupération à leur profit des luttes anti-sexistes que mènent des femmes. On y trouvera tous les ingrédients indispensables à la réussite de ces détournements : un entre-soi masculin hermétique, des institutions en soutien, une presse « féministe » autoproclamée, et une misogynie décomplexée pour lier le tout.

Démarrons l’histoire le 27 septembre 2017. L’association suisse Clitoris-moi, qui se donne pour but louable de promouvoir le plaisir et la sexualité féminines, se réjouit ainsi sur son compte facebook : « Clitoris-Moi est fière de la ville de Neuchâtel qui ose exposer un clito géant sur un rond-point! Et mille BRAVOS à Mathias Pfund, le père de notre clito géant 2.0, pour le mandat!!!  » Le post est accompagné de la maquette réalisée par le « père » du clitoris. J’en profite pour demander aimablement aux journalistes d’arrêter avec les expressions « père » de la résilience, du premier bébé éprouvette français, de l’Europe, du peuple… et « mère » de tous les vices. Merci.

Sur la maquette, le clitoris en question commence à prendre des libertés avec l’anatomie réelle de l’organe, mais à ce stade, rien de grave. On apprend que le projet de départ a été publié par Causette dans son hors-série sur le Clitoris en décembre 2016, et que l’artiste a eu des échanges de travail avec Clitoris-Moi, décidé à rendre encore plus visible le clitoris. Montrer est politique, et cette pratique militante a fait ses preuves.

clitomoiFontaine

Mais voilà, entre la maquette et sa réalisation, le clitoris a subi des modifications conséquentes. L’artiste tient à préciser dans le Figaro Madame que si sa sculpture « respecte l’anatomie du clitoris, la forme est quelque peu aménagée pour des raisons structurelles ». La sculpture étant solidement vissée sur le rond-point, on peine à comprendre pourquoi. Surtout, le clitoris est devenu un corps microcéphale muni de fesses offertes à une double pénétration par ses propres bulbes, ses piliers étant habilement transformés en jambes vus de dos, et en bras vus de face.

instant-pleasure_vue de dos

« Vous voyez le mal partout ! » lit-on sur les réseaux sociaux accompagnés de graveleux émojis. Sans doute mes bons messieurs, sans doute. Alors, lisons le « texte pédagogique » qui accompagne l’œuvre qu’on découvre fort heureusement provisoire. Ou plutôt, regardons la copie d’écran du site de Pfund réalisée le 3 octobre, car peu de temps après, n’assumant plus le texte de son camarade Renaud Loda, il l’a supprimé – notons que le collectif Smallville a quant à lui non seulement conservé le texte sur son site, mais l’a même traduit en anglais il y a deux jours, misant sans doute sur un buzz international.

Mathias Pfund Instant Pleasure (clitoris), 2017 - Mathias Pfund

Rions ensemble tout d’abord de la prétention extravagante de ce texte qui pose que Instant Pleasure (clitoris) est une « véritable leçon d’anatomie pour les nuls et pour bien d’autres encore », et qu’il « dévoile sans pudeur la forme globale de l’organe de l’appareil reproducteur féminin ». Ces gars n’ont visiblement aucune idée de ce qu’est un clitoris. Si cet organe est aujourd’hui si méconnu et son anatomie si mal enseignée, c’est justement parce qu’il ne joue aucun rôle dans la reproduction. Ont-ils fait la moindre recherche ? On pourrait croire que non si on ne découvrait cette délicieuse page du Leman News dans laquelle Pfund confie au journaliste que le déclencheur de ce projet est l’impression du clitoris 3D de la chercheuse Odile Fillod. Il sait donc à quoi ça ressemble et à quoi ça sert.

Cet article écrit par un journaliste accompagné d’un photographe donne la parole à une femme retraitée qui manifeste son agacement devant ce projet, et à sept hommes qui semblent au choix s’en contre fiche ou s’en réjouir au point de se photographier devant la sculpture, côté double péné. Et l’on pourrait presque s’attendrir devant la citation choisie pour illustrer la réaction de trois jeunes hommes de 18 ans : « On a une pudeur, on ne sortirait pas tout nu. Mais là il n’y a rien de choquant. »
Les femmes de Neuchâtel ne semblent aller prendre leur train à la gare qu’à la retraite.

lemannews

Donc, Mathias Pfund et sa bande de copains de Smallville entendent donner des leçons qu’ils n’ont pas apprises. Le texte déroule ensuite tranquillement sa petite musique misogyne, sexualisant la sculpture et ne cachant rien de la volonté anthropomorphique de l’auteur : les « parois mouillées » par la pluie qui caresse et transforme le vernis en « durex play » (gel lubrifiant), la « silhouette » qui évoque « un cul-de-jatte qui se retourne brusquement, comme sifflé depuis le café voisin »… On exagère toujours ?

On apprend aussi que la sculpture a failli être « capable de « squirter »  l’eau calcaire du chef lieu au beau milieu de la place de l’Europe ». Pour mémoire, « squirter » vient directement de l’univers du porno, et désigne quelque-chose qu’une femme peut éventuellement faire, mais en aucun cas un clitoris. Ce qui vient confirmer que c’est bien un corps de femme qui est ici représenté, à moins que nos pieds nickelés égarés par la contemplation assidue de leur pénis aient prêté par homologie cette fonction au clitoris.

Enfin, les râles et grognements du rappeur Ol’ Dirty Bastard servant de fond sonore à la vidéo qui accompagne la communication du projet ne laissent aucun doute sur ce que le chanteur voudrait faire à la « pretty girl ». Pas sûre qu’il aient payé les droits d’auteurs d’ailleurs.

Alors, devant ce faisceau d’indices très convergent, certain·es montent au créneau : « Je le connais il est sympa. » « Au moins on en parle ». Oui mais on parle de quoi ? Quand on se pare de prétendues vertus pédagogiques, il faut assurer et assumer. Pour avoir été présente dès l’origine du projet du clitoris imprimable en 3D, je peux témoigner de l’immense travail de réflexion, d’analyse, de vérification, de pédagogie réalisé par Odile Fillod. On peut dire que Pfund ne rend pas hommage à celle qui l’a inspiré.

Avant d’interviewer Pfund, Madame Figaro a mentionné deux fois le clitoris 3D. Les journalistes ont-elles pris le temps de poser une seule question à la chercheuse qui venait de mettre gratuitement à la disposition du plus grand nombre un véritable outil pédagogique imprimé en nombre par des profs de SVT, des sexologues, des personnes qui informent sur l’excision… ? Non. Elles n’ont même pas pris le soin de faire pointer leurs articles vers l’interview réalisée par le Figaro Santé, elle-même noyée dans un tissus d’idées fausses.

Pour illustrer le second article, intitulé « Le féminisme positif, la nouvelle révolution sexuelle », le journal a choisi de passer commande à Eric Giriat. Ce choix est intéressant : dès la première page de son portfolio, on reconnait ces esquisses de femmes ultra-minces qu’affectionne la presse féminine et l’industrie de la putasserie (comme dirait Despentes). Les douze femmes-tables de la page d’accueil de son site, dont on n’ose imaginer quel sujet « féminin » elles sont censées illustrer, donnent le ton. Les dessins illustrant le plaisir des femmes sont éloquents : une zone wifi en lieu et place du pubis, un sein à la place du biceps et un interrupteur en guise de téton où il vient incruster le G qui constitue sa signature. Je ne sais pas combien il a pu être payé quant à lui, mais en ce qui me concerne, le Figaro s’est dispensé de me demander l’autorisation d’utiliser mes photos du clitoris imprimé en 3D et de me créditer, comme bien d’autres médias d’ailleurs (Télérama par exemple).

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Qu’un homme, qu’un artiste, visse une représentation fausse et anthropomorphique de deux mètres de haut du clitoris sur un rond-point suisse et les voilà qui se pâment, se précipitent sur le bienfaiteur de l’humanité pour lui ouvrir leurs pages !  C’est ainsi, c’est le privilège des mâles d’être très rapidement reconnus et admirés pour leur immense talent et leur courage transgressif par celles qu’ils méprisent : « Autant sulfureux soit-il, mon clitoris s’inscrit dans l’ensemble de mon œuvre », commente sobrement l’artiste accompli de 25 ans. Il n’y a pas une once de souffre dans ce projet, mais du sexisme et de l’opportunisme, inconscients peut-être mais bien réels. Les réactions admiratives de journaux dont le « féminisme » auto-proclamé est à discuter sont malheureusement classiques et irritantes. Le magazine Causette s’exclamait sur sa page facebook : « LA GLOIRE ! », et renvoyait au lien commercial vers son numéro spécial sur le clitoris. Aucune distance critique. Rien. Madmoizelle.com, Femina.ch, Elle Portugal… font de la pub à l’artiste, véritables « cariatides » supportant le temple des hommes.

Mais qui sont ces artistes et curateurs pédagogues qui forment Smallville-space ? Leur site nous informe que « Smallville est un espace d’art contemporain indépendant, situé à Neuchâtel et inauguré le 11 décembre 2015 par Fabian Boschung, Renaud Loda, Camille Pellaux et Sebastien Verdon. Nés entre 1979 et 1983, originaires de Neuchâtel et longtemps actifs au sein du collectif Doux-Jésus (2001-2010), qui a monté une dizaine d’expositions en Suisse romande, les 4 artistes ont depuis suivi des parcours artistiques individuels (…). » Ils montent des expos majoritairement d’hommes (plus de 85%) et sont soutenus par La Loterie Romande, la Ville de Neuchâtel qui leur alloue 4 000 francs suisses annuels et met à leur disposition le rond-point, la Fondation Bonhôte pour l’art contemporain et la Fondation Sandoz. Un journal souligne que Mathias Pfund a le vent en poupe, entre le « clitoris » et les 10.000 francs suisses que la ville de Genève vient de lui accorder sous forme de bourse. Le cadre est posé : une bande de copains artistes, soutenus par des institutions, s’exposent et exposent.

La scène qui suit est imaginaire mais elle pourrait bien expliquer comment ce projet de fontaine en est arrivé là. Nous sommes le 8 mars 2016. Apéro au « space ». Sebastien prend en photo le saucisson et le poste sur le compte instagram du groupe : #journée de la femme # no filter # womanobject… Bitchday. Attention, ils sont transgressifs les mecs, ils détournent tout, c’est des corrosifs. C’est pas comme si une bande d’ados venait de prendre sa première cuite le doigt scotché sur instagram et que la journée des droits des femmes avait une utilité quelconque. Non, du tout. Ce sont des artistes, des commissaires d’expo, des rois du hashtag hype : # t’en veux je t’en donne # baise ou encore # j’aimerais un gosse mais à laquelle de ces putains le faire ?

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Les voici donc un peu avinés lorsque Matthias leur raconte qu’il a des copines qui voudraient vraiment faire cette sculpture monumentale. Renaud dit : « y a un coup à faire avec cette histoire de clito. Ca va marcher. Toute la presse va en parler.
Camille rétorque : vu le buzz du clito 3D, si des mecs s’en mêlent c’est jackpot. Fabian, t’appelle la ville ?
– Ouais, ça marche. Et toi Mathias, fais-le bien sexe ton clit, ca va gicler !
– Et qu’est ce que je dis aux filles ?
– Elles vont pas nous faire chier non ? On leur fait leur clit’, ça va. Elles vont applaudir et puis c’est tout. C’est nous qui avons le contact avec la mairie non ? C’est nous les artistes non ? Alors. Tiens, reprends du saucisson.
– Renaud, tu nous ponds un texte bien chaud. Tu t’y connais en clit ?
– Ah ah ah, on s’en fiche !
Coup de fil au délégué culturel de la ville Patrice Neuenschwander qui dit oui-génial-les-gars et c’est parti : toi tu fais le texte, toi les photos, toi la vidéo, on appelle nos potes de la presse locale ça va les amuser et on lance le buzz. Attention Matthias aux éléments de langage : pédagogie, sulfureux, polémique  !!! Allez go ! Go !

Et voici comment un projet qui aurait pu avoir une utilité dérape et qu’un clitoris finit par ressembler à un corps de femme mutilé, avachi sur un rond-point suisse, subissant une double pénétration aux yeux de tous : un entre-soi masculin, des aides publiques, des atlantes, des cariatides, de l’opportunisme et du cynisme. Le journal Le Courrier avait vu juste en écrivant d’eux, lorsqu’ils étaient dans le collectif Doux Jésus : « Avec un terrifiant cynisme doublé d’un appétit boulimique, ces pirates de l’art dévorent tout ce qu’ils peuvent se mettre sous la dent. »

C’est ainsi que les luttes des femmes, leur travail, leur créativité et leur intelligence sont récupérés au profit d’hommes peu soucieux des conséquences sur la vie des concernées. L’art produit des images, des représentations des corps et on ne peut pas dire « c’est de l’art nous ne sommes tenus à aucune vérité » tout en se proclamant « pédagogique ». C’est un grand classique et les militantes pour les droits des femmes, contre les violences, pour une meilleure visibilité… ont toutes des exemples similaires, à la pelle. Je ne suis pas sûre que ces histoires parviennent aux oreilles des responsables de ces détournements. Chose réparée ici.

Alors pour finir je vous envoie sur le fichier du clitoris 3D que nous avons conçu avec l’aide du carrefour numérique de la Cité des Sciences de la Villette et puisque beaucoup de gens racontent n’importe quoi, Odile Fillod, qui ne se prend pas pour la mère du clitoris 3D, a fait un site internet d’utilité publique : clit’info. Tout ce travail n’a reçu aucune aide financière bien entendu, et mon travail photo et vidéo a été tellement pillé par les médias du monde entier que je m’en suis fait une raison : c’est pour la bonne cause. Il faut bien gérer la colère d’une façon ou d’une autre. Certains de mes confrères font des procès. Je n’ai pas les moyens d’en faire.

Puisqu’on en est là, j’en ai un, de projet pédagogique, et un excellent. Je pourrais peut-être demander de l’argent en Suisse parce qu’en France c’est pas facile, et l’Agessa va encore me demander à la fin de l’année si je suis bien encore artiste vu mes revenus qui baissent et donc éventuellement supprimer ma sécurité sociale pour finir.

Ce projet, c’est la suite logique d’Atlantes & Cariatides : des interviews qui vont montrer ce que le genre fait à l’art. C’est et ça s’appelle Visuelles.art. Dans une des interviews réalisées, Camille Morineau dit : « l’argent, c’est le nerf de la guerre ».

Je suis en guerre effectivement et je ne suis pas seul·e à l’être. En guerre contre les atlantes et les cariatides, et j’ai besoin d’argent pour la mener. Si vous pouvez soutenir ce projet, si vous connaissez quelqu’un qui peut le faire, c’est ici et maintenant.

Et enfin, quand la scientifique répond à l’artiste, c’est de la pédagogie et du grand art.

 

Marie Docher

 

Si vous avez aimé cet article pouvez soutenir Atlantes & Cariatides.
Et pour soutenir le travail d’Odile Fillod, c’est ici, en bas à droite de la page d’accueil.

Lallab démêle le vrai du faux à son sujet

Vous avez récemment entendu parler de l’association Lallab ? Vous avez lu une chose d’un côté et son contraire de l’autre ? Pas de panique ! Voici quelques éléments de réponses pour démêler  le vrai du faux.
Prenez donc le temps de les lire et de venir nous rencontrer : ce sera le meilleur moyen de nous connaître !

1) “Lallab lutte pour obliger les femmes à porter le voile“ ?

NON. Lallab est pro-choix. Nous ne nous positionnons ni sur le port du voile ni sur aucun autre mode vestimentaire ou pratique religieuse. Au sein de l’association, tous les choix sont représentés. Nous souhaitons permettre à toutes les femmes, musulmanes ou non, de choisir librement ce qu’elles veulent être, sans jamais craindre d’être jugées, violentées ou discriminées. Nous rêvons d’une société qui permette à toutes les femmes de vivre, et notamment de s’habiller, comme bon leur semble, quels que soient les sens et les significations qu’elles y mettent. Nous sommes une association féministe et antiraciste se voulant la plus inclusive possible : chez Lallab, les femmes sont écoutées et soutenues quels que soient leurs choix car nous avons la volonté de créer une société plus juste pour TOUTES les femmes.

Si les missions de Lallab portent spécifiquement sur les femmes musulmanes, voilées ou non, c’est au vu d’un constat dans notre société : elles sont sujettes non seulement au sexisme, mais également au racisme et à l’islamophobie. Ces différentes oppressions ont malheureusement des conséquences concrètes sur leurs parcours de vie. Ces problématiques sont malheureusement trop peu traitées et les voix des femmes musulmanes restent silenciées et/ou méprisées. Par ailleurs, la fixation médiatique et politique portée en particulier sur les femmes portant le voile reflète la persistance des préjugés et des violences systémiques racistes et sexistes aujourd’hui. Chez Lallab, nous travaillons à déconstruire ces éléments, à mettre en lumière les voix des femmes musulmanes et à révolutionner leur image dans leur pluralité.

Dans la même lignée, nous ne sommes pas non plus pour le “voilement des petites filles” comme il a été annoncé en reprenant des photos personnelles (sans consentement des intéressé·e·s) d’une de nos bénévoles qui sortait d’une mosquée après la prière de l’Aïd qu’elle célébrait en famille (non, ses trois filles ne portent pas le foulard au quotidien). Plusieurs autres clichés de la sorte ont été repris et sortis de leur contexte, alimentant d’autres théories abracadabrantesques. Nous en profitons d’ailleurs pour réaffirmer la gravité de telles pratiques et des conséquences sur nos membres et leurs familles. Cela démontre par ailleurs le niveau d’éthique et de malhonnêteté intellectuelle de nos détracteur·trice·s.


2) “ Lallab est une menace pour la laïcité“ ?

NON. Loin de se positionner contre la laïcité telle que promue par la loi de 1905 qui promulgue la séparation de l’Église et de l’État, Lallab reprend et applique son principe fondamental : la liberté de tou·te·s. Nous critiquons au contraire une vision déformée et erronée de cette loi, trop souvent instrumentalisée par la volonté d’exclure et de discriminer certaines personnes, et notamment les femmes musulmanes.

Il est essentiel de ne pas confondre la neutralité de l’État avec la neutralité des individus. Comme  le Conseil de L’État l’a rappelé en 2004 : la laïcité est un moyen dont la fraternité et le pluralisme sont une fin. Elle permet le vivre-ensemble dans le respect mutuel de nos différences et celui des lois de la République qui s’appliquent à chacun·e.

Les propos haineux, les agressions verbales et les violences physiques doivent ainsi être condamnés. Ainsi, la laïcité n’a jamais eu pour but d’exclure des femmes de la société, en référence à leurs pratiques vestimentaires, mais bel et bien de toutes les rassembler !

Concernant la loi du 15 mars 2004, qui interdit le port de signes religieux ostensibles dans les écoles, collèges et lycées publics, nous déplorons l’exclusion de jeunes filles qu’elle a induite. Mais dans une démocratie, n’est-il pas encore permis d’exprimer une opinion et critiquer les défaillances d’une loi sans tomber dans l’illégalité ?

3) “Lallab est proche des Frères Musulmans” ?

NON. Euh… Non. Lallab n’a aucun lien avec les Frères Musulmans, ni avec aucun autre parti politique et religieux. Petite question :  la proximité avec les Frères musulmans, elle est dans l’article  de notre magazine en ligne qui parle des troubles alimentaires compulsifs ? Dans ceux qui rendent hommage aux femmes entrepreneures ? Dans les événements inclusifs comme le festival féministe organisé en mai dernier ? Non, car nous persistons à chercher ce qui pourrait faire penser à un lien quelconque  mais nous ne trouvons toujours pas…

 

Ces accusations mensongères visent encore et toujours à délégitimer et diaboliser nos actions au quotidien. Nous ne cesserons de le répéter : Lallab est une association apartisane et areligieuse. Et non, parler des femmes musulmanes ne fait pas de nous une association musulmane/islamique.

Notre mission se concentre sur les vécus et expériences spécifiques des femmes musulmanes françaises ou vivant en France, mais notre démarche s’inscrit dans une optique bien plus large : notre rêve est de faire en sorte que TOUTES LES FEMMES ne soient plus jugées, discriminées ou violentées en raison de leur genre, de leur origine, de leur orientation sexuelle, de leur physique, ou encore de leur appartenance religieuse. 

4) “Lallab défend et soutient les femmes qui subissent des oppressions exercées par des musulman·e·s ainsi que les femmes forcées à être voilées en Iran ou dans les quartiers” ?

OUI. Lallab condamne les violences faites envers TOUTES les femmes, et ce, quelle que soit la forme de ces violences, les lieux où elles arrivent et par qui elles sont perpétrées ! Nous le répétons fermement : nous nous lèverons aux côtés de chaque femme contre tout ce qui ira à l’encontre de son libre arbitre et de ses libertés. Ainsi, contrairement à ce qui a souvent été affirmé, nous soutiendrons autant le combat d’une femme qui souhaite enlever le foulard, que celle qui fait le choix de le porter et de le garder ! Ces deux combats sont loin d’être incompatibles, la règle est simple : respecter et soutenir les femmes dans leurs choix et ne jamais céder à ce qui est contraire à leurs libertés.

Concernant les oppressions des femmes à l’étranger, en tant qu’association française, notre travail se concentre principalement sur le contexte français, ses spécificités et ses réalités. Nous n’avons pas vocation ni les ressources et encore moins la légitimité à lutter contre les violences commises à l’encontre des femmes dans le monde entier. Cela ne veut pourtant pas dire que nous ne les soutenons pas. Notons que les femmes sont victimes de violences partout dans le monde, et pas uniquement dans des pays à majorité musulmane, contrairement à ce que certains pensent. Le fait de nous renvoyer systématiquement à d’autres pays, lorsque nous parlons de la situation des femmes musulmanes en France, est une injonction raciste. Cela suggère, de façon insidieuse, que les musulman·e·s sont d’une certaine façon condamné·e·s à être étranger·e·s.

L’autre injonction à devoir uniquement parler du sexisme qui “règne dans les quartiers” laisse généralement sous-entendre plus ou moins subtilement que seuls les hommes qui y vivent sont coupables de sexisme et de violences envers les femmes. Rappelons que les violences faites aux femmes transcendent les classes sociales, les époques, les lieux, les religions et les cultures : en France, une femme meurt tous les trois jours sous les coups de son conjoint. Cet article explique très bien à quel point le simple fait d’être une femme semble suffisant pour être menacée, agressée, voire tuée. La lutte contre le patriarcat et ses violences, si elle veut être efficace, doit se mener sur tous les fronts et se faire dans tous les espaces où il s’exerce, c’est à dire non seulement dans les quartiers mais également dans les entreprises, les espaces publics, les institutions politiques et gouvernementales, les médias etc.

Notre discours n’est pas de nier le sexisme existant chez les musulmans, il est de dénoncer son instrumentalisation à des fins racistes, là où nous tentons d’éradiquer toute forme d’oppression, à des fins féministes. À noter que cette instrumentalisation est d’autant plus grave qu’elle empêche des femmes, notamment mais pas uniquement musulmanes, de s’exprimer sur certaines violences qu’elles peuvent subir par peur de voir leurs paroles déformées et utilisées contre leurs proches. Au lieu de lutter contre les violences faites aux femmes, on en vient donc une fois de plus à les silencier.

5) “Lallab est homophobe” ?

NON. Lallab s’est toujours clairement positionné en faveur du respect et de l’égalité en droit de chacun·e, quels que soient ses identités de genre et ses orientations sexuelles et romantiques. L’idéal de Lallab est le suivant : une France dans laquelle chaque femme peut être elle-même sans peur d’être jugée, discriminée ou violentée du fait de son genre, physique, appartenance religieuse, orientation sexuelle ou origine.

 

6) “Lallab est anti-IVG” ?

NON. On le répète : Lallab est pro-choix. Elle est donc pour l’accès libre et gratuit à l’interruption volontaire de grossesse pour toutes les personnes qui le souhaitent. Nous affirmons : chaque femme a le droit de disposer de son corps comme elle l’entend !


7) “Lallab est une association communautariste” ?

NON. Lallab est ouverte à toute personne souhaitant s’engager à nos côtés et partageant nos valeurs. Ainsi, nous comptons parmis nos bénévoles des personnes musulmanes et non musulmanes, des femmes ainsi que des hommes !

Lallab n’est donc pas une association “de femmes musulmanes” : il suffit de voir les co-fondatrices de notre association : Sarah Zouak est musulmane et Justine Devillaine est athée, ou encore les membres de notre bureau ainsi que nos autres bénévoles.  Il n’y a pas besoin d’être une femme musulmane pour s’indigner des discriminations qu’elles vivent aujourd’hui en France, et pour vouloir changer les choses. Mais lorsque des femmes décident de s’auto-organiser avec leur allié·e·s pour être auteures de leurs propres récits, celles-ci sont systématiquement accusées de communautarisme.

De plus, il est nécessaire de rappeler que, comme l’explique le sociologue Fabrice Dhume, le concept de communautarisme est une chimère et ne renvoie à aucune réalité sociologique. Selon lui, “le discours du communautarisme s’invente donc des communautés pour mieux les stigmatiser. En effet, le mot sert unilatéralement à stigmatiser ethniquement (ou sexuellement, lorsqu’il est appliqué aux mouvements LGBT, aux demandes de parité femmes-hommes…) et à disqualifier politiquement des gens et leurs voix. Ce terme fait peser sur ces voix un soupçon essentialisant, celui de (com)porter par nature une menace sur « l’universalisme républicain »… lors même que les personnes et les groupes concerné.e.s exigent que le principe d’égalité ou de liberté régisse enfin l’espace public et l’action de l’État, et donc que cessent racisme, discrimination, stigmatisation et minorisation.”

Enfin, quand bien même Lallab ne serait composée que de femmes musulmanes, la critique n’aurait aucune légitimité, car comme le souligne très bien Rokhaya Diallo dans cet article, certaines personnes se rassemblent en raison de leur vécu similaire, marqué par des injustices. Cette solidarité a pour objectif de mieux faire face aux inégalités, avec pour espoir de rendre la société plus juste et inclusive. Les associations dites communautaires, même si elles peuvent avoir des espaces de non-mixité choisie, combattent donc ce “communautarisme”, dont le but est le séparatisme, empêchant ses membres d’être considérés comme complètement égaux aux autres citoyens, en raison de leur genre, état de santé, origines, religion, orientation sexuelle ou romantique…

Il est intéressant de noter que les attaques pour “communautarisme” concernent toujours les mêmes personnes, alors que l’on ne critique jamais en ces termes, voire pas du tout, la surreprésentation d’hommes des classes supérieures de plus de 50 ans dans les lieux de pouvoir (politique, médias, conseils d’administration d’entreprises). Ces dénominations sont loin d’être anodines et visent encore et toujours à diaboliser et délégitimer notre travail.

8) “Lallab est contre les féministes blanches” ?

NON. Dénoncer les limites du “féminisme blanc” n’est pas synonyme de s’opposer aux femmes ou féministes blanches, ni renier les combats qu’elles ont menés et les acquis qu’elles ont obtenus. Le terme blanc renvoie ici à un concept sociologique selon lequel il existerait une construction socioculturelle de l’identité blanche, en opposition à celles des différentes personnes subissant le racisme (les Noir·e·s, les Arabes, les Asiatiques etc.). Parler de “féminisme blanc”, c’est émettre une critique des féministes qui considèrent leurs opinions et leurs choix individuels comme universels, c’est-à-dire comme pouvant être imposés à toutes les femmes, sans prendre en compte les différences culturelles ou les différences de situations de femmes victimes en parallèle d’autres oppressions, comme le racisme par exemple. On peut ainsi être une féministe blanche sans faire de “féminisme blanc”.

C’est ici que l’intersectionnalité prend tout son sens : toutes les femmes peuvent être opprimées, mais en raison de l’intersection entre différentes caractéristiques relatives à leur statut social, leurs croyances, leur orientation sexuelle ou leur couleur de peau, certaines le sont également pour autre chose que leur genre. Chez Lallab, les bénévoles non-musulman·e·s sont les bienvenu·e·s. En revanche, on ne peut pas imposer une vision ethnocentrée et universaliste du féminisme. C’est ce qui rend cette association si belle et diverse : concerné·e·s et allié·e·s travaillent ensemble afin d’améliorer petit à petit ce monde, marqué par le sexisme et le racisme. Nous vivons et incarnons un bel esprit de sororité !

 

9) “L’ascension de Lallab est suspecte” ?

 

NON. Les raisons du succès d’un projet tiennent souvent à de nombreux paramètres, que les entrepreneur·e·s ne contrôlent pas forcément. Voici néanmoins quelques étapes qui ont pu permettre un développement si rapide de Lallab.

Avant de créer Lallab, Sarah Zouak a créé en février 2014 le Women SenseTour – in Muslim Countries, une série documentaire et un voyage de 5 mois dans 5 pays à la rencontre de 25 femmes musulmanes qui agissent toutes pour l’émancipation des femmes, voyages où Justine Devillaine l’a accompagnée. À leur retour en France, elles ont présenté leur projet et leur film lors de nombreux événements, à des partenaires, lors d’interventions en milieu scolaire, de conférences, ou encore du festival féministe. Ces différentes occasions leur ont permis de construire un réseau et de faire connaître leur travail. La création de Lallab marque donc l’évolution d’une démarche initiée depuis plusieurs années par ses fondatrices : déconstruire les préjugés en laissant la parole aux personnes qui en sont victimes. Comme de nombreux projets d’envergure, Lallab a nécessité un travail sans relâche et sans salaire des années durant. Et cela ne suffit pas ! Pour continuer à grandir, il a fallu fédérer et mobiliser. Si Lallab compte aujourd’hui plus de 250 bénévoles qui permettent la publication d’articles réguliers et les nombreuses actions mises en place, c’est car ce projet vient pallier un manque pour beaucoup : la représentation de personnes trop souvent invisibilisées. Mais cette fantastique émulsion créative réclame aussi une organisation considérable ! Les prix et subventions reçus ont permis de consolider cette force de travail émergente. L’ascension de Lallab est le résultat d’un parcours, de l’envie de faire œuvre commune de réflexions personnelles, et du soutien de personnes et structures convaincues, comme nous, de la pérennité d’un combat contre les stéréotypes.

10) “Lallab est financée à 98% par des mouvements intégristes mondiaux, une poignée de personnages obscurs et Casimir” ?

NON. Alors non, il n’y a pas de cagnotte secrète mise au service de Lallab pour conquérir le monde. Comme toute association loi 1901, nous pouvons mener nos actions grâce à différentes sources de revenu : dons, cotisations, subventions ou revenus propres. Notre premier bilan financier sera validé par l’Assemblée Générale qui se tiendra fin septembre 2017 et, comme la loi l’impose, sera alors disponible pour les personnes souhaitant le consulter.

11) Les attaques violentes et répétées contre Lallab sont-elles révélatrices du travail qu’il nous reste à accomplir ?

OUI. Rédiger cette FAQ est la preuve encore une fois que nous devons sans cesse nous justifier sur nos actions et nos valeurs. Ces injonctions incessantes à l’explication et l’argumentation sur le bien-fondé de nos missions et cette sommation à la “pureté militante”, sont pour nous des pertes de temps et d’énergie considérables qui ont des conséquences sur notre santé et notre travail quotidien pour les droits des femmes.

Nous avons la ferme volonté de continuer à travailler avec tou·te·s nos bénévoles pour faire grandir nos projets et voir nos objectifs se réaliser. Nous ne nous laisserons jamais ni silencier ni intimider et nous continuerons de porter nos voix et nos récits pour une société plus juste et plus inclusive toujours dans un esprit de sororité engagée, plurielle et bienveillante !

Nous laisserons le mot de la fin à Amandine Gay, avec une phrase tirée d’une interview sur Slate.fr, qui résume parfaitement la situation dans laquelle Lallab se trouve aujourd’hui : « Comme le dit Toni Morrison, l’une des fonctions du racisme, c’est de t’empêcher de vivre ta vie, de faire ton travail. Pendant que tu es en train de réagir à des agressions, tu n’es pas en train d’agir et de créer. C’est comme si on était poussé dans une impasse : parce qu’on vit dans une société raciste, au lieu de réfléchir à des enjeux sur lesquels on aimerait se mobiliser, on se retrouve à répondre à des insultes. La question est : est-ce que je veux passer ma vie à y répondre ou créer du contenu ? » »

 

Lallab a fait son choix.