Pour la libération de Jacqueline Sauvage
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19 décembre 2015
Article repris du site Les Mots sont importants.
Le 10 septembre 2012, Jacqueline Sauvage est enfermée dans sa chambre. Son mari force la porte et la tabasse, lui éclatant la lèvre inférieure. Elle prend un fusil et lui tire dans le dos par trois fois, avant d’appeler le 18 et de se dénoncer à la police : « Venez vite, j’ai tué mon mari ».
Comme le révèle le procès, pendant 47 ans, celui avec qui elle partageait sa vie l’a violée, battue, a terrorisé ses enfants, abusé sexuellement de ses filles, et frappé régulièrement son fils qui a fini par se pendre le matin du jour où sa mère à tiré. Le jeudi 4 décembre, la Cour d’Appel de Blois a pourtant confirmé la condamnation de Jacqueline Sauvage à dix ans d’emprisonnement pour le meurtre de son mari.
Quelques jours avant, le 25 novembre [1], une statistique de la Banque Mondiale passait inaperçue : le viol et la violence conjugale représentent un risque plus grand pour les femmes de 15 à 44 ans que le cancer, les accidents de la route, la guerre et le paludisme réunis [2].
Cela peut paraître incroyable mais le premier risque pour les femmes, au niveau mondial, provient des personnes de leur entourage, et plus terrible encore, des hommes dont elles sont les plus proches, leurs conjoints. Pourtant très peu de femmes portent plainte : en France, seulement 16% d’entre elles le font [3].Ce qui veut dire que 84% des conjoints violents ne sont pas inquiétés.
Face à une telle impunité, il est du devoir de la société de protéger les personnes dont la vie est menacée. Depuis le début de l’année, les violences conjugales ont fait presque autant de victimes que le terrorisme en France -130 femmes sont mortes- sans qu’aucune mesure nouvelle ne soit prise pour que cela ne se reproduise pas l’année prochaine.
La peine infligée à Jacqueline Sauvage « ne doit pas être un permis de tuer », a lancé l’avocat général Frédéric Chevallier lors des plaidoiries pour convaincre les jurés de maintenir la condamnation. Si elle ne s’était pas défendue, peut-être que Jacqueline Sauvage en serait morte. On aurait ajouté son décès à la liste des femmes assassinées par leurs conjoints qui se répète chaque année sans que rien ne change.
Il ne s’agit pas de donner un permis de tuer aux femmes qui se défendent, mais de remettre en cause celui dont semblent disposer certains conjoints, reconnus violents par tous, et qu’on laisse agir en silence (le procès révèle que de nombreuses personnes étaient au courant de ce qui se passait, pourtant personne n’a rien fait).
Le cas de Jacqueline Sauvage est symptomatique d’une non prise en charge par les institutions de ces violences conjugales : si l’Etat jouait son rôle, ce genre de tragédie pourrait être évitée. Il faut maintenant démontrer qu’il n’est pas permis de battre à vie sa conjointe, veiller à ce que les femmes aient les moyens de se défendre, du soutien et le droit à la justice.
Après 47 ans de souffrance, le viol de ses filles, et la mort de son fils (qu’elle ignore au moment des faits), elle tue son mari. Ce n’est pas un fait divers. C’est la conséquence d’une inaction politique. Ce sont aussi 47 années de non-assistance à personne en danger.
Nous demandons la libération de Jacqueline Sauvage. Elle a déjà trop payé.
P.-S.
Cette tribune a été initialement publiée par L’Humanité, qui en a modifié le titre dans l’édition papier.
Nous la republions ici avec son titre original.
Notes
[1] Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes